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Gustave de Molinari:Questions économiques à l’ordre du jour - Première partie : La fonction régulatrice des lois de la concurrence et de la valeur


Anonyme


Première partie - La fonction régulatrice des lois de la concurrence et de la valeur


À mesure que l'industrie progresse, la production indirecte se substitue à la production directe. On ne produit plus pour consommer les fruits de son industrie, on produit pour les échanger. Cette substitution de la production en vue de l'échange à la production en vue de la consommation, s'est particulièrement accélérée depuis l'avènement de la grande industrie. Après avoir été la règle, la production directe est devenue l'exception. Dans les pays où l'industrie est la plus avancée, on ne consomme soi-même qu'une faible partie des choses que l'on produit, et la plupart même des producteurs et des coopérateurs de la production n'en consomment aucune. Cette généralisation de la production indirecte tient à l'essor prodigieux que le progrès a imprimé à la puissance productive de l'homme, en comparaison de la production directe. A l'époque où les vêtements étaient fabriqués à la main, il pouvait être avantageux de les confectionner soi-même ; il est plus économique de les acheter tout faits depuis qu'ils sont fabriqués à la machine, et il en est de même pour tous les autres articles de consommation. On ne produit plus pour soi-même, on produit pour autrui. Cette substitution de plus en plus générale de la production en vue de l'échange à la production en vue de la consommation a fait surgir les problèmes de l'équilibre de la production et de la consommation, et de la répartition des produits entre les coopérateurs de la production. Comment ces problèmes se résolvent par l'opération combinée des lois naturelles de la concurrence et de la valeur, c'est ce que nous allons essayer de résumer. Mais si l'on veut se rendre clairement compte de cette opération, il faut d'abord savoir pourquoi on produit et ce qu'on produit, autrement dit, avoir présentes à l'esprit les notions du besoin, de l'utilité, et de la valeur.


I. Le besoin, l'utilité et la valeur.

C'est au phénomène de la vie que nous devons remonter pour avoir la notion du besoin.

L'homme est un composé de matières et de forces. Ces matières et ces forces dans lesquelles réside la vie ne peuvent se conserver et se développer que par l'assimilation ou, pour nous servir de l'expression économique, par la consommation de matières et de forces adaptées à leur nature. De là le besoin. Le besoin se manifeste par une sensation pénible, une souffrance.

Averti par cette souffrance, l'être vivant cherche à se procurer les matières et les forces en possession du pouvoir de satisfaire à la demande du besoin, et de réparer ainsi la perte de vitalité qui provoquait cette demande. Ce pouvoir réparateur ; c'est l'utilité. L'assimilation ou la consommation de l'utilité provoque une jouissance. Tout être vivant est donc averti par la souffrance de la nécessité d'agir pour se procurer les matériaux réparateurs de sa vitalité et excité, de plus, à les acquérir, par la jouissance qui en accompagne la consommation. Tel est le mobile de son activité.

Cependant, cette nécessité d'agir ne s'imposerait point à l'être vivant si la nature lui fournissait les matériaux nécessaires a la satisfaction de ses besoins sans qu'il eût à faire aucun effort, partant à s'infliger aucune peine pour les obtenir, autrement dit si l'utilité qu'ils contiennent était gratuite. Mais il n'en est pas ainsi. Le plus grand nombre des matériaux nécessaires à la satisfaction des besoins de l'homme doivent être acquis par des efforts plus ou moins intenses et prolongés, que l'on désigne sous le nom de travail. Le travail consiste en une dépense de forces employées à l'acquisition des matériaux contenant des pouvoirs de satisfaction des besoins, ou des utilités, et cette dépense de forces cause une sensation de peine. Il y a donc deux sortes d'utilités : celles qui sont fournies par la nature sans que l'homme ait à faire aucun effort, à se donner aucune peine pour les acquérir, les utilités gratuites ; et les utilités acquises par le travail, les utilités produites. Celles-là sont simplement qualifiées d'utilités, celles-ci prennent le nom de valeurs, et elles sont exclusivement l'objet de l'économie politique.

Mais avant d'aller plus loin, achevons de nous rendre compte de la nature des besoins.

Chaque besoin répond à une catégorie particulière de forces vitales. Il se manifeste par la souffrance que cause la déperdition de ces forces lorsqu'elles ne sont pas entretenues et renouvelées par l'assimilation d'éléments qui leur conviennent. Selon leur nature, physique, intellectuelle ou morale, elles sont plus ou moins nécessaires à la conservation de la vie de l'individu dans lequel elles sont investies. Sous ce rapport, les besoins physiques tiennent le premier rang, et, parmi eux, le besoin de nourriture, car la non satisfaction de ce besoin, dit de première nécessité, provoque la souffrance la plus vive et est suivie de la perte la plus certaine de la vie. Viennent ensuite le besoin de défense contre les êtres et les choses du milieu ambiant, le besoin de reproduction, etc. Ces besoins physiques sont communs aux hommes et aux espèces inférieures. Parmi les besoins intellectuels et moraux, quelques-uns appartiennent, quoique à des degrés divers, à l'homme et aux animaux supérieurs, d'autres n'appartiennent qu'à lui, mais au point de vue de la conservation de la vie, les uns et les autres ne viennent qu'après les besoins physiques. C'est pourquoi la valeur des produits qui sont propres à satisfaire ceux-ci peut s'élever plus haut que la valeur de ceux-là.

