Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre II - Chapitre III

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre II - Chapitre III


Anonyme


Livre Second
Chapitre III - Du prix en argent et du prix nominal.


Quand on paie un objet 20 francs, son prix en argent est 100 grammes à 9 deniers de fin, ou 90 grammes d'argent pur.

Son prix nominal est 20 francs ; c'est le nom que l'on donne à cette quantité d'argent frappée en monnaie.

Comme la valeur de la monnaie n'est pas dans le nom, mais dans la chose qui sert de monnaie, lorsque le nom vient à changer, le prix nominal change aussi, quoique le prix en argent ne change pas. À une certaine époque trois livres tournois contenaient une once d'argent ; à une autre époque il fallait six livres tournois de notre monnaie pour faire une once. Un objet qui coûtait trois livres à la première époque, et six livres à la seconde, coûtait le même prix en argent : nominalement il avait doublé.

Le prix en argent d'une chose dépend du rapport qui se trouve entre les frais de production de l'argent et ceux de la chose. Si cinq hectolitres de blé coûtent cent grammes d'argent, c'est probablement parce que cent grammes d'argent coûtent autant à produire que cinq hectolitres de blé ; car s'ils coûtaient moins, en achetant le blé avec de l'argent, on l'aurait à moins de frais que le cultivateur n'en fait pour le produire. Le cultivateur perdrait à ce marché ; il ne continuerait pas un métier où il donnerait plus pour recevoir moins.

C'est pour cette raison qu'à mesure que le métal d'argent est devenu plus abondant et que les frais de sa production ont diminué, il en a fallu donner une plus grande quantité pour obtenir une même quantité de blé.

Et si, comme on a lieu de le croire, le blé a toujours coûté à peu près les mêmes frais de production, la quantité d'argent plus grande qu'il a fallu, à différentes époques, donner pour obtenir une même quantité de blé, est pour nous une indication de la dépréciation de l'argent, de ce qu'il a perdu en valeur réelle.

La dépréciation de l'argent et de l'or depuis l'antiquité jusqu'à nous, jouant un fort grand rôle dans l'économie des nations, cherchons à nous en former quelque idée d'après la quantité qu'ils ont pu acheter à chaque époque, d'une denrée dont il est probable que la valeur réelle a moins varié que la plupart des autres. J'ai déjà, d'après cette méthode, cherché à donner des idées plus exactes de la valeur de quelques sommes historiques. Elle nous servira en ce moment à évaluer la perte de valeur que les métaux précieux ont subie jusqu'à nos jours. La mesure grecque appelée médimne, est, suivant les antiquaires, égale à 52 litres ; et l'on voit, dans un plaidoyer de Démosthène, que j'ai déjà cité, que le prix ordinaire du blé était de 5 drachmes par médimne. Or 5 drachmes, suivant les médailles athéniennes que l'on possède encore, contenaient 1571 sur 2 grains d'argent pur. Par conséquent 52 de nos litres coûtaient 1571 sur 2 grains d'argent, et notre hectolitre qui contient cent litres, en coûtait 303.

À Rome, au temps de César, la mesure de blé appelée modius valait communément trois sesterces, et trois sesterces, selon les antiquaires, contenaient 23 5/8 grains d'argent fin. Le blé contenu dans un modius pesait 14 de nos livres de 16 onces ; 14 livres, poids de marc, s'échangeaient donc communément à Rome contre 235 sur 8 grains d'argent ; et par conséquent notre hectolitre de froment, qui pèse 160 livres, se payait en argent 270 grains, environ un septième de moins qu'à Athènes, ce qui peut s'expliquer par les circonstances particulières aux deux capitales.

Comme il ne peut être question en ceci que d'approximations, pour avoir le prix du blé en argent dans l'antiquité, nous prendrons le prix moyen entre ces deux-là, qui est 289 grains.

Passons au moyen-âge : Charlemagne fit un règlement qui défendit de jamais vendre le modius de blé au-dessus de quatre deniers. Or, le denier de Charlemagne était une monnaie d'argent du poids de 284 sur 5 grains d'argent, poids de marc, portant un vingt-quatrième d'alliage. Mais quelle était la capacité du modius ? Nous l'ignorons. Ce n'était pas le modius des Romains qui ne pesait que 14 de nos livres, et qui, taxé à 4 deniers ou 1151 sur 5 grains d'argent fin, aurait fait revenir le prix de notre hectolitre à plus de 1200 grains d'argent fin. Ce n'était pas notre ancien muid de 12 setiers qui pesait 2880 livres ; ce qui aurait réduit le prix en argent de notre hectolitre à 60 grains.

