Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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que ceux-ci auront fait plus de frais pour installer la force dans
que ceux-ci auront fait plus de frais pour installer la force dans
leurs ateliers.
leurs ateliers.
=== Section 2. Le métier indépendant. ===
A la différence des industries à domicile, les petites entreprises
industrielles indépendantes échappent non seulement à la centralisation
technique de la production, mais aussi à la concentration
capitaliste. Dans quelle mesure subsistent-elles, quelle est leur force
de résistance, jusqu'à quel point leurs conditions actuelles d'existence
nous renseignent-elles sur leurs chances d'avenir? Bien que
nous possédions des données précieuses sur leur état passé et actuel
dans certains pays, il nous est toujours difficile d'en tirer des indications
quelque peu sûres pour l'avenir. Le chercheur le plus consciencieux
se trouve naturellement incliné, suivant ses préférences, à
interpréter les faits comme signifiant la vitalité ou l'agonie des
petites exploitations autonomes. Il faut donc un effort pour écarter
ces tendances subjectives, et peut-être n'y réussit-on jamais complètement.
Nul ne conteste que, dans certains domaines, la partie est perdue
pour la petite entreprise; tout le débat porte sur le point de savoir
s'il faut généraliser ces faits, et considérer les petites exploitations
indépendantes de l'industrie comme des îlots disséminés, s'endettant
peu à peu sous l'effort des éléments contraires, et destinés à être
engloutis un jour par le flot montant du capitalisme.
La notion du métier est celle d'une petite entreprise menée par un
artisan qui travaille seul, ou qui emploie comme auxiliaires des
membres de sa famille, des apprentis, voire même quelques ouvriers
salariés, mais sans cesser de travailler lui-même; d'autre part, cet
artisan est un entrepreneur indépendant, propriétaire de ses instruments
de travail et de ses matières, qui vend directement ses produits
à la clientèle et court les risques de l'entreprise. Sans doute, il est
parfois difficile de dire où commence et où finit le métier indépendant.
L'entrepreneur qui occupe une dizaine d'ouvriers, et qui se
contente ordinairement d'exercer un rôle de surveillance et de direction,
n'est-il pas déjà un entrepreneur capitaliste? L'artisan qui vend
ses produits tantôt aux consommateurs, tantôt à des commissionnaires
et à des magasins, celui surtout qui, sans cesser d'être propriétaire
des matières et des produits, travaille pour un seul
magasin, ne côtoie-t-il pas la sphère de l'industrie à domicile dépendante
? En haut comme en bas, les confins du métier sont quelque
peu incertains; cette imprécision, commune à toutes les classifications
scientifiques, ne doit pas nous faire renoncer à une notion
suffisamment claire par elle-même.
Nous possédons très heureusement, sur la question des métiers,
une mine abondante de renseignements dans les statistiques allemandes,
et surtout dans la grande enquête de 1895-1897 entreprise
en Allemagne et en Autriche par le ''Verein für Socialpolitik''. L'impression
qui se dégage des nombreuses observations recueillies par les
enquêteurs dans les régions les plus variées, dans les villes grandes
et petites comme dans les campagnes, est assez généralement pessimiste;
certains métiers sont morts, d'autres ont été dépouilles d'une
partie de la fabrication qui leur appartenait autrefois, d'autres, enfin,
sont malades ou au moins menacés.
Les causes de cet ébranlement ressortent des explications déjà
fournies sur la concentration des entreprises et sur l'industrie à
domicile; elles se ramènent toutes à une seule, le progrès scientifique,
source des inventions qui ont créé le machinisme et développé
les moyens de transport. C'est un fait bien connu que la transformation
des instruments de production, souvent provoquée elle-même
par l'agrandissement des marchés, a fait disparaître le métier dans
les industries où elle s'est opérée. II faut ajouter que l'extension des
marchés, même dans certaines industries où le machinisme n'intervient
pas, impose au producteur un rôle commercial hors de proportion
avec les moyens de l'artisan.
