Ludwig von Mises:Le Gouvernement omnipotent - chapitre 6

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Ludwig von Mises:Le Gouvernement omnipotent - chapitre 6


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Chapitre 6 - Les caractéristiques particulières du nationalisme allemand
Le Gouvernement omnipotent
Omnipotent Government: The Rise of the Total State and Total War
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Auteur : Ludwig von Mises
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1944
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1. L'éveil

Le nationalisme allemand ne différait pas du nationalisme des autres peuples jusqu'à ce que — dans les dernières années 1870 et les premières années 1880 — les nationalistes allemands fissent ce qu'ils croyaient être une grande découverte. Ils découvrirent que leur nation était la plus forte d'Europe. ils conclurent que l'Allemagne était donc assez puissante pour placer l'Europe et même le monde entier sous son joug. Leur raisonnement s'établissait ainsi :

Les Allemands forment le peuple le plus nombreux d'Europe, Russie exceptée. Le Reich lui-même, à l'intérieur des frontières tirées par Bismarck, a plus d'habitants que n'importe quel autre pays d'Europe, à la même exception près. En dehors des frontières du Reich vivent plusieurs millions d'individus de langue allemande, qui tous, selon le principe des nationalités, doivent être réunis au Reich. La Russie, disaient-ils, ne doit pas être prise en considération parce qu'elle n'est pas une nation homogène mais un conglomérat de beaucoup de nationalités différentes. Si vous déduisez de la population russe les Polonais, les Finlandais, Esthoniens, Lettons, Lithuaniens, Russes Blancs, tribus caucasiennes et mongoles, les Grégoriens, les Allemands des provinces baltes et des rives de la Volga, et spécialement les Ukrainiens, il ne reste que les Grands Russiens qui sont moins nombreux que les Allemands. De plus, la population allemande s'accroît plus rapidement que celle de tout autre nation européenne et beaucoup plus vite que celle de son ennemie héréditaire, la France.

La nation allemande jouit de l'énorme avantage d'occuper le centre de l'Europe. Elle domine ainsi stratégiquement toute l'Europe et quelques parties d'Asie et d'Afrique. En cas de guerre, elle jouit de l'avantage d'être sur les lignes intérieures.

Le peuple allemand est jeune et vigoureux tandis que les nations occidentales sont vieilles et dégénérées. Les Allemands sont appliqués, vertueux et prêts à combattre. Le Français est moralement corrompu, l'idole du Britannique est Mammon et le profit, les Italiens sont chétifs, les Russes sont des barbares.

Les Allemands sont les meilleurs guerriers. Les batailles de Rosbach, Katzbach, Leipzig, Waterloo, Saint-Privat et Sedan ont prouvé que les Français ne pouvaient leur résister. Les Italiens ont toujours tourné les talons. L'infériorité militaire de la Russie a été mise en évidence en Crimée et dans la dernière guerre avec les Turcs. La puissance terrestre des Anglais a toujours été négligeable. La Grande-Bretagne ne domine les océans que parce que les Allemands, politiquement désunis, ont négligé dans le passé de créer une puissance maritime. Les exploits de la Ligue Hanséatique prouvent clairement le génie maritime de l'Allemagne.

C'est pourquoi il est évident que la nation allemande est prédestinée à l'hégémonie. Dieu, le destin et l'histoire choisirent les Allemands en les dotant de leurs grandes qualités ; mais cette action bénie n'a malheureusement pas encore découvert ce qu'exigent son droit et son devoir. Oublieux de leur mission historique, les Allemands se sont abandonnés à leurs antagonismes intérieurs. Les Allemands se sont combattus les uns les autres. Le christianisme a affaibli leur ardeur guerrière innée. La Réforme a divisé la nation en deux camps hostiles. Les empereurs ont mésusé des forces de l'Empire pour les intérêts égoïstes de leur dynastie. Les autres princes ont trahi la nation en aidant les envahisseurs français. Les Suisses et les Hollandais ont fait sécession ; mais maintenant, le jour des Allemands est enfin venu. Dieu a envoyé à son peuple élu ses sauveurs, les Hohenzollern. Ils ont ranimé l'authentique esprit teuton, l'esprit prussien. Ils ont libéré le peuple du joug des Habsbourgs et de l'Église romaine. Ils continueront toujours et établiront l'imperium mundi allemand. C'est le devoir de tout allemand de les soutenir dans toutes la mesure de ses moyens ; il sert ainsi ses meilleurs intérêts. Toute doctrine par laquelle les adversaires de l'Allemagne essaient d'affaiblir l'âme allemande et de l'empêcher d'accomplir sa mission doit être radicalement extirpée. Un Allemand qui prêche la paix est un traître et doit être traité comme tel.

La première étape de la nouvelle politique consiste en la réincorporation de tous les Allemands de l'étranger. L'empire autrichien doit être démembré. Tous les pays qui jusqu'en 1866 faisaient partie de la confédération germanique doivent être annexés (ce qui comprend tous les Tchèques et les Slovènes). Les Pays-Bas et la Suisse doivent être réunis au Reich, de même que les Flamands de Belgique et les provinces baltes de Russie dont les classes supérieures parlent allemand. L'armée doit être renforcée jusqu'à ce qu'elle puisse réaliser ces conquêtes. Une marine suffisamment forte pour détruire la flotte britannique doit être construite. Alors les colonies britanniques et françaises les plus intéressantes doivent être annexés. Les Indes Orientales hollandaises et l'État du Congo passeront automatiquement sous contrôle allemand avec la conquête des mères patries. En Amérique du Sud, le Reich doit occuper un vaste territoire où au moins trente millions d'Allemands puissent s'établir [1].

Le programme assignait une tâche spéciale aux émigrants allemands vivant dans les divers pays étrangers. Ils devaient être organisés par des émissaires nationaux à qui les services consulaires du Reich doivent donner une aide morale et financière. Dans les pays devant être conquis par le Reich, ils forment une avant-garde. Dans les autres pays, ils doivent par leur action politique provoquer une attitude sympathique de la part du gouvernement. C'était spécialement le cas pour les Germano-Américains dont la mission était de maintenir aussi longtemps que possible les États-Unis dans la neutralité.

Notes

[1] Afin de démontrer que cette dernière exigence, qui ne pouvait être réalisée que par une guerre victorieuse contre les États-Unis, émanait non seulement des extrémistes mais aussi des hommes plus modérés, dont les nationalistes radicaux méprisaient la tiédeur et d'indifférence, nous n'avons qu'à donner une citation de Gustav von Schmoller. Schmoller était en Allemagne le chef universellement reconnu des socialistes de la chaire, professeur de science politique à l'Université de Berlin, conseiller permanent du gouvernement du Reich sur les problèmes économiques, membre de la Chambre des Seigneurs prussienne, et de l'Académie de Prusse. Ses compatriotes et les milieux officiels allemands le considéraient comme le plus grand économiste de l'époque et un historien de l'économie. Les mots que nous citons sont tirés d'un livre publié à Stuttgart en 1900 sous le titre Handels und Machpolitik, Reden und Aufsätze im Auftrage der Freien Vereinigung für Flottenworträge, publié par Gustav Schmoller, Adolf Wagner et Max Sering, professeurs de Science Politique à l'Université de Berlin, t. I, p. 35, 36 : "Je ne peux m'attarder sur les détails des tâches coloniales et commerciales pour lesquelles nous avons besoin d'une marine. On ne peut que mentionner brièvement quelques points. Nous devons tous souhaiter à tout prix que dans le siècle prochain un état allemand de vingt à trente millions d'Allemands soit fondé dans le Sud du Brésil. Il importe peu qu'il reste une partie du Brésil ou qu'il forme un état indépendant, ou qu'il soit plus étroitement réuni à notre Reich. En l'absence de communications continuellement assurées par des navires de guerre, sans une préparation allemande constante à une intervention vigoureuse dans ces pays, cette évolution serait destiné à périr."