Cherchons par une autre voie la capacité de ce modius de Charlemagne.

On voit dans ce même règlement que le pain de froment est taxé à raison d'un denier pour douze pains, de deux livres chaque ; ce qui fait un denier pour 24 livres de pain. On sait par l'expérience que le poids de l'humidité qu'on introduit dans le pain, balance les frais de panification et les déchets de la mouture. Une livre de pain et une livre de froment vont ordinairement de pair pour le prix. Or, en même temps que l'on fixait le prix du pain à un denier les 24 livres, on fixait le prix du froment à 4 deniers le modius ; le modius devait donc peser, à peu de chose près, quatre fois 24 livres, ou 96 livres de poids du temps de Charlemagne, qui équivalent à 72 livres, poids de marc. Telle est la quantité de blé taxée quatre deniers.

Le denier de Charlemagne pesait 284 sur 5 grains, dont il faut déduire 1 sur 24 d'alliage ; il y reste donc 273 sur 5 grains d'argent fin. Quatre deniers par conséquent en contenaient 1102 sur 5. Voilà le prix en argent de 72 livres de froment, poids de marc À ce compte notre hectolitre, qui pèse 160 de ces livres, aurait coûté 2451 sur 3 grains d'argent fin.

Dans l'antiquité, il en valait 289 ; sous Charlemagne, 245 : on donnait moins d'argent pour la même quantité de blé ; il semble dès lors que l'argent était devenu plus précieux. Je ne peux pas répondre que cette différence ne vienne pas en partie de l'imperfection des bases sur lesquelles nous nous sommes appuyés, à défaut de meilleures ; néanmoins, après tous les pillages qui suivirent l'invasion de l'empire romain et les destructions qui en résultèrent, après l'abandon probable des mines de l'Attique et de l'Espagne pendant six ou sept cents ans, après les spoliations commises par les Normands d'un côté et par les Arabes de l'autre, avec la déperdition constante subie par les ustensiles d'argent, l'argent tombé dans les rivières et dans la mer, celui qui fut caché sans être retrouvé, etc., peut-on s'étonner que le métal d'argent fût devenu plus rare et plus précieux d'un sixième environ ?

Près de 700 ans plus tard, sous Charles VII, le prix moyen du blé, suivant Dupré de Saint-Maur, étant de 12 sous 10 deniers le setier, et cette somme contenant 328 grains d'argent fin, l'hectolitre revient à 219 grains ; ce qui est 26 grains de moins encore que sous Charlemagne, où le même hectolitre valait 245 grains.

Il semble que l'argent est devenu encore un peu plus rare et plus précieux. Mais voici le moment où il va se montrer avec une abondance que rien ne pouvait faire présager, et produire des effets qui surprenaient les gouvernements et le vulgaire, sans que les uns plus que les autres fussent en état de les expliquer.

L'Amérique fut découverte en 1492. Les premières dépouilles des peuples du Mexique et du Pérou, apportées en Europe, y firent paraître des quantités d'or et d'argent trop peu considérables pour en affecter sensiblement la valeur durant quelques années, mais par cela même fort profitables pour les aventuriers espagnols et leur gouvernement, parce qu'ils en tirèrent parti au plus haut terme de leur valeur. Bientôt les entrailles des cordillères furent déchirées par les malheureux péruviens ; et chaque année de nouveaux galions, lestés par les trésors du nouveau-monde, arrivaient dans les ports espagnols, sans compter ce qui se répandait de métaux précieux par la contrebande.

C'est par les dépenses que firent les conquérants de ces trésors qu'ils se répandirent dans l'Europe et dans le monde.

Déjà, en 1514, le setier de blé étant à 26 sous, et le marc d'argent fin à 12 livres tournois, on donnait 333 grains d'argent pour la quantité de froment contenue dans ce que nous appelons maintenant un hectolitre.

En 1536, sous François Ier, le prix du setier étant de 3 livres 1 sou 11 deniers, et le marc d'argent fin s'appelant 13 livres tournois, l'hectolitre de froment se faisait payer 731 grains d'argent pur.

