Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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d'un siège unique. Nous en avons déjà cité quelques
d'un siège unique. Nous en avons déjà cité quelques
exemples; nous le verrons mieux encore en étudiant les trusts.
exemples; nous le verrons mieux encore en étudiant les trusts.
* Section 2. Coalitions d'entreprises.
Nous venons de voir que les entreprises, individuelles ou montées
par actions, s'agrandissent en développant les dimensions
de leurs établissements, en créant de nouveaux établissements,
ou en achetant des entreprises concurrentes. Cette forme de concentration,
qui s'est présentée la première à notre analyse, est
aussi la plus simple; mais ce n'est pas la seule. Dans ces dernières
années, chez les peuples les plus progressifs, la concentration s'est
encore effectuée par voie d'entente et de coalition entre des entreprises
indépendantes, qui ont renoncé à tout ou partie de cette indépendance
dans le but de limiter la concurrence, de réglementer la
production, et même d'exercer un véritable monopole sur le marché.
Il n'est pas question ici de ces coalitions éphémères de spéculateurs
(rings, corners), qui se forment sur un grand marché pour produire
une hausse ou une baisse momentanée sur une marchandise, et qui
doivent liquider leur opération à bref délai pour réaliser un bénéfice.
Il ne s'agit que des ententes durables entre des entreprises proprement
dites; peu importe d'ailleurs que ces entreprises aient pour
objet la production industrielle, les transports par terre ou par mer,
l'emmagasinage, le commerce en gros ou au détail, les assurances, etc.
Il ne s'agit même pas de toutes les ententes et associations qui peuvent
se former entre producteurs, transporteurs ou commerçants,
mais seulement de celles qui tendent à limiter ou à supprimer la
concurrence. Il existe bien des sociétés coopératives composées
d'agriculteurs, d'industriels ou de commerçants, qui se proposent
d'organiser la production ou la vente d'un produit; plusieurs d'entre
elles contiennent le germe d'une coalition, et se développeront peut-être
un jour en ce sens; mais elles ne deviennent réellement une
coalition que lorsqu'elles imposent à leurs membres certaines obligations
destinées à écarter les effets de la concurrence.
Ces coalitions naissent spontanément de la concurrence elle-même
et des abus qu'elle engendre. Lorsque, sous l'effort de chaque entreprise
pour écouler ses produits, les prix s'abaissent à tel point que
non seulement les entreprises les plus faibles ne couvrent plus leurs
frais, mais que les plus puissantes mêmes ne réalisent aucun profit,
la concurrence, devenue meurtrière de l'industrie et malsaine pour
le corps social tout entier, ne peut que succomber sous ses propres
excès et s'abolir elle-même; elle s'anéantit alors, soit par l'absorption des plus faibles, soit par l'absorption des concurrents quand leurs forces ne sont pas trop inégales.
Les premiers exemples de ce procès naturel se sont présentés
dans l'industrie des chemins de fer, en Angleterre et aux États-Unis.
Des l'origine, la concurrence n'a pu s'y maintenir entre les compagnies,
parce que nulle industrie n'offrait des conditions plus favorables
à la fusion ou à l'entente. Mais, à une époque plus récente, les
coalitions se sont multipliées, en Amérique et ailleurs, dans beaucoup
d'autres branches de l'industrie. D'une manière a peu près
invariable, elles sont nées des circonstances qui viennent d'être
relatées.
=== § I. Cartels ===
Les ententes conclues pour un objet déterminé, entre des entreprises
qui conservent par ailleurs leur existence individuelle et leur
autonomie, sont généralement désignées sous le nom de ''cartels'' ou de
''pools''. Les cartels réunissent des entreprises concurrentes qui appartiennent
à la même catégorie professionnelle; ils exercent leur action
dans une localité restreinte ou dans un État, parfois même dans le
monde entier. Ils visent à prévenir les abus de la concurrence, et
même a établir un monopole, mais sans prétendre le restreindre à
un cercle limité d'entreprises; un cartel reste ordinairement ouvert
à tous ceux qui se soumettent à ses clauses. Les cartels sont donc
des fédérations économiques, qui laissent aux entreprises adhérentes
leur individualité distincte et ne les obligent que dans les limites
tracées par le pacte fédéral.
Suivant leur degré de cohésion et de centralisation, on distingue
plusieurs espèces de cartels : ceux qui se bornent à poser des règles
communes sur les conditions accessoires de la vente (escompte,
délais de paiement, etc.), ceux qui établissent un prix de vente
minimum, sans chercher à prévenir la baisse par des mesures qui
l'atteignent à sa source; ceux qui fixent à chaque établissement un
rayon d'écoulement déterminé, en divisant le marché par circonscriptions
géographiques, ceux qui cherchent à agir sur la production,
soit en imposant à chaque contractant un chômage périodique ou
une réduction proportionnelle à ses moyens de production, soit
plutôt en déterminant à l'avance le total de la production annuelle
et en assignant à chaque entreprise un certain contingent, sauf à
prélever, sur les établissements qui dépassent leur contingent, une
somme destinée à indemniser ceux qui ne l'ont pas atteint.
Les combinaisons usitées sont donc extrêmement variées; mais
toutes celles qui viennent d'être indiquées ont le vice commun d'être
trop lâches et de se prêter, malgré les mesures de contrôle et les
pénalités, à des fraudes multiples; mal observé, le pacte se dissout
trop facilement. La seule forme vraiment vigoureuse et résistante
du cartel est celle qui réalise la véritable centralisation, sinon au
point de vue industriel ce serait alors le trust, au moins au
point de vue commercial; c'est le comptoir de vente, le bureau de
vente commun, chargé de passer tous les marchés, de recevoir les
commandes et de les distribuer, en un mot, de pourvoir seul et pour
le compte de tous à l'écoulement des produits sur le marché intérieur.
Cette forme de cartel ne se conçoit guère autrement que combiné
avec quelques-unes des modalités précédentes; il serait difficile à un
comptoir de vente d'assurer l'écoulement total de la production, si la
convention n'assignait pas à chaque établissement un contingent
limité pour le marché national, ou tout au moins ne lui fixait pas les
limites d'un marché territorial; mais son caractère essentiel est toujours
l'organisation de la vente en commun. Parfois, c'est une maison
de banque que le cartel charge de cet office; plus souvent, il institue
lui-même son propre bureau de vente, soit que le bureau serve simplement
d'intermédiaire entre les entreprises syndiquées et la clientèle,
soit qu'il opère lui-même la vente après avoir acheté les produits.
Cette dernière organisation, la plus parfaite que comporte le cartel,
nécessite la formation d'une société entre les entreprises intéressées.
La société ainsi constituée présente tous les caractères économiques
d'une société coopérative; mais elle est en même temps et essentiellement
un cartel car le comptoir de vente, par les obligations qu'il
impose à ses adhérents, réalise l'unité d'action dans le but de régir
les prix et d'établir un monopole.
La plupart des cartels se proposent, à des degrés divers, l'organisation
de la production ou de la vente sur le marché intérieur; il en
est cependant qui visent aussi l'exportation, et qui la favorisent par
certains procédés propres à décongestionner le marché intérieur. Il
existe aussi, mais en petit nombre, des cartels d'achat, notamment
entre fabricants de sucre vis-à-vis des cultivateurs de betteraves; on
pourrait même considérer comme tels les syndicats organisés entre
patrons pour résister aux prétentions de leurs ouvriers. Les cartels
de vente provoquent parfois, par leurs prétentions, la formation de
cartels d'achat; si les exploitants des houillères ou des hauts fourneaux se syndiquent, leurs clients de l'industrie métallurgique se coalisent
de leur côté pour opposer cartel à cartel; de même, l'industrie
allemande des cuirs vise à fonder un syndicat d'achat pour lutter à
armes égales contre les bouchers coalisés comme vendeurs de peaux
brutes. A l'inverse, des syndicats se forment entre cultivateurs de betteraves
pour résister à la pression des fabricants de sucre syndiqués.
