Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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= Livre 1. Le collectivisme pur et son régime de la valeur =


== Chapitre 1. Les plans de société collectiviste ==
Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants :
tous les moyens de production, de circulation et d'échange appartiennent
à la communauté nationale et sont exploités sous sa direction;
tous les travaux et produits ont une valeur taxée en unités de
travail suivant la quantité de travail dépensée, de telle sorte que les
travailleurs peuvent acquérir les produits en proportion de leurs
travaux sans prélèvements capitalistes.
Ce vaste système d'organisation socialiste a été présenté et développé
par différents écrivains. Toutefois, ce n'est ni dans les écrits
des maîtres du socialisme contemporain, ni dans ceux de leurs disciples
immédiats qu'on le trouve exposé; il faut, nous le verrons
plus tard, procéder à un examen attentif des écrits de Karl Marx et
d'Engels pour le faire sortir des formules où il s'enveloppe.
Karl Marx s'est toujours abstenu de décrire la société future. Dans
le Capital, il développe sa théorie de la valeur et de la plus-value,
pour fonder sur elle la critique d'un régime dans lequel le travail
salarié fournit gratuitement la plus-value capitaliste. Il s'étend sur
les vices et les abus de l'exploitation capitaliste. Il expose l'évolution
historique des modes de production, pour montrer qu'elle doit
fatalement aboutir à l'expropriation des détenteurs du capital, à la
possession commune et à l'exploitation sociale de tous les moyens
de production, y compris le sol. Mais, parvenu à ce point décisif, il s'arrête, et refuse de plonger plus loin son regard dans l'avenir,
dédaignant "de formuler des recettes pour les marmites de
l'avenir".
Est-ce faiblesse, impuissance, prudence ou timidité? Rien de tout
cela, au dire des disciples. La réserve du Maître, qu'ils ont longtemps
observée eux-mêmes, s'explique par des raisons doctrinales.
Si le régime collectiviste était, comme le phalanstère de Fourier ou
l'Icarie de Cabet, une conception artificielle issue du cerveau d'un
réformateur, un système fabriqué de toutes pièces auquel la société
dût s'adapter par un acte de sa volonté réfléchie, il serait certes
nécessaire de tracer et de développer le plan de la cité future, pour
permettre au législateur de construire la société conformément au
modèle proposé. Mais tel n'est pas le sens du socialisme scientifique
contemporain, bien différent en cela du socialisme utopique qui l'a
précédé. La forme sociale caractérisée par la possession commune
des moyens de production n'est pas présentée comme une construction
idéale et arbitraire c'est un régime qui a ses racines profondes
dans la réalité, dans la vie sociale contemporaine, et qui doit, par le
jeu de forces immanentes, sortir des entrailles du régime capitaliste
pour se substituer à lui. De même que la propriété privée du petit
producteur indépendant, cédant aux exigences d'une production
grandissante qui réclamait des moyens toujours plus puissants, a
dû s'effacer devant la propriété capitaliste fondée sur l'exploitation
du travail d'autrui, de même la propriété capitaliste doit nécessairement
à son tour se transformer en propriété sociale, par l'effet de
la concentration croissante des capitaux et des contradictions inhérentes
au régime capitaliste. Conformément à la doctrine hégélienne,
le mouvement dialectique du monde réel s'effectue par la lutte des
contraires, par le conflit entre le caractère social du mode de production
et le caractère privé du mode d'appropriation, entre l'organisation
systématique du travail à l'intérieur de chaque atelier et l'anarchie
de la production au sein de la société, entre la capacité d'expansion
de la production et la capacité plus restreinte du marché.
Ce sont donc, pour employer le langage de l'école, les conditions
matérielles déjà existantes ou en train de se constituer qui élaborent
elles-mêmes une forme sociale nouvelle. Dès lors, dit M. Gabriel Deville,
il faut se borner à étudier ces conditions et à bien les connaître
pour s'y adapter, sans "perdre son temps à régler les détails de l'organisation
de la société future. A chaque époque sa tâche; n'ayons pas la présomption de réglementer l'avenir, et contentons-nous de
nous occuper du présent".
Morne fatalisme chez Liebknecht. Dans un long article de Cosmopolis
dont le titre, L'Etat de l'avenir, ménage au lecteur une grosse
déception, il se déclare incapable de présenter une description de la
société future. Il se retranche derrière notre impuissance à prévoir
ce que la minute prochaine nous apportera, et à discerner même,
dans l'incessant écoulement des choses, la limite du présent et de
l'avenir. Ces questions indiscrètes sur l'état futur lui paraissent de
véritables jeux d'enfants. L'essentiel est d'écarter les obstacles; les
formes nouvelles croissent organiquement, par la force même de la
vie qui anime la société.
M. Vandervelde, invité en 1893, par un journal de Bruxelles, à
décrire les rouages de la société collectiviste, refuse à son tour de se
placer sur ce terrain, parce que les socialistes positivistes ne sont
pas des architectes sociaux voulant reconstruire la société du jour au
lendemain sur des plans nouveaux. Il se borne donc à une esquisse
tellement vague, qu'on ne peut parvenir à en saisir les lignes.
M. Jules Guesde observe la même attitude en 1896 à la tribune
de la Chambre des députés « Cette période (des utopies socialistes)
est loin, heureusement! Les socialistes d'aujourd'hui se sont mis à
l'école des faits; ils ne prophétisent pas, ils observent et concluent.
M. de Mun. nous a sommés de le, transporter au sein du futur
état de choses, et de faire fonctionner sous ses yeux la répartition du
travail dans cette société de copropriétaires. Je ne lui donnerai pas
cette satisfaction, ni mes amis non plus. Les ouvriers n'en demandent
pas autant. Nous nous bornons à constater que les produits du
travail n'appartiendront, sans prélèvement, aux travailleurs, qu'autant
qu'ils auront cessé d'être des prolétaires pour devenir des copropriétaires
des moyens de production ».
Pour M. Kautsky, les constructions concernant "l'État de l'avenir"
sont inutiles, parce que la transformation de l'État en une grande
association économique se suffisant à elle-même n'est pas seulement
quelque chose de désirable, mais d'inévitable. Les penseurs peuvent
bien, dans une certaine mesure, reconnaître la direction du mouvement
économique, mais non le déterminer à leur gré, ni prévoir avec précision les formes qu'il prendra. Il est donc ridicule d'exiger des socialistes qu'ils décrivent le plan de la société future et les
mesures de transition. Les social-démocrates doivent écarter les fantaisies
reposant sur des hypothèses, et se contenter de rechercher la
direction que prendra le développement économique lorsqu'il sera
placé sur une base socialiste.
Les divers congrès socialistes se sont eux-mêmes strictement renfermés
dans la formule de Marx. Le programme d'Erfurt, qui
est celui de la socialdémocratie allemande depuis 1891, ne porte rien
de plus. « C'est seulement par la conversion de la propriété privée
capitaliste des moyens de production – terre, mines, matières,
instruments, machines, moyens de transport en propriété sociale,
et par la transformation de la production marchande en production
socialiste exercée par la société pour elle-même, que la grande
exploitation et la productivité toujours croissante du travail social
cesseront d'être, pour les classes jusqu'ici exploitées, une source de
misère et d'oppression, pour devenir une source de souverain bien
et de perfectionnement harmonieux en tout sens. » Le Congrès de
Hanovre, en octobre 1899, sur la proposition de M. Bebel, s'est
encore borné à mentionner dans ses résolutions la socialisation des
moyens de production et l'établissement du mode de production et
d'échange socialiste, sans fournir aucune indication sur ce mode de
production et d'échange.
Il était pourtant difficile au parti socialiste de se maintenir rigoureusement
dans cette posture dédaigneuse et énigmatique. La propriété
collective des moyens de production ne peut être conçue indépendamment
d'un certain mode de production et d'échange, d'un
certain système de la valeur; parler de propriété collective sans indiquer,
au moins dans ses traits essentiels, l'organisation sociale
qu'elle implique, c'est en dire trop ou trop peu, c'est se dérober
devant une explication dont on est comptable, par cela seul qu'on a
prophétisé la socialisation des moyens de production.
Au reste, rien, dans la pure doctrine marxiste, n'interdit aux
adeptes de faire des pronostics sur le régime de la propriété socialisée.
Loin de là, Marx a dit lui-même, dans la préface du Capital, que si
la société ne peut dépasser d'un saut ni abolir par décrets les phases
de son développement naturel, elle peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement. Pour agir en ce sens, il n'est pas inutile que la société ait conscience de son but.
Le silence ne pouvait donc être qu'un calcul de tactique. Or,
refuser indéfiniment toute satisfaction à de vaines curiosités, c'était
assurément faire le jeu d'adversaires empressés à montrer le néant
d'une doctrine incapable de s'affirmer dans sa partie positive. Si les
formes sociales nouvelles sortent des anciennes par un développement
organique, il doit être possible, lorsque l'élaboration est suffisamment
avancée, de prévoir les modes dont la formation est en
voie de s'accomplir. Se soustraire aux questions, n'est-ce pas avouer
implicitement qu'on est trop loin du but de l'évolution pour l'apercevoir
? Se taire était d'autant plus périlleux que, derrière le penseur,
un autre homme est là qui se dresse, pressant et menaçant, « avec
des mains noires et des yeux ardents". Celui-là n'admet pas, pour
la réalisation de ses espérances, une assignation à quelques siècles;
il veut, lui aussi, entrevoir la terre promise, soulever le voile qui
recouvre cet avenir socialiste si mystérieux et si troublant; cet
homme-là, on ne peut l'éconduire comme un adversaire indiscret.
En vain disait-on que la Révolution française s'était faite sans
que les hommes du XVIIIème siècle eussent pu prédire les formes politiques
et sociales de la société nouvelle, ni prévoir les grandes transformations
économiques qui devaient résulter de la domination du
Tiers État, du capitalisme et de la guerre des classes. S'il est une
vérité banale aujourd'hui, c'est que la Révolution était faite dans les
esprits avant de s'accomplir dans les faits. Quand elle éclata, dit
Louis Blanc dans son Introduction à l'"Organisation du travail"
chacun en aurait pu dresser le programme. Effectivement, ce programme
tenait tout entier dans la littérature du siècle et dans les
cahiers de 89.
Certes, les hommes de la Révolution n'avaient pu prévoir les transformations
sociales qui se sont opérées au cours du XIXème siècle, sous
l'action du progrès scientifique déterminant l'expansion de la production
capitaliste. Mais on ne demande pas non plus aux socialistes
contemporains de prédire les déplacements de forces que le
cours naturel des choses amènera au sein de l'appareil organisé qui
doit constituer la société collectiviste. On leur demande seulement
de décrire la structure de cet appareil et son fonctionnement, non
sans doute dans ses multiples détails, mais dans ses pièces maîtresses.
Tâche singulièrement plus difficile, à vrai dire, que celle des
hommes qui préparèrent et accomplirent la Révolution de 1789; car
ceux-là, visant surtout l'abolition des privilèges, des règlements restrictifs, des charges féodales, pouvaient concevoir à l'avance un plan
de société conforme à « l'ordre naturel et essentiel des sociétés.
humaines », comme disaient les Physiocrates; conservant les organes
essentiels du corps social, ils se proposaient seulement de les délivrer
de leurs entraves artificielles pour assurer le libre jeu des forces
individuelles, tandis que nos modernes socialistes ont à dessiner un
plan de société dans lequel ces organes abolis doivent être remplacer
par un mécanisme tout nouveau.
Quoi qu'il en soit de ces difficultés, l'heure était venue où il n'était
plus permis de se dérober; il fallait se découvrir. « A ceux qui nous
demandent que serons-nous demain? nous devons une réponse "
écrit M. Jaurès en 1895.
Les premiers essais sur le mode collectiviste remontent à une
époque déjà éloignée. Le plus savant et le moins connu en France
est celui de Rodbertus, le Ricardo du socialisme, le maître de Lassalle
et le précurseur de Karl Marx. Dès 1842, dans une oeuvre d'un caractère
purement abstrait, il avait exposé la théorie de la valeur fondée
sur le travail, et montré son application dans une société hypothétique
où il n'y aurait ni propriété, ni capital privé donnant des
revenus; où l'État, seul propriétaire du capital social, administrerait
toute la production, et où les travailleurs retireraient des magasins
publics leur part du produit social au moyen de simples billets portant
la valeur créée par leur travail. Il entreprenait cette étude « non
pas pour opposer à l'état actuel un état meilleur, mais pour apprendre
à mieux connaître l'un près de l'autre ». Il reprit encore par deux
fois cet essai, pour donner une analyse plus profonde de l'unité de
valeur représentée par l'heure de travail normal, principalement
dans sa 4° Lettre sociale à von Kirchmann composée en 1852 et
publiée dix ans après sa mort, en 1885, sous le titre Das Kapital.
L'état qu'il décrit se distingue nettement du pur communisme par
la propriété individuelle du travailleur sur la valeur entière de son
produit, c'est-à-dire sur les objets de consommation qu'il acquiert
dans la mesure de cette valeur. C'est donc le véritable collectivisme, dans le sens le plus rigoureux et le plus complet. Rodbertus en concevait
d'ailleurs la réalisation dans un avenir très éloigné
La même année 1842, un autre Allemand, Wilhem Weitling, traçait
le plan d'une société mi-partie communiste, mi-partie collectiviste,
dont M. Antoine Menger a donné une courte analyse.
L'exposé le plus connu du collectivisme pur est celui de
Schoefue, ancien ministre autrichien, dans un petit livre intitulé
La quintessence du socialisme qui fut publié pour la première fois
en 1874. Schoeffte n'est pas un collectiviste; partant des données
fondamentales du socialisme pour en déduire scientifiquement les
conséquences, il se propose seulement d'éclairer les adversaires sur
les points ou leurs réfutations habituelles portent à faux, et les partisans
sur les lacunes de leurs théories.
Avec moins d'autorité et plus de fantaisie, un Américain, M. Bellamy,
dans un roman célèbre publié en 1858 avait fait vivre la
société de l'an 2000 organisée suivant les mêmes principes. William
Morris composait aussi vers cette époque un roman du même genre,
dont on ne peut tirer aucune indication sur l'organisation interne
de la société nouvelle. Enfin M. Bebel, dans son livre sur La Femme
édité pour la première fois en 1883, avait consacré tout un chapitre
