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25. DE L'EMPLOI DES TERRES


On ne peut multiplier les productions qu’à proportion de la quantité des terres, de leur étendue, et des soins qu’on donne à la culture.
On ne peut multiplier les productions qu’à proportion de la quantité des terres, de leur étendue, et des soins qu’on donne à la culture.

Version actuelle datée du 9 janvier 2014 à 19:17

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Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre - De l'emploi des terres


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25. DE L'EMPLOI DES TERRES


On ne peut multiplier les productions qu’à proportion de la quantité des terres, de leur étendue, et des soins qu’on donne à la culture.

Si nous supposons que toutes les terres sont en valeur, et qu’elles produisent chacune autant qu’elles peuvent produire, les productions seront au dernier terme d’abondance, et il ne sera plus possible de les augmenter.

Alors, si nous voulons, dans un genre de denrées, avoir une plus grande abondance, il faudra nécessairement nous résoudre à en avoir une moindre dans un autre genre. Pour avoir plus de fourrage, par exemple, il faudra mettre en prairies des champs qu’on était en usage d’ensemencer : on aura donc une moindre récolte en blé.

Les mêmes productions ne sont pas également propres à la subsistance des animaux de toutes espèces. Par conséquent, si les terres sont employées à nourrir beaucoup de chevaux, elles ne pourront pas nourrir le même nombre d’hommes.

Suivant l’emploi des terres, la population sera donc plus ou moins grande.

Mais les hommes consomment plus ou moins à proportion qu’ils ont plus ou moins de besoins. Il faut donc que la population diminue à proportion que les besoins se multiplient davantage ; ou, si la population ne diminue pas, il faut qu’on ait trouvé les moyens d’augmenter les productions en raison des consommations.

En un mot, il n’y a jamais dans un pays que la quantité d’habitants qu’il peut nourrir. Il y en aura moins, toutes choses d’ailleurs égales, si chacun d’eux consomme davantage : il y en aura moins encore, si une partie des terres est consacrée à des productions dont ils ne se nourrissent pas.

Observons maintenant notre peuplade. Supposons que, dans le pays qu’elle habite, elle a dix millions d’arpens également propres à la culture, et, afin qu’elle ne puisse pas étendre ses possessions, plaçons-la dans une île, au sein de l’Océan, ou, pour lui ôter jusqu’aux ressources que la mer pourrait lui fournir, transportons ses terres au milieu d’un immense désert, de toutes parts sablonneux et aride.

D’abord, comme nous l’avons remarqué, elle a peu de besoins. Vêtue d’écorces d’arbres ou de peaux grossièrement cousues, sans commodités, sans savoir même qu’elle en manque, elle couche sur la paille ; elle ne connaît pas l’usage du vin ; elle n’a pour nourriture que des grains, des légumes, le lait et la chair de ses troupeaux. Seulement elle n’est exposée ni à souffrir de la faim, ni à souffrir des injures de l’air, et cela lui suffit.

Dans les commencements, peu nombreuse par rapport au pays qu’elle habite, il lui est facile de proportionner ses productions à ses consommations. Car, par les denrées dont l’échange se fait au marché, elle jugera de l’espèce et de la quantité de celles qui se consomment, et elle emploiera les terres en conséquence.

Quand on aura saisi cette proportion, la peuplade subsistera dans l’abondance, puisqu’elle aura tout ce qu’il faut à ses besoins ; et, tant que cette abondance pourra se concilier avec un plus grand nombre d’habitants, la population croîtra. C’est une chose de fait que les hommes multiplient toutes les fois que les pères sont assurés de la subsistance de leurs enfants.

Je suppose, que dans le pays qu’habite notre peuplade, chaque homme, en travaillant, peut subsister du produit d’un arpent, et ne peut subsister à moins. Or elle a dix millions d’arpens propres à la culture. La population pourra donc croître jusqu’à dix millions d’habitants ; et, parvenue à ce nombre, elle ne croîtra plus.

Elle ne s’est accrue à ce point que parce que les hommes ont continué de vivre dans leur première grossièreté, et qu’ils ne se sont pas fait de nouveaux besoins.

Mais lorsque, par les moyens que nous avons indiqués, quelques propriétaires auront augmenté leurs possessions, et que, rassemblés dans une ville, ils chercheront plus de commodités dans la nourriture, dans le vêtement, dans le logement, alors ils consommeront davantage, et le produit d’un arpent ne suffira plus à la subsistance de chacun d’eux.

