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{{titre|[[Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre|Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre]]|[[Étienne Bonnot de Condillac]]|11. COMMENCEMENT DES VILLES}}
{{titre|[[Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre|Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre]]|[[Étienne Bonnot de Condillac]]|10. PAR QUELS TRAVAUX LES RICHESSES SE PRODUISENT, SE DISTRIBUENT ET SE CONSERVENT}}


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Nous avons distingué, dans notre peuplade, trois classes de citoyens ; des colons, des artisans et des marchands.
Nous venons de voir deux espèces de travaux. Les uns font naître les productions, les autres donnent aux matières premières des formes qui les rendent propres à divers usages, et qui, par cette raison, ont une valeur.


Je suppose que la première a eu jusqu’à présent la propriété de toutes les terres. Elle ne la conservera pas, du moins entièrement ; et il viendra un temps où elle en cultivera la plus grande partie pour un petit nombre de citoyens qui se les seront appropriées.
Si le colon travaille avec intelligence et avec assiduité, il multiplie les productions, et il en améliore les espèces.


Si nous considérons que, de génération en génération, les terres du père se partagent entre les enfants, nous jugerons qu’elles se diviseront souvent au point que les différentes portions ne suffiront plus à la subsistance de ceux à qui elles seront échues. Les propriétaires de ces portions seront donc réduits à les vendre, et ils songeront à subsister par quelque autre voie. Mille autres moyens plus prompts contribueront à cette révolution. Tantôt un colon négligent ou dissipateur sera forcé de vendre ses champs à un colon plus soigneux ou plus économe, qui fera continuellement de nouvelles acquisitions.
Si l’artisan travaille avec la même intelligence et la même assiduité, il multiplie ses ouvrages, et il donne plus de valeur aux formes qu’il fait prendre aux matières premières.


D’autres fois un propriétaire riche et qui n’a point d’enfants laissera toutes ses possessions à un autre propriétaire aussi riche ou plus riche que lui.
Le colon et l’artisan s’enrichissent donc à proportion qu’ils travaillent plus, ou qu’ils travaillent mieux.


Enfin les marchands, que le négoce et l’économie auront enrichis, s’approprieront vraisemblablement peu-à-peu une partie des terres ; et on en peut dire autant des artisans qui auront fait de grands profits et de grandes épargnes. Mais il est inutile d’entrer à ce sujet dans plus de détails.
Le colon s’enrichit, parce qu’il produit plus qu’il ne peut consommer.


Les grands propriétaires régiront leurs terres par eux-mêmes, ou il les donneront à régir.
L’artisan s’enrichit, parce qu’en donnant des formes aux matières premières, il produit des valeurs équivalentes à toutes les consommations qu’il peut faire.


Dans le premier cas, ils se chargent d’une partie des soins ; ils veillent au moins sur les cultivateurs, et ils trouvent dans les profits qu’ils font le prix ou le salaire de leur travail.
On dira sans doute que le colon et l’artisan ont des charges à payer, et je conviens que ces charges pourraient souvent les réduire à la misère. Mais, pour simplifier, je les suppose exempts de tout impôt. Nous traiterons ailleurs des subsides dûs à l’état.


Dans le second, il faut qu’ils abandonnent ce salaire au régisseur, et qu’ils renoncent à une partie de leur revenu. C’est ce qu’ils feront toutes les fois qu’ils auront plus de terres qu’ils n’en pourront cultiver par eux-mêmes.
Tous les travaux ne sont pas également faciles.


Ce régisseur est un fermier qui prend une terre à bail. Il lui est dû un salaire, qui se réglera comme tous les autres. Il lui faut sa subsistance, celle de sa famille, des ressources en cas d’accident, et un profit qu’il puisse mettre en réserve pour améliorer son état. Il réglera lui-même son salaire d’après l’usage. Il ne lui arrivera guères d’exiger beaucoup au-delà ; et il sera content toutes les fois que sa condition ne sera pas pire que celle des autres fermiers. Ces sortes de gens sont plus équitables qu’on ne pense : ils le seraient plus encore si on les vexait moins,et d’ailleurs la concurrence les force à l’être.
Dans les plus faciles on a plus de concurrents, et on est réduit à de moindres salaires. Alors on consomme moins, ou même on ne consomme que l’absolu nécessaire. Si ce nécessaire ne manquait jamais, on serait riche par rapport à son état. Mais comment se l’assurer si on ne gagne pas au-delà ? Si, dans les jours de travail, on consomme tout son salaire, comment subsister dans les jours qu’on ne travaille pas ?


