Alain Madelin:Quand les autruches relèveront la tête - Chapitre 3

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Alain Madelin:Quand les autruches relèveront la tête - Chapitre 3


Anonyme


Chapitre 3 : Déserrer les taux

Vous avez toujours affirmé que le grand désordre de nos finances publiques était la cause principale du chômage. Pourquoi ?

Les désordres du chômage sont pour une large part la conséquence des désordres de l'argent cher ou, pour le dire autrement, de taux d'intérêt trop longtemps trop élevés. Concrètement, cela veut dire que, quand vous allez acheter un appartement à crédit, les mensualités seront plus chères. Que, lorsqu'une entreprise va emprunter pour investir, il faudra que son investissement soit vraiment très rentable pour qu'elle puisse rentrer dans ses frais et couvrir les échéances. La conséquence de taux d'intérêts trop élevés, c'est le ralentissement de l'investissement et de la consommation. C'est donc moins d'emplois créés.

Pourquoi les taux d'intérêts sont-ils aussi élevés en France depuis plusieurs années ?

Si l'argent a été trop cher tout au long de ces dernières années, c'est principalement en raison de nos déficits publics et sociaux. Pour combler ses déficits croissants, l'Etat doit emprunter de plus en plus. Si les familles et les entreprises ne peuvent, quant à elles, emprunter à n'importe quel prix, l'Etat, lui , peut le faire, car on lui a jusqu'à présent toujours fait confiance et il y a toujours eu des contribuables pour rembourser les dettes. Voilà qui fait monter les taux d'intérêt. L'argent épargné par les Français, mais aussi l'argent des marchés financiers, est de plus en plus capté pour les besoins de financement de la dette publique. Voilà autant d'épargne qui ne va pas vers les entreprises et vers l'économie productive. C'est ce que les économistes appellent l'"effet d'éviction". Très peu de projets d'investissement des entreprises peuvent rivaliser avec le rendement des emprunts d'Etat. D'où un fort recul de l'investissement : Il a atteint, entre 1990 et 1994, - 30% pour le seul investissement industriel, et -12% pour les ménages. Cela veut dire que l'on a moins construit, que l'on a moins acheté de machines et moins créé d'emplois.

S'ajoute aujourd'hui un nouvel effet : à force de prêter toujours plus aux Etats, alors que leurs déficits ne se réduisent pas assez vite, les marchés commencent à être inquiets. Ils doutent de leur capacité à rembourser leurs dettes. Or, c'est bien connu, on prête plus cher quand on se méfie que lorsqu'on a confiance. C'est ainsi que les taux d'intérêt français sont accrus par une "prime de risque".

Quelles en sont les conséquences ?

Cela fait bientôt quinze ans que les taux d'intérêts réels sont supérieurs à la création de richesse en France. Les emprunts publics ont constamment rapporté ces dernières années près de 6% en termes réels. La plupart des investissements dans les entreprises, la plupart des loyers perçus par ceux qui investissent dans l'immobilier rapportent moins.

Bref, on a favorisé le rentier par rapport à l'entrepreneur. Or, je le répète, c'est l'entrepreneur qui crée l'emploi.

Pour créer les emplois dont nous avons besoin, il faut que les entrepreneurs et les entreprises innovent, se développent et donc, pour cela, investissent. Lorsqu'il est plus intéressant de prêter son argent à l'Etat sans risque que de placer son argent dans une entreprise, l'économie tourne à l'envers. C'est un désordre économique. Mais c'est aussi un désordre de valeur, quand l'argent est choyé et protégé alors que le travail ne l'est pas, quand, selon une formule sans doute un peu rapide, "l'argent qui dort" rapporte plus que l'argent qui travaille.

Vous expliquez donc ce désordre financier par un poids excessif de l'Etat ?

Chaque année, l'économie crée un supplément de richesse : c'est la croissance. Une part de plus en plus grande de ce supplément de richesse est confisquée par la fiscalité ou par l'emprunt public et orientée vers l'économie administrée et la consommation collective. Il en résulte une perte d'efficacité globale, source de chômage. Nous avons une machine à produire de la richesse trop petite, une machine à dépenses publiques trop puissante. C'est une des caractéristiques de l'entreprise France. Le petit moteur du secteur actif marchand doit financer un Etat trop coûteux, trop dépensier, trop centralisé, trop rigide et trop endetté. La part de la population totale qui travaille dans le secteur marchand est en effet chez nous la plus faible parmi les grandes pays. Juste quelques chiffres : elle représente 29% en France, contre 36 % en Allemagne et au Royaume-Uni, 38% aux Etats-Unis et 49% au Japon. Dans le même temps, nos dépenses publiques représentent près de 55% de notre richesse produite. C'est encore un record des grands pays industrialisés (49% en Allemagne, 43% au Royaume-Uni, 36% au Japon et 33,5.% aux Etats-Unis).