Au point de vue industriel, il est à peine besoin de faire ressortir
l'infériorité du petit producteur, dénué des moyens mécaniques qui
rendent le travail plus rapide et plus productif, souvent dépourvu
des connaissances indispensables et incapable de suivre les progrès
techniques, impuissant à retenir les bons ouvriers par de forts
salaires, éprouvant des difficultés croissantes pour conserver un atelier
spacieux dans les villes; évidemment, l'artisan doit renoncer
aux productions qui exigent un machinisme coûteux et compliqué,
une application raisonnée des procédés scientifiques, ou même une
organisation développée de la division du travail entre plusieurs
corps de métiers.
L'infériorité de l'artisan n'est pas moins sensible au point de vue
commercial. Étroitement limité dans ses achats de matières et opérant
avec un capital restreint, il se trouve placé sous la dépendance
des fournisseurs qui lui font crédit. Pour la conservation même des
marchandises en magasin, leur emballage et leur expédition, sa
situation est généralement désavantageuse. Quant à la vente, elle
lui devient inaccessible dès qu'elle dépasse l'étroit rayon d'une clientèle
purement locale; encore est-il obligé fréquemment, pour la conserver,
d'établir un magasin de vente.
C'est qu'en effet les habitudes du public ont changé. L'usage se
perd de faire exécuter un objet sur commande, surtout si l'exécution
exige le concours de plusieurs corps de métiers; le consommateur ne
veut plus perdre son temps, ni courir les risques d'une livraison
défectueuse ou mal appropriée à ses désirs; il veut choisir entre des
produits tout faits, et délaisse l'échoppe pour le magasin. Aussi le
petit industriel urbain doit-il tenir un magasin où il débite, à côté de
ses produits, des articles de seconde main sortis de la fabrique ou de
l'industrie à domicile. Mais c'est là une lourde charge qui s'aggrave
avec la cherté progressive des loyers dans les villes, et qui suppose
déjà, chez le petit industriel, la disposition d'un certain capital. En
outre, tous les artisans ne sont pas capables de tenir un commerce;
loin de là, la plupart d'entre eux ignorent les règles les plus élémentaires
de la comptabilité, et beaucoup succombent plutôt par défaut
d'éducation commerciale que par insuffisance technique comme fabricants.
Pour ces différentes raisons, les artisans qui produisent des marchandises
se trouvent beaucoup plus atteints que ceux qui fournissent
simplement leur travail aux particuliers pour des installations
et réparations. Dans tous les genres de fabrication qui portent sur
des articles de type uniforme, susceptibles d'une production en
masse pour un marché étendu, le métier recule soit devant la
fabrique, soit devant l'industrie à domicile, suivant que le machinisme
est ou non nécessaire; cette évolution a commencé bien avant
la proclamation de la liberté de l'industrie, à une époque où le
régime de la corporation obligatoire et fermée existait encore en
France, en Allemagne et en Autriche. C'est ainsi que le métier a
disparu totalement ou à peu près dans de nombreuses industries où
il florissait jadis tissage, chapellerie, maroquinerie, quincaillerie,
fabrication des épingles, des peignes, brosses, couteaux, lampes et
ustensiles de ménage, tonnellerie, meunerie, brasserie, tannerie, etc.;
il a été dépossédé en grande partie dans la menuiserie, l'ébénisterie,
la teinturerie, l'horlogerie, la cordonnerie, la confection des vêtements.
Sur ces différents points, l'artisan vaincu a cédé devant la fabrique,
ou bien il est tombé sous la dépendance des entreprises capitalistes
comme travailleur à domicile salarié; tout au moins occupe-t-il une
situation intermédiaire sur les confins indécis du métier indépendant
et de l'industrie à domicile, achetant encore ses matériaux, mais
cessant d'être en relations directes avec le consommateur, ne vendant
ses produits qu'à des fabricants et négociants ou même travaillant
pour un seul. Tel est le sort d'un grand nombre d'ébénistes qui
vendent à des magasins; à moins d'être des spécialistes peu exposés
à la concurrence, leur situation matérielle n'est guère supérieure à
celle des tâcherons qui reçoivent la matière et travaillent sur commande. Telle est aussi, en dernière analyse, la condition de certains
entrepreneurs du bâtiment soi-disant indépendants, qui, dans les
villes où la population augmente rapidement, sont crédités et
exploités par des spéculateurs, ou qui se trouvent au moins subordonnés
à un entrepreneur général au lieu d'être en rapport direct
avec le propriétaire.
