Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie I : L'origine de l'Etat »

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Même si les différences dans les possessions sont considérables, ces tribus ont peu d'esclaves, en tant que classe servile. Celle-ci est constituée de peuples d'une caste inférieure, qui vivent séparés d'eux. Le pastoralisme est le fondement de la famille, de l'Etat, et même du principe de l'évolution politique. Dans ce vaste territoire, entre Scehoa et les frontières méridionales, d'une part, et le Zanzibar d'autre part, il n'y a aucun pouvoir politique fort, en dépit d'une forte dynamique sociale.
Même si les différences dans les possessions sont considérables, ces tribus ont peu d'esclaves, en tant que classe servile. Celle-ci est constituée de peuples d'une caste inférieure, qui vivent séparés d'eux. Le pastoralisme est le fondement de la famille, de l'Etat, et même du principe de l'évolution politique. Dans ce vaste territoire, entre Scehoa et les frontières méridionales, d'une part, et le Zanzibar d'autre part, il n'y a aucun pouvoir politique fort, en dépit d'une forte dynamique sociale.
Dans le cas où le pays n'était pas adapté à l'élevage du bétail sur une grande échelle – comme ce fut le cas partout en Europe occidentale – et où une population moins pacifique pouvait faire des tentatives d'insurrection, la caste des seigneurs devint plus ou moins installée définitivement, en prenant possession ou bien de lieux abrupts ou bien de points stratégiquement importants pour leur camp, par exemple des châteaux ou des villes. A partir de ces centres, ils contrôlèrent leurs « sujets », principalement dans le but de recueillir leur tribut, ne prêtant aucune attention à eux par ailleurs. Ils les laissèrent gérer seuls leurs affaires, exercer leur culte religieux, régler leurs différends, et ajuster leurs méthodes de développement interne. Ils n'intervinrent ni pour contester leur constitution autochtone, ni pour répudier leurs responsables locaux.
Dans le cas où le pays n'était pas adapté à l'élevage du bétail sur une grande échelle – comme ce fut le cas partout en Europe occidentale – et où une population moins pacifique pouvait faire des tentatives d'insurrection, la caste des seigneurs devint plus ou moins installée définitivement, en prenant possession ou bien de lieux abrupts ou bien de points stratégiquement importants pour leur camp, par exemple des châteaux ou des villes. A partir de ces centres, ils contrôlèrent leurs « sujets », principalement dans le but de recueillir leur tribut, ne prêtant aucune attention à eux par ailleurs. Ils les laissèrent gérer seuls leurs affaires, exercer leur culte religieux, régler leurs différends, et ajuster leurs méthodes de développement interne. Ils n'intervinrent ni pour contester leur constitution autochtone, ni pour répudier leurs responsables locaux.
Si Frants Buhl le relate correctement, ce fut le début de la domination des Israélites en Canaanal. L'Abyssinie, cette grande force militaire, a pu sembler, à première vue, être un État pleinement développé. Mais elle ne semble pas, en réalité, avoir progressé au-delà de la quatrième étape.
A tout le moins, comme le précise Ratzel,
Le principal souci des Abyssins porte sur le tribut, pour lequel ils suivent la méthode des monarques orientaux des temps anciens et modernes, qui n’interfèrent pas avec la gestion interne et l'administration de la justice de leurs peuples soumis.
Le meilleur exemple de la quatrième étape se retrouve dans la situation de l'ancien Mexique avant la conquête espagnole :
La confédération sous la direction des Mexicains avait des idées progressistes sur la conquête. Seules les tribus qui offraient de la résistance furent éliminées. Dans les autres cas, les vaincus ont été simplement pillé, puis tenus de payer un tribut. La tribu vaincue se régissait comme auparavant, avec ses propres fonctionnaires. Ce fut différent au Pérou, où la formation d'un empire compact suivit la première attaque. Au Mexique, l'intimidation et l'exploitation ont été les seuls buts de la conquête. Et il se peut que le soi-disant Empire du Mexique à l'époque de la conquête n'ait été qu'un groupe de tribus indiennes intimidées et soumises, dont la fédération a été empêchée par la crainte de pillages lancés depuis certaines forteresses inexpugnables situées en leur sein.


