Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie III : L'Etat maritime »

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Les intérêts de la classe dominante, qui dirige l'Etat Maritime comme elle dirige toute autre forme de l'Etat, conformément à ses avantages, sont tout autres que dans l'Etat Territorial. Pendant que la puissance, c'est-à-dire la possession de terre et d'hommes, donne au seigneur féodal la richesse, c'est à sa richesse que le patricien de la ville maritime doit sa puissance. Le grand propriétaire territorial ne peut dominer son « Etat » que par le nombre de guerriers qu'il entretient, et afin d'élever ce nombre jusqu'au maximum possible, il doit étendre ses possessions autant qu'il le peut, augmentant les tributs payés par le paysan asservi. Le patricien au contraire domine grâce à ses richesses mobilières à l'aide desquelles il loue des bras robustes et suborne les consciences vacillantes : et il acquiert ces richesses plus aisément au moyen de la piraterie et du commerce que par la conquête ou l'acquisition de lointaines possessions territoriales. Pour utiliser des propriétés de ce genre, il lui faudrait abandonner sa ville, s'installer sur des terres et devenir un « gentilhomme fermier » dans toute l'acception du mot ; or dans une société qui n'est encore parvenue ni à la pleine économie monétaire, ni à une division du travail féconde entre la ville et les campagnes, l'exploitation d'une grande propriété de ce genre n'est possible que comme entreprise d'économie naturelle et l'absentéisme est hors de question. Or notre étude ne nous a pas encore menés si loin ; nous nous trouvons toujours dans des conditions sociales primitives. Et jamais un noble citadin ne s'avisera d'abandonner sa patrie riche et animée pour aller s'enterrer en plein désert, parmi les barbares, renonçant à tout rôle politique important. Ses intérêts économiques, sociaux et politiques le poussent exclusivement vers le commerce maritime. Le nerf de son existence n'est pas le capital foncier mais le capital mobilier.
Les intérêts de la classe dominante, qui dirige l'Etat Maritime comme elle dirige toute autre forme de l'Etat, conformément à ses avantages, sont tout autres que dans l'Etat Territorial. Pendant que la puissance, c'est-à-dire la possession de terre et d'hommes, donne au seigneur féodal la richesse, c'est à sa richesse que le patricien de la ville maritime doit sa puissance. Le grand propriétaire territorial ne peut dominer son « Etat » que par le nombre de guerriers qu'il entretient, et afin d'élever ce nombre jusqu'au maximum possible, il doit étendre ses possessions autant qu'il le peut, augmentant les tributs payés par le paysan asservi. Le patricien au contraire domine grâce à ses richesses mobilières à l'aide desquelles il loue des bras robustes et suborne les consciences vacillantes : et il acquiert ces richesses plus aisément au moyen de la piraterie et du commerce que par la conquête ou l'acquisition de lointaines possessions territoriales. Pour utiliser des propriétés de ce genre, il lui faudrait abandonner sa ville, s'installer sur des terres et devenir un « gentilhomme fermier » dans toute l'acception du mot ; or dans une société qui n'est encore parvenue ni à la pleine économie monétaire, ni à une division du travail féconde entre la ville et les campagnes, l'exploitation d'une grande propriété de ce genre n'est possible que comme entreprise d'économie naturelle et l'absentéisme est hors de question. Or notre étude ne nous a pas encore menés si loin ; nous nous trouvons toujours dans des conditions sociales primitives. Et jamais un noble citadin ne s'avisera d'abandonner sa patrie riche et animée pour aller s'enterrer en plein désert, parmi les barbares, renonçant à tout rôle politique important. Ses intérêts économiques, sociaux et politiques le poussent exclusivement vers le commerce maritime. Le nerf de son existence n'est pas le capital foncier mais le capital mobilier.


