Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 23


Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 23
Le Socialisme
Étude économique et sociologique


Anonyme


Section II — La concentration du capital et la constitution des monopoles, étape préliminaire du socialisme
Chapitre II — La concentration des établissements

Troisième partie : la doctrine de l'inéluctabilité du socialisme

Section II — La concentration du capital et la constitution des monopoles, étape préliminaire du socialisme

Chapitre II — La concentration des établissements

1. La Concentration des établissements, conséquence de la division du travail

La concentration des établissements apparaît en même temps que la division du travail. L'atelier du cordonnier concentre déjà la fabrication de chaussures autrefois assurée par les individus eux-mêmes. Le village de cordonniers, la manufacture de chaussures concentrent la production de chaussures pour un territoire plus étendu. la fabrique de chaussures, organisée pour la production en masse, représente un stade encore plus avancé de la concentration ; dans ses différentes subdivisions, en même temps que la division du travail, le groupement des activités identiques qui en est la contrepartie, est le principe fondamental. En un mot, plus la division du travail est poussée, plus on doit, par ailleurs, grouper les processus identiques de production.

Les statistiques du nombre des établissements qui ont été faites dans différents pays en vue de vérifier l'exactitude de la théorie de la concentration des établissements et les autres renseignements statistiques que nous possédons sur les variations du nombre des établissements ne suffisent pas à nous renseigner complètement sur la concentration des établissements. Car ce qui dans ces statistiques est considéré comme établissement est toujours déjà dans un sens une entreprise et non un établissement. Les établissements qui se trouvent réunis dans un même lieu à l'intérieur d'une même entreprise, mais qui sont exploités séparément, ne sont dans ces statistiques comptés séparément que dans des cas exceptionnels. La délimitation des établissements doit être établie sur d'autres bases que celles qui servent à l'élaboration des statistiques.

La productivité supérieure qui caractérise la division du travail a pour cause principale la possibilité qu'elle donne de spécialiser les travailleurs qui coopèrent à la production. Plus celle-ci exige la répétition de processus identiques, et plus il est avantageux de consacrer à chacun d'eux des ouvriers spécialisés qui ne conviendraient pas aussi bien à d'autres tâches. La division du travail va plus loin que la spécialisation des métiers, tout au moins plus loin que la spécialisation des entreprises. Dans la fabrique de chaussures, les souliers sont produits au moyen de toute une série de processus de fabrication partiels. On pourrait parfaitement concevoir que chacun de ces processus s'effectue dans un établissement et même dans une entreprise différente ; il existe en fait des fabriques qui se consacrent exclusivement à la production de certaines parties de la chaussure et qui les fournissent à des fabriques de chaussures. Nous avons cependant l'habitude de considérer comme un seul établissement la fabrique de chaussures qui produit elle-même toutes les parties de la chaussure. Si l'on joint encore à la fabrique de chaussures une tannerie ou un atelier de boîtes d'emballage, on admet alors qu'il y a réunion de plusieurs établissements en une seule entreprise. C'est là une distinction purement historique que ni les particularités techniques, ni le caractère spécial de l'entreprise ne peuvent expliquer entièrement.

Si nous considérons comme un seul établissement cet ensemble consacré à une activité économique que le commerce considère comme constituant une unité, nous ne devons pas perdre de vue que cette unité n'est pas en réalité un tout indivisible. A l'intérieur d'un tel établissement se déroulent des processus divers, liés entre eux à la fois horizontalement et verticalement. Le concept d'établissement n'est pas un concept technique mais un concept économique. Sa délimitation dans chaque cas particulier s'opère en fonction de considérations économiques et non de considérations techniques.

L'extension des établissements est déterminée par le caractère complémentaire des facteurs de la production. On cherche à réaliser la combinaison optima de ces facteurs, c'est-à-dire celle qui permet le plus grand rendement. L'évolution économique conduit à une division du travail toujours plus poussée et amène ainsi les exploitations à se développer sans cesse tout en restreignant parallèlement leur objet. C'est l'action conjuguée de ces deux tendances qui détermine en fait la dimension des établissements.

2. Extension optima des établissements dans l'industrie des matières premières et les transports

La loi de la proportionnalité dans le groupement des facteurs de la production a été d'abord découverte dans le domaine agricole sous la forme de la loi du rendement décroissant. On a longtemps méconnu son caractère général et cru qu'il s'agissait là d'une loi s'appliquant uniquement à la technique agricole ; on l'opposait à la loi du rendement croissant qui, croyait-on, gouvernait au contraire la production industrielle. Mais on a aujourd'hui dissipé ces erreurs [1].