Encore plus explicite que Schmoller était son collègue Adolf Wagner, dont la renommée et le prestige officiel étaient presque aussi grands. Parlant des guerres auxquelles l'effort pour trouver des lieux de résidence pour la population allemande excédentaire conduit nécessairement et de la lutte pour l'espace qui s'annonçait, il ajoute : De vaines prétentions comme la doctrine américaine de Monroe... ne sont pas un obstacle insurmontable. (Agrar und Industrie-Staat, 2e éd. Iena, 1902, p. 83). Telles étaient les vues des vieux professeurs et non d'une jeunesse fanfaronne. Il serait facile de citer des centaines de commentaires analogues.

2. L'ascendant du pangermanisme

Le pangermanisme fut l'oeuvre des intellectuels et des écrivains. Les professeurs d'histoire du droit, d'économie politique, de science politique, de géographie et de philosophie furent ses défenseurs les plus intransigeants. Ils convertirent à leurs idées les étudiants des universités. Très rapidement, les gradués des universités firent davantage de convertis. Comme professeurs d'enseignement secondaire (dans le fameux Gymnasium allemand et dans les établissements d'enseignement de même ordre), comme hommes de loi, juges, fonctionnaires et diplomates, ils eurent souvent l'occasion de servir leur cause.

Toutes les autres couches de la population résistèrent quelque temps aux nouvelles idées. Ils ne voulaient pas de guerres et de conquêtes nouvelles ; ils voulaient vivre en paix. C'était, comme les nationalistes l'observaient avec mépris, un peuple égoïste avide non de mourir, mais de jouir de la vie.

La théorie courante selon laquelle les Junkers et les officiers, les grandes sociétés, la finance et les classes moyennes seraient les promoteurs du nationalisme allemand est contraire à la réalité. Au début, tous ces groupes étaient fortement opposés aux aspirations du pangermanisme ; mais leur résistance fut vaine parce qu'elle manquait de base idéologique. Il n'y avait plus d'auteurs libéraux en Allemagne. Ainsi écrivains nationalistes et professeurs firent une conquête facile. Très vite la jeunesse sortit des universités et des écoles avec des convictions pangermanistes. A la fin du siècle, l'Allemagne était presque unanime dans son approbation du pangermanisme.

Hommes d'affaires et banquiers furent pendant de nombreuses années les opposants les plus résolus au pangermanisme. Ils étaient plus familiers que les nationalistes avec la vie internationale. Ils savaient que la France et la Grande-Bretagne n'étaient pas décadentes et qu'il serait très difficile de conquérir le monde. Ils ne voulaient pas mettre en péril par des guerres leur commerce et leurs investissements internationaux. Ils ne croyaient pas que des croiseurs de bataille assureraient la tâche de représentants de commerce et leur rapporteraient de hauts profits. Ils étaient effrayés des conséquences budgétaires des armements. Ils voulaient un accroissement de leurs ventes et non du butin, mais il était facile pour les nationalistes de faire taire ces opposants ploutocratiques. Tous les postes importants furent rapidement entre les mains d'hommes que la formation universitaire avait imbus d'idées nationalistes. Dans un État étatiste, les entrepreneurs sont à la merci de l'administration. Les fonctionnaires ont un pouvoir de décision discrétionnaire sur des questions dont dépend l'existence de toutes les entreprises. Ils sont pratiquement libres de ruiner l'entrepreneur qu'ils veulent ruiner. Ils ont non seulement le pouvoir de réduire les objecteurs au silence, mais même de les forcer à contribuer aux fonds politiques du nationalisme. Dans les associations commerciales, les syndics (directeurs) étaient tout-puissants. Anciens élèves des professeurs pangermanistes d'université, ils rivalisèrent de radicalisme nationaliste. Ils cherchaient ainsi à plaire aux fonctionnaires et à soigner leur propre carrière par des interventions réussies en faveur des intérêts de leurs membres.

Le nationalisme allemand n'était pas, comme les marxistes l'affirment, la superstructure idéologique des intérêts égoïstes de classe de l'industrie des armements. Vers 1870, l'Allemagne ne possédait — à part les usines Krupp — que des usines d'armements relativement petites et peu prospères. Il n'y a pas la moindre preuve établissant qu'elles subventionnaient les écrivains nationalistes à gages. Elles n'avaient rien de commun avec la propagande beaucoup plus efficace des professeurs d'université. L'énorme capital investi dans les usines de munitions à partir des années 1880 fut plutôt une conséquence que la cause des armements allemands [1]. Évidemment tout homme d'affaires est en faveur des tendances qui peuvent aboutir à une augmentation de ses ventes. La capital du savon désire plus de propreté, le capital de la construction, une demande plus importante de maisons, le capital de l'édition, un enseignement plus général et meilleur, le capital des armements, des armements plus considérables. Les intérêts à brève échéance de chaque branche d'activité encouragent de telles attitudes. A long terme cependant une demande accrue provoque un afflux de capital dans les branches en essor et la concurrence des nouvelles entreprises réduit les profits.

Le fait de consacrer une plus grande partie du revenu national allemand aux dépenses militaires entraîne une réduction correspondante de la part du revenu national à la disposition des consommateurs individuels pour leurs dépenses de consommation. Dans la proportion où les armements accroissent les ventes d'usines de munitions, ils réduisent les ventes des autres industries. Les marxistes les plus adroits n'affirment pas que les auteurs nationalistes ont été subornés par le capital des marchands de canon, mais qu'ils ont inconsciemment soutenu leurs intérêts ; mais cela implique qu'ils ont dans la même mesure inconsciemment lésé les intérêts de la plus grande partie des entrepreneurs et capitalistes allemands. Qu'est-ce qui fait l'âme du monde, qui dirige l'oeuvre des philosophes et des écrivains contre leur volonté, et les force à adapter leurs idées au sens prescrit par les tendances inévitables de l'évolution, avec une partialité qui favorise certaines branches d'activité aux dépens d'autres branches plus nombreuses ?

Il est vrai que depuis le début de notre siècle, presque tous les capitalistes et entrepreneurs allemands ont été nationalistes ; mais toutes les autres couches, classes ou groupes de la société l'ont été et même à un degré encore plus élevé. C'était le résultat de l'enseignement nationaliste. C'était l'oeuvre d'auteurs comme Lagarde, Peters, Langbehn, Treitschke, Schmoller, Houston Stewart Chamberlain et Naumann.