L’expérience apprend à ce fermier la quantité et la qualité des productions sur lesquelles il peut moralement compter, années communes, et il les estime d’après les prix courants des marchés. Sur ce produit, il prélève toutes les avances qu’il est obligé de faire annuellement, les contributions dues à l’état, son salaire, et, pour le surplus, il s’engage à donner au propriétaire une certaine quantité d’onces d’argent.
Dans les travaux plus difficiles, on a moins de concurrents, et on obtient des salaires plus forts. On pourra donc consommer davantage. On sera mieux nourri, mieux vêtu, mieux logé. Si on veut alors économiser, ou retrancher sur sa consommation, on aura au-delà, et on sera riche dans le vrai sens de ce mot.


A mesure que cet usage s’établit, les propriétaires, qui ont affermé leurs possessions, s’en éloignent peu-à-peu pour se rassembler aux environs des marchés, où ils sont plus à portée de pourvoir à tous leurs besoins. Ce concours attire et fixe dans ce lieu des artisans et des marchands de toutes espèces, et il se forme une ville. Le reste de la campagne est semé des fermes : de distance en distance sont des villages habités par les colons dont les terres sont voisines, par les hommes de journée qui travaillent pour eux moyennant un salaire, et par les artisans dont le laboureur a un besoin journalier, maréchaux, charrons, etc. Si notre peuplade nombreuse occupe un pays étendu et fertile, il pourra se former des villes ou du moins des bourgs, partout elle tiendra des marchés. Il se fait alors une révolution dans la manière de vivre.
Quand on écrit, on est continuellement arrêté, et précisément par les mots qui sont dans la bouche de tout le monde, parce que ce sont souvent ceux dont l’acception est le moins déterminée. Je dis donc qu’on n’est point riche absolument ; mais on l’est relativement à son état ; et, dans son état, on l’est relativement au pays et au siècle l’on vit. Si Crassus revenait aujourd’hui avec les idées qu’il avait de ce qu’il nommait richesses, il trouverait bien peu d’hommes riches parmi nous.


Lorsqu’on habitait ses champs, chacun y vivait de ses productions ou de celles que ses voisins lui cédaient en échange ; et il était rare qu’on imaginât d’aller au loin en chercher d’une autre espèce.
Des hommes, qui ne gagneraient au jour le jour que l’absolu nécessaire, subsisteraient péniblement, et ne seraient pas riches, même relativement à leur état. Ils seraient toujours dans une situation forcée et précaire.


Il n’en est pas de même lorsque les propriétaires, rassemblés dans des villes, se communiquent mutuellement les productions des différents cantons qu’ils ont habités. Alors il est naturel qu’ils veuillent tous jouir de toutes ces productions. Ils se font par conséquent de nouveaux besoins, et ils consomment plus qu’ils ne faisaient auparavant.
Pour être riche relativement à son état, il faut non seulement pouvoir économiser sur sa consommation, il faut encore n’être pas forcé à de plus grandes économies que ses égaux. Il faut qu’en travaillant autant et aussi bien,on puisse se procurer les mêmes jouissances.


Les agréments de cette manière de vivre augmenteront l’affluence dans les villes. Les consommations croîtront dans la même proportion ; et il arrivera que les fermiers, plus assurés de vendre leurs récoltes, donneront plus de soin à l’agriculture. Il restera donc moins de friches, et les productions se multiplieront.
À la naissance de chaque art, un nouveau genre de travail produit un nouveau genre de richesses, et nos richesses se multiplient et se varient comme nos besoins.