Toutes les branches d'exploitation ne sont pas également propres
aux cartels. D'une manière générale, la tendance à la coalition est
d'autant plus forte que la concentration est déjà plus avancée;
l'accord est aisé, en effet, entre des entreprises peu nombreuses,
surtout si elles sont rapprochées géographiquement et si leur marché
est limité. Le cartel suppose en outre qu'il existe entre les concurrents
une certaine égalité; sinon, la concurrence aboutit à l'absorption
plutôt qu'à la coalition. Enfin, et c'est la condition principale,
le cartel ne peut guère exister que pour des marchandises produites
en masse suivant un type uniforme. Les articles fabriqués par petites
quantités, ceux qui ont une originalité individuelle, ceux qui sont
parvenus au dernier degré de fabrication, s'y prêtent difficilement.
Quant à ceux qui portent une marque connue et appréciée du public,
ils sont l'objet d'une sorte de monopole individuel, et échappent par
conséquent à toute combinaison collective.
Exposer ces conditions, c'est dire que les cartels se rencontrent
surtout dans la grande industrie. Ils foisonnent en Autriche et en
Allemagne, leurs pays d'origine; l'industrie houillère, la grosse
métallurgie, la construction mécanique, l'industrie chimique, les
industries du verre et de la poterie, les industries alimentaires, sont
celles où l'on rencontre les coalitions les plus nombreuses et les plus
fortes, sous forme de comptoirs de vente ou autrement. En Allemagne,
la région Rhin-Westphalie est le siège des syndicats les plus
puissants de la houille, du coke et de la fonte; au début de 1904 s'y
est formé le syndicat de l'acier, qui réunit presque tous les établissements
de l'Allemagne. Les cartels du sucre et de l'alcool, qui
comprennent aussi la presque totalité des intéressés, sont eux-mêmes
des combinaisons au second degré; l'un résulte d'un accord entre le
syndicat des fabricants de sucre et celui des raffineurs, l'autre d'une
entente semblable entre distillateurs et rectificateurs d'alcool. Quantl
a l'industrie textile, sa production diversifiée se prête moins facilement
à la coalition. On y trouve bien des accords tendant à limiter
la production ou à fixer des prix uniformes; mais le lien y est plus
lâche et l'entente généralement éphémère. Nous verrons toutefois
que les trusts n'y sont pas inconnus.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE 1M
Dans beaucoup d'autres pays, en Russie et en Belgique notamment,
la grande industrie a suivi l'exemple donné par les pays germaniques.
En Angleterre, les pools sont nombreux dans la métallurgie et la
construction mécanique; les plus célèbres sont les Alliances de Birmingham,
conclues entre fabricants de lits métalliques; mais, comme
elles reposent sur un accord avec les unions ouvrières, il est préférable
d'en parler à propos des associations professionnelles.
Aux États-Unis, les combinaisons de ce genre, généralement temporaires,
sont très fréquentes et se chiffrent sans doute par centaines,
peut être par milliers; mais elles sont mal connues et n'ont
jamais fait l'objet d'un relevé. Le pool le plus considérable est cetui
de la viande (Beef trust), formé à Chicago entre les huit principales
corporations de packers (Armour et autres).
En France, bien que la combinaison ait été pratiquée dès le milieu
du xix" siècle, les syndicats de producteurs n'ont pas pris le même
développement et sont restés relativement peu nombreux'. Le plus
connu d'entre eux est le Comptoir de Longwy, formé en 1876 entre
les maîtres de forges de l'Est pour la vente de leurs produits à l'intérieur
mais il en existe d'autres encore dans les différentes branches
de l'industrie du fer et de l'acier, dans la raffinerie du sucre, dans
celle du pétrole, dans l'industrie des glaces, etc.
Enfin, on signale même des cartels internationaux dans certaines
industries chimiques comme celle de la soude, dans la production du
zinc, du fer, du plomb et du cuivre, dans la fabrication des rails,
des lampes à incandescence, des ustensiles émaillés, etc. Récemment
encore, il existait une entente entre les fabriques de glaces de France,
de Belgique, d'Allemagne et d'Italie.
Les cartels internationaux tendent à s'élargir par des ententes
entre cartels ou trusts de nationalités différentes. C'est ainsi que
des accords sont intervenus entre les syndicats du coke belge et
allemand, entre les trusts du fil de coton anglais et américain
longtemps il y a eu entente entre le trust américain du pétrole et les
producteurs du Caucase et de la Galicie dans ces dernières années,
après une lutte opiniâtre, un accord a été conclu entre les deux
trusts des fabricants de tabacs anglais et américains pour la répartition
des marchés
En dehors de la grande industrie, les grandes entreprises de navif1i.
aCnctaea,ddaionsJannet, DessytnMdiHcaMts~enMtr/et'e:V~eMre~in'Mfs. ~Soep.o-pMoftrU.,ee~&eref/<aopMro't~fMe&Cn</tOc/eM:~e
F3·ance,dans le tome LXdes SchrÍft.d. Vereins f. Soc.-poI.,Ueberwfrlschaftticlae
Karlelle DeB~e/t~Md! und im ~tM~aM~,iS94.
2. Grunzel, UeberjKm'&'Mpe,. 322 et s., Leipzig, Duncker, 1S02,in-8".
150 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
gation se prêtent également bien à des combinaisons de ce genre;
les pactes sont fréquents, en Allemagne et en Angleterre, entre
les compagnies de navigation maritime. Les assurances forment
aussi un domaine approprié aux .cartels, à cause de la similitude des
opérations et du petit nombre des concurrents; en Autriche, en
Russie et ailleurs, les tarifs des assurances contre les incendies résultent
d'un accord entre les compagnies. Le commerce en gros, charbons,
thés, denrées coloniales, etc., fournit aussi de nombreux
exemples de coalitions en Angleterre, en Allemagne et ailleurs.
Au contraire, l'agriculture est restée jusqu'ici en dehors du mouvement.
C'sst que l'agriculture, surtout dans ses branches principales,
oppose à la formation des cartels des obstacles de tout genre
les producteurs y sont trop nombreux et trop dispersés, les marchés
trop étendus, les produits manquent généralement d'homogénéité,
la production échappe trop facilement aux limitations conventionnelles
sous l'influence des conditions climatériques. Aussi les tentatives
de coalition sont-elles sx trémement rares parmi les agriculteurs.
On ne peut guère .signaler -en ce sans que les :efforts des agrariens
allemands pour organiser la vernie du blé, et ceux des producteurs de
lait, dans certaines régions de l'Allemagne, pour accaparer le marché
d'une grande ville et imposer leurs prix aux commerçants. Quant aux
cartels de l'alcool et du sucre, ce sont de véritables cartels industriels,
auxquels les agriculteurs n'adhèrent qu'en qualité de fabricants;
leur objet sst de limiter la production industrielle, et d'exercer une
action sur le prix d'un produit industriel; ils m'ant pas encore essayé
de réglementer la production de la betterave ou de la pomme de terre
La petite industrie et le commerce de détail ne semblent pas offrir
un terrain plus favorable aux cartels. Toutefois, les ententes ne sont
pas inconnues chez les détaillants. Un peu partout, il se forme des
ententes tacites sur les prix de vente au détail entre les bouchers, les
boulangers, épiciers, pharmaciens, droguistes d'une même localité.
