Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine

De Librairal
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Chapitre 10. Position du problème et aperçu préliminaire.

Après cette revue des multiples systèmes de transformation sociale, l'esprit désorienté a besoin, pour se ressaisir, de reprendre contact avec la réalité, et de revenir aux faits comme à la seule base solide de toute doctrine sociale.

Aussi bien la pensée moderne, formée à la discipline des sciences naturelles et de la critique historique, ne saurait procéder autrement. Le plus grand progrès réalisé de nos jours dans les sciences sociales a été un progrès de méthode; la méthode historique et d'observation a définitivement ruiné les anciens concepts absolus. Systèmes politiques basés sur la théorie de l'état de nature, systèmes économiques fondés sur la liberté naturelle, constructions utopiques des anciens socialistes, codes de lois modèles présentés comme l'expression définitive de la raison écrite, toutes ces conceptions sont mortes, parce qu'elles supposaient l'existence d'un idéal universel, absolu, perpétuel, sur lequel les sociétés humaines, dès qu'elles en recevaient la révélation d'un penseur ou d'un peuple, devaient se modeler, en reniant les institutions vicieuses et irrationnelles qu'elles avaient jusque-là pratiquées.

A cette idée rationaliste et simpliste, la science moderne a substitué celle d'évolution naturelle, d'enchaînement et de continuité nécessaire, de développement organique et de relativité des institutions sociales. Les institutions ne sont pas des créations arbitraires, elles poussent comme des organismes, suivant les conditions du milieu historique où elles sont nées; elles ne sont à aucune période des monstruosités imaginées par un esprit malfaisant, elles apparaissent comme des phénomènes de masses, ayant leur raison d'être dans l'état psychologique et économique du groupe social où elles se sont établies; elles ne sont jamais non plus un but définitif, un modèle immuable sur lequel l'humanité puisse se reposer, elles sont dans un perpétuel devenir, et se transforment progressivement sous l'action de facteurs toujours en mouvement dans le sein de la société.

La thèse organique de l'école historique, dressée en réaction contre le rationalisme de la Révolution française, soulève à son tour des critiques chez les penseurs contemporains; et bien certainement elle est excessive, si on l'interprète dans la pleine rigueur du déterminisme traditionaliste, en déniant à la volonté et à la raison humaine tout rôle dans l'évolution. Toutefois, la base de la doctrine reste intacte; et malgré certaines divergences qui subsistent sur des questions de limite et de dosage, le réalisme historique, avec sa méthode expérimentale, paraît définitivement entré dans nos habitudes de pensée.

La force du socialisme contemporain de Karl Marx, Lassalle et Engels, vient justement de ce qu'il repose sur cette base scientifique de l'évolution et du déterminisme historique. L'exposé magistral des grandes transformations économiques contenu dans le Capital et dans le Manifeste communiste fait ressortir cette idée essentielle, méconnue des anciens socialistes, que le régime capitaliste n'est pas un ensemble d'institutions vicieuses créées par la volonté malfaisante de quelques hommes; c'est une forme sociale qui ne pouvait pas ne pas être dans certaines conditions historiques, qui s'est constituée naturellement et nécessairement sur les débris de la petite production individualiste. Mais aussi, et de la même manière que jadis le régime du petit producteur indépendant, la production capitaliste engendre et développe en elle-même à son tour des antagonismes qui doivent entraîner sa dissolution avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. A mesure que s'accentue la concentration, le mode de production collectif de la grande industrie capitaliste devient incompatible avec le monopole privé du capital, et doit aboutir fatalement à la propriété commune de tous les moyens de production, y compris le sol. C'est donc dans la société présente que s'élabore progressivement la structure du régime de la propriété collective.

Les socialistes contemporains, quelles que soient leurs réticences ou leurs divergences au sujet de l'organisation socialiste de l'avenir, sont cependant tous d'accord pour la rattacher à l'évolution historique. C'est donc bien à la méthode d'observation qu'ils prétendent recourir, lorsqu'ils annoncent l'établissement d'un mode de production et d'échange socialement organisé.

De son côté, Herbert Spencer emploie les mêmes procédés d'induction historique pour justifier des conclusions bien différentes sur l'avenir des institutions sociales. Il croit pouvoir induire des changements déjà effectués par la civilisation qu'à une époque plus ou moins éloignée, et sauf des reculs toujours possibles avec le réveil passager du militarisme, le régime de la coopération forcée et du statut obligatoire, propre à la société militaire et à la société communiste, disparaîtra définitivement des nations les plus avancées pour faire place au type de la société industrielle, caractérisée par la coopération volontaire et la liberté des contrats. Dans l'organisation sociale de l'avenir, les échanges et la location des services assureront à chacun une juste rémunération exactement proportionnée à l'effort et au mérite, parce qu'ils s'effectueront en dehors de toute réglementation artificielle et par les seules lois de la libre concurrence. La société comprendra dans sa structure plastique d'innombrables associations privées, qui se chargeront des services les plus divers; quant à l'État, son rôle se réduira strictement aux fonctions de sécurité qui seront nécessaires pour assurer le respect des droits réciproques des individus.