Parmi les besoins, il faut distinguer encore ceux qui se rapportent à l'individu luimême et ceux qui se rapportent à autrui, les besoins égoïstes et les besoins altruistes. Les uns et les autres demandent à être satisfaits et provoquent la création de produits matériels ou immatériels, adaptés à leur nature. Mais tous sont gouvernés par la même loi : l'individu qui les éprouve obéit au mobile de la peine et du : plaisir en satisfaisant un besoin altruiste, aussi bien qu'un besoin égoïste. S'il impose, par exemple, des privations pour satisfaire aux besoins de ses enfants et, en général, des êtres qu'il aime, c'est qu'il souffre de leur souffrance, et que cette souffrance est supérieure à celle qu'il s'impose à lui-même pour l'apaiser ; c'est que la jouissance qu'il ressent en satisfaisant ce besoin altruiste est supérieure à celle que lui vaudrait la satisfaction d'un besoin égoïste.

Le mobile de la peine et du plaisir, véhicule universel de l'activité des êtres vivants, auquel nous obéissons en pourvoyant à nos besoins égoïstes ou altruistes, nous l'appelons l'intérêt. C'est donc restreindre abusivement la signification de l'intérêt que de le confondre, comme on le f'ait d'habitude, avec l'égoïsme.

Enfin, entre le sauvage et l'homme civilisé, il y a cette différence, que l'un obéit aveuglément à l'impulsion de ses besoins et se laisse gouverner par eux, tandis que l'autre les gouverne ou s'efforce de les gouverner. C'.est que l'homme n'a pas seulement des besoins actuels, il a encore des besoins futurs. Dépourvu de prévoyance, et, n'ayant d'ailleurs qu'un minimum de capacité productive, le sauvage ne pourvoit guère qu’à ses besoins actuels les plus pressants, dans une gradation déterminée par le mobile de la peine et du plaisir. L’homme civilisé obéit au même mobile, mais il prévoit ses besoins futurs et il compare les peines et les jouissances, qui y sont afférentes, avec celles de ses besoins actuels. Il répartit les valeurs qu'il crée entre les uns et les autres, selon l'importance qu'il leur attribue. S'il juge que la satisfaction d'un besoin futur, matériel ou moral, lui procurera une jouissance ou lui épargnera une peine plus grande que celle d'aucun de ses besoins actuels, il restreindra sa consommation quotidienne, en admettant qu'il ne puisse augmenter sa production, pour faire une part à sa consommation à venir. Il épargnera et constituera un capital, c'est-à-dire une accumulation de valeurs, et ce capital, ou bien il l'emploiera à accroître sa puissance productive de manière à pourvoir plus amplement à ses besoins actuels et futurs, ou il le conservera simplement jusqu'au jour où les besoins qu'il a prévus viendront à échéance. Il est rare toutefois que ce partage entre les besoins présents et les besoins à venir soit parfaitement conforme à l'intérêt de l'individu qui l'opère. Le plus grand nombre des hommes font une part trop grande à leurs besoins actuels, d'autres exagèrent celle de leurs besoins futurs, et ces deux déviations de l'emploi utile des valeurs sont également nuisibles. Il faut remarquer aussi que la capacité de prévoir ne suffit pas seule à l'opération de l'épargne, il faut y joindre celle de résister à la poussée, parfois violente, des appétits du jour. Mais l'homme prévoyant comme l'imprévoyant, le civilisé comme le sauvage, obéit toujours au mobile de la peine et du plaisir. Seulement, chez l'un l'obéissance est aveugle et passive, chez l'autre, elle est éclairée et active.

II. La production directe et la production indirecte. L'échange.

L'homme a commencé par produire directement lui-même les choses nécessaires à sa consommation. Mais dans cet état embryonnaire de son industrie, où il se trouvait réduit à ses propres forces, il ne pouvait satisfaire que ses besoins les plus urgents, ceux dont la non satisfaction entraînait, après un maximum de souffrance, l'extinction de sa vitalité. Encore sa production, entièrement dépendante du milieu ambiant, étaitelle trop souvent insuffisante. Sous l'impulsion du mobile de la peine et du plaisir, il s'efforça donc d'augmenter la productivité de son industrie. Il inventa le procédé de la division du travail et de l'échange. A la production isolée succède alors la production divisée et combinée. La productivité du travail s'accroît successivement par la séparation et la spécialisation des industries, la multiplication des capitaux et l'emploi des machines. En échange de la même dépense de travail et de peine, le producteur obtient une quantité croissante de produits, cent fois ; mille fois plus grande que sous le régime primitif de la production isolée. L'espèce humaine s'élève au-dessus de l'animalité avec laquelle elle était confondue à ses débuts, .elle peut aspirer à un état de choses où tous les besoins matériels et moraux de la généralité de ses membres pourront être satisfaits, moyennant une dépense de plus en plus réduite de travail et de peine, où elle atteindra le summum de puissance matérielle et morale que comporte sa nature.