On notera que l'on ne peut pas parler d'Etat au sens propre. Ratzel montre cela dans la note suivante :
Si Frants Buhl le relate correctement, ce fut le début de la domination des Israélites en Canaan{{ref|61}}. L'Abyssinie, cette grande force militaire, a pu sembler, à première vue, être un État pleinement développé. Mais elle ne semble pas, en réalité, avoir progressé au-delà de la quatrième étape.
Il est certain que les différentes peuplades soumises par les guerriers de Montezuma étaient séparés les unes des autres par des étendues de territoires non encore conquis. Une situation très semblable s'appliquait à la domination des Hova à Madagascar. Ceci ne signifie pas que la dispersion de quelques garnisons, ou plus encore, que la présence de colonies militaires sur le terrain, est une marque de domination absolue, puisque ces colonies avaient beaucoup de peine à maintenir une bande de terre de quelques kilomètres dans la soumission.
 
A tout le moins, comme le précise Ratzel, « le principal souci des Abyssins porte sur le tribut, pour lequel ils suivent la méthode des monarques orientaux des temps anciens et modernes, qui n’interfèrent pas avec la gestion interne et l'administration de la justice de leurs peuples soumis. »
 
Le meilleur exemple de la quatrième étape se retrouve dans la situation de l'ancien Mexique avant la conquête espagnole : « la confédération sous la direction des Mexicains avait des idées progressistes sur la conquête. Seules les tribus qui offraient de la résistance furent éliminées. Dans les autres cas, les vaincus ont été simplement pillé, puis tenus de payer un tribut. La tribu vaincue se régissait comme auparavant, avec ses propres fonctionnaires. Ce fut différent au Pérou, où la formation d'un empire compact suivit la première attaque. Au Mexique, l'intimidation et l'exploitation ont été les seuls buts de la conquête. Et il se peut que le soi-disant Empire du Mexique à l'époque de la conquête n'ait été qu'un groupe de tribus indiennes intimidées et soumises, dont la fédération a été empêchée par la crainte de pillages lancés depuis certaines forteresses inexpugnables situées en leur sein. »
 
On notera que l'on ne peut pas parler d'Etat au sens propre. Ratzel montre cela dans la note suivante : « il est certain que les différentes peuplades soumises par les guerriers de Montezuma étaient séparés les unes des autres par des étendues de territoires non encore conquis. Une situation très semblable s'appliquait à la domination des Hova à Madagascar. Ceci ne signifie pas que la dispersion de quelques garnisons, ou plus encore, que la présence de colonies militaires sur le terrain, est une marque de domination absolue, puisque ces colonies avaient beaucoup de peine à maintenir une bande de terre de quelques kilomètres dans la soumission. »
 
