Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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de production, y compris le sol. Mais, parvenu à ce point décisif, il s'arrête, et refuse de plonger plus loin son regard dans l'avenir,
de production, y compris le sol. Mais, parvenu à ce point décisif, il s'arrête, et refuse de plonger plus loin son regard dans l'avenir,
dédaignant "de formuler des recettes pour les marmites de
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Est-ce faiblesse, impuissance, prudence ou timidité? Rien de tout
Est-ce faiblesse, impuissance, prudence ou timidité? Rien de tout

Version du 4 avril 2008 à 20:02

Livre 1. Le collectivisme pur et son régime de la valeur

Chapitre 1. Les plans de société collectiviste

Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants : tous les moyens de production, de circulation et d'échange appartiennent à la communauté nationale et sont exploités sous sa direction; tous les travaux et produits ont une valeur taxée en unités de travail suivant la quantité de travail dépensée, de telle sorte que les travailleurs peuvent acquérir les produits en proportion de leurs travaux sans prélèvements capitalistes.

Ce vaste système d'organisation socialiste a été présenté et développé par différents écrivains. Toutefois, ce n'est ni dans les écrits des maîtres du socialisme contemporain, ni dans ceux de leurs disciples immédiats qu'on le trouve exposé; il faut, nous le verrons plus tard, procéder à un examen attentif des écrits de Karl Marx et d'Engels pour le faire sortir des formules où il s'enveloppe.

Karl Marx s'est toujours abstenu de décrire la société future. Dans le Capital, il développe sa théorie de la valeur et de la plus-value, pour fonder sur elle la critique d'un régime dans lequel le travail salarié fournit gratuitement la plus-value capitaliste. Il s'étend sur les vices et les abus de l'exploitation capitaliste. Il expose l'évolution historique des modes de production, pour montrer qu'elle doit fatalement aboutir à l'expropriation des détenteurs du capital, à la possession commune et à l'exploitation sociale de tous les moyens de production, y compris le sol. Mais, parvenu à ce point décisif, il s'arrête, et refuse de plonger plus loin son regard dans l'avenir, dédaignant "de formuler des recettes pour les marmites de l'avenir".

Est-ce faiblesse, impuissance, prudence ou timidité? Rien de tout cela, au dire des disciples. La réserve du Maître, qu'ils ont longtemps observée eux-mêmes, s'explique par des raisons doctrinales. Si le régime collectiviste était, comme le phalanstère de Fourier ou l'Icarie de Cabet, une conception artificielle issue du cerveau d'un réformateur, un système fabriqué de toutes pièces auquel la société dût s'adapter par un acte de sa volonté réfléchie, il serait certes nécessaire de tracer et de développer le plan de la cité future, pour permettre au législateur de construire la société conformément au modèle proposé. Mais tel n'est pas le sens du socialisme scientifique contemporain, bien différent en cela du socialisme utopique qui l'a précédé. La forme sociale caractérisée par la possession commune des moyens de production n'est pas présentée comme une construction idéale et arbitraire c'est un régime qui a ses racines profondes dans la réalité, dans la vie sociale contemporaine, et qui doit, par le jeu de forces immanentes, sortir des entrailles du régime capitaliste pour se substituer à lui. De même que la propriété privée du petit producteur indépendant, cédant aux exigences d'une production grandissante qui réclamait des moyens toujours plus puissants, a dû s'effacer devant la propriété capitaliste fondée sur l'exploitation du travail d'autrui, de même la propriété capitaliste doit nécessairement à son tour se transformer en propriété sociale, par l'effet de la concentration croissante des capitaux et des contradictions inhérentes au régime capitaliste. Conformément à la doctrine hégélienne, le mouvement dialectique du monde réel s'effectue par la lutte des contraires, par le conflit entre le caractère social du mode de production et le caractère privé du mode d'appropriation, entre l'organisation systématique du travail à l'intérieur de chaque atelier et l'anarchie de la production au sein de la société, entre la capacité d'expansion de la production et la capacité plus restreinte du marché.

Ce sont donc, pour employer le langage de l'école, les conditions matérielles déjà existantes ou en train de se constituer qui élaborent elles-mêmes une forme sociale nouvelle. Dès lors, dit M. Gabriel Deville, il faut se borner à étudier ces conditions et à bien les connaître pour s'y adapter, sans "perdre son temps à régler les détails de l'organisation de la société future. A chaque époque sa tâche; n'ayons pas la présomption de réglementer l'avenir, et contentons-nous de nous occuper du présent".

Morne fatalisme chez Liebknecht. Dans un long article de Cosmopolis dont le titre, L'Etat de l'avenir, ménage au lecteur une grosse déception, il se déclare incapable de présenter une description de la société future. Il se retranche derrière notre impuissance à prévoir ce que la minute prochaine nous apportera, et à discerner même, dans l'incessant écoulement des choses, la limite du présent et de l'avenir. Ces questions indiscrètes sur l'état futur lui paraissent de véritables jeux d'enfants. L'essentiel est d'écarter les obstacles; les formes nouvelles croissent organiquement, par la force même de la vie qui anime la société.