Mais le régime de l'échange soulève un problème d'une importance capitale, qui ne se pose point sous le régime de la production isolée, celui de l'équilibre utile de la production et de la consommation. Le producteur se trouvant désormais séparé du consommateur cesse de produire pour lui-même ; il produit pour autrui. Le producteur-consommateur connaissait ses besoins, et il pouvait, suivant la sensation plus ou moins pénible qui provoquait leur demande, répartir entre eux ses produits, ajuster sa production avec sa consommation.

Le producteur qui travaille pour autrui ignore le plus souvent où se trouve autrui et quels sont ses besoins. De nos jours, les consommateurs des produits de la plupart des industries ont cessé d'être concentrés dans la même localité, ils sont disséminés sur toute la surface du globe. Il faut les chercher, les découvrir et savoir de quelles quantités ils ont besoin, en un mot, connaître leur demande. C'est un problème qui s'impose aux producteurs et qu'ils doivent résoudre sous peine de ruine.

Ce problème, disons-nous, ne se posait point à l'individu isolé. A quel mobile obéissait-il ?

À son double intérêt de producteur et de consommateur, car ces deux intérêts étaient joints.

Si, comme producteur, il était intéressé à diminuer la quantité de travail et de peine que lui coûtait un produit, il ne l'était pas moins, comme consommateur, à obtenir de ce produit la plus grande somme de jouissance. En est-il encore ainsi sous le régime de l'échange ? En aucune façon. Quand le producteur confectionne un produit, il ne s'inquiète nullement de savoir quelle somme de jouissance ce produit procurera à un consommateur qui lui est presque toujours inconnu : il se préoccupe uniquement d'obtenir par l'échange, en sus de sa dépense de frais de production, le profit le plus élevé possible. Donner le moins pour recevoir le plus, tel est son objectif. Et, quand le producteur est le plus fort, quand son besoin de vendre est moins pressant que n'est celui du consommateur d'acheter, il ralentit son offre, tandis que le consommateur accélère sa demande. Alors, à mesure que l'écart entre les quantités offertes et les quantités demandées s'agrandit, la valeur du produit s'élève. Jusqu'à quel point peut-il s'élever ? Jusqu'au point où le produit aurait coûté à l'acheteur une dépense moindre de travail et de peine s'il l'avait confectionné luimême, chose, d'ailleurs, presque toujours impossible sous le régime de l'échange, ou bien encore, où il aurait subi une privation et une peine moindres en s'abstenant de l'acheter. Il y a une marge plus ou moins étendue selon la nature du produit, selon qu'il répond à un besoin plus ou moins urgent et nécessaire. A la vérité, l'échange ne peut s'opérer qu'à la condition d'être profitable à l'acheteur aussi bien qu'au vendeur. Mais ce profit qui réside dans la différence de productivité de la production isolée et de la production combinée et qui va s'augmentant avec elle, peut être inégalement partagé, et procurer aux plus forts un accroissement progressif' de richesse aux dépens des plus faibles.

Cependant, si l'on considère l'intérêt général et permanent des producteurs et des consommateurs sous le régime de l'échange, on trouvera qu'il est absolument le même que celui du producteur-consommateur sous le régime de la production isolée. Si, sous ce dernier régime, l'individu était intéressé comme producteur à ne dépenser qu'un minimum de travail et de peine dans la création des produits, il ne l'était pas moins comme consommateur à en obtenir la plus grande quantité possible, à répartir entre ses besoins. Ce double intérêt n'a pas cessé de subsister chez l'individu sous le régime de la production divisée et de l'échange. Car s'il est producteur d'un produit ; il est consommateur de tous les autres, et comme tel, intéressé à ce qu'il en soit créé la plus grande quantité possible. Or, ce résultat ne peut être atteint qu'autant que le consommateur ne se trouve pas obligé de consacrer à l'acquisition d'un produit au delà de la somme nécessaire pour en déterminer la création. S'il lui en coûte davantage, il lui restera moins de ressources pour acheter les produits qui répondent à ses autres besoins. Il ne pourra en demander qu'une quantité moindre, et, par conséquent, la production en sera diminuée dans la proportion de l'excès du coût du produit, dont la valeur aura dépassé le taux nécessaire pour en déterminer la création. L'intérêt de la généralité des producteurs est donc conforme à celui de la généralité des consommateurs.

Mais les producteurs s'inquiètent peu de l'intérêt général et permanent de l'espèce. Ils ne voient que leur intérêt individuel et ils s'efforcent de le satisfaire aussi amplement que possible, fût-ce aux dépens des consommateurs. Ils ne se préoccupent pas davantage de savoir si leurs produits recevront une destination utile ou nuisible. Les consommateurs, de leur côté, n'ont pas plus de souci de l'intérêt des producteurs ; ils ne s'avisent point de chercher si le produit qu'ils achètent couvre ou non ses frais. Bref, les uns et les autres croient volontiers que dans l'échange, le profit de l'un fait le dommage de l'autre.