Il arrive aussi que les détaillants élèvent des cartels contre les négociants
en gros ou les producteurs. Tandis que les producteurs coalisés
cherchent à imposer leurs conditions aux débitants, ceux-ci se
groupent parfois pour se défendre; ainsi, à .Berlin, les marchands de
lait se sont syndiqués pour mener la guerre du lait contre la coopérative
des paysans du Brandebourg. Plus souvent, les commerçants
au détail se coalisent vis-à-vis des grands producteurs pour adapter
I. Souehon,Lesem'<eZ/sde fa.çt-îcM~Mte-en Allemagne, p. 177, 2~S,229 et s..
Co)in, 1903,m-13.
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLEET COMMERCIALE ici
leurs prix de vente à ceux du gros, et pour se réserver une certaine
marge qui leur laisse un profit suffisant; on a des exemples de ces
coalitions chez les épiciers en Angleterre. Parfois même, il arrive que
les détaillants sont les plus forts, et qu'ils dictent leurs conditions.
En Angleterre, l'association des pharmaciens-droguistes à obtenu des
fabricants de spécialités pharmaceutiques l'engagement de refuser
toute fourniture aux détaillants qui vendraient les produits audessous
d'un certain prix; la convention s'applique à 86 fabriques,
3 SOOdétaillants (40 p. 100 de l'ensemble), et porte sur une centaine
de produits. L'exemple a été suivi aux États-Unis et au Canada, et
les débitants de tabacs anglais cherchent à s'organiser de la mémé
manière. En Allemagne, certains commerçants sont allés plus loin
encore; l'Union des marchands d'ustensiles en fer fait signer aux
fabricants l'engagement de ne .fournir aucun bazar ni aucune société
coopérative. Enfin le cartel devient un mode d'intégration commerciale,
lorsqu'il consiste dans l'union d'une maison de gros et de
nombreuses maisons de détail, comme c'est le cas en Angleterre
dans le commerce du thé'.
§ II. Trusts s.
Les cartels les mieux organisés ne procurent des économies
aux intéressés que sur les frais de vente, de réclame et d'intermédiaires
les comptoirs de vente eux-mêmes ne réalisent qu'imparfaitement
l'unité commerciale, et n'opèrent en aucune façon la
centralisation industrielle. Aussi les entreprises qui se font concurrence
dans une même branche, si elles veulent supprimer les inconvénients
d'une production mal coordonnée, ou si elles ont besoin .“
d'échapper aux lois contre les coalitions, doivent aller plus loin dans
la voie des sacrifices, et renoncer totalement à leur individualité pour
se fondre dans une entreprise unique. Sur le continent européen,
l'esprit particulariste des producteurs a fait obstacle jusqu'ici à ces
fusions. Aux États-Unis, au contraire, la concurrence plus ardente a
déterminé les entreprises rivales à s'amalgamer en corporations
unitaires et centralisées, qui portent le nom de ~'M~ en souvenir
d'un mode de constitution aujourd'hui abandonné.
Les formes juridiques du trust peuvent varier; tantôt la corpora-
1. Macrasty, Ty'M~sand <AsS~e, p. !C4 et s. – Borgius, Wan~M~ .M
tMo~frMenDe<a:<feV, Ârchiv fur Gesetzgebungde Brann,iS99, t. X!H,p. ?8et s.
2. VoirAnnexeII, 3°.– Les renseignements tes ptus completssur )es trusts aetaetlement
existants se trouvent dans Martin Saint-Léon, Cartel e< ft-a~s, LccotTre.
M03,m-8".
152 LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ECONOMIQUE
tion _na'.est propriétaire que d'te l1a majorité des actions dans les
diverses sociétés amalgamées c'est le holding ~-M~, dont 1' S. Steel
Co?'po?'a<!on, ou trust de l'acier, est le type le plus remarquable;
tantôt la nouvelle compagnie est directement propriétaire de tous les
immeubles et de tout l'outillage des anciennes entreprises, qui ont
totalement disparu a la suite d'une fusion complète; tel est le cas de
l'.lN:e?'MaK SM~ar /~)w~ Co. Mais ces différences ne portent guère
que sur la forme; bien que la première combinaison présente peutêtre
moins de cohésion que la seconde, les caractères et les avantages
économiques de l'amalgamation sont à peu près les mêmes dans les
deux cas.
Un trust ne bénéficie pas seulement des économies ordinaires de la
production entreprise sur une grande échelle; l'unité de direction,
étendue à des établissements multiples, lui permet d'opérer sur les
frais des réductions toute particulières. Tandis qu'un cartel est
obligé de conserver les établissements les plus faibles, et leur donne
même un appui artificiel en provoquant une hausse des prix, en
allouant des indemnités de chômage, parfois même en concédant des
primes supplémentaires aux petites usines (cartel allemand de
l'alcool), un trust peut, dès sa formation, fermer les usines mal
situées ou mal outillées qui sont sous sa dépendance, et ne conserver
que les établissements les mieux agencés, de manière à restreindre au
minimum les frais généraux, le coût de la main-d'oeuvre et celui des
transports. C'est ainsi que le H~M~ 7~'M~, au moment où il s'est
constitué, a fermé 68 fabriques sur 80, sans réduire cependant la
production. Régissant souverainement toute la production dans les
nombreux établissements soumis à sa loi, le trust peut encore
réaliser de nouveaux progrès par une division du travail plus largement
appliquée, en affectant chaque fabrique à une production très
spécialisée il peut aussi donner à la plupart de ses usines un fonctionnement
intégral et continu, en faisant supporter les inévitables àcoups
de la production par un petit nombre d'entre elles désignées
à l'avance; il peut étendre à toutes ses fabriques les progrès
réalisés dans une seule, et généraliser l'usage des brevets dont il s'est
rendu acquéreur. Enfin, c'est encore par une habile distribution
géographique qu'un trust économise les frais de transport, en dirigeant
sur chaque marché les produits de l'usine qui peut les lui
expédier par la voie la moins coûteuse. Un comptoir de vente peut
d'ailleurs simplifier les transports de la même manière.
Mais l'activité et l'esprit de progrès ne risquent-ils pas de se
ralentir dans ces vastes organisations bureaucratiques, surtout si
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLEET COMMERCIALE i53
elles sont à l'abri de la concurrence? Les administrateurs des trusts
ne le pensent pas; ils entretiennent l'émulation entre les directeurs
de leurs diSérentes usines par une comparaison continuelle des frais
et des bénéfices opérés dans chacune d'elles, et les intéressent par
des primes calculées suivant le chiffre d'affaires de leurs établissements.
Ils estiment que la direction de spécialistes exercés vaut bien
celle de fils de famille à qui échoit, par droit de naissance, la propriété
des entreprises individuelles.
Au point de vue commercial, un trust obtient les mêmes avantages
qu'un comptoir de vente par son organisation centralisée, et présente
même une unité de direction plus complète et plus sûre. Mais les
avantages commerciaux sont bien supérieurs encore, pour l'un comme
pour l'autre, en cas de monopole. Sans parler des bénéfices qui
peuvent résulter de la baisse des matières et de la hausse des produits
au delà des prix de concurrence, le monopole procure par lui-même
des économies importantes. Un trust ou un cartel en possession d'un
monopole, au lieu de s'épuiser en coûteux efforts pour arracher à
ses concurrents la clientèle existante, consacre toutes ses ressources
à la recherche de nouvelles couches de consommateurs. La réclame
cesse d'être nécessaire, et les commis voyageurs, dont la fonction
principale consiste à disputer les clients aux maisons rivales,
deviennent en partie superflus; aussi leur nombre a-t-il diminué
de 38 000 aux États-Unis depuis le développement des trusts. Plus de
concessions ruineuses consenties pour évincer les concurrents ou
écraser un adversaire; plus de ventes au-dessous du prix de revient,
ni de crédits aux mauvais payeurs; plus de crises de surproduction
sur le marché intérieur, ni de stocks à écouler dans des conditions
désastreuses; le trust, maître du marché, fixe ses prix, prend des
garanties contre les clients suspects, et ajuste aussi exactement que
possible la production à l'état de la demande.