Pourquoi ce régime de libre concurrence et de laisser faire doit-il se généraliser et l'emporter définitivement? C'est que toute intervention de l'autorité publique dans les échanges et les contrats, toute charge fiscale ayant un autre objet qu'une dépense de sécurité entraîne une répartition artificielle des produits, et dépouille les hommes supérieurs du bénéfice de leur mérite au profit des individualités inférieures. Or, dans un état de civilisation où la lutte pour l'existence entre les nations ne s'exercera plus que sur le terrain économique, les sociétés appelées à survivre et à progresser aux dépens des autres seront celles qui permettront aux hommes les mieux adaptés à l'état industriel de s'élever et de se multiplier; celles au contraire qui arracheront aux hommes supérieurs les résultats de leurs efforts pour en faire bénéficier les faibles disparaîtront, battues dans la course de la civilisation.

M. de Molinari s'inspire des mêmes idées. Après avoir montré que la tutelle politique est nécessaire tant que les hommes restent très inégaux en capacité et que leur adaptation est imparfaite, il déclare que les servitudes politiques et économiques nées de l'état de guerre disparaîtront dans l'avenir, parce que ce sont des "nuisances dans un état de concurrence industrielle". L'État devra se décharger des services d'intérêt collectif, y compris même celui de la sécurité publique, en les confiant à de grandes sociétés privées qui seront livrées à la concurrence. Car l'État omnipotent, après avoir subi un ralentissement de la production et de la population, s'effondrera sous le poids de ses charges fiscales. La concurrence entre les nations imposera fatalement la réforme du gouvernement politique et l'établissement du self government individuel; les sociétés qui se déroberont à la pression de la concurrence tomberont nécessairement en décadence et feront place à d'autres.

Ainsi, par la même méthode, par l'observation du passé et du présent, l'école socialiste et l'école individualiste, dans leurs prévisions sur l'état social de l'avenir, arrivent à des conclusions diamétralement opposées; l'une conclut à la nécessité historique d'un régime autoritaire de propriété collective et de production organisée, l'autre à la nécessité d'un état de libre concurrence et d'invidualisme presque anarchique auquel les sociétés ne sauraient se dérober sous peine de mort. Où est la vérité?

Pour essayer de la découvrir, il faut à notre tour recourir à l'étude des faits. Parmi les innombrables phénomènes de la vie sociale, nous observerons les formes de l'organisation économique dans leur évolution, en nous attachant aux organes qui paraissent les plus vivaces, les plus propres à un large développement ultérieur dans les sociétés avancées. S'il est vrai que les mêmes causes, dans des conditions semblables, doivent produire des effets du même genre, nous devons être capables de discerner, par une observation prudente et attentive, les tendances du mouvement contemporain dans les sociétés de civilisation occidentale, au moins pour un avenir prochain, et en supposant que des facteurs inconnus ne viennent pas bouleverser les conditions actuelles de révolution.

Parmi les grands courants qui agissent dans les sociétés modernes pour déterminer en elles des modifications de structure et de fonctions, celui du capitalisme est certainement l'nn des plus puissants. La notion du capitalisme nous est aujourd'hui familière. C'est le régime dans lequel la production et ses annexes (transports, commerce, banque, etc.) se trouvent entre les mains de capitalistes, qui tirent un profit de leur capital-valeur en l'investissant dans des entreprises où le travail est fourni par des salariés. Le régime capitaliste se caractérise donc moins par la dimension des entreprises que par un certain état des relations juridiques dans lequel les activités économiques sont subordonnées au capital en quête de profit.

Cette conception du capitalisme peut être critiquée pour défaut de précision; on peut lui reprocher de laisser indécises les frontières qui séparent le capitalisme des autres formes de la production, contester telle ou telle partie de la définition ou même la combattre dans son principe; on peut discuter s'il y a, entre l'entreprise capitaliste et celle du petit producteur indépendant resté travailleur manuel, une différence de nature ou de degré, une distinction qualitative ou simplement quantitative. Mais peu importe ici; la notion, dans ses grandes lignes, est suffisante pour caractériser le régime moderne par opposition aux formes économiques antérieures, régime patriarcal de l'économie sans échanges et régime de la petite exploitation indépendante.

Or le capitalisme tend aujourd'hui, avec plus ou moins de force suivant les pays, à éliminer les formes antérieures et à soumettre à sa loi une portion croissante des activités économiques. Les causes qui déterminent ce mouvement universel sont-elles psychologiques, ou extérieures à l'homme? Il semble évident qu'aucun phénomène social ne peut se produire sans avoir sa source dans l'esprit humain, dans l'éternel effort de l'homme pour réaliser ce qu'il considère comme son plus grand bien; conception d'ailleurs variable suivant les époques et les milieux, déterminée par de nombreux facteurs moraux, politiques, esthétiques et autres. Le mouvement vers le capitalisme est donc le produit de cet effort, au moins de l'effort des hommes qui disposent des moyens de succès.

