Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine

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Chapitre 10. Position du problème et aperçu préliminaire.

Après cette revue des multiples systèmes de transformation sociale, l'esprit désorienté a besoin, pour se ressaisir, de reprendre contact avec la réalité, et de revenir aux faits comme à la seule base solide de toute doctrine sociale.

Aussi bien la pensée moderne, formée à la discipline des sciences naturelles et de la critique historique, ne saurait procéder autrement. Le plus grand progrès réalisé de nos jours dans les sciences sociales a été un progrès de méthode; la méthode historique et d'observation a définitivement ruiné les anciens concepts absolus. Systèmes politiques basés sur la théorie de l'état de nature, systèmes économiques fondés sur la liberté naturelle, constructions utopiques des anciens socialistes, codes de lois modèles présentés comme l'expression définitive de la raison écrite, toutes ces conceptions sont mortes, parce qu'elles supposaient l'existence d'un idéal universel, absolu, perpétuel, sur lequel les sociétés humaines, dès qu'elles en recevaient la révélation d'un penseur ou d'un peuple, devaient se modeler, en reniant les institutions vicieuses et irrationnelles qu'elles avaient jusque-là pratiquées.

A cette idée rationaliste et simpliste, la science moderne a substitué celle d'évolution naturelle, d'enchaînement et de continuité nécessaire, de développement organique et de relativité des institutions sociales. Les institutions ne sont pas des créations arbitraires, elles poussent comme des organismes, suivant les conditions du milieu historique où elles sont nées; elles ne sont à aucune période des monstruosités imaginées par un esprit malfaisant, elles apparaissent comme des phénomènes de masses, ayant leur raison d'être dans l'état psychologique et économique du groupe social où elles se sont établies; elles ne sont jamais non plus un but définitif, un modèle immuable sur lequel l'humanité puisse se reposer, elles sont dans un perpétuel devenir, et se transforment progressivement sous l'action de facteurs toujours en mouvement dans le sein de la société. La thèse organique de l'école historique, dressée en réaction contre le rationalisme de la Révolution française, soulève à son tour des critiques chez les penseurs contemporains; et bien certainement elle est excessive, si on l'interprète dans la pleine rigueur du déterminisme traditionaliste, en déniant à la volonté et à la raison humaine tout rôle dans l'évolution. Toutefois, la base de la doctrine reste intacte; et malgré certaines divergences qui subsistent sur des questions de limite et de dosage, le réalisme historique, avec sa méthode expérimentale, paraît définitivement entré dans nos habitudes de pensée. La force du socialisme contemporain de Karl Marx, Lassalle et Engels, vient justement de ce qu'il repose sur cette base scientifique de l'évolution et du déterminisme historique. L'exposé magistral des grandes transformations économiques contenu dans le Capital et dans le Manifeste communiste fait ressortir cette idée essentielle, méconnue des anciens socialistes, que le régime capitaliste n'est pas un ensemble d'institutions vicieuses créées par la volonté malfaisante de quelques hommes; c'est une forme sociale qui ne pouvait pas ne pas être dans certaines conditions historiques, qui s'est constituée naturellement et nécessairement sur les débris de la petite production individualiste. Mais aussi, et de la même manière que jadis le régime du petit producteur indépendant, la production capitaliste engendre et développe en elle-même à son tour des antagonismes qui doivent entraîner sa dissolution avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. A mesure que s'accentue la concentration, le mode de production collectif de la grande industrie capitaliste devient incompatible avec le monopole privé du capital, et doit aboutir fatalement à la propriété commune de tous les moyens de production, y compris le sol. C'est donc dans la société présente que s'élabore progressivement la structure du régime de la propriété collective. Les socialistes contemporains, quelles que soient leurs réticences ou leurs divergences au sujet de l'organisation socialiste de l'avenir, sont cependant tous d'accord pour la rattacher à l'évolution historique. C'est donc bien à la méthode d'observation qu'ils prétendent recourir, lorsqu'ils annoncent l'établissement d'un mode de production et d'échange socialement organisé. De son côté, Herbert Spencer emploie les mêmes procédés d'induction historique pour justifier des conclusions bien différentes sur l'avenir des institutions sociales. Il croit pouvoir induire des changements déjà effectués par la civilisation qu'à une époque plus ou moins éloignée, et sauf des reculs toujours possibles avec le réveil passager du militarisme, le régime de la coopération forcée et du statut obligatoire, propre à la société militaire et à la société communiste, disparaîtra définitivement des nations les plus avancées pour faire place au type de la société industrielle, caractérisée par la coopération volontaire et la liberté des contrats. Dans l'organisation sociale de l'avenir, les échanges et la location des services assureront à chacun une juste rémunération exactement proportionnée à l'effort et au mérite, parce qu'ils s'effectueront en dehors de toute réglementation artificielle et par les seules lois de la libre concurrence. La société comprendra dans sa structure plastique d'innombrables associations privées, qui se chargeront des services les plus divers; quant à l'État, son rôle se réduira strictement aux fonctions de sécurité qui seront nécessaires pour assurer le respect des droits réciproques des individus. Pourquoi ce régime de libre concurrence et de laisser faire doit-il se généraliser et l'emporter définitivement? C'est que toute intervention de l'autorité publique dans les échanges et les contrats, toute charge fiscale ayant un autre objet qu'une dépense de sécurité entraîne une répartition artificielle des produits, et dépouille les hommes supérieurs du bénéfice de leur mérite au profit des individualités inférieures. Or, dans un état de civilisation où la lutte pour l'existence entre les nations ne s'exercera plus que sur le terrain économique, les sociétés