Là même où l'artisan a pu se maintenir, il est rare qu'il fabrique
comme jadis un produit complet; généralement, il doit acheter des
objets à demi fabriqués ou complètement achevés que fournit la
grande industrie, et se contente de les terminer ou de les ajuster sur
place.
Il n'est pas jusqu'aux industries d'art, souvent considérées comme
le domaine où le métier pourrait se reconstituer, qui n'échappent à
la petite industrie indépendante, quand les pièces sont exécutées sur
des modèles fournis par des artistes et dessinateurs, et quand l'exécution
réclame l'emploi de procédés coûteux : bronzes, verreries,
céramique, galvanoplastie, lithographie, photogravure, etc. Dans les
industries d'art, l'artisan ne subsiste que s'il peut faire lui-même le
modèle et exécuter le travail à la main.
Aussi les conclusions de M. Sombart sur l'avenir des métiers sont-elles
catégoriques. Il est possible que leur situation soit actuellement
meilleure à l'ouest qu'à l'est de l'Allemagne, et que les grandes villes
leur offrent dans l'avenir un asile plus sûr que les petites villes et
les campagnes; possible également que certains métiers, ceux de
l'alimentation et du bâtiment par exemple, soient mieux garantis
que ceux du mobilier et du vêtement; possible encore qu'ils aient
plus de résistance pour les réparations que pour la fabrication du
neuf; mais ce sont là de simples différences de degré. Aucune
branche des métiers n'est à l'abri des atteintes du capitalisme, aucune
d'elles ne suit une évolution différente des autres dans son principe;
le métier est une forme d'industrie surannée, inférieure à tous points
de vue, donnant des produits moins bons et plus chers que la grande
industrie, et destinée par conséquent à disparaître; c'est une question
de temps, et les différences que l'on relève ne peuvent porter que sur
la durée plus ou moins longue de sa décomposition. Rien ne peut le
sauver ni l'association coopérative, qui a fait un fiasco complet
dans les milieux d'artisans, malgré les efforts prolongés des partis
conservateurs; ni l'emploi des machines, ni la vulgarisation du
crédit. Le machinisme et le crédit ne sont utilisés dans cette sphère
que d'une façon exceptionnelle, par quelques individualités entreprenantes
qui, du même coup, sortent de la catégorie des artisans
pour s'élever au rang d'entrepreneurs capitalistes. Au reste, si le
moteur à domicile et le crédit se généralisaient parmi les artisans, il
en résulterait un tel accroissement de leur production, qu'elle ne
trouverait plus d'écoulement sur les marchés locaux; le progrès
technique, conduisant à la production en masse, ferait tomber plus
rapidement encore l'artisan sous la domination du capital commercial.
Si le pessimisme paraît pleinement justifié pour un grand nombre
de métiers dont nous observons aujourd'hui la décadence, une conclusion
aussi sommaire sur la disparition totale de l'espèce, dans un
avenir plus ou moins rapproché, paraît au contraire aventureuse et
prématurée. Elle dépasse certainement les indications que nous fournissent
les statistiques sur les tendances de la petite industrie, et
néglige, dans sa généralité, certains côtés du problème.
En Allemagne, de 1882 à 1895, la petite industrie (travailleurs
isolés et établissements occupant moins de 6 personnes) est la seule
catégorie qui ait subi une diminution absolue, tant pour le nombre
des exploitations que pour celui des personnes occupées; mais cette
diminution n'est pas considérable; elle n'est que de 186000 exploitations
(8,6 p. 100 du total) et 79000 personnes (2,4 p. 100). Elle
prend cependant une importance plus significative, si l'on considère
que, dans l'intervalle entre les deux recensements, la population de
l'Empire a augmenté de 18 p. 100, et que le personnel de la moyenne
et de la grande industrie s'est accru dans des proportions considérables;
aussi la petite industrie occupe-t-elle aujourd'hui une place
bien plus restreinte dans l'ensemble (40 p. 100 du personnel total de
l'industrie au lieu de 53 p. 100).