En 1610, année de la mort d'Henri IV, le prix commun du blé étant de 8 livres 1 sou 9 deniers, et le marc d'argent fin se nommant 22 livres tournois, l'hectolitre de froment valait autant que 1130 grains d'argent.

En 1640, le prix du setier étant de 12 livres 10 sous, et le marc d'argent fin contenant 30 livres tournois, l'hectolitre valait 1280 grains d'argent.

En 1789, le prix commun du setier de blé étant, suivant Lavoisier, de 24 livres tournois, et le marc d'argent fin à 54 livres 19 sous, l'hectolitre valait 1342 grains d'argent.

Enfin, en 1820, en supposant le prix commun du blé froment à 19 francs l'hectolitre, nous trouvons qu'un hectolitre vaut autant que 1610 grains d'argent fin.

Il semblerait donc que l'argent, à partir du temps d'Alexandre, a graduellement augmenté de valeur jusque vers le temps de Charles VII et de la pucelle d'Orléans. Cette époque est celle où l'on a donné le moins de grains d'argent fin pour une même quantité de froment. À partir de cette époque, on a commencé à en donner un peu plus ; et, sauf probablement des oscillations qui nous échappent à cause du peu d'exactitude qu'on a mise à nous conserver le prix courant des blés, et les différences de prix d'un lieu à l'autre, la quantité d'argent offerte pour acheter du blé a constamment augmenté jusqu'à nos jours.

En corrigeant les unes par les autres les données plus ou moins imparfaites qu'il a été possible de recueillir sur le prix en argent du blé jusqu'à la fin du quinzième siècle, nous aurons, pour tous les temps qui ont précédé la découverte du nouveau-monde, un prix commun de 268 grains d'argent fin pour l'hectolitre de froment. Il en faut donner aujourd'hui six fois autant ; d'où nous pouvons conclure que la valeur propre de l'argent a décliné dans la proportion de six à un.

Si, par suite de la dépréciation de l'argent, sa valeur relativement au blé est devenue six fois moindre, il ne faut pas croire qu'elle ait changé dans la même proportion relativement à toutes les autres marchandises. S'il y en avait qui fussent devenues six fois moins chères, de même que l'argent, la valeur relative de l'argent et de ces marchandises-là serait demeurée la même. C'est ce qui est arrivé au métal d'or ; car il paraît que l'on donnait autrefois comme aujourd'hui 15 parties d'argent pur, ou à peu près, pour une d'or pur : ce qui suffit pour établir que la dépréciation de l'or a été la même que celle de l'argent, et que tout ce que j'ai dit du premier de ces métaux peut aussi s'appliquer au second.

Il est probable qu'il est arrivé quelque chose de pareil à l'égard des épiceries, que nous tirons des îles de l'Asie à beaucoup meilleur marché que ne faisaient les anciens. En supposant que l'on donne encore, pour avoir une certaine quantité de poivre, la même quantité d'argent que l'on donnait anciennement, le poivre est six fois moins cher qu'il n'était ; car la même quantité d'argent vaut six fois moins.

La soie a beaucoup plus baissé de prix que l'or et l'argent. Autrefois, disent les historiens, elle valait autant que son poids en or. Il est à présumer qu'ils disent cela de la soie tissée en étoffes que les romains tiraient de l'orient ; car ils n'avaient point de manufactures d'étoffes de soie. Aujourd'hui, pour un kilogramme d'or qui vaut 3400 francs, on aurait 27 kilogrammes d'étoffes de soie unies ; et comme l'or a lui-même baissé au sixième de son ancienne valeur, la multiplication de 27 par 6 nous montre que les soieries valent chez nous cent soixante-deux fois moins qu'elles ne valaient chez les romains ; d'où l'on peut conclure le luxe des personnes qui se montraient à Rome en vêtements de soie.

Locke, et après lui les auteurs de la première encyclopédie, ont évalué différemment la baisse survenue dans les métaux précieux.

Présumant qu'à l'époque où ils écrivaient il y avait dans la circulation dix fois plus d'argent qu'avant le seizième siècle, ils ont cru qu'il fallait nécessairement en donner dix fois plus pour acheter les mêmes marchandises ; et qu'une famille qui aurait conservé la même quantité de vaisselle d'argent, ne posséderait plus en vaisselle que la dixième partie de la valeur qu'elle possédait alors. Leur opinion ne s'accorde pas avec les faits précédents, et c'est, je crois, parce que ces auteurs méconnaissaient la source de la valeur. Elle n'est point, ainsi qu'ils l'imaginaient, dans le rapport qui existe entre les quantités diverses d'argent que l'on avait à différentes époques, mais dans le rapport entre la quantité d'argent que l'on a pu, à différentes époques, absorber à un certain prix, et la quantité d'argent que l'on a pu, aux mêmes époques, apporter sur le marché à ce prix-là.