Ce que nous venons de dire des rapports des producteurs et des consommateurs s'applique de même à ceux des coopérateurs de la production, employeurs et employés, salariants et salariés. Les employeurs s'efforcent d'obtenir des employés la plus grande quantité possible de travail au prix le plus bas, sans se préoccuper de savoir si cette quantité ne dépasse pas les forces humaines et si le salaire qu'ils paient suffit ou non à l'entretien de la vie des ouvriers.

Ceux-ci, de leur côté, ne s'efforcent pas moins d'obtenir le salaire le plus élevé en échange de la moindre quantité de travail, sans se demander davantage si l'excès de leurs exigences ne causera pas la ruine des employeurs et, finalement, la destruction de l'industrie à laquelle ils demandent leurs moyens d'existence.

Ces conflits des intérêts individuels aboutiraient à une anarchie permanente et à une guerre universelle, s'il n'existait point, en dehors et au-dessus des intérêts et des passions des hommes, un régulateur qui agisse pour fixer de la manière la plus juste et la plus utile, le prix des produits et la rétribution des coopérateurs de la production, capital et travail, en les ramenant incessamment au taux nécessaire pour assurer la conservation et le progrès de la production, et de ses coopérateurs. Ce régulateur, c'est la concurrence associée à la loi de la valeur.


III. L'opération régulatrice des lois naturelles de la concurrence et de la valeur.

La concurrence, sous sa forme productive et économique, naît de l'échange, mais elle n'apparaît qu'après le monopole et c'est seulement lorsqu'elle a atteint un certain degré de développement qu'elle acquiert toute la puissance nécessaire pour remplir pleinement sa fonction de régulateur. Aussi longtemps qu'une seule entreprise de production suffit aux besoins de la consommation, et que, d'une autre part, la valeur de ses produits dans l'échange ou leur prix ne dépasse pas le taux nécessaire, l'établissement d'une entreprise concurrente ne donnerait aucun profit. Mais, sous l'impulsion du désir d'augmenter son profit, le détenteur de ce monopole cède facilement à la tentation de diminuer ses frais de production en abaissant la qualité de ses produits et d'élever ses prix au-dessus du taux nécessaire. L'abus du monopole suscite ainsi la concurrence en la rendant profitable. Un autre cas se présente lorsque le pouvoir d'achat des consommateurs s'augmente ou lorsqu'ils viennent à se multiplier. Alors une seule entreprise cessant de suffire à leurs besoins, de nouvelles entreprises, attirées par l'appât du profit, se créent pour y pourvoir. Cependant le monopole ne disparaît pas entièrement. Le pouvoir que possédait le monopoleur de commander le prix, s'affaiblit seulement en se partageant, du moins aussi longtemps que les consommateurs ne peuvent y échapper, en s'approvisionnant ailleurs. Telle est leur situation dans un marché naturellement ou artificiellement limité, où ils sont en présence d'un petit nombre de producteurs, même quand ceux-ci ne sont pas coalisés ou unis par une entente tacite pour maintenir le prix. Dans ces marchés limités, c'est l'appréciation individuelle de l'intensité du besoin de vendre ou d'acheter, beaucoup plus que la quantité des produits disponibles pour la vente ou la somme de monnaie disponible pour l'achat qui décide du prix. De là la pratique du marchandage. Mais dans les marchés qu'aucun obstacle ne limite, les inégalités individuelles des besoins de vendre et d'acheter s'effacent, les prix s'impersonnalisent et se fixent uniquement suivant le rapport des quantités offertes d'un côté, demandées de l'autre.

Comment les lois naturelles de la concurrence et de la valeur agissent, en ce cas, pour fixer le prix au niveau des frais et du profit nécessaire de la production, et l'y ramener aussitôt qu'il s'en écarte, on se l'explique, en examinant l'opération combinée de ces lois. Lorsque les quantités demandées dépassent les quantités offertes, la concurrence que se font les consommateurs pour acheter, se développe d'un mouvement plus rapide que celui des producteurs pour vendre, et cette différence va croissant à mesure que les quantités offertes s'épuisent, que les consommateurs sont, par conséquent, menacés davantage de ne pouvoir satisfaire le besoin auquel le produit répond. Le prix qu'ils consentent à payer s'élève alors dans la progression de l'utilité du produit, c'est-à-dire de la grandeur de la peine qu'il épargne ou de la jouissance qu'il procure. Tandis que les quantités offertes diminueront dans la progression arithmétique de 1, 2, 3, 4, l'utilité qu'elles contiennent s'augmentera dans la progression géométrique de 1,2, 4, 8. S'il s'agit d'un aliment nécessaire à la vie, le prix de cet aliment pourra donc s'élever considérablement au-dessus de ses frais de production. S'il s'agit d'un produit moins nécessaire ; dont la privation cause une peine moindre, le prix s'élèvera quand même dans la progression de l'utilité, mais cette progression s'arrêtera plus tôt. Elle s'arrêtera lorsque le prix du produit représentera pour le consommateur une somme de peine égale à celle que la consommation du produit peut lui épargner. Il n'aura alors aucun profit à conclure l'échange, et l' écart entre les quantités offertes et les quantités demandées cessant de croître, le produit cessera de hausser. Le prix d'un produit peut donc s'élever d'autant plus au-dessus de ses frais de production que ce produit a un caractère plus prononcé de nécessité. Il est, par conséquent, plus profitable de combler les déficits des produits les plus nécessaires que ceux des produits dont la privation est moins vivement sentie.