L'écart de dépenses publiques entre la France et l'Allemagne, proportionnellement à la richesse de ces pays représente 450 milliards de francs, soit l'équivalent de 2 mois de salaire net par personne active. Par rapport au Royaume-Uni ce même écart représente 4 mois, 6 mois par rapport au Japon et 7 mois par rapport aux Etats-Unis !

Les conséquences sont doubles : d'une part des prélèvements obligatoires élevés, qui découragent l'effort, réduisent les incitations productives et limitent la croissance ; d'autre part, des déficits publics records qui rendent l'argent cher, augmentent les impôts, ce qui pénalise l'investissement, la croissance et l'emploi. Voilà qui conduit à l'augmentation du chômage et qui augmente à nouveau les transferts sociaux et les déficits. Un vrai cercle vicieux dont il nous faut sortir au plus vite.

Vous dressez un constat très négatif de la situation de nos finances publiques...

C'est, sans nul doute, la situation financière la plus dégradée depuis la Seconde Guerre mondiale. En 1980, nous étions dans une situation d'équilibre. Entre 1990 et 1994, notre déficit budgétaire a plus que triplé, passant de 93 à 300 milliards. De 1992 à la fin 1994, la dette brute du seul Etat aura progressé de plus de 1.000 milliards. A la fin de l'année, le total de notre dette publique frôlera 4.000 milliards de francs, et dépassera la moitié de notre produit intérieur brut. Autrement dit, la génération actuelle vit à crédit sur les générations futures. Les déficits publics représenteront plus de 17.000 francs par actif, soit deux mois de salaire moyen. La dette publique représentera 180.000 francs par actif, soit près d'un an et demi de salaire moyen.

Ce jugement, c'est celui que les marchés portent sur notre pays ?

C'est celui que les gens qui nous prêtent de l'argent, par l'intermédiaire des marchés financiers, portent chaque jour sur notre pays. Le monde économique a profondément changé au milieu des années 80. La plupart de nos responsables politiques n'en ont pas encore réellement pris conscience. Ils ont été formés et ont souvent exercé des responsabilités - politiques ou administratives - durant des décennies d'inflation.

Depuis la guerre, la France, comme tous les grands pays occidentaux, a connu des phases alternées d'expansion et de ralentissement. Le pouvoir politique tentait de les réguler en ouvrant plus ou moins grand les robinets du crédit, au prix de l'inflation. L'inflation avait ceci de commode qu'elle permettait de rembourser plus facilement les dettes et donc de rendre plus rentables les investissements, au détriment des rentiers qui voyaient leurs capitaux moins bien rémunérés.

L'invention des marchés de produits dérivés, au début des années 80, a permis aux prêteurs de se protéger contre l'inflation. Nous vivons aujourd'hui dans un système qui interdit l'inflation. L'internationalisation de l'économie et la mobilité croissante des capitaux ont fait le reste, reconstruisant un type d'économie davantage soumis aux cycles économiques classiques. Dès lors, le temps des manipulations macro-économiques par les politiques était révolu. Les taux d'intérêt retrouvaient leur rôle central.

Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ?

Dans la phase d'expansion de l'économie, des taux d'intérêt réels faibles entraînent la croissance de la production et des revenus. Mais la croissance conduit à augmenter les besoins de capitaux, et donc les taux d'intérêt. La hausse des taux a pour effet de ralentir l'économie. Ce refroidissement de l'économie fait baisser les taux d'intérêt, et la machine redémarre.

Vous estimez bien connaître le comportement des marchés. Pourquoi ?

Je m'intéresse depuis longtemps à ces questions. J'ai passé du temps à New-York, dans les salles de marché. J'ai discuté longuement avec ces hommes qui gèrent des milliards de dollars, dont les analyses comptent et dont les choix pèsent si lourd. J'ai cherché à décrypter leur mode de fonctionnement et leur raisonnement. J'ai vécu le krach d'octobre 1987 au coté de l'un de mes amis, le financier international Jimmy Goldsmith, qui m'a beaucoup appris. Même si nous ne sommes pas toujours d'accord...

Je crois qu'on ne peut pas faire de bonne politique, aujourd'hui, si l'on ne comprend pas les marchés financiers. Ils sont devenus des gardiens vigilants, sanctionnant les pays qui se laissent aller à l'inflation ou qui laissent filer leurs déficits. Les marchés financiers ne nous dictent certes pas leur loi, mais ils sanctionnent aussitôt les politiques qu'ils ne comprennent pas ou la politique qui ne les comprend pas. Comprendre les marchés, obtenir leur confiance, c'est permettre d'attirer dans notre pays des capitaux du monde entier pour investir, pour créer des richesses, et donc des emplois.

