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==La politique libérale des années 1860==
==La politique libérale des années 1860==


Cette politique libérale qui est portée par Michel Chevalier comporte certains éléments fondamentaux dont le plus important est bien évidemment le libre-échange. Ce libre-échange n'a pas été limité aux années 1860 ; il a été soutenu par des industriels, pas seulement par des négociants et s'est prolongé dans les années 70. Ces libéraux des années 70, peu connus, ont joué un rôle extrêmement considérable dans les Parlements de l'époque ; ils ont empêché les protectionnistes animés par Thiers d'aller dès cette époque jusqu'au bout des décisions protectionnistes. Grâce à Léon Say nous connaissons assez bien ce milieu. Il y avait une réunion des députés partisans de la liberté commerciale qui a été établie en avril 71, dont le président était Léon Say, et qui comprenait 182 députés en 1872. Léon Say était le fils d'Horace Say, petit-fils de Jean-Baptiste Say. L'ambiguïté de sa situation c'est qu'il a fait sa carrière dans les affaires à la Compagnie du Chemin de fer du Nord. Il a été le grand financier de la compagnie dans les années 1860. Il était donc très proche des Rothschild et était donc complice de ce monopole des chemins de fer. Il a créé cette réunion des députés partisans de la liberté commerciale, 182 députés, ce qui fait le tiers de l'Assemblée. Ce sont essentiellement des gens du centre gauche, mais il y avait beaucoup de gens d'autres partis et même des gens du courant de Gambetta, qui étaient libre-échangistes. Gambetta lui-même affichait des positions extrêmement libre-échangistes. Donc il y avait un lobby protectionniste, mais il y avait un courant libre-échangiste, en particulier soutenu par Germain qui dirigeait le Crédit Lyonnais, qui a réussi à freiner les élans protectionnistes de cette chambre et à modérer d'une certaine façon -par la suite ce courant libéral a toujours survécu au Parlement -, le courant protectionniste des années 80. Je rappelle que la France, dans les années 80 est sensiblement moins protectionniste de l'Allemagne, et que son protectionnisme est relativement modéré dans sa nature et n'a rien a voir avec le protectionnisme américain, russe ou espagnol de l'époque.
La grande affaire des années 60 c'est la loi sur les sociétés anonymes, qui doit être considérée comme l'élément explicatif car dans les années 70 il y a eu une grande activité économique, après il y a eu la crise, mais après il y a eu le très grand élan économique des années 90-1900, qui repose tout de même en très grande partie sur la société anonyme. Je cite les phrases de l'Empereur dans la loi de 1863 " L'Empereur, dans sa grande sagesse, a noblement proclamé le principe de la liberté économique et commerciale, il a provoqué la spontanéité des citoyens à s'affranchir progressivement de la tutelle de l'Etat ". Ainsi c'est vraiment une grande politique libérale qui est l'inspiration des lois de 1863 et de 1867.
Et ce n'est pas une politique incohérente, car à côté de cette loi, à côté du libre-échange, qui sont deux éléments complémentaires - pour Michel Chevalier la libération des sociétés anonymes est le complément du libre-échange, c'est donner au capitalisme français les moyens de faire face à la concurrence étrangère -, d'autres mesures sont prises : Michel Chevalier a été effrayé du monopole des chemins de fer. Dans le corps des Ponts et Chaussées il y avait des canalistes et des partisans du chemin de fer et les canalistes se sont appuyés sur les libéraux pour pousser à une nouvelle politique dans le domaine des transports, qui si elle n'avait pas été décidée aurait abouti à la fermeture des canaux comme en Angleterre. Or là il y a une politique très courageuse de la part de l'Empereur, qui en janvier, en même temps qu'il annonce cette politique, annonce cette politique de transport qui relance la construction de canaux, qui mène une politique de réduction des tarifs sur les canaux et qui va être confirmée ensuite dans les années 1880. Je suis persuadé que si les canaux ont survécu en France c'est grâce à cette politique, qui a été conçue pour créer la concurrence entre les chemins de fer et les canaux. II y a eu donc un courant extrêmement fort, qui s'est exprimé également d'une autre façon, très ambiguë : on a favorisé la formation de compagnies de chemins de fer concurrentes des grandes compagnies, dans le cadre de la loi sur les chemins de fer d'intérêts locaux, de 1865. Il y a tout un aspect de la fin de l'Empire qui est mal connu, c'est ce courant décentralisateur, dont la loi de 1865 est une des manifestations. Et qui s'appuie en réalité sur un monde de notables locaux, qui voudraient compenser en quelque sorte le monopole des compagnies de chemins de fer. Il y a là une animation de la vie économique extrêmement importante. Évidemment les compagnies de chemins de fer ont réagi, le camp libéral est totalement divisé, certains soutiennent les compagnies de chemins de fer, d'autres s'appuient sur des notables locaux et essaient de faire concurrence aux compagnies de chemins de fer en créant de nouvelles compagnies. Ca a été un désastre absolu, toutes ces compagnies sont tombées en faillite et il y a même un paradoxe, c'est que la plus importante d'entre elles, la compagnie des Charentes, qui était centrée sur Angoulême, et qui prétendait faire de la concurrence au Paris-Orléans, a finalement été à l'origine du réseau d'Etat en 1883.