Lorsque les quantités offertes dépassent les quantités demandées le prix tombe audessous des frais de production et du profit nécessaire, dans la même progression descendante d'utilité.

Or, qu'arrive-t-il dans l'un et l'autre cas ?

Lorsque le prix vient à dépasser le montant des frais de production et du profit nécessaire, l'esprit d’entreprise et les capitaux sont attirés dans l'industrie qui jouit de ce surcroît de profit, la production se développe, les quantités offertes s'accroissent et le prix baisse. S'il tombe au-dessous des frais de production et du profit nécessaire, la production se ralentit, les quantités offertes diminuent et le prix hausse.

On le voit, c'est une gravitation économique qui ramène incessamment et d'un mouvement de plus en plus rapide, par 1'opération combinée des lois de la concurrence et de la valeur, le prix des produits au niveau des frais et du profit nécessaire pour que la production puisse subsister, et assurer par là même la satisfaction permanente des besoins de la consommation. Il suffit pour cela que l'opération régulatrice de ces deux lois ne soit entravée par aucun obstacle naturel ou artificiel, autrement dit, qu'elles opèrent dans un milieu libre.

Les mêmes lois agissent pour régler de la manière la plus utile la répartition des produits entre les agents productifs, savoir : le capital investi dans les choses, et le capital investi dans les personnes, celui-là rétribué par l'intérêt, celui-ci par le salaire. Lorsque le taux courant de l'intérêt vient à dépasser le taux nécessaire pour que le capital soit mis au service de l'industrie, la production et l'apport de cet agent productif s'accroissent et l'intérêt baisse. Il hausse dans le cas contraire, et dans les deux cas il est incessamment ramené au taux nécessaire. Il en est de même pour le capital investi dans les personnes, le capital personnel ou humain, dont le travail est rétribué par le salaire. Lorsque le salaire dépasse le taux nécessaire, ou tombe au dessous, la production du capital humain s'accroît ou décroît et, dans les deux cas, le salaire gravite vers le taux nécessaire. Avons-nous besoin d'ajouter que les mêmes lois agissent pour établir l'équivalence de la rétribution des capitaux dans les différentes branches de la production, et, finalement, entre les deux catégories d'agents productifs : les capitaux investis dans les choses et les capitaux investis dans l'homme.

Comme les lois physiques, les lois économiques rencontrent des obstacles qui troublent leur opération régulatrice. Tels sont les monopoles naturels et artificiels. Telle est encore l'incapacité de l'homme à gouverner, conformément aux lois économiques, la production des denrées dont il ne peut se passer et sa propre reproduction.

La production du blé et des autres denrées alimentaires, sans parler des plantes industrielles, est soumise à l'influence capricieuse des saisons. Tantôt elle est insuffisante et elle fait hausser le prix bien au-dessus du taux nécessaire, tantôt elle est surabondante et elle le fait baisser bien au-dessous. Dans le premier cas, c'est la disette et parfois la famine pour le consommateur, dans le second, c'est la ruine pour le producteur, mais il faut remarquer que les progrès des moyens de communication, en permettant de transporter rapidement et à bas prix les denrées alimentaires dans l'espace ont déjà sensiblement atténué ces deux sortes de maux, et que la suppression des obstacles que des intérêts aveugles opposent à la spéculation les atténuera davantage encore en facilitant le transport dans le temps du surcroît des années d'abondance pour combler le déficit des années de rareté. Les progrès de l'agriculture conduisent au même résultat, en rendant les récoltes moins dépendantes de l'inégalité des saisons.

Les mêmes observations s'appliquent à la reproduction de l'homme. Lorsque cette reproduction est trop peu abondante pour remplir les emplois disponibles, il en résulte un ralentissement bientôt suivi d'une décadence de la production, insuffisamment pourvue du capital investi dans l'homme, et obligée de le payer à un prix qui abaisse au-dessous du taux nécessaire la rétribution d'un autre agent non moins indispensable, le capital investi dans les choses. Lorsque la reproduction est surabondante, l'excédent non seulement demeure sans emploi, mais encore il pèse sur la rétribution du capital humain employé et le fait baisser au dessous du taux nécessaire. Toutefois, comme l'a justement observé Malthus, en ce cas, et quels que soient les ressources et le zèle de la charité, la mort fait des coupes sombres dans l'excédent et détermine, avec le rétablissement au moins momentané de l'équilibre entre la production et les moyens de subsistance, le relèvement des salaires. Notons qu'ici encore des progrès de différentes sortes ont agi pour faciliter 1e rétablissement de l'équilibre. Malgré l'absence de publicité et d'intermédiaires, les progrès des moyens de transport ont rendu le travail plus mobilisable, tandis que, d'un autre côté, l'homme s'est préoccupé davantage de régler utilement sa reproduction ; peut-être même montre-t-il dans les classes supérieures de la population une tendance à la limiter à l'excès.