D'où vos prises de position en matière monétaire ?

C'est effectivement à partir de cette analyse qu'au lendemain de la réunification allemande j'ai proposé, à contre-courant de l'opinion dominante de l'époque, une autre politique monétaire. Il était clair, en effet, à mes yeux, que la réunification allait nécessairement entraîner en Allemagne surchauffe et inflation. Imaginez que la France ait dû à la même époque fusionner avec la Hongrie ou la Bulgarie en offrant aux uns et aux autres les mêmes salaires et la même protection sociale. Elle n'aurait pu le faire qu'en créant de la monnaie, donc en recourant à l'inflation. J'ai alors proposé que le Mark se mette en congé du SME (le Système monétaire européen). Une opinion partagée par bon nombre de mes amis, dirigeants politiques ou économiques en Allemagne, mais refusée à l'époque par le gouvernement socialiste. Pierre Bérégovoy a reconnu plus tard qu'il avait craint qu'en laissant sortir le mark allemand du système monétaire européen, cela ne conduise l'Allemagne à sortir de l'Europe. Et qu'une fois sortie elle n'y revienne pas.

C'est ce que qui explique que la France ait dû supporter une politique monétaire jugée parfois trop restrictive ?

Du fait d'une situation de surchauffe et des pressions inflationnistes allemandes liées à la réunification, la Bundesbank a dû conduire une politique de taux d'intérêts élevés au moment où la France, qui, comme d'autres pays européens, était atteinte d'un refroidissement de son économie, aurait dû avoir des taux d'intérêts extrêmement bas. Or, compte tenu du lien entre le Franc et le Mark, la France était obligée de maintenir ses taux d'intérêt au niveau des taux allemands.

Ne pouvait-on voir à l'époque les conséquences de ce décalage pour la France ?

En 1992, j'ai tiré à nouveau le signal d'alarme sur les risques qu'encourraient le Système monétaire européen et la France du fait de cette situation. Et du fait aussi que certaines monnaies étaient alors notoirement surévaluées, telles la livre, la lire et la peseta. Je redoutais l'étouffement de notre économie par des taux d'intérêt réels records. Et, démentant les instituts de conjoncture, les prévisions officielles et les économistes, j'ai évoqué alors le risque d'une récession-déflation qui menaçait la France en 1993.

J'ai donc proposé de détacher provisoirement le franc du mark, sous une forme ou sous une autre, afin de pouvoir baisser les taux d'intérêt en France, ce qui à l'époque n'aurait pas affaibli le franc, au contraire. Progressivement, de nombreux économistes internationaux, les institutions internationales ainsi que les marchés financiers ont partagé cette thèse. Et aujourd'hui des institutions comme le FMI ou l'OCDE estiment qu'il eût été préférable de mener une politique différente de celle qui fut alors suivie.

Le moins qu'on puisse dire est que vous n'avez pas été entendu...

Je regrette effectivement de ne pas avoir réussi à convaincre. La France a fait un autre choix. Hélas, la récession prévue s'est produite au prix d'un chômage aggravé et de nombreuses faillites. Au prix, aussi, de toute une série de mesures de soutien qui ont aggravé encore nos déficits. Au prix, également, de la crise monétaire d'août 1993. Je me souviens d'ailleurs avoir adressé, au moment de la formation du gouvernement, fin mars 1993, une note à Edouard Balladur. Je préconisais une rencontre entre les autorités monétaires française et allemande, le premier dimanche qui suivrait la formation du gouvernement, car de telles choses se font toujours lorsque les places financières sont fermées. Au cours de cette réunion, nous aurions décidé d'abaisser brutalement nos taux d'intérêt à court terme à un niveau proche de celui des Allemands. Ce qui était alors une décision politique, la Banque de France n'étant pas encore indépendante. Nous aurions aussi décidé d'élargir avec nos partenaires les bandes de fluctuation du SME. J'ai encore en mémoire la conclusion de cette note : faute de réaliser dans de bonnes conditions, c'est-à-dire à froid, une telle opération, elle nous sera imposée à chaud par les marchés. C'est effectivement ce qui s'est produit quelques mois plus tard, le 2 Août 1993... Nous avons alors réformé le SME, et pris la décision qui s'imposait : élargir les bandes de fluctuation du franc. Nous avons desserré ainsi l'étreinte sans cependant en profiter pour faire baisser fortement nos taux. Ceux ci ont quand même fini par se détendre, au rythme bien lent de la Bundesbank.