M. Vandervelde, invité en 1893, par un journal de Bruxelles, à décrire les rouages de la société collectiviste, refuse à son tour de se placer sur ce terrain, parce que les socialistes positivistes ne sont pas des architectes sociaux voulant reconstruire la société du jour au lendemain sur des plans nouveaux. Il se borne donc à une esquisse tellement vague, qu'on ne peut parvenir à en saisir les lignes.

M. Jules Guesde observe la même attitude en 1896 à la tribune de la Chambre des députés « Cette période (des utopies socialistes) est loin, heureusement! Les socialistes d'aujourd'hui se sont mis à l'école des faits; ils ne prophétisent pas, ils observent et concluent. M. de Mun. nous a sommés de le, transporter au sein du futur état de choses, et de faire fonctionner sous ses yeux la répartition du travail dans cette société de copropriétaires. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction, ni mes amis non plus. Les ouvriers n'en demandent pas autant. Nous nous bornons à constater que les produits du travail n'appartiendront, sans prélèvement, aux travailleurs, qu'autant qu'ils auront cessé d'être des prolétaires pour devenir des copropriétaires des moyens de production ».

Pour M. Kautsky, les constructions concernant "l'État de l'avenir" sont inutiles, parce que la transformation de l'État en une grande association économique se suffisant à elle-même n'est pas seulement quelque chose de désirable, mais d'inévitable. Les penseurs peuvent bien, dans une certaine mesure, reconnaître la direction du mouvement économique, mais non le déterminer à leur gré, ni prévoir avec précision les formes qu'il prendra. Il est donc ridicule d'exiger des socialistes qu'ils décrivent le plan de la société future et les mesures de transition. Les social-démocrates doivent écarter les fantaisies reposant sur des hypothèses, et se contenter de rechercher la direction que prendra le développement économique lorsqu'il sera placé sur une base socialiste.

Les divers congrès socialistes se sont eux-mêmes strictement renfermés dans la formule de Marx. Le programme d'Erfurt, qui est celui de la socialdémocratie allemande depuis 1891, ne porte rien de plus. « C'est seulement par la conversion de la propriété privée capitaliste des moyens de production – terre, mines, matières, instruments, machines, moyens de transport en propriété sociale, et par la transformation de la production marchande en production socialiste exercée par la société pour elle-même, que la grande exploitation et la productivité toujours croissante du travail social cesseront d'être, pour les classes jusqu'ici exploitées, une source de misère et d'oppression, pour devenir une source de souverain bien et de perfectionnement harmonieux en tout sens. » Le Congrès de Hanovre, en octobre 1899, sur la proposition de M. Bebel, s'est encore borné à mentionner dans ses résolutions la socialisation des moyens de production et l'établissement du mode de production et d'échange socialiste, sans fournir aucune indication sur ce mode de production et d'échange.

Il était pourtant difficile au parti socialiste de se maintenir rigoureusement dans cette posture dédaigneuse et énigmatique. La propriété collective des moyens de production ne peut être conçue indépendamment d'un certain mode de production et d'échange, d'un certain système de la valeur; parler de propriété collective sans indiquer, au moins dans ses traits essentiels, l'organisation sociale qu'elle implique, c'est en dire trop ou trop peu, c'est se dérober devant une explication dont on est comptable, par cela seul qu'on a prophétisé la socialisation des moyens de production.

Au reste, rien, dans la pure doctrine marxiste, n'interdit aux adeptes de faire des pronostics sur le régime de la propriété socialisée. Loin de là, Marx a dit lui-même, dans la préface du Capital, que si la société ne peut dépasser d'un saut ni abolir par décrets les phases de son développement naturel, elle peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement. Pour agir en ce sens, il n'est pas inutile que la société ait conscience de son but.

Le silence ne pouvait donc être qu'un calcul de tactique. Or, refuser indéfiniment toute satisfaction à de vaines curiosités, c'était assurément faire le jeu d'adversaires empressés à montrer le néant d'une doctrine incapable de s'affirmer dans sa partie positive. Si les formes sociales nouvelles sortent des anciennes par un développement organique, il doit être possible, lorsque l'élaboration est suffisamment avancée, de prévoir les modes dont la formation est en voie de s'accomplir. Se soustraire aux questions, n'est-ce pas avouer implicitement qu'on est trop loin du but de l'évolution pour l'apercevoir ? Se taire était d'autant plus périlleux que, derrière le penseur, un autre homme est là qui se dresse, pressant et menaçant, « avec des mains noires et des yeux ardents". Celui-là n'admet pas, pour la réalisation de ses espérances, une assignation à quelques siècles; il veut, lui aussi, entrevoir la terre promise, soulever le voile qui recouvre cet avenir socialiste si mystérieux et si troublant; cet homme-là, on ne peut l'éconduire comme un adversaire indiscret.

En vain disait-on que la Révolution française s'était faite sans que les hommes du XVIIIème siècle eussent pu prédire les formes politiques et sociales de la société nouvelle, ni prévoir les grandes transformations économiques qui devaient résulter de la domination du Tiers État, du capitalisme et de la guerre des classes. S'il est une vérité banale aujourd'hui, c'est que la Révolution était faite dans les esprits avant de s'accomplir dans les faits. Quand elle éclata, dit Louis Blanc dans son Introduction à l'"Organisation du travail" chacun en aurait pu dresser le programme. Effectivement, ce programme tenait tout entier dans la littérature du siècle et dans les cahiers de 89.