appelées à survivre et à progresser aux dépens des autres seront celles qui permettront aux hommes les mieux adaptés à l'état industriel de s'élever et de se multiplier; celles au contraire qui arracheront aux hommes supérieurs les résultats de leurs efforts pour en faire bénéficier les faibles disparaîtront, battues dans la course de la civilisation. M. de Molinari s'inspire des mêmes idées. Après avoir montré que la tutelle politique est nécessaire tant que les hommes restent très inégaux en capacité et que leur adaptation est imparfaite, il déclare que les servitudes politiques et économiques nées de l'état de guerre disparaîtront dans l'avenir, parce que ce sont des "nuisances dans un état de concurrence industrielle". L'État devra se décharger des services d'intérêt collectif, y compris même celui de la sécurité publique, en les confiant à de grandes sociétés privées qui seront livrées à la concurrence. Car l'État omnipotent, après avoir subi un ralentissement de la production et de la population, s'effondrera sous le poids de ses charges fiscales. La concurrence entre les nations imposera fatalement la réforme du gouvernement politique et l'établissement du self government individuel; les sociétés qui se déroberont à la pression de la concurrence tomberont nécessairement en décadence et feront place à d'autres. Ainsi, par la même méthode, par l'observation du passé et du présent, l'école socialiste et l'école individualiste, dans leurs prévisions sur l'état social de l'avenir, arrivent à des conclusions diamétralement opposées; l'une conclut à la nécessité historique d'un régime autoritaire de propriété collective et de production organisée, l'autre à la nécessité d'un état de libre concurrence et d'invidualisme presque anarchique auquel les sociétés ne sauraient se dérober sous peine de mort. Où est la vérité? Pour essayer de la découvrir, il faut à notre tour recourir à l'étude des faits. Parmi les innombrables phénomènes de la vie sociale, nous observerons les formes de l'organisation économique dans leur évolution, en nous attachant aux organes qui paraissent les plus vivaces, les plus propres à un large développement ultérieur dans les sociétés avancées. S'il est vrai que les mêmes causes, dans des conditions semblables, doivent produire des effets du même genre, nous devons être capables de discerner, par une observation prudente et attentive, les tendances du mouvement contemporain dans les sociétés de civilisation occidentale, au moins pour un avenir prochain, et en supposant que des facteurs inconnus ne viennent pas bouleverser les conditions actuelles de révolution. Parmi les grands courants qui agissent dans les sociétés modernes pour déterminer en elles des modifications de structure et de fonctions, celui du capitalisme est certainement l'nn des plus puissants. La notion du capitalisme nous est aujourd'hui familière. C'est le régime dans lequel la production et ses annexes (transports, commerce, banque, etc.) se trouvent entre les mains de capitalistes, qui tirent un profit de leur capital-valeur en l'investissant dans des entreprises où le travail est fourni par des salariés. Le régime capitaliste se caractérise donc moins par la dimension des entreprises que par un certain état des relations juridiques dans lequel les activités économiques sont subordonnées au capital en quête de profit. Cette conception du capitalisme peut être critiquée pour défaut de précision; on peut lui reprocher de laisser indécises les frontières qui séparent le capitalisme des autres formes de la production, contester telle ou telle partie de la définition ou même la combattre dans son principe; on peut discuter s'il y a, entre l'entreprise capitaliste et celle du petit producteur indépendant resté travailleur manuel, une différence de nature ou de degré, une distinction qualitative ou simplement quantitative. Mais peu importe ici; la notion, dans ses grandes lignes, est suffisante pour caractériser le régime moderne par opposition aux formes économiques antérieures, régime patriarcal de l'économie sans échanges et régime de la petite exploitation indépendante. Or le capitalisme tend aujourd'hui, avec plus ou moins de force suivant les pays, à éliminer les formes antérieures et à soumettre à sa loi une portion croissante des activités économiques. Les causes qui déterminent ce mouvement universel sont-elles psychologiques, ou extérieures à l'homme? Il semble évident qu'aucun phénomène social ne peut se produire sans avoir sa source dans l'esprit humain, dans l'éternel effort de l'homme pour réaliser ce qu'il considère comme son plus grand bien; conception d'ailleurs variable suivant les époques et les milieux, déterminée par de nombreux facteurs moraux, politiques, esthétiques et autres. Le mouvement vers le capitalisme est donc le produit de cet effort, au moins de l'effort des hommes qui disposent des moyens de succès. Mais le mobile psychologique ordinaire n'a produit cette évolution spécifique qu'à raison de circonstances historiques déterminées, qui se sont rencontrées à un moment donné dans certains pays. Parmi ces circonstances, l'extension des marchés par le développement des moyens de communication, et la prépondérance des facteurs matériels de la production par le fait des progrès de la science et de la technique, peuvent être considérées comme les causes les plus actives du phénomène. Il a fallu aussi, pour qu'il prît naissance, un certain état de la population et de la richesse antérieurement accumulée; il a fallu, pour qu'il s'étendit, un certain régime juridique écartant les entraves, un milieu de libre concurrence où l'esprit mercantile pût prendre un libre essor et produire ses effets les plus complets. Les facteurs politiques, juridiques et moraux ont donc concouru, par influence en retour, à la formation du régime nouveau; mais les facteurs techniques et économiques ont eut la part principale, ils ont été la cause principale de la révolution industrielle, et leur prépondérance n'a rien de surprenant dans un phénomène d'ordre économique. Or, ces diverses circonstances constituent la civilisation même; la plupart prennent une importance grandissante dans les sociétés contemporaines elles déterminent donc, à titre de causes impulsives ou simplement de conditions favorables, un développement parallèle aussi rapide du capitalisme.