Ce sont là notions courantes aujourd'hui; il était cependant utile
de les rappeler, pour préciser exactement les causes naturelles de
l'évolution industrielle, et pour mettre en lumière son caractère de
nécessité. Suivant le tempérament des peuples et les conditions de
milieu,, les ententes ont pris des formes différentes; en Europe, on
s'est borné à des fédérations plus ou moins étroites; aux États-Unis,
on a poussé jusqu'au bout la centralisation par esprit de conquête
etde spéculation mais partout, chez tous les peuples industriels, on a
senti la nécessité de recourir à la coalition dans certaines branches
de la production pour mettre fin à une concurrence ruineuse; diminuer
les frais et conquérir les marchés extérieurs.
1S~ LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
Les Américains reconnaissent la force du mouvement qui les
entraîne; ils attribuent volontiers à la constitution des trusts leur
supériorité dans certaines parties du commerce d'exportation, et
constatent qu'ils ne subissent guère les importations des pays à
faibles salaires que dans les branches de production où les trusts ne
sont pas dominants. Aussi le mot d'ordre est-il aujourd'hui de
'combattre les abus de ces formidables engins de domination, sans se
priver des avantages qu'ils comportent.
Le développement des trusts aux États Unis est un fait récent;
'en 1900, sur 185 trusts relevés par le Census, 12 seulement avaient une
origine antérieure à 1890, tandis que 92 s'étaient formés de juin 1899
a juin 1900. Il est assez difficile d'en faire le dénombrement exact,
sans confondre avec les véritables trusts formés par amalgation les
simples eo?'Me~, les poolsou cartels, et les sociétés qui se sont.agrandies
par achat d'entreprises concurrentes. Le Census de 1900 ne
compte que 18S trusts, et ne leur attribue qu'une part assez faible
dans l'ensemble de l'industrie nationale; ils n'occuperaient que
'8 p. 100 des salariés de l'industrie, et ne fourniraient que 14 p. 100
de la production industrielle. Mais ce recensement, qui est antérieur
à la formation du trust de l'acier, est probablement incomplet; des
statistiques plus récentes, d'un caractère semi-officiel, donnent les
noms de 387, voire même de 443 trusts proprement dits.
PlusdifSciio encore parait être l'estimation de leur capital. Il est
certainement considérable le Census de 1900 évaluait le montant des
actions et obligations émises par les trusts à 1S milliards de francs;
suivant une estimation de 1902, le capital autorisé s'élèverait à
3S milliards de francs pour 387 corporations, et, suivant une autre,
&46 milliards pour 443 trusts'. Mais ce capital est toujours arrosé
{M-o~et'ed)bien au delà de la valeur réelle des établissements, dans le
but de satisfaire aux exigences de tous ceux dont le concours est
nécessaire à la formation du trust: grands industriels qui ne consentent
à la vente de leurs usines ou à l'échange de leurs titres qu'avec
une majoration considérable, banquiers etpromoteurs qui cherchent
un énorme profit pour leurs avances et leurs démarches; souvent
.aussi, l'exagération du capital est destinée à dissimuler au public le
taux réel des dividendes. Le Census de 1900 constate lui-même qu'à
côté d'un capital de 3093 millions de dollars., valeur d'émission, les
-établissements des 188 trusts recensés n'avaient qu'une valeur
i. VoirAnnexeU, 2°. Un auteur américain, M. Collier,évalue le capital des
trusts a 42 milliards de francs au {" janvier 1900(CoHier,T/MT;'M~ p. ?!,New-
York, Baker &Taytor C",MOO,in-12).
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE Ï5S
d'inventaire de 1 436 millions de dollars. La surcapitalisation serait
donc en moyenne du double de la valeur réelle; elle a été du quintuple
pour le Shipbuilding Trust, qui a sombré en 1904.
Les promoteurs cherchent à justiûer la surcapitalisation en disant
que tout capital doit s'estimer d'après son revenu réel, d'après sa
capacité d'acquisition, et que, sur cette base, les émissions ne sont
pas exagérées. C'est reconnaître implicitementque la surcapitalisation
consiste en définitive dans la capitalisation du revenu du monopole,
et qu'elle rend nécessaire, pour la rémunération du capital, une certaine
exploitation du public. C'est aussi escompter d'une façon
aventureuse les bénéSces à venir. L'exagération du capital est certainement
dangereuse pour les souscripteurs et pour les consommateurs
elle menace la solidité de i'édiBce, au moins au point de vue
financier, et détermine aujourd'hui une crise aux Etats-Unis. Mais
si la constitution actuelle de certains trusts est précaire, même chez
ceux qui paraissent les plus puissants, la consolidation industrielle
est fondée sur des causes trop profondes pour ne pas survivre aux
combinaisons financières hasardeuses qui l'ont entourée à sa naissance.
Les trusts dominent les principales branches de la grande production
en Amérique fer et aciers, machines, appareils électriques,
produits chimiques, sucre, alcool, pétrole, glace, biscuits, sel, bière,
tabacs, papier, verre, textiles, cuir, bois, etc. Certains d'entre eux
ont des dimensions colossales. Le Census de 1900 en signale 13
dont le capital d'émission dépasse 330 millions de francs c'est le
trust des cuirs (~. -S. Zea~r C"), au capital de 637 millions de
francs la Continental Y~acco C° et le trust du pétrole, au capital
de 488 millions chacun les trusts du cuivre, du sucre, des voitures
PuIImann, au capital de 370 à 380 millions, etc. Le plus ancien des
grands trusts, et l'un des plus prospères, est celui du pétrole, la
S~ndar~ 0~ C°, qui a distribué en 1900, d'après le Census, un dividende
de 223 millions de francs, soit &Sp. 100 du capital; il est vrai
que ce capital n'est pas arrosé.
Mais le trust le plus gigantesque est celui de l'acier, 1' Steel
Corporation. II n'est pas seulement remarquable par l'énormité de
son capital (7 200 millions de francs, dont S 300 millions en actions)
il l'est aussi par la complète intégration industrielle qu'il a su opérer.
Il réunit en enetsous une même direction des gisements de minerais,
des mines de houille, des carrières de pierres à chaux, une centaine
de navires pour les transports sur les grands lacs, des docks et
embarcadères, un réseau de voies ferrées sur lesquelles circulent
156 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
28000 wagons, des hauts fourneaux et des usines de transformation
qui se chiffrent par centaines. Il occupe 168000 salariés, et contrôle
60 à 80 p. 100 de la production américaine suivant les articles;
en 1902, son produit brut s'élevait à 3 milliards de francs, ses recettes
nettes à près d'un demi-milliard. H présente enfin, dans sa constitution,
ce caractère particulièrement intéressant d'être formé par l'amalgamation
de il corporations, dont quelques-unes étaient déjà, dans
leur spécialité métallurgique, des trusts considérables c'est donc un
trust de trusts, une combinaison dernière qui est comme le couronnement
d'une organisation collective de l'industrie.
