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Si je me suis arrêté à combattre des expressions inexactes, c'est qu'elles m'ont semblé trop répandues, qu'elles suffisent quelquefois pour établir des idées fausses, que les idées fausses deviennent souvent la base d'un faux système, et que d'un faux système enfin naissent les mauvaises opérations.
Si je me suis arrêté à combattre des expressions inexactes, c'est qu'elles m'ont semblé trop répandues, qu'elles suffisent quelquefois pour établir des idées fausses, que les idées fausses deviennent souvent la base d'un faux système, et que d'un faux système enfin naissent les mauvaises opérations.
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Version actuelle datée du 16 mai 2008 à 19:32

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XXVII


Anonyme


Livre Premier
Chapitre XXVII - Que la monnaie n'est ni un signe ni une mesure.


Un signe représentatif n'a de valeur que celle de l'objet qu'il représente, et qu'on est forcé de délivrer sur la présentation du titre. La monnaie tire sa valeur de ses usages, et personne n'est obligé de délivrer sa marchandise quand on lui présente de la monnaie. Il l'échange librement ; il débat la valeur de sa marchandise, ce qui revient au même que de débattre la valeur de la monnaie qu'on lui offre ; valeur qui n'est pas stipulée d'avance, et qui en fait une marchandise de même nature que les instruments quelconques dont les hommes se servent.

Ce qui est un signe, c'est un billet de banque payable à la première réquisition ; il est le signe de l'argent qu'on peut recevoir au moment qu'on veut, sur la présentation de cet effet ; et il n'a de valeur qu'en vertu de l'argent qu'il donne droit de recevoir et qu'on ne peut refuser de payer. Mais quant à la monnaie d'argent qu'on reçoit à la caisse, elle n'est pas le signe : elle est la chose signifiée.

Quand on vend sa marchandise, on ne l'échange donc pas contre un signe, mais contre une autre marchandise appelée monnaie, à laquelle on suppose une valeur égale à celle qu'on vend.

Quand on achète, on ne donne pas seulement un signe : on donne une marchandise ayant une valeur réelle égale à celle qu'on reçoit.

Cette première erreur a été le fondement d'une autre erreur souvent reproduite. De ce que la monnaie était le signe de toutes les valeurs, on a conclu que les monnaies représentaient toutes les marchandises, et que leur valeur totale en chaque pays égalait la valeur totale de tous les autres biens : opinion qui reçoit une apparence de vraisemblance de ce que la valeur relative de la monnaie diminue quand sa masse va en augmentant, et de ce qu'elle augmente quand sa masse diminue.

Mais qui ne voit que cette variation a lieu de même pour toutes les autres marchandises qui ne sont évidemment pas des signes ? Quand la récolte du vin a été double dans une certaine année, son prix tombe à moitié de ce qu'il était l'année précédente ; par une raison semblable, on peut supposer que, si la masse des espèces qui circulent venait à doubler, le prix de toutes choses doublerait, c'est-à-dire que pour avoir le même objet il faudrait donner le double d'argent. Or, cet effet n'indique pas plus que la valeur totale de l'argent est toujours égale à la valeur totale des autres richesses, qu'il n'indique que la valeur totale des vins est égale à toutes les autres valeurs réunies. La variation survenue dans la valeur de l'argent et du vin, dans les deux suppositions, est une conséquence du rapport de ces denrées avec elles-mêmes, et non de leur rapport avec la quantité des autres denrées.

Nous avons déjà vu que la valeur totale de la monnaie d'un pays, même en y ajoutant la valeur de tous les métaux précieux qu'il renferme, est peu de chose, comparée avec la masse entière de ses valeurs. La valeur représentée serait donc supérieure au signe qui la représente, et le signe ne suffirait point pour se procurer la chose signifiée.

C'est avec aussi peu de fondement que Montesquieu prétend que le prix des choses dépend du rapport qu'il y a entre la quantité totale des denrées et la quantité totale des monnaies. Un vendeur et un acheteur savent-ils ce qui existe d'une denrée qu'on ne met pas en vente ? Et quand ils le sauraient, cela changerait-il, relativement à cette même denrée, quelque chose à la quantité offerte et à la quantité demandée ? Toutes ces opinions naissent évidemment de l'ignorance où l'on a été, jusqu'à notre temps, de la nature des choses et de la marche des faits dans ce qui tient à l'économie politique.

