Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie I : L'origine de l'Etat »

aucun résumé de modification
Ligne 46 : Ligne 46 :
La place nous manque ici pour faire plus qu'indiquer combien cette différenciation d'abord économique puis sociale a dû être favorisée, même dans les sociétés pastorales pacifiques, par la cumulation des charges de grand-prêtre et de sacrificateur dans le patriarcat. Le chef pouvait alors facilement augmenter le nombre de ses troupeaux : il n’avait pour cela qu'à exploiter habilement la superstition des membres de la tribu.
La place nous manque ici pour faire plus qu'indiquer combien cette différenciation d'abord économique puis sociale a dû être favorisée, même dans les sociétés pastorales pacifiques, par la cumulation des charges de grand-prêtre et de sacrificateur dans le patriarcat. Le chef pouvait alors facilement augmenter le nombre de ses troupeaux : il n’avait pour cela qu'à exploiter habilement la superstition des membres de la tribu.


Toutefois, tant que n'intervient pas le moyen politique, cette inégalité se maintient dans des limites très modestes. L'adresse et l'habileté ne sont pas forcément héréditaires, les troupeaux les plus considérables se  dispersent lorsque de nombreux héritiers grandirent sous la même tente, et la fortune est inconstante. De nos jours même le plus riche des Lapons Suédois est tombé en peu de temps dans un tel état de pauvreté que le gouvernement doit pourvoir à sa subsistance. Toutes ces causes tendent constamment à rétablir de façon approximative l'égalité économique et sociale de la condition première. « Plus les nomades sont paisibles, primitifs, « authentiques », et moins nous trouvons chez eux de sensibles inégalités dans les possessions. Il est touchant de voir la joie avec laquelle un vieux prince des Mongoles-Zaizans reçoit son cadeau tributaire : une poignée de tabac, un morceau de sucre et vingt-cinq kopeks . »
Toutefois, tant que n'intervient pas le moyen politique, cette inégalité se maintient dans des limites très modestes. L'adresse et l'habileté ne sont pas forcément héréditaires, les troupeaux les plus considérables se  dispersent lorsque de nombreux héritiers grandirent sous la même tente, et la fortune est inconstante. De nos jours même le plus riche des Lapons Suédois est tombé en peu de temps dans un tel état de pauvreté que le gouvernement doit pourvoir à sa subsistance. Toutes ces causes tendent constamment à rétablir de façon approximative l'égalité économique et sociale de la condition première. « Plus les nomades sont paisibles, primitifs, « authentiques », et moins nous trouvons chez eux de sensibles inégalités dans les possessions. Il est touchant de voir la joie avec laquelle un vieux prince des Mongoles-Zaizans reçoit son cadeau tributaire : une poignée de tabac, un morceau de sucre et vingt-cinq kopeks{{ref|14}}. »


Il est réservé au moyen politique de détruire cette égalité de façon plus entière et plus durable. « Là où l’on fait la guerre, là où l'on remporte du butin, il existe des inégalités plus sensibles représentées par la possession d'esclaves, de femmes, d'armes et de coursiers de race . » La possession d'esclaves ! Le nomade a découvert l'esclavage et a créé par là cet embryon de l'Etat : la première exploitation de l'homme par l'homme !
Il est réservé au moyen politique de détruire cette égalité de façon plus entière et plus durable. « Là où l’on fait la guerre, là où l'on remporte du butin, il existe des inégalités plus sensibles représentées par la possession d'esclaves, de femmes, d'armes et de coursiers de race{{ref|15}}. » La possession d'esclaves ! Le nomade a découvert l'esclavage et a créé par là cet embryon de l'Etat : la première exploitation de l'homme par l'homme !


Le chasseur aussi se bat et fait des prisonniers, mais il ne les réduit pas en esclavage ; il les tue ou les adopte comme membres de sa tribu. Que ferait-il d'esclaves ? Les produits de chasse se laissent plus difficilement encore que le grain emmagasiner et « capitaliser ». La pensée de transformer un être humain en machine à travail ne pouvait naître que dans une période de l’économie où existe un fonds de biens, un « capital » exigeant l'aide de travail dépendant pour pouvoir s'accroître. Ce degré est atteint chez les pasteurs. Les membres d'une famille sans aide étrangère suffisent à peine à garder un troupeau peu nombreux et à le protéger contre les ennemis du dehors, hommes ou animaux. Avant l'intervention du moyen politique les aides auxiliaires ne se trouvent qu'en très petit nombre : quelques membres appauvris de la tribu, quelques fugitifs appartenant à des tribus étrangères et que nous trouvons partout comme protégés dépendants dans le train des grands possesseurs de troupeaux . Ici et là une peuplade appauvrie entre à demi volontairement au service d'une plus riche. « Les positions réciproques des peuples sont déterminées par l'état de leurs possessions respectives. Ainsi les Toungousesk qui sont très pauvres s'efforcent de rester dans le voisinage des établissements des Tschouktchisl qui possèdent de grands troupeaux de rennes. Les riches Tschouktchis emploient les Toungouses comme bergers et leur donnent des rennes comme rétribution de leurs services. » De même l'asservissement des Samoyèdesm de l'Oural par les Sirjaines n'a été que la conséquence finale de l'usurpation graduelle de leurs pâturages .
Le chasseur aussi se bat et fait des prisonniers, mais il ne les réduit pas en esclavage ; il les tue ou les adopte comme membres de sa tribu. Que ferait-il d'esclaves ? Les produits de chasse se laissent plus difficilement encore que le grain emmagasiner et « capitaliser ». La pensée de transformer un être humain en machine à travail ne pouvait naître que dans une période de l’économie où existe un fonds de biens, un « capital » exigeant l'aide de travail dépendant pour pouvoir s'accroître. Ce degré est atteint chez les pasteurs. Les membres d'une famille sans aide étrangère suffisent à peine à garder un troupeau peu nombreux et à le protéger contre les ennemis du dehors, hommes ou animaux. Avant l'intervention du moyen politique les aides auxiliaires ne se trouvent qu'en très petit nombre : quelques membres appauvris de la tribu, quelques fugitifs appartenant à des tribus étrangères et que nous trouvons partout comme protégés dépendants dans le train des grands possesseurs de troupeaux{{ref|16}}. Ici et là une peuplade appauvrie entre à demi volontairement au service d'une plus riche. « Les positions réciproques des peuples sont déterminées par l'état de leurs possessions respectives. Ainsi les Toungouses{{ref|17}} qui sont très pauvres s'efforcent de rester dans le voisinage des établissements des Tchouktches{{ref|18}} qui possèdent de grands troupeaux de rennes. Les riches Tchouktches emploient les Toungouses comme bergers et leur donnent des rennes comme rétribution de leurs services. » De même l'asservissement des Samoyèdes{{ref|19}} de l'Oural par les Sirjaines n'a été que la conséquence finale de l'usurpation graduelle de leurs pâturages .


