Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction »

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Lorsque Rousseau fait naître l'Etat d'un Contrat social et que Carey le fait résulter d'une association de brigands; lorsque Platon et les Marxistes lui octroient l'omnipotence, reconnaissant en lui l'autocrate absolu ordonnant toutes les relations .politiques, économiques et même sexuelles (Platon) des citoyens, pendant que le libéralisme le confine à l'impuissance d'Etat-Gardien de la paix et que l'anarchisme réclame sa suppression définitive, c'est en vain que l'on essaiera, entre tous ces dogmes contradictoires, d'arriver à une conception satisfaisante de cet Etat tant discuté.  
Lorsque Rousseau fait naître l'Etat d'un Contrat social et que Carey le fait résulter d'une association de brigands; lorsque Platon et les Marxistes lui octroient l'omnipotence, reconnaissant en lui l'autocrate absolu ordonnant toutes les relations .politiques, économiques et même sexuelles (Platon) des citoyens, pendant que le libéralisme le confine à l'impuissance d'Etat-Gardien de la paix et que l'anarchisme réclame sa suppression définitive, c'est en vain que l'on essaiera, entre tous ces dogmes contradictoires, d'arriver à une conception satisfaisante de cet Etat tant discuté.  


Ces irréconciliables di vergences dans les différentes définitions de l'Etat proviennent de ce qu'aucune d'elles n'a été conçue du point de vue sociologique. L'Etat, objet historiquement universel, ne peut être compris dans son essence que par une étude réfléchie embrassant dans ses grandes lignes toute l'histoire universelle. Seule la théorie sociologique s'est jusqu'ici engagée sur ce chemin, le grand chemin de la science: toutes les autres se sont .formées comme théories de classe. Tout Etat – ceci doit être établi tout d'abord – tout Etat a été et est un Etat de classes et toute théorie politique a été et est une théorie de classe. Et une théorie de classe n'est pas le produit de la raison qui scrute mais celui de la volonté qui convoite et commande; elle n'emploie pas ses arguments afin de parvenir à la vérité, elle s’en sert comme d'autant d'armes dans la lutte des intérêts matériels. Ce n'est pas une science mais une mimicry, un simulacre de science. La compréhension de l'Etat nous permet bien de nous rendre compte de la nature des théories politiques mais la connaissance de ces théories ne peut en aucun cas nous éclairer sur la nature de l'Etat.  
Ces irréconciliables di vergences dans les différentes définitions de l'Etat proviennent de ce qu'aucune d'elles n'a été conçue du point de vue sociologique. L'Etat, objet historiquement universel, ne peut être compris dans son essence que par une étude réfléchie embrassant dans ses grandes lignes toute l'histoire universelle. Seule la théorie sociologique s'est jusqu'ici engagée sur ce chemin, le grand chemin de la science : toutes les autres se sont formées comme ''théories de classe''. Tout Etat – ceci doit être établi tout d'abord – tout Etat a été et est un Etat de classes et toute théorie politique a été et est une théorie de classe. Et une théorie de classe n'est pas le produit de la raison qui scrute mais celui de la volonté qui convoite et commande; elle n'emploie pas ses arguments afin de parvenir à la vérité, elle s’en sert comme d'autant d'armes dans la lutte des intérêts matériels. Ce n'est pas une science mais une ''mimicry'', un simulacre de science. La compréhension de l'Etat nous permet bien de nous rendre compte de la nature des théories politiques mais la connaissance de ces théories ne peut en aucun cas nous éclairer sur la nature de l'Etat.  