Avec un peu plus d'apparence de raison, mais non pas avec plus de fondement on a nommé le numéraire, ou la monnaie, une mesure des valeurs. On peut apprécier la valeur des choses ; on ne peut pas la mesurer, c'est-à-dire la comparer avec un type invariable et connu, parce qu'il n'y en a point.

C'est de la part de l'autorité une entreprise insensée que de vouloir fixer une unité de valeur pour déterminer quelle est la valeur des choses. Elle peut commander que Charles, possesseur d'un sac de blé, le donne à Martial pour 24 francs ; mais elle peut commander de même que Charles le donne pour rien. Par cette ordonnance, elle aura peut-être dépouillé Charles au profit de Martial ; mais elle n'aura pas plus établi que 24 francs soient la mesure de la valeur d'un sac de blé, qu'elle n'aurait établi qu'un sac de blé n'a point de valeur, en forçant son possesseur à le donner pour rien.

Une toise ou un mètre sont de véritables mesures, parce qu'elles présentent toujours à l'esprit l'idée d'une même grandeur. Fussè-je au bout du monde, je suis certain qu'un homme de cinq pieds six pouces (mesure de France) a la même taille qu'un homme de cinq pieds six pouces en France. Si l'on me dit que la grande pyramide de Ghizé a cent toises de largeur à sa base, je peux à Paris mesurer un espace de cent toises, et me former une idée exacte de cette base ; mais si l'on me dit qu'un chameau vaut au Caire 50 sequins, qui font environ 2,500 grammes d'argent, ou 500 francs, je n'ai pas une idée précise de la valeur de ce chameau, parce que les 500 francs d'argent valent indubitablement moins à Paris qu'au Caire, sans que je puisse dire de combien ils sont inférieurs en valeur.

Tout ce qu'on peut faire se réduit donc à comparer entre elles les valeurs de différentes choses, c'est-à-dire à déclarer que celle-ci vaut autant, ou plus, ou moins que celle-là, dans le moment et au lieu où l'on est, sans pouvoir déterminer quelle est absolument la valeur des unes et des autres. On dit qu'une maison vaut 20 000 francs ; mais quelle idée de valeur me donne une somme de 20 000 francs ?

L'idée de tout ce que je peux acheter pour ce prix ; et quelle idée de valeur me donnent toutes ces choses achetées pour ce prix ? L'idée d'une valeur égale à celle de cette maison, mais non l'idée d'aucune grandeur de valeur fixe qui soit indépendante de la valeur comparée de ces choses.

Quand on compare deux choses d'inégale valeur à diverses fractions d'un produit de même nature, on ne fait encore qu'évaluer le rapport de leur valeur.

Quand on dit : cette maison vaut 20 000 francs, et cette autre vaut 10 000 francs, la phrase au fond ne dit autre chose que : cette maison vaut deux fois autant que celle-là. Comme on les compare l'une et l'autre à un produit qui peut se partager en plusieurs portions égales (à une somme d'argent), on peut plus aisément, à la vérité, se faire une idée du rapport de valeur des deux maisons, parce que l'esprit saisit avec facilité le rapport de 20 000 unités avec 10 000 unités ; mais on ne peut, sans tourner dans un cercle vicieux, dire ce que vaut chacune de ces unités.

Qu'on appelle cela mesurer, j'y consens ; mais je ferai remarquer que la même propriété se rencontre dans toute autre marchandise divisible, quoiqu'elle ne remplisse pas l'office de la monnaie. On aura la même idée du rapport qui existe entre la valeur des deux maisons, lorsqu'on dira : l'une vaut mille hectolitres de froment, et l'autre n'en vaut que cinq cents.

Cette matière une fois comprise, j'observerai que la mesure commune de deux valeurs (si on lui accorde ce nom) ne donne aucune idée du rapport de ces deux valeurs, pour peu qu'elles soient séparés par quelque distance ou par quelque espace de temps ; 20000 francs ou mille hectolitres de froment, ne peuvent me servir pour comparer la valeur d'une maison d'autrefois à celle d'une maison d'à présent, parce que la valeur des écus et du froment n'est plus rigoureusement à présent ce qu'elle était autrefois.