Pourtant, sitôt arrivé à Bercy, en mai 1995, vous vous êtes rangé du côté des partisans de la stabilité monétaire.

En mai 1995, la situation était devenue très différente. L'Allemagne avait pour l'essentiel digéré sa réunification, sa masse monétaire revenait sous contrôle, et ses taux d'intérêt étaient alors inférieurs aux nôtres. Nos taux de croissance et d'inflation convergeaient. Mon objectif restait le même : la baisse des taux d'intérêt français. Mais les moyens pour y parvenir avaient changé.

Dans le domaine monétaire, il faut être pragmatique et non dogmatique. En 1992, j'expliquais que, les taux allemands étant supérieurs aux taux français, il nous fallait décrocher de l'Allemagne. En 1995, les taux allemands étant devenus inférieurs aux taux français, je soutenais qu'il fallait au contraire s'accrocher à l'Allemagne, maîtriser nos déficits et faire preuve de vertu.

Un tel choix est-il payant ?

Cette politique a plutôt bien réussi. Le collectif budgétaire de juillet 1995 a marqué un coup d'arrêt à la dérive des finances publiques. Cela n'a pas été obtenu sans mal et j'ai dû mettre tout mon poids dans la balance face à ceux qui étaient partisans de laisser filer la dépense publique. La France s'est ainsi fixé un calendrier en termes de réduction des déficits publics : 5% du produit Intérieur brut en 1995, 4% en 1996 et 3% en 1997. Cinq, quatre, trois : voilà qui exigeait que l'on contienne à la fois plus étroitement les dépenses de l'Etat et que l'on engage le rééquilibrage des comptes sociaux. Cette politique était crédible, et les marchés l'ont saluée comme telle. La preuve, c'est que, durant cette période, les taux d'intérêt se sont fortement détendus et que nous avons réduit de façon significative notre écart avec les taux allemands. Sans affaiblir le franc. Il s'est même apprécié face au mark. Cependant, je mesurais parfaitement que cette confiance des marchés financiers restait fragile. Et que ces derniers attendaient, au début du mois de septembre, des décisions fortes tant sur le plan budgétaire que sur le plan social.

J'ajoute d'ailleurs qu'en quelques mois mon objectif de baisse des taux d'intérêt s'est affirmé comme la priorité de notre politique économique et monétaire.

Pourquoi vouloir comprimer autant les déficits ?

Le véritable objectif de tout ministre des Finances, dans le nouveau contexte économique que j'ai décrit, est le retour à l'équilibre budgétaire. Il y a en effet urgence à atteindre le point d'équilibre qui permette de stopper la boule de neige de notre endettement public. La France se trouve dans la situation d'un particulier très endetté, dont les revenus ne lui permettent plus de rembourser sa dette, et qui doit donc contracter de nouveaux prêts à des taux d'intérêt de plus en plus élevés, pour payer ses annuités de remboursement. Le service de la dette, qui est devenu le troisième budget de l'Etat, derrière l'Education nationale et presque à égalité avec la Défense, engloutit chaque année 3% de notre richesse. C'est autant d'argent qui manque pour les dépenses publiques prioritaires, pour baisser les impôts ou encore pour accompagner les réformes nécessaires.

Est-ce que, pour autant, tout endettement est par nature dangereux ?

L'endettement n'est pas un mal en soi. Mais il y a de bons et de mauvais endettements, de bonnes et de mauvaises conditions d'endettement. Par rapport à la richesse nationale, la dette publique de l'Etat a souvent été beaucoup plus élevée qu'aujourd'hui. Mais la différence est que les taux d'intérêt réels sont devenus supérieurs aux taux de croissance et aux recettes de l'Etat. De plus, il existe des dettes qui servent à préparer l'avenir, comme le montre l'exemple allemand où l'endettement a servi à financer la reconstruction dans la partie Est du pays, d'autres dettes ne servent qu'à financer les dérives du présent, comme c'est malheureusement le cas pour la France.

Notre endettement constitue donc un frein aux réformes nécessaires ?

La lutte contre les déficits publics est inséparable de la bataille pour l'emploi. Pour que les entreprises puissent créer des emplois, il faut qu'elles disposent de bonnes finances. Cela exige de bonnes finances publiques. Il faut se donner un objectif fort : faire en sorte que nous franchissions le prochain millénaire en ayant réuni les conditions d'une croissance soutenue, saine et durable, créatrice d'emplois dans une économie assainie. Cela passe impérativement, comme à d'autres périodes de notre histoire, par le rétablissement de l'ordre financier et de l'orthodoxie budgétaire. Par orthodoxie budgétaire j'entends en fait responsabilité budgétaire, c'est-à-dire une situation de bon sens où l'on ne dépense pas plus que ce que l'on a en caisse, une situation où les générations actuelles ne vivent plus à crédit, de façon irresponsable, en endettant les générations futures. C'est une exigence saine, c'est aussi l'exigence des marchés.