Il n'est pas vrai que la cour de Berlin, les Junkers, et les officiers de l'aristocratie sympathisèrent dès le début avec les idées pangermanistes. Les Hohenzollern et leur suite avaient recherché l'hégémonie de la Prusse en Allemagne et un accroissement du prestige allemand en Europe. Ils avaient atteint ces objectifs et étaient satisfaits. Ils ne désiraient rien de plus. Ils étaient anxieux de préserver le système de caste allemand avec les privilèges des dynasties et de l'aristocratie ; cela était plus important pour eux que la domination mondiale. Ils ne ressentaient aucun enthousiasme pour la construction d'une forte marine et pour une expansion coloniale. Bismarck ne céda qu'à contre-coeur aux plans coloniaux.

Cependant les cours et la noblesse étaient incapables d'offrir une résistance heureuse à un mouvement populaire soutenu par les intellectuels. Depuis longtemps elles avaient perdu toute influence sur l'opinion publique. Elles tiraient un avantage de la défaite du libéralisme, adversaire mortel de leurs propres privilèges ; mais elles n'avaient par elles-mêmes en rien contribué à l'ascension des idées étatistes nouvelles ; elles profitaient simplement du changement de mentalité. Elles considéraient les idées nationalistes comme quelque chose de dangereux. Le pangermanisme était plein de louanges pour la vieille Prusse et ses institutions, pour le parti conservateur et ses capacités comme adversaire du libéralisme, pour l'armée et la marine, pour les officiers commissionnés et la noblesse ; mais les Junkers détestaient en un point la mentalité nationaliste qui leur semblait démocratique et révolutionnaire. Ils considéraient comme une impudence l'intervention nationaliste des roturiers dans la politique étrangère et les problèmes militaires. A leurs yeux, ces deux domaines étaient le domaine exclusif du souverain. Tandis que l'appui que les nationalistes accordaient à la politique intérieure du gouvernement leur agréait, ils considéraient comme une sorte de rébellion ce fait que les pangermanistes aient des vues personnelles en haute politique. La cour et les nobles semblaient aller jusqu'à mettre en doute le droit du peuple à approuver leur oeuvre dans ces domaines.

Mais tous ces scrupules étaient limités aux vieilles générations, aux hommes qui avaient atteint la maturité avant la fondation du nouvel empire. Guillaume II et tous ses contemporains étaient déjà nationalistes. La génération montante ne pouvait se protéger contre la puissance des nouvelles idées. Les écoles leur enseignaient le nationalisme. Ils commençaient la carrière comme nationalistes. A vrai dire, entrés dans la fonction publique, ils étaient obligés de se maintenir dans une réserve diplomatique. C'est ainsi qu'il arrivait de temps en temps que le gouvernement réprimande publiquement les pangermanistes et rejette sèchement des suggestions pour lesquelles il éprouvait une secrète sympathie. Mais comme l'administration et les pangermanistes étaient en parfait accord sur les fins ultimes, ces incidents avaient peu d'importance.

Le catholicisme était le troisième groupe qui s'opposait au nationalisme radical ; mais l'organisation politique du catholicisme, le parti du centre, n'était ni préparé ni moralement adapté à combattre une grande évolution intellectuelle. Sa méthode consistait simplement à céder à toute tendance populaire et à essayer de l'utiliser à ses propres fins, la sauvegarde et l'amélioration de la situation de l'Église. Le seul principe du centre était le catholicisme. Pour le reste, il n'avait ni principes ni convictions, il était uniquement opportuniste. Il faisait tout ce dont on pouvait attendre le succès pendant la prochaine campagne électorale. Suivant la situation variable du moment, il coopérait tantôt avec les conservateurs protestants, tantôt avec les nationalistes, tantôt avec les sociaux-démocrates. Il collabora en 1918 avec les sociaux-démocrates pour renverser l'ancien système et plus tard sous la République de Weimar ; mais en 1933, le centre était prêt à partager le pouvoir dans le Troisième Reich avec les nazis. Les nazis déjouèrent ces intentions. Le centre fut non seulement déçu mais indigné quand son offre fut refusée.

Le parti du centre avait organisé un système puissant de syndicats chrétiens qui constituait l'un de ses auxiliaires les plus précieux et il aspirait à se présenter comme un parti de travailleurs. Comme tel, il considérait comme son devoir de favoriser le commerce allemand d'exportation. Les idées économiques généralement acceptées par l'opinion publique allemande soutenaient que le meilleur moyen d'accroître les exportations était une forte marine et une politique extérieure énergique. Comme les pseudo-économistes allemands considéraient toute importation comme un inconvénient et toute exportation comme un avantage, ils ne pouvaient s'imaginer comment les étrangers pourraient être conduits à acheter davantage de produits allemands par d'autre moyen qu'un étalage impressionnant de la puissance navale allemande. Étant donné que la plupart des professeurs enseignaient que quiconque s'oppose à l'accroissement des armements favorise le chômage et une baisse du niveau de vie, le centre, en sa qualité de parti du travail, ne pouvait résister vigoureusement aux nationalistes extrémistes. En outre, il y avait d'autres considérations. Les territoires désignés les premiers pour l'annexion dans le programme de conquête pangermaniste étaient surtout habités par des catholiques. Leur incorporation renforçait nécessairement les forces catholiques du Reich. Le centre pouvait-il considérer ces plans comme mauvais ?

Seul le libéralisme aurait pu avoir le pouvoir de s'opposer au pangermanisme ; mais il n'y avait plus de libéraux en Allemagne.

Note

[1] Des cinq navires de guerre en acier que l'Allemagne avait au moment de la guerre franco-allemande de 1870, trois avaient été construits en Angleterre et deux en France. Ce ne fut que plus tard que l'Allemagne créa une vaste industrie d'armements navals.

3. Le nationalisme allemand dans un monde étatiste

La nationalisme allemand ne diffère de celui des autres pays européens qu'en ce point : ce peuple se croit le plus fort d'Europe. Le pangermanisme et son héritier le nazisme sont l'application de doctrines nationalistes générales au cas spécial de la nation la plus nombreuse et la plus puissante, qui dépend cependant malencontreusement des importations de denrées alimentaires et de matières premières.

Le nationalisme allemand n'est pas le résultat d'une brutalité teutonique innée ou de manières de voyou ; il ne vient pas du sang ou d'héritage, ce n'est pas un retour des petits-fils à la mentalité de leurs ancêtres vikings. Les ancêtres des Allemands actuels étaient des tribus germaniques (qui ne participèrent pas aux invasions qui donnèrent le dernier coup à l'ancienne civilisation), des tribus slavones ou baltes du Nord-Est et des indigènes celtes des Alpes. Il y a plus de sang non-allemand qu'allemand dans les veines des Allemands actuels. Les Scandinaves, rejetons authentiques des Vikings, ont un genre différent de nationalisme et appliquent des méthodes politiques différentes de celles des Allemands. Personne ne peut dire que les Suédois, s'ils étaient aussi nombreux que les Allemands actuels, n'auraient pas adopté dans notre âge de nationalisme les méthodes du nazisme. Certainement les Allemands, s'ils n'avaient pas été plus nombreux que les Suédois, n'auraient pas succombé à la mentalité de conquête mondiale.

