Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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qu'elle gère pour le compte de l'État et sous son contrôle, en retenant
qu'elle gère pour le compte de l'État et sous son contrôle, en retenant
pour la rémunération de ses services une partie des produits.
pour la rémunération de ses services une partie des produits.
===Section 3. Exploitations des municipalités.===
Les villes modernes, plus libres dans leurs allures, se montrent
aussi plus entreprenantes que l'État.
Les services publics qui relèvent des municipalités, notamment
l'enseignement et l'assistance, se sont largement développés de nos
jours. Dans toutes les villes, les écoles et les divers établissements
de culture scientifique et artistique se sont multipliés en même temps
que les hôpitaux, crèches, asiles, fourneaux économiques, vestiaires
et cantines scolaires institués par les municipalités. Les services de
l'hygiène et de la voirie ont pris une importance considérable; les
villes se sont donné un outillage en rapport avec les nouveaux
besoins de la civilisation, elles ont édifié des quais, docks, marchés,
égouts, abattoirs, bains et lavoirs, théâtres, etc., et elles en tirent un
revenu important; les villes anglaises elles-mêmes, qui avaient si
longtemps abandonné ces divers ouvrages à l'initiative privée, sont
entrées largement, depuis quelques années, dans la voie de leur
municipalisation. Enfin les villes ont créé, dans ces derniers temps,
diverses institutions en faveur des classes ouvrières, non seulement
des caisses d'épargne municipales et des monts-de-piété, mais aussi
des caisses de chômage municipales, comme à Berne et à Cologne,
et des bureaux de placement municipaux, très nombreux en Suisse
et surtout en Allemagne, où ils sont dirigés par les représentants des
patrons et des ouvriers, et reliés entre eux sur toute la surface du
pays. D'autres villes, sans gérer elles mêmes ces services, allouent
des subsides aux syndicats ouvriers pour grossir leurs secours de chômage
(système de Gand), ou soutiennent les Bourses du travail
en leur fournissant un local et des subventions (municipalités françaises).
La ville de Vienne a même institué une Caisse municipale de
retraites et d'assurances sur la vie, et certaines grandes villes, en
Allemagne et ailleurs, possèdent des caisses publiques d'assurances
contre l'incendie.
Mais l'effort principal des municipalités s'est tourné, depuis une
dizaine d'années, vers les exploitations industrielles lucratives. Jusqu'ici
la France, comme la Belgique, est restée en dehors du mouvement
ailleurs, au contraire, le socialisme municipal a fait d'immenses
progrès, principalement en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne,
en Autriche-Hongrie, en Suisse et en Italie. Sans doute les exploitations
municipales ne sont pas un fait absolument nouveau, et l'on
pourrait en citer quelques-unes, parmi les exploitations d'eau et de
gaz, qui remontent au milieu du XIXème siècle mais la municipalisation
de ces entreprises ne s'est généralisée que tout récemment.
Les exploitations municipales les plus nombreuses concernent des services
qui tournent naturellement au monopole; ce sont en effet
des services qui empruntent le sol de la voie publique, eaux, gaz,
lumière électrique, tramways. Aujourd'hui, beaucoup de villes, surtout
parmi les plus importantes, étendent le domaine municipal
dans cette direction; elles rachètent les concessions faites à des
compagnies privées, ou bien elles exécutent elles-mêmes les ouvrages
pour les exploiter en régie. Il leur semble que des monopoles d'un
caractère aussi essentiellement public, intéressant la généralité des
habitants, doivent être gérés dans l'intérêt de tous, et que les bénéfices
qui en résultent doivent profiter à tous. En se chargeant elles-mêmes
de leur exploitation, elles visent à étendre et perfectionner le service,
à améliorer la situation du personnel, à diminuer les tarifs
plutôt qu'à réaliser des bénéfices; néanmoins, certaines villes conservent
des tarifs assez élevés pour tirer de ces exploitations des
profits importants, qui sont consacrés aux dépenses locales ou affectés
à des dégrèvements d'impôts.
Naturellement, les villes qui se sont chargées de ces entreprises
ont accru leurs dettes dans de fortes proportions. C'est là un danger pour
celles qui n'établissent pas une comptabilité régulière et distincte
permettant d'apprécier si les recettes de l'entreprise couvrent
entièrement ses charges, y compris l'intérêt et l'amortissement du
capital de premier établissement; mais il en est d'autres, principalement
en Angleterre, qui ne commettent pas cette faute et qui pourvoient
à un amortissement régulier. Dans beaucoup de villes
anglaises, les régies municipales sont confiées à des organes distincts, à des spécialistes qui exercent leurs pouvoirs d'une façon
indépendante, sous le contrôle du conseil municipal; le budget et les
comptes de ces entreprises sont dressés à part et restent nettement
séparés du budget municipal. Telle est également l'organisation
prescrite par la loi italienne sur la régie directe des services publics
par les municipalités.