Certes, les hommes de la Révolution n'avaient pu prévoir les transformations sociales qui se sont opérées au cours du XIXème siècle, sous l'action du progrès scientifique déterminant l'expansion de la production capitaliste. Mais on ne demande pas non plus aux socialistes contemporains de prédire les déplacements de forces que le cours naturel des choses amènera au sein de l'appareil organisé qui doit constituer la société collectiviste. On leur demande seulement de décrire la structure de cet appareil et son fonctionnement, non sans doute dans ses multiples détails, mais dans ses pièces maîtresses. Tâche singulièrement plus difficile, à vrai dire, que celle des hommes qui préparèrent et accomplirent la Révolution de 1789; car ceux-là, visant surtout l'abolition des privilèges, des règlements restrictifs, des charges féodales, pouvaient concevoir à l'avance un plan de société conforme à « l'ordre naturel et essentiel des sociétés. humaines », comme disaient les Physiocrates; conservant les organes essentiels du corps social, ils se proposaient seulement de les délivrer de leurs entraves artificielles pour assurer le libre jeu des forces individuelles, tandis que nos modernes socialistes ont à dessiner un plan de société dans lequel ces organes abolis doivent être remplacer par un mécanisme tout nouveau.

Quoi qu'il en soit de ces difficultés, l'heure était venue où il n'était plus permis de se dérober; il fallait se découvrir. « A ceux qui nous demandent que serons-nous demain? nous devons une réponse " écrit M. Jaurès en 1895.

Les premiers essais sur le mode collectiviste remontent à une époque déjà éloignée. Le plus savant et le moins connu en France est celui de Rodbertus, le Ricardo du socialisme, le maître de Lassalle et le précurseur de Karl Marx. Dès 1842, dans une oeuvre d'un caractère purement abstrait, il avait exposé la théorie de la valeur fondée sur le travail, et montré son application dans une société hypothétique où il n'y aurait ni propriété, ni capital privé donnant des revenus; où l'État, seul propriétaire du capital social, administrerait toute la production, et où les travailleurs retireraient des magasins publics leur part du produit social au moyen de simples billets portant la valeur créée par leur travail. Il entreprenait cette étude « non pas pour opposer à l'état actuel un état meilleur, mais pour apprendre à mieux connaître l'un près de l'autre ». Il reprit encore par deux fois cet essai, pour donner une analyse plus profonde de l'unité de valeur représentée par l'heure de travail normal, principalement dans sa 4° Lettre sociale à von Kirchmann composée en 1852 et publiée dix ans après sa mort, en 1885, sous le titre Das Kapital. L'état qu'il décrit se distingue nettement du pur communisme par la propriété individuelle du travailleur sur la valeur entière de son produit, c'est-à-dire sur les objets de consommation qu'il acquiert dans la mesure de cette valeur. C'est donc le véritable collectivisme, dans le sens le plus rigoureux et le plus complet. Rodbertus en concevait d'ailleurs la réalisation dans un avenir très éloigné

La même année 1842, un autre Allemand, Wilhem Weitling, traçait le plan d'une société mi-partie communiste, mi-partie collectiviste, dont M. Antoine Menger a donné une courte analyse.

L'exposé le plus connu du collectivisme pur est celui de Schoefue, ancien ministre autrichien, dans un petit livre intitulé La quintessence du socialisme qui fut publié pour la première fois en 1874. Schoeffte n'est pas un collectiviste; partant des données fondamentales du socialisme pour en déduire scientifiquement les conséquences, il se propose seulement d'éclairer les adversaires sur les points ou leurs réfutations habituelles portent à faux, et les partisans sur les lacunes de leurs théories.

Avec moins d'autorité et plus de fantaisie, un Américain, M. Bellamy, dans un roman célèbre publié en 1858 avait fait vivre la société de l'an 2000 organisée suivant les mêmes principes. William Morris composait aussi vers cette époque un roman du même genre, dont on ne peut tirer aucune indication sur l'organisation interne de la société nouvelle. Enfin M. Bebel, dans son livre sur La Femme édité pour la première fois en 1883, avait consacré tout un chapitre à la Socialisation de la société, mais sans nous renseigner encore d'une façon bien précise.

La littérature socialiste, encore insuffisante dans sa partie positive, s'est enrichie depuis lors; mais les plans d'organisation récemment présentés s'écartent tous plus ou moins du type collectiviste ordinaire, et cherchent à le corriger sur ses points les plus faibles. Dans son étude sur l'Organisation socialiste, publiée en 1895, M. Jaurès nous présente le collectivisme comme une forme destinée a succéder immédiatement à l'ordre capitaliste, mais appelée elle-même à évoluer sans secousse vers le communisme libertaire. Il reste fidèle au principe de la valeur taxée en temps de travail; mais il tempère le collectivisme en donnant une certaine autonomie aux groupes de producteurs, et s'efforce d'intéressser les travailleurs aux progrès de la production en modifiant les bases de l'unité de valeur.

