Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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aujourd'hui à la législation ouvrière le caractère international dont
aujourd'hui à la législation ouvrière le caractère international dont
elle a besoin.
elle a besoin.
===Section 2. Exploitations de l'État.===
L'État moderne, si envahissant vis-à-vis de l'industrie privée par
ses mesures de réglementation et de contrôle, l'est-il au même degré
par ses entreprises directes ? Observe-t-on de nos jours une tendance
générale de l'État à se substituer aux particuliers dans les
entreprises industrielles et commerciales, pour les gérer au profit
de tous et attribuer à la collectivité les bénéfices capitalistes de leur
exploitation? Sur ce point comme sur les précédents, il s'agit beaucoup moins d'exposer l'état de choses actuel avec tous les développements
d'une étude spéciale, que de suivre le mouvement pour en
discerner les tendances.
Les exploitations de l'État forment certainement une masse
imposante dans tous les pays, même chez ceux qui ont le mieux respecté
l'intégrité de l'industrie privée. Mais on ne saurait rattacher
toutes ces entreprises à l'évolution contemporaine, pour conclure
à une attraction générale des sociétés civilisées vers le socialisme
d'État.
Bien au contraire, la plupart des exploitations publiques remontent
à une époque déjà ancienne ou même très éloignée, et n'ont été entreprises
par l'État que pour des causes fort étrangères aux préoccupations
démocratiques. Contemporaines de la formation des monarchies
centralisées, elles ont eu le même but que les mesures économiques
de l'ancienne politique mercantile : procurer des ressources au fisc
royal, accroître la richesse du prince pour subvenir aux besoins de
sa politique, ou resserrer les liens de la centralisation administrative
pour fortifier son autorité. Aussi les États dont le domaine industriel
et fiscal est le plus ancien et le plus vaste, les États comme la
Prusse et la Russie qui exploitent des mines, des carrières, des
salines et des usines, sont-ils ceux où le pouvoir monarchique s'est
exercé et maintenu avec le plus de force. Les monopoles fiscaux, en
particulier, présentent nettement ce caractère historique. Quelques-uns,
comme celui du sel, ont été abandonnés en France et en
Allemagne; d'autres, comme celui des tabacs et des allumettes chimiques
en France, celui de l'alcool en Russie, ont été institués
récemment; mais, dans ces diverses modifications, le seul intérêt
qui ait guidé les gouvernements et les Parlements a toujours été
celui du Trésor.
Toutefois, il est arrivé que, par la transformation politique qui
s'est opérée dans la plupart des Etats européens, des moyens fiscaux
créés dans le but exclusif de servir le pouvoir personnel et la
puissance militaire du prince sont devenus des sources de revenus
pour l'État démocratique. Du jour où la souveraineté s'est trouvée
déplacée, les ressources tirées des exploitations publiques ont été
mises à la disposition de la nation pour être appliquées à des besoins
collectifs. Distinction de pure forme, sans doute, si les entreprises
d'État n'ont toujours d'autre destination que de fournir des revenus
au Trésor, et si ces revenus ne reçoivent pas une affectation plus
démocratique qu'auparavant. Mais l'esprit change aussi quand le
pivot du pouvoir se déplace.
II est difficile d'attendre, d'une exploitation purement fiscale,
qu'elle poursuive un autre but que celui du rendement. Toutefois,
l'État moderne ne peut pas, dans la direction même de ses régies
financières, négliger complètement les intérêts du public et ceux du
personnel qu'il emploie. Ainsi les administrations publiques sont
obligées de tenir compte des revendications de leurs ouvriers dans
les manufactures de tabacs et d'allumettes chimiques. L'administration
prussienne des houillères fiscales de la Sarre a su, dans la crise
du charbon en 1900, maintenir des prix modérés, et protéger le
public contre les exigences des intermédiaires; elle a conservé une
production régulière, pour ne pas être obligée plus tard d'abaisser
les salaires et de renvoyer des ouvriers. Il est même un monopole
récent, celui de l'alcool, que la Suisse parait avoir établi autant
dans l'intérêt des consommateurs et de la santé publique que dans
celui du Trésor.
