Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie V : L'évolution de l'Etat constitutionnel »

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Dès lors le moyen économique assuré du succès final va déployer toutes ses forces. Le paysan travaille avec infiniment plus d'énergie et de soin, obtient un ''excédent'', et par là est créée la ville au sens strictement économique du mot, la ville industrielle. Le paysan porte ses produits sur le marché – en d'autres termes il exécute une demande de ces biens industriels qu'il ne produit plus lui-même. Travaillant avec une plus grande intensité, il n'a plus le temps nécessaire pour produire les différents biens qu'il fabriquait jusque-là avec sa famille. La division du travail entre la production de matières premières et l'industrie devient possible et même nécessaire : le village est principalement le siège de la première, la ville industrielle se fonde comme siège de la seconde.
Dès lors le moyen économique assuré du succès final va déployer toutes ses forces. Le paysan travaille avec infiniment plus d'énergie et de soin, obtient un ''excédent'', et par là est créée la ville au sens strictement économique du mot, la ville industrielle. Le paysan porte ses produits sur le marché – en d'autres termes il exécute une demande de ces biens industriels qu'il ne produit plus lui-même. Travaillant avec une plus grande intensité, il n'a plus le temps nécessaire pour produire les différents biens qu'il fabriquait jusque-là avec sa famille. La division du travail entre la production de matières premières et l'industrie devient possible et même nécessaire : le village est principalement le siège de la première, la ville industrielle se fonde comme siège de la seconde.
==Naissance de la ville industrielle==
Que l'on ne se méprenne pas ! Ce n'est pas la ville qui est fondée mais la ''ville industrielle''. La véritable ville historique existe depuis longtemps et ne manque dans aucun Etat Féodal Développé. Elle tire son origine soit du moyen politique seul, comme château fort, soit de l'association des moyens politiques et économiques, comme foire, soit du besoin religieux comme territoire d'Eglise{{ref|2}}. Lorsque de telles villes au sens historique ou mot se trouvent dans le voisinage, la ville industrielle se greffe sur elles : autrement elle surgit spontanément comme produit de la division du travail désormais organisée, et se développe le plus souvent à son tour comme château fort et lieu de culte.
Ce ne sont là toutefois que des additions historiques fortuites. Au sens strict du mot la ville est le siège du moyen économique, du mouvement d’échange entre la production agricole et l'industrie. L'usage même du mot confirme notre assertion : une forteresse, quelque importante qu'elle soit, un amoncellement de temples, de cloîtres, de lieux de pèlerinage, fussent-ils même concevables sans marché, ne peuvent pas encore être appelés des « villes ».
Si l'aspect extérieur de la ville historique a relativement peu changé, sa transformation intérieure est d'autant plus considérable. La ville industrielle est l'antipode et l’adversaire née de l'Etat : ''il est le moyen politique, elle est le moyen économique en plein développement''. La grande lutte qui remplit les pages de l'histoire universelle, qui est cette histoire même, se livre désormais entre la ville et l'Etat.
La ville, en tant que corps politique et économique, emploie pour combattre le système féodal des armes politiques et économiques : avec les premières elle arrache, avec les secondes elle dérobe le pouvoir à la classe dominatrice de la féodalité. Ce processus a lieu sur le terrain politique de la manière suivante : la ville, centre de pouvoir indépendant, intervient dans le jeu des forces faisant mouvoir l'Etat féodal ; elle se dresse et s'immisce comme quatrième force entre le pouvoir central, les seigneurs locaux et les sujets. En tant que forteresses et domiciles de gens de guerre, dépôts d'instruments militaires, d'armes, etc., et plus tard comme centres d'économie monétaire, les villes sont de précieux soutiens et alliés dans les combats entre le pouvoir central et les futurs princes souverains, de même que dans les luttes entre ces derniers et elles peuvent, par une adroite politique, obtenir de précieux privilèges.
Dans ces combats les villes sont généralement avec le pouvoir central contre les seigneurs féodaux ; pour des raisons sociales d'abord, le noble refusant de reconnaître au patricien dans les rapports sociaux l'égalité que ce dernier exige au nom de sa richesse supérieure ; puis, pour des raisons politiques, le pouvoir central, grâce à la solidarité existant entre le prince et le peuple, considérant l'intérêt commun bien plus que ne le fait le grand propriétaire foncier, recherchant uniquement ses intérêts privés ; et enfin pour des raisons économiques, la prospérité de la ville étant étroitement liée à la paix et la sécurité publique. Entre le droit du plus fort et le moyen économique règne une irrévocable incompatibilité. C'est pourquoi les villes restent en général attachées au protecteur de la paix et de la légalité : à l'empereur, au souverain. Et lorsque les milices municipales détruisent et rasent un repaire de brigands ce n'est que le reflet en infiniment petit de la gigantesque opposition qui gouverne l'histoire du monde.