M. Georges Renard, en 1897, dans son Régime socialiste, altère plus profondément le type consacré du collectivisme en y introduisant, dans une certaine mesure, le jeu de l'offre et de la demande. sans renoncer cependant aux bons de travail comme intermédiaires d'échange. Il tend, comme M. Jaurès, à élargir et assouplir le collectivisme en le pénétrant de justice et de fraternité, et surtout en y mettant plus de liberté, conformément à la véritable tradition française, si hostile au fond à la conception matérialiste et autoritaire du socialisme allemand.

En 1896 et 1899, deux socialistes, l'un Américain, M.-Gronlund, l'autre Suisse, M. Sulzer, ont été plus loin encore dans la voie des déformations; ils ont généralisé l'application de l'offre et de la demande dans le collectivisme. Pour cette raison, et bien qu'ils excluent encore la monnaie métallique, leurs systèmes, comme celui de M. Georges Renard, ne figureront pas dans cette étude du pur collectivisme, et seront examinés au livre suivant.

Chapitre 2. Esquisse du système collectiviste et définition de son unité de valeur.

La société collectiviste suppose une organisation méthodique de la production nationale, qui s'exerce sur les agents naturels et les capitaux productifs socialisés. L'autorité publique, éclairée par des statistiques sur les besoins de la consommation, dirige et réglemente toute la production, le transport, l'emmagasinage et le débit des produits. Elle rétribue les travailleurs en unités de valeur sociale, d'après le temps de travail de qualité moyenne qu'ils ont consacré à la production; elle tarife de même les produits d'après le temps de travail moyen qu'ils ont coûté. Les travailleurs peuvent donc se procurer les produits aux magasins publics en échange des bons de travail ou certificats d'unités de valeur qu'ils ont acquis par leur travail. La rétribution du travail étant égale à la valeur du produit – sauf une certaine déduction pour les besoins collectifs, les divers prélèvements opérés aujourd'hui au profit du capital privé sous les noms d'intérêts, dividendes, loyers ou fermages disparaissent d'une façon absolue. Plus de profits ni de salaires; la distinction entre capitalistes et salariés s'évanouit. Plus d'échanges individuels ni de commerce privé; en dehors des objets débités par les entrepôts publics, il ne peut y avoir aucune vente de marchandises entre particuliers. Plus de monnaie au sens actuel du mot, métallique ou fiduciaire. La banque, la Bourse, la spéculation, le crédit, la dette publique, l'assurance par capitalisation, disparaissent avec l'intérêt du capital et les échanges. La concurrence anarchique entre producteurs est abolie; avec elles cessent les crises, les chômages, les phénomènes de surproduction, l'excès de population et le paupérisme; la société est une vaste unité économique, consciemment organisée et dirigée, au sein de laquelle tous les citoyens trouvent l'emploi de leurs forces. L'exploitation de l'homme par l'homme prend fin, et le travailleur obtient, en équivalents, le produit intégral de son travail, diminué seulement de la part nécessaire à la collectivité pour subvenir aux charges publiques et accroître le capital social. Le but du collectivisme est donc l'échange direct des travaux contre les produits, suivant un système de valeur en unités de travail qui aboutit, par la suppression totale de la plus-value capitaliste, à une répartition des richesses conforme au principe A chacun suivant son travail. Le régime suppose par conséquent que nul ne peut prêter à intérêt le fruit de ses épargnes, bons de travail ou richesses de consommation, ni faire acte de commerce en vendant ces richesses à un tiers. De tels actes sont rigoureusement interdits, et l'autorité publique doit savoir discerner ceux qui se dissimulent sous la forme d'une libéralité permise. Je me propose d'étudier ici l'unité de valeur collectiviste qui sert de base à la taxation des travaux et des produits, pour suivre les applications et les conséquences de ce mode de la valeur dans l'ordre économique. Il semble que la critique, ainsi limitée, soit incomplète. Toutefois, il n'est guère d'objet qui ne se rattache en quelque manière au régime de la valeur; tout l'ensemble de l'organisation peut être contrôlé en partant de ce principe. L'unité de valeur est le point central et la clef de voûte de tout le système; sur elle se sont portés les efforts des théoriciens du socialisme; sur elle aussi doit se concentrer l'attention de la critique. La substance de la valeur, c'est le travail, et la mesure de la valeur, c'est la durée du travail. Tel est le principe qui, issu de l'économie anglaise, recueilli par tous les socialistes modernes, et formulé par Karl Marx pour l'interprétation des phénomènes actuels doit aboutir, dans une société où le capital est collectif, à la rémunération du travailleur suivant le travail qu'il a fourni. « La valeur peut être constituée d'après la somme du travail immédiat et médiat que coûte le produit », dit Rodbertus, de telle sorte que le travail soit la mesure de ce qui revient à chaque producteur dans le revenu social'. « Le temps nécessaire pour produire un objet, dit M. Bebel, est la seule mesure à laquelle celui-ci doive être évalue en tant que 'valeur usuelle sociale. » En supposant donc, avec Schoeme, que 2 milliards 400 millions d'heures de travail soient nécessaires pour produire la somme totale des richesses dont une société a besoin pendant une année, un même nombre d'unités nominales de valeur devraient être délivrées aux travailleurs en bons de travail, afin que ces mêmes travailleurs pussent acheter aux magasins publics le produit total du travail collectif valant également 2 400 000 000 d'heures de travail. Sans pousser à fond l'analyse, il est aisé de voir que la notion de valeur se trouve ainsi transformée dans son essence. Jusqu'ici, en dépit des théories de Karl Marx, les sociétés humaines n'ont connu, sous le nom de valeur, que des rapports d'échange entre deux marchandises; une marchandise n'a pas une valeur en soi, comme elle a une longueur et un poids, elle a une valeur par rapport à la monnaie, par rapport au blé, au charbon, à la laine, etc. Dans