Déterminons d'abord par un aperçu rapide des théories politiques de classe tout ce que l'Etat n'est pas. L'Etat n'a pas été conçu par le « besoin d'association » comme le croit Platon et ce n'est pas un « produit de la nature » comme le veut Aristote, Il n'a pas in specie, comme l'expose AncilIon, «  la même origine que les langues » ; il est absolument faux que, comme l'expose ce dernier, « de même que les différents langages se sont formés et développés spontanément par suite du besoin et du pouvoir que possède l'homme de communiquer ses pensées et ses sentiments, de même les Etats se sont développés de l'instinct et du besoin de sociabilité », L'Etat n'est pas « un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine » (Bodin) ; et il ne s'est pas davantage constitué pour mettre une fin au bellum omnium, contra omnes ainsi que l'a avancé Hobbes et beaucoup d'autres après lui. L'Etat n'est pas le résultat d'un Contrat Social comme longtemps avant Rousseau ont voulu le prouver Grotius, Spinoza et Locke. L'Etat est peut-être le « moyen ayant pour but suprême le développement éternellement progressif du purement humain en une nation », comme l'a exposé Fichte mais sûrement il n'est pas ce but, il n'a pas été conçu et il n'est pas maintenu dans ce but. L'Etat n'est ni l'Absolu selon Schelling, ni l'esprit en tant qu'il se réalise avec conscience dans le monde..., la puissance de la raison se réalisant comme volonté, comme le définit Hegel d'une manière aussi claire qu'élégante. Il nous est impossible d'accepter la définition de Stahl qui voit dans l'Etat « l'empire moral de la communauté humaine » et dans son essence « une institution divine ». Cicéron demandant quid est enim civitas nisi juris societas ? ne nous satisfait pas davantage et moins encore Savigny qui voit « dans la formation de l'Etat une forme de la création du droit, le degré superlatif de la création du droit » et qui définit L'Etat même : « la représentation matérielle du peuple ».  
Déterminons d'abord par un aperçu rapide des théories politiques de classe tout ce que l'Etat n'est pas. L'Etat n'a pas été conçu par le « besoin d'association » comme le croit Platon et ce n'est pas un « produit de la nature » comme le veut Aristote, il n'a pas ''in specie'', comme l'expose Ancillon, «  la même origine que les langues » ; il est absolument faux que, comme l'expose ce dernier, « de même que les différents langages se sont formés et développés spontanément par suite du besoin et du pouvoir que possède l'homme de communiquer ses pensées et ses sentiments, de même les Etats se sont développés de l'instinct et du besoin de sociabilité », L'Etat n'est pas « un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine » (Bodin) ; et il ne s'est pas davantage constitué pour mettre une fin au ''bellum omnium, contra omnes'' ainsi que l'a avancé Hobbes et beaucoup d'autres après lui. L'Etat n'est pas le résultat d'un Contrat Social comme longtemps avant Rousseau ont voulu le prouver Grotius, Spinoza et Locke. L'Etat est peut-être le « moyen ayant pour but suprême le développement éternellement progressif du purement humain en une nation », comme l'a exposé Fichte mais sûrement il n'est pas ce but, il n'a pas été conçu et il n'est pas maintenu dans ce but. L'Etat n'est ni l'Absolu selon Schelling, ni l'esprit en tant qu'il se réalise avec conscience dans le monde..., la puissance de la raison se réalisant comme volonté, comme le définit Hegel d'une manière aussi claire qu'élégante. Il nous est impossible d'accepter la définition de Stahl qui voit dans l'Etat « l'empire moral de la communauté humaine » et dans son essence « une institution divine ». Cicéron demandant ''quid est enim civitas nisi juris societas ?'' ne nous satisfait pas davantage et moins encore Savigny qui voit « dans la formation de l'Etat une forme de la création du droit, le degré superlatif de la création du droit » et qui définit L'Etat même : « la représentation matérielle du peuple ».  


Bluntschli en proclamant l'Etat « personnification du peuple » ouvre le long défilé de ces théoriciens qui baptisent ou l'Etat, ou la Société, ou encore un mélange quelconque de ces deux ingrédients du nom de « supra-organisme ». Cette opinion est aussi intenable que celle de sir Henry Maine faisant s'élever l'Etat de la famille par les degrés: « gens, maison et tribu ». L'Etat n'est pas une « unité associative » comme le croit le juriste Jellinek. Le vieux Boehmer se rapproche de la vérité lorsqu'il écrit que denique regnorum praecipuorum ortus et incrementa perlustrans vim et latrocinia potentiœ initia fuisse apparebit ; mais néanmoins Carey est dans l'erreur lorsqu'il fait provenir l'Etat d'une bande de brigands qui se seraient érigés en maîtres sur leurs compagnons. Beaucoup de ces définitions contiennent une parcelle plus ou moins grande de vérité mais aucune n'est entièrement satisfaisante et la plupart sont radicalement fausses.
Bluntschli en proclamant l'Etat « personnification du peuple » ouvre le long défilé de ces théoriciens qui baptisent ou l'Etat, ou la Société, ou encore un mélange quelconque de ces deux ingrédients du nom de « supra-organisme ». Cette opinion est aussi intenable que celle de sir Henry Maine faisant s'élever l'Etat de la famille par les degrés: « gens, maison et tribu ». L'Etat n'est pas une « unité associative » comme le croit le juriste Jellinek. Le vieux Boehmer se rapproche de la vérité lorsqu'il écrit que ''denique regnorum praecipuorum ortus et incrementa perlustrans vim et latrocinia potentiœ initia fuisse apparebit'' ; mais néanmoins Carey est dans l'erreur lorsqu'il fait provenir l'Etat d'une bande de brigands qui se seraient érigés en maîtres sur leurs compagnons. Beaucoup de ces définitions contiennent une parcelle plus ou moins grande de vérité mais aucune n'est entièrement satisfaisante et la plupart sont radicalement fausses.


==b) La conception sociologique de l'Etat==
==b) La conception sociologique de l'Etat==
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