Différences entre les versions de « Collectif:Aux sources du modèle libéral français - La difficile émergence d'une économie libérale »

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Mme de Staël est sans doute pour beaucoup dans la naissance de ce mot, elle l'emploie pour la première fois en 1807 dans un livre qui est le manifeste féministe par excellence, Corinne : " Les Florentins, qui ont possédé la liberté ou des princes d'un caractère libéral…", mais là l'usage du mot est encore ambigu, à cheval à la fois sur la définition traditionnelle, " sont éclairés et doux ", et le sens nouveau. En fait, il faut bien distinguer le domaine littéraire, qui est très souvent un simple haut parleur, et d'autre part le phénomène politique, qui, ici, est privilégié. Prenez donc le Manifeste de Bonaparte du 15 Brumaire, et vous verrez qu'il contient le mot " les idées libérales ", le " libéralisme ", etc. Ce qui ne fait que reprendre une tendance de la fin du Directoire, où en effet le mot libéral prend un sens à la fois politique et économique.
Mme de Staël est sans doute pour beaucoup dans la naissance de ce mot, elle l'emploie pour la première fois en 1807 dans un livre qui est le manifeste féministe par excellence, Corinne : " Les Florentins, qui ont possédé la liberté ou des princes d'un caractère libéral…", mais là l'usage du mot est encore ambigu, à cheval à la fois sur la définition traditionnelle, " sont éclairés et doux ", et le sens nouveau. En fait, il faut bien distinguer le domaine littéraire, qui est très souvent un simple haut parleur, et d'autre part le phénomène politique, qui, ici, est privilégié. Prenez donc le Manifeste de Bonaparte du 15 Brumaire, et vous verrez qu'il contient le mot " les idées libérales ", le " libéralisme ", etc. Ce qui ne fait que reprendre une tendance de la fin du Directoire, où en effet le mot libéral prend un sens à la fois politique et économique.
On pourrait longuement développer tout cela, venons en au fait : que puis-je vous offrir ce soir ? Vous refaire l'histoire des idées, point n'est besoin ; je pense que les livres de poche, les grands traités abondent en ce domaine ; ils sont souvent très récents, ils sont excellents pour résumer le passage du mercantilisme à la physiocratie, la physiocratie avec ses orthodoxes comme Dupont de Nemours, face aux hétérodoxes, qui sont déjà des semi-libéraux, comme par exemple notre cher Turgot, qui est en réalité un dissident de la secte ( car il faut bien se rendre compte que la physiocratie est une secte, avec tout ce que cela comporte de vénération du maître, j'allais dire gourou, qui était le propre médecin de Louis XIV, sur lequel il y aurait beaucoup à dire car c'est un curieux bonhomme ) Et le passage aux idées libérales qui finissent par l'emporter un petit peu timidement pour aboutir au traité de libre-échange de 1786 entre la France et l'Angleterre.
Je voudrais tracer un jour la chronologie parallèle de l'idéologie, des idéologies qui se succèdent, et de la réalité du pouvoir, de l'action du pouvoir, ce qui me semble plus original.
Comment fonctionne le pouvoir de l'Ancien Régime ? On voit le Roi, on voit les ministres, mais on ne voit jamais ce qu'il y a derrière. Les études récentes, en particulier allemandes, et anglaises, auxquelles je me suis joint, font apparaître un phénomène extrêmement curieux, à savoir que, pratiquement, le nombre des décideurs est très restreint (cela on le savait ), mais est à peu prés en nombre égal en Prusse, en Angleterre et en France. Et comment cela fonctionne-t-il ? C'est essentiellement grâce aux correspondances des premiers commis que je pense pouvoir tracer une première ébauche de la prise de décision à la fin du règne de Louis XIV pour l'opposer ensuite aux prises de décisions commerciales. Cette prise de décision est le fait d'un nombre très restreint de gens ; une minorité de gens, mais une minorité influente, prend les 9110emes des décisions. Vous connaissez les habitudes administratives françaises d'Ancien Régime, qui d'ailleurs étaient remarquable à cet égard, peut-être à cet égard seulement, d'efficacité. La page est divisée en deux : les propositions des bureaux, c'est à dire des premiers commis à droite, et les annotations marginales à gauche, soit de la plume du ministre, du secrétaire d'État ou du Chancelier, soit du Roi en personne, avec une correspondance souvent très directe du roi avec les premiers commis, court-circuitant les ministres.
Nous avons donc une prise de décision complexe, comment fonctionne-t-elle en matière commerciale ? File a été mise au point par Colbert et par son entourage, et fonctionne de la manière suivante : pratiquement aucune décision concernant le commerce et l'industrie, au sens actuel du terme, n'est prise sans une enquête. Les grandes enquêtes de l'Ancien Régime surabondent, et je dois dire qu'au niveau historique, nous autres historiens nous les avons trop peu exploitées. On forme un projet ; le premier commis l'envoie à tous les intendants, qui les envoie en règle générale à ce que nous appelons son chef de cabinet, qui les répercute aux instances intéressées, c'est à dire aux gens de commerce ou aux grands négociants. Ceux-ci annotent les textes, disent leurs refus, disent leurs propositions, et tout cela remonte la filière. C'est donc une prise de position lente, compliquée, qui se retrouve dans à peu près tous les domaines. C'est là un des aspects les plus ignorés d'un régime qui fonctionnait beaucoup plus démocratiquement qu'on ne le suppose, en particulier avec le conseil du commerce, dont un historien américain récent pouvait dire que c'était somme doute le régime le plus démocratique de l'Europe d'Ancien Régime, l'Angleterre étant bien entendue exceptée. Ce qui fait que les réticences, les volte-face du pouvoir en matière de décision politique sont très souvent le reflet ( et parfois mot à mot ), des hésitations du commerce lui-même. Il faut donc mettre en parallèle les variations du pouvoir politique, avec les variations de l'opinion négociante, puisque c'est elle, qui, en fin de compte, l'emporte.
