Alain Madelin:Quand les autruches relèveront la tête - Chapitre 5

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Alain Madelin:Quand les autruches relèveront la tête - Chapitre 5


Anonyme


Chapitre 5 : Guérir la sécu

La suppression du déficit de la Sécurité sociale passe-t-elle obligatoirement par une réforme de son financement ?

Le vrai problème de notre protection sociale n'est pas celui de son financement. C'est un problème de responsabilité et de gestion. Il faut soigner le mal à la racine, sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets. Qu'il y ait d'autres possibilités de répartir les prélèvements sociaux, c'est évident. Mais ce n'est pas là que se situe la solution à nos problèmes. La question n'est pas de trouver des "trucs de financement" pour boucher le trou de la Sécurité sociale, mais d'engager la réforme du système pour empêcher que de nouveaux trous ne se creusent .

La solution passe-t-elle par un meilleur équilibre entre les différentes sources de prélèvements ?

Il n'y a, hélas, pas d'alchimie de nos prélèvements obligatoires susceptible de fournir, en taxant un peu moins le travail un peu plus le capital ou encore les revenus de remplacement, une solution miracle à nos problèmes. Tout a été dit, tout a été imaginé sur cette question. "Y'a qu'à" faire payer les machine, "y'a qu'à" taxer la pollution... La sagesse fiscale la plus élémentaire nous a pourtant appris qu'au bout du compte ce sont toujours les personnes qui payent les impôts. Si vous décidez un impôt sur les vaches, ce ne sont pas les vaches qui paieront... Cela étant, je suis partisan, et ce, depuis toujours, d'une réforme du financement de notre Sécurité sociale. La clarification des responsabilités passe par la clarification des financements.

Réformer le financement de la Sécurité sociale pour clarifier les responsabilités. Mais dans quel sens ?

Il faut distinguer ce qui relève de l'assurance et ce qui relève de la solidarité nationale. C'est ainsi que les allocations familiales devraient être financées par les impôts et non par des cotisations assises sur les salaires. Car la politique familiale relève à l'évidence de la solidarité nationale. On ne s'assure pas contre le risque d'avoir des enfants !

En revanche, se protéger contre la maladie, les accidents du travail ou prévoir sa retraite relève d'une logique de l'assurance ou de mutuelle. Même si la loi impose une obligation d'assurance, des règles de solidarité nationale, ainsi que la redistribution entre les différents risques, les différentes catégories de revenus, les familles et les générations.

Transférer une part des cotisations sociales vers l'impôt, c'est aussi faire un partage entre cotisations et impôts plus proche de celui de nos partenaires. C'est permettre à notre protection sociale de repartir sur de nouvelles bases, dans des responsabilités et des financements clairement définis, en réglant au passage l'épineux problème des charges indues que l'Etat impose à nos régimes de protection sociale

Mais il faudra bien organiser un transfert des charges sociales vers l'impôt ?

Attention aux illusions d'optique. Il est vrai que transférer une partie des charges sociales vers l'impôt permet de ne pas faire reposer notre système de protection sociale sur le seul travail. Mais, à dépenses sociales inchangées, je l'ai déjà dit, il faut bien trouver des recettes de compensation. La fiscalité n'est pas un Mécano que l'on peut impunément assembler n'importe comment. On a ainsi longtemps parlé de TVA sociale. Il est séduisant de remplacer une part des cotisations sociales par un prélèvement apparemment assis sur les dépenses de consommation. Les importations paieraient ainsi une partie de nos charges sociales, a-t-on conclu un peu vite. Les économistes démontrent que les choses sont bien différentes. C'est ainsi qu'au Danemark, les charges sociales qui pèsent sur le travail étant très faibles, la TVA, qui finance le secteur social, atteint en contre partie 25%. Mais, au bout du compte, le coût global du travail au Danemark reste équivalent à celui de la France. Et le Danemark n'inonde pas la France de ses produits devenus moins chers. Si je suis partisan d'un transfert d'une partie des charges sociales vers l'impôt, c'est, je le répète, dans un souci de clarification et d'efficacité, et non pour de mauvaises raisons économiques.

Les déficits cumulés de la Sécurité sociale sur les deux dernières années avoisinent 120 milliards de francs. C'est le fonctionnement même de la Sécu qui semble en cause. Comment un dossier aussi explosif a-t-il pu rester aussi longtemps tabou ?