L'Angleterre, à son tour, est entrée dans le mouvement à une
date récente. En dehors des entreprises qui se sont agrandies en
achetant des maisons rivales, comme le cas est fréquent dans la
métallurgie, la construction des navires, l'industrie houillère et la
navigation maritime, en dehors également des simples pools et des
coalitions de spéculateurs, les trusts proprement dits se sont multipliés
depuis 1898. D'après un état dressé en 1901, et inséré dans le
Rapport de la Commission industrielte instituée en 1S98 par la
Chambre des représentants aux Etats-Unis, le capital des trusts
anglais, qui n'est pas dilué comme celui de leurs congénères américains,
montait alors a 2 300 millions de francs; sur 35 trusts relevés
dans cet état, 21 possédaient un capital supérieur à 2S millions, et
6 un capital variant entre 170 et 230 millions. Ces consolidations se
rencontrent'principalement dans l'industrie textile et les industries
connexes, fileterie, filature, retorderie, peignage de laine, bonneterie,
fabrication de tulles et rubans, teinturerie, impressions sur étoues
et blanchiment; mais on en trouve également dans la construction
des navires, l'industrie métallurgique et la construction mécanique,
dans les industries chimiques, les moulins à huile, les carrières de
pierres, les fabriques de savons, poudres de tir, papiers peints,
linoleum, ciment, etc. Les lignes de navigation maritime et les
docks ont fait l'objet d'amalgamations analogues; le commerce des
charbons en offre également des exemples, qui sont en même temps
des cas remarquables d'intégration du commerce en gros, du commerce
de détail et des transports. Ces combinaisons ne paraissent pas
d'ailleurs aussi lucratives en Angleterre qu'aux Etats-Unis, peut-être
à cause d'une administration moins centralisée'.
Il existe enfin des trusts internationaux, comme il existe des
cartels internationaux; on en trouve pour la dynamite Nobel, le
i. Macrosty,y~'K~sand //tcS~a/e, chap. vin et ix.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE tS7
borax, le nickel, le mercure. Le trust de l'Océan (International ~rcantile
~aWMe C°) est apparu à sa naissance comme un trust de
grandes compagnies anglaises et américaines, et un cartel formé
entre ce trust et des compagnies allemandes et hollandaise..
§ III. Les effets du monopole.
Certains trusts ne sont que de vastes entreprises ayant une large
part dans le chiffre total des affaires de même nature de leur pays,
sans en détenir cependant le monopole. Mais tous les trusts tendent
naturellement au monopole, et beaucoup d'entre eux ont réussi à
l'établir sur un marché local ou sur le marché national, quelques-uns
même sur le marché universel. Plusieurs cartels, même parmi ceux
qui ne sont pas constitués en comptoirs de vente, sont aussi parvenus
au monopole, avec cette différence qu'ils ne sont pas des corporations
fermées.
Le monopole se caractérise par le pouvoir de fixer les prix. Il suffit
à un trust ou à un cartel, pour le posséder effectivement, de contrô)
er 80 à 90 p. 100 du débit total de la marchandise; le prix établi
par le trust est alors accepté comme le prix du marché, et les concurrents
qui subsistent encore l'adoptent eux-mêmes.
Quel que soit le monopoleur, entreprise unitaire simple, fédération
d'entreprises (cartel), ou entreprise unitaire d'origine composite
(trust), les effets du monopole sont toujours les mômes et s'exercent
à l'égard des mêmes catégories d'intéressés. Ce sont, en première
ligne, les consommateurs; ce sont aussi les producteurs de matières
premières, les négociants en gros et les détaillants; ce sont enfin les
employés et ouvriers salariés~.
Pour le consommateur, il semble qu'il soit à la merci du monopoleur,
et qu'il doive subir des prix très supérieurs à. ceux qui résulteraient
de la concurrence. Tel n'est pas cependant l'avis de beaucoup
d'économistes, qui font valoir que le monopoleur, dominé par la
recherche du profit, n'a pas intérêt à hausser les prix outre mesure.
Abuser du monopole pour rançonner le consommateur, ce serait
t. La question a été soigneusement étudiée en Amérique. Report of the
I€nt~d~usMtrsia6l'aC~omComMists6io!Mn oCf<t:haune?dMUPnriitceeds,SptaatresJ,ent.k.Is,, ~pt'.M3'9CeMto/)s'.j,Eapn:n<é~ene<e0,p0.0;9t.eXt IsII.,,
.Rec:<c of Evidence, p. v et s., année 1001; t. XVIII, On M~ Cambi-
Mh'o~MM Europe, par Jenks, année 190!. Jenks, T'fM.s/sand !M~:M<t'a/ Comhinations,
Bulletin ofthe DepartmentofLabor, Washington, juillet i900.–Jenks,
2'Afy!-M~Pioblem,New-York,MeOure, 1000,in-12. Collier, Theï'?-tM~.
1M LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
susciter des compétit1e.urs, provoquer l1e recours à des succédanés tels
que l'alcool à la place du pétrole, et restreindre la consommation au
point de diminuer le bénéfice global. L'intérêt bien entendu d'un
trust est d'abaisser son prix jusqu'au point, variable suivant les produits,
où le débit correspond au plus grand benénce, point qui peut
être très bas pour des articles susceptibles de se répandre dans de
très larges couches de consommateurs.
Freins insuffisants réplique-ton d'autre part. Qu'est-ce que la
concurrence potentielle, vis-à-vis d'un trust tout-puissant qui alimente
a. peu près complètement le marché ? Pour le lui disputer, y
il faudrait engager des capitaux considérables dans une lutte dont
l'issue serait douteuse, mais dont le résultat immédiat le plus certain
serait l'improductivité totale des capitaux pendant toute la durée de
la concurrence, tant à cause de la surproduction inévitable que des
procédés extrêmes de la guerre commerciale. N'est-ce pas suffisant
pour décourager à l'avance toute compétition? Et si la concurrence
parvient néanmoins a s'établir, n'aboutira-t elle pas encore' une fois
au rachat ou à la fusion? Enfin, ajoute-t-on, si: la seule garantie
contre une hausse excessive se trouve dans l'intérêt bien entendu du
monopoleur, rien ne protège le public contre les manoeuvres financières
d'administrateurs audacieux qui se préoccupent peu des intérêts
permanents de l'entreprise, et ne songent qu'à profiter momentanément
du monopole en élevant les prix', pour donner un dividende
immédiat à un capital exagéré et pour amener une hausse temporaire
des titres dans un but de spéculation.
Mais la question ne peut ainsi se discuter in OE&s<racfo il faut
interroger les faits, tels. qu'ils ressortent de l'enquête entreprise par
la Commission industrielle des États-Unis, de celle que poursuit la
Commission allemande instituée en 1902~et d'autres études documentaires'.
Sur cette question des prix, trois conclusions résultent assez
nettement des enquêtes.
i° La formation d'une combinaison donne lieu- à un relèvement
immédiat des prix. La constatation, faite en Amêriqu&pour les trusts,
n'est pas moins sure pour les cartels européens. Le relèvement est
d'ailleurs justifié; il ne faut pas oublier, en effet, que toute combinaison
a pour origine un abaissement anormal des prix dû a l'excès
de la concurrence, qui ne laisse pas à l'industrie le juste profit dont
elle ne peut se passer.
2° Les prix. des articles monopolisés pac tes trusts américains
1. Voir AnnexeH, 3*,
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLE ET COMMERCIALE i89-
subissent des fluctuations fréquentes et considérables. Ce fait d'expérience
vient contredire les prévisions que l'on pouvait fonder sur I&
pouvoir régulateur d'une coalition investie d'un monopole. TI est
cependant établi d'une façon incontestable par l'enquête américaine.
C'est que les trusts les plus puissants n'ont jamais joui jusqu'à présent
d'un monopole continu. Lorsque surgit la concurrence, le trust
cherche à l'abattre en abaissant ses prix, parfois au-dessous du prix
de revient si la concurrence est simplement locale, il ne baisse les
prix que sur les points où porte l'attaque, sauf à récupérer la perteen
les élevant partout ailleurs'. En l'absence de concurrence, au contraire,
le trust tient le prix à un taux assez élevé pour recueillir seul,
à l'exclusion du publie, le bénéSce des économies qui résultent pour
lui de la production en grand et du monopole, D'ailleurs, ce taux ne
signifie pas toujours un prix plus élevé qu'avant la combinaison,
ni même une diSérence plus grande entre le prix du produit et celui.
de la matière première.