Les Allemands n'ont inventé ni interventionnisme, ni étatisme avec leur résultat inévitable, le nationalisme. Ils ont importé ces doctrines de l'étranger. Ils n'ont même pas inventé l'ornement chauviniste le plus marquant de leur propre nationalisme, la légende de l'aryanisme.

Il est facile d'exposer les erreurs fondamentales et fallacieuses et les paralogismes du nationalisme allemand si l'on se place sur la base saine de la praxéologie scientifique, de l'économie et la philosophie pratiques du libéralisme en dérive ; mais les étatistes sont désarmés en essayant de réfuter les affirmations essentielles du pangermanisme et du nazisme. La seule objection qu'ils puissent logiquement élever contre les enseignements du nationalisme allemand est que les Allemands se trompent quand ils affirment pouvoir conquérir toutes les autres nations, et les seules armes qu'ils puissent utiliser contre le nazisme sont militaires.

Pour un étatiste, il est illogique de s'opposer au nationalisme allemand pour la raison qu'il signifie contrainte. L'État signifie toujours contrainte ; mais tandis que le libéralisme cherche à limiter le domaine de la coercition et de la contrainte à un champ étroit, les étatistes ne reconnaissent pas ces restrictions. Pour l'étatisme, la coercition est le moyen essentiel de l'action politique, et en vérité le seul. On considère comme normal pour le gouvernement d'Atlantis de faire usage d'hommes armés — c'est-à-dire de douaniers et d'officiers d'immigration — pour empêcher les citoyens de Thulé de vendre des marchandises sur les marchés d'Atlantis ou de travailler dans les usines d'Atlantis. Mais s'il en est ainsi, on ne peut avancer aucune argument logique efficace contre les plans du gouvernement de Thulé en vue de défaire les forces armées d'Atlantis et de les empêcher ainsi d'infliger un dommage aux citoyens de Thulé. Le seul argument efficace d'Atlantis est de repousser les agresseurs.

Nous pouvons clairement comprendre cette question essentielle en comparant les effets sociaux de la propriété privée et ceux de la souveraineté territoriale. Propriété privée et souveraineté territoriale remontent toutes les deux à un point où quelqu'un s'approprie des biens ou des territoires sans maître ou exproprie violemment un prédécesseur dont le titre avait été basé sur l'appropriation. Aucune loi ni légalité ne peuvent avoir d'autre origine. Il serait contradictoire et absurde de supposer un commencement légitime. L'état de chose réel devient un État légitime grâce à sa reconnaissance par d'autres peuples. La légalité consiste dans l'acceptation générale de la règle qu'aucune appropriation arbitraire, ni expropriation violente ne sera tolérée à l'avenir. dans l'intérêt de la paix, de la sécurité et du progrès on admet qu'à l'avenir tout changement de propriété résultera d'un échange volontaire par les parties directement intéressées.

Évidemment cela implique la reconnaissance des appropriations et expropriations effectuées dans le passé. Cela équivaut à une déclaration que l'état actuel de distribution, quoique arbitrairement établi, doit être respecté comme légal. Il n'y avait pas d'alternative. Essayer d'établir un ordre juste par l'expropriation de tous les propriétaires et faire une distribution entièrement nouvelle auraient abouti à des guerres sans fin.

A l'intérieur d'une société de marché, le fait que le formalisme légal fait remonter tout être ou à une appropriation arbitraire ou à une expropriation violente a perdu sa signification. Dans une société de marché, le droit de propriété n'est plus lié à l'origine lointaine de la propriété privée. Ces événements d'un passé éloigné, cachés dans les ténèbres de l'histoire primitive, ne sont plus d'aucun intérêt pour la vie actuelle. Car dans une société libre de marché, les consommateurs décident par leurs achats quotidiens ou leurs abstentions qui doit posséder et ce qu'il doit posséder. Le fonctionnement du marché attribue chaque jour à nouveau la propriété des moyens de production à ceux qui savent comment les utiliser au mieux de la satisfaction des consommateurs. Ce n'est que dans un sens légal et formaliste que les propriétaires peuvent être considérés comme les successeurs de ceux qui ont fait les appropriations et les expropriations. En fait, ils sont les mandataires des consommateurs contraints par les lois du marché à servir les besoins et les caprices des consommateurs. Le marché est une démocratie. Le capitalisme est la réalisation de l'autodétermination des consommateurs. M. Ford est plus riche que M. X. parce qu'il a mieux réussi à servir les consommateurs.

Mais tout cela n'est pas vrai de la souveraineté territoriale. Ici le fait que jadis, dans un lointain passé, une tribu mongole occupait la région du Tibet a encore sa pleine importance. Si l'on découvrait un jour au Tibet des ressources précieuses pouvant améliorer le sort de toute l'humanité, il dépendrait de la discrétion du Lama de Dalai que le monde ait ou non la possibilité d'utiliser ces trésors. Là intervient la souveraineté du pays ; son titre basé sur une conquête sanglante remontant à des milliers d'années est encore suprême et exclusif. On ne peut remédier à cet état de choses malencontreux que par la violence, la guerre. Ainsi la guerre est inévitable, c'est l'ultima ratio ; c'est le seul moyen de résoudre de tels antagonismes, à moins que l'on ait recours aux principes du libéralisme. C'est précisément afin de rendre la guerre non nécessaire que le libéralisme recommande le laissez-faire et le laissez-passer qui rendraient les frontières politiques inoffensives. Un gouvernement libéral au Tibet n'empêcherait personne de faire le meilleur usage des ressources du pays. Si vous voulez abolir la guerre, il faut éliminer ses causes. Ce qu'il faut, c'est réduire les activités du gouvernement à la préservation de la vie, de la santé et de la propriété privée et par là, sauvegarder l'action du marché. La souveraineté ne doit pas être utilisée pour infliger un dommage à quiconque, citoyen ou étranger.

Dans le monde étatique, la souveraineté a une fois de plus des effets désastreux. Chaque gouvernement souverain a le pouvoir d'user de son appareil de coercition et de contrainte au désavantage des citoyens et des étrangers. Les gendarmes d'Atlantis emploient la coercition contre les citoyens de Thulé. Thulé ordonne à son armée d'attaquer les forces d'Atlantis. Chaque pays appelle l'autre l'agresseur. Atlantis dit : "Ceci est notre pays ; nous sommes libres d'agir comme nous le voulons à l'intérieur de nos frontières ; vous, Thulé, n'avez pas le droit d'intervenir." Thulé répond : "Vous n'avez aucun titre autre qu'une conquête antérieure ; vous prenez maintenant avantage de votre souveraineté pour faire une discrimination contre nos citoyens ; mais nous sommes assez forts pour annuler votre titre par une force supérieure."

Dans de telles conditions il n'y a qu'un moyen d'éviter la guerre : être assez fort pour que personne n'ose vous attaquer.