Les premières entreprises municipales ont été les entreprises d'eaux,
et ce sont encore aujourd'hui les plus nombreuses; essentielles à
la santé publique, elles sont en effet relativement simples à gérer.
En Angleterre, les grandes villes qui, comme Londres jusqu'en 1904,
laissent ce service à une compagnie concessionnaire, sont une rare
exception. Certaines villes, Manchester, Birmingham, Liverpool,
Glasgow, ont dépensé pour leur alimentation d'eau des sommes considérables,
variant de 100 à 175 millions de francs, et l'on calcule que
le capital employé par les 1045 villes anglaises où la régie est pratiquée
s'élève à plus de 1 700 millions. Aux États-Unis, la municipalisation
des eaux est plus avancée encore; 1 800 localités exploitent elles-mêmes
ce service, pour lequel elles ont dépensé plus de 2 500 millions
de francs. Partout ailleurs, en Allemagne, en Italie, en Suisse,
en Russie, au Canada, en Australie, et même en France, le système
de la régie est très fréquent.
La municipalisation du gaz, bien que datant du milieu du
XIXème siècle dans certaines grandes villes d'Allemagne, de Suisse et
des pays scandinaves, est généralement postérieure à celle de l'eau;
l'exploitation du gaz, en effet, comporte des achats de houille et des
ventes de sous-produits qui lui donnent un caractère plus nettement
commercial. Mais aujourd'hui, en Angleterre, les entreprises municipales
de gaz se rencontrent dans 256 villes; elles ont coûté près de
900 millions de francs, donnent un profit net de 60 millions, et, sans
avoir encore la même importance que les entreprises des compagnies
concessionnaires, elles alimentent une clientèle de consommateurs
presque aussi considérable. Manchester, qui a dépensé pour ce service,
depuis 1843, un capital de 59 millions de francs amorti pour
plus de moitié, en retire un bénéfice annuel de plus de 3 millions,
après avoir pourvu à toutes les charges. En dehors de l'Angleterre,
la régie municipale du gaz existe aussi aux États-Unis et dans beaucoup
de villes du continent européen, principalement en Allemagne,
où l'on compte 41 régies municipales le bénéfice net est de 4,2 millions
de francs à Hambourg, 3,4 millions à Berlin, 1,2 a 3,5 millions
à Dresde et Cologne. D'autres régies se rencontrent encore en Hollande,
en Suède, en Autriche-Hongrie, en Suisse, en Italie. Les villes
italiennes ont su utiliser à cet effet les ressources que les institutions
d'épargne et de coopération mettaient à leur disposition.
Après l'eau et le gaz, les villes ont entrepris de fournir la lumière
électrique. Actuellement, les entreprises municipales de cette nature
sont deux fois plus nombreuses en Angleterre que les entreprises
privées; elles ont coûté 750 millions de francs environ; des villes
comme Glasgow, Liverpool, Manchester ont dépensé dans ce but un
capital de 2 et demi à 4 millions de francs. On compte 333 entreprises
de ce genre en Angleterre, 460 aux États-Unis, 36 en Allemagne,
d'autres encore en Italie et surtout en Suisse, où les moindres localités peuvent se procurer la force à bon marché.
Puis les villes anglaises, et quelques villes du continent ont municipalisé
leurs tramways. Les entreprises de tramways exploitées par
les municipalités sont au nombre de 86 en Angleterre; elles ont
coûté plus de 500 millions de francs elles égalent à peu près les
entreprises privées en nombre et en importance et progressent
chaque année à ces deux points de vue. Glasgow, qui a dépensé plus
de 50 millions de francs pour ses tramways, en retire un bénéfice
annuel de 6 millions, qu'elle consacre presque en entier à l'amortissement.
Aujourd'hui, il semble que ces municipalisations de monopoles ne
suffisent plus aux administrations urbaines. Les villes sont entraînées
vers de nouvelles entreprises par d'autres préoccupations,
principalement par celle de l'hygiène publique.