Quoi qu'il en soit, les fluctuations des prix prouvent suffisamment,
que le monopole ne s'est encore établi nulle part d'une façon permanente
et inattaquable, et que les trusts sont tenus à une modération
relative s'ils veulent le conserver. Jusqu'ici, toutes les fois qu'un
trust a voulu pousser trop loin ses avantages, il a provoqué des concurrences
qui lui ont été dommageables; les trusts du sel et del'ammoniaque
en Angleterre, le H7tMAy 7~'M~ aux Etats-Unis, ont
ainsi supporté la peine de leur avidité, et le trust américain du
sucre, qui contrôlait 90 p. '100 de la production en 1898, n'en contrôle
plus que 55 p. 100 en 1900 pour la même raison.
En Europe, il est rare que les syndicats industriels manient les.
prix avec autant d'audace qu'en Amérique. A part les exemples
déjà anciens qui viennent d'être cités, les trusts anglais paraissent
avoir usé modérément de leur pouvoir. La hausse de leurs produits,
en 1900 et 1901, est due pour la plus grande partie à celle des matières
premières, et les bénéfices qu'ils réalisent proviennent surtout des
économies de la concentration.
Quant aux cartels du continent, ils ont sans doute profité de leur
i. Sur 30 villes du Michig'anet de l'Ohio où les prix du pétrole ont été notés le
même jour, il y en avait t2 où la Standard Oil C° avait a subir une concurrence;
dans ces 13villes, le prix du gallon variait entre 4 3/4 et 6 t/2 cents, tandis que,
dans les autres, il variait entre T 3/4et 83/4 cents (Reporta/*</MfNf&M~M~ Co~tMMsion,
t. J, Testimony, p. 3t7). Même procède de la part de l'.4?7te!'i'eaS?tugar
~e/tHMt~C",de la T~tono~ SaM C°, de r~?ne?':ea)tï'o&<tecoC", de la Royal BaAtttg'
Powder C'. (Hourwich, Tt'MS~and Prices, The Annals of the Amer. Academyof
political and social Science, novembre 1902).
160 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
situation pour élever les prix au-detssus du taux de concurrence,
autant que le permettaient les tarifs douaniers; le cartel allemand
du sucre, notamment, pendant les deux années 1900-1902, a
pu hausser de 33 p. 100 le prix du raffiné, tandis que le prix du
.sucre brut baissait de 36 p. 100 dans la seconde partie de cette
période; certains cartels du coke et de la fonte ont été l'objet de
plaintes justifiées au sujet des prix, de la qualité des livraisons et
des conditions léonines qu'ils imposaient à leurs clients. Toutefois,
il est équitable de reconnaître qu'en général la politique des cartels
.allemands a été tempérée, qu'elle a tendu à stabiliser les cours et à
régulariser la production pendant une période de grandes vicissitudes
industrielles, de manière à éviter les crises de prix et les
,embauchages d'ouvriers suivis de renvois en masse; les cartels de la
houille ont assuré à leurs clients des prix relativement modérés
pendant la disette du charbon en 1900'; et si les prix de la houille,
du coke, de la fonte ou des demi-produits, établis par des contrats
.à long terme, sont devenus onéreux après la baisse des produits
demi-ouvrés et finis pour les usiniers qui ne possédaient pas de
mines et de hauts fourneaux, les cartels ont répondu que « le producteur
qui s'est abstenu d'exploiter la hausse avec autant d'âpreté
que ses concurrents n'est évidemment pas à même d'accompagner
la baisse aussi rapidement que ces derniers ». Un autre cartel, celui
de l'alcool, a maintenu une certaine fixité des prix pour l'alcool de
bouche, et il a largement abaissé ceux de l'alcool industriel avant 1904.
L'opinion publique en Europe est singulièrement plus ombrageuse
,qu'en Amérique à l'égard des monopoles, et ne tolérerait pas certains
procédés pratiqués de l'autre côté de l'Atlantique 2.
3" Les prix d'un grand nombre de produits monopolisés sont plus
élevés à l'intérieur qu'à l'exportation. Sur le marché intérieur, à
l'abri des barrières douanières, on fait payer des prix de monopole
.au consommateur ou à l'industrie nationale; mais en même temps,
pour entretenir une large production sans encombrer le marché, on
onIt.hDau'aspsréèdseM1.0A0rpn.hiûoOld,encotrnes1ei8l9le8redte19co0m0,tmanedrciseq, uleeslechsayrnbdoincsatbrhelfg/neasne-twaensgtplahiaslien,
pour les mêmes charbons, portait ses prix de 2 marks 1/2 a.3 marlis seutement
la hausse des charbons du syndicat aurait été de 25p. 100,d'aprèsM.Stumpf,
detpgué du syndicatde !a fonte.
2. Muséesocial,Annales, L'enqziéteallemande sur les cartels, avril et mai 1903.
Report of the 7M~M&-MC/sMMt~Mnt,. XVH),p. 3a et 36. Souchon, Lesea;'<c~
de <"a~)':CMHMen!'eAllemagne,p. i6i et s. Rapport de M. von Mendeissohnsur
Lesccr~/s en Allemagne, Recueil consulaire de Betgique, i905, vot. i30, p. t9i à
3M, Bruxelles, Weissenbruch. RaMovich, Le m<c/;f financier, f904 et 1903
.(Allemagne),GuHfaumin,gr. in-8.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE i6i
_a -7 1- .1.t.1. 4r- 41~l- a. ~rs.w,n.
LESSYSTEMESSOCIALISTES. 1
vend le surplus en dehors des frontières à des prix inférieurs, parfois
même à perte, en se couvrant par des bonifications prélevées sur
les bénéuces de la vente à l'intérieur. On conquiert ainsi de nouveaux
marchés à l'étranger; mais on rend l'exportation impossible aux
industries nationales qui sont obligées de se servir du produit monopolisé.
Cette pratique est établie par les témoignages les plus nombreux
et les plus concordants; elle est courante dans les trusts américains,
comme dans les cartels allemands et autrichiens du sucre, de la
houille, du coke, de la fonte, etc. Les représentants des syndicats
cherchent à la justifier en disant que, s'ils n'opéraient pas ainsi, ils
seraient obligés de restreindre leur production et de lui donner une
allure plus irréguliëre, faute de débouchés suffisants; de là un
accroissement de frais, qui retomberait plus lourdement encore sur
le consommateur indigène 1. Les syndicats ne sont d'ailleurs pas les
seuls à user de ces procédés de discrimination; dans les industries
d'exportation fortement protégées, les entreprises individuelles y
recourent volontiers pour le sucre, ce sont les législations ellesmêmes
qui ont donné l'exemple par leurs primes d'exportation.
Le monopole des corporations industrielles est aussi pesant pour
les producteurs et vendeurs de matières premières que pour les consommateurs.
Un trust qui est l'unique acheteur d'un produit dicte
naturellement ses conditions. La Standard Oil Co a parfois offert aux
producteurs de pétrole brut des prix très élevés pour ruiner une
raffinerie concurrente; mais quand elle s'est trouvée affranchie de
toute concurrence, elle a bien souvent abaissé ses prix d'achat au
point de mettre en perte les exploitants des puits de productivité
moyenne; maîtresse des transports par ses ptpe-~HM, elle dispose à
son gré des puits qu'elle veut acheter. Dans les cartels du sucre,
chaque fabricant, après que les zones d'approvisionnement ont été
réparties par la convention, reste seul acheteur vis-à-vis des cultivateurs
do betteraves. Même pression des négociants syndiqués sur
les vignerons, des usiniers sur les pêcheurs de sardines, et ainsi de
suite. Il ne reste aux producteurs de matières que la ressource de se
syndiquer eux-mêmes pour soutenir leurs prix, s'ils sont conscients
de leurs intérêts et capables d'organisation.