A l'exception de ce dernier cas, qui se rapproche déjà de la formule de l'Etat, les quelques membres « sans capital » subsistant dans une tribu ne suffiraient pas à garder des troupeaux très nombreux. Et pourtant la nature même de l'exploitation impose la division des troupeaux. Un même pâturage ne peut nourrir qu'un nombre limité de bestiaux et les chances de garder intact le nombre de bêtes élevées s'accroissent avec la possibilité de les répartir sur plusieurs pâturages. Alors les maladies, les intempéries, etc., ne peuvent en détruire qu'une partie et l'ennemi du dehors ne peut pas non plus tout dérober à la fois. Chez les Hérérosn par exemple, « tout propriétaire un peu aisé est forcé d'avoir, à côté de son habitation principale, plusieurs pâturages où les frères cadets, ou d'autres parents, ou à défaut des serviteurs âgés et fidèles, sont chargés de la surveillance des troupeaux  ».
A l'exception de ce dernier cas, qui se rapproche déjà de la formule de l'Etat, les quelques membres « sans capital » subsistant dans une tribu ne suffiraient pas à garder des troupeaux très nombreux. Et pourtant la nature même de l'exploitation impose la division des troupeaux. Un même pâturage ne peut nourrir qu'un nombre limité de bestiaux et les chances de garder intact le nombre de bêtes élevées s'accroissent avec la possibilité de les répartir sur plusieurs pâturages. Alors les maladies, les intempéries, etc., ne peuvent en détruire qu'une partie et l'ennemi du dehors ne peut pas non plus tout dérober à la fois. Chez les Hérérosn par exemple, « tout propriétaire un peu aisé est forcé d'avoir, à côté de son habitation principale, plusieurs pâturages où les frères cadets, ou d'autres parents, ou à défaut des serviteurs âgés et fidèles, sont chargés de la surveillance des troupeaux  ».
Ligne 96 : Ligne 96 :
# {{note|12}}Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge (VIe-IXe s.), l'origine de la féodalité.
# {{note|12}}Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge (VIe-IXe s.), l'origine de la féodalité.
# {{note|13}}Les Hottentots sont un peuple de Namibie nomade.  
# {{note|13}}Les Hottentots sont un peuple de Namibie nomade.  
# {{note|14}}
# {{note|14}}Id., 1, ch. II, p. 555.
# {{note|15}}Id., 1, ch. II, p. 555.
# {{note|16}}Par exemple, d'après Ratzel (1, ch. II, p. 214), « chez les Ovambos où ils semblent se trouver dans une condition de semi-esclavage » ; et aussi, d’après Laveleye, dans l'Irlande primitive (Fuidhirs). Les Ovambos (ou Aawambo ou Ambo) sont un groupe ethnique bantou de Namibie et d'Angola.
# {{note|17}}Les Tougouses sont un groupe de peuples de Sibérie (région du Toungouska) : Evenks, Lamoutes, etc. Parfois le mot désigne uniquement les Evenks. Cette appellation est aujourd'hui vieillie.
# {{note|18}}Les Tchouktches (en russe : чукчи, tchouktchi, au pluriel et чукча, tchouktcha, au singulier) sont un peuple paléo-sibérien habitant le nord de l'Extrême-Orient russe sur les rives de l'océan Arctique et de la mer de Béring.
# {{note|19}}Les Samoyèdes (autre transcription : Samoïèdes) sont un ensemble de plusieurs peuples semi-nomades de Sibérie (Russie), qui vivent encore partiellement en autarcie, de chasse, de pêche, et d'élevage de rennes.
</small>
</small>
</div>
</div>
{{Navigateur|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction|Introduction]]|[[Franz Oppenheimer]]&nbsp;&nbsp;—&nbsp;&nbsp;[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[]]}}
{{Navigateur|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction|Introduction]]|[[Franz Oppenheimer]]&nbsp;&nbsp;—&nbsp;&nbsp;[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[]]}}
1 854

modifications