4. Critique du nationalisme allemand

Aucune autre critique du nationalisme n'est nécessaire que celle fournie par le libéralisme, qui a réfuté d'avance toutes ses prétentions ; mais les plans du nationalisme allemand doivent être considérés comme irréalisables même sans nous référer aux doctrines du libéralisme. Simplement il n'est pas vrai que les Allemands soient assez forts pour conquérir le monde entier. De plus, il n'est pas vrai qu'ils pourraient jouir de la victoire s'ils réussissaient.

L'Allemagne a édifié une formidable machine militaire tandis que les autres nations commettaient la folie de négliger l'organisation de leurs défenses. Néanmoins l'Allemagne est trop faible, même avec l'appui d'alliés, pour battre le mode. L'arrogance des pangermanistes et des nazis était fondée sur le vain espoir qu'ils seraient capables de vaincre chaque nation isolément dans une suite de guerres victorieuses. Ils n'envisageaient pas la possibilité d'un front uni des nations menacées.

Bismarck réussit parce qu'il put vaincre d'abord l'Autriche, puis la France, tandis que le reste du monde demeurait neutre. Il fut assez sage pour se rendre compte que cela était dû à des circonstances extraordinairement favorables. Il ne s'attendait pas à ce que le destin favorise toujours son pays de cette façon et il admettait franchement que le cauchemar des coalitions troublait son sommeil ; mais en 1914, la coalition redoutée par Bismarck devint une réalité ; il en est de même aujourd'hui.

L'Allemagne ne profita pas de la leçon donnée par la première guerre mondiale. Nous verrons ultérieurement, dans le chapitre traitant du rôle de l'antisémitisme, quelle ruse les nazis utilisèrent pour déguiser le sens de cette leçon.

Les nazis étaient convaincus qu'ils devaient finalement vaincre parce qu'ils se sont libérés des entraves de la moralité et de l'humanité. Leur raisonnement était le suivant :

Si nous vainquons, cette guerre sera la dernière et nous établirons pour toujours notre hégémonie. Car une fois vainqueurs, nous exterminerons nos adversaires de telles sorte qu'une autre guerre de revanche ou une rébellion des vaincus seront impossibles. Mais si les Britanniques et les Américains sont vainqueurs, ils nous accorderont une paix passables. Comme ils se sentent tenus par la loi morale, les commandements de Dieu et autres sottises, ils nous imposeront un nouveau Versailles, peut-être quelque chose de meilleur ou de pire, en tout cas pas une extermination, mais un traité qui nous permettra de reprendre le combat au bout de quelque temps. Ainsi nous combattrons toujours jusqu'à ce que nous ayons un jour atteint notre but, l'extermination radicale de nos ennemis.

Admettons pour les besoins du raisonnement que les nazis aient réussi à imposer sur le monde ce qu'ils appellent une paix germanique. L'État allemand pourra-t-il fonctionner de façon satisfaisante dans un tel monde, dont les fondations morales ne sont pas une compréhension mutuelle mais l'oppression ? Là où les principes de violence et de tyrannie l'emportent, il y aura toujours quelques groupes avides de tirer avantage de l'asservissement du reste de la nation. Des guerres perpétuelles surgiront parmi les Allemands eux-mêmes. Les esclaves non allemands peuvent profiter de ces troubles pour se libérer et exterminer leurs maîtres. Le code moral du nazisme soutenait les efforts d'Hitler pour briser par ses bandes armées toute opposition à ses plans rencontrée en Allemagne. Les troupes d'assaut sont fières des batailles livrées dans les brasseries, les salles de réunion, et rues écartées [1], d'assassinats et de guets-apens. Quiconque se sentirait assez fort aurait à l'avenir recours à de pareils moyens. Le code nazi aboutit à des guerres civiles sans fin.

L'homme fort, disent les nazis, n'a pas seulement le droit de tuer, il a le droit d'user de la fraude, du mensonge, de la diffamation et du faux comme armes légitimes. Tout moyen est bon pour servir la nation allemande ; mais qui doit décider ce qui est le bien de la nation allemande ?

A cette question, le philosophe nazi répond d'une façon tout à fait candide : est droit et noble ce que moi et mes camarades estimons tel, ce que le sentiment du peuple (das gesunde Volksempfinden) tient pour bon, droit et juste ; mais quels sont les sentiments sains et ceux qui ne le sont pas ? Sur cette question, disent les nazis, il ne peut y avoir de dispute entre de vrais Allemands ; mais qui est un vrai Allemand ? Quelles sont les pensées authentiquement allemandes ou qui ne le sont pas ? Quelles sont les idées allemandes, celles de Lessing, de Goethe, de Schiller ou celles d'Hitler et de Goebbels ? Kant qui voulait une paix éternelle était-il un vrai Allemand ? Ou Spengler, Rosenberg et Hitler qui qualifiaient le pacifisme de la plus stupide de toutes les idées sont-ils de varis Allemands ? Il y a désaccord entre des hommes à qui les nazis eux-mêmes ne dénient pas la qualité d'Allemands. Les nazis tentent d'échapper à ce dilemme en admettant qu'il y a malheureusement quelques Allemands qui ont des idées non allemandes. Mais si un Allemand ne pense pas et ne sent pas nécessairement d'une façon vraiment allemande, comment discerner entre les idées allemandes et celles qui ne le sont pas ? Il est évident que les nazis tournent en rond. Puisqu'ils détestent comme manifestement non allemande une décision résultant d'un vote majoritaire, on ne peut échapper à la conclusion que selon eux est allemand tout ce que considèrent comme allemand ceux qui ont réussi dans la guerre civile.

Note

[1] Les vieilles troupes d'assaut s'appelaient elles-mêmes Saalkämpfer, c'est-à-dire combattants de brasseries.

5. Nazisme et philosophie allemande

On a affirmé à maintes reprises que le nazisme est la conséquence de la philosophie idéaliste allemande. Cela est aussi une erreur. Les idées philosophiques allemandes ont joué un rôle importants dans l'évolution du nazisme ;mais le caractère et l'importance de ces influences ont été grossièrement dénaturés.

Les enseignements de la morale kantienne et son concept de l'impératif catégorique, n'ont absolument rien à voir avec le prussianisme ou avec le nazisme. L'impératif catégorique n'est pas l'équivalent philosophique des règlements du code militaire prussien. Ce ne fut pas un des mérites de la vieille Prusse que dans une petite ville éloignée un homme comme Kant occupât une chaire de philosophie. Frédéric le Grand ne se souciait pas de son grand sujet. Il ne l'invitait pas à ses déjeuners philosophiques dont les hôtes de marque étaient les Français Voltaire et d'Alembert. Ses rapports avec son successeur Frédéric-Guillaume II furent la menace de renvoi de Kant, si ce dernier avait encore l'insolence d'écrire sur des question religieuses. Kant se soumis. Il est absurde de considérer Kant comme un précurseur du nazisme. Kant défendait la paix éternelle entre les nations. Les nazis louent la guerre comme la forme éternelle de la plus haute existence humaine et leur idéal est de vivre toujours en état de guerre [1].