Les négociants en gros et au détail subissent aussi la loi des synf.
Bfp<M'<of ~e ~K~M~M~Commission,t. XIII, p. xxv; d'après la déposition
de M. Schwab, président de l'U. S. Steel Co'~ora~M~.
i62 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
dicats de producteurs. Les grandes combinaisons industrielles ont
souvent exercé une influence salutaire, en écartant du marché des
matières brutes les éléments de spéculation qui en faussaient les
cours. Elles ont aussi rendu de véritables services aux consommateurs
en posant une limite aux exigences des détaillants, dans le but
de parvenir au plus grand débit possible de leurs marchandises;
c'est ainsi qu'elles fixent elles-mêmes les prix auxquels les commerçants
sont autorisés à vendre leurs produits, et ne leur consentent
les réductions ordinaires que s'ils observent ces conditions. Lorsque
la marge est suffisante, le détaillant n'est pas lésé; bien au contraire,
il retire un grand avantage de la stabilité des prix du gros maintenue
par certains cartels. Mais il n'est pas rare non plus qu'un syndicat
pèse sur les maisons de détail par des primes, des menaces ou
des amendes, pour les engager à ne vendre que ses produits à l'exclusion
de ceux de ses concurrents.
Quant aux ouvriers, il ne semble pas qu'ils aient eu jusqu'ici à
souffrir gravement de ces nouvelles organisations industrielles.
Malgré la fermeture des établissements inférieurs, le nombre total
des emplois dans les industries monopolisées est loin d'avoir diminué
seuls, les employés supérieurs et les commis voyageurs ont été
sérieusement atteints. D'un autre côté, la régularité de la production
a donné plus de stabilité aux emplois, plus de continuité au travail,
notamment dans les houillères et l'industrie du fer en Allemagne et
en Autriche. Pour les salaires, ils sont devenus plus uniformes,
et ils ont suivi une hausse normale dans les industries favorisées
par les circonstances, comme la métallurgie; à cet égard, il n'y a
pas eu de différence sensible entre les trusts et les grandes entreprises
de constitution simple. Naturellement, c'est toujours dans les
grandes exploitations prospères que les ouvriers reçoivent les salaires
les plus élevés, et c'est là seulement qu'ils peuvent obtenir des pensions
de retraite
La concentration industrielle réalisée par les trusts facilite certainement
l'établissement de rapports réguliers entre les unions
ouvrières et les employeurs, par la pratique du contrat collectif et de
la conciliation en comités mixtes. Ainsi, dans les mines de houille de
Pittsburg, la compagnie formée par la fusion de 140 entreprises a
établi, d'accord avec l'Union générale des ouvriers mineurs amérii.
Report o/' the J'n~!M<t-M~ Commission, t. XIIf, p. xxxi; t. XVIII, p. H, 33,
111, iG2. Jenks, y!'Ms<s and HMh~'M~ Combinations, But!, of the Dep. of Lab.,
juiUeH900,p.6TSets.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE i63
cains, une échelle mobile des salaires avec un minimum; en Angleterre,
la Fra~/b~ ~ysrs' ~oem~tOM est représentée dans un comité
permanent de conciliation. Toutefois, cette concentration capitaliste
serait redoutable pour les ouvriers s'ils n'opéraient pas la concentration
de leur côté; on a vu des trusts échapper aux conséquences
de la grève dans certains de leurs établissements en transférant à
d'autres la production des usines arrêtées. La puissance capitaliste
d'un, trust est tellement supérieure à celle d'un grand nombre de
patrons accidentellement réunis pour la résistance, que l'union de
toutes les associations ouvrières dans la branche d'industrie monopolisée
devient une nécessité. Encore la force même d'une grande
fédération ouvrière vient-elle se briser contre celle d'un trust colossal.
Dans la grève de 1901 menée contre la grande Corporation de l'acier
par l'Union générale des ouvriers du fer et de l'acier (~ma~ma~
Association of ~OH, Steel and 7' [-I''o!-&~), l'association ouvrière
malgré ses 60 000 ou 80 000 grévistes, a échoué rapidement et perdu
des positions; le nombre des usines dans lesquelles elle était reconnue
et admise &discuter les conditions du travail a été réduit 1'
Le pouvoir des grands trusts touche donc plus ou moins toutes les
classes de la société. Il est d'autant plus inquiétant qu'il est plus
concentré. Bien que les actions d'une vaste corporation soient
répandues dans un grand nombre de mains, il n'en est pas moins
vrai que sa direction effective appartient tout entière à un très petit
nombre de gros actionnaires. Dans les conditions actuelles de l'organisation
des trusts, ce sont moins les industriels que les financiers
qui ont le contrôle de ces entreprises. Il y a plus; les principaux
actionnaires des grandes affaires industrielles organisées en trusts
ont aussi la haute main dans d'autres affaires importantes, houillères,
chemins de fer, navigation, banques, assurances. Les mêmes
hommes figurent dans de multiples conseils d'administration, de
sorte que, sous leur direction, les diverses entreprises se prêtent un
mutuel concours. Cette circonstance favorise singulièrement l'intégration,
qui n'est qu'un aspect particulier de la concentration; c'est
ainsi que les charbonnages et les entreprises de transport viennent
par leurs faveurs fortifier la position des trusts et assurer leur monopole.
Mais il en résulte aussi que la haute banque domine toute la
grande industrie et tout le système économique; par les appuis
qu'elle sait se créer dans la presse et dans les pouvoirs publics, elle
ent.1W90i1H, oMaguhsébeys,oLcaiaCl,oMrpoémraotiiornes~eftfdaocMcu-mtd'eenstJs?, Mfésv-.{178!s02e.t /a ~Mde sesoMc~'er
164 LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
parvient même à exercer son influence sur le système politique dans'
le sens de ses intérêts; en sorte que le capitalisme, à sa plus haute
expression, devient un régime dans lequel quelques milliardaires
commandent, par les trusts et autres organisations financières, un
capital huit ou dix fois plus considérable que le leur, et détiennent
une puissance économique qui semble jusqu'ici sans contrepoids'.
§ IV. – La sphère du monopole.
En présence du développement si rapide des trusts et des cartels,
un problème général s'impose à notre attention.
On sait quelles sont les causes ordinaires des monopoles privés
causes naturelles, lorsque les sources de la production sont restreintes.
(sel, pétrole, houille, métaux, etc.), ou que le service à exploiter
nécessite une occupation de la voie publique (services d'eaux et de.
gaz, tramways, etc.); causes artificielles, lorsqu'un privilège est conféré
à un exploitant soit par l'autorité publique (brevet d'invention,.
marque de fabrique, concession privilégiée des voies ferrées), soit par
de grandes entreprises de transport ou d'emmagasinage. Mais ces,
causes strictement définies, d'une étendue relativement limitée,
sont elles les seules? Ne doit-on pas, au contraire, reconnaître
aujourd'hui une nouvelle cause de monopole privé, agissant avec.
une énergie croissante, dans la supériorité des grands capitaux, qui
écrasent par leur seule puissance les entreprises de moindre envergure
sur le terrain de la libre concurrence? Ne voyons-nous pas à.
notre époque, en dehors des monopoles naturels et artificiels, s'élever
des monopoles d'origine purement capitaliste qui naissent spontanément
de l'organisation économique des sociétés modernes? Et sL
le monopole peut s'établir par la seule force des capitaux, n'est-il
pas destiné à envahir progressivement tout le domaine économique,
comme une conséquence nécessaire du régime de la libre concurrence
?