Ces mobiles intérieurs de la classe dirigeante font que même les rares villes maritimes auxquelles les conditions géographiques de leur ''hinterland'' permirent une expansion considérable, ont toujours pris comme « centre de gravité », comme base même leur existence, l'océan et les terres exploitées au-delà des mers plutôt que leur territoire. Les gigantesques possessions territoriales de Carthage même n’avaient pas à beaucoup près pour la cité l'importance que présentaient ses intérêts maritimes. Carthage s'empara de la Sicile et de la Corse bien plus dans le but de léser ses concurrents commerciaux, les Grecs et les Etrusques, que pour s’assurer la possession effective de ces contrées ; elle étendit ses frontières vers la Lybie surtout afin de pouvoir maintenir la paix et, lorsqu’elle conquit l'Espagne, son premier mobile fut le désir de s'approprier les riches gisements de métaux précieux. L'histoire de la Hansa nous offre à ce sujet maint point de comparaison fort intéressant. A SUIVRE
Ces mobiles intérieurs de la classe dirigeante font que même les rares villes maritimes auxquelles les conditions géographiques de leur ''hinterland'' permirent une expansion considérable, ont toujours pris comme « centre de gravité », comme base même leur existence, l'océan et les terres exploitées au-delà des mers plutôt que leur territoire. Les gigantesques possessions territoriales de Carthage même n’avaient pas à beaucoup près pour la cité l'importance que présentaient ses intérêts maritimes. Carthage s'empara de la Sicile et de la Corse bien plus dans le but de léser ses concurrents commerciaux, les Grecs et les Etrusques, que pour s’assurer la possession effective de ces contrées ; elle étendit ses frontières vers la Lybie surtout afin de pouvoir maintenir la paix et, lorsqu’elle conquit l'Espagne, son premier mobile fut le désir de s'approprier les riches gisements de métaux précieux. L'histoire de la Hansa nous offre à ce sujet maint point de comparaison fort intéressant.
 
La plupart de ces villes maritimes étaient d'ailleurs bien incapables de soumettre à leur domination un territoire important : en auraient-elles eu le désir du reste les conditions géographiques s'y seraient opposées. A quelques rares exceptions près, le territoire du littoral de la Méditerranée est peu étendu : ce n'est le plus souvent qu'une étroite bande de terre au flanc de montagnes escarpées. C'est là une des causes qui empêcha ces Etats, groupés autour d'un port de commerce, d'atteindre un degré d'extension considérable selon notre point de vue moderne alors que de gigantesques empires existèrent de bonne heure sur les vastes territoires où erre le pasteur. Il est encore une autre cause pour l'exiguïté originaire de ces Etats : l'''hinterland'', les montagnes et aussi les rares vastes plaines du territoire méditerranéen sont peuplés surtout de tribus belliqueuses et difficiles à soumettre, hordes de chasseurs indomptables, pasteurs guerriers ou Etats Féodaux Primitifs de la même race conquérante. C'était le cas partout dans l'intérieur de la Grèce.


La plupart de ces villes maritimes étaient d'ailleurs bien incapables de soumettre à leur domination un territoire important : en auraient-elles eu le désir du reste les conditions géographiques s'y seraient opposées. A quelques rares exceptions près, le territoire du littoral de la Méditerranée est peu étendu : ce n'est le plus souvent qu'une étroite bande de terre au flanc de montagnesescarpées. C'est là une des causes qui empêcha ces Etats, groupés autour d'un port de commerce, d'atteindre un degré d'extension considérable selon notre point de vue moderne alors que de gigantesques empires existèrent de bonne heure sur les vastes territoires où erre le pasteur. Il est encore une autre cause pour l'exiguïté originaire de ces Etats : l'hinterland, les montagnes et aussi les rares vastes plaines du territoire méditerranéen sont peuplés surtout de tribus belliqueuses et difficiles à soumettre, hordes de chasseurs indomptables, pasteurs guerriers ou Etats Féodaux Primitifs de la même race conquérante. C'était le cas partout dans l'intérieur de la Grèce.
