Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 20

De Librairal
Révision datée du 3 décembre 2008 à 22:22 par Lexington (discussion | contributions) (Nouvelle page : {{Navigateur|Chapitre 19 : Des garanties judiciaires|Benjamin Constant  —  [[Benjamin Constant:Pr...)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche
Chapitre 19 : Des garanties judiciaires << Benjamin Constant  —  Principes de politique >>


Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 20


Anonyme


Chapitre 20 : Dernières considérations

Nos représentants aront à s'occuper de plusieurs des questions dont je viens de traiter dans cet ouvrage. Le gouvernement lui-même a pris soin d’annoncer, comme je l’ai dit en commençant, que la constitution pourra être améliorée. Il est à souhaiter qu’on y procède lentement, à loisir, sans impatience, et sans vouloir devancer le temps. Si cette constitution a des défauts, c’est une preuve que les hommes les mieux intentionnés ne prévoient pas toujours les conséquences de chaque article d’une constitution. La même chose pourrait arriver à ceux qui voudraient la refondre pour la corriger. Il est facile de rendre son habitation plus commode, lorsqu’on n’y fait que des changements partiels : ils sont d’autant plus doux qu’ils sont presque insensibles ; mais il est dangereux d’abattre son habitation pour la rebâtir, surtout lorsque en attendant, on n’a point d’asile. L'étranger nous contemple, il sait que nous sommes une nation forte. S'il nous voit profiter d’une constitution, fût-elle imparfaite, il verra que nous sommes une nation raisonnable, et notre raison sera pour lui plus imposante que notre force. L'étranger nous contemple, il sait qu’à notre tête marche le premier général du siècle. S’il nous voit ralliés autour de lui, il se croira vaincu d’avance : mais, divisés, nous périssons. On a beaucoup vanté la magnanimité de nos ennemis. Cette magnanimité ne les a pas empêchés de s’indemniser des frais de la guerre. Ils nous ont ravi la Belgique et le Rhin, qu’une possession longue et des traités solennels avaient identifiés avec la France. Vainqueurs aujourd'hui, leur magnanimité les porterait à s'indemniser de nouveau. Ils nous pendraient la Franche-Comté, la Lorraine et l'Alsace. Pourquoi les proclamations de Bruxelles seraient-elles mieux observées que les proclamations de Francfort ? L’empereur a donné de la sincérité de ses intentions le plus incontestable gage ; il a rassemblé autour de lui six cent vingt-neuf représentants de la nation, librement élus, et sur le choix desquels le gouvernement n’a pu exercer aucune influence. Au moment de cette réunion solennelle, il exerçait la dictature. S'il n'eût voulu que le despotisme, il pouvait essayer de la garder. Son intérêt s'y opposait, dira-t-on. Sans doute ; mais n’est-ce pas dire que son intérêt est d’accord avec la liberté ? Et n’est-ce pas une raison de confiance ? Il a le premier, depuis l'assemblée constituante, convoqué en entier une représentation toute nationale. Il a respecté, même avant que la constitution ne fût en vigueur, la liberté illimitée de la presse, dont les excès ne sont qu'un plus éclatant hommage à la fermeté de sa noble résolution. Il a restitué à une portion nombreuse du peuple le droit de choisir ses magistrats. C'est qu’aussitôt qu'il a vu le but, il a discerné la route. Il a mieux conçu qu'aucun homme, que lorsqu’on adopte un système, il faut l'adopter complétement ; que la liberté doit être entière ; qu’elle est la garantie, comme la limite du pouvoir ; et le sentiment de sa force l’a mis au-dessus de ces arrière-pensées, doubles et pusillanimes, qui séduisent les esprits étroits, et qui partagent les âmes faibles. Ce sont des faits, et ces faits expliquent notre conduite, à nous qui nous sommes ralliés au gouvernement actuel, dans ce moment de crise, à nous, qui, restés étrangers au maître de la terre, nous sommes rangés autour du fondateur d’une constitution libre et du défenseur de la patrie. Quand son arrivée retentit d'un bout de l'Europe à l’autre, nous voyions en lui le conquérant du monde, et nous désirions la liberté. Qui n'eût dit en effet qu'elle aurait meilleur marché de la timidité et de la faiblesse que d’une force immense et presque miraculeuse ? Je le crus, je l’avoue, et dans cet espoir, après être demeuré dix mois sans communication avec le gouvernement qui vient de tomber, après avoir été sans cesse en opposition avec ses mesures sur la liberté de la presse, sur la responsabilité des ministres, sur l’obéissance passive, je me rapprochai de ses alentours, lorsqu’il s’écroulait. Je leur répétais sans cesse que c’était la liberté qu’il fallait sauver, et qu’eux-mêmes ne pouvaient se sauver que par la liberté. Tel est désormais le sort de tous les gouvernements de la France. Mais ces paroles impuissantes effarouchaient des oreilles peu accoutumées à les entendre. Quelques mots de constitution furent prononcés ; mais pas une mesure nationale ne fut prise, pas une démarche franche ne vint rassurer l'opinion flottante. Tout était chaos, stupeur, confusion. C'était à qui désespérerait de la cause et l'annoncerait comme désespérée. C'est que la liberté, le vrai moyen de salut, leur était odieuse. Ce gouvernement s'est éloigné. Que devions-nous faire ? Suivre un parti qui n'était pas le nôtre, que nous avions combattu quand il avait l'apparence de la force, dont chaque intention, chaque pensée était l’opposé de nos opinions et de nos voeux, un parti que nous avions défendu durant quelques jours, seulement comme moyen, comme passage vers la liberté ? Mais désormais le but de tous nos efforts était manqué. Est-ce une monarchie constitutionnelle que nous pouvons attendre de l'étranger ? Non certes. C’est, ou le partage de la France, ou une administration dépendante, docile exécutrice des ordres qu’elle recevrait de lui. Quand Jacques Ii quitta l'Angleterre, les anglais déclarèrent que sa fuite était une abdication : c'est depuis cette époque qu’ils sont libres. Non. Je n'ai pas voulu me réunir à nos ennemis, et mendier le carnage des français pour relever une seconde fois ce qui retomberait de nouveau. S'efforcer de défendre un gouvernement qui s’abandonne lui-même, ce n’est pas promettre de s’expatrier avec lui : donner une preuve de dévouement à la faiblesse sans espoir et sans ressource, ce n’est pas abjurer le sol de ses pères : affronter des périls pour une cause qu’on espère rendre bonne après l’avoir sauvée, ce n’est pas se vouer à cette cause, quand, toute pervertie et toute changée, elle prend l’étranger pour auxiliaire et pour moyen le massacre et l’incendie. Ne pas fuir enfin, ce n'est pas être transfuge. Sans doute, en se rendant ce solennel témoignage, on éprouve encore des sentiments amers. L'on apprend, non sans étonnement et sans une peine que ne peut adoucir la nouveauté de la découverte, à quel point l'estime est un lourd fardeau pour les coeurs, et combien, quand on croit qu’un homme irréprochable a cessé de l’être, on est heureux de le condamner. L'avenir répondra ; car la liberté sortira de cet avenir, quelque orageux qu'il paraisse encore. Alors, après avoir, pendant vingt ans, réclamé les droits de l'espèce humaine, la sûreté des individus, la liberté de la pensée, la garantie des propriétés, l’abolition de tout arbitraire, j’oserai me féliciter de m' être réuni, avant la victoire, aux institutions qui consacrent tous ces droits. J'aurai accompli l'ouvrage de ma vie.

<< Benjamin Constant  —  Principes de politique >> {{{3}}}