L'opinion populaire selon laquelle le nationalisme allemand est le résultat des idées de la philosophie allemande est surtout due à l'autorité de Georges Santayana. Santayana admet cependant que ce qu'il appelle philosophie allemande ne s'identifie pas avec la philosophie en Allemagne et que la majorité des Allemands intelligents ont des idées que la véritable philosophie allemande doit mépriser complètement [2]. D'autre part, Santayana déclare que le premier principe de la philosophie allemande est empruntée en vérité à des non-Allemands [3]. Donc, si cette philosophie abominable n'est ni d'origine germanique, ni l'opinion de la majorité des Allemands intelligents, les déclarations de Santayana se réduisent à établir le fait que quelques philosophes allemands ont adhéré à des enseignements développés d'abord par des auteurs non allemand [4], rejetés par la majorité des Allemands intelligents et dans lesquels Santayana croit avoir découvert les sources intellectuelles du nazisme. Mais il n'explique pas pourquoi ces idées étrangères à l'Allemagne et contraires aux convictions de la majorité ont engendré le nazisme précisément en Allemagne et pas dans d'autres pays.

Alors parlant de Fichte et de Hegel il dit : La leur est une philosophie révélée. C'est l'héritage du judaïsme. Elle ne pourrait jamais avoir été fondée par la libre observation de la vie et de la nature, comme la philosophie de la Grèce ou de la Renaissance. C'est la théologie protestante rationalisée [5]. On pourrait dire la même chose avec non moins de justification de la philosophie de nombreux auteurs anglais et américains.

Selon Santayana, la source principale du nationalisme allemand est l'égotisme. L'égotisme ne doit pas être confondu avec l'égoïsme naturel de l'affirmation de soi, propre à toute créature vivante. L'égotisme suppose, s'il ne l'affirme pas, que la source et la puissance d'un être sont en lui-même, que volonté et logique sont omnipotents de droit, et que rien ne doit contrôler l'esprit ou la conscience si ce n'est l'esprit ou la conscience eux-mêmes [6]. Mais l'égotisme, si nous sommes prêts à utiliser ce terme, tel qu'il est défini par Santayana, est le point de départ de la philosophie utilitaire d'Adam Smith, Ricardo, Bentham, des deux Mills père et fils. Pourtant ces érudits anglais ne tiraient pas de leur premier principe des conclusions d'un caractère nazi. Leur philosophie est faite de libéralisme, de gouvernement démocratique, de coopération sociale, de bonne volonté et de paix parmi les nations.

Ni l'égoïsme, ni l'égotisme ne sont le trait essentiel du nationalisme allemand, mais plutôt leurs idées concernant les moyens par lesquels le bien suprême doit être obtenu. Les nationalistes allemands sont convaincus qu'il y a un conflit insoluble entre les intérêts des nations individuelles et ceux d'une communauté mondiale de toutes les nations. Ce n'est pas non plus une idée d'origine germanique, c'est une très vieille opinion. Elle prévaut jusqu'à l'âge des lumières, quand les philosophes britanniques mentionnés ci-dessus développèrent le concept fondamentalement nouveau de l'harmonie des intérêts — bien compris — de tous les individus et de toutes les nations, peuples et races. Même en 1764, un homme comme Voltaire pouvait encore dire avec assurances sans l'article Patrie de son Dictionnaire de Philosophie : Être un bon patriote signifie souhaiter que sa propre communauté acquiert des richesses par le commerce et de la puissance par ses armes. Il est évident qu'un pays ne peut profiter qu'en lésant un autre pays et ne peut être victorieux qu'en rendant un autre peuple misérable. Cette identification des effets de la coopération pacifique et de l'échange mutuel des biens et des services avec les effets de la guerre et de la destruction est le vice principal des doctrines nazies. Le nazisme n'est ni un simple égoïsme ni un simple égotisme, c'est de l'égoïsme et de l'égotisme égarés. C'est une rechute dans les erreurs réfutées depuis longtemps, un retour au mercantilisme et un réveil des idées décrites comme le militarisme par Herbert Spencer. C'est en bref l'abandon de la philosophie libérale, généralement méprisée aujourd'hui comme philosophie de Manchester et du laissez-faire. Et sous ce rapport, ces idées ne sont malheureusement pas limitées à l'Allemagne.

La contribution de la philosophie allemande à l'ascension des idées nazies a un caractère très différent de celui qu'on lui attribue généralement. La philosophie allemande a toujours rejeté les enseignements de la morale utilitaire et la sociologie de coopération humaine. La science politique allemande n'a jamais saisi le sens de la coopération sociale et de la division du travail. A l'exception de Feuerbach, tous les philosophes allemands ont méprisé l'utilitarisme comme système inférieur de morale. Pour eux la base de la morale est l'intuition. Une voix mystique dans son âme fait savoir à l'homme ce qui est vrai et ce qui est faux. La loi morale est une contrainte imposée à l'homme dans l'intérêt d'autrui ou de la société. Ils ne se rendent pas compte que chaque individu sert mieux ses intérêts — bien compris, c'est-à-dire à long terme — en respectant le code moral et en adoptant des attitudes favorisant la société qu'en se livrant à des activités nuisibles à la société. Ainsi ils n'ont jamais compris la théorie de l'harmonie des intérêts et le caractère seulement temporaire du sacrifice que l'homme fait en renonçant à quelque gain immédiat pour ne pas mettre en danger l'existence de la société. A leurs yeux, il y a un conflit insoluble entre les buts de l'homme et ceux de la société. Ils ne voient pas que chaque individu doit pratiquer la morale dans son propre intérêt et non pour quelqu'un d'autre ou pour la société. La morale des philosophes allemands est hétéronome. Une certaine entité mystique ordonne à l'homme de se conduire d'une façon morale, c'est-à-dire de renoncer à son égoïsme au bénéfice d'un être plus élevé, plus noble et plus puissant, la société.

Quiconque ne comprend pas que les lois morales servent les intérêts de tous et qu'il n'existe pas de conflit insoluble entre les intérêts privé et social est également incapable de comprendre qu'il n'y a pas de conflit insoluble entre les entités collectives différentes. La conséquence logique de cette philosophie est la croyance en un antagonisme irrémédiable entre l'intérêt de chaque nation et l'ensemble de la société humaine. L'homme doit choisir entre l'allégeance à sa nation et l'allégeance à l'humanité. Tout ce qui sert au mieux la grande société internationale est nuisible à chaque nation et vice versa ; mais, ajoute le philosophe nationaliste, seules les nations sont de véritables entités collectives, tandis que le concept d'une grande société humaine est illusoire. Le concept d'humanité fut un mélange diabolique composé par les fondateurs juifs de la chrétienté et la philosophie utilitaire occidentale et juive afin d'affaiblir la race aryenne des maîtres. Le premier principe de moralité est de servir sa propre nation. Est juste ce qui sert au mieux la nation allemande. Cela implique que ce qui est juste est tout ce qu est nuisible aux races qui résistent avec entêtement aux aspirations allemandes de domination mondiale.

Il s'agit là d'un raisonnement très fragile dont il n'est pas difficile d'exposer les côtés fallacieux. Les philosophes nazis ont pleinement conscience de leur incapacité à réfuter logiquement les enseignements de la philosophie libérale, de l'économie et de la sociologie. Et ainsi ils ressortissent du polylogisme.