Si la Sécurité sociale coûte cher, elle est chère aussi aux Français. Elle est un symbole de notre République, elle appartient à notre histoire. Elle a même été un exemple en Europe. Les Français ont longtemps cru qu'ils avaient la meilleure Sécurité sociale du monde. C'était sans doute vrai, mais c'est devenu faux aujourd'hui. Nous dépensons plus que les autres, et, au bout du compte, nous sommes moins bien remboursés. Le malade français est celui qui paie de sa poche la plus grande partie de ses frais médicaux : 18% pour 6 à 8 % en Allemagne. Et nous ne sommes pas en meilleure santé, loin de là ! Les Français se situent au treizième rang mondial pour leur espérance de vie, au seizième rang pour la mortalité infantile.

Depuis longtemps, nous aurions dû entreprendre une profonde réforme de notre Sécurité sociale et de notre assurance maladie. Mais on raconte des histoires aux Français. On leur fait croire qu'il ne faut surtout pas toucher au système, car y toucher, ce serait casser la Sécurité sociale.

Or, la seule chance de sauver aujourd'hui notre Sécurité sociale, c'est de la réformer. A ne pas y toucher, on va vers une protection sociale "peau de chagrin" et une assurance maladie à deux vitesses. Les déficits de la Sécurité sociale ne font que traduire le déficit de réforme, le déficit de courage, le déficit de responsabilité.

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir monté plusieurs plans de redressement ?

Treize plans en vingt ans ! Plan Durafour en 1975, Barre en 1976, Veil en 1977, encore Veil en 1978, Barrot en 1979, Questiaux en 1981, Bérégovoy en 1982, Delors en 1983, Dufoix en 1985, Séguin en 1986, Evin en 1988, Durieux-Bianco en 1991, et une fois de plus Veil en 1993. "Croix de bois, croix de fer", chaque plan est le dernier, celui qui va rééquilibrer définitivement les comptes.

Qui est coupable ?

C'est comme dans un roman policier. A chaque chapitre, on voit les différents suspects défiler. Les médecins qui prescrivent comme des malades, les malades qui se gavent de médicaments, l'hôpital qui ne veut pas lâcher ses patients, les gestionnaires de caisse qui ne savent pas compter. Il y a trop de lits, pas assez d'infirmières, trop d'examens, pas assez de scanners ! Autant de fausses pistes. Le vrai coupable, c'est un système où personne n'est responsable. Un système où trop de gens ont intérêt à ce que rien ne change.

J'ai retrouvé un article que j'ai écrit en 1978 sur la crise (déjà) de notre système de protection sociale. Les remèdes : "Clarifier le financement", "distinguer plus clairement l'assurance de la solidarité, la cotisation de l'impôt", "donner une vraie autonomie aux caisses d'assurance maladie" et "responsabiliser les acteurs". Depuis, le temps a passé. Le diagnostic n'a pas changé, les remèdes non plus, mais la situation s'est aggravée. Nous nous sommes contentés de prélever plus et de rembourser moins quand tous les grands pays, à commencer par l'Allemagne, ont engagé au cours de ces dernières années des réformes profondes de leur protection sociale.

Cela a permis de maintenir à peu près l'équilibre du système...

Oui, mais à quel prix ! Une année, on diminue les remboursements. L'année suivante, on augmente les cotisations. De plus en plus souvent, on fait les deux à la fois. Nos dépenses de protection sociale dérivent depuis plusieurs années au rythme d'un point de CSG en plus tous les quinze mois. La conséquence de ces déremboursements en série, c'est que l'ont renvoie de plus en plus les Français sur les mutuelles et les assurances complémentaires. Ce qui signifie très concrètement qu'un grand nombre de familles modestes n'ont plus les moyens de se garantir contre tous les risques. On hésite à appeler le médecin quand un enfant a la fièvre, et on ne va pas chez le dentiste quand il le faudrait. La protection sociale à deux vitesses, ce n'est pas un danger pour demain. C'est une réalité d'aujourd'hui.

Lors de la campagne présidentielle, Jacques Chirac s'est élevé contre le rationnement des dépenses de santé. Est-ce toujours d'actualité ?