Le produit des terres ayant été augmenté, les propriétaires, au renouvellement des baux, augmenteront leurs revenus. Plus riches, ils chercheront à se procurer de nouvelles commodités. Leurs consommations, tout-à-la-fois plus grandes et plus variées, exciteront de plus en plus l’industrie, et par conséquent l’agriculture, les arts et le commerce fleuriront d’autant plus, que les nouveaux besoins qu’on s’est faits offriront de nouveaux profits au laboureur, à l’artisan et au marchand.
Aux arts mécaniques succèdent les arts libéraux. Ceux-là sont plus nécessaires, et cependant ceux-ci sont plus estimés. C’est que, pour peu qu’une chose soit jugée utile, elle a une grande valeur toutes les fois qu’elle est rare. Or les bons artistes sont infiniment moins communs que les bons artisans. Avec de plus forts salaires, ils peuvent donc consommer davantage, et acquérir plus de richesses. C’est ainsi que les colons, les artisans et les artistes entrent en partage des richesses qu’ils produisent.


Pendant cette révolution, les productions et les consommations se balanceront continuellement ; et, suivant la proportion où elles seront entre elles, elles feront hausser et baisser tour-à-tour le prix de chaque chose. Si les consommations sont plus grandes, tout renchérira ; si ce sont au contraire les productions, tout sera moins cher. Mais ces variations auront peu d’inconvénients ; car la liberté entière dont jouit le commerce proportionnera bientôt les productions aux consommations, et mettra chaque chose aux prix qu’elle doit avoir.On peut déjà s’en convaincre d’après ce que j’ai dit sur la concurrence ; et j’en donnerai de nouvelles preuves lorsque je traiterai du vrai prix des choses.
Les marchands les font circuler. Si elles ne pouvaient sortir des lieux où elles surabondent, elles perdraient nécessairement de leur prix ; mais, par l’offre seule qu’ils font de les transporter aux lieux où elles manquent, ils leur conservent partout la même valeur. Ils ne produisent rien ; ils voiturent du producteur au consommateur ; et ils trouvent,dans le salaire qu’on accorde à leur travail, une plus grande part s’ils ont moins de concurrents, et une plus petite s’ils en ont un plus grand nombre.
 
Mais, pour se produire abondamment et pour circuler avec liberté, les richesses ont besoin d’une puissance qui protège le colon, l’artisan, l’artiste et le marchand.
 
Cette puissance se nomme souveraine. Elle protège, parce qu’elle maintient l’ordre au-dedans et au-dehors. Elle le maintient au-dedans par les lois qu’elle porte et qu’elle fait observer ; elle le maintient au-dehors par la crainte ou par le respect qu’elle inspire aux ennemis qui menacent l’état.
 
Un grand protège un simple particulier, parce qu’il le préfère, parce qu’il veut lui procurer des avantages, sans considérer qu’il nuit à d’autres, sans même craindre de leur nuire. Ce n’est pas ainsi que la puissance souveraine doit protéger. Il est important de remarquer et de ne pas oublier que sa protection se borne à maintenir l’ordre, et qu’elle le troublerait si elle avait des préférences.
 
Cette puissance a des travaux à faire. Elle en a comme puissance législative, comme puissance exécutive, comme puissance armée pour la défense de l’état ; et quoique, chez toutes les nations, le sacerdoce ne soit pas uni à l’empire, j’ajouterai comme puissance sacerdotale ; car le sacerdoce et l’empire doivent concourir au maintien de l’ordre,comme s’ils n’étaient qu’une seule et même puissance.
 
Il est dû un salaire aux travaux de la puissance souveraine. À ce titre elle entre en partage des richesses qu’elle ne produit pas ; et ce partage est grand, parce qu’il est en raison des services qu’elle rend, et que ses services demandent des talents qui ne sont pas communs. C’est sous sa protection que tous les arts fleurissent, et que les richesses se conservent et se multiplient.
 
Quand on considère les travaux qui produisent les richesses, ceux qui les font circuler, et ceux qui maintiennent l’ordre propre à les conserver et à les multiplier, on voit qu’ils sont tous nécessaires, et il serait difficile de dire quel est le plus utile. Ne le sont-ils pas tous également, puisque tous ont besoin les uns des autres ? En effet, quel est celui qu’on pourrait retrancher ?
 