à la Socialisation de la société, mais sans nous renseigner encore
d'une façon bien précise.
La littérature socialiste, encore insuffisante dans sa partie positive,
s'est enrichie depuis lors; mais les plans d'organisation récemment
présentés s'écartent tous plus ou moins du type collectiviste
ordinaire, et cherchent à le corriger sur ses points les plus faibles.
Dans son étude sur l'Organisation socialiste, publiée en 1895,
M. Jaurès nous présente le collectivisme comme une forme destinée
a succéder immédiatement à l'ordre capitaliste, mais appelée elle-même à évoluer sans secousse vers le communisme libertaire. Il reste fidèle au principe de la valeur taxée en temps de travail; mais il tempère le collectivisme en donnant une certaine autonomie aux groupes de producteurs, et s'efforce d'intéressser les travailleurs aux progrès de la production en modifiant les bases de l'unité de valeur.
M. Georges Renard, en 1897, dans son Régime socialiste, altère
plus profondément le type consacré du collectivisme en y introduisant,
dans une certaine mesure, le jeu de l'offre et de la demande.
sans renoncer cependant aux bons de travail comme intermédiaires
d'échange. Il tend, comme M. Jaurès, à élargir et assouplir le collectivisme
en le pénétrant de justice et de fraternité, et surtout en y
mettant plus de liberté, conformément à la véritable tradition française,
si hostile au fond à la conception matérialiste et autoritaire
du socialisme allemand.
En 1896 et 1899, deux socialistes, l'un Américain, M.-Gronlund,
l'autre Suisse, M. Sulzer, ont été plus loin encore dans la voie des
déformations; ils ont généralisé l'application de l'offre et de la
demande dans le collectivisme. Pour cette raison, et bien qu'ils
excluent encore la monnaie métallique, leurs systèmes, comme celui
de M. Georges Renard, ne figureront pas dans cette étude du pur
collectivisme, et seront examinés au livre suivant.
== Chapitre 2. Esquisse du système collectiviste et définition de son unité de valeur.==
La société collectiviste suppose une organisation méthodique de
la production nationale, qui s'exerce sur les agents naturels et les
capitaux productifs socialisés. L'autorité publique, éclairée par des
statistiques sur les besoins de la consommation, dirige et réglemente
toute la production, le transport, l'emmagasinage et le débit des
produits. Elle rétribue les travailleurs en unités de valeur sociale,
d'après le temps de travail de qualité moyenne qu'ils ont consacré à
la production; elle tarife de même les produits d'après le temps de
travail moyen qu'ils ont coûté. Les travailleurs peuvent donc se
procurer les produits aux magasins publics en échange des bons de
travail ou certificats d'unités de valeur qu'ils ont acquis par leur
travail.
La rétribution du travail étant égale à la valeur du produit –
sauf une certaine déduction pour les besoins collectifs, les
divers prélèvements opérés aujourd'hui au profit du capital privé
sous les noms d'intérêts, dividendes, loyers ou fermages disparaissent
d'une façon absolue. Plus de profits ni de salaires; la distinction
entre capitalistes et salariés s'évanouit. Plus d'échanges individuels
ni de commerce privé; en dehors des objets débités par les entrepôts
publics, il ne peut y avoir aucune vente de marchandises entre particuliers.
Plus de monnaie au sens actuel du mot, métallique ou
fiduciaire. La banque, la Bourse, la spéculation, le crédit, la dette
publique, l'assurance par capitalisation, disparaissent avec l'intérêt
du capital et les échanges. La concurrence anarchique entre producteurs est abolie; avec elles cessent les crises, les chômages, les phénomènes de surproduction, l'excès de population et le paupérisme;
la société est une vaste unité économique, consciemment organisée
et dirigée, au sein de laquelle tous les citoyens trouvent l'emploi de
leurs forces. L'exploitation de l'homme par l'homme prend fin, et le
travailleur obtient, en équivalents, le produit intégral de son travail,
diminué seulement de la part nécessaire à la collectivité pour subvenir
aux charges publiques et accroître le capital social.
Le but du collectivisme est donc l'échange direct des travaux contre les produits, suivant un système de valeur en unités de
travail qui aboutit, par la suppression totale de la plus-value capitaliste,
à une répartition des richesses conforme au principe ''A chacun
suivant son travail''. Le régime suppose par conséquent que nul ne
peut prêter à intérêt le fruit de ses épargnes, bons de travail ou
richesses de consommation, ni faire acte de commerce en vendant
ces richesses à un tiers. De tels actes sont rigoureusement interdits,
et l'autorité publique doit savoir discerner ceux qui se dissimulent
sous la forme d'une libéralité permise.
Je me propose d'étudier ici l'unité de valeur collectiviste qui sert
de base à la taxation des travaux et des produits, pour suivre
les applications et les conséquences de ce mode de la valeur
dans l'ordre économique. Il semble que la critique, ainsi limitée, soit
incomplète. Toutefois, il n'est guère d'objet qui ne se rattache en
quelque manière au régime de la valeur; tout l'ensemble de l'organisation
peut être contrôlé en partant de ce principe. L'unité de valeur
est le point central et la clef de voûte de tout le système; sur elle se
sont portés les efforts des théoriciens du socialisme; sur elle aussi
doit se concentrer l'attention de la critique.
La substance de la valeur, c'est le travail, et la mesure de la
valeur, c'est la durée du travail. Tel est le principe qui, issu de
l'économie anglaise, recueilli par tous les socialistes modernes, et
formulé par Karl Marx pour l'interprétation des phénomènes actuels
doit aboutir, dans une société où le capital est collectif, à la rémunération
du travailleur suivant le travail qu'il a fourni. « La valeur
peut être constituée d'après la somme du travail immédiat et médiat
que coûte le produit », dit Rodbertus, de telle sorte que le travail soit
la mesure de ce qui revient à chaque producteur dans le revenu social'. « Le temps nécessaire pour produire un objet, dit M. Bebel,
est la seule mesure à laquelle celui-ci doive être évalue en tant que
'valeur usuelle sociale. »
En supposant donc, avec Schoeme, que 2 milliards 400 millions
d'heures de travail soient nécessaires pour produire la somme totale
des richesses dont une société a besoin pendant une année, un même
nombre d'unités nominales de valeur devraient être délivrées aux
travailleurs en bons de travail, afin que ces mêmes travailleurs pussent
acheter aux magasins publics le produit total du travail collectif
valant également 2 400 000 000 d'heures de travail.
Sans pousser à fond l'analyse, il est aisé de voir que la notion de
valeur se trouve ainsi transformée dans son essence. Jusqu'ici, en
dépit des théories de Karl Marx, les sociétés humaines n'ont connu,
sous le nom de valeur, que des rapports d'échange entre deux marchandises;
une marchandise n'a pas une valeur en soi, comme elle a
une longueur et un poids, elle a une valeur par rapport à la monnaie,
par rapport au blé, au charbon, à la laine, etc. Dans l'ordre collectiviste,
au contraire, la valeur, étant la quantité de travail incorporée
dans un objet, devient une substance propre, une qualité intrinsèque
du produit, qui lui appartient en dehors de toute relation d'échange
avec les autres produits du travail. La valeur ainsi conçue se mesure
en unités formées par l'heure de travail humain, comme la chaleur
se mesure en thermies produites par l'unité de travail mécanique.
Les bons de travail qui représentent ces unités sont des moyens
de liquidation permettant au travailleur de prendre, dans le revenu
social, une part égale à la valeur qu'il a créée par son travail. Le travail
s'échange désormais contre les produits au moyen de certificats
de valeur, qui peuvent être des billets de papier ou même des jetons
d'or, mais qui ne sont en aucune façon une monnaie-marchandise
comme la monnaie actuelle. Notre monnaie d'or tire de sa matière
une valeur d'échange vis-à-vis des marchandises, valeur propre,
variable sur le marché libre comme celle de toute autre marchandise
et les autres monnaies, espèces d'argent, billon, billets de
banque, et même papier-monnaie inconvertible en espèces, empruntent à la monnaie d'or, par la force de l'équivalence légale (ou de la
convertibilité s'il s'agit de billets), tout ou partie, suivant les circonstances,
de la valeur de cette monnaie d'or; leur valeur est donc
de même nature que la sienne, une valeur d'échange de marchandise
vis-à-vis d'autres marchandises, soumise aux fluctuations de l'offre
et de la demande. Les bons de travail, au contraire, quelle que soit
leur matière, sont de simples signes, des symboles d'une quantité
fixe de valeur formée par le travail et déterminée par l'autorité
publique. C'est une monnaie parfaite, dit Rodbertus, donnant la
mesure absolue de la valeur, et offrant une sécurité absolue, puisqu'elle
n'est émise que si la valeur qu'elle exprime existe réellement.
Elle ne porte pas en elle-même son gage, comme la monnaie
métallique actuelle; elle n'est pas non plus dépourvue de gage,
comme la plupart des billets de banque et des papiers de crédit; "c'est
un genre de monnaie qui, sans valeur en elle même, est cependant
toujours hypothéquée sur une valeur réelle existante. » Les signes
ou certificats ne sont même pas nécessaires; il suffit que les unités
de valeur soient inscrites sur les livres de la comptabilité publique
au débit et au crédit de chacun, à l'occasion de ses travaux et de
ses achats.
Il est évident que le système exige, pour son fonctionnement
régulier, une rigoureuse égalité toujours observée entre deux sommes
d'unités de valeur; la balance doit être toujours égale entre la taxe
des travaux et celle des produits, et les bons délivrés aux travailleurs
doivent être annulés dès qu'ils sont reçus en paiement d'un produit
ou d'un service fourni par l'Administration.
Théoriquement, cette égalité peut être obtenue, puisque c'est une
seule et même autorité qui évalue travaux et produits et qui débite
les objets de consommation. Et il est de toute nécessité que cette
égalité théorique soit obtenue effectivement. Quelles que puissent
être les difficultés d'une immense comptabilité, quelles que soient
les complications résultant des fraudes, des pertes et détériorations, des bons non présentés et tenus en réserve, des échanges avec
l'étranger, des amortissements prolongés, des travaux qui ne se
matérialisent pas dans un produit, et de mille autres causes qui
apparaîtront dans la suite, il est indispensable que l'équilibre des
bons soit maintenu. S'il venait à se rompre, toute la machine se
détraquerait; les hommes périraient de faim, de froid et de misère,
avec les poches vides devant des magasins regorgeant de marchandises,
ou plus souvent avec les poches pleines de chiffons de papier
sans valeur devant des greniers vides.
La valeur se fixe donc suivant la durée du travail, qui sert de
commune mesure pour la tarification des travaux et des produits en
unités semblables. D'où il semble que l'on puisse tirer cette double
règle : tout produit vaut exactement un nombre de bons égal à celui
des heures de travail qu'il a coûtées; tout producteur reçoit un
nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a fournies.
Une table en bois blanc a coûté, par exemple, vingt heures de travail
une heure pour le travail du bûcheron, trois quarts d'heure
pour le transport du bois, dix-huit heures pour le travail du menuisier,
et un quart d'heure, dans la mesure de l'usure, pour la confection
et l'entretien des instruments employés aux différentes phases de
la production car la société doit couvrir intégralement les frais
d'amortissement du matériel fixe et les frais de transport, par des attributions de valeur suivies de prélèvements sur les différents objets
fabriqués ou transportés. Cette table sera donc cotée vingt bons d'une
heure, et ces bons seront répartis entre les différents travailleurs,
bûcheron, voiturier, menuisier, etc., suivant la part qu'ils auront prise à l'oeuvre commune.
Représentons-nous, sur cette donnée particulière, la répartition du
produit social dans son ensemble. La société garde naturellement
pour elle les moyens de production, instruments et matières, qu'elle
a jugé utile de créer dans l'année pour remplacer ceux qui ont été
usés on consommés; elle garde aussi, sans doute, la propriété des.
maisons d'habitation. Seuls, les objets mobiliers de consommation et de jouissance sont destinés à l'appropriation particulière. Une partie
de cet approvisionnement de consommation échappe aux producteurs
d'objets de ce genre c'est la partie représentée par les bons
que prélève la société pour couvrir le prix des matières, l'amortissement
de l'outillage et les frais de transport. Elle sert à la consommation
des producteurs de moyens de production et des transporteurs,
qui l'acquièrent dans la mesure de leur travail au moyen des
bons que la société a prélevés à ces divers titres pour les leur allouer.
La double de taxation des travaux et des produits suivant la durée du travail fourni paraît devoir s'appliquer avec une rigoureuse précision. Il s'en faut cependant qu'on puisse l'observer dans sa simplicité élémentaire.
Une première dérogation s'impose, de l'aveu de tous les socialistes sans exception, en raison des besoins de la collectivité. La société doit, non seulement reconstituer les moyens de production usés ou
-consommés, mais accroître le capital collectif; il lui faut, en outre,
pourvoir aux charges publiques de sécurité, de salubrité, d'éducation,
d'administration économique, et à l'entretien de tous les
citoyens qui ne peuvent travailler; pour y faire face, elle a besoin de
ressources prises sur le revenu social. Il ne s'agit pas là, paraît-il,
-d'un impôt; mais il s'agit bien de prélèvements qui, à la différence de l'amortissement et des frais de transport, ne correspondent à
aucune addition de valeur, et qui viennent par conséquent restreindre
la part des travailleurs. Si ce prélèvement social doit s'élever au
tiers de là production tout entière, la rétribution de chaque travailleur
subira une réduction d'un tiers, et notre menuisier, par
-exemple, pour 18 heures de travail, ne recevra que 12 bons, les
6 autres revenant à la collectivité. Il ne reçoit pas intégralement
l'équivalent de son travail, et ne profite du prélèvement qu'à titre de
membre du corps social.
Les socialistes sont encore unanimes pour interpréter d'une façon
conditionnelle la règle que le travail est rétribué selon sa durée.
La quantité de travail fournie par le producteur individuel ne
s'apprécie pas seulement d'après sa durée; l'heure de travail d'un
ouvrier négligent ou incapable ne représente pas une même quantité
de travail que celle d'un ouvrier habile et laborieux. Il faut donc
établir une moyenne sociale et tenir compte, dans la taxation, de
l'intensité et de l'habileté du travail, qui s'apprécient d'après le
résultat. On prendra comme base le produit que donne, en une heure,
un travail d'intensité et d'habileté moyennes dans un milieu social