La transformation du point de vue est surtout sensible dans le
service des postes. Si l'État s'en est chargé dès l'antiquité et le
moyen âge, c'était uniquement, à l'origine, pour assurer les relations
du pouvoir central avec les autorités locales et fortifier la centralisation
administrative; et si maintenant encore l'État se réserve
le monopole des postes, s'il l'étend aux télégraphes et téléphones,
rachetant partout, sauf aux États-Unis, les lignes qui ont pu être
établies par l'industrie privée, c'est bien toujours pour rester le
maître de ses communications; cet objectif est certainement celui
qui domine les puissances maritimes, dans leur hâte à placer les
câbles sous-marins sous leur contrôle. Néanmoins, le but principal
de l'exploitation par l'État est aujourd'hui de procurer au public la
sécurité et la régularité des correspondances, et d'assurer le fonctionnement
d'un service essentiel sur tous les points du territoire,
jusque dans les régions où il est le moins rémunérateur.
Le même souci des intérêts généraux guide l'État dans la construction
des voies de communication. Les routes romaines étaient des
moyens de conquête et de domination; les routes modernes, tout en
conservant leur intérêt stratégique, sont faites principalement dans
l'intérêt du public. L'État s'impose de lourdes charges pour multiplier
les routes, les ponts, les canaux de navigation, les ports et les
phares; il rachète les voies de communication quand il ne les a pas
construites lui-même, de manière à affranchir le public de tout
péage.
C'est surtout en matière d'exploitation des voies ferrées que le système
de la régie par l'État a pris une extension considérable dans ces
trente dernières années. A vrai dire, les raisons d'ordre stratégique,
politique et financier ont été bien souvent les raisons déterminantes
de cette politique. Il n'en est pas moins vrai que l'État s'est proposé
en même temps d'améliorer le service, sans se laisser arrêter comme
une compagnie privée, par le souci des dividendes; il a voulu disposer
des tarifs dans un intérêt général, et protéger le public contre des prix
de monopole ou des tarifs différentiels altérant les conditions de la
concurrence. A l'heure actuelle, en dehors de l'Angleterre et des États-
Unis, qui ont gardé un régime de liberté, en dehors de la France, qui
a établi un contrôle rigoureux sur l'exploitation des compagnies,
on ne rencontre guère l'exploitation par l'industrie privée que dans
les États pauvres, qui sont obligés de remettre à des capitalistes
étrangers la construction de leurs réseaux. Certains États ont toujours
possédé leurs lignes; ailleurs, la proportion des lignes exploitées par l'État s'est élevée depuis trente ans d'une façon continue,
tant par des rachats que par des constructions neuves.
Dans ses entreprises financières plus encore que dans ses entreprises
industrielles, l'État moderne se montre progressif en vue de
servir les intérêts particuliers de ses membres. Si la Banque impériale
de Russie peut être citée comme une institution créée dans
un but de gouvernement pour servir d'auxiliaire au Trésor public,
les établissements financiers des autres États européens sont bien
plutôt destinés à rendre des services au public. Partout on trouve des
caisses publiques de dépôt et d'épargne, qui se chargent de recevoir
les plus petites sommes pour encourager l'épargne populaire; beaucoup
de ces caisses, à l'étranger, cherchent à développer la richesse
du pays en consacrant une partie de leurs capitaux à des prêts hypothécaires
et commerciaux. La Caisse d'épargne postale de l'Empire
d'Autriche a même organisé tout un service de chèques et de compensations
la Caisse centrale des associations coopératives agricoles
et la ''Seehandlung'', en Prusse, sont de véritables banques d'État.