Mais il est une circonstance qui vient sensiblement restreindre la
portée de ces chiffres; c'est qu'ils s'appliquent aussi bien à l'industrie
à domicile qu'au métier indépendant. Or, on sait que l'industrie à
domicile a diminué en Allemagne d'une époque à l'autre, à cause de
la disparition progressive du tissage à la main. Il est difficile d'évaluer
exactement la part qui revient à l'industrie à domicile dans la
diminution totale du personnel de la petite industrie; mais elle doit
être importante. Le métier occupe encore une place considérable
en Allemagne, car, après déduction des chiffres qui se rapportent à
l'industrie à domicile, il figure encore pour 1647000 exploitations
et 3733000 personnes. Il a d'ailleurs lui-même une tendance générale à se concentrer; dans son personnel, ce sont les maîtres qui
diminuent, tandis que le nombre des auxiliaires s'accroit.
Dans les établissements les moins importants de la moyenne
industrie, occupant de 6 à 10 personnes, l'accroissement a été assez
considérable entre 1882 et 1895; le personnel s'est accru de 314 000 personnes
soit 60 p. 100. Mais ces établissements dépassent déjà la
mesure du métier proprement dit; ce sont presque des petites entreprises
capitalistes, dont le chef cesse souvent d'être un travailleur
manuel; elles forment l'échelon par lequel passent les artisans les
plus capables lorsqu'ils entrent dans la sphère de l'industrie capitaliste.
Dans certaines branches, les entreprises moyennes se sont
développées parallèlement avec la petite industrie mais plus souvent
encore, elles se sont accrues à ses dépens.
En Belgique, la plupart des métiers ont progressé depuis 1846; toutefois
il faut observer que l'industrie à domicile est comprise dans le
tableau, et que la population a augmenté de 50 p. 100 dans cette
période. Si l'on fait abstraction de l'industrie à domicile, on constate
que la petite industrie indépendante, dans ce pays de grande production
occupe 36 p. 100 du personnel total de l'industrie.
Aux États-Unis, les métiers se sont également développés en
nombre et en importance globale entre les deux derniers Census;
mais ce développement a été bien moins rapide que celui des
fabriques, de sorte que la part du métier dans l'ensemble de l'industrie
a diminué. Il est même remarquable que, dans les villes, les
métiers emploient moins de capital, moins de matières et moins de
salariés en 1900 qu'en 1890.
Dans les autres pays, nous ne pouvons comparer la situation à
des époques différentes. Le recensement autrichien de 1902, sur
3900000 personnes occupées dans l'industrie, en compte 1500000
dans la petite industrie, mais ce chiffre comprend environ 400 000 travailleurs
à domicile. Quant à la France, mal servie par la nature au
point de vue des mines et de l'industrie sidérurgique, elle a toujours
excellé dans les productions fines et variées l'exportation des articles
de bijouterie, bimbeloterie, ouvrages en métaux, modes et confections,
se chiffre par centaines de millions, sans que les statistiques puissent
nous révéler l'importance des achats faits à l'intérieur par les étrangers
voyageant en France; ces marchandises sont fournies en majeure
partie par la petite industrie, qui domine notamment à Paris. Aussi
le chiffre de 2900000 personnes occupées dans la petite industrie,
soit 46 p. 100 du personnel total de l'industrie, n'est-il pas invraisemblable
mais il se compose, dans une proportion impossible à préciser, de travailleurs a domicile. Quant au tableau A de la contribution des patentes, il indique une augmentation constante du nombre des patentes; toutefois, comme il s'applqiue indistinctement a la petite industrie, au petit et au moyen cmmerce, on peut supposer que l'augmentation est imputable en majeure partie au commerce de detail.
Si nous nous en tenons
toujours actif. Le petit producteur peut avoir des charges plus lourdes
que le grand industriel; il est mai outillé, routinier, ignorant m6me,
-c'est possible; mais il travaille énerg'iquemont, parce qu'il est son
maître et recueille le profit de son activité; il soigne son travail,
parce que ses produits ne sont pas anonymes; il gère lui-même ses
-affaires, il dirige en personne ses auxiliaires, travaille et vit avec eux;
il est en rapport, immédiat avec la clientèle, qui le connaît personnellement
il évite le coulage et les frais de surveillance qui grèvent la
grande entreprise, même la mieux conduite, par cela seul qu'elle est
conduite administrativement. Ces avantages sont loin d'être nëgli-
.geables; ils compensent bien des causes d'infériorité, et rendent la
lutte possible quand il ne s'agit pas de marchandises à la grosse.