donné, et l'unité de mesure sera l'heure de travail social de productivité
moyenne dans chaque genre de travail. Si l'on a pu constater
qu'un travailleur moyen fabrique en une heure un sabot convenablement
creusé et arrondi, l'agent préposé à la taxation délivrera deux
bons à l'ouvrier qui lui apportera une paire de sabots bien faits, et
deux tiers de bon seulement au compagnon qui lui présentera un seul
sabot mal dégrossi. Peu importe que les deux sabotiers aient travaillé
exactement une heure l'un comme l'autre; leur rétribution se calcule suivant la quantité de travail moyen contenue dans le produit.
Pour des travaux de même nature, on saura donc graduer les
allocations suivant la qualité du travail. Mais pour des travaux de
nature différente, il n'en est plus de même. La question soulève des
difficultés particulières, qui seront traitées ultérieurement; aussi
devons-nous considérer provisoirement toutes les heures de travail
comme équivalentes, quel que soit le genre de travail.
Pour des travaux de même catégorie, le calcul de l'unité moyenne
présente encore une difficulté. La productivité du travail, dans un
même espace de temps, dépend bien plus encore de la qualité des
agents matériels et des instruments employés que de la qualité du
travail lui-même. Un travail d'égale durée et d'égale intensité donnera
peut-être 8 hectolitres de blé par hectare en Sologne, et 40 hectolitres
sur une terre de Flandre convenablement fumée; un fileur obtiendra
une quantité de fils très différente suivant qu'il travaillera sur un
rouet primitif ou sur un métier mécanique.
II est évident que si la nation, seule propriétaire des terres, des
mines et de tout le capital industriel, est aussi le seul entrepreneur
d'agriculture, d'industrie, de transport, il ne saurait y avoir aucune
différence dans la rétribution du travail à raison de l'inégalité des
moyens de production. C'est l'Administration elle-même qui distribue
aux groupes professionnels et aux individus les terres, les mines, les
bâtiments, qui leur fournit les machines, les outils et les matières
premières. Conçoit-on qu'un travailleur agricole reçoive cinq fois
moins de bons qu'un autre, pour un travail aussi long et aussi
pénible, parce qu'il n'aura pu produire que 8 hectolitres sur une
terre ingrate, tandis que l'autre, comblé des faveurs administratives,
installé sur un sol propre à la culture intensive, abondamment
pourvu de bestiaux, de machines, d'engrais chimiques, de semences
sélectionnées, aura pu fournir 40 hectolitres? Est-il juste que le gain
d'un fileur de coton dépende de la perfection du métier qui lui a été
assigné? Non, il n'est pas admissible, dans un système de production
administrative, que la rémunération des travailleurs subisse des
inégalités pour des causes extrinsèques, indépendantes du mérite de
l'individu et subordonnées au bon plaisir des autorités publiques.
Aussi M. Jaurès nous dit-il que les producteurs seront rémunérés
selon la quantité de travail effectif individuellement fournie par eux.
Quelles que soient la quantité et la qualité du charbon extrait d'une
mine dans une journée de travail, le mineur recevra partout, que ce
soit à Anzin, à Decazeville ou à Bessèges, une rémunération calculée
sur le nombre d'heures de travail normalement employées à l'extraction
« Il n'y aura donc entre les travailleurs aucune inégalité préalable résultant soit de l'outillage avec lequel ils travaillent, soit de
la matière première sur laquelle ils travaillent. Et il en sera de la
filature, du tissage, de la métallurgie, de la verrerie, comme de l'industrie
extractive. »
De là, une difficulté. Le travailleur doit être rétribué suivant la
quantité de travail moyen que renferme son produit. Mais comment
tenir compte de l'habileté et de l'intensité du travail, si l'on ne peut
calculer la rémunération d'après le produit? Les socialistes ne prévoient
pas la difficulté; il faut donc chercher la solution à leur
place. Pour résoudre la question, il est nécessaire de distinguer,
dans la productivité du travail, l'effet propre des facteurs matériels
de la production. L'Administration devra donc, semble-t-il, déterminer
préalablement le produit d'une heure de travail moyen sur
chaque champ, sur chaque veine, dans chaque atelier industriel, eu
égard a la nature du sol ou du sous-sol, à l'outillage et aux matières
employées. Si cette estimation est exactement faite, il devient possible
de discerner le rôle des facultés personnelles du travailleur
dans la production; et de calculer sa rétribution d'après le temps de
travail moyen qui est nécessaire pour établir le produit dans les
conditions techniques données; la rente différentielIe n'entre pas
dans la rémunération du travailleur.
Ce mode de calcul entraînera généralement un désaccord entre la
taxe du travail et celle du produit, par dérogation à la règle que tout
objet vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures
de travail qu'il a coûtées. II est impossible, en effet, que des articles
de nature et qualité semblables aient plusieurs cotes différentes sur
une certaine place, alors même qu'ils auraient coûté des sommes de
travail très inégales. A l'entrepôt public, tout produit doit être tarifé
non pas d'après le temps de travail d'intensité moyenne qu'il a coûté,
mais d'après le temps de travail socialement nécessaire à sa production,
suivant les conditions moyennes de productivité des agents
naturels et instruments employés dans la branche d'industrie à
laquelle il se rattache. Il faut appliquer ici la théorie du « travail
normal de Rodbertus, et du « travail socialement nécessaire à la
production » de Karl Marx.
Si un sac de 100 kilos de charbon coûte une demi-heure de travail
moyen à Anzin, une heure et demie à Decazeville, et une heure en
moyenne sur l'ensemble de la production française de l'année, il
sera payé un demi-bon au mineur d'Anzin, un bon et demi au mineur de Decazeville, mais il sera vendu un bon par les magasins
publics. Car l'unité de valeur se fixe sur des données différentes pour
le travail et pour le produit. S'agit-il de la taxe du travail? L'unité
est le produit, dans la mine particulière où le travail est exécuté,
d'une heure de travail d'intensité moyenne, de sorte que la moyenne
sociale considérée ici est exclusivement celle de la qualité du travail;
le mineur reçoit donc un bon et demi à Anzin pour une heure de
travail, s'il a pu, par un effort exceptionnel, abattre 300 kilos de
charbon en une heure. S'agit-il de la taxe du produit? L'unité est
le produit d'une heure de travail de productivité moyenne appréciée
sur l'ensemble de l'industrie minière, de sorte que la moyenne sociale
considérée est à la fois celle de l'intensité du travail humain et celle
de la productivité des agents matériels; le consommateur paie donc
trois bons pour les 300 kilos de charbon d'Anzin. L'égalité du coût
et du prix, des bons délivrés aux mineurs et des bons représentés
par le charbon en magasin, l'égalité, rompue dans la plupart des cas
individuels, ne se retrouvera que sur l'ensemble, si la comptabilité
est bien tenue.
Quand les conditions de la production viennent à changer dans le
pays, par l'effet des circonstances atmosphériques, des progrès techniques
ou de toute autre cause, les moyennes sociales de productivité du
travail, qui servent de base à la taxation des produits, doivent
être révisées. Mais pour que l'équilibre des taxes subsiste entre travaux
et produits, il faut que l'ancien tarif continue à s'appliquer aux
articles emmagasinés avant la révision. Ces produits doivent donc
être écoulés dans la consommation avant les articles similaires qui
portent le nouveau tarif.
De même que les frais de production, les frais de transport, qui
grèvent très inégalement, suivant la provenance, les différents sacs
de blé emmagasinés dans un même grenier public, doivent être
repartis également entre eux tous..
Tous les travailleurs ne fournissent pas des produits aux entrepôts
publics; il en est, en très grand nombre, qui exécutent des travaux
manuels sans créer un produit neuf, ou qui rendent des services de
nature immatérielle. Parmi eux, certains fonctionnaires, comme les
juges et les administrateurs, ne rendent de services qu'à l'État;
ceux-là doivent être naturellement payés par l'État, au moyen des
bons prélevés pour couvrir les charges publiques. Mais il est d'autres
travailleurs de cette catégorie qui rendent des services aux particuliers.
Pour rester fidèle au principe collectiviste, on ne doit pas permettre que
leur rétribution soit fixée de gré à gré suivant l'offre et la demande; il faut que ces travailleurs relèvent de l'Administration comme tous les autres, et que leur rétribution soit établie, suivant la loi commune,
d'après la durée de leur travail d'intensité moyenne. La règle est
applicable très simplement à tous ceux qui sont employés dans un
service public, matelots, employés de chemins de fer, etc.; ceux-là sont
payés par l'Administration sur le produit des taxes acquittées
par le public. La même règle peut aussi s'appliquer à ceux qui rendent
aux particuliers des services directs : serviteurs attachés à la
personne, coiffeurs, cochers, portefaix, blanchisseurs, ouvriers faisant
les réparations locatives aux bâtiments, ou les menues réparations
aux objets d'usage individuel; tous, semble-t-il, doivent être payés
au tarif par l'Administration, qui reste chargée de percevoir le prix
de leurs services. Quant aux professeurs libres, chanteurs, médecins,
etc., on conçoit à la rigueur qu'ils subissent aussi l'application de
cette règle égalitaire; mais certains écrivains collectivistes proposent
de les traiter plutôt comme des fonctionnaires, et de les rétribuer
sur les taxes publiques.
Telle est la valeur dans l'ordre collectiviste. Sur cette base, le
monde nouveau doit s'ordonner de lui-même. A côté du Gouvernement
politique et de l'Administration préposée aux services
publics déjà existants, s'organisera une Administration chargée de l'économie nationale; des organes anciens se transformeront, d'autres naîtront en foule et se développeront, conseils, directeurs, inspecteurs,
préposés, employés aux écritures, tous alimentés par le suc
nourricier des ressources publiques. Ils auront à commander et à
surveiller toutes les opérations de culture, d'extraction, de fabrication,
de transport et de débit nécessaires à la vie nationale. Ils recruteront
et dirigeront tout le personnel de la production et des transports.
Ils règleront le nombre des travailleurs dans les ateliers et
leur distribueront les tâches, renvoyant ceux qui deviennent inutiles
et les occupant ailleurs, suivant les variations des besoins et
les capacités individuelles, sans jamais laisser chômer un seul travailleur.
Ils procureront à chaque établissement les bâtiments,.
machines et approvisionnements dont il aura besoin, feront exécuter
les travaux d'art et d'amélioration agricole, veilleront à la
conservation, à l'entretien et au renouvellement de l'outillage
national. Ils dresseront exactement la statistique des consommations
annuelles; assigneront à chaque établissement de production
les quantités à fournir; détermineront les terres qui devront être
cultivées en vignes, en pâturages, en bois, en céréales; prescriront
les types et modèles à exécuter dans l'industrie. Ils administreront tout le service des transports par chemin de fer, tramways, le
service du roulage, des déménagements, des transports maritimes à
voile et à vapeur. Ils géreront tous les hôtels, cafés et restaurants
publics, seuls autorisés dans un régime qui proscrit toute entreprise
individuelle et tout bénéfice commercial. Ils tiendront les entrepôts
et magasins généraux; ils pourvoiront à leur approvisionnement, de
manière à satisfaire exactement les besoins des différentes localités;
ils veilleront soigneusement à la conservation des produits, et les
livreront au public. Ils installeront, pour les objets de consommation
journalière, des lieux de débit rapprochés des consommateurs,
boulangeries, épiceries, pâtisseries, pharmacies, papeteries, merceries,
etc.; ils préposeront des fonctionnaires à la gestion de ces
magasins de détail, et leur fourniront les articles à débiter. Ils mettront
à la disposition du public les travailleurs qui rendent des services
aux particuliers, médecins, cochers, coiffeurs, ouvriers faisant
les réparations, etc. Ils construiront, entretiendront et géreront
toutes les maisons d'habitation sur la surface du territoire, feront
les baux, fixeront les loyers en bons de travail de manière à amortir
le prix de la construction, et les percevront régulièrement. Ils calculeront
le produit d'une heure de travail d'intensité moyenne dans
chaque établissement de production, eu égard à son outillage et aux
conditions naturelles où il se trouve, de manière à déterminer, pour
chacun d'eux, l'unité sur laquelle s'y réglera la rétribution du travail;
ils recevront les produits, en apprécieront la qualité, et fixeront
en conséquence la rétribution due aux travailleurs. Ils délivreront
les bons, après avoir prélevé les taxes destinées à subvenir aux
besoins collectifs et à l'extension de la production nationale. Ils calculeront
et réviseront la moyenne de productivité des agents naturels
et instruments de production sur l'ensemble du pays pour
chaque nature différente de produits, en divisant le total du produit
par le total des heures de travail employées, afin de déterminer, dans
chaque genre, le produit moyen d'une heure de travail, qui servira
d'unité de valeur pour la taxe des articles à l'entrepôt public; ils
feront la répartition des frais généraux et des frais de transport, et
calculeront l'amortissement des capitaux fixes pour le faire entrer
dans le prix des produits, des transports et des logements; enfin,
après avoir établi le prix de revient, ils détermineront le tarif des
articles en magasin. Is tiendront la comptabilité, et vérifieront sans
cesse la balance des bons. Ils contrôleront les écritures des préposés
aux magasins et entrepôts de détail. Ils pourvoiront aux échanges
avec l'étranger; ils apprécieront les quantités de marchandises étrangères nécessaires à l'industrie nationale et à la consommation, et
constitueront une réserve en espèces métalliques et en marchandises
d'exportation, pour parer aux déficits des récoltes et aux besoins
imprévus ils prévoiront la nature et la quantité des produits indigènes
que les pays étrangers accepteront en échange de leurs marchandises,
et régleront la production nationale en conséquence; ils
négocieront les échanges, exécuteront les opérations, feront opérer
les transports, et poursuivront le règlement en espèces des différences
etc., etc.
La valeur dont la théorie vient d'être exposée est celle qui se présente
à l'état natif, pour ainsi dire, dans le collectivisme le plus
radical. Pour apprécier le système, il est utile de rappeler le rôle que
joue aujourd'hui la valeur sous sa forme prix.
Le prix, dont les oscillations sont déterminées par l'intensité
variable des besoins chez les consommateurs, est d'abord le grand
régulateur de la production et de la distribution des richesses dans