L'Etat maritime, même lorsqu'il croît rapidement, demeure donc toujours centralisé, on peut presque dire « concentré » autour du port de commerce pendant que l'Etat territorial, fortement décentralisé dès les débuts, se développe longtemps, proportionnellement à son extension, en une décentralisation de plus en plus parfaite. Nous verrons plus loin que seule l'infiltration des organisations administratives et des acquisitions économiques développées dans l'Etat urbain a pu lui communiquer la force nécessaire pour atteindre l'organisation gravitant avec sécurité autour d'un point central, l'organisation qui caractérise nos grands Etats modernes. Là est la différence fondamentale entre les deux formes de l'Etat.
L'Etat maritime, même lorsqu'il croît rapidement, demeure donc toujours centralisé, on peut presque dire « concentré » autour du port de commerce pendant que l'Etat territorial, fortement décentralisé dès les débuts, se développe longtemps, proportionnellement à son extension, en une décentralisation de plus en plus parfaite. Nous verrons plus loin que seule l'infiltration des organisations administratives et des acquisitions économiques développées dans l'Etat urbain a pu lui communiquer la force nécessaire pour atteindre l'organisation gravitant avec sécurité autour d'un point central, l'organisation qui caractérise nos grands Etats modernes. Là est la différence fondamentale entre les deux formes de l'Etat.
La seconde différence, à peine moins importante, est que l'Etat territorial conserve longtemps l'économie naturelle pendant que l'Etat maritime parvient très rapidement à l'économie monétaire. Ce contraste surgit également des conditions fondamentales différentes de leurs existences respectives.
La seconde différence, à peine moins importante, est que l'Etat territorial conserve longtemps l'économie naturelle pendant que l'Etat maritime parvient très rapidement à l'économie monétaire. Ce contraste surgit également des conditions fondamentales différentes de leurs existences respectives.
Dans l'Etat d'économie naturelle l'argent monnayé est un luxe superflu, si superflu même qu'une économie monétaire déjà développée dépérit aussitôt qu'un cercle quelconque de son territoire retourne à l'échange en nature. Charlemagne avait beau frapper monnaie tant et plus : l'économie du temps rejetait ses pièces d'or et d'argent, car la Neustrie (pour ne pas parler de l'Austrasie), était retombée à l'économie naturelle lors de l'ouragan de l'invasion des Barbares. Et l'économie naturelle, ne possédant aucun système de marchés développé, n'emploie pas l'argent comme mesure de valeur. Les manants paient la taille en denrées que le seigneur et sa suite consomment directement ; les parures, les tissus précieux, les armes et chevaux de prix, le sel, etc., sont troqués contre les esclaves, la cire, les bestiaux, les fourrures et autres produits de l'économie naturelle belliqueuse au moyen de l'échange de marchandises effectué par les colporteurs et marchands.
 
Au contraire à un certain degré de développement la vie urbaine ne peut se passer de mesure de valeur. L'artisan citadin ne peut continuer indéfiniment à échanger sa production contre celle d'un autre artisan et l'indispensable commerce de détail des denrées alimentaires suffit à rendre indispensable l'usage de monnaies là où chacun doit acheter presque tout ce qu'il consomme. Le commerce proprement dit, non pas le commerce entre marchand et client, mais le commerce entre marchand et marchand peut encore moins se passer de mesure de valeur. Supposons un navigateur amenant dans un port des esclaves qu'il veut échanger contre un chargement de tissus. Il trouve bien un trafiquant en tissus, mais celui-ci veut recevoir en paiement non des esclaves, mais disons du fer, des bestiaux ou des fourrures. Il faudra peut-être effectuer une douzaine d'échanges avant d'atteindre le but désiré. Ceci ne peut être évité que lorsqu'une marchandise existe, qui est toujours également désirée de tous. Dans l'économie naturelle des Etats territoriaux les chevaux et les bestiaux, dont chacun a besoin en définitive, peuvent très bien prendre cette place ; mais il est parfois difficile pour le navigateur de prendre des bestiaux en paiement et ce sont les métaux précieux qui deviennent « argent ».