Mais le mobile psychologique ordinaire n'a produit cette évolution spécifique qu'à raison de circonstances historiques déterminées, qui se sont rencontrées à un moment donné dans certains pays. Parmi ces circonstances, l'extension des marchés par le développement des moyens de communication, et la prépondérance des facteurs matériels de la production par le fait des progrès de la science et de la technique, peuvent être considérées comme les causes les plus actives du phénomène. Il a fallu aussi, pour qu'il prît naissance, un certain état de la population et de la richesse antérieurement accumulée; il a fallu, pour qu'il s'étendit, un certain régime juridique écartant les entraves, un milieu de libre concurrence où l'esprit mercantile pût prendre un libre essor et produire ses effets les plus complets. Les facteurs politiques, juridiques et moraux ont donc concouru, par influence en retour, à la formation du régime nouveau; mais les facteurs techniques et économiques ont eut la part principale, ils ont été la cause principale de la révolution industrielle, et leur prépondérance n'a rien de surprenant dans un phénomène d'ordre économique. Or, ces diverses circonstances constituent la civilisation même; la plupart prennent une importance grandissante dans les sociétés contemporaines elles déterminent donc, à titre de causes impulsives ou simplement de conditions favorables, un développement parallèle aussi rapide du capitalisme.

D'autre part, il s'opère également, dans les mêmes milieux, un mouvement général de groupement, d'intégration, d'organisation spontanée des éléments sociaux, qui s'est singulièrement accéléré dans les vingt dernières années du XIXème siècle.

Au point de vue politique, cette tendance se manifeste par la formation des grandes unités nationales, par une centralisation croissante dans les États fédérés, par la constitution de nouvelles fédérations politiques, par des unions douanières et de vastes systèmes d'alliances internationales. Depuis que le champ sur lequel s'exerce la concurrence des intérêts politiques et économiques s'est étendu à l'univers, les grands États ont dû contracter des alliances visant les multiples problèmes d'une politique mondiale.

Dans l'ordre économique, les conditions nouvelles de la lutte pour l'existence obligent les entreprises concurrentes à chercher un accroissement de force dans un agrandissement de leurs dimensions ou dans une entente réciproque, en vue de se procurer les avantages de la grande production ou même de dominer le marché. De là d'innombrables groupements de capitaux ou de personnes pour la création de vastes entreprises capitalistes ou coopératives. Sous un autre aspect, dans le conflit des intérêts entre employeurs et salariés, même tendance à la constitution de groupes puissants et à la fédération des groupes. Dans tous les pays, la même civilisation économique fait éclore ces multiples associations, qui se développent avec la force d'organismes jeunes appelés à des formes supérieures. Enfin la grande association nationale, l'Etat, et les groupes politiques secondaires, étendent aussi constamment leurs fonctions économiques, soit par voie d'assistance et de protection, soit par voie de réglementation et de contrôle sur les exploitations privées, soit enfin sous la forme d'entreprises directes.

Ces deux grands courants, l'un dans le sens du capitalisme, l'autre dans le sens de la consolidation et de l'intégration par le groupement des éléments individuels, se combinent-ils ou se contrarient- ils ? Sur certains points, ils se combinent; la concentration des entreprises, les associations de capitaux, les coalitions d'entrepreneurs sous une forme fédérative ou unitaire, sont les manifestations supérieures du capitalisme. Par ailleurs, les associations coopératives, les syndicats de travailleurs salariés, les entreprises publiques et autres fonctions économiques de l'État et des communes ont bien en général leur raison d'être dans le développement du capitalisme; mais ces divers organismes se forment en réaction contre lui et pour limiter sa puissance. Parmi ces formes nouvelles, les unes consacrent le triomphe des forts, tandis que les autres tendent à fortifier les faibles dans leur lutte contre les forts.

Ce sont ces différentes manifestations de la vie sociale contemporaine que l'on voudrait retracer ici. Dans l'esquisse synthétique qui va suivre, on ne se propose pas d'étudier les faits pour eux-mêmes, avec la prétention de fournir sur eux des renseignements nouveaux; on a seulement pour but de présenter d'une façon succincte des faits déjà connus, exposés par d'excellents observateurs, en les envisageant surtout au point de vue dynamique pour essayer de discerner en eux les tendances générales de l'évolution. Peut-être, après un examen consciencieux de la réalité mouvante des choses, pourrons nous répondre à la question posée au début les sociétés modernes : s'engagent-elles dans la voie du collectivisme autoritaire, ou dans celle de l'individualisme libertaire ?


Chapitre 11. La concentration industrielle et commerciale.

  • Section 1. Agrandissement des entreprises.

