Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre III - Chapitre III

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre III - Chapitre III


Anonyme


Livre Troisième
Chapitre III - Des effets de la consommation reproductive.


Ce sont les valeurs capitales que l'on consomme reproductivement. Le premier livre de cet ouvrage a développé le mécanisme de cette consommation. Un négociant, un manufacturier, un cultivateur, achètent des matières premières, des services productifs, et les consomment pour en obtenir de nouveaux produits : les effets immédiats de cette consommation sont les mêmes que ceux de la consommation improductive ; elle occasionne une demande qui influe sur les prix et sur la production des objets demandés ; elle en détruit la valeur ; il n'y a de différence que dans le résultat ultérieur : elle ne satisfait à aucun besoin ; elle ne procure aucune jouissance autre que de rendre l'entrepreneur qui l'ordonne, possesseur d'un nouveau produit, dont la valeur lui rembourse les produits consommés et lui paie communément un profit.

Relativement à cette assertion que la consommation reproductive ne satisfait à aucun besoin, on pourrait, faute d'une analyse complète des faits, objecter que le salaire payé à un ouvrier, et par conséquent dépensé reproductivement, sert à sa nourriture, à son vêtement, à ses plaisirs. Il faut remarquer ici, non pas une seule consommation, mais deux.

Le fabricant, en achetant les services de l'ouvrier et en les consommant, consomme reproductivement et sans satisfaire à aucun besoin, une portion de son capital.

De son côté l'ouvrier, en vendant ses services, vend son revenu d'un jour, d'une semaine ; et c'est le prix qu'il en retire qui se trouve consommé improductivement par lui et par sa famille ; de la même manière que le loyer de la maison qu'occupe le fabricant, et qui forme le revenu du propriétaire, est dépensé improductivement par celui-ci.

Et qu'on ne s'imagine pas que c'est la même valeur qui est consommée deux fois, l'une reproductivement, l'autre improductivement : ce sont deux valeurs indépendantes l'une de l'autre et dont l'origine est diverse. L'une des deux, le service industriel de l'ouvrier, est le produit de sa force musculaire de son talent ; ce service est si bien un produit, qu'il a un prix courant comme toutes les autres denrées.

L'autre valeur consommée est une portion du capital du fabricant, qu'il a donnée en échange du service de l'ouvrier. Une fois l'échange de ces deux valeurs terminé, les deux consommations s'opèrent chacune de leur côté et dans deux buts différents : la première, dans le but de créer un produit ; la seconde, dans celui d'alimenter l'ouvrier et sa famille.

Ce que le fabricant dépense et consomme reproductivement, c'est ce qu'il a acquis au moyen de son capital ; ce que l'ouvrier dépense et consomme improductivement, c'est ce qu'il a obtenu en échange de ses peines. De ce que ces deux valeurs s'échangent l'une contre l'autre, il ne s'ensuit pas qu'elles forment une seule et même valeur.

Le même raisonnement s'applique au travail intelligent de l'entrepreneur. Son temps, son travail, sont consommés reproductivement par lui dans sa manufacture ; et les profits qu'il en tire en échange, sont consommés improductivement par lui dans sa famille.

Cette double consommation, au reste, est analogue à celle que les entrepreneurs font de leurs matières premières. Un fabricant de drap se présente chez un marchand de laine avec une somme de mille écus à la main. Ne voilà-t-il pas deux produits en présence : une valeur de mille écus, fruit d'une production antérieure, faisant maintenant partie du capital du fabricant, et, d'un autre côté, des toisons faisant partie du produit annuel d'une ferme ? L'échange une fois conclu, ces deux valeurs se consomment chacune de leur côté ; le capital, changé en toisons, pour faire du drap ; le produit de la ferme, changé en écus, pour satisfaire les besoins du fermier ou de son propriétaire.

Toute consommation étant une perte, lorsqu'on fait une consommation reproductive, on gagne donc autant par ce que l'on consomme de moins, que par ce que l'on produit de plus.

À la Chine, on épargne beaucoup sur l'ensemencement des terres, par la méthode qu'on suit de planter le grain au lieu de le semer à la volée. L'effet qui en résulte est précisément comme si les terres à la Chine étaient plus productives que celles d'Europe.

Dans les arts, quand la matière première est de nulle valeur, elle ne fait pas partie des consommations qu'ils nécessitent ; ainsi la pierre calcaire détruite par le chaufournier, le sable qu'emploie le verrier, ne sont pas des consommations s'ils n'ont pas de valeur.

Une épargne faite sur les services productifs de l'industrie, des capitaux et des terres, est une épargne aussi réelle qu'une épargne faite sur l'emploi de la matière première. On épargne sur les services productifs de l'industrie, des capitaux et des terres ; soit en tirant plus de service des mêmes moyens de production, soit en absorbant moins de moyens de production pour obtenir les mêmes produits.

Toutes ces épargnes, au bout de peu de temps, tournent en général au profit de la société ; elles diminuent les frais de production ; et la concurrence des producteurs fait ensuite baisser, au niveau de ces frais, le prix des produits à mesure que les économies deviennent plus connues, et d'un usage plus général.

Mais aussi, et par cette raison même, ceux qui ne savent pas user aussi économiquement que les autres, des moyens de production perdent où les autres gagnent.

Que de manufacturiers se sont ruinés, parce qu'ils ne savaient travailler qu'à grands frais, dans des bâtiments fastueux, et avec des outils trop multipliés ou trop chers, et par conséquent avec des capitaux plus considérables que ceux qu'employaient d'autres manufacturiers, pour ne pas obtenir plus de produits !

Heureusement que l'intérêt personnel est, dans la plupart des cas, le premier et le plus vivement affecté de ces pertes. C'est ainsi que la douleur avertit nos membres des lésions dont il faut qu'ils se garantissent. Si le producteur maladroit n'était pas le premier puni des pertes dont il est l'auteur, nous verrions bien plus souvent encore risquer de fausses spéculations. Un mauvais spéculateur est aussi fatal à la prospérité générale qu'un dissipateur.

Un négociant qui dépense cinquante mille francs pour en gagner trente, et un homme du grand monde qui dépense vingt mille francs en chevaux, en maîtresses, en festins, en bougies, font, relativement à leur propre fortune et à la richesse de la société, un métier tout pareil, au plaisir près que le dernier a peut-être plus que l'autre.

Dispensé par les considérations qui sont la matière du premier livre, de m'étendre davantage sur les consommations reproductives ; je dirigeai, dans ce qui va suivre, l'attention du lecteur sur les consommations improductives seulement, sur leurs motifs et leurs résultats ; et je préviens que dorénavant le mot consommations, seul, devra s'entendre, comme dans l'usage commun, uniquement des consommations improductives.


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