notre regime de concurrence individualiste. La production est-elle
insuffisante pour une certaine catégorie de marchandises? Sous la
pression du besoin, les prix s'élèvent, de sorte que les demandes en
excès sur les quantités existantes s'éliminent d'elles-mêmes; et cette
hausse, attirant capitaux et producteurs par la perspective d'un
profit ou d'un salaire plus élevé, suffit à rétablir l'équilibre. Grâce
aux indications instantanées de cette aiguille si sensible des prix,
les moindres besoins de ceux qui peuvent offrir une contre-partie
dans l'échange se trouvent prévenus et satisfaits; les approvisionnements
en subsistances des agglomérations géantes sont assurés
en quantités suffisantes, sans déperdition et sans excès; le nombre
des mineurs, des tisserands, des maçons, des professeurs et des
médecins dans la société se proportionne aux besoins; tout cela
naturellement, spontanément, sans direction gouvernementale et
sans contrainte de l'autorité publique, par le seul jeu naturel des
rouages sociaux. Une force, inconsciente comme les forces de la
nature physique, agit pour établir dans l'ordre économique une certaine
harmonie, à travers des désordres partiels et des irrégularités
passagères.
Le mécanisme des prix, instrument d'équilibre, est aussi un instrument
de progrès d'une grande énergie. Le bénéfice de l'industrie
et du commerçant est attaché à la vente du plus grand nombre
possible d'articles produits aux moindres frais. Que le producteur
s'ingénie donc à deviner les goûts du public, à multiplier les produits, à perfectionner leur qualité; qu'il fournisse le maximum
d'efforts et évite le gaspillage; qu'il réduise au minimum son prix
de revient par d'habiles combinaisons et des procédés nouveaux; il
réalisera ainsi des profits exceptionnels, jusqu'au jour où le perfectionnement,
en se généralisant, amènera une baisse de prix dont la
société entière profitera.
Les socialistes ont beau jeu, certes, dans leur rôle de critiques,
lorsqu'ils dénoncent les abus du régime capitaliste, l'oppression et
l'écrasement des faibles, les crises et les chômages, le paupérisme,
les excès de la spéculation, l'enrichissement des oisifs. Mais ils ne
peuvent nier que ce régime de libre concurrence, au sein duquel le
mal s'épanouit, a non seulement le mérite d'être viable, existant, de
puiser sa force et sa raison d'être dans la réalité et dans les lois du
développement historique, mais aussi d'être harmonieux dans une
certaine mesure, et favorable au libre développement des forces de la
production. Ce mérite, il le doit à son système de valeur, dont l'unité
est indirectement réalisée dans l'unité physique de la monnaie. Cette
constitution organique de l'étalon permet à la valeur de varier, sous
l'effort de là concurrence, suivant l'intensité des désirs des consommateurs
elle permet au profit de s'élever en raison de l'habileté des
producteurs à satisfaire, aux moindres frais possibles, les besoins
les plus pressants de la société.
La valeur basée sur le travail pourrait-elle, dans le monde collectiviste,
remplir le double rôle que joue le prix, comme instrument
d'équilibre et facteur du progrès? A son défaut, quelles seraient les
forces capables d'agir à sa place? Tout le problème du collectivisme
est là, dans ces deux questions d'équilibre et de progrès. Après avoir
interrogé le collectivisme à ce double point de vue, en intervertissant
l'ordre des questions, nous lui demanderons encore si sa forme de la
valeur est compatible avec le maintien de la petite propriété chez le
producteur indépendant, paysan, artisan et boutiquier.
== Chapitre 3. Le progrès de la production. ==
* ''§ I. Insuffisance du collectivisme pur au point de vue du développement des forces productives.''
Le collectivisme, privé de l'excitation du profit individuel, renferme-
t-il un ressort de progrès industriel aussi énergique que la
concurrence? La question est d'importance capitale; car, si le socialisme
doit sacrifier la production à son rêve d'une plus juste répartition,
il est incapable de réaliser, pour la généralité des citoyens,
une amélioration sensible des conditions matérielles, et ne peut
aboutir qu'à la médiocrité générale et au rationnement.
Les socialistes comptent sur un énorme accroissement de richesses,
lorsqu'une organisation méthodique de la production aura supprimé
les doubles emplois, les faux frais et fausses directions, les chômages,
les parasites de l'ordre capitaliste, les dépenses improductives
telles que les dépenses militaires et le service de la dette publique.
On voudrait partager leur confiance dans le fonctionnement régulier
du mécanisme immense de la production nationale régie par l'État.
Mais un inconnu aussi redoutable interdit les appréciations optimistes
à ceux qui se défient de l'intelligence suprême préposée à la
direction, et des moyens dont elle disposera pour exercer ses fonctions
régulatrices.
En revanche, on reconnaîtra volontiers que des travailleurs rétribués
suivant l'habileté et l'intensité de leur travail seront incités à
fournir le maximum d'efforts. D'une façon générale, on peut admettre que des hommes ayant conscience de travailler pour la collectivité
prendront plus d'intérêt à la production que de simples salariés au
service de l'industrie privée.
Dans le même esprit d'impartialité, on se gardera de dire que
toute invention cessera, lorsque l'inventeur ne pourra plus tirer
profit d'un brevet ni exploiter sa découverte comme entrepreneur
d'industrie. Il y aura peut-être, dans le monde industriel, moins de
travailleurs sacrifiant leur repos et leur santé à des recherches dont
le succès ne donnera plus la fortune. Néanmoins, sans parler des
distinctions honorifiques qui pourront encore récompenser les auteurs
de découvertes utiles, l'amour-propre, et le besoin instinctif chez
l'homme d'exercer ses facultés naturelles, suffiront sans doute à stimuler
encore le génie inventif des hommes de science, des directeurs
de la production et des simples travailleurs manuels.
Mais, en dehors des découvertes éclatantes qui, à défaut d'avantages
matériels, procurent au moins la célébrité, peut-on espérer
qu'un régime de production administrative, privé de la concurrence,
sera favorable aux améliorations de détail dans l'agencement des
tâches et l'emploi des matières, aux perfectionnements insensibles
dans l'organisation des services, aux multiples combinaisons qui
tendent à améliorer la qualité des produits, à les approprier aux
goûts de l'acheteur, à réduire les frais et à augmenter les rendements
? La question qui se pose ici porte surtout sur la direction; il
s'agit de savoir si la direction, dans le monde collectiviste, peut avoir
la même vigueur, le même esprit de progrès, la même vigilance
qu'en régime de concurrence.
Pour les industries qui sont déjà exploitées par l'État ou par des sociétés anonymes, il ne semble pas tout d'abord que la direction,
en régime collectiviste, doive être inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Dans les plus vastes organisations administratives dirigées
par un personnel salarié, dans le service des postes et télégraphes,
des ponts et chaussées, des chemins de fer, dans les exploitations
minières appartenant à des compagnies ou à des États, la gestion est
régulière, parfois rigoureuse, et des progrès incessants se réalisent,
d'une façon anonyme, lors même que l'entreprise n'est soumise à
aucune concurrence; pourquoi n'en serait-il pas de même pour des
industries socialisées?
Il y a cependant, entre les unes et les autres, une différence importante
au point de vue qui nous occupe. La constitution des grandes
compagnies d'industrie et de transport est tout aristocratique, et leur
action reste dominée par la recherche du profit. Le personnel dirigeant, dans les exploitations d'Etat comme dans celle des sociétés anonymes, est recruté suivant des modes qui tendent à opérer une
sélection des capacités. Si la production collectiviste doit être dirigée
par un personnel électif, les garanties seront loin d'être équivalentes.
Car les travailleurs ne seront personnellement intéressés ni à l'amélioration
des produits, ni à la diminution des frais, ni à l'emploi des
machines les plus productives; il importera peu au tisseur de
donner à la société deux mètres d'étoffe sur un métier perfectionné
plutôt qu'un mètre sur un métier ordinaire, si son heure de travail
doit être payée de la même manière. Dès lors que les travailleurs
attachés à un établissement ne seront pas directement intéressés au
progrès de la production et à l'écoulement des produits, il est douteux,
s'ils sont appelés à élire leur chef, que leur choix se porte sur
celui qui possédera les meilleures qualités d'organisation et de commandement.
Supporteraient-ils une surveillance minutieuse du
travail, un contrôle rigoureux des produits? Se soumettraient-ils à
des réformes intérieures contrariant leurs habitudes ou leurs intérêts?
Accepteraient-ils des machines nouvelles qui déplaceraient une
partie d'entre eux? Pour que l'autorité ne fût pas énervée, il faudrait
au moins adopter un mode de recrutement qui ne mît pas les directeurs
sous la dépendance de leurs subordonnés immédiats.
Reste la catégorie innombrable des entreprises de toute nature,
agricoles, industrielles, maritimes, voiturières, commerciales, qui,
gérées aujourd'hui par des entrepreneurs responsables, passeraient,
en régime collectiviste, sous la gestion des fonctionnaires. Ici, la
déperdition de forces serait incalculable. Rien ne peut remplacer,
dans la direction de ces entreprises aux dimensions restreintes,
l'excitation de l'intérêt individuel. Le labeur acharné du paysan propriétaire,
l'activité fiévreuse de l'homme d'affaires, la poursuite
incessante des combinaisons les plus économiques, la recherche des
produits les plus appréciés de la clientèle, la surveillance vigilante
du personnel, tout cet effort opiniâtre et continu du cultivateur, de
l'industriel, du commerçant qui se dépense sans compter, parce qu'il
sait que sa fortune et sa réputation dépendent de son travail et de
son habileté, seraient sacrifiés sans compensation dans une organisation
bureaucratique qui embrasserait la production tout entière,
depuis les grandes usines jusqu'aux plus modestes ateliers, aux plus
minces exploitations rurales et aux plus petits magasins de débit.
Comme cause d'affaiblissement, la diminution d'activité serait
peut-être moins redoutable encore que l'énormité des frais. Il faut
insister sur ce point; une gestion administrative aussi vaste tendrait à être tellement dispendieuse, que la société risquerait de dissiper
en frais généraux la plus grande partie, sinon la totalité de
cette plus-value capitaliste dont elle aurait la prétention de faire
bénéficier les travailleurs et les incapables. Il ne suffit pas d'escompter
les frais d'entretien d'une armée de fonctionnaires salariés;
il faut encore tenir compte d'un coulage universel qu'une administration
généralisée ne saurait éviter dans les services publics de
production, de transport et de débit. Des fonctionnaires, surtout
s'ils tiennent leurs pouvoirs de l'élection, n'auront jamais le même
souci de l'économie, la même sévérité dans le contrôle, la même
ingéniosité dans la recherche des combinaisons propres à diminuer
les frais, que des entrepreneurs supportant personnellement les
risques de l'entreprise.
Enfin, il est très probable que cette administration lourde et dispendieuse
n'aurait ni assez d'autorité, ni assez d'énergie pour
poursuivre avec persévérance une politique d'épargne permettant
d'accroître la puissance productive de la nation. Déjà, les pouvoirs
électifs de nos États modernes ne savent pas pourvoir régulièrement
à l'amortissement des dettes publiques. Que serait-ce dans l'État
collectiviste, s'il fallait imposer aux électeurs des retenues sur la
rétribution de leur travail, en vue d'assurer non seulement l'amortissement,
la reproduction du capital consommé, mais aussi son
accroissement? Personne n'aurait un intérêt individuel à l'épargne
nationale; pour qu'elle fût égale à la somme des épargnes privées
d'une société individualiste, il faudrait que le sentiment du devoir
social s'élevât, chez la masse des citoyens comme chez leurs représentants,
à la hauteur des sacrifices les plus difficiles.
De leur côté, les travailleurs n'auront aucun intérêt immédiat à
ne pas fatiguer le machinisme et à ne pas gaspiller les matières premières,
puisqu'ils seront rétribués à l'heure de travail d'intensité
moyenne, sans considération des économies réalisées sur le matériel
et les matières. Ils sauront sans doute que leur bien-être individuel
dépend de l'accroissement du revenu net de la société; ils auront
tous, je l'accorde, une haute idée de la solidarité sociale. Mais si
cette idée peut provoquer, chez des natures d'élite, un effort momentané
ou même un grand sacrifice, nul ne pensera qu'elle soit capable
d'imposer à la masse des travailleurs ce contrôle incessant sur soi-même
qui serait nécessaire pour prévenir le gaspillage; il ne faut
pas attendre un tel dévouement de l'individu ordinaire, quand il ne
doit recueillir personnellement qu'un bénéfice infinitésimal de ses
efforts.
Les socialistes modernes ont le bon sens de ne plus trop compter,
dans la cité future, sur la passion désintéressée du bien et sur
l'amour de l'humanité comme moteurs de l'appareil social; ils se
défendent de bâtir sur l'hypothèse d'une transformation de la nature
humaine. Mais alors, il faut reconnaître qu'une société fondée sur
un système de valeur qui n'intéresse pas les producteurs à l'emploi
des instruments perfectionnés et a. Feconomie dés moyens est condamnée
à la stagnation, au coulage, à l'affaiblissement de la production;
et finalement à la médiocrité, sinon à la disette générale.
Schaeffle n'avait pas manqué de signaler cette faiblesse du collectivisme,
tout en mêlant à sa clairvoyante critique quelques paroles
d'encouragement. Ces paroles ont été entendues.
Pour ceux qui veulent rester fidèles au principe collectiviste, il ne
peut être question de revenir aux inégalités résultant des prix de
concurrence. Comment donc, en conservant le collectivisme, échapper
au reproche de poursuivre une meilleure distribution des richesses
aux dépens de la production? Si les producteurs n'ont pas un intérêt
visible et immediat a une rigoureuse economie, c'est qu'ils ne se procurent pas eux-mêmes les moyens de production dont ils se servent,
et n'en ont pas la propriété; mais on ne saurait, semble-t-il,
reconnaître la propriété corporative sans rétablir un ordre individualiste
à peine élargi. Si les producteurs ne sont pas intéressés à se
servir d'agents matériels fournissant une production supérieure a la
moyenne, c'est qu'ils ne sont pas rétribués suivant la productivité
de leurs instruments de travail; mais on ne saurait sans injustice
les rétribuer sur cette base, dans un système de production administrative
qui confère à l'autorité publique le pouvoir de distribuer gratuitement
et arbitrairement les moyens de production.
Il paraît difficile de sortir de ces contradictions. Néanmoins,
l'épreuve a été tentée.

