Différences entre les versions de « Benoît Malbranque:Introduction à la méthodologie économique - La formation d’une orthodoxie »

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Bien que la science économique ne soit pas de création récente, les questions méthodologiques et épistémologiques soutenant le développement théorique des économistes a longtemps été ignoré. Parce que les conséquences tant théoriques que pratiques semblaient plus difficiles à tirer en « économie politique » que dans les sciences naturelles, les premiers économistes ont très largement écarté les questions méthodologiques.  
Bien que la science économique ne soit pas de création récente, les questions méthodologiques et épistémologiques soutenant le développement théorique des économistes a longtemps été ignoré. Parce que les conséquences tant théoriques que pratiques semblaient plus difficiles à tirer en « économie politique » que dans les sciences naturelles, les premiers économistes ont très largement écarté les questions méthodologiques.  


Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ils utilisèrent généralement un empirisme dilué dans des raisonnements déductifs abstraits, une « méthode » systématiquement postulée mais jamais exposée ni défendue de manière critique. Difficile d’en accuser les économistes des périodes précédentes. Il est peu surprenant qu’une science à peine sortie du berceau n’ait pas encore su prendre conscience d’elle-même. Comme le notera John Stuart Mill, l’un des premiers à poser les bases d’une méthodologie économique, le règlement de ces questions « a presque toujours suivi et non précédé la création de la science elle-même. De la même façon, le mur entourant une ville a souvent été érigé non pas pour abriter des édifices qui pourraient être construits par la suite, mais pour circonscrire une réalité déjà existante. » [1]
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ils utilisèrent généralement un empirisme dilué dans des raisonnements déductifs abstraits, une « méthode » systématiquement postulée mais jamais exposée ni défendue de manière critique. Difficile d’en accuser les économistes des périodes précédentes. Il est peu surprenant qu’une science à peine sortie du berceau n’ait pas encore su prendre conscience d’elle-même. Comme le notera John Stuart Mill, l’un des premiers à poser les bases d’une méthodologie économique, le règlement de ces questions « a presque toujours suivi et non précédé la création de la science elle-même. De la même façon, le mur entourant une ville a souvent été érigé non pas pour abriter des édifices qui pourraient être construits par la suite, mais pour circonscrire une réalité déjà existante. » <ref>John Stuart Mill, « On the definition of Political Economy and on the Method of Investigation Proper to It », in ''Essays on some unsettled questions of Political Economy'' (1844), ''Collected Works'', Vol. 3, ''Essays on Economics and Society'', p.310. Non sans un certain bon sens, Joseph A. Schumpeter a résumé cet argument en disant que « dans la recherche comme ailleurs, nous agissons d’abord puis nous réfléchissons. » (J.A. Schumpeter, ''History of Economic Analysis'' (1954), Routledge, 1981 p.509)</ref>


A ce manque patent d’infrastructure méthodologique ou épistémologique, d’autres raisons ont parfois été avancées. Afin de répondre à cette question de savoir pourquoi l’économie tarda autant à avoir une méthode précise ou une définition spécifique sur son rôle et l’objet de ses recherches, l’économiste Wilhelm Hasbach fit valoir par exemple qu’elle avait pris naissance d’un « agrégat de sciences » : relevant à la fois de la science politique, de la morale, et de la philosophie, l’économie politique avait selon lui des origines si diverses que cela rendait une méthodologie strictement économique très difficile à obtenir. [2] Israel Kizner défendra la même position, et nous pouvons admettre qu’elle est juste à de nombreux points de vue. Bien qu’il faille reconnaître que l’absence de méthodologie économique spécifique jusqu’au début du XIXe siècle résulte d’une pluralité de causes, cette configuration particulière de la science économique a freiné son éclosion d’une manière qu’il serait difficile de sous-estimer.
A ce manque patent d’infrastructure méthodologique ou épistémologique, d’autres raisons ont parfois été avancées. Afin de répondre à cette question de savoir pourquoi l’économie tarda autant à avoir une méthode précise ou une définition spécifique sur son rôle et l’objet de ses recherches, l’économiste Wilhelm Hasbach fit valoir par exemple qu’elle avait pris naissance d’un « agrégat de sciences » : relevant à la fois de la science politique, de la morale, et de la philosophie, l’économie politique avait selon lui des origines si diverses que cela rendait une méthodologie strictement économique très difficile à obtenir. <ref>Wilhelm Hasbach, « Über eine andere Gestaltung des Studiums der Wirtschaft-swissenschaften », ''Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich'', 11, 1887, p.587</ref> Israel Kizner défendra la même position, et nous pouvons admettre qu’elle est juste à de nombreux points de vue. Bien qu’il faille reconnaître que l’absence de méthodologie économique spécifique jusqu’au début du XIXe siècle résulte d’une pluralité de causes, cette configuration particulière de la science économique a freiné son éclosion d’une manière qu’il serait difficile de sous-estimer.


== NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT ==
== NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT ==
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C’est dans l’Ecole française d’économie que nous trouvons les traces d’une « préhistoire » de la méthodologie économique, et c’est cette même école qui fournira plus tard le premier écrit de cette discipline. Au milieu du XVIIIe siècle, Destutt de Tracy et Etienne Bonnot de Condillac mirent en application de manière consciente la méthodologie déductive et aprioriste qui resta l’orthodoxie jusqu’au milieu du XXe siècle.  
C’est dans l’Ecole française d’économie que nous trouvons les traces d’une « préhistoire » de la méthodologie économique, et c’est cette même école qui fournira plus tard le premier écrit de cette discipline. Au milieu du XVIIIe siècle, Destutt de Tracy et Etienne Bonnot de Condillac mirent en application de manière consciente la méthodologie déductive et aprioriste qui resta l’orthodoxie jusqu’au milieu du XXe siècle.  


La déduction est la méthode qui consiste à partir de prémisses données et d’en faire découler des conclusions logiques. L’induction, à l’inverse, est la méthode qui consiste à produire des généralisations à partir de données spécifiques. Afin d’expliquer pourquoi ce fut en France que la méthodologie déductive en économie prit véritablement naissance, nous pouvons citer Dow, qui explique que la méthode aprioriste et déductive se rattache à un mode de raisonnement d’abord et avant tout cartésien. [3] Alliée au haut niveau de développement qu’avait l’économie politique en France à cette époque, cette disposition intellectuelle a certainement avantagé les économistes français, en comparaison des autres, pour initier cette discipline et son orthodoxie.
La déduction est la méthode qui consiste à partir de prémisses données et d’en faire découler des conclusions logiques. L’induction, à l’inverse, est la méthode qui consiste à produire des généralisations à partir de données spécifiques. Afin d’expliquer pourquoi ce fut en France que la méthodologie déductive en économie prit véritablement naissance, nous pouvons citer Dow, qui explique que la méthode aprioriste et déductive se rattache à un mode de raisonnement d’abord et avant tout cartésien. <ref>S. Dow, ''The Methodology of Macroeconomic Thought : A conceptual Analysis of Schools of Thought in Economics'', Edward Elgar, 1996, pp.10-13</ref> Alliée au haut niveau de développement qu’avait l’économie politique en France à cette époque, cette disposition intellectuelle a certainement avantagé les économistes français, en comparaison des autres, pour initier cette discipline et son orthodoxie.