La logique des évènements fit rapidement passer de la quatrième à la cinquième étape, et modela presque entièrement l'Etat complet. Les querelles survinrent entre tribus ou villages voisins que les seigneurs ne permirent plus d'être convoités, car sinon la servilité des paysans aurait pu être compromise. Les seigneurs s'arrogèrent le droit d'arbitrage, et en cas de besoin, celui de faire respecter leur jugement. En fin de compte, au sein de chaque « tribunal » du roi du village ou du chef de tribu, on trouva un fonctionnaire qui le suppléait dans l'exercice du pouvoir, tandis que les chefs furent autorisés à conserver l'apparence du pouvoir. L'Etat des Incas donne, d'une manière primitive, un exemple typique de cet agencement.
La logique des évènements fit rapidement passer de la quatrième à la cinquième étape, et modela presque entièrement l'Etat complet. Les querelles survinrent entre tribus ou villages voisins que les seigneurs ne permirent plus d'être convoités, car sinon la servilité des paysans aurait pu être compromise. Les seigneurs s'arrogèrent le droit d'arbitrage, et en cas de besoin, celui de faire respecter leur jugement. En fin de compte, au sein de chaque « tribunal » du roi du village ou du chef de tribu, on trouva un fonctionnaire qui le suppléait dans l'exercice du pouvoir, tandis que les chefs furent autorisés à conserver l'apparence du pouvoir. L'Etat des Incas donne, d'une manière primitive, un exemple typique de cet agencement.
On trouvait des Incas unis à Cuzco, où ils avaient leurs terres patrimoniales et des habitations. Toutefois un représentant des Incas, le Tucricuc, résidait dans chaque secteur à la cour du chef indigène. Il « avait un contrôle sur toutes les affaires de sa circonscription ; il soulevait les troupes, dirigeait la collecte du tribut, organisait le travail sur les routes et les ponts, surveillait l'administration de la justice, et en bref supervisait tout dans son secteur. »
On trouvait des Incas unis à Cuzco, où ils avaient leurs terres patrimoniales et des habitations. Toutefois un représentant des Incas, le Tucricuc, résidait dans chaque secteur à la cour du chef indigène. Il « avait un contrôle sur toutes les affaires de sa circonscription ; il soulevait les troupes, dirigeait la collecte du tribut, organisait le travail sur les routes et les ponts, surveillait l'administration de la justice, et en bref supervisait tout dans son secteur. »
Les mêmes institutions qui furent élaborées par les chasseurs américains et les pasteurs sémites se trouvèrent aussi chez les éleveurs africains. En Ashanti, le système du Tucricuc a été développé d'une manière typique, et à Dualla fut mis en place pour les sujets vivants dans des villages isolés "une institution fondée sur la conquête à mi-chemin entre un système féodal et l'esclavage."
 
L'auteur rapporte même que les Lozisam eurent une constitution qui correspondait à la première étape de l'organisation de la féodalité médiévale :
Les mêmes institutions qui furent élaborées par les chasseurs américains et les pasteurs sémites se trouvèrent aussi chez les éleveurs africains. En Ashanti, le système du Tucricuc a été développé d'une manière typique, et à Dualla fut mis en place pour les sujets vivants dans des villages isolés « une institution fondée sur la conquête à mi-chemin entre un système féodal et l'esclavage. »
Leurs villages sont (...) comme un filet entouré d'un cercle de hameaux où vivent leurs serfs. Ceux-ci labourent les champs de leurs seigneurs dans le voisinage immédiat, cultivent des céréales, ou élèvent le troupeau de bovins.
 
L'auteur rapporte même que les Lozis{{ref|62}} eurent une constitution qui correspondait à la première étape de l'organisation de la féodalité médiévale : « leurs villages sont (...) comme un filet entouré d'un cercle de hameaux où vivent leurs serfs. Ceux-ci labourent les champs de leurs seigneurs dans le voisinage immédiat, cultivent des céréales, ou élèvent le troupeau de bovins. »
 