Certains quartiers des grandes villes, où s'entasse une population
misérable, sont un danger permanent pour la santé publique; chez
les peuples civilisés qui savent le mieux apprécier la valeur de la
vie humaine, les autorités locales ne se contentent pas de posséder
des pouvoirs pour l'assainissement des logements insalubres, elles
en usent effectivement. Mais il ne suffit pas non plus de raser des
quartiers malsains et encombrés; le remède serait pire que le mal,
si la population déplacée s'entassait dans d'autres taudis plus sordides
encore. Le législateur anglais l'a compris; en 1890, il a prescrit
aux autorités municipales de reconstruire après avoir démoli. Ce fut
là, pour les villes anglaises, un énergique encouragement à se
charger elles-mêmes des constructions ouvrières. A Londres, où le
mal est plus grand que partout ailleurs, où 250 000 personnes logent
à raison d'une chambre par famille, le Conseil de comté a entrepris
une oeuvre considérable; il a transformé un quartier tout entier,
dépensant 32 millions de francs pour les reconstructions, fournissant
des logements à une population de 20000 personnes, et projetant
d'en loger bientôt 80 000; bientôt s'élèvera dans la banlieue une
ville de 6000 cottages pour 42000 habitants, que le Conseil aura
créée de toutes pièces en y affectant une somme de 75 millions de
francs. Glasgow, Manchester, Birmingham, d'autres encore, au
nombre d'une soixantaine, ont suivi l'exemple, et certaines villes
d'Allemagne, de Suisse et d'Italie se sont engagées dans la même voie.
Efforts souvent mal dirigés, qui réussissent rarement à replacer la
population la plus pauvre expulsée des logements démolis mais les
tâtonnements ne sont-ils pas inévitables au début de cette oeuvre
difficile, l'une des plus urgentes de notre temps ? L'expérience conduira
nécessairement les villes à entreprendre des constructions
moins coûteuses pour atteindre leur but, et déjà Birmingham peut
offrir des logements à prix réduits. Quelques villes entretiennent
même des maisons de refuge, des lodging houses, pour y abriter la
population flottante.
Dans le même but d'hygiène, et afin de diminuer la mortalité
infantile, certaines villes anglaises ont entrepris de vendre du lait
stérilisé. Sur cette pente, il est facile d'aller plus loin. Pourquoi les
villes ne se chargeraient-elles pas de vendre des denrées de première
nécessité, afin de fournir à la population pauvre des aliments sains
à juste prix? En fait, les boulangeries municipales sont déjà nombreuses
en Italie; il existe même, dans ce pays, quelques boucheries
et pharmacies municipales. Aussi les villes anglaises sont-elles sollicitées
aujourd'hui d'étendre leurs services à la vente des denrées alimentaires,
et de municipaliser les débits de boissons dans un but d'hygiène.
A côté de ces villes entreprenantes, il faut signaler aussi celles qui,
reculant devant les responsabilités de la régie directe, adoptent de
préférence le régime mixte du bail à ferme ou de la régie intéressée,
comme l'État le fait lui-même dans certains cas. En Angleterre et sur
le continent, des entreprises de gaz et de tramways sont affermées en
assez grand nombre à des compagnies privées, qui exploitent sous le
contrôle de la ville et lui cèdent une part plus ou moins forte des
produits bruts ou des bénéfices, suivant la part que la ville a prise elle-même
aux dépenses d'établissement. Des capitales comme Londres,
Paris et Berlin ont eu recours à ce système pour une partie de leur
réseau de tramways ou pour leur Métropolitain. Quant aux constructions
de logements ouvriers, bien des villes, au lieu de les entreprendre
elles-mêmes, se contentent de venir en aide à l'initiative
privée, soit en allouant des terrains à titre de propriété ou d'emphytéose,
des subventions et des garanties d'intérêts aux sociétés qui se
chargent de cette entreprise sans esprit de spéculation, soit en instituant
à leur profit des caisses de prêts hypothécaires.
Sous une forme ou sous une autre, les autorités municipales étendent
donc leur rôle économique; les villes qui municipalisent les
monopoles sont chaque année plus nombreuses, les fonctions dont
elles se chargent deviennent plus importantes et plus variées. Quel
que soit le jugement que l'on porte sur cet envahissement du domaine
économique par les municipalités, il faut noter le fait parmi les
plus significatifs; le socialisme municipal fait partie intégrante
de l'évolution contemporaine comme la concentration industrielle,
les trusts, la coopération, les associations agricoles, les syndicats
professionnels et la législation ouvrière; il contribue, lui aussi et
pour sa part, à faire pénétrer plus de communauté dans nos sociétés
individualistes et à leur donner une physionomie nouvelle.
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