Dans l'Etat d'économie naturelle l'argent monnayé est un luxe superflu, si superflu même qu'une économie monétaire déjà développée dépérit aussitôt qu'un cercle quelconque de son territoire retourne à l'échange en nature. Charlemagne avait beau frapper monnaie tant et plus : l'économie du temps rejetait ses pièces d'or et d'argent, car la Neustrie{{ref|52}} (pour ne pas parler de l'Austrasie{{ref|53}}), était retombée à l'économie naturelle lors de l'ouragan de l'invasion des Barbares. Et l'économie naturelle, ne possédant aucun système de marchés développé, n'emploie pas l'argent comme mesure de valeur. Les manants paient la taille en denrées que le seigneur et sa suite consomment directement ; les parures, les tissus précieux, les armes et chevaux de prix, le sel, etc., sont troqués contre les esclaves, la cire, les bestiaux, les fourrures et autres produits de l'économie naturelle belliqueuse au moyen de l'échange de marchandises effectué par les colporteurs et marchands.
 
Au contraire à un certain degré de développement la vie urbaine ne peut se passer de mesure de valeur. L'artisan citadin ne peut continuer indéfiniment à échanger sa production contre celle d'un autre artisan et l'indispensable commerce de détail des denrées alimentaires suffit à rendre indispensable l'usage de monnaies là où chacun doit acheter presque tout ce qu'il consomme. Le commerce proprement dit, non pas le commerce entre marchand et client, mais le commerce entre marchand et marchand peut encore moins se passer de mesure de valeur. Supposons un navigateur amenant dans un port des esclaves qu'il veut échanger contre un chargement de tissus. Il trouve bien un trafiquant en tissus, mais celui-ci veut recevoir en paiement non des esclaves, mais disons du fer, des bestiaux ou des fourrures. Il faudra peut-être effectuer une douzaine d'échanges avant d'atteindre le but désiré. Ceci ne peut être évité que lorsqu'une marchandise existe, qui est toujours également désirée de tous. Dans l'économie naturelle des Etats territoriaux, les chevaux et les bestiaux, dont chacun a besoin en définitive, peuvent très bien prendre cette place ; mais il est parfois difficile pour le navigateur de prendre des bestiaux en paiement et ce sont les métaux précieux qui deviennent « argent ».


Le destin ultérieur de l'Etat maritime ou plutôt de ''l'Etat urbain'', comme nous l'appellerons désormais, se développe de ces deux caractères distinctifs indispensables : la centralisation et l'économie monétaire.  
Le destin ultérieur de l'Etat maritime ou plutôt de ''l'Etat urbain'', comme nous l'appellerons désormais, se développe de ces deux caractères distinctifs indispensables : la centralisation et l'économie monétaire.  
La psychologie même du citadin et plus encore celle de l'habitant d'un port de commerce diffère entièrement de celle du paysan. Son regard est plus libre et s'étend plus loin même s'il pénètre rarement au delà de la surface ; il est plus animé, recevant en un jour plus d'impulsions stimulantes que le paysan n'en reçoit en un an et, habitué à de continuelles nouveautés et innovations, il est toujours « ''novarurn rerum cupidus'' ». Plus éloigné de la nature et beaucoup moins dépendant d'elle, il ne ressent qu'à un degré beaucoup moindre la crainte des « esprits », et se conforme, par suite, avec moins de respect aux ordonnances de « tabou » imposées par les deux classes supérieures. Enfin vivant en grandes érations il a clairement conscience de la puissance conférée par le nombre et est plus opiniâtre et plus insoumis que le serf des campagnes lequel vit dans un tel isolement qu'il ne peut jamais prendre conscience de sa force en tant que masse ; dans tous les démêlés avec le seigneur le serf a en effet presque constamment le dessous.