Individuellement considérés, les divers métiers se trouvent placés
.dans des conditions trop différentes pour être l'objet d'une condamnation
en bloc; il en est dont les conditions partiouUères assurent
.l'existence dans le présent et dans l'avenir.
Il ressort des observations faites en Allemagne que .l'évolution des
métiers est très différente dans les villes et dans les campagnes'.
Dans les villes, le personnel des métiers tend à diminuer d'importance
relativement à la population; en même temps se manifeste une ten-
-dance à la concentration des métiers; les petites entreprises prennent
individuellement plus d'importance, elles emploient un plus grand
nombre d'ouvriers. Les artisans les plus capables agrandissent leur
atelier, ouvrent un magasin, deviennent de petits entrepreneurs
capitalistes; les autres, s'ils ne tombent pas dans le salariat comme
.ouvriers de fabrique ou travailleurs à domicile, ne sont plus que des
rapiéceurs en d'autres termes, le métier urbain est réduit aux réparations
quand il ne se transforme pas.
Dans les campagnes, au contraire, principalement dans les contrées
riches et peuplées de l'ouest, le personnel des métiers s'accroît relativement
à la population, sans que les entreprises tendent individuel-
.lement à augmenter d'importance; parmi les maîtres, ceux qui travaillent
sans ouvriers ni apprentis restent très nombreux (64 p. 100).
Le métier est donc loin de reculer dans les campagnes la population
rurale achète bien des marchandises aux magasins de la ville voisine
ou à la voiture du colporteur; pourtant, elle reste fidèle à l'artisan
du pays, dont le rôle parait s'élargir avec les progrès de l'aisance et
4a restriction des travaux domestiques.
A côté des métiers qui déclinent ou qui restent stationnaires, il en
i. Voir AnnexeIV.
190 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
est, au contraire, qui démontrent leur vitalité en progressant. S'agitil
de l'alimentation, boucherie, charcuterie, boulangerie, pâtisserie,
confiserie? L'accroissement est considérable (18 p. 100 sur les exploitations,
33 à 35 p. 100 sur le personnel, de '1S82 à 1895 en Allemagne)
il est vrai que ces métiers ont un caractère commercial très
prononcé, qui explique en grande partie leur prospérité; mais, en
tant que métiers, ils gardent toute leur raison d'être, parce que leur
fonction est de préparer les produits suivant les goûts particuliers
de la clientèle sur un marché restreint.
Cette même fonction appartient encore aux tailleurs et cordonniers
sur mesure, aux couturières, modistes et lingères qui travaillent sur
commande, aux tapissiers et ébénistes qui reçoivent directement les
ordres de la clientèle. Toutefois, le client qui ne se contente pas de
l'article tout fait porte plutôt sa commande, dans les grandes villes,
à des magasins grands ou moyens qui font exécuter le travail par
des ouvriers à domicile, ou qui se chargent de la décoration des
appartements.
S'agit-il encore de services personnels comme ceux des coiffeurs,
de services domestiques comme ceux des blanchisseuses? Les métiers
qui s'y rapportent, de même que ceux de la boulangerie et du vêtement,
se sont multipliés à mesure que ces services se détachaient de
l'industrie domestique. Là encore, l'artisan continue à jouer un rôle
utile il est rapproché du client, il entretient avec lui des rapports
immédiats et réguliers, il sait se plier à la variété de ses exigences.
De même encore, l'emballeur doit recevoir directement les commandes
de la clientèle; le relieur, l'encadreur continuent à travailler
en petit atelier pour les amateurs. Dans les campagnes, le charron,
le sellier, le maréchal ferrant restent nécessaires et sont toujours
nombreux, principalement dans les pays de petite culture.
Voilà donc toute une catégorie nombreuse et importante de métiers
qui, par leur nature propre, sont adaptés aux besoins des consommateurs
et paraissent garantis pour l'avenir; ils ne sauraient être
remplacés ni par l'usine, ni par l'industrie à domicile. Les procédés
chimiques et mécaniques sont peut-être une menace pour les petits
métiers de teinturiers-dégraisseurs et de blanchisseurs; ils atteignent
à peine les boulangers, pâtissiers, bouchers, confiseurs, coiffeurs,
emballeurs, etc. Aussi la plupart de ces métiers accusent-ils une
augmentation en Allemagne; il n'y a de diminution sérieuse que sur
les cordonniers, blanchisseuses et couturières, qui restent néanmoins
très nombreux dans la petite industrie.