Les variations de l'opinion commerçante, si nous partons d'une période de crise militaire, de la guerre de Trente Ans, dans les années 1640, on peut en gros distinguer deux groupes de négociants les négociants portuaires ( en tête les Nantais, beaucoup moins les Bordelais, qui sont en retrait ) demandent une mesure de protectionnisme à outrance face aux Hollandais. Et le grand rapport adressé au Conseil Royal en 1640 par les Nantais contient quelques descriptions à vrai dire assez croquignolettes de l'affaire. En face, il y a le lobby des marchands merciers de Paris, qui sont des puissances, et des grands négociants lyonnais, qui sont en partie d'origine italienne, et d'autre part des grands négociants de la région de Troyes et un peu moins de la région de Reims. Ce qui nous donne un autre paradoxe : le mercantilisme colbertien est issu d'un milieu qui est à l'exacte opposé des opinions de Colbert ; entre parenthèses, Colbert a fait son éducation pratique chez un notaire, qui est un parent de Chapelain, et d'autre part chez un des grands financiers de l'époque de Richelieu. Colbert a arbitré la situation pour aboutir finalement à un mercantilisme dont je me demande si c'est un vrai mercantilisme. En tous cas, j'ai toujours eu l'impression que Colbert (qui n'était pas très intelligent, et très peu porté vers les choses abstraites, disons le brutalement ) avait plaqué ce qu'il avait compris des théories mercantilistes sur des mesures toutes opportunistes. En particulier les idées concernant les corporations sont purement et simplement des édits bursaux, destinés à faire rentrer le plus d'argent possible dans les caisses de l'Etat et qui, finalement contredisent les principes mêmes de la politique colbertienne. Or, cette situation va évoluer et aboutir à des crises de conscience et des prises de position totalement contradictoires avec ce que je viens de vous décrire : le milieu négociant atlantique va de plus en plus évoluer vers précisément l'ouverture vers l'extérieur.
Dans les années 1690, Descazeaux-Du Hallay, grand négociant nantais, dans son très remarquable mémoire au Conseil du Commerce de 1702, dit très clairement pourquoi. La raison est très simple : nos négociants, ont, par la guerre de course, pendant la Ligue d'Augsbourg, et surtout grâce aux énormes bénéfices réalisés dans le commerce des mers du Sud aux temps de la Guerre de Succession d'Espagne, mesuré l'exacte importance de l'économie mondiale. C'est à peu près en ces termes que s'exprime Descazeaux Du Hallay, qui est un basque. Le capital basque, tant espagnol que français, a joué un certain rôle dans le développement commercial nantais et bordelais. Par conséquent nous avons à partir des années 1690 la formation d'une première grande strate de négociants d'envergure internationale dans lequel l'étranger représente à peu près 10 % des négociants, et à peu près 15 % du capital ; ce sont essentiellement des Irlandais, des Anglais jacobites, ou des Allemands du Nord, en particulier des villes hanséates. Ce qui nous explique que les Huguenots vont se réfugier très souvent dans les villes hanséates où certains banquiers hambourgeois sont encore des descendants des ces huguenots. En face de ce groupe, le pouvoir ne sait pas trop quoi faire, puisque cette opposition est devenue une opposition libérale-commerciale, qui a tendance à se répercuter sur le plan politique, dans une critique de plus en plus virulente du pouvoir du gouvernement de la monarchie absolue, et l'on voit Boisguillebert et Vauban annoncer le libéralisme économique. Donc vous voyez, renversement des fronts ; c'est le pouvoir qui désormais se rigidifie, alors que le commerce, lui, se développe.
Intervient un troisième élément au début du XVIIIeme siècle, dont on peut souligner la puissance, ce sont les grands planteurs des Antilles. Ils ont fort mauvaise réputation, à cause de l'esclavage, et il n'est nullement dans mes intentions de défendre ici l'esclavage, bien entendu. Je tiens seulement à souligner que ce milieu de grands planteurs, très lié à la cour, est composé souvent de gens très évolués politiquement, souhaitant l'indépendance, la semi-indépendance ou l'autonomie des colonies, et pratiquant une ouverture massive vers la Hollande, et l'Angleterre, contraire à toute la théorie de l'exclusivisme sur lequel repose aussi bien le commerce colonial anglais que le commerce colonial français. Ce qui m'amène à dire que l'exutoire pratique qui a permis la machine de ne pas sauter ( ceci est une hypothèse ), c'est l'intensité, l'énormité de la contrebande ; contrebande aux colonies, contrebande entre la France et l'Angleterre, contrebande terrestre, qui est tout simplement le moyen de tourner les réglementations. C'est le même phénomène que les effets de la grande gabelle sur les bandes de Mandrins, etc., etc.. Tout cela suscite évidemment le mouvement politique, et le mouvement de réflexion politico-économique, et c'est ainsi qu'apparaissent finalement à partir des années 1740, les idées qui vont aboutir à un code de doctrines relativement anti-mercantilistes, anti-commercial, qui aboutit avec Quesnay à la mise en place de la physiocratie. Ceci constitue une première étape relative de libération de souhait, de libération efficace avec Silhouette, qui est le premier contrôleur général (1759) à avoir supprimé tes corvées, le premier à avoir pensé à supprimer les corporations, et évidemment, le mouvement lié à Turgot.
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