Version du 5 avril 2008 à 14:30

Livre 1. Le collectivisme pur et son régime de la valeur

Chapitre 1. Les plans de société collectiviste

Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants : tous les moyens de production, de circulation et d'échange appartiennent à la communauté nationale et sont exploités sous sa direction; tous les travaux et produits ont une valeur taxée en unités de travail suivant la quantité de travail dépensée, de telle sorte que les travailleurs peuvent acquérir les produits en proportion de leurs travaux sans prélèvements capitalistes.

Ce vaste système d'organisation socialiste a été présenté et développé par différents écrivains. Toutefois, ce n'est ni dans les écrits des maîtres du socialisme contemporain, ni dans ceux de leurs disciples immédiats qu'on le trouve exposé; il faut, nous le verrons plus tard, procéder à un examen attentif des écrits de Karl Marx et d'Engels pour le faire sortir des formules où il s'enveloppe.

Karl Marx s'est toujours abstenu de décrire la société future. Dans le Capital, il développe sa théorie de la valeur et de la plus-value, pour fonder sur elle la critique d'un régime dans lequel le travail salarié fournit gratuitement la plus-value capitaliste. Il s'étend sur les vices et les abus de l'exploitation capitaliste. Il expose l'évolution historique des modes de production, pour montrer qu'elle doit fatalement aboutir à l'expropriation des détenteurs du capital, à la possession commune et à l'exploitation sociale de tous les moyens de production, y compris le sol. Mais, parvenu à ce point décisif, il s'arrête, et refuse de plonger plus loin son regard dans l'avenir, dédaignant "de formuler des recettes pour les marmites de l'avenir".

Est-ce faiblesse, impuissance, prudence ou timidité? Rien de tout cela, au dire des disciples. La réserve du Maître, qu'ils ont longtemps observée eux-mêmes, s'explique par des raisons doctrinales. Si le régime collectiviste était, comme le phalanstère de Fourier ou l'Icarie de Cabet, une conception artificielle issue du cerveau d'un réformateur, un système fabriqué de toutes pièces auquel la société dût s'adapter par un acte de sa volonté réfléchie, il serait certes nécessaire de tracer et de développer le plan de la cité future, pour permettre au législateur de construire la société conformément au modèle proposé. Mais tel n'est pas le sens du socialisme scientifique contemporain, bien différent en cela du socialisme utopique qui l'a précédé. La forme sociale caractérisée par la possession commune des moyens de production n'est pas présentée comme une construction idéale et arbitraire c'est un régime qui a ses racines profondes dans la réalité, dans la vie sociale contemporaine, et qui doit, par le jeu de forces immanentes, sortir des entrailles du régime capitaliste pour se substituer à lui. De même que la propriété privée du petit producteur indépendant, cédant aux exigences d'une production grandissante qui réclamait des moyens toujours plus puissants, a dû s'effacer devant la propriété capitaliste fondée sur l'exploitation du travail d'autrui, de même la propriété capitaliste doit nécessairement à son tour se transformer en propriété sociale, par l'effet de la concentration croissante des capitaux et des contradictions inhérentes au régime capitaliste. Conformément à la doctrine hégélienne, le mouvement dialectique du monde réel s'effectue par la lutte des contraires, par le conflit entre le caractère social du mode de production et le caractère privé du mode d'appropriation, entre l'organisation systématique du travail à l'intérieur de chaque atelier et l'anarchie de la production au sein de la société, entre la capacité d'expansion de la production et la capacité plus restreinte du marché.

Ce sont donc, pour employer le langage de l'école, les conditions matérielles déjà existantes ou en train de se constituer qui élaborent elles-mêmes une forme sociale nouvelle. Dès lors, dit M. Gabriel Deville, il faut se borner à étudier ces conditions et à bien les connaître pour s'y adapter, sans "perdre son temps à régler les détails de l'organisation de la société future. A chaque époque sa tâche; n'ayons pas la présomption de réglementer l'avenir, et contentons-nous de nous occuper du présent".

Morne fatalisme chez Liebknecht. Dans un long article de Cosmopolis dont le titre, L'Etat de l'avenir, ménage au lecteur une grosse déception, il se déclare incapable de présenter une description de la société future. Il se retranche derrière notre impuissance à prévoir ce que la minute prochaine nous apportera, et à discerner même, dans l'incessant écoulement des choses, la limite du présent et de l'avenir. Ces questions indiscrètes sur l'état futur lui paraissent de véritables jeux d'enfants. L'essentiel est d'écarter les obstacles; les formes nouvelles croissent organiquement, par la force même de la vie qui anime la société.

M. Vandervelde, invité en 1893, par un journal de Bruxelles, à décrire les rouages de la société collectiviste, refuse à son tour de se placer sur ce terrain, parce que les socialistes positivistes ne sont pas des architectes sociaux voulant reconstruire la société du jour au lendemain sur des plans nouveaux. Il se borne donc à une esquisse tellement vague, qu'on ne peut parvenir à en saisir les lignes.

M. Jules Guesde observe la même attitude en 1896 à la tribune de la Chambre des députés « Cette période (des utopies socialistes) est loin, heureusement! Les socialistes d'aujourd'hui se sont mis à l'école des faits; ils ne prophétisent pas, ils observent et concluent. M. de Mun. nous a sommés de le, transporter au sein du futur état de choses, et de faire fonctionner sous ses yeux la répartition du travail dans cette société de copropriétaires. Je ne lui donnerai pas cette satisfaction, ni mes amis non plus. Les ouvriers n'en demandent pas autant. Nous nous bornons à constater que les produits du travail n'appartiendront, sans prélèvement, aux travailleurs, qu'autant qu'ils auront cessé d'être des prolétaires pour devenir des copropriétaires des moyens de production ».

Pour M. Kautsky, les constructions concernant "l'État de l'avenir" sont inutiles, parce que la transformation de l'État en une grande association économique se suffisant à elle-même n'est pas seulement quelque chose de désirable, mais d'inévitable. Les penseurs peuvent bien, dans une certaine mesure, reconnaître la direction du mouvement économique, mais non le déterminer à leur gré, ni prévoir avec précision les formes qu'il prendra. Il est donc ridicule d'exiger des socialistes qu'ils décrivent le plan de la société future et les mesures de transition. Les social-démocrates doivent écarter les fantaisies reposant sur des hypothèses, et se contenter de rechercher la direction que prendra le développement économique lorsqu'il sera placé sur une base socialiste.

Les divers congrès socialistes se sont eux-mêmes strictement renfermés dans la formule de Marx. Le programme d'Erfurt, qui est celui de la socialdémocratie allemande depuis 1891, ne porte rien de plus. « C'est seulement par la conversion de la propriété privée capitaliste des moyens de production – terre, mines, matières, instruments, machines, moyens de transport en propriété sociale, et par la transformation de la production marchande en production socialiste exercée par la société pour elle-même, que la grande exploitation et la productivité toujours croissante du travail social cesseront d'être, pour les classes jusqu'ici exploitées, une source de misère et d'oppression, pour devenir une source de souverain bien et de perfectionnement harmonieux en tout sens. » Le Congrès de Hanovre, en octobre 1899, sur la proposition de M. Bebel, s'est encore borné à mentionner dans ses résolutions la socialisation des moyens de production et l'établissement du mode de production et d'échange socialiste, sans fournir aucune indication sur ce mode de production et d'échange.

Il était pourtant difficile au parti socialiste de se maintenir rigoureusement dans cette posture dédaigneuse et énigmatique. La propriété collective des moyens de production ne peut être conçue indépendamment d'un certain mode de production et d'échange, d'un certain système de la valeur; parler de propriété collective sans indiquer, au moins dans ses traits essentiels, l'organisation sociale qu'elle implique, c'est en dire trop ou trop peu, c'est se dérober devant une explication dont on est comptable, par cela seul qu'on a prophétisé la socialisation des moyens de production.

Au reste, rien, dans la pure doctrine marxiste, n'interdit aux adeptes de faire des pronostics sur le régime de la propriété socialisée. Loin de là, Marx a dit lui-même, dans la préface du Capital, que si la société ne peut dépasser d'un saut ni abolir par décrets les phases de son développement naturel, elle peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement. Pour agir en ce sens, il n'est pas inutile que la société ait conscience de son but.

Le silence ne pouvait donc être qu'un calcul de tactique. Or, refuser indéfiniment toute satisfaction à de vaines curiosités, c'était assurément faire le jeu d'adversaires empressés à montrer le néant d'une doctrine incapable de s'affirmer dans sa partie positive. Si les formes sociales nouvelles sortent des anciennes par un développement organique, il doit être possible, lorsque l'élaboration est suffisamment avancée, de prévoir les modes dont la formation est en voie de s'accomplir. Se soustraire aux questions, n'est-ce pas avouer implicitement qu'on est trop loin du but de l'évolution pour l'apercevoir ? Se taire était d'autant plus périlleux que, derrière le penseur, un autre homme est là qui se dresse, pressant et menaçant, « avec des mains noires et des yeux ardents". Celui-là n'admet pas, pour la réalisation de ses espérances, une assignation à quelques siècles; il veut, lui aussi, entrevoir la terre promise, soulever le voile qui recouvre cet avenir socialiste si mystérieux et si troublant; cet homme-là, on ne peut l'éconduire comme un adversaire indiscret.

En vain disait-on que la Révolution française s'était faite sans que les hommes du XVIIIème siècle eussent pu prédire les formes politiques et sociales de la société nouvelle, ni prévoir les grandes transformations économiques qui devaient résulter de la domination du Tiers État, du capitalisme et de la guerre des classes. S'il est une vérité banale aujourd'hui, c'est que la Révolution était faite dans les esprits avant de s'accomplir dans les faits. Quand elle éclata, dit Louis Blanc dans son Introduction à l'"Organisation du travail" chacun en aurait pu dresser le programme. Effectivement, ce programme tenait tout entier dans la littérature du siècle et dans les cahiers de 89.

Certes, les hommes de la Révolution n'avaient pu prévoir les transformations sociales qui se sont opérées au cours du XIXème siècle, sous l'action du progrès scientifique déterminant l'expansion de la production capitaliste. Mais on ne demande pas non plus aux socialistes contemporains de prédire les déplacements de forces que le cours naturel des choses amènera au sein de l'appareil organisé qui doit constituer la société collectiviste. On leur demande seulement de décrire la structure de cet appareil et son fonctionnement, non sans doute dans ses multiples détails, mais dans ses pièces maîtresses. Tâche singulièrement plus difficile, à vrai dire, que celle des hommes qui préparèrent et accomplirent la Révolution de 1789; car ceux-là, visant surtout l'abolition des privilèges, des règlements restrictifs, des charges féodales, pouvaient concevoir à l'avance un plan de société conforme à « l'ordre naturel et essentiel des sociétés. humaines », comme disaient les Physiocrates; conservant les organes essentiels du corps social, ils se proposaient seulement de les délivrer de leurs entraves artificielles pour assurer le libre jeu des forces individuelles, tandis que nos modernes socialistes ont à dessiner un plan de société dans lequel ces organes abolis doivent être remplacer par un mécanisme tout nouveau.

Quoi qu'il en soit de ces difficultés, l'heure était venue où il n'était plus permis de se dérober; il fallait se découvrir. « A ceux qui nous demandent que serons-nous demain? nous devons une réponse " écrit M. Jaurès en 1895.

Les premiers essais sur le mode collectiviste remontent à une époque déjà éloignée. Le plus savant et le moins connu en France est celui de Rodbertus, le Ricardo du socialisme, le maître de Lassalle et le précurseur de Karl Marx. Dès 1842, dans une oeuvre d'un caractère purement abstrait, il avait exposé la théorie de la valeur fondée sur le travail, et montré son application dans une société hypothétique où il n'y aurait ni propriété, ni capital privé donnant des revenus; où l'État, seul propriétaire du capital social, administrerait toute la production, et où les travailleurs retireraient des magasins publics leur part du produit social au moyen de simples billets portant la valeur créée par leur travail. Il entreprenait cette étude « non pas pour opposer à l'état actuel un état meilleur, mais pour apprendre à mieux connaître l'un près de l'autre ». Il reprit encore par deux fois cet essai, pour donner une analyse plus profonde de l'unité de valeur représentée par l'heure de travail normal, principalement dans sa 4° Lettre sociale à von Kirchmann composée en 1852 et publiée dix ans après sa mort, en 1885, sous le titre Das Kapital. L'état qu'il décrit se distingue nettement du pur communisme par la propriété individuelle du travailleur sur la valeur entière de son produit, c'est-à-dire sur les objets de consommation qu'il acquiert dans la mesure de cette valeur. C'est donc le véritable collectivisme, dans le sens le plus rigoureux et le plus complet. Rodbertus en concevait d'ailleurs la réalisation dans un avenir très éloigné

La même année 1842, un autre Allemand, Wilhem Weitling, traçait le plan d'une société mi-partie communiste, mi-partie collectiviste, dont M. Antoine Menger a donné une courte analyse.