Ils furent fondateurs, initiateurs, mais l’impulsion qu’ils donnèrent fut loin d’être insignifiante. Leur engagement pour la méthodologie déductive était sincère et profond. Selon les mots d’un historien de la pensée économique, les travaux de Condillac, notamment, fournissent « l’un des plus purs exemples de déduction dans la science sociale ». [4]
Ils furent fondateurs, initiateurs, mais l’impulsion qu’ils donnèrent fut loin d’être insignifiante. Leur engagement pour la méthodologie déductive était sincère et profond. Selon les mots d’un historien de la pensée économique, les travaux de Condillac, notamment, fournissent « l’un des plus purs exemples de déduction dans la science sociale ». <ref>Hector Denis, ''Histoire des systèmes économiques et socialistes'', 1904, p.153</ref>


Ce penchant méthodologique ne fut pas moins sensible chez Destutt de Tracy. Naissant quarante ans après Condillac, il eut l’avantage de pouvoir se nourrir des travaux de James Steuart et d’Adam Smith. Se servant de leurs exemples, il approfondira le positionnement déductiviste de Condillac et « cultiva un traitement profondément déductif de l’économie » ainsi que l’affirmera Daniel Klein. [5]
Ce penchant méthodologique ne fut pas moins sensible chez Destutt de Tracy. Naissant quarante ans après Condillac, il eut l’avantage de pouvoir se nourrir des travaux de James Steuart et d’Adam Smith. Se servant de leurs exemples, il approfondira le positionnement déductiviste de Condillac et « cultiva un traitement profondément déductif de l’économie » ainsi que l’affirmera Daniel Klein. <ref>Daniel Klein, « Deductive Economic Methodology in the French Enlightenment : Condillac and Destutt de Tracy », ''History of Political Economy'', 17:1, 1985, Duke University Press, p.54</ref>


Tant Condillac que Destutt de Tracy insistèrent également sur le fait que tout corps de connaissance dérive nécessairement d’un nombre réduit de grands principes fondamentaux. [6] Ajoutons qu’ils eurent quelques difficultés à séparer l’économie pure et la philosophie politique — et même à comprendre la signification  et l’utilité de cette séparation — et nous en aurons terminé avec l’analyse de leur contribution. Parler de « préhistoire de la méthodologie » n’est pas un excès d’antipathie, tant leurs formulations sont parfois hasardeuses sur les questions méthodologiques. Bien que cela soit une découverte majeure, l’apriorisme, en particulier, reste pour eux une intuition.  
Tant Condillac que Destutt de Tracy insistèrent également sur le fait que tout corps de connaissance dérive nécessairement d’un nombre réduit de grands principes fondamentaux. <ref>Voir notamment Condillac, ''Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre'' (1776), in ''Œuvres philosophiques de Condillac'', 1947, p.248</ref> Ajoutons qu’ils eurent quelques difficultés à séparer l’économie pure et la philosophie politique — et même à comprendre la signification  et l’utilité de cette séparation — et nous en aurons terminé avec l’analyse de leur contribution. Parler de « préhistoire de la méthodologie » n’est pas un excès d’antipathie, tant leurs formulations sont parfois hasardeuses sur les questions méthodologiques. Bien que cela soit une découverte majeure, l’apriorisme, en particulier, reste pour eux une intuition.  


=== La confusion des Classiques ===
=== La confusion des Classiques ===
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La confusion entre les méthodes et même entre les théories fut la norme avant le XIXe siècle, et les deux auteurs cités précédemment doivent être appréciés dans cette perspective.  
La confusion entre les méthodes et même entre les théories fut la norme avant le XIXe siècle, et les deux auteurs cités précédemment doivent être appréciés dans cette perspective.  