Avec quoi le monde paie-t-il les producteurs d'argent ? Avec d'autres produits. S'il y a eu plus de métal d'argent offert d'un côté, il y a eu plus de produits offerts d'un autre. La découverte des mines et les grands développements de l'industrie datent d la même époque, sans que l'on puisse dire qu'un de ces deux événements ait dépendu de l'autre.

La chaîne des cordillères n'aurait renfermé que de pierres brutes, que les mêmes développements auraient probablement eu lieu dans l'industrie du globe. On aurait seulement donné alors, en échange de la même quantité de métaux précieux, une beaucoup plus grande quantité de toute espèce de marchandise. Les produits de l'industrie seraient devenus moins chers en argent ; ou, ce qui est la même chose, l'argent serait devenu plus cher, plus précieux, étant payé en produits.

L'abondance des mines a permis d'en extraire les métaux précieux avec des frais égaux au sixième seulement de ce qu'ils coûtaient auparavant ; dès-lors, avec une même quantité de blé qui est supposée coûter à produire autant qu'autrefois, on a pu obtenir six fois autant de métaux précieux qu'on en obtenait alors. Car si l'on n'en avait pas obtenu cette quantité en offrant du blé en échange, on l'aurait obtenue en consacrant à faire venir de l'argent, une partie des avances consacrées à la production du blé. En admettant cette donnée (des frais de production de l'argent devenus six fois moindres), la quantité de l'argent fût-elle décuple, fût-elle vingtuple de ce qu'elle était, sa valeur ne devait pas tomber au dixième, au vingtième de sa valeur ancienne, mais seulement au sixième.

Nous venons de voir que la valeur propre des métaux précieux, a toujours été en déclinant depuis la découverte de l'Amérique jusqu'au commencement de ce siècle. Il est probable qu'elle continue à décroître journellement : le prix de toute chose en argent, du moins en France, ne cesse d'augmenter, si ce n'est lorsqu'une cause accidentelle, comme une cessation de guerre, une diminution de droits, un procédé de production plus expéditif, change cette marche, et fait baisser le prix réel de certains objets en particulier, plus que n'augmente leur prix en argent.

Je sais que l'augmentation du loyer des terres, que l'on remarque généralement, dépend aussi des progrès qui ont lieu dans les procédés de culture : le fermier qui parvient à tirer plus de produits du terrain, peut en payer un plus gros fermage, et le prix du fonds lui-même s'en accroît ; mais puisque le prix en argent de la plupart des autres objets va en augmentant, il est à présumer qu'une partie au moins du renchérissement des baux, est due à la dépréciation de l'argent lui-même ; et comme la même dénomination est actuellement, du moins en France, en Angleterre, en Espagne et ailleurs, conservée à la même quantité d'argent, les variations du prix nominal des choses donnent assez fidèlement la mesure des variations de leur prix en argent.

Il ne serait pas sans utilité de pouvoir présager les révolutions futures que subira la valeur des métaux précieux ; malheureusement une partie des événements destinés à influer sur cette valeur, excèdent toute prévoyance humaine. Quelles nouvelles veines métalliques, quelles nouvelles mines seront découvertes ? M De Humboldt affirme que l'abondance de l'argent est telle, dans la chaîne des Andes, qu'en réfléchissant sur le nombre des gîtes de minerais qui sont restés intacts ou qui n'ont été que superficiellement exploités, on serait tenté de croire que les Européens ont à peine commencé à jouir de leurs riches produits. D'heureux hasards, des progrès dans l'art de sonder, peuvent amener des découvertes capables de produire une révolution comparable à celle du seizième siècle. Les seuls progrès probables de l'art d'exploiter les mines peuvent diminuer à un très haut point les frais de production. Il paraît, d'après le même auteur, que dans les mines les plus riches, des armées de mineurs sont encore occupées à transporter à dos d'homme le minerai, c'est-à-dire une matière qui ne contient pas un quart pour cent de métal ; transport qui pourrait, si les puits et les galeries étaient bien disposés, être opéré dans des chariots par des animaux et même par des moteurs inanimés. Des économies pareilles pourraient avoir lieu dans presque toutes les autres parties de l'exploitation, et les frais de production être considérablement diminués.

