Différences entre les versions de « Benoît Malbranque:Introduction à la méthodologie économique - La formation d’une orthodoxie »

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Ce penchant méthodologique ne fut pas moins sensible chez Destutt de Tracy. Naissant quarante ans après Condillac, il eut l’avantage de pouvoir se nourrir des travaux de James Steuart et d’Adam Smith. Se servant de leurs exemples, il approfondira le positionnement déductiviste de Condillac et « cultiva un traitement profondément déductif de l’économie » ainsi que l’affirmera Daniel Klein. <ref>Daniel Klein, « Deductive Economic Methodology in the French Enlightenment : Condillac and Destutt de Tracy », ''History of Political Economy'', 17:1, 1985, Duke University Press, p.54</ref>
Ce penchant méthodologique ne fut pas moins sensible chez Destutt de Tracy. Naissant quarante ans après Condillac, il eut l’avantage de pouvoir se nourrir des travaux de James Steuart et d’Adam Smith. Se servant de leurs exemples, il approfondira le positionnement déductiviste de Condillac et « cultiva un traitement profondément déductif de l’économie » ainsi que l’affirmera Daniel Klein. <ref>Daniel Klein, « Deductive Economic Methodology in the French Enlightenment : Condillac and Destutt de Tracy », ''History of Political Economy'', 17:1, 1985, Duke University Press, p.54</ref>


Tant Condillac que Destutt de Tracy insistèrent également sur le fait que tout corps de connaissance dérive nécessairement d’un nombre réduit de grands principes fondamentaux. <ref>Voir notamment Condillac, ''Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre'' (1776), in ''Œuvres philosophiques de Condillac'', 1947, p.248</ref> Ajoutons qu’ils eurent quelques difficultés à séparer l’économie pure et la philosophie politique — et même à comprendre la signification  et l’utilité de cette séparation — et nous en aurons terminé avec l’analyse de leur contribution. Parler de « préhistoire de la méthodologie » n’est pas un excès d’antipathie, tant leurs formulations sont parfois hasardeuses sur les questions méthodologiques. Bien que cela soit une découverte majeure, l’apriorisme, en particulier, reste pour eux une intuition.  
Tant Condillac que Destutt de Tracy insistèrent également sur le fait que tout corps de connaissance dérive nécessairement d’un nombre réduit de grands principes fondamentaux. <ref>Voir notamment Condillac, ''[[Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre|Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre]]'' (1776), in ''Œuvres philosophiques de Condillac'', 1947, p.248</ref> Ajoutons qu’ils eurent quelques difficultés à séparer l’économie pure et la philosophie politique — et même à comprendre la signification  et l’utilité de cette séparation — et nous en aurons terminé avec l’analyse de leur contribution. Parler de « préhistoire de la méthodologie » n’est pas un excès d’antipathie, tant leurs formulations sont parfois hasardeuses sur les questions méthodologiques. Bien que cela soit une découverte majeure, l’apriorisme, en particulier, reste pour eux une intuition.  


=== La confusion des Classiques ===
=== La confusion des Classiques ===
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Comme nous l’avons dit, l’exposé de la méthodologie économique par Jean-Baptiste Say, bien qu’il nous fournisse des pistes pour mener notre propre étude, resta encore très fragmentaire et pas du tout systématisé. Il eut tout de même le mérite de diriger ses nombreux disciples sur le bon chemin.
Comme nous l’avons dit, l’exposé de la méthodologie économique par Jean-Baptiste Say, bien qu’il nous fournisse des pistes pour mener notre propre étude, resta encore très fragmentaire et pas du tout systématisé. Il eut tout de même le mérite de diriger ses nombreux disciples sur le bon chemin.