Cette confusion était générale, mais nulle part n’était-elle plus palpable que chez James Steuart. Prédécesseur d’Adam Smith, cet économiste écossais n’a jamais reçu les éloges que méritaient ses développements économiques, ni le blâme que méritait sa confusion méthodologique. Son ''Inquiry into the Principles of Political Economy'' (1767) est rempli de digressions historiques — et de chapitres purement historiques, notamment sur les questions monétaires — qui rendent l’ouvrage très inégal et empêchent de considérer positivement son inclinaison méthodologique. Même si le foisonnement d’idées peut être considéré comme une marque de génie, il est vrai que dans ce curieux mélange, il reste souvent « vraiment difficile de séparer la paille du grain ou même dans certains cas d’être tout à fait sûr qu’il y a du grain », selon l’habile formule de Joseph Schumpeter. [7]
Cette confusion était générale, mais nulle part n’était-elle plus palpable que chez James Steuart. Prédécesseur d’Adam Smith, cet économiste écossais n’a jamais reçu les éloges que méritaient ses développements économiques, ni le blâme que méritait sa confusion méthodologique. Son ''Inquiry into the Principles of Political Economy'' (1767) est rempli de digressions historiques — et de chapitres purement historiques, notamment sur les questions monétaires — qui rendent l’ouvrage très inégal et empêchent de considérer positivement son inclinaison méthodologique. Même si le foisonnement d’idées peut être considéré comme une marque de génie, il est vrai que dans ce curieux mélange, il reste souvent « vraiment difficile de séparer la paille du grain ou même dans certains cas d’être tout à fait sûr qu’il y a du grain », selon l’habile formule de Joseph Schumpeter. <ref>J.A. Schumpeter, ''History of Economic Analysis'' (1954), Routledge, 1981 p.172</ref>


Les économistes Classiques [8] des première et seconde générations, de Smith à MacCulloch en passant par Ricardo et Malthus, n’ont prêté à peu près aucune attention à ces questions méthodologiques. Ils utilisèrent la statistique et les digressions historiques mais sans expliquer la pertinence de leur utilisation ni les défendre contre les critiques habituelles formulées à leur égard. De la même façon, et bien que leurs écrits restèrent très littéraires, ils ne rejetèrent jamais l’usage des méthodes calculatoires sur la base de raisonnements méthodologiques. Comme le notera Mark Blaug avec justesse, « on ne peut pas dire qu’Adam Smith, David Ricardo et Thomas Malthus n’aient pas eu de principes méthodologiques, mais jamais ils ne virent la nécessité de les poser explicitement, les considérant sans doute trop évidents pour mériter d’être défendus. » [9] Eurent-ils essayé de le faire qu’ils auraient très certainement perçu le mélange méthodologique qu’ils réalisaient.
Les économistes Classiques <ref>Le vocable « économistes classiques » fut introduit par Karl Marx dans ''Le Capital'' pour qualifier David Ricardo et ''ses prédécesseurs'' depuis William Petty. John Maynard Keynes l’utilisa plus tard en incorporant tous les économistes qui, de Ricardo à Pigou, ne rejetaient pas la Loi de Say. Joseph A. Schumpeter, enfin l’employa pour rassembler les économistes qui publièrent leurs travaux entre 1798 (l’''Essai sur le principe de Population'' de Malthus) et 1871 (les ''Principes d’économie'' de Menger). Nous reprendrons ici une définition plus traditionnelle du mot, en incorporant sous ce vocable ''tous les économistes qui publièrent avant 1871 et tâchèrent d’approfondir les théories d’Adam Smith''. Cela comprend donc notamment Ricardo, Malthus, Mill, Bentham, MacCulloch, Cairnes, et même le plus original Jean-Baptiste Say. Karl Marx, Stanley Jevons, Léon Walras, Augustin Cournot : tels sont quelques exemples de ceux qui n’y figurent pas.</ref> des première et seconde générations, de Smith à MacCulloch en passant par Ricardo et Malthus, n’ont prêté à peu près aucune attention à ces questions méthodologiques. Ils utilisèrent la statistique et les digressions historiques mais sans expliquer la pertinence de leur utilisation ni les défendre contre les critiques habituelles formulées à leur égard. De la même façon, et bien que leurs écrits restèrent très littéraires, ils ne rejetèrent jamais l’usage des méthodes calculatoires sur la base de raisonnements méthodologiques. Comme le notera Mark Blaug avec justesse, « on ne peut pas dire qu’Adam Smith, David Ricardo et Thomas Malthus n’aient pas eu de principes méthodologiques, mais jamais ils ne virent la nécessité de les poser explicitement, les considérant sans doute trop évidents pour mériter d’être défendus. » <ref>Mark Blaug, ''The Methodology of Economics'', Cambridge University Press, 1993, p.52 </ref> Eurent-ils essayé de le faire qu’ils auraient très certainement perçu le mélange méthodologique qu’ils réalisaient.