L'exposé le plus connu du collectivisme pur est celui de Schoefue, ancien ministre autrichien, dans un petit livre intitulé La quintessence du socialisme qui fut publié pour la première fois en 1874. Schoeffte n'est pas un collectiviste; partant des données fondamentales du socialisme pour en déduire scientifiquement les conséquences, il se propose seulement d'éclairer les adversaires sur les points ou leurs réfutations habituelles portent à faux, et les partisans sur les lacunes de leurs théories.

Avec moins d'autorité et plus de fantaisie, un Américain, M. Bellamy, dans un roman célèbre publié en 1858 avait fait vivre la société de l'an 2000 organisée suivant les mêmes principes. William Morris composait aussi vers cette époque un roman du même genre, dont on ne peut tirer aucune indication sur l'organisation interne de la société nouvelle. Enfin M. Bebel, dans son livre sur La Femme édité pour la première fois en 1883, avait consacré tout un chapitre à la Socialisation de la société, mais sans nous renseigner encore d'une façon bien précise.

La littérature socialiste, encore insuffisante dans sa partie positive, s'est enrichie depuis lors; mais les plans d'organisation récemment présentés s'écartent tous plus ou moins du type collectiviste ordinaire, et cherchent à le corriger sur ses points les plus faibles. Dans son étude sur l'Organisation socialiste, publiée en 1895, M. Jaurès nous présente le collectivisme comme une forme destinée a succéder immédiatement à l'ordre capitaliste, mais appelée elle-même à évoluer sans secousse vers le communisme libertaire. Il reste fidèle au principe de la valeur taxée en temps de travail; mais il tempère le collectivisme en donnant une certaine autonomie aux groupes de producteurs, et s'efforce d'intéressser les travailleurs aux progrès de la production en modifiant les bases de l'unité de valeur.

M. Georges Renard, en 1897, dans son Régime socialiste, altère plus profondément le type consacré du collectivisme en y introduisant, dans une certaine mesure, le jeu de l'offre et de la demande. sans renoncer cependant aux bons de travail comme intermédiaires d'échange. Il tend, comme M. Jaurès, à élargir et assouplir le collectivisme en le pénétrant de justice et de fraternité, et surtout en y mettant plus de liberté, conformément à la véritable tradition française, si hostile au fond à la conception matérialiste et autoritaire du socialisme allemand.

En 1896 et 1899, deux socialistes, l'un Américain, M.-Gronlund, l'autre Suisse, M. Sulzer, ont été plus loin encore dans la voie des déformations; ils ont généralisé l'application de l'offre et de la demande dans le collectivisme. Pour cette raison, et bien qu'ils excluent encore la monnaie métallique, leurs systèmes, comme celui de M. Georges Renard, ne figureront pas dans cette étude du pur collectivisme, et seront examinés au livre suivant.

Chapitre 2. Esquisse du système collectiviste et définition de son unité de valeur.

La société collectiviste suppose une organisation méthodique de la production nationale, qui s'exerce sur les agents naturels et les capitaux productifs socialisés. L'autorité publique, éclairée par des statistiques sur les besoins de la consommation, dirige et réglemente toute la production, le transport, l'emmagasinage et le débit des produits. Elle rétribue les travailleurs en unités de valeur sociale, d'après le temps de travail de qualité moyenne qu'ils ont consacré à la production; elle tarife de même les produits d'après le temps de travail moyen qu'ils ont coûté. Les travailleurs peuvent donc se procurer les produits aux magasins publics en échange des bons de travail ou certificats d'unités de valeur qu'ils ont acquis par leur travail.

La rétribution du travail étant égale à la valeur du produit – sauf une certaine déduction pour les besoins collectifs, les divers prélèvements opérés aujourd'hui au profit du capital privé sous les noms d'intérêts, dividendes, loyers ou fermages disparaissent d'une façon absolue. Plus de profits ni de salaires; la distinction entre capitalistes et salariés s'évanouit. Plus d'échanges individuels ni de commerce privé; en dehors des objets débités par les entrepôts publics, il ne peut y avoir aucune vente de marchandises entre particuliers. Plus de monnaie au sens actuel du mot, métallique ou fiduciaire. La banque, la Bourse, la spéculation, le crédit, la dette publique, l'assurance par capitalisation, disparaissent avec l'intérêt du capital et les échanges. La concurrence anarchique entre producteurs est abolie; avec elles cessent les crises, les chômages, les phénomènes de surproduction, l'excès de population et le paupérisme; la société est une vaste unité économique, consciemment organisée et dirigée, au sein de laquelle tous les citoyens trouvent l'emploi de leurs forces. L'exploitation de l'homme par l'homme prend fin, et le travailleur obtient, en équivalents, le produit intégral de son travail, diminué seulement de la part nécessaire à la collectivité pour subvenir aux charges publiques et accroître le capital social.

Le but du collectivisme est donc l'échange direct des travaux contre les produits, suivant un système de valeur en unités de travail qui aboutit, par la suppression totale de la plus-value capitaliste, à une répartition des richesses conforme au principe A chacun suivant son travail. Le régime suppose par conséquent que nul ne peut prêter à intérêt le fruit de ses épargnes, bons de travail ou richesses de consommation, ni faire acte de commerce en vendant ces richesses à un tiers. De tels actes sont rigoureusement interdits, et l'autorité publique doit savoir discerner ceux qui se dissimulent sous la forme d'une libéralité permise.

Je me propose d'étudier ici l'unité de valeur collectiviste qui sert de base à la taxation des travaux et des produits, pour suivre les applications et les conséquences de ce mode de la valeur dans l'ordre économique. Il semble que la critique, ainsi limitée, soit incomplète. Toutefois, il n'est guère d'objet qui ne se rattache en quelque manière au régime de la valeur; tout l'ensemble de l'organisation peut être contrôlé en partant de ce principe. L'unité de valeur est le point central et la clef de voûte de tout le système; sur elle se sont portés les efforts des théoriciens du socialisme; sur elle aussi doit se concentrer l'attention de la critique.

La substance de la valeur, c'est le travail, et la mesure de la valeur, c'est la durée du travail. Tel est le principe qui, issu de l'économie anglaise, recueilli par tous les socialistes modernes, et formulé par Karl Marx pour l'interprétation des phénomènes actuels doit aboutir, dans une société où le capital est collectif, à la rémunération du travailleur suivant le travail qu'il a fourni. « La valeur peut être constituée d'après la somme du travail immédiat et médiat que coûte le produit », dit Rodbertus, de telle sorte que le travail soit la mesure de ce qui revient à chaque producteur dans le revenu social'. « Le temps nécessaire pour produire un objet, dit M. Bebel, est la seule mesure à laquelle celui-ci doive être évalue en tant que 'valeur usuelle sociale. »

En supposant donc, avec Schoeme, que 2 milliards 400 millions d'heures de travail soient nécessaires pour produire la somme totale des richesses dont une société a besoin pendant une année, un même nombre d'unités nominales de valeur devraient être délivrées aux travailleurs en bons de travail, afin que ces mêmes travailleurs pussent acheter aux magasins publics le produit total du travail collectif valant également 2 400 000 000 d'heures de travail.

Sans pousser à fond l'analyse, il est aisé de voir que la notion de valeur se trouve ainsi transformée dans son essence. Jusqu'ici, en dépit des théories de Karl Marx, les sociétés humaines n'ont connu, sous le nom de valeur, que des rapports d'échange entre deux marchandises; une marchandise n'a pas une valeur en soi, comme elle a une longueur et un poids, elle a une valeur par rapport à la monnaie, par rapport au blé, au charbon, à la laine, etc. Dans l'ordre collectiviste, au contraire, la valeur, étant la quantité de travail incorporée dans un objet, devient une substance propre, une qualité intrinsèque du produit, qui lui appartient en dehors de toute relation d'échange avec les autres produits du travail. La valeur ainsi conçue se mesure en unités formées par l'heure de travail humain, comme la chaleur se mesure en thermies produites par l'unité de travail mécanique.

Les bons de travail qui représentent ces unités sont des moyens de liquidation permettant au travailleur de prendre, dans le revenu social, une part égale à la valeur qu'il a créée par son travail. Le travail s'échange désormais contre les produits au moyen de certificats de valeur, qui peuvent être des billets de papier ou même des jetons d'or, mais qui ne sont en aucune façon une monnaie-marchandise comme la monnaie actuelle. Notre monnaie d'or tire de sa matière une valeur d'échange vis-à-vis des marchandises, valeur propre, variable sur le marché libre comme celle de toute autre marchandise et les autres monnaies, espèces d'argent, billon, billets de banque, et même papier-monnaie inconvertible en espèces, empruntent à la monnaie d'or, par la force de l'équivalence légale (ou de la convertibilité s'il s'agit de billets), tout ou partie, suivant les circonstances, de la valeur de cette monnaie d'or; leur valeur est donc de même nature que la sienne, une valeur d'échange de marchandise vis-à-vis d'autres marchandises, soumise aux fluctuations de l'offre et de la demande. Les bons de travail, au contraire, quelle que soit leur matière, sont de simples signes, des symboles d'une quantité fixe de valeur formée par le travail et déterminée par l'autorité publique. C'est une monnaie parfaite, dit Rodbertus, donnant la mesure absolue de la valeur, et offrant une sécurité absolue, puisqu'elle n'est émise que si la valeur qu'elle exprime existe réellement. Elle ne porte pas en elle-même son gage, comme la monnaie métallique actuelle; elle n'est pas non plus dépourvue de gage, comme la plupart des billets de banque et des papiers de crédit; "c'est un genre de monnaie qui, sans valeur en elle même, est cependant toujours hypothéquée sur une valeur réelle existante. » Les signes ou certificats ne sont même pas nécessaires; il suffit que les unités de valeur soient inscrites sur les livres de la comptabilité publique au débit et au crédit de chacun, à l'occasion de ses travaux et de ses achats.

Il est évident que le système exige, pour son fonctionnement régulier, une rigoureuse égalité toujours observée entre deux sommes d'unités de valeur; la balance doit être toujours égale entre la taxe des travaux et celle des produits, et les bons délivrés aux travailleurs doivent être annulés dès qu'ils sont reçus en paiement d'un produit ou d'un service fourni par l'Administration.

Théoriquement, cette égalité peut être obtenue, puisque c'est une seule et même autorité qui évalue travaux et produits et qui débite les objets de consommation. Et il est de toute nécessité que cette égalité théorique soit obtenue effectivement. Quelles que puissent être les difficultés d'une immense comptabilité, quelles que soient les complications résultant des fraudes, des pertes et détériorations, des bons non présentés et tenus en réserve, des échanges avec l'étranger, des amortissements prolongés, des travaux qui ne se matérialisent pas dans un produit, et de mille autres causes qui apparaîtront dans la suite, il est indispensable que l'équilibre des bons soit maintenu. S'il venait à se rompre, toute la machine se détraquerait; les hommes périraient de faim, de froid et de misère, avec les poches vides devant des magasins regorgeant de marchandises, ou plus souvent avec les poches pleines de chiffons de papier sans valeur devant des greniers vides.

La valeur se fixe donc suivant la durée du travail, qui sert de commune mesure pour la tarification des travaux et des produits en unités semblables. D'où il semble que l'on puisse tirer cette double règle : tout produit vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a coûtées; tout producteur reçoit un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a fournies.

Une table en bois blanc a coûté, par exemple, vingt heures de travail une heure pour le travail du bûcheron, trois quarts d'heure pour le transport du bois, dix-huit heures pour le travail du menuisier, et un quart d'heure, dans la mesure de l'usure, pour la confection et l'entretien des instruments employés aux différentes phases de la production car la société doit couvrir intégralement les frais d'amortissement du matériel fixe et les frais de transport, par des attributions de valeur suivies de prélèvements sur les différents objets fabriqués ou transportés. Cette table sera donc cotée vingt bons d'une heure, et ces bons seront répartis entre les différents travailleurs, bûcheron, voiturier, menuisier, etc., suivant la part qu'ils auront prise à l'oeuvre commune.

Représentons-nous, sur cette donnée particulière, la répartition du produit social dans son ensemble. La société garde naturellement pour elle les moyens de production, instruments et matières, qu'elle a jugé utile de créer dans l'année pour remplacer ceux qui ont été usés on consommés; elle garde aussi, sans doute, la propriété des. maisons d'habitation. Seuls, les objets mobiliers de consommation et de jouissance sont destinés à l'appropriation particulière. Une partie de cet approvisionnement de consommation échappe aux producteurs d'objets de ce genre c'est la partie représentée par les bons que prélève la société pour couvrir le prix des matières, l'amortissement de l'outillage et les frais de transport. Elle sert à la consommation des producteurs de moyens de production et des transporteurs, qui l'acquièrent dans la mesure de leur travail au moyen des bons que la société a prélevés à ces divers titres pour les leur allouer.

La double de taxation des travaux et des produits suivant la durée du travail fourni paraît devoir s'appliquer avec une rigoureuse précision. Il s'en faut cependant qu'on puisse l'observer dans sa simplicité élémentaire.

Une première dérogation s'impose, de l'aveu de tous les socialistes sans exception, en raison des besoins de la collectivité. La société doit, non seulement reconstituer les moyens de production usés ou -consommés, mais accroître le capital collectif; il lui faut, en outre, pourvoir aux charges publiques de sécurité, de salubrité, d'éducation, d'administration économique, et à l'entretien de tous les citoyens qui ne peuvent travailler; pour y faire face, elle a besoin de ressources prises sur le revenu social. Il ne s'agit pas là, paraît-il, -d'un impôt; mais il s'agit bien de prélèvements qui, à la différence de l'amortissement et des frais de transport, ne correspondent à aucune addition de valeur, et qui viennent par conséquent restreindre la part des travailleurs. Si ce prélèvement social doit s'élever au tiers de là production tout entière, la rétribution de chaque travailleur subira une réduction d'un tiers, et notre menuisier, par -exemple, pour 18 heures de travail, ne recevra que 12 bons, les 6 autres revenant à la collectivité. Il ne reçoit pas intégralement l'équivalent de son travail, et ne profite du prélèvement qu'à titre de membre du corps social.