La concentration dans l'industrie manufacturière, les transports, le commerce de détail, les banques, les assurances, etc., est un fait si universellement connu, si fortement établi par des observations nombreuses et concordantes, qu'il est devenu banal de le constater; toutefois, il n'est pas inutile de mesurer par des chiffres l'étendue actuelle du mouvement, et surtout la vitesse de son cours. Sur ce dernier point, nous n'avons guère à notre service que les statistiques allemandes, les seules qui aient été établies sur les mêmes bases à deux époques différentes. Il est vrai que l'Allemagne, dont le développement industriel a été si remarquable dans les dernières années du XIXème siècle, nous offre une excellente illustration du phénomène.

Dans l'intervalle de treize ans qui sépare les deux derniers recensements professionnels allemands de 1883 et 1895, le nombre des petites exploitations industrielles (travailleurs isolés et établissements occupant 5 personnes au plus) a sensiblement diminué, tandis qu'augmentait celui des moyennes (6 à 50 personnes) et des grandes exploitations. Les premières ont perdu 79000 personnes , alors que les secondes en gagnaient 793000 et les troisièmes 353000; aussi la proportion du personnel des petites entreprises dans l'ensemble est-elle tombée de 55 à 40 p. 100. A l'intérieur de chacune de ces trois grandes classes, même tendance à l'accroissement proportionnel du personnel des établissements les plus importants.

Si l'on tient compte, à côté du personnel, de l'importance des forces inanimées employées dans les diverses exploitations, en comptant un cheval-vapeur comme l'équivalent de 24 forces humaines, la prépondérance des grandes entreprises apparait bien plus forte encore. Dans l'industrie et le commerce (les statistiques allemandes ne nous permettent pas de les séparer pour ce calcul nous observons que, si les petits établissements occupent encore 46 p. 100 du personnel, ils n'emploient plus que 15 p. 100 du total des forces en hommes et en moteurs, tandis que les grands établissements de plus de 100 personnes, avec leurs différentes branches et succursales, comprennent plus de la moitié de ces forces réunies (exactement 54,8 p. 100),. Dans ce chiffre, les exploitations géantes, celles qui emploient plus de 1000 personnes, comptent à elles seules pour 18 p. 100; la maison Krupp occupe pour sa part 44000 ouvriers et employés, et dispose d'une force de 36 560 chevaux-vapeur. Ces immenses établissements d'industrie et de commerce ont plus que doublé en nombre et en personnel dans l'espace de treize ans.

La concentration est donc extrêmement rapide en Allemagne depuis quelques années. Elle se fait sentir principalement dans les industries textiles, les industries chimiques, les mines, la construction des machines, la minoterie, le travail des métaux et l'industrie du bâtiment.

En France, nous ne pouvons constater la progression par des chiffres que pour les fabriques de sucre, qui décroissent en nombre alors qu'elles augmentent leur production. Quant à l'état statique de l'industrie dans son ensemble, tel qu'il ressort du Recensement des industries et des professions de 1896, il dénote une concentration déjà très avancée, puisque les grands établissements industriels; occupant au moins 5O salariés comprennent à eux seuls 45 p. 100 du personnel de l'industrie (sans les transports). Même proportion à peu près en Belgique pour les établissements de même importance, d'après le Recensement des industries et des métiers de 1896. Les exploitations de plus de 1000 ouvriers comprennent, comme en France, à peu près le dixième de la population ouvrière.

Pour l'Angleterre, nous ne pouvez suivre le mouvement que dans l'industrie textile, où la moyenne par établissement des broches, des métiers et des ouvriers s'élève régulièrement. Aux États-Unis, il nous est possible de mesurer la vitesse de la concentration dans l'industrie tout entière par le même procédé des moyennes progressives. Dans l'ensemble, l'importance moyenne des entreprises en capital, en personnel et en produit s'élève d'une façon à peu près continue depuis 1850, bien que le nombre des établissements se soit beaucoup accru dans le dernier Census de 1900, à la suite d'un relevé plus soigneux des petits métiers. Pour quelques grandes industries, machines agricoles, cordonnerie mécanique, tapis, fer et acier, cuirs, liqueurs, constructions des navires, lainages, etc., le nombre absolu des entreprises a même une tendance à diminuer. Si l'on remonte jusqu'en 1850, les différences de moyennes sont énormes; depuis 1880 même, la progression est très sensible dans les principales industries. Ainsi, depuis cette époque jusqu'en 1900, l'importance moyenne des établissements a doublé ou triplé dans la plupart des divisions; l'accroissement est même plus rapide encore dans la construction des navires, dans celle des machines agricoles et dans l'industrie des cuirs.

En même temps qu'elle se concentre, l'industrie obéit à deux autres tendances, qui agissent en sens contraire l'une de l'autre sans être cependant contradictoires.

D'un côté, les entreprises industrielles subissent certainement la loi générale de la spécialisation progressive. C'est ainsi que les filatures de coton anglaises restreignent leur fabrication à une série de numéros très limitée, de manière à éviter les arrêts résultant des changements de numéros sur les métiers, et à conquérir une supériorité décisive dans un genre de production très spécialisé. Quand une grande société industrielle possède plusieurs établissements, il arrive souvent que la division du travail s'opère par l'affectation de chaque établissement à une spécialité distincte.