Une maison à Paris, de 10 000 écus, au temps de Henri IV, valait bien plus qu'une maison qui vaudrait à présent 10 000 écus.

Une maison de 20 000 francs en basse-Bretagne, a plus de valeur qu'une maison de 20 000 francs à Paris ; de même qu'un revenu de 10 000 francs en basse-Bretagne, est bien plus considérable qu'un revenu de pareille somme à Paris.

C'est ce qui rend impossible la comparaison qu'on a quequefois tenté de faire des richesses de deux époques ou de deux nations différentes. Ce parallèle est la quadrature du cercle de l'économie politique, parce qu'il n'y a point de mesure commune pour l'établir.

L'argent, et même la monnaie, de quelque matière qu'elle soit composée, n'est qu'une marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu'on fait, par un accord entre le vendeur et l'acheteur.

L'argent vaut plus quand il achète beaucoup de marchandises que lorsqu'il en achète peu. Il ne peut donc faire les fonctions d'une mesure, qui consiste à conserver l'idée d'une grandeur. Ainsi, lorsque Montesquieu a dit en parlant des monnaies : « Rien ne doit être si exempt de variations que ce qui doit être la mesure commune de tout », il a renfermé trois erreurs en deux lignes. D'abord on ne peut pas prétendre que la monnaie soit la mesure de tout, mais de toutes les valeurs ; en second lieu, elle n'est pas même la mesure des valeurs ; et, enfin, il est impossible de rendre sa valeur invariable. Si Montesquieu voulait engager les gouvernements à ne pas altérer les monnaies, il devait employer de bonnes raisons, parce qu'il y en a, et non des traits brillants qui trompent et accréditent de fausses idées.

Cependant il serait bien souvent curieux, et dans certain cas, il serait utile de pouvoir comparer deux valeurs séparées par les temps et par les lieux, comme dans les cas où il s'agit de stipuler un paiement à effectuer au loin, ou bien une rente qui doit durer de longues années.

Smith propose la valeur du travail comme moins variable, et par conséquent plus propre à donner la mesure des valeurs dont on est séparé : et voici les raisons sur lesquelles il se fonde : « Deux quantités de travail, dit-il, quel que soit le temps, quel que soit le lieu, sont d'égale valeur pour celui qui travaille. Dans l'état ordinaire de sa santé et de son courage, de son aptitude et de sa dextérité, l'avance qu'il fait, dans les deux cas, de sa peine, doit etre pour lui la même. Ce prix qu'il paie est donc le même, quelle que soit la quantité des choses qu'il reçoive en retour. S'il en reçoit une plus ou moins grande quantité, c'est la valeur de ces choses qui varie, et non la valeur du travail avec lequel il les achète. Partout, dans tous les temps, ce qu'on n'obtient qu'avec beaucoup de peines et de travail, est cher ; ce qui en coûte peu est à bon marché. Le travail ne variant jamais dans sa valeur, est donc la seule mesure réelle avec laquelle la valeur de toutes les marchandises peut, en tout temps, en tous lieux, être comparée et estimée ».

N'en déplaise à Smith, de ce qu'une certaine quantité de travail a toujours la même valeur pour celui qui fournit ce travail, il ne s'ensuit pas qu'elle ait toujours la même valeur échangeable. De même que toute autre marchandise, le travail peut être plus ou moins offert, plus ou moins recherché ; et sa valeur, qui, ainsi que toute valeur, se fixe par le débat contradictoire qui s'élève entre le vendeur et l'acheteur, varie selon les circonstances.

La qualité du travail n'influe pas moins sur sa valeur. Le travail de l'homme fort et intelligent vaut plus que celui de l'homme faible et stupide. Le travail vaut plus dans un pays qui prospère, et où les travailleurs manquent, que dans un pays surchargé de population. La journée d'un manouvrier aux états-Unis se paie en argent trois fois autant qu'en France ; peut-on croire que l'argent y vaut trois fois moins ? Une preuve que le manouvrier des États-Unis est réellement mieux payé, c'est qu'il se nourrit mieux, se vêtit mieux, se loge mieux. Le travail est peut-être une des denrées dont la valeur varie le plus, parce qu'il est, dans certains cas, extraordinairement recherché, et, dans d'autres cas, offert avec une instance qui fait peine, comme dans une ville dont l'industrie est tombée.