Ceci implique déjà un relâchement des rigides conditions de subordination créées par l'Etat féodal primitif. Seuls les territoriaux d'Hellas sont parvenus à maintenir longtemps leurs sujets dans l'ancienne servitude : Sparte ses Ilotes, la Thessalie ses Penestes. Partant ailleurs dans les Etats Urbains nous trouvons de bonne heure la plèbe en ascendant et la classe dominatrice hors d'état d'opposer une résistance sérieuse.
La psychologie même du citadin et plus encore celle de l'habitant d'un port de commerce diffère entièrement de celle du paysan. Son regard est plus libre et s'étend plus loin même s'il pénètre rarement au delà de la surface ; il est plus animé, recevant en un jour plus d'impulsions stimulantes que le paysan n'en reçoit en un an et, habitué à de continuelles nouveautés et innovations, il est toujours « ''novarum rerum cupidus''{{ref|54}} ». Plus éloigné de la nature et beaucoup moins dépendant d'elle, il ne ressent qu'à un degré beaucoup moindre la crainte des « esprits », et se conforme, par suite, avec moins de respect aux ordonnances de « tabou » imposées par les deux classes supérieures. Enfin vivant en grandes agglomérations il a clairement conscience de la puissance conférée par le nombre et est plus opiniâtre et plus insoumis que le serf des campagnes, lequel vit dans un tel isolement qu'il ne peut jamais prendre conscience de sa force en tant que masse ; dans tous les démêlés avec le seigneur, le serf a en effet presque constamment le dessous.
Les conditions économiques tendent également au même résultat. La richesse mobilière n'a pas à beaucoup près la stabilité de la propriété foncière : la mer est capricieuse et les chances de la guerre maritime, de la piraterie, ne le sont pas moins. Le plus riche peul rapidement perdre tout son avoir ; un tour de roue de la fortune et le plus pauvre se trouve au sommet. une organisation basée entièrement sur la richesse, la pauvreté implique la perte du rang et de la classe que la fortune procure. Le riche plébéien mène le peuple au cours des luttes constitutionnelles pour l'égalité des droits, et consacre à cette tâche le meilleur de ses forces. Dès que les patriciens, contraints par la force, ont cédé une fois, leur position devient intenable : la éfense légitimiste du droit inné héréditaire est pour toujours impossible du moment où le premier riche plébéien a été admis dans le cercle. Dès lors le mot d'ordre est : « Il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures », et au régime aristocratique succède le régime d'abord ploutocratique, puis démocratique et lement ochlocratique2, jusqu'à ce qu'une occupation étrangère ou la tyrannie d'un « génie militaire » mette fin à la confusion.
 
Ceci implique déjà un relâchement des rigides conditions de subordination créées par l'Etat féodal primitif. Seuls les territoriaux d'Hellas sont parvenus à maintenir longtemps leurs sujets dans l'ancienne servitude : Sparte ses Hilotes, la Thessalie ses Penestes. Partout ailleurs dans les Etats Urbains nous trouvons de bonne heure la plèbe en ascendant et la classe dominatrice hors d'état d'opposer une résistance sérieuse.
 
Les conditions économiques tendent également au même résultat. La richesse mobilière n'a pas à beaucoup près la stabilité de la propriété foncière : la mer est capricieuse et les chances de la guerre maritime, de la piraterie, ne le sont pas moins. Le plus riche peut rapidement perdre tout son avoir ; un tour de roue de la fortune et le plus pauvre se trouve au sommet. Dans une organisation basée entièrement sur la richesse, la pauvreté implique la perte du rang et de la classe que la fortune procure. Le riche plébéien mène le peuple au cours des luttes constitutionnelles pour l'égalité des droits, et consacre à cette tâche le meilleur de ses forces. Dès que les patriciens, contraints par la force, ont cédé une fois, leur position devient intenable : la défense légitimiste du droit inné héréditaire est pour toujours impossible du moment où le premier riche plébéien a été admis dans le cercle. Dès lors le mot d'ordre est : « Il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures », et au régime aristocratique succède le régime d'abord ploutocratique, puis démocratique et finalement ochlocratique{{ref|55}}, jusqu'à ce qu'une occupation étrangère ou la tyrannie d'un « génie militaire » mette fin à la confusion.