D'autre part, on observe aussi que les grandes entreprises, lors même qu'elles restent spécialisées, tendent à embrasser la série complète des fabrications nécessaires à la production d'une marchandise achevée, et cherchent parfois à étendre leurs opérations depuis l'extraction des matières premières jusqu'à la vente au consommateur, de manière à se rendre indépendantes des industries connexes et des intermédiaires, et à fournir le maximum de rendement sans arrêts dans la production. Ainsi une fabrique d'horlogerie, tout en se consacrant à un genre de fabrication spécialisé, rassemble autour de son moteur des opérations multiples jusque-là disséminées dans une multitude d'ateliers à domicile. Une grande filature possède des ateliers de réparation; un grand tissage s'annexe une blanchisserie ou une teinturerie; une grande usine fait subir à ses sous-produits les préparations complémentaires qui doivent en faire des produits marchands; les fabriques de papier achètent des établissements de défibrage du bois, tandis que les chocolateries acquièrent des fabriques de sucre; les entreprises de navigation sur le Rhin sont propriétaires de docks et d'engins de manutention; les grandes entreprises d'abattoirs à Chicago ont leurs wagons et dépôts frigorifiques dans les places principales où elles expédient la viande, etc.

Nulle part ce phénomène d'intégration ne se manifeste avec autant de force que dans l'industrie du fer et de l'acier, où les entreprises importantes se suffisent complètement à elles-mêmes, possédant, à côté de leurs hauts fourneaux, laminoirs et usines de transformation, des mines de houille, des gisements de minerais et des voies ferrées; en Allemagne, en Autriche et aux États-Unis, les houillères fusionnent avec les établissements sidérurgiques et métallurgiques. D'autres industries, comme celles du zinc et des glaces, des produits chimiques, présentent une organisation analogue; des fabriques de machines et des compagnies maritimes achètent des mines de houille. (V. Annexe II, l", Allemagne.)

La grande industrie s'annexe aussi le commerce. Le syndicat houiller du Rhin a créé une filiale qui monopolise le commerce et le transport de la houille dans la région. Des entreprises anglaises et américaines pour la production du thé, du tabac, de la bière, se subordonnent les détaillants ou établissent dans les grandes villes des bureaux de vente au détail. De même, des fabriques de machines agricoles, d'instruments de musique, de machines à coudre, de bicyclettes et automobiles, de meubles et tapis, tiennent des magasins de vente dans les principaux centres d'écoulement.

Même accroissement dans les entreprises de navigation. Les petits armateurs conservent encore la pêche et le cabotage; mais la navigation au long cours, surtout par bateaux à vapeur, appartient presque exclusivement à de grandes sociétés. Des compagnies anglaises se sont agrandies en achetant les flottes de leurs concurrents. La moyenne du tonnage par entreprise, dans la navigation à vapeur du monde, a doublé de 1880 à 1903, passant de 2 372 à 5 486 tonnes. Les grandes entreprises possédant une flotte supérieure à 100000 tonneaux, qui n'étaient que 3 en 1880 avec 387 163 tonneaux, soit 5,2 p. 100 de l'ensemble de la navigation à vapeur, sont au nombre de 39 en 1905, avec 7849590 tonneaux, soit 27,6 p. 100 de l'ensemble; parmi elles, deux compagnies allemandes possèdent respectivement 523 000 et 708000 tonneaux

Le commerce est soumis à la même loi de centralisation, bien que d'une façon moins sensible. En Allemagne, de 1883 à 1895, les petits établissements de commerce et de transport occupant moins de 6 personnes n'ont certes pas décru en nombre et en personnel comme les petites exploitations industrielles; ils ont, au contraire, augmenté d'une façon absolue. Mais leur augmentation proportionnelle a été moins rapide que celle des moyens et grands établissements, de sorte qu'en définitive l'importance relative du petit commerce dans l'ensemble a diminué; la proportion de son personnel est tombée de 76 à 70 p. 100.

En France, nous ne pouvons faire de semblables comparaisons d'une époque à une autre. Nous savons seulement qu'en 1896 les établissements commerciaux employant 5 salariés et plus occupent la moitié du personnel salarié du commerce.

Mais qu'est-il besoin de statistiques, pour établir un fait qui s'affirme aux yeux du public le moins initié par la croissance extraordinaire des grands magasins et des bazars? Partout ils s'agrandissent et se multiplient; ils étendent le cercle de leur clientèle bien au delà de la ville ou ils sont situés, grâce aux facilités nouvelles des expéditions par petits colis; ils cherchent à atteindre les couches les plus nombreuses de la population par des procédés rajeunis de vente à crédit ou à tempérament. On ne rencontre qu'à Paris des magasins au chiffre d'affaires de 15O ou 180 millions, comme le Louvre ou le Bon Marché. Mais Londres possède les établissements Spiers et Pond (capital, 48 millions de francs} et le bazar Whiteley (55 millions d'affaires) à Chicago, c'est Siegel Cooper and C° (90 millions d'affaires), Marshal Field (80 millions); à Berlin, c'est le bazar Wertheim (40 millions), etc.