l'ordre collectiviste, au contraire, la valeur, étant la quantité de travail incorporée dans un objet, devient une substance propre, une qualité intrinsèque du produit, qui lui appartient en dehors de toute relation d'échange avec les autres produits du travail. La valeur ainsi conçue se mesure en unités formées par l'heure de travail humain, comme la chaleur se mesure en thermies produites par l'unité de travail mécanique. Les bons de travail qui représentent ces unités sont des moyens de liquidation permettant au travailleur de prendre, dans le revenu social, une part égale à la valeur qu'il a créée par son travail. Le travail s'échange désormais contre les produits au moyen de certificats de valeur, qui peuvent être des billets de papier ou même des jetons d'or, mais qui ne sont en aucune façon une monnaie-marchandise comme la monnaie actuelle. Notre monnaie d'or tire de sa matière une valeur d'échange vis-à-vis des marchandises, valeur propre, variable sur le marché libre comme celle de toute autre marchandise et les autres monnaies, espèces d'argent, billon, billets de banque, et même papier-monnaie inconvertible en espèces, empruntent à la monnaie d'or, par la force de l'équivalence légale (ou de la convertibilité s'il s'agit de billets), tout ou partie, suivant les circonstances, de la valeur de cette monnaie d'or; leur valeur est donc de même nature que la sienne, une valeur d'échange de marchandise vis-à-vis d'autres marchandises, soumise aux fluctuations de l'offre et de la demande. Les bons de travail, au contraire, quelle que soit leur matière, sont de simples signes, des symboles d'une quantité fixe de valeur formée par le travail et déterminée par l'autorité publique. C'est une monnaie parfaite, dit Rodbertus, donnant la mesure absolue de la valeur, et offrant une sécurité absolue, puisqu'elle n'est émise que si la valeur qu'elle exprime existe réellement. Elle ne porte pas en elle-même son gage, comme la monnaie métallique actuelle; elle n'est pas non plus dépourvue de gage, comme la plupart des billets de banque et des papiers de crédit; "c'est un genre de monnaie qui, sans valeur en elle même, est cependant toujours hypothéquée sur une valeur réelle existante. » Les signes ou certificats ne sont même pas nécessaires; il suffit que les unités de valeur soient inscrites sur les livres de la comptabilité publique au débit et au crédit de chacun, à l'occasion de ses travaux et de ses achats. Il est évident que le système exige, pour son fonctionnement régulier, une rigoureuse égalité toujours observée entre deux sommes d'unités de valeur; la balance doit être toujours égale entre la taxe des travaux et celle des produits, et les bons délivrés aux travailleurs doivent être annulés dès qu'ils sont reçus en paiement d'un produit ou d'un service fourni par l'Administration. Théoriquement, cette égalité peut être obtenue, puisque c'est une seule et même autorité qui évalue travaux et produits et qui débite les objets de consommation. Et il est de toute nécessité que cette égalité théorique soit obtenue effectivement. Quelles que puissent être les difficultés d'une immense comptabilité, quelles que soient les complications résultant des fraudes, des pertes et détériorations, des bons non présentés et tenus en réserve, des échanges avec l'étranger, des amortissements prolongés, des travaux qui ne se matérialisent pas dans un produit, et de mille autres causes qui apparaîtront dans la suite, il est indispensable que l'équilibre des bons soit maintenu. S'il venait à se rompre, toute la machine se détraquerait; les hommes périraient de faim, de froid et de misère, avec les poches vides devant des magasins regorgeant de marchandises, ou plus souvent avec les poches pleines de chiffons de papier sans valeur devant des greniers vides. La valeur se fixe donc suivant la durée du travail, qui sert de commune mesure pour la tarification des travaux et des produits en unités semblables. D'où il semble que l'on puisse tirer cette double règle : tout produit vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a coûtées; tout producteur reçoit un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a fournies. Une table en bois blanc a coûté, par exemple, vingt heures de travail une heure pour le travail du bûcheron, trois quarts d'heure pour le transport du bois, dix-huit heures pour le travail du menuisier, et un quart d'heure, dans la mesure de l'usure, pour la confection et l'entretien des instruments employés aux différentes phases de la production car la société doit couvrir intégralement les frais d'amortissement du matériel fixe et les frais de transport, par des attributions de valeur suivies de prélèvements sur les différents objets fabriqués ou transportés. Cette table sera donc cotée vingt bons d'une heure, et ces bons seront répartis entre les différents travailleurs, bûcheron, voiturier, menuisier, etc., suivant la part qu'ils auront prise à l'oeuvre commune. Représentons-nous, sur cette donnée particulière, la répartition du produit social dans son ensemble. La société garde naturellement pour elle les moyens de production, instruments et matières, qu'elle a jugé utile de créer dans l'année pour remplacer ceux qui ont été usés on consommés; elle garde aussi, sans doute, la propriété des. maisons d'habitation. Seuls, les objets mobiliers de consommation et de jouissance sont destinés à l'appropriation particulière. Une partie de cet approvisionnement de consommation échappe aux producteurs d'objets de ce genre c'est la partie représentée par les bons que prélève la société pour couvrir le prix des matières, l'amortissement de l'outillage et les frais de transport. Elle sert à la consommation des producteurs de moyens de production et des transporteurs, qui l'acquièrent dans la mesure de leur travail au moyen des bons que la société a prélevés à ces divers titres pour les leur allouer. La double de taxation des travaux et des produits suivant la durée du travail fourni paraît devoir s'appliquer avec une rigoureuse précision. Il s'en faut cependant qu'on puisse l'observer dans sa simplicité élémentaire. Une première dérogation s'impose, de l'aveu de tous les socialistes