Un autre aspect c'est l'inspiration très libérale du côté du Conseil d'Etat dans le domaine de la concession des services publics urbains en particulier : le Conseil d'Etat s'est opposé aux régies directes, ce qui a obligé les municipalités françaises à mettre en place des systèmes de concessions. Il y a eu à un certain moment au sein du Conseil d'Etat une inspiration libérale extrêmement forte : en fait cette interdiction de la régie directe est essentiellement politique, on a peur du socialisme et on veut empêcher que des mairies socialistes aient un pouvoir excessif.
L'autre aspect c'est aussi la paix sociale, le droit de coalition, contrairement à ce qu'on dit un certain nombre de patrons étaient favorables à une certaine expression de la volonté ouvrière. Quand on a fait une enquête en 1872, la majorité des patrons s'est dit favorable à la loi sur les coalitions. Cela faisait partie en réalité du même programme.
Je terminerai sur le budget, en insistant sur la personnalité de Léon Say el sur les idées budgétaires de Léon Say. D'abord il faut bien voir que la doctrine budgétaire des libéraux est très rigoureuse : c'est le budget minimum, c'est le budget le plus neutre possible. Mais là cette notion de neutralité est ambiguë. Budget minimum, oui, mais pas budget totalement neutre. Les idées de Léon Say en matière budgétaire sont beaucoup plus complexes qu'on ne le pense, il a beaucoup écrit sur ce sujet et il a parlé de budget de progrès déterminé. Ce budget de progrès déterminé qu'il a défendu bien après son action en 1890 dans une conférence, il a beaucoup écrit, c'est un budget de rigueur, un budget d'équilibre ( unité et clarté ) mais aussi un budget qui oriente les dépenses publiques vers les emplois utiles à l'économie_ Il dit ceci en 1876 : " Nous sommes dans la situation d'un homme qui a trop de charges de famille. Il ne peut rétablir son équilibre qu'en gagnant (l'avantage. D'où je conclus que tout ce qui, dans nos réformes, est de nature à augmenter le travail, la production, mérite seul de nous attacher ". Par conséquent il est faux de dire que les libéraux de l'époque n'avaient pas conscience du rôle économique du budget. Léon Say l'a démontré, puisqu'il a été le concepteur du 3% amortissable, qui a été l'instrument de financement du plan Freycinet. On a dit que Léon Say s'était contredit lui-même avec ce 3`1/0 amortissable. Ce jugement est beaucoup trop sévère, car Léon Say avait conçu le 3 % amortissable et voulait le maintenir dans une limite raisonnable, et en fait on a dépassé cette limite. 11 a avait au contraire conçu un système de budget qui tout en conservant une aspiration libérale permettait au pouvoir, au gouvernement, en faisant appel à l'épargne publique utilisée à des fins de production, de participer au développement économique.
Ce qui me frappe à la fin du XIXème siècle c'est la division du camp libéral, l'expérience des compagnies de chemins de fer l'a démontré, et surtout on voit apparaître dans l'administration de nouveaux courants, qui vont être ceux du XXème siècle, et justifier l'interventionnisme du XXème siècle. Ce qui va apparaître dans l'administration de cette époque, en particulier vers 1900, c'est l'idée que le fonctionnement du marché a besoin d'être perfectionné. L'origine de cette idée c'est au fond la réflexion sur les crises économiques. On voit par exemple l'état faire pression sur les compagnies de chemin de fer pour qu'elles planifient à long terme leurs commandes. Et par conséquent l'idée que l'Etat doit intervenir en tant que régulateur de la conjoncture commence à faire son chemin. De même que l'Etat arbitre dans le domaine social est de plus en plus admis à partir des années 90. IL y a également de très nombreuses interventions de l'Etat pour régler la structure du marché, on fait une fiscalité différentielle par exemple pour sauver le commerce de détail contre la montée des grands magasins on met en place une fiscalité très très différentielle dans les années 90. Enfin la jurisprudence en matière d'entente devient de plus en plus tolérante à l'égard des ententes à partir des années 1890. IL me semble par conséquent que les libéraux ont été victimes de leurs propres divisions, Face à cette montée d'un état interventionniste, ils n'ont pas su affirmer avec autant de vigueur que dans les années 60 leurs convictions libérales. Je terminerai en citant l'enquête que Madame Carré de Malherg a faite sur les inspecteurs des finances : elles les a interviewés sur l'influence du libéralisme et on sent bien qu'ils n'ont pas de véritables convictions libérales et que le droit public est pour eux quelque chose de beaucoup plus importante que le libéralisme.


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