=== Adam Smith ===
=== Adam Smith ===
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Adam Smith reste l’économiste le plus célébré de l’histoire de la pensée économique. Nous n’avons pas à nous intéresser ici aux méthodes qu’il employa en philosophie morale et dans sa ''Théorie des sentiments moraux'', mais uniquement à celle — ou plutôt, celles — dont il fit usage dans ses fameuses ''Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations'' parues en 1776.
Adam Smith reste l’économiste le plus célébré de l’histoire de la pensée économique. Nous n’avons pas à nous intéresser ici aux méthodes qu’il employa en philosophie morale et dans sa ''Théorie des sentiments moraux'', mais uniquement à celle — ou plutôt, celles — dont il fit usage dans ses fameuses ''Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations'' parues en 1776.


Il n’est pas rare qu’un ouvrage économique soit de qualité inégale, mais la Richesse des Nations d’Adam Smith l’est pour une raison tout à fait particulière. Les théories y sont confusément mélangées, les digressions historiques contrastent avec les développements abstraits, et le corps d’ensemble peine à être distingué — nous trouvons par exemple plusieurs théories de la valeur. Dans le cours de ses raisonnements, Smith employait une méthode parfois empirique, parfois déductive, parfois purement historique, et cela sans en défendre scientifiquement aucune. « La méthodologie d’Adam Smith était éclectique, dira Thomas Sowell. Les éléments empiriques, théoriques, institutionnels, philosophiques, statiques, et dynamiques étaient tous entremêlés. » [10]
Il n’est pas rare qu’un ouvrage économique soit de qualité inégale, mais la Richesse des Nations d’Adam Smith l’est pour une raison tout à fait particulière. Les théories y sont confusément mélangées, les digressions historiques contrastent avec les développements abstraits, et le corps d’ensemble peine à être distingué — nous trouvons par exemple plusieurs théories de la valeur. Dans le cours de ses raisonnements, Smith employait une méthode parfois empirique, parfois déductive, parfois purement historique, et cela sans en défendre scientifiquement aucune. « La méthodologie d’Adam Smith était éclectique, dira Thomas Sowell. Les éléments empiriques, théoriques, institutionnels, philosophiques, statiques, et dynamiques étaient tous entremêlés. » <ref>Thomas Sowell, ''Classical Economics Reconsidered'', Princeton University Press, 1994, pp.112-113 Remarquant bien cet usage de la déduction et de l’induction dans le même ouvrage, et à l’intérieur même de raisonnements particuliers, Marx commentera de la même façon : « Chez Smith les deux méthodes d’étude ne font pas que marcher l’une à côté de l’autre, mais s’entremêlent et se contredisent constamment. » (Karl Marx, ''Theories of Surplus Value: Part II'', Lawrence & Wishart, 1969, p.165)</ref>


Cette confusion méthodologique eut des conséquences majeures, étant donnée l’influence qu’Adam Smith devait avoir par la suite sur toute une génération d’économistes. Il avait utilisé la méthode déductive, et certains comme Jean-Baptiste Say la défendirent. Il avait également utilisé l’induction et la recherche historique, et eut d’autres disciples qui avancèrent dans ce sens — Malthus est à ranger parmi ceux-là. [11] Enfin, certains de ses disciples continuèrent dans ce dualisme et cette confusion, comme le plus célèbre d’entre eux, David Ricardo.  
Cette confusion méthodologique eut des conséquences majeures, étant donnée l’influence qu’Adam Smith devait avoir par la suite sur toute une génération d’économistes. Il avait utilisé la méthode déductive, et certains comme Jean-Baptiste Say la défendirent. Il avait également utilisé l’induction et la recherche historique, et eut d’autres disciples qui avancèrent dans ce sens — Malthus est à ranger parmi ceux-là. [11] Enfin, certains de ses disciples continuèrent dans ce dualisme et cette confusion, comme le plus célèbre d’entre eux, David Ricardo.  
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== NOTES ==
== NOTES ==