sans exception, en raison des besoins de la collectivité. La société

doit, non seulement reconstituer les moyens de production usés ou -consommés, mais accroître le capital collectif; il lui faut, en outre, pourvoir aux charges publiques de sécurité, de salubrité, d'éducation, d'administration économique, et à l'entretien de tous les citoyens qui ne peuvent travailler; pour y faire face, elle a besoin de ressources prises sur le revenu social. Il ne s'agit pas là, paraît-il, -d'un impôt; mais il s'agit bien de prélèvements qui, à la différence de l'amortissement et des frais de transport, ne correspondent à aucune addition de valeur, et qui viennent par conséquent restreindre la part des travailleurs. Si ce prélèvement social doit s'élever au tiers de là production tout entière, la rétribution de chaque travailleur subira une réduction d'un tiers, et notre menuisier, par -exemple, pour 18 heures de travail, ne recevra que 12 bons, les 6 autres revenant à la collectivité. Il ne reçoit pas intégralement l'équivalent de son travail, et ne profite du prélèvement qu'à titre de membre du corps social. Les socialistes sont encore unanimes pour interpréter d'une façon conditionnelle la règle que le travail est rétribué selon sa durée. La quantité de travail fournie par le producteur individuel ne s'apprécie pas seulement d'après sa durée; l'heure de travail d'un ouvrier négligent ou incapable ne représente pas une même quantité de travail que celle d'un ouvrier habile et laborieux. Il faut donc établir une moyenne sociale et tenir compte, dans la taxation, de l'intensité et de l'habileté du travail, qui s'apprécient d'après le résultat. On prendra comme base le produit que donne, en une heure, un travail d'intensité et d'habileté moyennes dans un milieu social donné, et l'unité de mesure sera l'heure de travail social de productivité moyenne dans chaque genre de travail. Si l'on a pu constater qu'un travailleur moyen fabrique en une heure un sabot convenablement creusé et arrondi, l'agent préposé à la taxation délivrera deux bons à l'ouvrier qui lui apportera une paire de sabots bien faits, et deux tiers de bon seulement au compagnon qui lui présentera un seul sabot mal dégrossi. Peu importe que les deux sabotiers aient travaillé exactement une heure l'un comme l'autre; leur rétribution se calcule suivant la quantité de travail moyen contenue dans le produit. Pour des travaux de même nature, on saura donc graduer les allocations suivant la qualité du travail. Mais pour des travaux de nature différente, il n'en est plus de même. La question soulève des difficultés particulières, qui seront traitées ultérieurement; aussi devons-nous considérer provisoirement toutes les heures de travail comme équivalentes, quel que soit le genre de travail. Pour des travaux de même catégorie, le calcul de l'unité moyenne présente encore une difficulté. La productivité du travail, dans un même espace de temps, dépend bien plus encore de la qualité des agents matériels et des instruments employés que de la qualité du travail lui-même. Un travail d'égale durée et d'égale intensité donnera peut-être 8 hectolitres de blé par hectare en Sologne, et 40 hectolitres sur une terre de Flandre convenablement fumée; un fileur obtiendra une quantité de fils très différente suivant qu'il travaillera sur un rouet primitif ou sur un métier mécanique. II est évident que si la nation, seule propriétaire des terres, des mines et de tout le capital industriel, est aussi le seul entrepreneur d'agriculture, d'industrie, de transport, il ne saurait y avoir aucune différence dans la rétribution du travail à raison de l'inégalité des moyens de production. C'est l'Administration elle-même qui distribue aux groupes professionnels et aux individus les terres, les mines, les bâtiments, qui leur fournit les machines, les outils et les matières premières. Conçoit-on qu'un travailleur agricole reçoive cinq fois moins de bons qu'un autre, pour un travail aussi long et aussi pénible, parce qu'il n'aura pu produire que 8 hectolitres sur une terre ingrate, tandis que l'autre, comblé des faveurs administratives, installé sur un sol propre à la culture intensive, abondamment pourvu de bestiaux, de machines, d'engrais chimiques, de semences sélectionnées, aura pu fournir 40 hectolitres? Est-il juste que le gain d'un fileur de coton dépende de la perfection du métier qui lui a été assigné? Non, il n'est pas admissible, dans un système de production administrative, que la rémunération des travailleurs subisse des inégalités pour des causes extrinsèques, indépendantes du mérite de l'individu et subordonnées au bon plaisir des autorités publiques. Aussi M. Jaurès nous dit-il que les producteurs seront rémunérés selon la quantité de travail effectif individuellement fournie par eux. Quelles que soient la quantité et la qualité du charbon extrait d'une mine dans une journée de travail, le mineur recevra partout, que ce soit à Anzin, à Decazeville ou à Bessèges, une rémunération calculée sur le nombre d'heures de travail normalement employées à l'extraction « Il n'y aura donc entre les travailleurs aucune inégalité préalable résultant soit de l'outillage avec lequel ils