Dans des branches de commerce plus spécialisées, les grands magasins s'étendent d'une autre manière. Tandis que la maison Potin multiplie ses correspondants en province, l'épicerie Lipton, au capital de 63 millions, répand ses 300 succursales sur tout le solde l'Angleterre. Une grande maison de tabacs anglaise, Salmon et Gluckstein, possède 140 magasins de débit; telle maison de librairie française établit des succursales dans les différents quartiers de Paris et dans les villes de province; certaines entreprises, tant à Londres qu'à Paris, possèdent des restaurants de quartier multiples; les commerces de la boucherie, de la boulangerie et de la laiterie présentent des cas d'extension analogues dans certaines grandes villes; des sociétés possèdent de grands hôtels disséminés dans un même pays ou dans les diverses contrées du monde. Sous cette forme, la concentration ne s'opère plus par la création ou l'agrandissement d'un magasin gigantesque, mais par la multiplication des comptoirs locaux qui dépendent d'une même entreprise et constituent les organes d'une maison mère.

Le grand commerce de détail, comme la grande industrie, tend à la fois à la spécialisation et à l'intégration. Lorsqu'une grande maison de détail s'annexe le commerce du gros, lorsqu'une grande épicerie entreprend de fabriquer elle-même certains des produits qu'elle met en vente, lorsqu'un grand magasin établit pour ses besoins des ateliers de confection, de tapisserie, d'ébénisterie et autres, l'intégration consiste à réunir sous une même direction une série d'opérations connexes pour un même genre de marchandises, et se concilie avec la spécialisation. Mais lorsque l'intégration s'effectue par la concentration dans un même établissement de plusieurs branches de commerce différentes, il n'en est plus de même; les deux tendances, spécialisation et intégration, sont alors contradictoires; aussi s'observent- elles dans des entreprises différentes. Tandis que certains grands magasins multiplient leurs rayons dans les spécialités les plus disparates, de manière à attirer la clientèle par la plus grande variété possible d'objets à sa convenance, d'autres magasins prospèrent et grandissent en présentant au public tous les modèles possibles d'une même spécialité, quincaillerie, épicerie, verrerie, meubles, fourrures, vêtements pour hommes, etc.

La banque se concentre de la même manière que le commerce de détail. Les banques constituées par actions ont pris à la fin du XIXème siècle un développement considérable; elles étendent maintenant leurs rameaux sur toute la surface d'un pays, et fondent même des succursales sur les places étrangères. En 1905, les cinq grandes banques françaises par actions (y compris la Banque de France) possèdent un capital de 1 milliard, et des dépôts et comptes courants pour 3 milliards et demi; là-dessus, le Crédit lyonnais, à lui seul, détient plus de 1 milliard de dépôts. Les petites banques locales disparaissent successivement devant les agences des grandes sociétés de crédit; les unes sont absorbées, les autres cessent leurs affaires sans être remplacées, de sorte qu'il n'y a guère, pour subsister en face des banques par actions et de leurs succursales, que les banques privées les plus importantes situées dans les grands centres d'affaires. De même, en Angleterre, beaucoup de banques privées ont été absorbées par les Joint stock Banks, et les amalgamations des banques de province avec les banques de Londres ont été fréquentes dans les vingt dernières années. Aussi les banques par actions sont-elles parvenues à un grand développement: 21 d'entre elles possèdent plus de 100 succursales dans le Royaume-Uni; les dépôts, pour 16 banques par actions, s'élèvent à près de 10 milliards de francs, et le capital, pour les 6 principales, à 1 800 millions.

En Allemagne, les grandes banques de Berlin, comme la Deutsche Bank, n'ont pas seulement créé des succursales; elles ont surtout, en augmentant leur capital, absorbé des banques considérables situées dans les grands centres industriels et maritimes. Tantôt elles se sont contentées d'acquérir la majorité des actions pour dominer la direction de la banque provinciale; tantôt elles ont acheté la totalité des actions et transformé la banque en filiale. La crise de 1900-1901 a eu pour effet de fortifier encore les plus puissantes au détriment des moyennes et petites banques. Aux États-Unis, la formation des trusts accélère la concentration dans les affaires de la banque, en privant les banques locales d'une partie de leur clientèle industrielle, et en augmentant l'importance des grandes banques de spéculation de New-York, qui ont fondé les principaux trusts.

Dans la banque comme dans le commerce de détail, un mouvement d'intégration se poursuit parallèlement à celui de la concentration, en sens contraire de la spécialisation. Les grands établissements de crédit du continent ne se bornent pas aux opérations de banque à court terme, dépôts et comptes courants, escomptes et avances sur titres; ils se chargent des ordres de bourse et des opérations de change; beaucoup même, surtout en Allemagne, entreprennent des émissions d'emprunts et de valeurs industrielles. Cependant le crédit hypothécaire et le crédit agricole restent généralement distincts, réservés à des institutions particulières.