Quant à la cause de cette fin non seulement de l'Etat mais généralement aussi du peuple, de cette fin qui est à la lettre la mort du peuple, on doit la chercher dans une institution sociale qui se développe fatalement dans tout Etat urbain fondé sur la piraterie et le commerce maritime dès qu'il est parvenu à l'économie monétaire : ''l'économie esclavagiste capitaliste''. L'esclavage, relique la période féodale primitive, et là d'abord inoffensif comme dans toutes les économies naturelles, se transforme en chancre dévorant détruisant la vie entière de l'Etat dès qu'il est organisé d'façon capitaliste, c'est-à-dire dès que le travail des esclaves, au lieu d'être utilisé dans une économie féodale naturelle, est exploité pour l'apd'un marché payant en argent.
Quant à la cause de cette fin non seulement de l'Etat mais généralement aussi du peuple, de cette fin qui est à la lettre la mort du peuple, on doit la chercher dans une institution sociale qui se développe fatalement dans tout Etat urbain fondé sur la piraterie et le commerce maritime dès qu'il est parvenu à l'économie monétaire : ''l'économie esclavagiste capitaliste''. L'esclavage, relique de la période féodale primitive, et là d'abord inoffensif comme dans toutes les économies naturelles, se transforme en chancre dévorant détruisant la vie entière de l'Etat dès qu'il est organisé de façon capitaliste, c'est-à-dire dès que le travail des esclaves, au lieu d'être utilisé dans une économie féodale naturelle, est exploité pour l'approvisionnement d'un marché payant en argent.


La piraterie, la course, les guerres commerciales procurent au pays d'innombrables esclaves. La d'achat du riche marché permet exploitation rurale intensive, les propriétaires fonciers du territoire de la ville retirent de leurs possessions des rentes toujours croissantes et cherchent de plus en plus à acquérir avec le produit de ces rentes de nouvelles propriétés. L'homme franc l'intérêt des grands trafiquants surcharge d’obligations militaires s'endette toujours , tombe au servage, ou encore, réduit à la ère, il se réfugie à la ville. Mais il n'y trouve pas d’amélioration à son sort, bien au contraire. 'oppression des paysans a déjà lésé gravement les artisans et les petits marchands citadins ; le paysan en effet achetait à la ville tandis que les grandes exploitations privées, continuellement grossies par l'expropriation des fermiers, couvrent leur besoin d'objets industriels par la production de leurs esclaves. Et désormais le mal se propage de plus en plus. Le reste des industries citadines, celles qui travaillent pour la ville même, sont à leur tour de plus en plus accaparées par des entrepreneurs utilisant le labeur à vil prix des esclaves. La classe moyenne s'appauvrit constamment et une plèbe nécessiteuse et incapable, la canaille (''Lumpen-Proletariat'') devient, grâce à la constitution démocratique obtenue de haute lutte, la véritable puissance souveraine de l 'Etat. La ruine politique et militaire n'est plus désormais qu'une question de temps ; alors même que l'invasion étrangère, presque fatale en ces circonstances, pourrait être évitée, l'Etat périrait néanmoins, des suites de la dépopulation énorme, de cette véritable ''consomption'' des peuples qui anéantit rapidement toutes ces formes de société. Il m'est impossible de m'étendre ici sur ce sujet.