Ces divers et nombreux obstacles que rencontrent les lois de la concurrence et de la valeur dans l’exercice de leur fonction régulatrice ont pour effet de troubler l'équilibre de la production et de la consommation de la richesse et d'en fausser la distribution. Nous sommes loin encore de la constitution de ce « milieu libre » où les lois naturelles Pourront remplir avec une pleine efficacité le rôle de régulateur. Mais nous nous y acheminons malgré tout. On s'en convaincra en jetant un coup d'oeil sur la genèse de la concurrence et sur le développement des organes qu'elle s'est créée pour nous y acheminer.


IV. Comment la concurrence, en se développant,a créé ses instruments et ses organes.

Le trait caractéristique de l'économie des anciennes sociétés, c'est la limitation et l'isolement des marchés. L'obstacle des distances et l'état de guerre, en rendant les communications difficiles et intermittentes, restreignait dans des limites étroites la sphère des échanges. Le plus grand nombre des articles nécessaires à la vie étaient produits sur les lieux mêmes où ils étaient consommés. Les articles de luxe à peu près seuls étaient l'objet du commerce avec les pays étrangers. Dans les marchés locaux, que l'obstacle des distances et du défaut de sécurité défendait contre la concurrence extérieure, les industriels et les propriétaires de métiers empêchaient l'éclosion de la concurrence intérieure en s'organisant sous forme de corporations, et le commerce extérieur était de même monopolisé par des entreprises syndiquées. Tel était, au moyen âge, le commerce avec les contrées lointaines de l'Orient, d'où l'on retirait les pierres précieuses, les soieries, les parfums, les épices. Monopolisé par les Vénitiens et les Génois, qui en écartaient avec un soin jaloux les concurrents, ce commerce leur rapportait des bénéfices extraordinaires. Ces bénéfices de monopole, croissant avec la demande des articles exotiques, excitèrent les autres nations maritimes, les Portugais, les Espagnols, puis les Hollandais, les Anglais, les Français, à chercher de nouvelles routes pour arriver au riche marché d'approvisionnement qui leur était fermé. Alors commença à se produire la série de découvertes qui ont élargi la sphère des échanges, en y englobant successivement toutes les régions de la terre. Quoique les nations qui avaient dépossédé les Vénitiens et les Génois de leur monopole se fussent efforcées à leur tour de fermer aux autres nations les marchés qu'elles s'étaient ouvertes, la concurrence se fit jour à travers les fissures du système colonial. En dehors des corporations, en possession exclusive des marchés locaux, on vit bientôt apparaître des industries libres qui se disputèrent le vaste marché du monde. Et tandis que les monopoles corporatifs mettaient en interdit les progrès qui dérangeaient leur routine, les industries libres, stimulées par la concurrence, s'empressaient d'accueillir et de mettre en oeuvre tous les procédés et les instruments qui réduisaient leurs frais de production et augmentaient leur puissance productive. Ainsi a commencé la grande évolution industrielle, plus féconde qu'aucune révolution politique, dans le cours de laquelle, - bien qu'elle ne date que de deux ou trois siècles, - la puissance productive de l'homme s'est accrue plus qu'elle ne l'avait fait pendant des milliers d'années. Cette impulsion extraordinaire que la concurrence a donnée à la puissance productive, a eu pour conséquence une multiplication rapide et prodigieuse de la richesse en dépit du gaspillage causé par l'incapacité et les vices des gouvernements de la société et de l'individu, en même temps qu'un accroissement sans précédent des échanges. Le commerce tant, intérieur qu'extérieur des nations civilisées, a décuplé depuis l'époque encore récente où l'invention de la machine à vapeur a marqué l'avènement de la grande industrie.

Or, il fallait, pour porter la masse croissante des produits de l'industrie agrandie, sur les marchés qui lui étaient devenus accessibles et les distribuer à des consommateurs dont l'abaissement des prix augmentait incessamment le nombre et qui se trouvaient épars sur toute la surface du globe, il fallait, disons-nous, des instruments de transport et des agents de distribution. Instruments et agents ont surgi, comme par enchantement, aussitôt que le besoin s'en est fait sentir avec assez d'énergie pour rétribuer leurs services. Les inventions qui ont transformé l'industrie des transports se sont multipliées à l'appel de la demande, et elles ont attiré, par l'appât des profits dont cette demande était la source, l'esprit d'entreprise et les capitaux nécessaires à leur application. En moins de trois quarts de siècle, nous avons vu construire 800000 kilomètres de chemins de fer, se créer les lignes océaniques de navigation à vapeur, et le globe se couvrir d'un réseau de communications électriques qui ont supprimé la distance pour la pensée et les ordres de vente ou d'achat. Cette oeuvre colossale s’est opérée en dépit de tous les obstacles dont le moindre n'a pas été l'intervention soi-disant tutélaire des gouvernements, et à mesure qu'elle se poursuit on aperçoit plus clairement le but auquel elle conduit : l'unification des marchés des échanges.