travaillent, soit de la matière première sur laquelle ils travaillent. Et il en sera de la filature, du tissage, de la métallurgie, de la verrerie, comme de l'industrie extractive. » De là, une difficulté. Le travailleur doit être rétribué suivant la quantité de travail moyen que renferme son produit. Mais comment tenir compte de l'habileté et de l'intensité du travail, si l'on ne peut calculer la rémunération d'après le produit? Les socialistes ne prévoient pas la difficulté; il faut donc chercher la solution à leur place. Pour résoudre la question, il est nécessaire de distinguer, dans la productivité du travail, l'effet propre des facteurs matériels de la production. L'Administration devra donc, semble-t-il, déterminer préalablement le produit d'une heure de travail moyen sur chaque champ, sur chaque veine, dans chaque atelier industriel, eu égard a la nature du sol ou du sous-sol, à l'outillage et aux matières employées. Si cette estimation est exactement faite, il devient possible de discerner le rôle des facultés personnelles du travailleur dans la production; et de calculer sa rétribution d'après le temps de travail moyen qui est nécessaire pour établir le produit dans les conditions techniques données; la rente différentielIe n'entre pas dans la rémunération du travailleur. Ce mode de calcul entraînera généralement un désaccord entre la taxe du travail et celle du produit, par dérogation à la règle que tout objet vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a coûtées. II est impossible, en effet, que des articles de nature et qualité semblables aient plusieurs cotes différentes sur une certaine place, alors même qu'ils auraient coûté des sommes de travail très inégales. A l'entrepôt public, tout produit doit être tarifé non pas d'après le temps de travail d'intensité moyenne qu'il a coûté, mais d'après le temps de travail socialement nécessaire à sa production, suivant les conditions moyennes de productivité des agents naturels et instruments employés dans la branche d'industrie à laquelle il se rattache. Il faut appliquer ici la théorie du « travail normal de Rodbertus, et du « travail socialement nécessaire à la production » de Karl Marx. Si un sac de 100 kilos de charbon coûte une demi-heure de travail moyen à Anzin, une heure et demie à Decazeville, et une heure en moyenne sur l'ensemble de la production française de l'année, il sera payé un demi-bon au mineur d'Anzin, un bon et demi au mineur de Decazeville, mais il sera vendu un bon par les magasins publics. Car l'unité de valeur se fixe sur des données différentes pour le travail et pour le produit. S'agit-il de la taxe du travail? L'unité est le produit, dans la mine particulière où le travail est exécuté, d'une heure de travail d'intensité moyenne, de sorte que la moyenne sociale considérée ici est exclusivement celle de la qualité du travail; le mineur reçoit donc un bon et demi à Anzin pour une heure de travail, s'il a pu, par un effort exceptionnel, abattre 300 kilos de charbon en une heure. S'agit-il de la taxe du produit? L'unité est le produit d'une heure de travail de productivité moyenne appréciée sur l'ensemble de l'industrie minière, de sorte que la moyenne sociale considérée est à la fois celle de l'intensité du travail humain et celle de la productivité des agents matériels; le consommateur paie donc trois bons pour les 300 kilos de charbon d'Anzin. L'égalité du coût et du prix, des bons délivrés aux mineurs et des bons représentés par le charbon en magasin, l'égalité, rompue dans la plupart des cas individuels, ne se retrouvera que sur l'ensemble, si la comptabilité est bien tenue. Quand les conditions de la production viennent à changer dans le pays, par l'effet des circonstances atmosphériques, des progrès techniques ou de toute autre cause, les moyennes sociales de productivité du travail, qui servent de base à la taxation des produits, doivent être révisées. Mais pour que l'équilibre des taxes subsiste entre travaux et produits, il faut que l'ancien tarif continue à s'appliquer aux articles emmagasinés avant la révision. Ces produits doivent donc être écoulés dans la consommation avant les articles similaires qui portent le nouveau tarif. De même que les frais de production, les frais de transport, qui grèvent très inégalement, suivant la provenance, les différents sacs de blé emmagasinés dans un même grenier public, doivent être repartis également entre eux tous.. Tous les travailleurs ne fournissent pas des produits aux entrepôts publics; il en est, en très grand nombre, qui exécutent des travaux manuels sans créer un produit neuf, ou qui rendent des services de nature immatérielle. Parmi eux, certains fonctionnaires, comme les juges et les administrateurs, ne rendent de services qu'à l'État; ceux-là doivent être naturellement payés par l'État, au moyen des bons prélevés pour couvrir les charges publiques. Mais il est d'autres travailleurs de cette catégorie qui rendent des services aux particuliers. Pour rester fidèle au principe collectiviste, on ne doit pas permettre que leur rétribution soit fixée de gré à gré suivant l'offre et la demande; il faut que ces travailleurs relèvent de l'Administration comme tous les