Face à la dérive des dépenses de santé, la première des tentations, c'est bien évidemment le rationnement. Mauvais réflexe, car il ne s'agit pas de rationner les dépenses de santé, mais de rationaliser la gestion. Tous les Français savent bien que le système est mal géré. Ils sont les témoins quotidiens des mille et un petits gaspillages de notre système de santé, de l'arrêt maladie de complaisance, de l'ordonnance saturée, des examens répétés plusieurs fois, des armoires à pharmacie remplis de médicaments inutilisés. Au milieu de l'année 1995, deux médecins ont été poursuivis pour avoir délivré au même patient plus de 180 ordonnances en deux ans, soit plus de 50.000 pilules. Les Français consomment dix fois plus d'antimigraineux que les Allemands et vingt fois plus de vasodilatateurs que les Anglais. Il ne s'agit donc pas de faire des économies sur la santé des Français, mais de mieux gérer notre Sécurité sociale en favorisant des comportements économiques, c'est-à-dire des comportements responsables.

Comment expliquer que ce système, l'un des plus coûteux au monde, ait tant perdu en efficacité alors que d'autres pays, comme l'Allemagne, ont pris avec succès le problème à bras-le-corps ?

Les systèmes de protection sociale varient bien sûr d'un pays à l'autre. Mais tous ont connu ou connaissent une crise. Bien avant nous, d'autres pays ont su engager les réformes dont ils tirent aujourd'hui bénéfice. C'est le cas, par exemple, de l'Allemagne, du Royaume-Uni ou des Pays-Bas. Les Pays-Bas ont procédé à partir de 1987, et sur la base d'un rapport ambitieux ("la volonté de changer") confié à l'ancien président de Philips, M. Dekker, à une profonde réorganisation de leur système d'assurance maladie. Les Allemands ont engagé, depuis plusieurs années, une réforme en profondeur, en encadrant les dépenses de santé, et surtout en s'orientant vers une véritable autonomie et une concurrence des caisses d'assurance maladie.

Alors, que faire ?

Aucune réforme n'est directement transposable. Chaque pays a son histoire et ses pratiques. Mais elles ont toutes un point commun : la responsabilisation de ceux qui assurent et de ceux qui soignent. Il y a schématiquement trois types de systèmes de santé dans le monde : des systèmes dominés par des assurances privées, comme aux Etats-Unis ; des systèmes de santé nationalisés et fiscalisés, comme en Angleterre ; enfin, des systèmes paritaires, comme en Allemagne. En France, nous avons développé un système hybride : l'étatisation partielle, le paritarisme déresponsabilisé et un renvoi de plus en plus grand aux assurances privées et aux mutuelles.

Vous rejetez le système américain ?

Oui. Je reste très attaché aux principes de base du système social français : la solidarité nationale, la non-sélection des risques, l'égalité d'accès aux soins. Ils sont incompatibles avec une organisation à l'américaine.

Et l'étatisation de l'assurance maladie ?

Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne voie pour responsabiliser vraiment les acteurs du système de santé. Je crois que la confiance dans la gestion étatique a pris du plomb dans l'aile depuis les désastres de la sidérurgie, du Crédit Lyonnais ou d'Air France.

Vous faites donc le choix du paritarisme ?

Avant de poser la question de savoir "comment mieux gérer ?", il faut se poser la question de savoir "qui va gérer ?".

De ce point de vue, je suis plutôt partisan d'une gestion de type paritaire, car le choix du paritarisme est celui qui correspond à l'histoire de notre protection sociale. Mais il faut rénover notre paritarisme, lui redonner sa chance, sans doute sa dernière.

Mais le paritarisme n'est pourtant pas exempt de défauts ?

Dans les ordonnances de 1967, le général de Gaulle confiait aux différentes caisses la responsabilité du financement de la protection sociale et notamment la charge d'ajuster les cotisations, si nécessaire. En réalité, cela fait belle lurette que l'on ne sait plus qui est responsable et qui gère. Le paritarisme est devenu un paritarisme de façade. L'État a repris petit à petit le contrôle global de l'assurance maladie. C'est lui qui décide du développement des hôpitaux et de l'évolution de leur budget, qui décide du prix du médicament, des revalorisations tarifaires. Résultat : un enchevêtrement de responsabilités, une quinzaine de tutelles rien que pour l'hôpital. Dans ces conditions, comment gérer efficacement ? en fait, la seule chose que gèrent vraiment les caisses d'assurance maladie, c'est le personnel. Si l'on veut sauver le paritarisme, il faut le transformer en paritarisme de la responsabilité.