L'État moderne n'est pas seulement industriel, exploitant de mines,
entrepreneur de transports et banquier; depuis quelques années, il
s'est fait assureur. Dans les pays d'assurances ouvrières obligatoires,
cette fonction a pris naturellement une grande importance; là, les
diverses caisses d'assurances contre les accidents, la maladie, l'invalidité
et la vieillesse sont des institutions publiques organisées par
l'État, ou au moins contrôlées par lui et soumises à un régime très
centralisé. C'est ainsi qu'en Allemagne les établissements d'assurance
pour l'invalidité et la vieillesse sont des organes propres de l'État; et
comme ils emploient une grande partie de leurs énormes ressources
en constructions ouvrières, hôpitaux, sanatoriums populaires et autres
affectations d'utilité publique, le domaine des oeuvres collectives
s'étend par leur fait dans une double direction. Dans les pays où les
assurances ouvrières sont facultatives, l'assurance par l'État n'a pu
prendre un pareil développement; cependant, la plupart des États
ont institué des caisses nationales d'assurances, de prévoyance et de
retraites; d'autres, comme la Belgique, ont annexé ce service à la
Caisse nationale d'épargne déjà existante.
Il existe même certains pays dans lesquels l'assurance contre l'incendie
est un service géré par l'Etat, les provinces ou les villes;
parfois l'assurance est obligatoire pour les immeubles, et la caisse
publique est investie d'un monopole. Ces institutions, il est vrai,
sont la plupart fort anciennes; quelques-unes remontent au XVIIIème siècle:
mais leur importance s'est beaucoup accrue dans ces derniers
temps. C'est ainsi qu'en Allemagne les capitaux assurés par les
caisses publiques d'assurance immobilière, de 13 milliards de francs
en 1836, se sont élevés à 70 milliards en 1903. Des institutions analogues
se rencontrent en Autriche, en Suisse, en Russie et dans les
États scandinaves.
Les exploitations d'État ont donc une tendance générale à s'exercer
pour la satisfaction des besoins du public, et sur certains points,
télégraphes et téléphones, chemins de fer, caisses de dépôts, caisses
d'assurances, à prendre une importance croissante dans l'organisation
économique. Jusqu'ici, il est vrai, l'État n'a pas étendu son
domaine industriel en dehors des transports; mais on sait que, dans
certains pays, il existe un parti puissant qui le pousse non seulement
à racheter les voies ferrées, mais même à se charger de l'exploitation
des mines, à exercer le monopole de l'alcool, celui du raffinage du
sucre et du pétrole, et d'autres encore.
L'État hésite cependant à s'engager dans cette voie, dont il n'ignore
pas les périls. Il a si bien conscience des inconvénients de l'exploitation
en régie, que parfois il cherche à se limiter lui-même en séparant
du gouvernement politique la gestion économique de ses propres
établissements. Dans ce but, il donne à ses entreprises une
autonomie administrative et financière plus ou moins complète; il
leur confère la personnalité, les dote d'une administration indépendante,
soustraite aux influences politiques, et leur attribue un budget
distinct dont les excédents seuls sont versés au budget général, afin
qu'elles puissent pratiquer un amortissement régulier et étendre leurs
dépenses suivant les nécessités industrielles. Quelques-uns de ces
traits se rencontrent dans l'organisation du réseau d'État français;
on les trouve mieux encore dans le fonctionnement des diverses
caisses publiques de dépôts et d'assurances à l'étranger.
Enfin l'État, lorsqu'il cède à une compagnie privée l'exercice d'un
monopole, peut se réserver, en certaines circonstances, non pas un
simple droit de contrôle, mais une part effective dans l'administration
et même dans les produits. C'est ainsi que la Hollande, après
avoir racheté ses voies ferrées, les a données en location à des compagnies
fermières moyennant une part des recettes brutes; l'Italie a
longtemps pratiqué le même système. Dans des situations différentes,
vis-à-vis des compagnies de chemins de fer en France, vis-à-vis des
Banques nationales d'émission en Allemagne, en France, en Belgique,
en Italie, l'État s'est réservé une quote-part des bénéfices. Ce régime
mixte se rapproche de l'exploitation par l'État, sans permettre aucune
confusion des deux domaines politique et économique; la société
fermière peut être considérée comme préposée à un service public
qu'elle gère pour le compte de l'État et sous son contrôle, en retenant
pour la rémunération de ses services une partie des produits.
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