Je conviens que, dans des temps de désordres, de grandes richesses deviennent le salaire de travaux souvent plus nuisibles qu’utiles. Mais, dans ma supposition, nous n’en sommes pas encore là. Je suppose que tout est dans l’ordre, parce que c’est par où il faut commencer. Le désordre ne viendra que trop tôt.
 
Or, quand tout est dans l’ordre, tous les travaux sont utiles. Il est vrai qu’ils répartissent inégalement les richesses ; mais c’est avec justice, puisqu'ils supposent des talents plus ou moins rares. Personne n’a donc à se plaindre, et chacun se met à sa place. Pour maintenir les citoyens dans une égalité parfaite, il faudrait leur interdire tout partage, tout talent, mettre leurs biens en commun, et les condamner à vivre, pour la plupart, sans rien faire.


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Version actuelle datée du 10 décembre 2013 à 18:37

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10. PAR QUELS TRAVAUX LES RICHESSES SE PRODUISENT, SE DISTRIBUENT ET SE CONSERVENT

Nous venons de voir deux espèces de travaux. Les uns font naître les productions, les autres donnent aux matières premières des formes qui les rendent propres à divers usages, et qui, par cette raison, ont une valeur.

Si le colon travaille avec intelligence et avec assiduité, il multiplie les productions, et il en améliore les espèces.

Si l’artisan travaille avec la même intelligence et la même assiduité, il multiplie ses ouvrages, et il donne plus de valeur aux formes qu’il fait prendre aux matières premières.

Le colon et l’artisan s’enrichissent donc à proportion qu’ils travaillent plus, ou qu’ils travaillent mieux.

Le colon s’enrichit, parce qu’il produit plus qu’il ne peut consommer.

L’artisan s’enrichit, parce qu’en donnant des formes aux matières premières, il produit des valeurs équivalentes à toutes les consommations qu’il peut faire.

On dira sans doute que le colon et l’artisan ont des charges à payer, et je conviens que ces charges pourraient souvent les réduire à la misère. Mais, pour simplifier, je les suppose exempts de tout impôt. Nous traiterons ailleurs des subsides dûs à l’état.

Tous les travaux ne sont pas également faciles.

Dans les plus faciles on a plus de concurrents, et on est réduit à de moindres salaires. Alors on consomme moins, ou même on ne consomme que l’absolu nécessaire. Si ce nécessaire ne manquait jamais, on serait riche par rapport à son état. Mais comment se l’assurer si on ne gagne pas au-delà ? Si, dans les jours de travail, on consomme tout son salaire, comment subsister dans les jours qu’on ne travaille pas ?

Dans les travaux plus difficiles, on a moins de concurrents, et on obtient des salaires plus forts. On pourra donc consommer davantage. On sera mieux nourri, mieux vêtu, mieux logé. Si on veut alors économiser, ou retrancher sur sa consommation, on aura au-delà, et on sera riche dans le vrai sens de ce mot.

Quand on écrit, on est continuellement arrêté, et précisément par les mots qui sont dans la bouche de tout le monde, parce que ce sont souvent ceux dont l’acception est le moins déterminée. Je dis donc qu’on n’est point riche absolument ; mais on l’est relativement à son état ; et, dans son état, on l’est relativement au pays et au siècle où l’on vit. Si Crassus revenait aujourd’hui avec les idées qu’il avait de ce qu’il nommait richesses, il trouverait bien peu d’hommes riches parmi nous.

Des hommes, qui ne gagneraient au jour le jour que l’absolu nécessaire, subsisteraient péniblement, et ne seraient pas riches, même relativement à leur état. Ils seraient toujours dans une situation forcée et précaire.

Pour être riche relativement à son état, il faut non seulement pouvoir économiser sur sa consommation, il faut encore n’être pas forcé à de plus grandes économies que ses égaux. Il faut qu’en travaillant autant et aussi bien,on puisse se procurer les mêmes jouissances.

