Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie V : L'évolution de l'Etat constitutionnel

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Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie V : L'évolution de l'Etat constitutionnel


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Partie V : L'évolution de l'Etat constitutionnel
l’Etat, Ses origines, son évolution et son avenir
Der Staat
B577.jpg
Auteur : Franz Oppenheimer
Genre
sociologie
Année de parution
1913
Dans l'archipel malais comme dans le grand laboratoire sociologique africain, dans tous les pays du globe où l'évolution des races a dépassé la période de sauvagerie primitive, l'Etat est né de la subjugation d'un groupe humain par un autre groupe et sa raison d'être est, et a toujours été, l'exploitation économique des asservis.
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Si nous comprenons ici encore par « fins » une évolution organique, progressive ou régressive, de l'Etat Féodal Développé, évolution déterminée par des forces intérieures, et non une fin amenée mécaniquement et causée par des forces extérieures, nous pouvons dire que la fin de l'Etat est déterminée uniquement par le développement indépendant des institutions sociales fondées par le moyen économique.

Des influences analogues peuvent venir aussi de l'extérieur, d'Etats étrangers possédant un développement économique plus avancé et par suite une centralisation plus rigide, une meilleure organisation militaire et une plus puissante force de propulsion. Nous avons déjà mentionné de tels cas : le développement indépendant des Etats Féodaux méditerranéens a été arrêté par leur collision avec les Etats maritimes beaucoup plus riches et plus rigoureusement centralisés de Carthage et surtout de Rome. La destruction de l'empire des Perses par Alexandre rentre aussi dans cette catégorie de faits, la Macédoine s'étant déjà assimilé à cette époque les acquisitions économiques des Etats maritimes hellènes. Le meilleur exemple de l'action de ces influences étrangères est le sort du Japon moderne dont l'évolution a été précipitée de façon presque incroyable par l'action militaire et économique de la civilisation occidentale. En une génération à peine il a parcouru la distance séparant l'Etat Féodal Développé de l'Etat constitutionnel moderne entièrement organisé.

Il ne s'agit ici, ce me semble, que d'une abréviation du processus. Autant qu'il est possible d'en juger, – car l'histoire ne nous offre maintenant que peu de données à l'appui et l'ethnographie moins encore, – les forces intérieures, même sans l'intervention de puissantes influences étrangères, doivent inévitablement conduire l'Etat Féodal Développé par le même chemin vers la même fin.

Les créations du moyen économique qui gouvernent cette évolution sont l'organisation urbaine et sa création essentielle, l'économie monétaire, qui refoule peu à peu l'économie naturelle et déplace ainsi l'axe autour duquel se meut toute la vie de l'Etat : le capital foncier cède graduellement la place au capital mobilier.

Emancipation de la classe paysanne

Tout ce qui précède résulte nécessairement des conditions fondamentales de l'Etat naturel Féodal. A mesure que la grande propriété foncière se transforme en souveraineté, l'économie féodale naturelle disparaît.

En effet tant que la grande propriété foncière est relativement peu étendue il est possible de maintenir le principe primitif de l'apiculteur, laissant au paysan le strict nécessaire ; mais lorsqu'elle s'étend de plus en plus et, ce qui est généralement le cas, qu'elle embrasse des possessions éparpillées sur des territoires éloignés, acquises par les guerres, « commendationes[1] » de petits propriétaires, héritages ou alliances politiques, ce régime devient impossible. Si le propriétaire ne veut pas payer une foule de fonctionnaires subalternes, méthode non seulement coûteuse mais aussi dangereuse politiquement, il n’a qu’une ressource : imposer au paysan une redevance fixe, moitié rente, moitié taxe. La nécessité économique d'une réforme administrative coïncide ainsi avec la nécessité politique de l'élévation de la « plèbe » que nous avons observée déjà.

A mesure que le propriétaire cesse d'être un sujet économique d'ordre privé pour devenir exclusivement un sujet légal d’ordre public, c'est-à-dire un souverain, la solidarité que nous avons déjà mentionnée s'affirme entre lui et le peuple. Nous avons vu que dès la période de transition menant la grande propriété foncière à la principauté, les magnats isolés avaient le plus grand intérêt à établir un régime bénin, non seulement afin d'élever la plèbe au sentiment patriotique, mais aussi pour faciliter aux hommes francs le passage au servage et dérober aux voisins et rivaux le précieux matériel humain. Ce même intérêt commande urgemment au souverain parvenu à la pleine indépendance de persévérer dans cette voie. Son intérêt politique, lorsqu'il baille des fiefs à ses fonctionnaires et officiers, est avant tout de ne pas leur livrer les sujets pieds et poings liés. Pour les garder sous sa domination il restreint le droit d'aide des chevaliers à des redevances fixes en nature et à des corvées déterminées, et se réserve les autres droits d'ordre politique (droits de péage, etc...). Le fait que le paysan paie désormais tribut à deux maîtres au moins a une importance énorme pour le cours de son élévation ultérieure.

Le paysan dans l'Etat Féodal Développé ne doit donc plus que des redevances fixes : tout excédent lui appartient en propre. Le caractère de la propriété foncière se trouve bouleversé par là de fond en comble : pendant que jusque-là la totalité du produit revenait légalement, au maître déduction faite de l'entretien à peine suffisant du cultivateur, le produit appartient maintenant à ce dernier, déduction faite d'une rente fixe à payer au propriétaire. La grande propriété foncière est devenue seigneurie ; c'est le second grand pas accompli par l'humanité vers son but ultime. Le premier fut la transformation de l'Etat-Ours en Etat-Apiculteur : il institua l'esclavage que le second supprime. Le travailleur, jusque-là uniquement objet légal est devenu pour la première fois sujet légal. Le moteur à travail dépourvu de droits, ne possédant qu'une faible garantie d'existence, la chose de son maître, est maintenant le sujet contribuable d'un prince.

Dès lors le moyen économique assuré du succès final va déployer toutes ses forces. Le paysan travaille avec infiniment plus d'énergie et de soin, obtient un excédent, et par là est créée la ville au sens strictement économique du mot, la ville industrielle. Le paysan porte ses produits sur le marché – en d'autres termes il exécute une demande de ces biens industriels qu'il ne produit plus lui-même. Travaillant avec une plus grande intensité, il n'a plus le temps nécessaire pour produire les différents biens qu'il fabriquait jusque-là avec sa famille. La division du travail entre la production de matières premières et l'industrie devient possible et même nécessaire : le village est principalement le siège de la première, la ville industrielle se fonde comme siège de la seconde.

Notes

  1. ^ Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge (VIe-IXe s.), l'origine de la féodalité. À l'époque mérovingienne, cette commendatio affecte des hommes de tout rang qui obtiennent ainsi d'un plus puissant (laïc, ou institution ecclésiastique) soit la confirmation de leur droit de propriété sur une terre, soit la jouissance d'une terre attribuée lors de la commendatio (c'est le beneficium, ou bienfait). Moyennant ces avantages générateurs d'une appréciable protection, le « recommandé » doit à son seigneur un certain nombre de prestations (service militaire, aide économique, conseil et assistance).

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