Qu'appelez vous "paritarisme de responsabilité" ?

Actuellement, le champ du paritarisme syndical me semble plus un partage territorial de type tribal : la CGC gère l'assurance des cadres (AGIRC), le patronat règne sur le 1% logement, la CFTC, origine chrétienne oblige, s'occupe des allocations familiales, le chômage va plutôt à la CFDT tandis que la maladie est l'empire de FO. Et les dernières élections aux caisses d'assurances maladies remontent à 1983 !

Un paritarisme de responsabilité passe d'abord par une définition plus claire des responsabilités des partenaires sociaux. Pour ma part, je les imagine plus volontiers comme les garants des grands équilibres, des grandes orientations et des principes fondamentaux, sur le modèle des conseils de surveillance que beaucoup d'entreprises ont mis en place.

Faut-il décider de nouvelles élections ?

Au-delà du problème de responsabilité, il y a un problème de légitimité. Des élections générales de la Sécurité sociale en 1996 permettraient d'assurer un nouveau départ. Et, pour impliquer tous les Français, je pense que ces élections devraient être des élections libres, c'est-à-dire des élections où les syndicats, qui représentent moins de 10% des salariés et encore moins en ce qui concerne les assurés sociaux, ne soient pas les seuls à pouvoir faire acte de candidature. Il faut savoir si l'on veut une réforme technocratique ou une réforme démocratique.

Mais les gaspillages ne sont-ils pas aussi responsables du déficit de la Sécurité sociale ?

Il est clair qu'aujourd'hui les médecins sont incités à multiplier les actes médicaux et les hôpitaux incités à remplir leurs lits au-delà de ce qui est nécessaire. Cela se traduit par des différences impressionnantes de performances d'une région à l'autre : les caisses d'assurance maladie de Douai ou d'Annecy remboursent 6.000 francs par an et par assuré contre près de 12.000 francs à Ajaccio et Bastia. On observe des comportements invraisemblables et moralement inacceptables : ainsi plus de 20.000 personnes âgées dépendantes sont hospitalisées dans des hôpitaux psychiatriques... Encore une fois, les hommes ne sont pas en cause. C'est le système qu'il faut reconstruire.

Dans ce cadre, comment organiser la gestion de l'assurance maladie ?

La caisse régionale d'assurance maladie a un rôle essentiel à jouer. C'est au niveau de la région en effet que l'on peut le mieux organiser un réseau complet de soins. Il est absolument nécessaire de créer une fonction d'évaluation et de contrôle confiée, de façon décentralisée, aux organismes payeurs.

Ne demandons pas au malade d'être juge de l'efficacité économique des dépenses de santé. Pour lui, la santé n'a évidemment pas de prix. Ce qu'il veut, c'est être bien soigné. Ce n'est pas son métier que de connaître le meilleur rapport qualité-prix du traitement qu'on lui prescrit. Devenues autonomes et responsables, les caisses pourront alors mieux gérer, négocier avec les médecins, les hôpitaux, les cliniques, des prestations de santé dans les meilleures conditions. Elles pourront aussi développer des formes innovantes d'organisation de la médecine, comme la chirurgie ambulatoire, les réseaux de soins ou les cabinets de groupe.

Les professions médicales et paramédicales ainsi que les établissements hospitaliers seront en relation avec des professionnels capables d'évaluer la qualité de leur prestation et de comparer les prix. Bien entendu, d'une caisse à l'autre, les dépenses ne dépendent pas seulement de la qualité de gestion mais d'un certain nombre de critères liés au profil de la population assurée : l'âge, le sexe, les facteurs de risques spécifiques. Une caisse qui assure des personnes plus âgées ou plus fragiles doit toucher davantage qu'une caisse dont les patients sont plus jeunes. C'est le rôle de la caisse nationale d'organiser cette péréquation de solidarité nationale.

Renforcer l'autonomie et la concurrence est donc gage d'efficacité ?