V. Les agents de mobilisation des produits.

Cependant les instruments matériels de transport ne suffisent pas seuls à la distribution des produits et à leur apport aux consommateurs, à travers l'espace et le temps. Cette distribution et cet apport nécessitent un organisme spécial, l'organisme du commerce, lequel s'est séparé de bonne heure de la machinerie de la production proprement dite et se compose de deux rouages distincts répondant à deux sortes de services : 1° services d'information ou d'éclairage des marchés ; 2° services d'apport des produits dans le lieu et le moment où ils sont demandés. Quoique également nécessaires, ces deux rouages se sont inégalement développés et perfectionnés. Le premier, celui de l'information, est demeuré notoirement en retard et ne répond qu'imparfaitement au besoin qu'il a pour objet de desservir. La cause de ce retard réside, au moins pour la plus grande part, dans la mainmise des gouvernements sur l'industrie de la statistique et des renseignements commerciaux. Ce n'est pas que les statisticiens officiels, les agents consulaires, et autres, soient investis d'un monopole, il n est pas défendu de leur faire concurrence, mais en présence des masses de chiffres et de documents en apparence gratuits qu’ils amoncellent (en apparence, disons-nous, car les contribuables en font les frais), des entreprises libres ne peuvent avoir que des chances insuffisantes de couvrir leurs frais et de réaliser un profit.

Quoique les informations officielles ne se recommandent ni par leur exactitude, ni par leur célérité, elles n'en font pas moins obstacle au développement et au perfectionnement d'un rouage nécessaire de la distribution des produits. A la vérité, les entreprises commerciales les plus puissantes suppléent à l'insuffisance des statistiques et des renseignements bureaucratiques en organisant un service particulier d'informations. Mais ces informations, elles se les réservent naturellement pour ellesmêmes, et elles accaparent ainsi des débouchés qui demeurent inaccessibles à leurs concurrents, réduits à se contenter de la manne officielle. Heureusement, bien d'autres instruments d'information, les Bourses de commerce, les circulaires et les feuilles spéciales, la presse politique elle-même contribuent à l'éclairage des marchés. En comparant, d'une part, l'état actuel de ces divers agents et instruments de la publicité commerciale à l'état embryonnaire où ils se trouvaient il y a un siècle à peine, et, d'une autre part, les grands magasins d'aujourd'hui aux boutiques d'autrefois, on pourra se faire une idée de l'importance de l'évolution qui est en voie de s'accomplir dans le commerce du monde.

Quoique les marchés n'aient pas cessé d'être limités par l'obstacle artificiel des barrières douanières que l'esprit de monopole a élevées à mesure que le génie de l'invention, l'esprit d'entreprise et la vertu de l'épargne s'unissaient pour abaisser l'obstacle naturel des distances, la sphère des échanges s'est progressivement agrandie, le milieu libre s’est étendu. Et dans ce milieu libre, les lois de la concurrence et de la valeur accomplissent chaque jour avec plus d'exactitude et de sûreté leur opération régulatrice, en impersonnalisant les échanges et en égalisant les prix. Dès que sur un point quelconque du vaste marché du monde, l'insuffisance de l'approvisionnement fait élever le prix au-dessus du taux nécessaire, la concurrence desservie par ses organes d’information et de mobilisation, y fait affluer les produits jusqu'à ce que le déficit soit comblé. Et plus grand est le déficit, plus rapidement il se comble sous l'impulsion irrésistible de la loi de la valeur. S'il y a, au contraire, surabondance, si le prix tombe au-dessous du taux nécessaire, si les produits se vendent à perte, la production se ralentit jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli. C'est ainsi, par la coopération de ces deux lois naturelles, que la production et la distribution des produits tendent à se régler de la manière plus utile.


VI. Les agents de la mobilisation des capitaux.

Cet énorme accroissement de la puissance productive de l'homme, qui a décuplé en moins de deux siècles la production des peuples civilisés et la somme des échanges de leurs produits, a eu pour conséquence un développement correspondant de la production et de la mobilisation des capitaux. Les capitaux se produisent avec une telle abondance dans les pays où l'évolution progressive de l'industrie est la plus avancée qu'ils débordent des frontières et se répandent sur toute la surface du globe. C'est par milliards que se chiffre l'exportation des capitaux anglais, français, belges, suisses, allemands. Et si cette production colossale alimente trop souvent les gaspillages des gouvernements, la plus grande part en est cependant mise au service de l'industrie, à l'intérieur et au dehors. A certains égards même, l'organisme de la mobilisation des capitaux à travers l'espace et le temps l'emporte sur celui de la mobilisation des produits quoique ses progrès ne soient pas moins entravés par la fiscalité et le protectionnisme [1]. Les Bourses et les institutions de crédit de toute sorte, qui remplissent l'office d'intermédiaires entre les producteurs et les employeurs de capitaux ont crû encore plus rapidement en nombre et en importance que les intermédiaires de la production et de la consommation des produits. Au double point de vue de l'information et de la mobilisation, ce merveilleux organisme dont les socialistes ne sont pas encore parvenus à apercevoir l'utilité a atteint un degré de perfection qui semble ne pouvoir être dépassé. Il suffit aux producteurs et aux employeurs de capitaux de consulter la cote de la Bourse, quand elle n'est pas trop amaigrie par le protectionnisme financier, pour connaître, le jour même, le marché où ceux-là peuvent prêter leurs capitaux au taux le plus élevé, ceux-ci les emprunter au taux le plus bas. Il leur suffit ensuite de recourir à l'intermédiaire d'une banque pour réaliser d'une manière presque instantanée leur prêt ou leur emprunt. Tandis qu'à l'époque encore récente où cet organisme d'information et de transmission n'existait qu'à l'état embryonnaire, les capitaux demeuraient improductifs aux lieux où ils étaient produits, ou bien se prêtaient à un taux usuraire dans des marchés étroits où le besoin de prêter était moins pressant que celui d'emprunter, ils se répandent aujourd'hui librement, à l'appel de la demande, dans toutes les parties du vaste marché du monde et les prix qu'ils y obtiennent tendent à s'égaliser, sauf la différence des risques, et à s'établir au taux nécessaire pour en déterminer la production et l'emploi.