Les assurances n'échappent pas non plus à la loi commune. En France et en Allemagne, le nombre des compagnies d'assurances sur la vie reste stationnaire, ou s'accroît à peine depuis de longues années, tandis que le chiffre de leurs affaires progresse rapidement; aussi la moyenne des capitaux assurés, par compagnie, a-t-elle presque doublé en France, et triplé en Allemagne depuis 1880; de grandes compagnies y ont absorbé des sociétés moindres. Aux Etats- Unis, le nombre des sociétés d'assurances sur la vie est tombé de 71 en 1870 à 37 en 1889, et la moyenne par société des sommes assurées a sextuplé, passant de 140 a 845 millions de francs. L'actif des sociétés d'assurance-vie s'élève à 11,5 milliards de francs aux États- Unis, 7,2 milliards en Angleterre, 2,1 milliards en France, celui des sociétés d'assurance de toute nature monte à 5 milliards eu Allemagne les grands établissements d'assurances, devenus d'immenses réservoirs de l'épargne privée, disposent par là d'une puissance financière considérable.

La concentration a eu deux conséquences naturelles, que les statistiques nous permettent de saisir l'agglomération des capitaux dans les sociétés par actions, et la décroissance continue de la proportion des entrepreneurs vis-à-vis des salariés.

Dans l'industrie manufacturière, les mines, les chemins de fer, la navigation, le commerce, la banque, les assurances, etc., les entreprises les plus considérables ont du, pour la plupart, se constituer en sociétés par actions. En France (1899), le capital de ces sociétés monte à 13 milliards 1/2, non compris 22 milliards en obligations. Pour l'Angleterre (1904), leur capital s'élève à 70 milliards 1/2 de francs, y compris celui des compagnies de chemins de fer. En Allemagne (1896), capital et réserves des sociétés par actions montent à 10 milliards de francs, sans compter 8 milliards en obligations. Aux États-Unis (1900) les sociétés par actions fournissent 89,5 p. 100 du produit total de l'industrie; la proportion s'élève même à 81,4 p. 100 dans l'industrie chimique, à 89,9 p. 100 dans celle du coton, et 93,6 p. 100 dans celle du fer et de l'acier.

L'industrie, à mesure qu'elle grandit, devient une propriété impersonnelle, monnayée sous forme de titres mobiliers. A ce degré, elle subit de plus en plus la domination de la haute finance. Les grandes entreprises ne peuvent plus se passer du concours des maisons de banque, soit pour l'émission de leurs titres, soit pour des avances et des commandites. L'influence de la finance sur l'industrie est surtout sensible à l'égard des trusts et des cartels, qui sont formés et cré dités par la haute banque.

Il résulte aussi de la centralisation industrielle et commerciale que la proportion des patrons indépendants diminue vis-à-vis du nombre sans cesse grossissant des salariés. La diminution est particulièrement rapide en Allemagne de 35 p. 100 en 1882, la proportion des entrepreneurs d'industrie et de commerce (en comptant parmi eux les chefs d'ateliers à domicile, et parmi les salariés les ouvriers à domicile isolés) est tombée à 26 p. 100 en 1895; si l'on met de côté les travailleurs isolés, la proportion tombe d'une époque à l'autre de 17,3 à 12,3 p. 100 dans l'industrie, et de 26,3 à 22,9 p. 100 dans le commerce. En Belgique, dans l'industrie, la chute est moins rapide, parce que le développement industriel y est plus ancien; néanmoins, au lieu d'une proportion de 1 patron pour 1,8 ouvrier en 1846, on n'y trouve plus en 1896 que 1 patron pour 3 ouvriers. Même proportion à la même époque dans l'industrie française, tandis que le commerce compte un peu plus de patrons que de salariés.

En même temps que diminue le nombre des entrepreneurs relativement aux salariés, le capital des entreprises, principalement le capital fixe, augmente plus vite que le personnel salarié. L'évolution industrielle a donc pour conséquence d'amoindrir l'importance relative des facteurs personnels à l'égard des facteurs matériels dans le procès de production.

La cause du mouvement universel de concentration capitaliste est bien connue; c'est la supériorité des grandes entreprises dans la concurrence qui le provoque, avec la force irrésistible d'une loi naturelle.