La plupart des économistes de la santé vous le diront : la seule façon de faire des économies intelligentes sans rationner les soins, c'est d'établir une certaine forme de concurrence entre les organismes qui assurent. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'une concurrence comme celle que l'on rencontre dans le secteur marchand, mais de mécanismes qui permettent de trouver le meilleur rapport prestation-cotisation. C'est d'ailleurs sur ce schéma qu'ont été réalisées dans d'autres pays les réformes de santé et que des résultats ont pu être obtenus. La logique est partout la même : l'organisme assureur et payeur est en même temps l'organisme qui va négocier au meilleur coût les prestations. En Allemagne, par exemple, les caisses ont une autonomie de gestion. A partir de 1996, elles seront progressivement mises en concurrence. Les salariés pourront s'affilier à l'organisme public ou privé de leur choix. L'employeur devra verser les cotisations à la caisse choisie. Je pense qu'en France, les mutuelles et les assurances complémentaires devraient pouvoir offrir des formules d'assurance complète -au premier franc, comme disent les spécialistes- en respectant les mêmes principes d'égalité devant les soins, de non-discrimination, de non-sélection des risques et de solidarité nationale.

Peut-on parvenir à une meilleure connaissance des coûts ?

C'est indispensable et c'est possible. Toute l'expérience internationale le montre. Cela fait d'ailleurs une quinzaine d'années que l'on essaie d'introduire en France dans les hôpitaux "le PMSI" (Programme médicalisé de système d'information), qui permet de mieux connaître le coût des maladies et le prix des soins. Une expérience grandeur nature vient même de s'achever dans le Languedoc-Roussillon. Mais il y a beaucoup de réticences à développer de tels systèmes. Et pour cause : les dernières études révèlent, par exemple, que le coût d'une opération de l'appendicite varie de 1 à 4 selon les établissements.

Aujourd'hui, les budgets des hôpitaux sont calculés selon la technique de l'enveloppe globale encadrée par un taux directeur. Autrement dit, si l'activité médicale décroît, l'hôpital vit dans l'opulence, et si l'activité de l'hôpital explose, il est étranglé. Ça ne peut pas marcher, comme n'a pas marché à une autre époque le blocage des prix ou l'encadrement du crédit.

Il y aurait beaucoup de bon sens, mais aussi beaucoup d'économies à trouver, si on calculait le budget des hôpitaux en fonction de leur activité réelle et non sur la base de l'actuelle technique de l'enveloppe globale. De même, il est invraisemblable que la France, pourtant pionnière de la carte à puce, soit aujourd'hui en retard par rapport à l'Allemagne, pour l'utilisation de cette carte dans le domaine de la santé, qui permettrait de constituer une sorte de dossier médical portatif remplaçant la feuille d'assurance maladie et de rationaliser la gestion. Et tout cela, dit-on, parce que l'on craint que le projet baptisé "Cesam vital", ne supprime de la paperasserie et donc aussi des emplois.

Des économies importantes sont-elles possibles ?

Si j'en crois les propos récents du premier président de la Cour des comptes, Pierre Joxe, les économies se chiffreraient en dizaines de milliards de francs, voire en centaines. Il y a trois ans, un rapport célèbre qui a provoqué beaucoup de vagues, le rapport Béraud, estimait les surcoûts à 20% des dépenses, soit une centaine de milliards.

Dans ces conditions, qu'attend-on pour mettre en œuvre la réforme ?

Nous voici à l'heure de vérité. Le moment des décisions fortes est venu. J'ai évoqué il y a un instant la litanie des plans de redressement qui n'ont pas redressé grand-chose. Je pourrais de la même façon énumérer la liste des projets de réforme de la Sécurité sociale : les rapports Teulade en 1989, Moreau en 1991, Béraud en 1992, Joly en 1993, Soubie en 1993, Soubie encore avec Prieur et Porthos en décembre 1994. Tous les éléments pour décider sont là, il n'y avait guère besoin d'organiser un nouvel "Interville" de débats et de forums pour trouver les bonnes réponses.

Mais de telles réformes sont-elles acceptables par les intéressés ?

Pour que la réforme soit acceptée, il faut faire en sorte que chacun y trouve son intérêt. Loin de moi l'idée d'une réforme autoritaire qui consisterait à dire : voilà désormais les bons tarifs de remboursement, les hôpitaux que l'on ferme et ceux que l'on garde, les enveloppes financières dans lesquelles nous vous enfermons. Il ne s'agit pas d'imposer la solution d'en haut, mais de permettre aux différents acteurs de découvrir, dans l'exercice de vraies responsabilités, les bonnes solutions. Par exemple, l'hôpital, devenu autonome, pourra mieux organiser sa charge de travail, disposer de responsabilités accrues et, au bout du compte, de moyens supplémentaires pour récompenser les médecins et les agents hospitaliers. Le problème d'un directeur d'hôpital, aujourd'hui, ce n'est pas de bien gérer, mais de rester dans l'enveloppe. C'est d'ailleurs l'ancien directeur des hôpitaux, Jean de Kervasdoué, qui le dit : il n'y a de solutions que dans l'autonomie complète des établissements.