Beaucoup de métiers, et dans tous les genres, s'ils ont reculé pour
LES LIMITES DE LA CONCENTRATION i91
la confection du neuf, gardent au moins toute leur importance pourles
réparations; tailleurs, cordonniers, tapissiers, ébénistes, horlogers,
forgerons, chaudronniers, ferblantiers, et ainsi de suite. Tousces
travailleurs ne sont pas devenus des ouvriers à domicile; beaucoup
restent encore des artisans indépendants; quelques-uns, ceux
qui sont capables d'avoir un magasin, reçoivent des commandes et
font commerce de marchandises achetées en gros; tous, les plus.
humbles comme les plus aisés, se chargent des travaux de réparation.
Toutefois, ce domaine du métier n'est pas à l'abri de la concurrsnce;
les magasins entreprennent également de faire les réparations,
et tendent, au moins dans les villes, à se subordonner dans-.
cette fonction les artisans les plus faibles.
Il reste a parler des nombreux métiers du bâtiment, qui forment
l'une des catégories les plus importantes de la petite industrie. Les.
très grandes entreprises sont rares dans le bâtiment, à cause des
difficultés d'une surveillance disséminée; les grandes et les moyennes.
tiennent une large place, mais les petites restent nombreuses et
florissantes. C'est que, dans les campagnes et même dans les villes,
les petits industriels du bâtiment sont toujours recherchés pour lesconstructions
de faible dimension, pour les installations et réparations
chez les particuliers. Aussi, à moins d'être tout à fait dépourvus
de capitaux, les petits entrepreneurs de maçonnerie, charpente,
menuiserie, couverture, plomberie, serrurerie, peinture, vitrerie,
restent des artisans indépendants. Ils ne fabriquent pas toujours les.
pièces; le serrurier, notamment, reçoit beaucoup de pièces que lui
fournit l'industrie mécanique; mais ils interviennent au moins pour'
les ajuster sur place. Cette circonstance favorise cependant la transformation
du métier en entreprise capitaliste, parce qu'elle impose a..
l'entrepreneur la disposition d'un fonds de roulement plus important.
Dans les sociétés progressives, l'extension des besoins favorise la.
petite industrie comme la grande; le développement de l'une ne s'effectue
pas nécessairement aux dépens de l'autre, lorsque le champ de laa
consommation s'élargit. Ainsi les grandes fabriques peuvent créer
des ateliers annexes de menuiserieet serrurerie pour leurs travaux neufs
et leurs réparations; cette extension de la fabrique ne restreint pas
le domaine des petits ateliers indépendants qui travaillent pour les
particuliers. Les progrès de l'aisance et le raffinement des goûts sont
au moins aussi favorables au métier qu'à la fabrique; l'industrie du
vêtement sur mesure en profite plus que la confection. Il est mêmeremarquable
devoir combien la petite industrie se trouve favorisée pardes
inventions et des besoins nouveaux plombiers, ajusteurs,.
492 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
fumistes, serruriers, sont plus réclamés que jamais pour les installations
de services d'eau, salles de bains, gaz et électricité, appareils
de chauffage et autres, qui se vulgarisent avec le souci de l'hygiène
etiegoûtdu confortable; les mécaniciens se multiplient dans les villes
et les moindres villages, pour la réparation des cycles et des automobiles
les forgerons et menuisiers des campagnes sont occupés par les
réparations des machines agricoles et autres ustensiles; des métiers
surgissent et trouvent une clientèle à côté des grandes maisons.
Le métier n'est donc pas mort ni même mourant; certains économistes
et historiens doutent même que sa condition actuelle soit
pire qu'au xvm° siècle; il subit des transformations internes, il perd
du terrain sur beaucoup de points, il est ébranlé sur d'autres, mais
son existence est assurée par ailleurs, et il est à croire qu'il ne périra
jamais complètement.
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