S’ils font de plus grandes consommations en viande, il faudra nourrir une plus grande quantité de troupeaux, et par conséquent mettre en pâturages des terres à blé.

S’ils boivent du vin, il faudra employer en vignes une partie des champs qu’on ensemençait ; et il faudra en employer une partie en plantations, s’ils brûlent plus de bois.

C’est ainsi que les consommations, qui se multiplient comme les besoins, changent l’emploi des terres ; et on voit que les productions, nécessaires à la subsistance de l’homme, diminuent dans la proportion où les autres augmentent.

Plus les nouvelles consommations se multiplieront, plus il y aura de mouvement dans le commerce qui embrassera tous les jours de nouveaux objets. Ce sera donc une nécessité d’entretenir un grand nombre de chevaux pour voiturer les marchandises de la campagne dans les villes, et de province en province : nouvelle raison de multiplier les prairies, aux dépens des terres à blé. Que sera-ce si les propriétaires, qui vivent dans les villes, veulent, pour leur commodité, avoir des chevaux, et se piquent d’en avoir beaucoup ? Que sera-ce s’ils mettent en jardins et en parcs des champs qu’on ensemençait ? On conçoit que, dans cet état des choses, un seul pourra consommer, pour sa subsistance, le produit de dix, douze, quinze, vingt arpens, ou davantage. Il faut donc que la population diminue.

Mais il est naturel que les marchands et les artisans qui se sont enrichis imitent les propriétaires, et fassent aussi de plus grandes consommations. Chacun d’eux voudra, suivant ses facultés, jouir des commodités que l’usage introduit.

Les hommes qui changeront le moins sensiblement leur manière de vivre sont ceux qui, subsistant au jour le jour, gagnent trop peu pour améliorer leur condition. Tels sont les petits marchands, les petits artisans et les laboureurs. Cependant chacun d’eux fera ses efforts pour jouir, dans son état, des mêmes commodités dont d’autres jouiront ; et ils y parviendront peu-à-peu, parce qu’insensiblement ils obtiendront de plus forts salaires. Alors tous à l’envie consommeront davantage. Les laboureurs, par exemple, prendront pour modèles les gros fermiers qui font de plus grandes consommations, parce qu’ils en voient faire de plus grandes aux propriétaires, leurs maîtres, et qu’ils en ont le pouvoir.

Ainsi, de proche en proche, tous, à l’exemple les uns des autres, consommeront de plus en plus. Il est vrai qu’en général chacun réglera sa dépense sur celle qu’il voit faire aux gens de son état ; mais, dans toutes les conditions,la dépense sera nécessairement plus grande. Le moindre laboureur ne pourra donc plus subsister d’un seul arpent : il en consommera deux, trois ou quatre.

A ne considérer que les besoins du laboureur, la population pourrait donc être réduite à la moitié, au tiers, au quart ; et elle pourrait être réduite à un vingtième, si nous ne considérons que les propriétaires qui consomment le produit de vingt arpens. Ainsi, sur vingt laboureurs, les nouvelles consommations en retrancheront quinze, et sur vingt propriétaires elles en retrancheront dix-neuf. Il n’est pas nécessaire de chercher à mettre plus de précision dans ce calcul. Je veux seulement faire comprendre comment la population, que nous avons supposée de dix millions d’hommes, pourrait n’être plus que de cinq à six millions, ou moindre encore.

Comme les changements dans la manière de vivre ne sont pas subits, la population diminueras Si insensiblement, que notre peuplade ne s’en appercevra pas. Elle croira, dans les derniers temps, son pays aussi peuplé qu’il l’ait jamais été, et elle sera fort étonnée si on lui soutient le contraire. Elle n’imaginera pas que la population puisse diminuer dans un siècle où chaque citoyen jouit de plus d’abondance et de plus de commodités, et c’est néanmoins par cette raison qu’elle diminue.

C’est d’une génération à l’autre et insensiblement que se fait cette révolution. Puisqu’à chaque génération les consommations augmentent comme les besoins, il ne peut plus y avoir autant de familles, et elles ne sauraient être aussi nombreuses.