Sa valeur ne peut donc servir mieux que la valeur de toute autre denrée, à mesurer deux valeurs séparées par de grandes distances ou par un long espace de temps. Il n'y a réellement point de mesure des valeurs, parce qu'il faudrait pour cela qu'il y eût une valeur invariable, et qu'il n'en existe point.

À défaut de mesure exacte, il faut se contenter d'évaluations approximatives ; alors la valeur de plusieurs marchandises, lorsqu'elle est bien connue, peut donner une idée plus ou moins rapprochée de la valeur de telle autre. Pour savoir, à peu près, ce qu'une chose valait chez les anciens, il faudrait connaître quelle marchandise, à la même époque, devait valoir à peu près autant que chez nous, et savoir ensuite quelle quantité de cette denrée on donnait en échange de celle dont on veut savoir le prix. Il ne faudrait point prendre pour objet de comparaison la soie, par exemple, parce que cette marchandise, qu'on était obligé, du temps de César, de tirer de la Chine d'une manière dispendieuse, et qui ne se produisait point en Europe, devait être beaucoup plus chère que chez nous. N'est-il aucune marchandise qui ait dû moins varier depuis ce temps jusqu'au nôtre ? Combien donnait-on de cette marchandise pour avoir une once de soie ? Voilà ce qu'il faudrait savoir. S'il était une denrée dont la production fût à peu près également perfectionnée aux deux époques, une denrée dont la consommation fût de nature à s'étendre à mesure qu'elle est plus abondante, cette denrée aurait probablement peu varié dans sa valeur, laquelle pourrait en conséquence devenir un moyen terme de comparaison assez passable des autres valeurs.

Depuis les premiers temps historiques, le blé est la nourriture du plus grand nombre, chez tous les peuples de l'Europe ; et la population des états a dû par conséquent se proportionner à sa rareté et à son abondance plutôt qu'à la quantité de toute autre denrée alimentaire : la demande de cette denrée, relativement à sa quantité offerte, a donc dû être, dans tous les temps, à peu près la même. Je n'en vois point en outre dont les frais de production doivent avoir aussi peu varié. Les procédés des anciens, dans l'agriculture, valaient les nôtres à beaucoup d'égards, et peut-être les surpassaient en quelques points. L'emploi des capitaux était plus cher, à la vérité ; mais cette différence est peu sensible, en ce que, chez les anciens, les propriétaires cultivaient beaucoup par eux-mêmes et avec leurs capitaux ; ces capitaux, engagés dans des entreprises agricoles, pouvaient réclamer des profits moindres que dans d'autres emplois, d'autant plus que, les anciens attachant plus d'honneur à l'exercice de l'industrie agricole qu'à celui des deux autres, les capitaux, de même que les travaux, devaient s'y porter avec plus de concurrence que vers les fabriques et le commerce.

Dans le moyen âge, où tous les arts ont tant dégénéré, la culture du blé s'est soutenue à un haut point de perfection qui n'est pas fort au-dessous de celui où nous la voyons actuellement.

De ces considérations je conclus que la valeur d'une même quantité de blé a dû être à peu près la même chez les anciens, dans le moyen âge, et de notre temps. Mais comme l'abondance des récoltes a toujours prodigieusement varié d'une année à l'autre, qu'il y a eu des famines dans un temps, et que les grains ont été donnés à vil prix dans un autre, il ne faut évaluer le grain que sur sa valeur moyenne, toutes les fois qu'on la prend pour base d'un calcul quelconque.

Voilà pour ce qui est de l'estimation des valeurs à des époques différentes.

Quant à leur estimation en deux endroits éloignés l'un de l'autre, elle n'est pas moins difficile. La nourriture la plus générale, et par conséquent celle dont la demande et la quantité restent plus communément dans une même proportion relative, varie d'un climat à l'autre. En Europe, c'est le blé ; en Asie, c'est le riz : la valeur d'une de ces denrées n'a aucun rapport en Asie et en Europe, la valeur du riz en Asie n'a même aucun rapport avec la valeur du blé en Europe. Le riz a incontestablement moins de valeur aux Indes que le blé parmi nous : sa culture est moins dispendieuse, ses récoltes sont doubles. C'est en partie ce qui fait que la main-d'œuvre est à si bon marché aux Indes et à la Chine.