Les socialistes sont encore unanimes pour interpréter d'une façon conditionnelle la règle que le travail est rétribué selon sa durée. La quantité de travail fournie par le producteur individuel ne s'apprécie pas seulement d'après sa durée; l'heure de travail d'un ouvrier négligent ou incapable ne représente pas une même quantité de travail que celle d'un ouvrier habile et laborieux. Il faut donc établir une moyenne sociale et tenir compte, dans la taxation, de l'intensité et de l'habileté du travail, qui s'apprécient d'après le résultat. On prendra comme base le produit que donne, en une heure, un travail d'intensité et d'habileté moyennes dans un milieu social donné, et l'unité de mesure sera l'heure de travail social de productivité moyenne dans chaque genre de travail. Si l'on a pu constater qu'un travailleur moyen fabrique en une heure un sabot convenablement creusé et arrondi, l'agent préposé à la taxation délivrera deux bons à l'ouvrier qui lui apportera une paire de sabots bien faits, et deux tiers de bon seulement au compagnon qui lui présentera un seul sabot mal dégrossi. Peu importe que les deux sabotiers aient travaillé exactement une heure l'un comme l'autre; leur rétribution se calcule suivant la quantité de travail moyen contenue dans le produit.

Pour des travaux de même nature, on saura donc graduer les allocations suivant la qualité du travail. Mais pour des travaux de nature différente, il n'en est plus de même. La question soulève des difficultés particulières, qui seront traitées ultérieurement; aussi devons-nous considérer provisoirement toutes les heures de travail comme équivalentes, quel que soit le genre de travail.

Pour des travaux de même catégorie, le calcul de l'unité moyenne présente encore une difficulté. La productivité du travail, dans un même espace de temps, dépend bien plus encore de la qualité des agents matériels et des instruments employés que de la qualité du travail lui-même. Un travail d'égale durée et d'égale intensité donnera peut-être 8 hectolitres de blé par hectare en Sologne, et 40 hectolitres sur une terre de Flandre convenablement fumée; un fileur obtiendra une quantité de fils très différente suivant qu'il travaillera sur un rouet primitif ou sur un métier mécanique.

II est évident que si la nation, seule propriétaire des terres, des mines et de tout le capital industriel, est aussi le seul entrepreneur d'agriculture, d'industrie, de transport, il ne saurait y avoir aucune différence dans la rétribution du travail à raison de l'inégalité des moyens de production. C'est l'Administration elle-même qui distribue aux groupes professionnels et aux individus les terres, les mines, les bâtiments, qui leur fournit les machines, les outils et les matières premières. Conçoit-on qu'un travailleur agricole reçoive cinq fois moins de bons qu'un autre, pour un travail aussi long et aussi pénible, parce qu'il n'aura pu produire que 8 hectolitres sur une terre ingrate, tandis que l'autre, comblé des faveurs administratives, installé sur un sol propre à la culture intensive, abondamment pourvu de bestiaux, de machines, d'engrais chimiques, de semences sélectionnées, aura pu fournir 40 hectolitres? Est-il juste que le gain d'un fileur de coton dépende de la perfection du métier qui lui a été assigné? Non, il n'est pas admissible, dans un système de production administrative, que la rémunération des travailleurs subisse des inégalités pour des causes extrinsèques, indépendantes du mérite de l'individu et subordonnées au bon plaisir des autorités publiques.

Aussi M. Jaurès nous dit-il que les producteurs seront rémunérés selon la quantité de travail effectif individuellement fournie par eux. Quelles que soient la quantité et la qualité du charbon extrait d'une mine dans une journée de travail, le mineur recevra partout, que ce soit à Anzin, à Decazeville ou à Bessèges, une rémunération calculée sur le nombre d'heures de travail normalement employées à l'extraction « Il n'y aura donc entre les travailleurs aucune inégalité préalable résultant soit de l'outillage avec lequel ils travaillent, soit de la matière première sur laquelle ils travaillent. Et il en sera de la filature, du tissage, de la métallurgie, de la verrerie, comme de l'industrie extractive. »

De là, une difficulté. Le travailleur doit être rétribué suivant la quantité de travail moyen que renferme son produit. Mais comment tenir compte de l'habileté et de l'intensité du travail, si l'on ne peut calculer la rémunération d'après le produit? Les socialistes ne prévoient pas la difficulté; il faut donc chercher la solution à leur place. Pour résoudre la question, il est nécessaire de distinguer, dans la productivité du travail, l'effet propre des facteurs matériels de la production. L'Administration devra donc, semble-t-il, déterminer préalablement le produit d'une heure de travail moyen sur chaque champ, sur chaque veine, dans chaque atelier industriel, eu égard a la nature du sol ou du sous-sol, à l'outillage et aux matières employées. Si cette estimation est exactement faite, il devient possible de discerner le rôle des facultés personnelles du travailleur dans la production; et de calculer sa rétribution d'après le temps de travail moyen qui est nécessaire pour établir le produit dans les conditions techniques données; la rente différentielIe n'entre pas dans la rémunération du travailleur.

Ce mode de calcul entraînera généralement un désaccord entre la taxe du travail et celle du produit, par dérogation à la règle que tout objet vaut exactement un nombre de bons égal à celui des heures de travail qu'il a coûtées. II est impossible, en effet, que des articles de nature et qualité semblables aient plusieurs cotes différentes sur une certaine place, alors même qu'ils auraient coûté des sommes de travail très inégales. A l'entrepôt public, tout produit doit être tarifé non pas d'après le temps de travail d'intensité moyenne qu'il a coûté, mais d'après le temps de travail socialement nécessaire à sa production, suivant les conditions moyennes de productivité des agents naturels et instruments employés dans la branche d'industrie à laquelle il se rattache. Il faut appliquer ici la théorie du « travail normal de Rodbertus, et du « travail socialement nécessaire à la production » de Karl Marx.

Si un sac de 100 kilos de charbon coûte une demi-heure de travail moyen à Anzin, une heure et demie à Decazeville, et une heure en moyenne sur l'ensemble de la production française de l'année, il sera payé un demi-bon au mineur d'Anzin, un bon et demi au mineur de Decazeville, mais il sera vendu un bon par les magasins publics. Car l'unité de valeur se fixe sur des données différentes pour le travail et pour le produit. S'agit-il de la taxe du travail? L'unité est le produit, dans la mine particulière où le travail est exécuté, d'une heure de travail d'intensité moyenne, de sorte que la moyenne sociale considérée ici est exclusivement celle de la qualité du travail; le mineur reçoit donc un bon et demi à Anzin pour une heure de travail, s'il a pu, par un effort exceptionnel, abattre 300 kilos de charbon en une heure. S'agit-il de la taxe du produit? L'unité est le produit d'une heure de travail de productivité moyenne appréciée sur l'ensemble de l'industrie minière, de sorte que la moyenne sociale considérée est à la fois celle de l'intensité du travail humain et celle de la productivité des agents matériels; le consommateur paie donc trois bons pour les 300 kilos de charbon d'Anzin. L'égalité du coût et du prix, des bons délivrés aux mineurs et des bons représentés par le charbon en magasin, l'égalité, rompue dans la plupart des cas individuels, ne se retrouvera que sur l'ensemble, si la comptabilité est bien tenue.

Quand les conditions de la production viennent à changer dans le pays, par l'effet des circonstances atmosphériques, des progrès techniques ou de toute autre cause, les moyennes sociales de productivité du travail, qui servent de base à la taxation des produits, doivent être révisées. Mais pour que l'équilibre des taxes subsiste entre travaux et produits, il faut que l'ancien tarif continue à s'appliquer aux articles emmagasinés avant la révision. Ces produits doivent donc être écoulés dans la consommation avant les articles similaires qui portent le nouveau tarif.

De même que les frais de production, les frais de transport, qui grèvent très inégalement, suivant la provenance, les différents sacs de blé emmagasinés dans un même grenier public, doivent être repartis également entre eux tous..

Tous les travailleurs ne fournissent pas des produits aux entrepôts publics; il en est, en très grand nombre, qui exécutent des travaux manuels sans créer un produit neuf, ou qui rendent des services de nature immatérielle. Parmi eux, certains fonctionnaires, comme les juges et les administrateurs, ne rendent de services qu'à l'État; ceux-là doivent être naturellement payés par l'État, au moyen des bons prélevés pour couvrir les charges publiques. Mais il est d'autres travailleurs de cette catégorie qui rendent des services aux particuliers. Pour rester fidèle au principe collectiviste, on ne doit pas permettre que leur rétribution soit fixée de gré à gré suivant l'offre et la demande; il faut que ces travailleurs relèvent de l'Administration comme tous les autres, et que leur rétribution soit établie, suivant la loi commune, d'après la durée de leur travail d'intensité moyenne. La règle est applicable très simplement à tous ceux qui sont employés dans un service public, matelots, employés de chemins de fer, etc.; ceux-là sont payés par l'Administration sur le produit des taxes acquittées par le public. La même règle peut aussi s'appliquer à ceux qui rendent aux particuliers des services directs : serviteurs attachés à la personne, coiffeurs, cochers, portefaix, blanchisseurs, ouvriers faisant les réparations locatives aux bâtiments, ou les menues réparations aux objets d'usage individuel; tous, semble-t-il, doivent être payés au tarif par l'Administration, qui reste chargée de percevoir le prix de leurs services. Quant aux professeurs libres, chanteurs, médecins, etc., on conçoit à la rigueur qu'ils subissent aussi l'application de cette règle égalitaire; mais certains écrivains collectivistes proposent de les traiter plutôt comme des fonctionnaires, et de les rétribuer sur les taxes publiques.

Telle est la valeur dans l'ordre collectiviste. Sur cette base, le monde nouveau doit s'ordonner de lui-même. A côté du Gouvernement politique et de l'Administration préposée aux services publics déjà existants, s'organisera une Administration chargée de l'économie nationale; des organes anciens se transformeront, d'autres naîtront en foule et se développeront, conseils, directeurs, inspecteurs, préposés, employés aux écritures, tous alimentés par le suc nourricier des ressources publiques. Ils auront à commander et à surveiller toutes les opérations de culture, d'extraction, de fabrication, de transport et de débit nécessaires à la vie nationale. Ils recruteront et dirigeront tout le personnel de la production et des transports. Ils règleront le nombre des travailleurs dans les ateliers et leur distribueront les tâches, renvoyant ceux qui deviennent inutiles et les occupant ailleurs, suivant les variations des besoins et les capacités individuelles, sans jamais laisser chômer un seul travailleur. Ils procureront à chaque établissement les bâtiments,. machines et approvisionnements dont il aura besoin, feront exécuter les travaux d'art et d'amélioration agricole, veilleront à la conservation, à l'entretien et au renouvellement de l'outillage national. Ils dresseront exactement la statistique des consommations annuelles; assigneront à chaque établissement de production les quantités à fournir; détermineront les terres qui devront être cultivées en vignes, en pâturages, en bois, en céréales; prescriront les types et modèles à exécuter dans l'industrie. Ils administreront tout le service des transports par chemin de fer, tramways, le service du roulage, des déménagements, des transports maritimes à voile et à vapeur. Ils géreront tous les hôtels, cafés et restaurants publics, seuls autorisés dans un régime qui proscrit toute entreprise individuelle et tout bénéfice commercial. Ils tiendront les entrepôts et magasins généraux; ils pourvoiront à leur approvisionnement, de manière à satisfaire exactement les besoins des différentes localités; ils veilleront soigneusement à la conservation des produits, et les livreront au public. Ils installeront, pour les objets de consommation journalière, des lieux de débit rapprochés des consommateurs, boulangeries, épiceries, pâtisseries, pharmacies, papeteries, merceries, etc.; ils préposeront des fonctionnaires à la gestion de ces magasins de détail, et leur fourniront les articles à débiter. Ils mettront à la disposition du public les travailleurs qui rendent des services aux particuliers, médecins, cochers, coiffeurs, ouvriers faisant les réparations, etc. Ils construiront, entretiendront et géreront toutes les maisons d'habitation sur la surface du territoire, feront les baux, fixeront les loyers en bons de travail de manière à amortir le prix de la construction, et les percevront régulièrement. Ils calculeront le produit d'une heure de travail d'intensité moyenne dans chaque établissement de production, eu égard à son outillage et aux conditions naturelles où il se trouve, de manière à déterminer, pour chacun d'eux, l'unité sur laquelle s'y réglera la rétribution du travail; ils recevront les produits, en apprécieront la qualité, et fixeront en conséquence la rétribution due aux travailleurs. Ils délivreront les bons, après avoir prélevé les taxes destinées à subvenir aux besoins collectifs et à l'extension de la production nationale. Ils calculeront et réviseront la moyenne de productivité des agents naturels et instruments de production sur l'ensemble du pays pour chaque nature différente de produits, en divisant le total du produit par le total des heures de travail employées, afin de déterminer, dans chaque genre, le produit moyen d'une heure de travail, qui servira d'unité de valeur pour la taxe des articles à l'entrepôt public; ils feront la répartition des frais généraux et des frais de transport, et calculeront l'amortissement des capitaux fixes pour le faire entrer dans le prix des produits, des transports et des logements; enfin, après avoir établi le prix de revient, ils détermineront le tarif des articles en magasin. Is tiendront la comptabilité, et vérifieront sans cesse la balance des bons. Ils contrôleront les écritures des préposés aux magasins et entrepôts de détail. Ils pourvoiront aux échanges avec l'étranger; ils apprécieront les quantités de marchandises étrangères nécessaires à l'industrie nationale et à la consommation, et constitueront une réserve en espèces métalliques et en marchandises d'exportation, pour parer aux déficits des récoltes et aux besoins imprévus ils prévoiront la nature et la quantité des produits indigènes que les pays étrangers accepteront en échange de leurs marchandises, et régleront la production nationale en conséquence; ils négocieront les échanges, exécuteront les opérations, feront opérer les transports, et poursuivront le règlement en espèces des différences etc., etc.

La valeur dont la théorie vient d'être exposée est celle qui se présente à l'état natif, pour ainsi dire, dans le collectivisme le plus radical. Pour apprécier le système, il est utile de rappeler le rôle que joue aujourd'hui la valeur sous sa forme prix.