En effet, chaque homme veut pouvoir entretenir sa famille dans l’aisance dont l’habitude fait un besoin à tous ceux de son état. Si un laboureur juge qu’il faut à cet entretien le produit de deux ou trois arpens, il ne songera à se marier que lorsqu’il pourra disposer de ce produit. Il sera donc forcé d’attendre. Si ce moment n’arrive pas, il renoncera au mariage, et il n’aura point d’enfants. Si ce moment arrive tard, il ne se mariera que lorsqu’il sera avancé en âge, et il ne pourra plus avoir une famille nombreuse. Il y en aura sans doute quelques-uns qui se marieront sans penser à l’avenir. Mais la misère où ils tomberont sera une leçon pour les autres ; et leurs enfants périront faute de subsistance, ou ne laisseront point de postérité. On peut faire le même raisonnement sur les marchands, sur les artisans et sur les propriétaires.

Concluons que l’emploi des terres est différent lorsque les besoins multipliés multiplient les consommations, et qu’alors la population diminue nécessairement.

Il est vrai que, si nous avions mis notre peuplade dans toute autre position, elle trouverait des ressources dans les contrées dont elle serait environnée. Elle y pourrait envoyer des colonies ; et, dans ce cas, il serait possible que la population ne diminuât pas, elle pourrait même croître encore. Mais, si ces contrées étaient occupées par d’autres peuples, il faudrait armer, et la guerre détruirait les habitants que les terres ne pourraient pas nourrir.

Je conviens encore que, lorsque les troupeaux consommeront le produit d’un grand nombre d’arpens, les terres réservées pour la subsistance des hommes en deviendront plus fertiles, parce qu’on y répandra l’engrais en plus grande abondance. Mais on conviendra aussi avec moi que cette fertilité ne sera pas une compensation suffisante. Quand même, ce qui n’est pas possible, ces terres, prises séparément, produiraient autant que toutes ensemble, comment pourraient-elles suffire à la même population dans un temps où les hommes consomment à l’envie toujours davantage ?

On dit souvent qu’on peut juger, par la population, de la prospérité d’un état : mais cela n’est pas exact ; car certainement on n’appellera pas prospérité ces temps où j’ai représenté notre peuplade, lorsque j’en portais la population à dix millions d’ames. Cependant la multiplication des hommes ne peut être aussi grande que lorsqu’ils se contentent de vivre, comme elle, chacun du produit d’un arpent.

Ce n’est donc pas la plus grande population, considérée en elle-même, qui doit faire juger de la prospérité d’un État : c’est la plus grande population qui, étant considérée par rapport aux besoins de toutes les classes de citoyens, se concilie avec l’abondance à laquelle ils ont tous droit de prétendre. Deux royaumes pourraient être peuplés inégalement, quoique le gouvernement fût également bon ou également mauvais dans l’un et dans l’autre.

La Chine, par exemple, renferme un peuple immense. C’est que l’unique nourriture de la multitude est le riz, dont on fait, chaque année, dans plusieurs provinces, trois moissons abondantes : car la terre ne s’y repose point, et produit souvent cent pour un. Cette multitude, qui a peu de besoins, est presque nue, ou est vêtue de coton, c’est-à-dire, d’une production si abondante, qu’un arpent peut fournir de quoi habiller trois à quatre cents personnes. Cette grande population ne prouve donc rien en faveur du gouvernement: elle prouve seulement que les terres ont une grande fertilité, et qu’elles sont cultivées par des hommes laborieux qui ont peu de besoins.

Les terres seront en valeur partout où l’agriculture jouira d’une entière liberté ; et alors la population, en proportion avec les consommations, sera aussi grande qu’elle peut l’être. Voilà la prospérité de l’État.

On pourrait demander s’il est plus avantageux pour un royaume d’avoir un million d’habitants qui subsistent, l’un portant l’autre, du produit de dix arpens par tête, ou dix millions qui subsistent chacun du produit d’un seul arpent. Il est évident que cette question reviendrait à celle-ci : Est-il plus avantageux pour un royaume que ses habitants aient le moins de besoins possibles, ou qu’ils en aient beaucoup ? ou encore : est-il plus avantageux pour un royaume que ses habitants restent dans le premier état où nous avons représenté notre peuplade, ou est-il à desirer qu’ils en sortent ? Je réponds qu’il faut qu’ils en sortent. Mais quel est le terme où il faudrait pouvoir les arrêter ? C’est ce que nous examinerons dans le chapitre suivant.



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