Afin de pouvoir remplir avec succès ce rôle historique la ville doit attirer dans ses murs le plus grand nombre possible d'habitants, tendance justifiée aussi par des considérations d'ordre purement économique. Avec le nombre des citoyens augmente la division du travail et aussi la richesse. C'est pourquoi la ville encourage l'immigration de toutes ses forces, démontrant ainsi une fois de plus l'antagonisme absolu qui existe entre elle et le seigneur féodal. Les nouveaux citoyens qu'elle attire sont arrachés aux domaines, aux possessions féodales qui vont s'affaiblissant en forces, en contribuables et en militaires à mesure que la ville se fortifie. Cette dernière intervient comme amateur dans cette vente aux enchères où le paysan-serf est adjugé au plus offrant, à celui qui offre le plus d'avantages et de droits. ''La ville offre liberté entière'', parfois même maison et terrain. L'axiome « l'air des villes rend libre » est défendu victorieusement et le pouvoir central, ravi de fortifier les villes en affaiblissant les nobles rebelles, appose volontiers son sceau sous le droit nouvellement institué.
C'est le troisième grand progrès accompli au cours de l'histoire du monde : la dignité du travail libre est découverte ou plutôt elle est retrouvée : elle était tombée en oubli depuis ces temps reculés où le chasseur indépendant et le laboureur non-conquis jouissaient librement du fruit de leur labeur. Le paysan porte toujours la flétrissure du servage et son droit est bien faible encore : mais dans la ville fortifiée et bien défendue le citoyen porte haut la tête, un homme libre dans toute l'acception du mot.
Sans doute il y a encore des inégalités politiques dans l'enceinte des murs de la ville. Les anciens habitants, les descendants des chevaliers, les familles d'origine libre, les riches propriétaires refusent au nouveau venu, à l'affranchi, au pauvre artisan ou regrattier, toute participation aux affaires municipales. Mais comme nous l'avons déjà vu dans la description de l'Etat Maritime, ces rangs ne peuvent se maintenir longtemps dans l'atmosphère citadine. La majorité intelligente, sceptique, fortement organisée et unifiée conquiert finalement l'égalité des droits. La lutte dure en général plus longtemps dans l'Etat Féodal Développé, les partis n'étant plus seuls à vider leurs querelles : les grands propriétaires fonciers du voisinage et les princes interviennent comme obstacles dans le jeu des forces. Ce ''tertius gaudens''{{ref|3}} était absent dans les Etats Maritimes de l'antiquité où aucune domination féodale n'existait en dehors de la ville.
Telles sont les armes politiques de la cité dans sa lutte contre l'Etat Féodal : alliance avec la couronne, offensive directe, et attraction des serfs des campagnes dans la libre atmosphère citadine. Et son arme économique n'est pas moins puissante ; ''l'économie monétaire'', conséquence inséparable de l'organisation urbaine, détruit de fond en comble l'Etat ne connaissant que l'économie naturelle, l'Etat Féodal.


== Notes ==  
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# {{note|1}}Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge (VIe-IXe s.), l'origine de la féodalité. À l'époque mérovingienne, cette ''commendatio'' affecte des hommes de tout rang qui obtiennent ainsi d'un plus puissant (laïc, ou institution ecclésiastique) soit la confirmation de leur droit de propriété sur une terre, soit la jouissance d'une terre attribuée lors de la ''commendatio'' (c'est le ''beneficium'', ou bienfait). Moyennant ces avantages générateurs d'une appréciable protection, le « recommandé » doit à son seigneur un certain nombre de prestations (service militaire, aide économique, conseil et assistance).
# {{note|1}}Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge (VIe-IXe s.), l'origine de la féodalité. À l'époque mérovingienne, cette ''commendatio'' affecte des hommes de tout rang qui obtiennent ainsi d'un plus puissant (laïc, ou institution ecclésiastique) soit la confirmation de leur droit de propriété sur une terre, soit la jouissance d'une terre attribuée lors de la ''commendatio'' (c'est le ''beneficium'', ou bienfait). Moyennant ces avantages générateurs d'une appréciable protection, le « recommandé » doit à son seigneur un certain nombre de prestations (service militaire, aide économique, conseil et assistance).
# {{note|2}}« Autour des lieux du culte proprement dit viennent toujours se grouper des demeures pour les prêtres, des écoles et des asiles pour les pèlerins. » (Ratzel, l ch. II.) Tout pèlerinage important devient naturellement le centre d'un marché florissant. Il est à noter qu'en allemand les grandes foires de commerce s'appellent, du nom de la cérémonie religieuse, des « ''Messen'' ».
# {{note|3}}« Le tiers réjouit », expression qui fait référence à une situation où un tiers profite du conflit qui oppose deux groupes. Cette formule est due au sociologue allemand Georg Simmel.
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