Notes

[1] Spengler, Preussentum und Socialismus (Munich, 1925), p. 54.

Th. Fritsch, dans "Hammer" (1914), p. 541, cité par Hertz, Nationalgeist und Politik (Zurich, 1937), I, p. 467.

[2] Santayana, Egotism in German Philosophy (nouv. éd. Londres, 1939), p. 1.

[3] Santayana, op. cit., p. 9.

[4] Parlant de Fichte, M. Santayana (op. cit., p. 21) dit que sa philosophie était fondée sur une des erreurs de Locke.

[5] Santayana, op. cit., p. 11.

[6] Idem., p. 151.

6. Polylogisme

Les nazis n'ont pas inventé le polylogisme, ils n'ont fait qu'y imprimer leur propre marque.

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, personne n'osait contester le fait que la structure logique de l'esprit est identique et commune à tous les être humains. Toutes les relations humaines sont fondées sur l'hypothèse d'une structure logique uniforme. Nous ne pouvons nous parler que parce que nous pouvons faire appel à quelque chose de commun à nous tous, à savoir la structure logique de la raison. Quelques hommes peuvent avoir une pensée plus profonde et plus raffinée que d'autres. Il y a des hommes qui ne peuvent malheureusement pas saisir un processus de déduction d'une longue suite de raisonnements déductifs, mais pour autant qu'un homme est capable de penser et de suivre un processus de pensée déductive, il s'en tient toujours aux mêmes principes de raisonnement qui sont appliqués par les autres hommes. Il y a des personnes qui ne peuvent compter au delà de trois, mais leur façon de compter, pour autant qu'elle se manifeste, ne diffère pas de celle de Gauss ou de Laplace. Aucun historien ni voyageur ne nous a jamais rapporté l'existence d'un peuple pour lequel a et non a sont identiques ou qui ne pourrait saisir la différence entre affirmation et négation. Il est vrai que quotidiennement on viole les principes logiques du raisonnement ; mais quiconque examine leurs déductions avec compétence peut découvrir leurs erreurs.

Les hommes peuvent entrer en discussion parce que chacun considère ces faits comme hors de question ; ils se parlent, écrivent des lettres et des livres ; ils essaient de prouver et de réfuter. La coopération sociale et intellectuelle entre les hommes serait impossible s'il n'en était pas ainsi. Nos esprits ne peuvent même pas imaginer de façon logique un monde peuplé d'hommes de structures logiques différentes ou d'une structure logique différente de la nôtre.

Au cours du XIXe siècle, ce fait indéniable a pourtant été contesté. Marx et les marxistes et au premier rang d'entre eux le philosophe prolétaire Dietzgen ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement déductif ; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les mérites des théories physiques ; ils dévoilent simplement l'origine bourgeoise des physiciens.

Les marxistes ont eu recours au polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées. Le succès de ce stratagème marxiste fut sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par supercherie logique du polylogisme que l'étatisme pouvait s'implanter dans les esprits modernes.

Le polylogisme est si fondamentalement absurde qu'il peut être porté jusqu'à ses conséquences logiques ultimes. Aucun marxiste n'a eu assez d'audace pour tirer toutes les conclusions qu'exigerait son propre point de vue épistémologique. Le principe du polylogisme conduirait à la déduction que les enseignements marxistes également ne sont pas objectivement vrais, qu'elles ne sont que des affirmations idéologiques ; mais les marxistes le dénient. Ils revendiquent pour leurs doctrines le caractère de vérité absolue. Ainsi Dietzgen enseigne que les idées de la logique prolétarienne ne sont pas des idées de parti mais le résultat de la logique pure et simple [1]. La logique prolétarienne n'est pas une idéologie, mais la logique absolue. Les marxistes actuels qui qualifient leurs enseignements de sociologie de la connaissance, font preuve de la même inconséquence. Un de leurs champions, le professeur Mannheim, essaie de démontrer qu'il existe un groupe d'hommes, les intellectuels sans attaches, qui ont le don de saisir la vérité sans être la proie d'erreurs idéologiques [2]. Évidemment, le professeur Mannheim est convaincu qu'il est au premier rang de ces intellectuels sans attaches. Vous ne pouvez pas le réfuter. Si vous êtes en désaccord avec lui, vous prouvez simplement par là que vous n'appartenez pas à cette élite des intellectuels détachés et que vos théories sont des absurdités idéologiques.

Les nationalistes allemands ont précisément à faire face au même problème que les marxistes. Ils ne peuvent pas non plus démontrer l'exactitude de leurs propres affirmations ni réfuter les théories de l'économie et de la pratique. Ils cherchent donc à s'abriter sous le polylogisme, préparé pour eux par les marxistes. Évidemment, ils se sont composés un polylogisme à eux. La structure logique de l'esprit, disaient-ils, est différente suivant les nations et les races. Chaque race ou nation a sa propre logique et donc une économie, des mathématiques, une physique et ainsi de suite qui lui sont propres ; mais d'une façon non moins inconsistante que le professeur Mannheim, le professeur Tirala, sa contrepartie comme champion de l'épistémologie aryenne, déclare que la seule logique et la seule science exactes, correctes et éternelles sont celles des Aryens [3]. Aux yeux des marxistes, Ricardo, Freud, Bergson et Einstein sont dans le faux parce qu'ils sont bourgeois ; aux yeux des nazis ils sont dans le faux parce qu'ils sont juifs. Un des premiers buts des nazis est de libérer l'âme aryenne de la pollution des philosophies occidentales de Descartes, Hume et John Stuart Mill. Ils sont à la recherche d'une science allemande arteigen [4], c'est-à-dire d'une science adaptée au caractère racial des Allemands.

Nous pouvons raisonnablement admettre comme hypothèse que les capacités intellectuelles d'un homme sont la conséquence de ses traits corporels. Nous ne pouvons évidemment pas démontrer l'exactitude de cette hypothèse, pas plus que démontrer l'exactitude de l'opinion opposée, telle qu'elle est exprimée dans l'hypothèse théologique. Nous sommes forcés de reconnaître que nous ne savons pas comment les pensées résultent des processus physiologiques. Nous avons quelques vagues notions des effets préjudiciables causés par un traumatisme ou un autre dommage infligé sur certains organes de notre corps ; nous savons qu'une telle lésion peut réduire ou anéantir complètement les capacités et fonctions mentales des hommes, mais c'est tout. Il ne serait rien moins qu'une insolente mystification que d'affirmer que les sciences naturelles nous fournissent des renseignements concernant la diversité supposée de la structure logique de l'esprit. Le polylogisme ne peut être tiré de la physiologie ou de l'anatomie ou de toute autre science naturelle.