L'autonomie des hôpitaux, d'accord. Mais cela suffit-il pour diminuer le nombre de lits qui, on le sait, sont trop nombreux ?

On n'a pas construit des hôpitaux pour créer des emplois ou animer la vie locale, mais pour répondre le mieux possible à des besoin de santé. Or, du strict point de vue de la santé, il est certain que nous avons plusieurs dizaines de milliers de lits d'hôpitaux en trop. Savez-vous que dans les pays les plus avancés, 55 % des opérations chirurgicales se déroulent en entrant le matin à l'hôpital et en sortant le soir. C'est ce que l'on appelle "l'hôpital de jour". en France, ce taux ne dépasse pas 15 %. Pourquoi ? La qualité de l'intervention n'a absolument rien à voir. Mais les directeurs d'hôpitaux et les chefs de services sont jugés sur leur capacité à remplir les lits. Résultat : les infirmières sont surmenées et l'on recrute à tour de bras des jeunes et des moins jeunes sous-payés par le biais de Contrats emploi-solidarité. Un autre exemple ? Le responsable de l'action sociale de mon département d'Ille-et-Vilaine m'expliquait récemment que les grands handicapés étaient accueillis au CHU de Rennes, moyennant une dotation de plus de 700.000 francs par an, même si beaucoup d'entre eux préféreraient un logement adapté, avec des services adaptés, en milieu ouvert, dans des maisons que le département est capable de construire et de gérer et où le coût serait de l'ordre de 220.000 francs par an. Mais, dans le premier cas, c'est à l'assurance maladie de payer ; dans le deuxième, au conseil général. Et cela ne se fait pas.

C'est donc à une réorganisation d'ensemble qu'il faut procéder. Mais cette réorganisation, bien sûr, pour être acceptée, ne doit pas s'effectuer sans contrepartie. Donnant donnant. Si l'on développe la chirurgie de jour et l'hospitalisation à domicile, si l'on utilise les lits excédentaires autrement, on dégage du même coup des économies qui doivent permettre, pour une part, de financer de nouveaux projets et les adaptations nécessaires.

Faut-il, comme en Grande-Bretagne, imposer au malade le choix de son médecin ?

Les Français sont très attachés à la liberté de choix. C'est pourquoi le système d'affectation autoritaire du médecin n'est pas transposable en France. Cela étant, un malade doit comprendre qu'il ne peut aller voir systématiquement plusieurs médecins pour comparer leurs diagnostics. Il faut une limite et ne pas autoriser un patient, comme cela s'est vu, à consulter onze praticiens la même semaine. Le carnet de santé est une bonne mesure. Il existe déjà pour les enfants et pour les plus de soixante-dix ans. Il doit à l'évidence être étendu. Il est également possible de développer des formules -cabinet de groupe ou réseau de soins- qui permettent de rémunérer, comme dans d'autres pays, un ensemble de praticiens selon un système les autorisant à gérer les budgets santé des patients qui leur font confiance. Ils sont ainsi intéressés à la bonne santé du malade et ont avantage à choisir les meilleurs soins, ou les meilleurs examens, au meilleur coût. Tout le monde s'y retrouve : le malade, le médecin et l'assurance.

Puisque vous parlez de libre choix, faut-il contraindre les médecins à mieux choisir les médicaments en privilégiant les moins chers ?

Il faut que les médecins aient intérêt à faire des choix économiques, c'est-à-dire à prescrire, à qualité égale, le médicament le moins cher, en commençant par ce qu'on appelle les "médicaments génériques". Mais, je le répète, on ne réussira pas la réforme en mettant un policier derrière chaque malade ou chaque médecin, ou un contrôleur derrière chaque ordonnance, mais en créant un système qui favorise les comportements responsables.

L'autre grand dossier de la protection sociale concerne les retraites. Depuis la réforme de 1994, on demande aux salariés du secteur privé de travailler 40 ans avant de bénéficier de la retraite, alors que 37,5 ans suffisent pour la fonction publique. Cette différence est-elle justifiée ?