La piraterie, la course, les guerres commerciales procurent au pays d'innombrables esclaves. La puissance d'achat du riche marché permet exploitation rurale intensive, les propriétaires fonciers du territoire de la ville retirent de leurs possessions des rentes toujours croissantes et cherchent de plus en plus à acquérir avec le produit de ces rentes de nouvelles propriétés. L'homme franc que l'intérêt des grands trafiquants surcharge d’obligations militaires s'endette toujours davantage, tombe au servage, ou encore, réduit à la misère, il se réfugie à la ville. Mais il n'y trouve pas d’amélioration à son sort, bien au contraire. L'oppression des paysans a déjà lésé gravement les artisans et les petits marchands citadins ; le paysan en effet achetait à la ville tandis que les grandes exploitations privées, continuellement grossies par l'expropriation des fermiers, couvrent leur besoin d'objets industriels par la production de leurs esclaves. Et désormais le mal se propage de plus en plus. Le reste des industries citadines, celles qui travaillent pour la ville même, sont à leur tour de plus en plus accaparées par des entrepreneurs utilisant le labeur à vil prix des esclaves. La classe moyenne s'appauvrit constamment et une plèbe nécessiteuse et incapable, la canaille (''Lumpen-Proletariat'') devient, grâce à la constitution démocratique obtenue de haute lutte, la véritable puissance souveraine de l 'Etat. La ruine politique et militaire n'est plus désormais qu'une question de temps ; alors même que l'invasion étrangère, presque fatale en ces circonstances, pourrait être évitée, l'Etat périrait néanmoins, des suites de la dépopulation énorme, de cette véritable ''consomption'' des peuples qui anéantit rapidement toutes ces formes de société. Il m'est impossible de m'étendre ici sur ce sujet.


Un seul Etat Urbain a pu se maintenir pendant des siècles et cela uniquement parce que, dernier vainqueur survivant, il put employer pour combattre la dépopulation la seule arme efficace : une rénovation constante des classes moyennes des villes et des campagnes au moyen d'une colonisation agricole extensive sur les territoires enlevés à l'ennemi. Cet Etat, ce fut l'empire romain. Et cet organisme gigantesque même finit par succomber à la « phtisie » nationale de l'économie esclavagiste capitaliste ; mais entre temps il avait créé le premier « lmperium », la première grande puissance centralisée rigidement, soumettant et absorbant tous les Etats territoriaux du littoral méditerranéen et des pays avoisinants ; et il avait érigé pour toujours le modèle classique de l'organisation dominatrice. Rome avait de plus si bien développé l'organisation urbaine et l'économie monétaire que ces institutions ne purent jamais plus disparaître entièrement. Les Etats Territoriaux qui se sont établis après la chute de l'empire romain sur son ancien territoire de domination reçurent ainsi de lui, directement ou indirectement, les impulsions nouvelles destinées à les entraîner bien au-delà de la condition de l'Etat féodal primitif.
Un seul Etat Urbain a pu se maintenir pendant des siècles et cela uniquement parce que, dernier vainqueur survivant, il put employer pour combattre la dépopulation la seule arme efficace : une rénovation constante des classes moyennes des villes et des campagnes au moyen d'une colonisation agricole extensive sur les territoires enlevés à l'ennemi. Cet Etat, ce fut l'empire romain. Et cet organisme gigantesque même finit par succomber à la « phtisie » nationale de l'économie esclavagiste capitaliste ; mais entre temps il avait créé le premier « lmperium », la première grande puissance centralisée rigidement, soumettant et absorbant tous les Etats territoriaux du littoral méditerranéen et des pays avoisinants ; et il avait érigé pour toujours le modèle classique de l'organisation dominatrice. Rome avait de plus si bien développé l'organisation urbaine et l'économie monétaire que ces institutions ne purent jamais plus disparaître entièrement. Les Etats Territoriaux qui se sont établis après la chute de l'empire romain sur son ancien territoire de domination reçurent ainsi de lui, directement ou indirectement, les impulsions nouvelles destinées à les entraîner bien au-delà de la condition de l'Etat féodal primitif.