À la naissance de chaque art, un nouveau genre de travail produit un nouveau genre de richesses, et nos richesses se multiplient et se varient comme nos besoins.

Aux arts mécaniques succèdent les arts libéraux. Ceux-là sont plus nécessaires, et cependant ceux-ci sont plus estimés. C’est que, pour peu qu’une chose soit jugée utile, elle a une grande valeur toutes les fois qu’elle est rare. Or les bons artistes sont infiniment moins communs que les bons artisans. Avec de plus forts salaires, ils peuvent donc consommer davantage, et acquérir plus de richesses. C’est ainsi que les colons, les artisans et les artistes entrent en partage des richesses qu’ils produisent.

Les marchands les font circuler. Si elles ne pouvaient sortir des lieux où elles surabondent, elles perdraient nécessairement de leur prix ; mais, par l’offre seule qu’ils font de les transporter aux lieux où elles manquent, ils leur conservent partout la même valeur. Ils ne produisent rien ; ils voiturent du producteur au consommateur ; et ils trouvent,dans le salaire qu’on accorde à leur travail, une plus grande part s’ils ont moins de concurrents, et une plus petite s’ils en ont un plus grand nombre.

Mais, pour se produire abondamment et pour circuler avec liberté, les richesses ont besoin d’une puissance qui protège le colon, l’artisan, l’artiste et le marchand.

Cette puissance se nomme souveraine. Elle protège, parce qu’elle maintient l’ordre au-dedans et au-dehors. Elle le maintient au-dedans par les lois qu’elle porte et qu’elle fait observer ; elle le maintient au-dehors par la crainte ou par le respect qu’elle inspire aux ennemis qui menacent l’état.

Un grand protège un simple particulier, parce qu’il le préfère, parce qu’il veut lui procurer des avantages, sans considérer qu’il nuit à d’autres, sans même craindre de leur nuire. Ce n’est pas ainsi que la puissance souveraine doit protéger. Il est important de remarquer et de ne pas oublier que sa protection se borne à maintenir l’ordre, et qu’elle le troublerait si elle avait des préférences.

Cette puissance a des travaux à faire. Elle en a comme puissance législative, comme puissance exécutive, comme puissance armée pour la défense de l’état ; et quoique, chez toutes les nations, le sacerdoce ne soit pas uni à l’empire, j’ajouterai comme puissance sacerdotale ; car le sacerdoce et l’empire doivent concourir au maintien de l’ordre,comme s’ils n’étaient qu’une seule et même puissance.

Il est dû un salaire aux travaux de la puissance souveraine. À ce titre elle entre en partage des richesses qu’elle ne produit pas ; et ce partage est grand, parce qu’il est en raison des services qu’elle rend, et que ses services demandent des talents qui ne sont pas communs. C’est sous sa protection que tous les arts fleurissent, et que les richesses se conservent et se multiplient.

Quand on considère les travaux qui produisent les richesses, ceux qui les font circuler, et ceux qui maintiennent l’ordre propre à les conserver et à les multiplier, on voit qu’ils sont tous nécessaires, et il serait difficile de dire quel est le plus utile. Ne le sont-ils pas tous également, puisque tous ont besoin les uns des autres ? En effet, quel est celui qu’on pourrait retrancher ?

Je conviens que, dans des temps de désordres, de grandes richesses deviennent le salaire de travaux souvent plus nuisibles qu’utiles. Mais, dans ma supposition, nous n’en sommes pas encore là. Je suppose que tout est dans l’ordre, parce que c’est par où il faut commencer. Le désordre ne viendra que trop tôt.

Or, quand tout est dans l’ordre, tous les travaux sont utiles. Il est vrai qu’ils répartissent inégalement les richesses ; mais c’est avec justice, puisqu'ils supposent des talents plus ou moins rares. Personne n’a donc à se plaindre, et chacun se met à sa place. Pour maintenir les citoyens dans une égalité parfaite, il faudrait leur interdire tout partage, tout talent, mettre leurs biens en commun, et les condamner à vivre, pour la plupart, sans rien faire.


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