Les périodes de prospérité et de fort développement économique correspondent dans l'histoire à des niveaux de taux d'intérêt réels à long terme de 3% au maximum. C'est ce qu'enseigne l'ensemble de la période 1820-1913, une période caractérisée par des finances publiques proches de l'équilibre, voire en excédent une fois passée la guerre franco-prussienne. Plus récemment, cette situation a également prévalu entre 1959 et 1970. L'équilibre budgétaire a été globalement assuré, tandis que les taux d'intérêt réels s'établissaient autour de 3%, pour une inflation de l'ordre de 4%.

Mais aujourd'hui il n'y a plus d'inflation !

Il y a même, je ne cesse de le dire depuis plusieurs années, une situation de déflation. Les prix baissent ! Nous l'avons vu dans l'immobilier mais on le voit aussi dans de très nombreux secteurs industriels, et même dans les services. Ce n'est pas une nouveauté dans l'histoire. Celle-ci nous enseigne que les périodes de déflation ont été presque aussi nombreuses que les périodes d'inflation. Le problème, c'est que les décideurs économiques et politiques de la génération actuelle n'ont connu que l'inflation, à la différence de leurs grands-parents. Les connaissances et les réflexes acquis en période d'inflation ne sont d'aucune utilité en période de déflation. Il en va alors comme de la conduite d'une voiture. Lorsque la température passe en dessous de zéro et que la route devient verglacée, les réflexes de bonne conduite acquis par beau temps ne sont pas d'un grand secours.

Dans une économie inflationniste, le consommateur a intérêt à acheter, et l'entrepreneur à investir, avant que les prix ne montent. Dans une économie déflationniste, c'est l'inverse. On est toujours récompensé, au moins à court terme, lorsque l'on repousse ses décisions : le consommateur paiera moins cher sa télévision, l'industriel sa machine. Le passage de l'inflation à la déflation conduit à la léthargie. Il faut donc des mesures fortes pour stimuler l'initiative économique, car l'environnement n'est pas favorable à la prise de risque.

De même, la pression continuelle à la baisse du prix des produits existants conduit logiquement les entrepreneurs à rechercher des gains de productivité et donc à réduire l'emploi. Il est ainsi extrêmement important que se développent de nouveaux services, gages de croissance et d'emplois. Car la déflation n'empêche pas la croissance, loin de là. Mais la croissance, dans un climat déflationniste, demande des taux d'intérêt bas et un budget équilibré.

Quoiqu'il en soit, le Traité de Maastricht, que la France a ratifié, nous laisse-t-il d'autre choix que de réduire nos déficits ?

Réduire nos déficits publics, c'est bien entendu respecter le choix européen fait par la France. La France remplit les critères exigés pour le passage à la monnaie unique en 1999, à l'exception de l'un d'entre eux, celui des déficits de ses administrations publiques, qu'il lui faudra ramener à 3% du PIB en 1997.

Mais la réduction de nos déficits publics représente un objectif en soi. La monnaie européenne doit être considérée comme la récompense et non comme la cause de nos efforts. Les critères de Maastricht ne constituent au fond que la radiographie d'une économie assainie, en laquelle on peut faire confiance. J'ajoute que l'assainissement de nos finances publiques est une des conditions de notre indépendance nationale. Une grande puissance comme la France ne peut rester grande si elle continue à vivre autant à crédit.

A tourner le dos à pareille priorité, la France risquerait-elle de se trouver isolée ?

Partout dans le monde la réduction des déficits publics est à l'ordre du jour. Aux Etats-Unis, les républicains et les démocrates convergent sur l'objectif du retour à l'équilibre budgétaire, même si le calendrier diverge. La Grande-Bretagne, qui connaissait un déficit public égal à 8% du PIB en 1993, espère un budget excédentaire en 1998. Le Danemark vise l'excédent dès 1996. L'Allemagne espère parvenir à l'équilibre en 1999 et surtout réduire d'ici là ses impôts.

Cela étant, la remise en ordre de nos finances publiques doit impérativement s'accompagner d'une remise en cause de nos dépenses publiques et sociales au moyen de réformes profondes et d'une remise en mouvement des forces créatrices de richesse et d'emplois. Faute de quoi, nous sommes menacés d'étouffement.

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