J'ai en effet posé la question et, visiblement, c'est un sujet qui fâche ! Notre système de retraite est organisé selon le principe de la répartition. Ce sont les actifs qui financent en direct les retraités. Il n'y a pas de petits "cochons roses" dans lesquels les Français stockent leurs cotisations de retraite et qu'ils casseront le jour venu. Pour fonctionner, notre système exige qu'il y ait suffisamment d'actifs cotisants par rapport au nombre de retraités. Aujourd'hui, selon le dernier rapport du Plan, il y a 1,75 cotisant pour un retraité. Ce taux devrait descendre à 1,22 en 2015. Et dans le plus sombre des scénarios il ne resterait plus en 2040 que 1,1 cotisant pour 1 retraité.

Michel Rocard, lorsqu'il était Premier ministre, avait affirmé qu'il y avait dans ce dossier de quoi faire sauter plusieurs gouvernements. Après lui, Edouard Balladur a engagé une réforme importante en 1993. Les salariés vont devoir travailler plus longtemps - 40 ans au lieu de 37,5 ans auparavant- et leur retraite sera calculée sur le traitement perçu, non plus sur la base des dix mais des vingt-cinq meilleures années, ce qui réduit le montant de la retraite perçue. Seulement voilà, cette réforme n'a été appliquée qu'à une partie des salariés français. D'autres ont été "épargnés", parmi lesquels les fonctionnaires et d'innombrables régimes spéciaux, à commencer par celui des parlementaires. Est-ce équitable ? c'est en tout cas mal perçu, mal compris par toute une partie de la population active. Pour ma part, j'estime qu'il faudra poursuivre la réforme des retraites autour d'un principe simple : à retraite égale, cotisation égale.

A la SNCF, on dénombre un actif pour deux retraités et, dans les mines, un pour dix. Comment sortir de ce piège qui ruine les entreprises concernées ?

Les mineurs de fond, les "roulants", les conducteurs de locomotive à vapeur, se sont vu reconnaître, il y a bien longtemps, au moment où leurs conditions de travail le justifiaient, des droits bien mérités à une retraite anticipée. Depuis, tout le monde le sait, les conditions de travail se sont considérablement améliorées alors que les droits sont restés. Une remise à plat s'impose, même si elle doit être conduite avec prudence et progressivité. Ces droits acquis sont pour l'essentiel ce que l'économiste Jacques Rueff appelait de "faux droits". Qu'il s'agisse de salaires gagés sur une hypothétique croissance, de retraites non provisionnées ou sans contrepartie d'activités, notre société a d'autant plus facilement distribué qu'elle n'avait pas à payer tout de suite. Tout se passe au fond comme si on avait distribué davantage de billets de loterie gagnants qu'il n'y avait d'argent dans la caisse.

Pour financer les droits acquis, on a donc hypothéqué jusqu'aux salaires qui seront payés demain ?

Les écologistes nous ont appris à parler du droit des générations futures en matière d'environnement. Je suis partisan d'un droit des générations futures en matière économique. Nos enfants doivent avoir le droit de ne pas supporter une dette excessive, le coût des erreurs et des facilités financières de notre génération. Cette société semble avoir choisi l'irresponsabilité illimitée, en tirant un crédit sur les générations à venir !

Puisqu'on voit bien la limite du système actuel de retraite par répartition, pourquoi ne parvient-on pas à développer vraiment un système complémentaire de retraite par capitalisation ?

La répartition, c'est le financement de votre retraite par le salaire de vos enfants. La capitalisation, c'est le financement de votre retraite par votre épargne. L'une n'est pas l'ennemie de l'autre, et la seconde doit être développée pour compléter la première. Il n'est évidemment pas question de substituer la capitalisation à la répartition car les actifs devraient alors payer deux fois : pour les retraités d'aujourd'hui et pour leur propre retraite de demain. Ce seul argument plaide pour le maintien d'un système de répartition, également justifié par la solidarité. Mais pourquoi interdire aux salariés la possibilité de se doter d'une retraite complémentaire, comme cela existe pour les fonctionnaires, avec le système Préfon, ou pour les non-salariés, avec le système que j'ai introduit en 1994 ? J'ajoute que, au moment où l'Etat réduit les avantages de l'assurance-vie, il serait logique d'en profiter pour inciter les Français à développer leur épargne retraite. L'économie a besoin de l'épargne des salariés, petits ou grands.