La seule chose qui ne fut pas typique ici consistait en ce que les seigneurs ne vivaient pas dans des châteaux ou des forts isolés, mais s'étaient installés dans les villages, parmi leurs sujets.
La seule chose qui ne fut pas typique ici consistait en ce que les seigneurs ne vivaient pas dans des châteaux ou des forts isolés, mais s'étaient installés dans les villages, parmi leurs sujets.
Il n'y eut qu'un tout petit pas des Incas aux Doriens de Lacédémone, de Messénie, ou de Crète, et pas une plus grande distance ne séparait le Foulbé, Dualla, le Lozi, des Etats à l'organisation féodale relativement rigide des empires négro-africains de l'Ouganda, de l'Ounyoro, etc., et les empires féodaux de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, et d'Asie.
Il n'y eut qu'un tout petit pas des Incas aux Doriens de Lacédémone, de Messénie, ou de Crète, et pas une plus grande distance ne séparait le Foulbé, Dualla, le Lozi, des Etats à l'organisation féodale relativement rigide des empires négro-africains de l'Ouganda, de l'Ounyoro, etc., et les empires féodaux de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, et d'Asie.
Dans tous ces lieux, les mêmes résultats furent imposés par la force par les mêmes causes socio-psychologiques. La nécessité de maintenir l'ordre parmi les sujets, et en même temps de les maintenir à leur pleine capacité de travail, conduisit progressivement de la cinquième à la sixième étape, en laquelle l'Etat, par l'acquisition d'une force intranationale pleine et entière et par l'évolution du concept de « Nationalité », se développa très rapidement.
Dans tous ces lieux, les mêmes résultats furent imposés par la force par les mêmes causes socio-psychologiques. La nécessité de maintenir l'ordre parmi les sujets, et en même temps de les maintenir à leur pleine capacité de travail, conduisit progressivement de la cinquième à la sixième étape, en laquelle l'Etat, par l'acquisition d'une force intranationale pleine et entière et par l'évolution du concept de « Nationalité », se développa très rapidement.
Le besoin devint de plus en plus fréquent d'intervenir, de dissiper les problèmes, de punir ou de contraindre à l'obéissance, et ainsi se développa l'habitude de la règle de droit et des usages du pouvoir étatique. Les deux groupes, séparés initialement, et ensuite unis sur un territoire, se bornèrent tout d'abord à vivre côte à côte, puis se mélangèrent ensuite à la manière du procédé « mécanique » employé en chimie, jusqu'à ce qu'ils devinrent progressivement une « combinaison chimique ». Ils se mêlèrent, s'unirent, fusionnèrent, tant dans les us et coutumes, que dans leurs expressions et leurs cultes.
Le besoin devint de plus en plus fréquent d'intervenir, de dissiper les problèmes, de punir ou de contraindre à l'obéissance, et ainsi se développa l'habitude de la règle de droit et des usages du pouvoir étatique. Les deux groupes, séparés initialement, et ensuite unis sur un territoire, se bornèrent tout d'abord à vivre côte à côte, puis se mélangèrent ensuite à la manière du procédé « mécanique » employé en chimie, jusqu'à ce qu'ils devinrent progressivement une « combinaison chimique ». Ils se mêlèrent, s'unirent, fusionnèrent, tant dans les us et coutumes, que dans leurs expressions et leurs cultes.
Bientôt, des liens de parenté unirent les castes supérieures et les couches inférieures. Dans presque tous les cas, les maîtres choisirent les plus belles des vierges des races assujetties pour en faire leurs concubines. Une race de bâtards se développa ainsi, qui parfois devint la nouvelle classe dirigeante, et qui parfois fut rejetée, puis, à cause du sang des maîtres qui coulait dans leurs veines, constitua tôt ou tard les dirigeants de la race assujettie par leur naissance. En forme comme en contenu, l'État primitif fut achevé.
Bientôt, des liens de parenté unirent les castes supérieures et les couches inférieures. Dans presque tous les cas, les maîtres choisirent les plus belles des vierges des races assujetties pour en faire leurs concubines. Une race de bâtards se développa ainsi, qui parfois devint la nouvelle classe dirigeante, et qui parfois fut rejetée, puis, à cause du sang des maîtres qui coulait dans leurs veines, constitua tôt ou tard les dirigeants de la race assujettie par leur naissance. En forme comme en contenu, l'État primitif fut achevé.


== Notes ==  
== Notes ==  
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# {{note|59}}Le Borkou donne son nom aujourd'hui à une des régions du Tchad.
# {{note|59}}Le Borkou donne son nom aujourd'hui à une des régions du Tchad.
# {{note|60}}Tribus nomades bantoues.
# {{note|60}}Tribus nomades bantoues.
# {{note|61}}Terme utilisé dans le récit biblique pour décrire la partie du Proche-Orient située entre la Méditerranée et le Jourdain (cette région correspond plus ou moins aujourd'hui aux territoires de la Palestine, de l'ouest de la Jordanie, du sud de la Syrie et du Liban), avant sa conquête par Josué et les Tribus d'Israël sorties d'Égypte. Le terme provient du nom de Canaan, petit-fils de Noé.
# {{note|62}}Les Lozis sont un peuple d'Afrique australe, surtout présent en Zambie et au Botswana, ainsi qu'en Namibie, dans la région de Caprivi.
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