D'autre part, il s'opère également, dans les mêmes milieux, un mouvement général de groupement, d'intégration, d'organisation spontanée des éléments sociaux, qui s'est singulièrement accéléré dans les vingt dernières années du xix' siècle. Au point de vue politique, cette tendance se manifeste par la formation des grandes unités nationales, par une centralisation croissante dans les États fédérés, par la constitution de nouvelles fédératdi'oanllsianpceoslitiqinuteesr, natipoanraledse. s uDnieopnusis dqouueanilèerecshamept dseurvalsetqeusel syss'etèxmerecse la concurrence des intérêts politiques et économiques s'est étendu it 1 univers, les grands États ont dû contracter des alliances visant les multiples problèmes d'une politique mondiale. l'exDisatnesncel'ordorebliégceonntomilqeuse, entlreesprcisoensditiocnosncunroruenvteelsles dàe lcahelructhteer pouurn accroissement de force dans un agrandissement de leurs dimensions ou dans une entente réciproque, en vue de se procurer les laDaveaclnàrtéadag'tieinosnnomddeberlaabvlagesrstaensdegernopturrpeopedmruisecentsitosn cadpoeiutcaalmipsitêtemasuex odueet dcdooemoppineérersarotinvnleeess.m, arcpShooéuu.rs un autre aspect, dans le conflit des intérêts entre employeurs et salariés, même tendanee à la constitution de groupes puissants et à la fédération des groupes. Dans tous les pays, la même civilisation écoEanvnoefmicniqlualeafogrfcraeaintddeé'ocrlgoaarsensioscmcieaestsiomn ujletuinpnaleteissonaaalpesp,seolcéisla'Étitoàant,sd,esetfqoulreims esgserousdupépveéserloieppuporeelinst.tiques secondaires, étendent aussi constamment leurs fonctions économiques, soit par voie d'assistance et de protection, soit par voie de sroégulsemlaenftoartimone d'eent trdeeprciosenstrôledirescutres.les exploitations privées, soit enfin POSITION DU PROBLÈME ET APERÇU PRÉLIMINAIRE 133 Ces deux grands courants, l'un dans le sens du capitalisme, l'autre dans le sens de la consolidation et de l'intégration par le groupement des éléments individuels, se combinent-ils ou se contrarient- ils ? Sur certains points, ils se combinent; la concentration des entreprises, les associations de capitaux, les coalitions d'entrepreneurs sous une forme fédérative ou unitaire, sont les manifestations supérieures du capitalisme. Par ailleurs, les associations coopératives, les syndicats de travailleurs salariés, les entreprises publiques et autres fonctions économiques de l'État et des communes ont bien en général leur raison d'être dans le développement du capitalisme; mais ces divers organismes se forment en réaction contre lui et pour limiter sa puissance. Parmi ces formes nouvelles, les unes consacrent le triomphe des forts, tandis que les autres tendent à fortifier les faibles dans leur lutte contre les forts. Ce sont ces différentes manifestations de la vie sociale contemporaine que l'on voudrait retracer ici. Dans l'esquisse synthétique qui va suivre, on ne se propose pas d'étudier les faits pour eux-mêmes, avec la prétention de fournir sur eux des renseignements nouveaux; on a seulement pour but de présenter d'une façon succincte des faits déjà connus, exposés par d'excellents observateurs, en les envisageant surtout au point de vue dynamique pour essayer de discerner en eux les tendances générales de l'évolution. Peut-être, après un examen consciencieux de la réalité mouvante des choses, pourronsnous répondre à la question posée au début les sociétés modernes s'engagent-elles dans la voie du collectivisme autoritaire, ou dans celle de l'individualisme libertaire ?