Les "fonds de pension" qui recueillent cette épargne peuvent l'investir dans l'économie active. C'est une épargne de long terme, stable, adaptée aux besoins en fonds propres des entreprises. La plupart des grands pays ont su appuyer leur développement économique par ce moyen. Les fonds de pension y jouent de surcroît un rôle de censeur particulièrement actif, pour l'intérêt des retraités et pour celui du système capitaliste. Indiscutablement, nous avons besoin d'un tel système.

Comment s'assurer que les fonds de pension voient le jour ? Et faut-il d'ailleurs les appeler fonds de pension ?

Cette appellation est comprise par le monde entier, à l'exception des syndicats français. Appelons cela "épargne-retraite", "épargne-longue"... Peu importe l'étiquette !

Comment les mettre en place, et avec quelles garanties ?

Faire vite et faire simple, puis laisser le système évoluer. Tel était mon objectif à Bercy. Il n'est pas nécessaire de réinventer toute une réglementation. On sait gérer l'épargne longue, l'assurer et même la réassurer. Le code des assurances est là pour çà. On sait inciter les Français à placer leur épargne dans des fonds de pension, en franchise d'impôts. Je l'ai fait pour les travailleurs indépendants. On peut perfectionner le système en utilisant les mécanismes d'épargne salariale et de participation aux résultats de l'entreprise. La solution est évidente, pourquoi attendre !

Certains critiquent le principe d'une "sortie en rente" ?

Nous avons trop connu l'inflation pour oublier qu'elle spolie le rentier. Ce réflexe peut persister chez les épargnants et il faut les rassurer. En même temps, les épargnants n'aiment pas figer complètement leurs capitaux. Mais le principe des fonds de pension, c'est bien de distribuer une pension, et la vocation de l'épargne retraite est de distribuer une retraite complémentaire de la répartition.

Mais la limite de la retraite par répartition se fait déjà sentir.

Je crois qu'il y aurait intérêt à transformer la retraite par répartition en retraite par points. Cela existe déjà pour les retraites complémentaires des cadres. Ce qui faciliterait des retraites à la carte et ouvrirait sans doute des passerelles entre les retraites par répartition et les retraites par capitalisation.

D'une façon générale, la faiblesse de notre démographie ne menace-t-elle pas nos retraites ?

Le vieillissement de la France ne menace pas seulement l'équilibre de nos retraites, mais aussi la croissance. La facture des "frais généraux" du pays sera d'autant plus importante qu'elle pèsera progressivement sur un nombre toujours plus restreint d'actifs. Une dynamique démographique est une condition nécessaire à l'expansion économique et au rayonnement de la France. C'est de plus une des conditions d'une bonne intégration de l'immigration. Au surplus, il est à craindre que, derrière notre déclin démographique, ne se profile une sorte de "guerre des âges", dans la mesure où le corps électoral sera de plus en plus vieillissant.

Je ne crois pas cependant à la fatalité. Toutes les études montrent que le désir d'avoir des enfants est supérieur à la natalité réelle. Je crois possible un regain de la démographie, fondé sur la confiance retrouvée dans l'avenir et sur quelques mesures destinées à assurer le renouveau de notre politique familiale.

Ce renouveau passe-t-il par la proposition d'un salaire pour la mère au foyer, dont on parle beaucoup et qui n'a jamais abouti ?

Je n'aime pas l'expression de salaire maternel, qui laisse entendre que les mères de famille exercent une mission de service public rétribuée par l'État. Je préfère la notion de libre choix et l'idée d'une allocation de libre choix. Derrière cette querelle de mots, il y a sans doute une vision différente de la femme dans la société.

Mais, puisque nous parlions des retraites, j'ai, depuis quelque temps déjà, engagé une réflexion visant à étudier comment nous pourrions lier notre politique familiale à notre système de retraite par répartition. Dans le cadre d'un régime de retraite par points, les familles verraient leur retraite valorisée en fonction de leur contribution au renouvellement des générations, c'est-à-dire en fonction du nombre de leurs enfants. Ainsi, l'investissement dans la jeunesse, qui garantira les retraites futures, se verrait en quelque sorte récompensé, voire stimulé. Ces droits de retraite supplémentaires pourraient être partiellement anticipés lorsque le père ou la mère choisirait de suspendre son activité professionnelle pour élever ses jeunes enfants.

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