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# {{note|50}}Il est caractéristique pour cet ordre d'idées que la Grande-Bretagne, le seul Etat Maritime de l'Europe, se refuse encore aujourd'hui à renoncer au droit de prise.
# {{note|50}}Il est caractéristique pour cet ordre d'idées que la Grande-Bretagne, le seul Etat Maritime de l'Europe, se refuse encore aujourd'hui à renoncer au droit de prise.
# {{note|51}}Raison d'être, au sens de Kant.  
# {{note|51}}Raison d'être, au sens de Kant.  
# {{note|52}}
# {{note|52}}Le royaume franc qui couvrait le nord-ouest de la France actuelle, et avait pour capitale Soissons. Karl Ferdinand Werner, historien allemand, présente la distinction entre Neustrie et Austrasie comme héritière de la distinction entre Francs saliens et Francs rhénans. À ce titre, la Neustrie comprend la partie principale de l'héritage salien que Clovis reçut de son père Childéric Ier. Le royaume qui ne s'appelle pas lors Neustrie avait été créé lors du partage qui suivit la mort de Clovis Ier, en 511, et revint à Clotaire Ier, qui, au terme de son long règne de cinquante ans, avait réussi à reconstituer le royaume de son père. Elle fut le deuxième grand royaume franc né lors des partages successoraux mérovingiens à partir des territoires conquis sur Syagrius. Son aire géographique était limitée par la Loire au sud, l'océan Atlantique et la Bretagne à l'ouest, et la Champagne à l'est. Incluant le Dentelin, elle s'étendait jusqu'à la future Flandre au nord.
# {{note|53}}
# {{note|53}}L’Austrasie (territoires de l'est) désignait durant la période mérovingienne un royaume franc couvrant le nord-est de la France actuelle, les bassins de la Meuse et de la Moselle, jusqu’aux bassins moyen et inférieur du Rhin. Ce royaume est apparu à la mort de Clovis en 511, lorsque le territoire de celui-ci est partagé entre ses fils. Cependant, le nom d'Austrasie n'est mentionné la première fois que pendant le règne de Childebert II; il fut d'abord désigné comme Royaume de Reims, puis Royaume de Metz, du nom de ses capitales. Il ne faut pas comprendre ce partage comme une division stricte du royaume. Les quatre frères sont rois en même temps mais l'intégrité du ''regnum francorum'' est en partie conservée, dont l'Austrasie est un sous-royaume. Le royaume de Clovis fut réunifié vers 555, augmenté de la Bourgogne par Clotaire 1er, puis à nouveau partagé à sa mort entre ses fils. L'Austrasie échut en 567 à Sigebert et la reine Brunehaut ; un long conflit dynastique l'opposant à son frère Chispéric, souverain de Neustrie, ne se termina qu'en 613 avec l'exécution de Brunehaut et de leurs petits-enfants par Clotaire II, fils de Chilpéric. Clotaire régna alors sur l'ensemble du royaume franc, et dès 623, confia le royaume d'Austrasie à son fils Dagobert, qui lui succéda comme roi des Francs en 629. La famille aristocratique des pippinides prit alors une importance croissante, gouvernant via la fonction de maire du palais, et la direction des nombreux monastères créés à cette époque pour christianiser le royaume. Ils fondèrent la dynastie carolingienne, l’Austrasie disparut en 751 avec le dernier roi mérovingien pour être intégrée dans le grand royaume franc que réunirent Pépin le Bref et Charlemagne.
# {{note|54}}
# {{note|54}}Désireux, cupide.
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# {{note|55}}L'ochlocratie (en grec : οχλοκρατια, en latin : ochlocratia) est une forme de gouvernement dans lequel la masse a tous les pouvoirs et peut imposer tous ses désirs.
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