Frédéric Bastiat fut l’un d’entre eux. Celui qu’on a surnommé le « joyeux libertarien » n’était pas un méthodologiste, et à peine un théoricien. <ref>La formule vient de G.C Roche, ''Frédéric Bastiat, A Man Alone'', Arlington House, 1971, p.231.</ref> Pourtant, si l’on en croit Mark Thorton, la méthode aprioriste et déductive fut suivie consciencieusement par Bastiat. <ref>Mark Thornton, « Frédéric Bastiat was an Austrian Economist, »,  ''Journal des Economistes et des Etudes Humaines'', 11, no. 2/3 (Juin/Septembre 2001), p.390</ref> Interprétant ses écrits du point de vue méthodologique, le même Thorton distinguera même une « leçon méthodologique » donnée par Bastiat : l’économiste doit se concentrer sur l’analyse théorique déductive (« ce que l’on ne voit pas ») et non sur l’histoire et les statistiques (« ce que l’on voit »). <ref>Cf. Frédéric Bastiat, ''Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas'', Ed. Romillat, 1990</ref>
Frédéric Bastiat fut l’un d’entre eux. Celui qu’on a surnommé le « joyeux libertarien » n’était pas un méthodologiste, et à peine un théoricien. <ref>La formule vient de G.C Roche, ''Frédéric Bastiat, A Man Alone'', Arlington House, 1971, p.231.</ref> Pourtant, si l’on en croit Mark Thorton, la méthode aprioriste et déductive fut suivie consciencieusement par Bastiat. <ref>Mark Thornton, « Frédéric Bastiat was an Austrian Economist, »,  ''Journal des Economistes et des Etudes Humaines'', 11, no. 2/3 (Juin/Septembre 2001), p.390</ref> Interprétant ses écrits du point de vue méthodologique, le même Thorton distinguera même une « leçon méthodologique » donnée par Bastiat : l’économiste doit se concentrer sur l’analyse théorique déductive (« ce que l’on ne voit pas ») et non sur l’histoire et les statistiques (« ce que l’on voit »). <ref>Cf. Frédéric Bastiat, ''[[Frédéric Bastiat:Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas|Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas]]'', Ed. Romillat, 1990</ref>


Bastiat fut aussi très critique face à ce que nous décrirons plus tard comme le « monisme » : cette idée que l’économie doit être considérée comme une science au même titre que la chimie ou que la physique, et adopter les mêmes usages. « L’économie politique n’a pas, comme la géométrie ou la physique, l’avantage de spéculer sur les objets qui se laissent peser ou mesurer ; et c’est là une de ses difficultés d’abord, et puis une perpétuelle cause d’erreurs ; car, lorsque l’esprit humain s’applique à un ordre de phénomènes, il est naturellement enclin à chercher un ''criterium'', une mesure commune à laquelle il puisse tout rapporter, afin de donner à la branche de connaissances dont il s’occupe le caractère d’une science exacte. Aussi nous voyons la plupart des auteurs chercher la fixité, les uns dans la valeur, les autres dans la monnaie, celui-ci dans le blé, celui-là dans le travail, c’est-à-dire dans la mobilité même. » <ref>Frédéric Bastiat, ''Œuvres Complètes'', Tome 6, pp.84-85</ref>
Bastiat fut aussi très critique face à ce que nous décrirons plus tard comme le « monisme » : cette idée que l’économie doit être considérée comme une science au même titre que la chimie ou que la physique, et adopter les mêmes usages. « L’économie politique n’a pas, comme la géométrie ou la physique, l’avantage de spéculer sur les objets qui se laissent peser ou mesurer ; et c’est là une de ses difficultés d’abord, et puis une perpétuelle cause d’erreurs ; car, lorsque l’esprit humain s’applique à un ordre de phénomènes, il est naturellement enclin à chercher un ''criterium'', une mesure commune à laquelle il puisse tout rapporter, afin de donner à la branche de connaissances dont il s’occupe le caractère d’une science exacte. Aussi nous voyons la plupart des auteurs chercher la fixité, les uns dans la valeur, les autres dans la monnaie, celui-ci dans le blé, celui-là dans le travail, c’est-à-dire dans la mobilité même. » <ref>Frédéric Bastiat, ''Œuvres Complètes'', Tome 6, pp.84-85</ref>
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