Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie I : L'origine de l'Etat

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Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie I : L'origine de l'Etat


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Introduction
l’Etat, Ses origines, son évolution et son avenir
Der Staat
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Auteur : Franz Oppenheimer
Genre
sociologie
Année de parution
1913
Dans l'archipel malais comme dans le grand laboratoire sociologique africain, dans tous les pays du globe où l'évolution des races a dépassé la période de sauvagerie primitive, l'Etat est né de la subjugation d'un groupe humain par un autre groupe et sa raison d'être est, et a toujours été, l'exploitation économique des asservis.
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Une force unique gouverne tout ce qui existe. Une force unique a développé la vie, de la cellule primitive, de l'amibe flottant sur le chaud océan des périodes primordiales jusqu'au vertébré, jusqu'à l'homme. Cette force, c'est l'instinct de conservation avec ses deux subdivisions : la « faim » et « l'amour ». A ce point la « philosophie », le besoin causal du bipède pensant, intervient dans ce jeu des forces pour soutenir, avec la faim et l'amour, l’édifice du monde humain. La philosophie, la « Représentation » de Schopenhauer n'est d'ailleurs qu'une création de l'instinct de conservation, qu'il nomme « Volonté » : c'est un organe de direction dans l'existence, une arme dans la « lutte pour la vie ». Nous aurons pourtant à reconnaître dans le besoin causal une force sociale indépendante, un facteur non négligeable dans la marche de l'évolution sociologique. Ce besoin se manifeste tout d'abord, et se manifeste même avec une violence inouïe aux âges primitifs de la société, dans les manifestations parfois si étranges de la superstition. Tirant d'imparfaites observations de conséquences entièrement logiques, la créature humaine peuple les eaux et l'atmosphère, la terre, le feu, les animaux et les plantes mêmes, bref l'univers entier de bons et de mauvais esprits. Ce n'est que beaucoup plus tard, dans ce lumineux temps moderne auquel peu de peuples parviennent, qu'apparaît la plus jeune fille du besoin causal, la science, le produit logique de l'observation raisonnée des phénomènes naturels, la science à laquelle incombe dès lors une lourde tâche : détruire la superstition aux racines profondes, liée à l'âme humaine par d'innombrables fils.

Mais bien qu'il soit indéniable que la superstition, surtout dans les périodes « extatiques[1] », ait pu agir puissamment sur le cours des événements, bien qu'elle puisse encore en temps ordinaire être un facteur important dans l'organisation de la vie sociale, la force principale de révolution n'en est pas moins toujours l'instinct économique, la nécessité de l'existence, cette nécessité qui contraint l'homme à conquérir pour lui et les siens la nourriture, le logement et le vêtement. Un examen sociologique – et nous entendons par là socio-psychologique – de l'évolution historique ne peut donc procéder que d'une seule manière : il doit suivre dans leur développement progressif les méthodes de la satisfaction économique des besoins, en inscrivant à la place qui leur revient les influences de l'instinct causal.

Moyen politique et moyen économique

Il existe deux moyens, diamétralement opposés en principe, par lesquels l'homme, gouverné partout par le même instinct de conservation, peut arriver à satisfaire ses besoins : le travail et le rapt, le travail personnel et l'appropriation par la violence du travail d'autrui. Rapt ! Appropriation par la violence ! Pour nous, enfants d'une civilisation qui repose justement sur l'inviolabilité de la propriété, ces deux expressions en évoquent immédiatement d'autres : « crime », « châtiment », et cette association d'idées demeure, même lorsque nous réalisons le fait que dans les conditions primitives de l'existence le brigandage sur terre et sur mer représente, avec le métier guerrier – qui ne fut longtemps que le rapt en grand organisé – la profession la plus en honneur. Aussi, afin d'avoir à l'avenir une terminologie claire, concise et nettement déterminée pour désigner ces extrêmes si importants, j'ai proposé de nommer moyen économique le travail personnel et l'échange équitable du propre travail contre celui d'autrui, et moyen politique l'appropriation sans compensation du travail d'autrui.

Ceci n'est en aucune façon une idée nouvelle ; de tous temps les historiens et les philosophes ont reconnu cette opposition et ont tenté de la faire ressortir, mais aucune de leurs formules n'a pénétré au cœur de la question. Dans aucune d'elles, il ne ressort clairement que l'opposition existe seulement dans les différents moyens visant un même but : l'acquisition de biens de jouissance. Et là est justement le nœud de la question.

On peut observer chez un penseur du rang de Karl Marx même à quelle confusion l'on arrive dès que l'on ne sépare pas strictement le but économique du moyen économique. Toutes les erreurs qui détournèrent finalement si loin de la vérité la grandiose théorie marxiste ont leur source dans ce défaut de discernement entre le but et le moyen de la satisfaction économique des besoins, confusion qui conduisit l'auteur à définir l'esclavage : catégorie économique, et la violence : puissance économique; demi-vérités qui sont plus dangereuses que des erreurs complètes car elles sont plus difficiles à percevoir et rendent les fausses conclusions presque inévitables.

Notre distinction précise entre les deux moyens conduisant au même but nous permettra d'éviter toute confusion de ce genre. Elle nous facilitera la parfaite intelligence de l'Etat, de son origine, sa nature et ses fins, et par là l'intelligence de l’histoire universelle, puisque l'histoire n’existe de nos jours que comme histoire de l'Etat. Tant que nous ne nous serons pas élevés à la libre fédération, toute histoire universelle jusqu'à notre époque contemporaine, jusqu'à notre orgueilleuse civilisation moderne, n'a et ne peut avoir qu'un seul objet : la lutte entre le moyen économique et le moyen politique.


Notes

  1. ^ Achelis, Die Ekstase in ihrer kulturellen Bedeutung, t. I des Kulturprobleme der Gegenwart, Berlin, 1902. L’extase est une hallucination ou une folie, qui peut être individuelle mais aussi – et surtout – collective. Dans ce dernier cas, la charge émotive de l’extase est bien plus importante et durable. Erwin Rhode trouve les fondements de la tragédie grecque dans l’extase orgiastique, et Marcel Mauss y trouve l’origine mystique des religions (cf. Œuvres, II, p. 391-5)

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