autres, et que leur rétribution soit établie, suivant la loi commune, d'après la durée de leur travail d'intensité moyenne. La règle est applicable très simplement à tous ceux qui sont employés dans un service public, matelots, employés de chemins de fer, etc.; ceux-là sont payés par l'Administration sur le produit des taxes acquittées par le public. La même règle peut aussi s'appliquer à ceux qui rendent aux particuliers des services directs : serviteurs attachés à la personne, coiffeurs, cochers, portefaix, blanchisseurs, ouvriers faisant les réparations locatives aux bâtiments, ou les menues réparations aux objets d'usage individuel; tous, semble-t-il, doivent être payés au tarif par l'Administration, qui reste chargée de percevoir le prix de leurs services. Quant aux professeurs libres, chanteurs, médecins, etc., on conçoit à la rigueur qu'ils subissent aussi l'application de cette règle égalitaire; mais certains écrivains collectivistes proposent de les traiter plutôt comme des fonctionnaires, et de les rétribuer sur les taxes publiques. Telle est la valeur dans l'ordre collectiviste. Sur cette base, le monde nouveau doit s'ordonner de lui-même. A côté du Gouvernement politique et de l'Administration préposée aux services publics déjà existants, s'organisera une Administration chargée de l'économie nationale; des organes anciens se transformeront, d'autres naîtront en foule et se développeront, conseils, directeurs, inspecteurs, préposés, employés aux écritures, tous alimentés par le suc nourricier des ressources publiques. Ils auront à commander et à surveiller toutes les opérations de culture, d'extraction, de fabrication, de transport et de débit nécessaires à la vie nationale. Ils recruteront et dirigeront tout le personnel de la production et des transports. Ils règleront le nombre des travailleurs dans les ateliers et leur distribueront les tâches, renvoyant ceux qui deviennent inutiles et les occupant ailleurs, suivant les variations des besoins et les capacités individuelles, sans jamais laisser chômer un seul travailleur. Ils procureront à chaque établissement les bâtiments,. machines et approvisionnements dont il aura besoin, feront exécuter les travaux d'art et d'amélioration agricole, veilleront à la conservation, à l'entretien et au renouvellement de l'outillage national. Ils dresseront exactement la statistique des consommations annuelles; assigneront à chaque établissement de production les quantités à fournir; détermineront les terres qui devront être cultivées en vignes, en pâturages, en bois, en céréales; prescriront les types et modèles à exécuter dans l'industrie. Ils administreront tout le service des transports par chemin de fer, tramways, le service du roulage, des déménagements, des transports maritimes à voile et à vapeur. Ils géreront tous les hôtels, cafés et restaurants publics, seuls autorisés dans un régime qui proscrit toute entreprise individuelle et tout bénéfice commercial. Ils tiendront les entrepôts et magasins généraux; ils pourvoiront à leur approvisionnement, de manière à satisfaire exactement les besoins des différentes localités; ils veilleront soigneusement à la conservation des produits, et les livreront au public. Ils installeront, pour les objets de consommation journalière, des lieux de débit rapprochés des consommateurs, boulangeries, épiceries, pâtisseries, pharmacies, papeteries, merceries, etc.; ils préposeront des fonctionnaires à la gestion de ces magasins de détail, et leur fourniront les articles à débiter. Ils mettront à la disposition du public les travailleurs qui rendent des services aux particuliers, médecins, cochers, coiffeurs, ouvriers faisant les réparations, etc. Ils construiront, entretiendront et géreront toutes les maisons d'habitation sur la surface du territoire, feront les baux, fixeront les loyers en bons de travail de manière à amortir le prix de la construction, et les percevront régulièrement. Ils calculeront le produit d'une heure de travail d'intensité moyenne dans chaque établissement de production, eu égard à son outillage et aux conditions naturelles où il se trouve, de manière à déterminer, pour chacun d'eux, l'unité sur laquelle s'y réglera la rétribution du travail; ils recevront les produits, en apprécieront la qualité, et fixeront en conséquence la rétribution due aux travailleurs. Ils délivreront les bons, après avoir prélevé les taxes destinées à subvenir aux besoins collectifs et à l'extension de la production nationale. Ils calculeront et réviseront la moyenne de productivité des agents naturels et instruments de production sur l'ensemble du pays pour chaque nature différente de produits, en divisant le total du produit par le total des heures de travail employées, afin de déterminer, dans chaque genre, le produit moyen d'une heure de travail, qui servira d'unité de valeur pour la taxe des articles à l'entrepôt public; ils feront la répartition des frais généraux et des frais de transport, et calculeront l'amortissement des capitaux fixes pour le faire entrer dans le prix des produits, des transports et des logements; enfin, après avoir établi le prix de revient, ils détermineront le tarif des articles en magasin.