On ne doit pas s'imaginer cependant que la valeur du produit diminuât autant que les frais de production, surtout si ces frais diminuaient par la découverte de nouveaux filons d'une puissance extraordinaire. À mesure que l'argent baisserait de prix, et que l'on pourrait en obtenir davantage en donnant en échange moins de travail et moins de tout autre produit, la demande qu'on en ferait deviendrait bien plus considérable ; on en consommerait plus en ustensiles ; il en faudrait une plus grande quantité pour faire des sommes de monnaie de même valeur.

Ce n'est pas tout. Les nations qui se croient complètement civilisées peuvent le devenir davantage ; une population plus nombreuse, une production plus active, rendent nécessaire une plus grande quantité de métaux précieux. Des contrées désertes se peupleront d'habitants ; des hordes sauvages deviendront des nations policées ; et le marché qui absorbe l'or et l'argent, déjà si vaste, deviendra d'année en année, de siècle en siècle, plus étendu.

Néanmoins ces progrès, faciles à prévoir, peuvent ne pas marcher d'un pas aussi rapide que la production des mines. M De Humboldt estime que les mines réunies de l'Amérique, de l'Europe et de l'Asie, fournissent annuellement 19126 kilogrammes d'or pur, et 869960 kilogrammes d'argent pur. Ces deux quantités, réduites en notre monnaie, feraient une somme de 259202888 francs ; d'où il convient de déduire ce qui est détruit tous les ans par la consommation et par l'usure ; car pour ce qui est des métaux précieux employés pour faire des ustensiles, ils ne sont pas détruits ; la matière d'un plat d'argent peut servir à en faire un autre : l'or même des broderies et des galons se retrouve en partie par la fonte. En songeant combien les matières d'or et d'argent sont durables par nature, et combien les hommes, à quelque titre qu'ils s'en trouvent possesseurs, sont intéressés à ménager des objets si précieux, on trouvera peut-être que c'est accorder beaucoup à la déperdition qui s'en fait annuellement, que la porter à 59 millions. à ce compte, néanmoins, chaque année verrait s'accroître de plus de deux cents millions de francs, la quantité de métaux précieux répandus dans la grande société du genre humain, quantité que les progrès des diverses nations du globe devraient absorber chaque année, pour que le prix des métaux précieux ne déclinât pas.

Il paraît que tel n'a pas été le cas, puisqu'ils ont décliné. Déjà, dans le cours des siècles précédents, le gouvernement espagnol, tandis qu'il dominait encore sur le Mexique et le Pérou, a été forcé de baisser successivement les droits qu'il prélevait sur les métaux précieux. Quand il ne baissait pas les droits, on abandonnait tantôt une mine, tantôt une autre ; ce qui prouve que la circulation ne pouvait pas absorber les suppléments qui lui étaient offerts au prix où l'impôt les élevait. Après avoir encore réduit les droits, après les avoir supprimés tout-à-fait, si les consommateurs ne voulaient pas payer les frais de production nécessaires, nous verrions abandonner successivement les exploitations les plus dispendieuses, et conserver celles où les frais de production seraient moindres.

Du reste, quel que soit le gouvernement qui s'y établira, le Mexique et le Pérou continueront vraisemblablement à nous fournir nos principaux approvisionnements de métaux précieux. L'or et l'argent sont des marchandises de leur crû ; leurs peuples sont intéressés à les donner, et nous à les recevoir en échange de beaucoup d'autres produits que nous pouvons leur fournir. Plus les Péruviens et les Mexicains seront nombreux, libres et civilisés, et plus ils nous fourniront d'or et d'argent, parce que les procédés pour exploiter les mines seront alors chez eux plus perfectionnés, parce qu'ils auront besoin d'une plus grande quantité de nos produits.

C'est une circonstance favorable que ces deux nations n'obéissent plus au même gouvernement : leur concurrence convient au reste de la terre. Si des troubles politiques doivent troubler encore l'exercice de l'industrie et les communications du commerce, ces troubles n'ont qu'un temps ; les nations retombent toujours sous l'empire de leurs intérêts, et d'autant plus promptement qu'elles sont plus éclairées et les comprennent mieux.


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