A cette question, la plus grave peut-être que soulève le capitalisme
grandissant, il semble difficile à l'heure actuelle d'apporter une.
réponse certaine appuyée sur l'observation; et les hommes qui l'ont
i. Aux États-Unis,cinq personnes(MM.J. RockefeUer,E. Harri man,P. Morgan,
W. Vanderbiit, G. Gouid), possédanten bloc une fortune évaluée à 4 milliards defrancs,
exercent un pouvoir de contrôlesur un capital de 4i milliards dans les
banques, tes chemins de fer et les entreprises industrielles, où la totalité du capital
engagé s'éteveaS.S milliards. (Rau'atovich,Trusts, cartels et ~ndtca~, p. H.3,note~
Cuittaumin, 1903,in-S".)
IjACONCENTRATrONINDUSTMELLE ET COMMERCIALE' 168
étudiée de plus près, à l'aide des matériatix fournis par'l'enquête de
la Commission. industrielle des États-Unis, comme M. Jenks, se
montrent assez réservés dans leurs conclusions, disant que l'expérience
des trusts contemporains est encore trop récente pour fournir
'des éléments de certitude'.
En fait, il est difficile de citer aux États-Unis un trust important
.et durable, investi d'un réel monopole, qui ne le doive à quelque
cause naturelle ou artificielle limitation naturelle de la production,
brevet d'invention, tarifs de faveur ou ristournes des compagnies de
.chemins de fer, etc.
Toutefois, on a beaucoup abusé du régime protectionniste des
États-Unis pour soutenir que la floraison des trusts américains est
un phénomène purement local, qui serait impossible dans un régime
-de liberté commerciale. M. Havemeyer, président de I'AnMMc<M
.S'M~a!'Refining C°, est venu prêter à cette opinion l'appui de son
autorité, en déclarant devant la Commission industrielle que la protection
douanière est la mère de tous les trusts. M. Havemeyer n'a
donné de son affirmation qu'une justification insuffisante, et d'ailleurs
dangereuse pour ceux qui ont foi dans la libre concurrence,
lorsqu'il a dit que la protection active la concurrence intérieure, qui
se résout finalement en combinaisons. Mais on a fait observer en
sens contraire que, si la protection douanière permet incontestablement
à un trust, une fois qu'il est constitué et armé d'un monopole,
de mieux rançonner les consommateurs et de faire l'exportation à
prix réduits, elle n'explique pas la formation même de ce monopole
et la suppression de la concurrence intérieure. Loin de là,
les prix élevés qui résultent d'un tarif protecteur favorisent les
petites entreprises comme les grandes, et sont plus nécessaires encore
aux premières pour subsister qu'aux secondes pour se développer; la
suppression des barrières de douane, si elle devait mettre en échec
le monopolo d'un trust par l'introduction de la concurrence étrangère,
pourrait être favorable aux consommateurs, mais elle n'aurait
pas pour effet de ranimer la concurrence intérieure; des entreprises
de moindre importance échoueraient, là où le trust lui-même ne parviendrait
pas à maintenir ses positions. La protection douanière
peut être la nourrice des trusts, elle n'en est pas la mère.
Au reste, il n'est plus guère possible de s'en tenir à cette affirmat.
Jcn)t9,?'AeT!-M<F:'oS~Bn!,p.64.
2. De Roasiers. Lesindustries MonopoH~Maux ~'<a~nM, Colin, 1898,iti-12.
Ely, AfottopoHea.?nd Trusts, chap. rv. New-York,MacmiUfm,1900,in-If!.
166 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
tion que les trusts doivent leur existence au protectionnisme, depuis
que nous sommes renseignés sur leur croissance en Angleterre. Et
les trusts anglais, qu'on le remarque bien, ne sont pas seulement de
grandes combinaisons d'entreprises fusionnées qui opérent en concurrence
avec d'autres entreprises; plusieurs d'entre eux contrôlent
80 à 98 p. 100 de la production dans leur spécialité, et possèdent par
conséquent un véritable monopole sur le marché national, avec une
influence qui s'étend, pour quelques-uns, sur le marché universel.
C'est la maison Coats, alliée à l'~H~H~A ~K'tngr Cotton C° et à l'Amet'tcaK
y7u'ea~ C°; c'est encore la Fine Cotton ~pmMO's and Doublers'
~MOC!'a<OH, la Calico ~rH!fe!'S'MOCM~OH, la British Cotton anct
ÏFoo/ Dyers'Association alliée à la j~'o~/bre~ .Ci/grs'~lMOCM~Mn,l'En-
~H.!Al'c/ce~ at:~ Wool Z)t/~M'AMoc!a<MM,la yb?'M:re 7K~o, '~car~g~
NM~ Co~o!' /e)*s'MoeMt!OH, la société des n'all ~aper ~fanM/ac~
~:H'e~ dans une moindre mesure, les ZM<M/:Oil aHO'Ca/:e ~i~s, etc.
Ces industries ne sont pas monopolisées par l'accaparement des
sources naturelles de la production; ce sont des filatures et nieteries,
des teintureries, des maisons d'impressions sur étoffe, des fabriques
de papiers peints, etc. Elles ont donc un monopole d'origine capitaliste,
attaché à la puissance de leurs capitaux et à la supériorité de
leur organisation.
Néanmoins, il serait téméraire de généraliser ces exemples, et de
conclure pour l'avenir au triomphe du monopole sur tout le champ
de la production. Que le monopole s'établisse par la seule force des
capitaux, en dehors de toute restriction naturelle et de tout privilège
artificiel, dans les entreprises de chemins de fer là où elles sont libres,
dans la navigation transatlantique, dans la grande industrie métallurgique,
dans la raffinerie du sucre et du pétrole, dans les grandes
industries chimiques, dans d'autres encore, rien de plus naturel et
de plus facilement explicable; il s'agit là d'industries nécessairement
concentrées, dans lesquelles les concurrents sont peu nombreux et
doivent être tôt ou tard amenés à l'unité. Mais que la même unité
doive se réaliser dans des branches d'industrie et de commerce où
l'outillage est simple, où l'exploitation peut être entreprise avec
de faibles capitaux, où les produits, parvenus au dernier degré de
fabrication, présentent une grande variété, où la gestion ne comporte
pas de règles communes applicables à de nombreux établissements,
mais doit varier suivant les conditions locales et les relations personnelles,
voilà qui est beaucoup plus douteux, j'ajoute même infii.
Report of <Ae~tdM~M~ Commission,t. XVI)!,p. 34 et 35.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE 167
_i .t.i. t.. -1- _1~ _~1_ .1. niment peu probable; nous le verrons de façon plus précise à propos
de la petite industrie et du petit commerce. On oublie surtout, lorsqu'on
affirme pour l'avenir la généralisation du monopole, l'énorme
importance et la force de croissance des entreprises de dimension
moyenne, trop puissantes pour se laisser absorber, trop nombreuses
pour s'amalgamer.
Un économiste anglais, M. Hobson, a dit avec beaucoup d'à-propos
que partout où les canaux de la production et de la circulation sont
resserrés, il se trouve des monopoleurs qui lèvent des taxes sur le
public comme jadis les barons du Rhin~; encore faut-il, pour que le
péage puisse être prélevé, que la voie soit étroite.
Quoi qu'il en soit, on conviendra volontiers qu'un monopole à
base simplement capitaliste, là où il réussit à s'établir, reste néanmoins
beaucoup plus précaire et exposé à la concurrence qu'un
monopole fondé sur un accaparement des produits naturels ou sur
un privilège légal; il ne peut tourner à l'abus, par des prix poussés
sensiblement au delà du taux de concurrence, sans provoquer des
compétitions victorieuses et s'effondrer sous ses propres excès,
comme il arrive à la concurrence elle-même. Les faits observés
jusqu'à présent justifient suffisamment cette proposition
i. Hobson,7'A?~i'fo~M<o:of~Mo~e~'nCapitalism,p. H2, Londres, W. Scott, <SBt,
pet. in-8".
2. Report of.the JMM<fM~Commission,t. XIH, p. xxi.
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