Cet immense et puissant organisme de la distribution des produits et des capitaux, que la concurrence a créé et développé à mesure qu'elle se développait elle-même, n'existe pas encore pour les capitaux investis dans l'homme lui-même, et dont la mise en oeuvre porte exclusivement le nom de travail, quoique ce nom s'applique aussi bien à celle des capitaux investis dans les choses. Nous examinons plus loin dans notre étude sur la production et le commerce du travail les causes de ce retard et les maux dont il est la source. La principale de ces causes réside aujourd'hui dans l'esprit de monopole des ouvriers qui veulent commander contre tes employeurs les prix et conditions du travail comme ceux-ci les commandaient contre les employés sous le régime de l'esclavage. Mais la concurrence aura raison de ces obstacles comme de bien d'autres. Elle mettra au service du travail le même organisme d'information et de mobilisation qui dessert la distribution des produits et des capitaux. Elle résoudra ainsi le problème de la pacification des rapports du capital et du travail en attribuant à chacun la juste part qui lui revient dans les fruits de la production.


VII. Conclusion

L’exposé que nous venons de faire de l'opération régulatrice des lois naturelles de la concurrence et de la valeur, a montré l'opposition radicale qui existe entre le socialisme et l'économie politique. Les socialistes de toutes les écoles s'accordent à nier que la production et la distribution de la richesse soient gouvernées par des lois que l'homme n'a point faites et auxquelles il est tenu d'obéir. A leurs yeux, l’une et l'autre n'ont d'autres règles, d'autres lois que celles que l'homme établit lui-même. Ces règles ou ces lois ont été jusqu'à présent l'oeuvre d'une minorité capitaliste, - aristocratie ou bourgeoisie, - en possession du gouvernement, c'est-à-dire de la machine à fabriquer les lois et à les imposer. Lorsque le gouvernement appartiendra à la démocratie socialiste, elle emploiera cette toute-puissante machine à créer un nouvel organisme de la production et de la distribution qui attribuera au travail seul la totalité des produits. Ce que sera cet organisme, comment il assurera l'existence et les progrès de la production, comment il réglera la distribution, ce sont là des questions que chaque école résout à sa manière ou qu'elle laisse au futur gouvernement de la démocratie le soin de résoudre. Mais avant tout, - et sur ce point toutes les écoles s'accordent encore, - il s'agit de démolir la vieille société. Quelque Moïse socialiste, inspiré par l'Esprit de la Démocratie, se chargera alors de donner des lois à la nouvelle et de conduire à la Terre promise son peuple libéré de l'esclavage du capitalisme. Les économistes n'ont point cette foi mystique. Ils savent que le monde économique est gouverné, comme le monde physique, par des lois immuables qui y maintiennent l'ordre et en assurent l'existence et le progrès. Toutefois, à la différence dès lois physiques, les lois économiques rencontrent des obstacles non seulement dans le milieu où elles agissent, mais encore dans l'homme lui-même. Ces obstacles, il faut les lever, détruire les monopoles naturels, n'en pas créer d'artificiels et laisser faire.


Notes

^ La France ne s'est pas contentée du protectionnisme commercial, elle a légiféré pour empêcher l'exportation fructueuse des capitaux, comme elle empêchait l'exportation fructueuse des marchandises ; car restreindre l'importation, c'est restreindre l'exportation.

M. Neymarck compare la bourse de Paris avec celles de Londres, Francfort, Amsterdam, New York, et remarque l'absence, à la cote officielle, de tous titres et de premier ordre, émanant des sociétés anglaises, américaines, belges, suisses, hollandaises.

C'est une nouvelle conséquence de l'esprit méliniste.

Toujours disposés à se mêler de ce qui ne les regarde pas, nos législateurs frappent les titres étrangers pour favoriser les titres français, oubliant que ces titres se naturalisent par le seul fait de leur acquisition par des Français.

C'est une méconnaissance absolue du rôle des Bourses qui solidarisent les nations en dénationalisant les capitaux. C'est entraver les capitalistes dans leur rôle d'union entre les peuples(oeuvre qui est leur mission suprême, oeuvre très noble quoique dictée par le seul intérêt) ; car si les intérêts des gouvernements divisent les hommes, les intérêts du commerce des capitaux les unissent. (Contre-amiral Reveillère. Lueurs d'aube, p. 60.)

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