Le prix, dont les oscillations sont déterminées par l'intensité variable des besoins chez les consommateurs, est d'abord le grand régulateur de la production et de la distribution des richesses dans notre regime de concurrence individualiste. La production est-elle insuffisante pour une certaine catégorie de marchandises? Sous la pression du besoin, les prix s'élèvent, de sorte que les demandes en excès sur les quantités existantes s'éliminent d'elles-mêmes; et cette hausse, attirant capitaux et producteurs par la perspective d'un profit ou d'un salaire plus élevé, suffit à rétablir l'équilibre. Grâce aux indications instantanées de cette aiguille si sensible des prix, les moindres besoins de ceux qui peuvent offrir une contre-partie dans l'échange se trouvent prévenus et satisfaits; les approvisionnements en subsistances des agglomérations géantes sont assurés en quantités suffisantes, sans déperdition et sans excès; le nombre des mineurs, des tisserands, des maçons, des professeurs et des médecins dans la société se proportionne aux besoins; tout cela naturellement, spontanément, sans direction gouvernementale et sans contrainte de l'autorité publique, par le seul jeu naturel des rouages sociaux. Une force, inconsciente comme les forces de la nature physique, agit pour établir dans l'ordre économique une certaine harmonie, à travers des désordres partiels et des irrégularités passagères.

Le mécanisme des prix, instrument d'équilibre, est aussi un instrument de progrès d'une grande énergie. Le bénéfice de l'industrie et du commerçant est attaché à la vente du plus grand nombre possible d'articles produits aux moindres frais. Que le producteur s'ingénie donc à deviner les goûts du public, à multiplier les produits, à perfectionner leur qualité; qu'il fournisse le maximum d'efforts et évite le gaspillage; qu'il réduise au minimum son prix de revient par d'habiles combinaisons et des procédés nouveaux; il réalisera ainsi des profits exceptionnels, jusqu'au jour où le perfectionnement, en se généralisant, amènera une baisse de prix dont la société entière profitera.

Les socialistes ont beau jeu, certes, dans leur rôle de critiques, lorsqu'ils dénoncent les abus du régime capitaliste, l'oppression et l'écrasement des faibles, les crises et les chômages, le paupérisme, les excès de la spéculation, l'enrichissement des oisifs. Mais ils ne peuvent nier que ce régime de libre concurrence, au sein duquel le mal s'épanouit, a non seulement le mérite d'être viable, existant, de puiser sa force et sa raison d'être dans la réalité et dans les lois du développement historique, mais aussi d'être harmonieux dans une certaine mesure, et favorable au libre développement des forces de la production. Ce mérite, il le doit à son système de valeur, dont l'unité est indirectement réalisée dans l'unité physique de la monnaie. Cette constitution organique de l'étalon permet à la valeur de varier, sous l'effort de là concurrence, suivant l'intensité des désirs des consommateurs elle permet au profit de s'élever en raison de l'habileté des producteurs à satisfaire, aux moindres frais possibles, les besoins les plus pressants de la société.

La valeur basée sur le travail pourrait-elle, dans le monde collectiviste, remplir le double rôle que joue le prix, comme instrument d'équilibre et facteur du progrès? A son défaut, quelles seraient les forces capables d'agir à sa place? Tout le problème du collectivisme est là, dans ces deux questions d'équilibre et de progrès. Après avoir interrogé le collectivisme à ce double point de vue, en intervertissant l'ordre des questions, nous lui demanderons encore si sa forme de la valeur est compatible avec le maintien de la petite propriété chez le producteur indépendant, paysan, artisan et boutiquier.


Chapitre 3. Le progrès de la production.

  • § I. Insuffisance du collectivisme pur au point de vue du développement des forces productives.


Le collectivisme, privé de l'excitation du profit individuel, renferme- t-il un ressort de progrès industriel aussi énergique que la concurrence? La question est d'importance capitale; car, si le socialisme doit sacrifier la production à son rêve d'une plus juste répartition, il est incapable de réaliser, pour la généralité des citoyens, une amélioration sensible des conditions matérielles, et ne peut aboutir qu'à la médiocrité générale et au rationnement.

Les socialistes comptent sur un énorme accroissement de richesses, lorsqu'une organisation méthodique de la production aura supprimé les doubles emplois, les faux frais et fausses directions, les chômages, les parasites de l'ordre capitaliste, les dépenses improductives telles que les dépenses militaires et le service de la dette publique. On voudrait partager leur confiance dans le fonctionnement régulier du mécanisme immense de la production nationale régie par l'État. Mais un inconnu aussi redoutable interdit les appréciations optimistes à ceux qui se défient de l'intelligence suprême préposée à la direction, et des moyens dont elle disposera pour exercer ses fonctions régulatrices.

En revanche, on reconnaîtra volontiers que des travailleurs rétribués suivant l'habileté et l'intensité de leur travail seront incités à fournir le maximum d'efforts. D'une façon générale, on peut admettre que des hommes ayant conscience de travailler pour la collectivité prendront plus d'intérêt à la production que de simples salariés au service de l'industrie privée.

Dans le même esprit d'impartialité, on se gardera de dire que toute invention cessera, lorsque l'inventeur ne pourra plus tirer profit d'un brevet ni exploiter sa découverte comme entrepreneur d'industrie. Il y aura peut-être, dans le monde industriel, moins de travailleurs sacrifiant leur repos et leur santé à des recherches dont le succès ne donnera plus la fortune. Néanmoins, sans parler des distinctions honorifiques qui pourront encore récompenser les auteurs de découvertes utiles, l'amour-propre, et le besoin instinctif chez l'homme d'exercer ses facultés naturelles, suffiront sans doute à stimuler encore le génie inventif des hommes de science, des directeurs de la production et des simples travailleurs manuels.

Mais, en dehors des découvertes éclatantes qui, à défaut d'avantages matériels, procurent au moins la célébrité, peut-on espérer qu'un régime de production administrative, privé de la concurrence, sera favorable aux améliorations de détail dans l'agencement des tâches et l'emploi des matières, aux perfectionnements insensibles dans l'organisation des services, aux multiples combinaisons qui tendent à améliorer la qualité des produits, à les approprier aux goûts de l'acheteur, à réduire les frais et à augmenter les rendements ? La question qui se pose ici porte surtout sur la direction; il s'agit de savoir si la direction, dans le monde collectiviste, peut avoir la même vigueur, le même esprit de progrès, la même vigilance qu'en régime de concurrence.

Pour les industries qui sont déjà exploitées par l'État ou par des sociétés anonymes, il ne semble pas tout d'abord que la direction, en régime collectiviste, doive être inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui. Dans les plus vastes organisations administratives dirigées par un personnel salarié, dans le service des postes et télégraphes, des ponts et chaussées, des chemins de fer, dans les exploitations minières appartenant à des compagnies ou à des États, la gestion est régulière, parfois rigoureuse, et des progrès incessants se réalisent, d'une façon anonyme, lors même que l'entreprise n'est soumise à aucune concurrence; pourquoi n'en serait-il pas de même pour des industries socialisées?

Il y a cependant, entre les unes et les autres, une différence importante au point de vue qui nous occupe. La constitution des grandes compagnies d'industrie et de transport est tout aristocratique, et leur action reste dominée par la recherche du profit. Le personnel dirigeant, dans les exploitations d'Etat comme dans celle des sociétés anonymes, est recruté suivant des modes qui tendent à opérer une sélection des capacités. Si la production collectiviste doit être dirigée par un personnel électif, les garanties seront loin d'être équivalentes. Car les travailleurs ne seront personnellement intéressés ni à l'amélioration des produits, ni à la diminution des frais, ni à l'emploi des machines les plus productives; il importera peu au tisseur de donner à la société deux mètres d'étoffe sur un métier perfectionné plutôt qu'un mètre sur un métier ordinaire, si son heure de travail doit être payée de la même manière. Dès lors que les travailleurs attachés à un établissement ne seront pas directement intéressés au progrès de la production et à l'écoulement des produits, il est douteux, s'ils sont appelés à élire leur chef, que leur choix se porte sur celui qui possédera les meilleures qualités d'organisation et de commandement. Supporteraient-ils une surveillance minutieuse du travail, un contrôle rigoureux des produits? Se soumettraient-ils à des réformes intérieures contrariant leurs habitudes ou leurs intérêts? Accepteraient-ils des machines nouvelles qui déplaceraient une partie d'entre eux? Pour que l'autorité ne fût pas énervée, il faudrait au moins adopter un mode de recrutement qui ne mît pas les directeurs sous la dépendance de leurs subordonnés immédiats.

Reste la catégorie innombrable des entreprises de toute nature, agricoles, industrielles, maritimes, voiturières, commerciales, qui, gérées aujourd'hui par des entrepreneurs responsables, passeraient, en régime collectiviste, sous la gestion des fonctionnaires. Ici, la déperdition de forces serait incalculable. Rien ne peut remplacer, dans la direction de ces entreprises aux dimensions restreintes, l'excitation de l'intérêt individuel. Le labeur acharné du paysan propriétaire, l'activité fiévreuse de l'homme d'affaires, la poursuite incessante des combinaisons les plus économiques, la recherche des produits les plus appréciés de la clientèle, la surveillance vigilante du personnel, tout cet effort opiniâtre et continu du cultivateur, de l'industriel, du commerçant qui se dépense sans compter, parce qu'il sait que sa fortune et sa réputation dépendent de son travail et de son habileté, seraient sacrifiés sans compensation dans une organisation bureaucratique qui embrasserait la production tout entière, depuis les grandes usines jusqu'aux plus modestes ateliers, aux plus minces exploitations rurales et aux plus petits magasins de débit.

Comme cause d'affaiblissement, la diminution d'activité serait peut-être moins redoutable encore que l'énormité des frais. Il faut insister sur ce point; une gestion administrative aussi vaste tendrait à être tellement dispendieuse, que la société risquerait de dissiper en frais généraux la plus grande partie, sinon la totalité de cette plus-value capitaliste dont elle aurait la prétention de faire bénéficier les travailleurs et les incapables. Il ne suffit pas d'escompter les frais d'entretien d'une armée de fonctionnaires salariés; il faut encore tenir compte d'un coulage universel qu'une administration généralisée ne saurait éviter dans les services publics de production, de transport et de débit. Des fonctionnaires, surtout s'ils tiennent leurs pouvoirs de l'élection, n'auront jamais le même souci de l'économie, la même sévérité dans le contrôle, la même ingéniosité dans la recherche des combinaisons propres à diminuer les frais, que des entrepreneurs supportant personnellement les risques de l'entreprise.

Enfin, il est très probable que cette administration lourde et dispendieuse n'aurait ni assez d'autorité, ni assez d'énergie pour poursuivre avec persévérance une politique d'épargne permettant d'accroître la puissance productive de la nation. Déjà, les pouvoirs électifs de nos États modernes ne savent pas pourvoir régulièrement à l'amortissement des dettes publiques. Que serait-ce dans l'État collectiviste, s'il fallait imposer aux électeurs des retenues sur la rétribution de leur travail, en vue d'assurer non seulement l'amortissement, la reproduction du capital consommé, mais aussi son accroissement? Personne n'aurait un intérêt individuel à l'épargne nationale; pour qu'elle fût égale à la somme des épargnes privées d'une société individualiste, il faudrait que le sentiment du devoir social s'élevât, chez la masse des citoyens comme chez leurs représentants, à la hauteur des sacrifices les plus difficiles.

De leur côté, les travailleurs n'auront aucun intérêt immédiat à ne pas fatiguer le machinisme et à ne pas gaspiller les matières premières, puisqu'ils seront rétribués à l'heure de travail d'intensité moyenne, sans considération des économies réalisées sur le matériel et les matières. Ils sauront sans doute que leur bien-être individuel dépend de l'accroissement du revenu net de la société; ils auront tous, je l'accorde, une haute idée de la solidarité sociale. Mais si cette idée peut provoquer, chez des natures d'élite, un effort momentané ou même un grand sacrifice, nul ne pensera qu'elle soit capable d'imposer à la masse des travailleurs ce contrôle incessant sur soi-même qui serait nécessaire pour prévenir le gaspillage; il ne faut pas attendre un tel dévouement de l'individu ordinaire, quand il ne doit recueillir personnellement qu'un bénéfice infinitésimal de ses efforts.

Les socialistes modernes ont le bon sens de ne plus trop compter, dans la cité future, sur la passion désintéressée du bien et sur l'amour de l'humanité comme moteurs de l'appareil social; ils se défendent de bâtir sur l'hypothèse d'une transformation de la nature humaine. Mais alors, il faut reconnaître qu'une société fondée sur un système de valeur qui n'intéresse pas les producteurs à l'emploi des instruments perfectionnés et a. Feconomie dés moyens est condamnée à la stagnation, au coulage, à l'affaiblissement de la production; et finalement à la médiocrité, sinon à la disette générale.

Schaeffle n'avait pas manqué de signaler cette faiblesse du collectivisme, tout en mêlant à sa clairvoyante critique quelques paroles d'encouragement. Ces paroles ont été entendues.

Pour ceux qui veulent rester fidèles au principe collectiviste, il ne peut être question de revenir aux inégalités résultant des prix de concurrence. Comment donc, en conservant le collectivisme, échapper au reproche de poursuivre une meilleure distribution des richesses aux dépens de la production? Si les producteurs n'ont pas un intérêt visible et immediat a une rigoureuse economie, c'est qu'ils ne se procurent pas eux-mêmes les moyens de production dont ils se servent, et n'en ont pas la propriété; mais on ne saurait, semble-t-il, reconnaître la propriété corporative sans rétablir un ordre individualiste à peine élargi. Si les producteurs ne sont pas intéressés à se servir d'agents matériels fournissant une production supérieure a la moyenne, c'est qu'ils ne sont pas rétribués suivant la productivité de leurs instruments de travail; mais on ne saurait sans injustice les rétribuer sur cette base, dans un système de production administrative qui confère à l'autorité publique le pouvoir de distribuer gratuitement et arbitrairement les moyens de production.

Il paraît difficile de sortir de ces contradictions. Néanmoins, l'épreuve a été tentée.