Ni le polylogisme marxiste, ni le polylogisme nazi ne dépassent la simple affirmation que la structure logique de l'esprit diffère avec les différentes classes et races. Ils n'ont jamais osé démontrer avec précision en quoi la logique prolétarienne diffère de la logique bourgeoise ou en quoi la logique aryenne diffère de la logique juive ou britannique. Il ne suffit pas de rejeter l'ensemble de la théorie ricardienne des coûts comparés ou la théorie d'Einstein sur la relativité en dévoilant l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ce qu'il faut, c'est d'abord développer un système de logique aryenne différent de la logique non aryenne. Il serait alors nécessaire d'examiner point par point les deux théories en contradiction et de montrer, dans leurs déductions, laquelle — quoique correcte du point de vue de la logique non aryenne — ne vaut pas du point de vue de la logique aryenne. Finalement, on devrait expliquer à quelle sorte de conclusion devrait conduire le remplacement des déductions non aryennes par les déductions aryennes correctes ; mais tout cela n'a jamais été osé et ne pourra jamais être osé. Le prolixe champion d racisme et du polylogisme aryen, le professeur Tirala, ne dit pas un mot de la différence entre logique aryenne et non aryenne. Le polylogisme, qu'il soit marxiste ou aryen, n'est jamais entré dans les détails.

Le polylogisme a une méthode particulière de traiter les opinions dissidentes. Si ses partisans manquaient de dévoiler l'arrière-plan d'un opposant, ils le qualifient simplement de traître. Marxistes et nazis ne connaissent que deux catégories d'adversaires. Les étrangers — qu'ils soient membres d'une classe non prolétaire ou d'une race non aryenne — ont tort parce qu'ils sont étrangers ; les opposants d'origine prolétarienne ou aryenne ont tort parce que ce sont des traîtres. Ils se débarrassent ainsi facilement du fait désagréable d'avoir des désaccords parmi les membres de ce qu'ils appellent leur classe ou race.

Les nazis opposent l'économie allemande aux économies juives et anglo-saxonnes ; mais ce qu'ils appellent économie allemande ne diffère en rien de quelques tendances des économies étrangères. Elle est basée sur les enseignements du Genevois Sismondi et des socialistes français et britanniques. Quelques-uns des vieux représentants de cette économie prétendue allemande ont importé une pensée étrangère en Allemagne. Frédéric List a introduit en Allemagne les idées d'Alexander Hamilton, Hildebrand et Brentano ont introduit les idées du vieux socialisme britannique. L'économie particulière à la race allemande est presque identique aux tendances contemporaines qui se manifestent dans d'autres pays, par exemple à l'institutionnalisme américain.

D'autre part, ce que les nazis appellent économie occidentale, et donc étrangère à leur race, est dans une grande mesure l'oeuvre d'hommes à qui les nazis eux-mêmes ne peuvent dénier la qualité d'Allemand. Les économistes nazis ont perdu beaucoup de temps à rechercher des ancêtres juifs dans l'arbre généalogique de Carl Menger, ils n'y ont pas réussi. Il est absurde d'expliquer le conflit entre la théorie économique d'une part et l'institutionnalisme et l'empirisme historique d'autre part comme un conflit racial ou national.

Le polylogisme n'est pas une philosophie ni une théorie épistémologique. C'est une attitude de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. Le polylogisme n'est pas non plus scientifique. C'est plutôt le remplacement du raisonnement et de la science par des superstitions. C'est la mentalité caractéristique d'un âge de chaos.

Notes

[1] Dietzgen, Briefe über Logik, speziell demokratisch-proletarische Logik (2e éd. Stuttgart, 1903), p. 112.

[2] Mannheim, Idéologie et utopie (Londres, 1936), p. 137 sq.

[3] Tirala, Rasse, Geist und Seele (Munich, 1935), p. 190 sq.

[4] Le mot arteigen est l'un des nombreux termes allemands forgés par les nazis. C'est l'un des principaux concepts de leur polylogisme. La contrepartie est artfremd ou étranger au caractère racial. Le critérium de la science et de la vérité n'est plus l'exactitude ou l'erreur, mais arteigen ou artfremd.

7. Pangermanisme et nazisme

Les idées essentielles du nazisme furent développées par les pangermanistes et les socialistes universitaires pendant les trente dernières années du XIXe siècle. Le système était achevé bien avant le début de la première guerre mondiale. Rien ne manquait et rien, sauf un nouveau nom, ne fut ultérieurement ajouté. Les plans et les politiques des nazis ne diffèrent de ceux de leurs prédécesseurs de l'Allemagne impériale qu'en ce qu'ils sont adaptés à un ensemble différent de conditions politiques. Le but ultime, l'hégémonie de l'Allemagne sur le monde, et le moyen de l'atteindre, la conquête, n'ont pas changé.

Un des faits les plus curieux de l'histoire moderne est que les étrangers, pour qui ce nationalisme allemand constituait une menace, ne se soient pas rendus plus vite compte du danger. Quelques Anglais y virent clair, mais ils furent tournés en ridicule. Les plans nazis semblaient trop fantastiques au bon sens anglo-saxon pour être pris au sérieux. Anglais, Américains et Français ont rarement une connaissance satisfaisante de la langue allemande ; ils ne lisent pas les livres et les journaux allemands. Des hommes politiques anglais qui avaient visité l'Allemagne en touristes et rencontré des hommes d'État allemands étaient considérés par leurs compatriotes comme des experts sur les problèmes allemands. Des Anglais qui avaient assisté une fois à un bal à la cour de Berlin ou dîné au mess des officiers d'un régiment de Postdam de la garde royale rentraient chez eux avec l'heureuse nouvelle que l'Allemagne est pacifique et amie de l'Angleterre. Fiers de leurs connaissances acquises sur place, ils écartaient avec arrogance ceux qui avaient des opinions contraires comme des doctrinaires théoriques et pédants.

Le roi Édouard VII, lui-même fils d'un père allemand et d'une mère dont la famille allemande ne s'était pas assimilée à la vie anglaise, était extrêmement méfiant devant les attitudes de défi de son neveu Guillaume II. Ce fut grâce au roi que la Grande-Bretagne se tourna presque trop tard vers une politique de défense et de coopération avec la France et la Russie ; cependant, même alors, l'Anglais ne se rendait pas compte que ce n'était pas seulement l'empereur mais presque toute la nation allemande qui était avide de conquête. Le président Wilson partit de la même erreur. Il croyait aussi que la cour et les Junkers étaient les instigateurs de la politique agressive et que le peuple était pacifique.

Les mêmes erreurs prévalent aujourd'hui. Égaré par les préjugés marxistes, le peuple croit que les nazis sont un groupe relativement restreint qui, par ruse et par violence, a imposé son joug aux masses récalcitrantes. On ne comprend pas que les luttes intérieures qui secouèrent l'Allemagne étaient des disputes entre des gens qui étaient unanimes sur les fins ultimes de la politique étrangère allemande. Rathenau, que les nazis assassinèrent, était un des champions littéraires marquants et du socialisme allemand et du nationalisme allemand. Stresemann, que les nazis attaquèrent comme pro-occidental, fut dans les années de la première guerre mondiale un des participants les plus radicaux de la paix allemande — c'est-à-dire de l'annexion d'immenses territoires aux frontières occidentales et orientales. La politique de Locarno fut un expédient destiné à donner à l'Allemagne sa pleine liberté à l'est. Si les communistes avaient pris le pouvoir en Allemagne, ils n'auraient pas adopté une politique moins agressive que celle des nazis. Strasser, Rauschning et Hugenberg étaient des rivaux personnels d'Hitler et non des adversaires du nationalisme allemand.