La denrée alimentaire de l'usage le plus général est donc une mauvaise mesure des valeurs à de grandes distances. Les métaux précieux n'en sont pas une bien parfaite non plus : ils valent incontestablement moins en Amérique qu'ils ne valent en Europe, et incontestablement plus dans toute l'Asie, puisqu'ils s'y rendent constamment. Cependant la grande communication qui existe entre ces parties du monde, et la facilité de les transporter, peuvent faire supposer que c'est encore la marchandise qui varie le moins dans sa valeur en passant d'un climat dans l'autre.

Heureusement qu'il n'est pas nécessaire, pour les opérations commerciales, de comparer la valeur des marchandises et des métaux dans deux climats éloignés, et qu'il suffit de connaître leur rapport avec les autres denrées dans chaque climat. Un négociant envoie à la Chine une demi-once d'argent : que lui importe que cette demi-once vaille plus ou moins qu'une once en Europe ? La seule chose qui l'intéresse est de savoir qu'avec cet argent il pourra acheter à Canton une livre de thé d'une certaine qualité, qui, rapportée en Europe, se vendra une once et demie d'argent. D'après ces données, sachant qu'il aura sur cet objet, quand l'opération sera terminée, un gain d'une once d'argent, il calcule si ce gain, après avoir couvert les frais et les risques de l'allée et du retour, lui laisse un bénéfice suffisant. Il ne s'inquiète pas d'autre chose. S'il envoie des marchandises au lieu d'argent, il lui suffit de savoir le rapport entre la valeur de ces marchandises et celle de l'argent en Europe, c'est-à-dire ce qu'elles coûtent ; le rapport entre leur valeur et celle des denrées chinoises en Chine, c'est-à-dire ce qu'on obtiendra en échange ; et finalement le rapport entre ces dernières et l'argent en Europe, ou ce qu'elles se vendront quand elles seront arrivées. On voit qu'il n'est question là-dedans que de comparer les valeurs relatives de deux ou de plusieurs objets, au même temps et au même lieu, dans chaque occasion.

Dans les usages ordinaires de la vie, c'est-à-dire, lorsqu'il ne s'agit que de comparer la valeur de deux choses qui ne sont séparées ni par un long espace de temps, ni par une grande distance, presque toutes les denrées qui ont quelque valeur peuvent servir de mesure ; et si, pour désigner la valeur d'une chose, même lorsqu'il n'est question ni de vente ni d'achat, on emploie plus volontiers dans cette appréciation la valeur des métaux précieux, ou de la monnaie, c'est parce que la valeur d'une certaine quantité de monnaie est une valeur plus généralement connue que toute autre. Mais quand on stipule pour des temps éloignés, comme lorsqu'on se réserve une rente perpétuelle, il vaut mieux stipuler en blé ; car la découverte d'une seule mine pourrait faire tomber la valeur de l'argent fort au dessous de ce qu'elle est, tandis que la cultivation de toute l'Amérique septentrionale ne ferait pas sensiblement baisser la valeur du blé en Europe ; car alors l'Amérique se peuplerait de consommateurs en même temps qu'elle se couvrirait de moissons. De toute manière, une stipulation de valeurs pour un terme éloigné est nécessairement vague, et ne peut donner aucune assurance de la valeur qu'on recevra.

La plus mauvaise de toutes les stipulations serait celle qui stipulerait en monnaie nominale ; car ce nom pouvant s'appliquer à des valeurs diverses, ce serait stipuler un mot plutôt qu'une valeur, et s'exposer à payer ou à être payé en paroles.

Si je me suis arrêté à combattre des expressions inexactes, c'est qu'elles m'ont semblé trop répandues, qu'elles suffisent quelquefois pour établir des idées fausses, que les idées fausses deviennent souvent la base d'un faux système, et que d'un faux système enfin naissent les mauvaises opérations.


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