[1] John Stuart Mill, « On the definition of Political Economy and on the Method of Investigation Proper to It », in ''Essays on some unsettled questions of Political Economy'' (1844), ''Collected Works'', Vol. 3, ''Essays on Economics and Society'', p.310. Non sans un certain bon sens, Joseph A. Schumpeter a résumé cet argument en disant que « dans la recherche comme ailleurs, nous agissons d’abord puis nous réfléchissons. » (J.A. Schumpeter, ''History of Economic Analysis'' (1954), Routledge, 1981 p.509)
<references />
 
[2] Wilhelm Hasbach, « Über eine andere Gestaltung des Studiums der Wirtschaft-swissenschaften », ''Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich'', 11, 1887, p.587
 
[3] S. Dow, ''The Methodology of Macroeconomic Thought : A conceptual Analysis of Schools of Thought in Economics'', Edward Elgar, 1996, pp.10-13
[4] Hector Denis, ''Histoire des systèmes économiques et socialistes'', 1904, p.153
 
[5] Daniel Klein, « Deductive Economic Methodology in the French Enlightenment : Condillac and Destutt de Tracy », ''History of Political Economy'', 17:1, 1985, Duke University Press, p.54
 
[6] Voir notamment Condillac, ''Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre'' (1776), in ''Œuvres philosophiques de Condillac'', 1947, p.248
 
[7] J.A. Schumpeter, ''History of Economic Analysis'' (1954), Routledge, 1981 p.172
 
[8] Le vocable « économistes classiques » fut introduit par Karl Marx dans ''Le Capital'' pour qualifier David Ricardo et ''ses prédécesseurs'' depuis William Petty. John Maynard Keynes l’utilisa plus tard en incorporant tous les économistes qui, de Ricardo à Pigou, ne rejetaient pas la Loi de Say. Joseph A. Schumpeter, enfin l’employa pour rassembler les économistes qui publièrent leurs travaux entre 1798 (l’''Essai sur le principe de Population'' de Malthus) et 1871 (les ''Principes d’économie'' de Menger). Nous reprendrons ici une définition plus traditionnelle du mot, en incorporant sous ce vocable ''tous les économistes qui publièrent avant 1871 et tâchèrent d’approfondir les théories d’Adam Smith''. Cela comprend donc notamment Ricardo, Malthus, Mill, Bentham, MacCulloch, Cairnes, et même le plus original Jean-Baptiste Say. Karl Marx, Stanley Jevons, Léon Walras, Augustin Cournot : tels sont quelques exemples de ceux qui n’y figurent pas.
 
[9] Mark Blaug, ''The Methodology of Economics'', Cambridge University Press, 1993, p.52
 
[10] Thomas Sowell, ''Classical Economics Reconsidered'', Princeton University Press, 1994, pp.112-113 Remarquant bien cet usage de la déduction et de l’induction dans le même ouvrage, et à l’intérieur même de raisonnements particuliers, Marx commentera de la même façon : « Chez Smith les deux méthodes d’étude ne font pas que marcher l’une à côté de l’autre, mais s’entremêlent et se contredisent constamment. » (Karl Marx, ''Theories of Surplus Value: Part II'', Lawrence & Wishart, 1969, p.165)


[11] Cliff Leslie, « The Political Economy of Adam Smith », reprinted in ''Essays in Political and Moral Philosophy'', Hodges, Foster, & Figgis, 1879, p.151
[11] Cliff Leslie, « The Political Economy of Adam Smith », reprinted in ''Essays in Political and Moral Philosophy'', Hodges, Foster, & Figgis, 1879, p.151
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