Considérons l'industrie. Une grande entreprise, disposant de larges capitaux, peut se procurer les meilleures machines, et tenir sans cesse son outillage à hauteur des inventions les plus récentes; elle achète les brevets pour l'exploitation des procédés les plus perfectionnés elle attire les directeurs et ingénieurs les plus capables, les ouvriers les plus habiles et les plus laborieux par des salaires plus élevés et des journées plus courtes. Dans les ateliers, le travail est organisé de manière à donner la plus grande production aux moindres frais: spécialisation extrême des tâches, application des ouvriers saperieurs à certains travaux délicats, qui permettent de donner ensuite la besogne courante à des ouvriers ordinaires recevant un salaire réduit, utilisation complète et continue des machines, traitement industriel des déchets et des sons-produits par quantités suffisantes. De toutes manières, le grand établissement réalise des économies: sur la main-d'oeuvre, moins coûteuse malgré les hauts salaires de certains ouvriers; sur les matières, utilisées sans déperdition sur le machinisme, d'autant moins onéreux par unité de force qu'il est plus puissant; sur les frais généraux, d'autant moins élevés par unité de produit que l'entreprise est plus considérable. Par la supériorité de son organisation du travail, le grand établissement procède avec plus de rapidité et de simplicité dans l'exécution, et obtient une plus grande homogénéité des produits; il peut ainsi fournir des livraisons régulières, ponctuelles et uniformes aux prix les plus bas, et renouveler promptement ses assortiments; il est capable d'exécuter les commandes les plus considérables et les plus pressées, et d'entreprendre les travaux de construction les plus gigantesques.

Ces avantages au point de vue technique de la production ne sont pas les seuls; dans la partie commerciale de sa tâche, le grand entrepreneur n'est pas moins favorisé. Qu'il s'agisse d'achats de matières premières ou de matériel, qu'il s'agisse de transports ou même d'obligations fiscales, les conditions sont généralement meilleures pour celui qui opère par grandes masses. Au point de vue de la vente, les grandes maisons peuvent se charger des plus vastes commandes, et organiser elles-mêmes l'exportation; elles ont le moyen de se passer des intermédiaires onéreux. L'étendue de leur capital et l'élasticité de leur crédit leur permettent de profiter des occasions favorables pour leurs approvisionnements, d'attendre un relèvement des cours pour l'écoulement de leurs marchandises, et de surmonter les crises qui écrasent les faibles. Leur capital, circulant plus vite, est aussi plus productif. Le crédit leur est facile, et l'escompte largement ouvert au taux le plus bas. Grâce à l'ampleur de leurs transactions, elles peuvent aussi se contenter d'un moindre profit sur chaque marchandise. Pour toutes ces raisons d'ordre industriel et commércial, les grandes entreprises peuvent vendre moins cher et réaliser des bénéffices plus élevés; elles l'emportent naturellement dans la concurrence, et survivent quand les autres succombent.

Dans le commerce de détail, les avantages de la concentration sont, pour la plupart, de même nature que dans l'industrie et les transports économises sur les frais généraux, conditions favorables pour les achats, ampleur et bon marché du crédit, circulation rapide du capital, etc. Les grands magasins peuvent éliminer un grand nombre d'intermédiaires coûteux, et se rendre indépendants des négociants en gros; ils dictent leurs conditions aux fabricants, qu'ils se subordonnent par des participations, des avances et des contrats à livrer. Ils attirent la clientèle par l'étendue, la variété, la fraîcheur de leurs approvisionnements sans cesse renouvelés, par les facilités qu'ils donnent à l'acheteur d'exercer son choix, de faire rapidement des achats multiples et de s'en dégager dès qu'il le désire.

Quant aux grandes banques par actions, leur supériorité ne vient pas de la modicité relative de leurs frais; mais l'importance des capitaux dont elles disposent leur permet d'abaisser le taux de l'escompte au profit de leurs meilleurs clients, sans avoir à se préoccuper d'un réescompte onéreux, dont les petites banques sont toujours obligées au contraire de tenir compte à l'avance; par-dessus tout, la puissance du crédit attaché à leur signature et l'étendue de leur sphère d'action leur assurent la prééminence. C'est en effet par leur rayonnement sur tout le territoire d'un grand pays qu'elles peuvent drainer partout les capitaux flottants, pour les porter sur les points où ils sont le plus nécessaires, et par conséquent le plus lucratifs; c'est par la multiplicité de leurs comptoirs qu'elles peuvent attirer une immense clientèle et répandre dans le public les titres qu'elles se chargent de placer fructueusement. En particulier, les banques qui émettent des valeurs industrielles doivent avoir un capital-actions considérable, pour entreprendre les grandes affaires et diviser les risques en créant des entreprises multiples et variées.

L'analyse qui vient d'être présentée montre suffisamment que les avantages de la concentration ne sont pas toujours attachés à la dimension de l'établissement, mais qu'ils le sont plutôt à la dimension de l'entreprise. La distinction est essentielle, car une entreprise peut réunir sous une même direction industrielle et commerciale plusieurs établissements distincts et éloignés. II y a des limites qu'un établissement ne peut dépasser dans sa croissance sans une lourde surcharge des frais généraux, et sans une aggravation périlleuse des difficultés de surveillance et de direction; il n'y a pas de limite, semble-t-il, à l'extension des entreprises. Une entreprise trouve donc avantage, dans certaines circonstances, à s'étendre par multiplication de ses établissements, agences ou succursales, plutôt que par agrandissement d'un siège unique. Nous en avons déjà cité quelques exemples; nous le verrons mieux encore en étudiant les trusts.