Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 10

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Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 10


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Chapitre 10 : De la déclaration que les ministres sont indignes de la confiance publique

Dans les projets présentés l’année dernière sur la responsabilité, l’on a proposé de remplacer par un moyen plus doux en apparence l’accusation formelle, lorsque la mauvaise administration des ministres aurait compromis la sûreté de l’état, la dignité de la couronne, ou la liberté du peuple, sans néanmoins avoir enfreint d’une manière directe aucune loi positive. On a voulu investir les assemblées représentatives du droit de déclarer les mistres indignes de la confiance publique. Mais je remarquerai d’abord que cette déclaration existe de fait contre les ministres, toutes les fois qu’ils perdent la majorité dans les assemblées. Lorsque nous aurons ce que nous n’avons point encore, mais ce qui est d’une nécessité indispensable, dans toute monarchie constitutionnelle, je veux dire, un ministère qui agisse de concert, une majorité stable, et une opposition bien séparée de cette majorité, nul ministre ne pourra se maintenir, s’il n’a pour lui le plus grand nombre des voix, à moins d’en appeler au peuple par des élections nouvelles. Et alors, ces élections nouvelles seront la pierre de touche de la confiance accordée à ce ministre. Je n’aperçois donc dans la déclaration proposée au lieu de l’accusation, que l’énoncé d’un fait qui se prouve, sans qu’il soit besoin de le déclarer. Mais je vois de plus que cette déclaration, par cela même qu’elle sera moins solennelle et paraîtra moins sévère qu’une accusation formelle, sera de nature à être plus fréquemment prodiguée. Si vous craignez que l’on ne prodigue l’accusation elle-même, c’est que vous supposez l’assemblée factieuse. Mais, si en effet l’assemblée est factieuse, elle sera plus disposée à flétrir les ministres qu’à les accuser, puisqu’elle pourra les flétrir sans les compromettre, par une déclaration qui ne l’engage à rien, qui, n’appelant aucun examen, ne requiert aucune preuve, qui n’est enfin qu’un cri de vengeance. Si l’assemblée n’est pas factieuse, pourquoi inventer une formule, inutile dans cette hypothèse et dangereuse dans l’autre ? Secondement, quand les ministres sont accusés, un tribunal est chargé de les juger. Ce tribunal, par son jugement, quel qu’il soit, rétablit l’harmonie entre le gouvernement et les organes du peuple. Mais aucun tribunal n’existe pour prononcer sur la déclaration dont il s’agit. Cette déclaration est un acte d’hostilité d’autant plus fâcheux dans ses résultats possibles, qu’il est sans résultat fixe et nécessaire. Le roi et les mandataires du peuple sont mis en présence, et vous perdez le grand avantage d’avoir une autorité neutre qui prononce entre eux. Cette déclaration est en troisième lieu une atteinte directe à la prérogative royale. Elle dispute au prince la liberté de ses choix. Il n’en est pas de même de l’accusation. Les ministres peuvent être devenus coupables, sans que le monarque ait eu tort de les nommer, avant qu’ils le fussent. Quand vous accusez les ministres, ce sont eux seuls que vous attaquez : mais quand vous les déclarez indignes de la confiance publique, le prince est inculpé, ou dans ses intentions, ou dans ses lumières, ce qui ne doit jamais arriver dans un gouvernement constitutionnel. L’essence de la royauté, dans une monarchie représentative, c’est l’indépendance des nominations qui lui sont attribuées. Jamais le roi n’agit en son propre nom. Placé au sommet de tous les pouvoirs, il crée les uns, modère les autres, dirige ainsi l’action politique, en la tempérant sans y participer. C’est de là que résulte son inviolabilité. Il faut donc lui laisser cette prérogative intacte et respectée. Il ne faut jamais lui contester le droit de choisir. Il ne faut pas que les assemblées s’arrogent le droit d’exclure, droit qui, exercé obstinément, implique à la fin celui de nommer. L’on ne m’accusera pas, je le pense, d’être trop favorable à l’autorité absolue. Mais je veux que la royauté soit investie de toute la force, entourée de toute la vénération qui lui sont nécessaires pour le salut du peuple et la dignité du trône. Que les délibérations des assemblées soient parfaitement libres ; que les secours de la presse affranchie de toute entrave, les encouragent et les éclairent ; que l’opposition jouisse des priviléges de la discussion la plus hardie : ne lui refusez aucune ressource constitutionnelle pour enlever au ministère sa majorité. Mais ne lui tracez pas un chemin dans lequel, s’il est une fois ouvert, elle se précipitera sans cesse. La déclaration que l’on propose, deviendra tour à tour une formule sans conséquence, ou une arme entre les mains des factions. J’ajouterai que, pour les ministres mêmes, il vaut mieux qu’ils soient quelquefois accusés, légèrement peut-être, que s’ils étaient exposés à chaque instant à une déclaration vague, contre laquelle il serait plus difficile de les garantir. C’est un grand argument dans la bouche des défenseurs d’un ministre, que ce simple mot : accusez-le. Je l’ai déjà dit et je le répète, la confiance dont un ministre jouit, ou la défiance qu’il inspire, se prouve par la majorité qui le soutient ou qui l’abandonne. C’est le moyen légal, c’est l’expression constitutionnelle. Il est superflu d’en chercher une autre.

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