Quand on l'applique à la dimension des exploitations, la loi du groupement optimum des facteurs de la production indique la dimension qui, dans chaque cas déterminé, permettra le plus grand rendement. Le rendement net de l'exploitation sera d'autant plus élevé que cette dimension permettra une utilisation plus complète de tous les facteurs mis en oeuvre dans la production considérée. Là réside la supériorité d'une exploitation sur une autre, en tant qu'elle a son origine dans la dimension de cette exploitation, compte tenu de l'état de la technique à chaque stade de l'évolution. C'est donc une erreur de la part de Marx et de ses successeurs, abstraction faite de quelques remarques occasionnelles qui laissent transparaître la vérité, d'avoir cru que l'agrandissement indéfini des dimensions d'une exploitation industrielle permettrait de réaliser des économies croissantes. Il y a là aussi une limite au delà de laquelle il n'est plus possible de tirer un meilleur parti des facteurs de production mis en oeuvre. La situation est au fond la même dans l'agriculture et dans l'industrie de transformation ; seules les données concrètes diffèrent. Ce sont seulement les conditions particulières de la production agricole qui conduisent à lui appliquer par excellence la loi du rendement décroissant.

La concentration des exploitations est avant tout leur groupement dans un même lieu. Étant donné que le sol utilisable pour l'agriculture et l'exploitation forestière est réparti dans l'espace, toute extension de l'étendue d'une exploitation entraîne une aggravation des difficultés qui résultent de l'éloignement. La dimension de l'exploitation agricole est ainsi limitée par en haut. Du fait que l'économie agricole et forestière se développe dans l'espace, la concentration des exploitations n'est possible que jusqu'à un certain point. Il est inutile de s'arrêter au problème de savoir si dans l'agriculture c'est la petite ou la moyenne exploitation qui donne les meilleurs résultats, quoique ce problème bien connu soit en rapport avec celui qui nous occupe. Car cela n'a rien à voir avec la loi de la concentration. Même si l'on admet que la grande culture constitue la forme d'exploitation la meilleure, on ne peut nier que la loi de la concentration ne concerne pas l'agriculture et l'exploitation forestière. Les latifundia sont une forme de la propriété foncière, non de son exploitation. Les grands domaines se divisent toujours en exploitations multiples.

Ce caractère apparaît encore d'une façon plus frappante dans une autre branche de la production à son stade premier, l'industrie minière. Cette industrie est liée aux gisements ; les dimensions de l'exploitation sont fonction de l'étendue de ces gisements. La concentration des exploitations n'est réalisable qu'autant que la situation des différentes gisements la rend avantageuse.

En bref : dans la production à son premier stade n'apparaît nulle part une tendance à la concentration des exploitations. Il en est de même dans le domaine des transports.

3. Dimensions optima des exploitations dans les industries de transformation

Les industries de transformation des matières premières sont dans une certaine mesure indépendantes du sol et par suite de l'espace. On ne saurait concentrer l'exploitation des plantations de coton ; dans la filature et le tissage, le groupement des exploitations est possible. Mais, là aussi, il serait prématuré de tirer du fait que la grande exploitation est généralement supérieure à la petite la conclusion que la loi de la concentration s'applique dans ce domaine sans restriction.

Car indépendamment du fait que, toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire dans un état donné de la division du travail, la supériorité économique de la grande exploitation n'existe que dans la mesure où elle se concilie avec la loi du groupement optimum des facteurs de la production, de sorte qu'elle disparaît quand l'extension de l'exploitation cesse de permettre la meilleure utilisation de l'outillage, les effets de l'espace se font également sentir. Chaque industrie a sa région naturelle qui dépend en dernière analyse de la répartition géographique des matières premières. Le fait que la concentration des exploitations n'est pas possible pour la production des matières premières, a nécessairement sa répercussion sur les industries de transformation. L'importance de cette répercussion varie dans les différentes branches de la production avec l'importance du rôle qu'y joue le transport des matières premières et des produits fabriqués.

La loi de la concentration ne s'y applique réellement que dans la mesure où la division du travail conduit à une division de plus en plus poussée de la production en branches distinctes. La concentration des exploitations n'y est pas autre chose que l'envers de la division du travail. Cette dernière conduit à substituer à une multitude d'exploitations semblables au sein desquelles se déroulent des processus de production différents, une multitude d'exploitations différentes dans lesquelles se déroulent des processus semblables. Le nombre des exploitations semblables se réduit de plus en plus tandis que le cercle des personnes pour les besoins desquelles elles travaillent directement ou directement va en s'élargissant. Le terme logique de cette évolution serait la constitution d'une exploitation unique pour chaque branche de la production si sa liaison avec la production des matières premières n'agissait en sens contraire [2].

Notes

[1] Cf. Vogelstein, Die finanzielle Organisation der kapitalistischen Industrie und die Monopolbildungen (Grundriss der Sozialökonomik, VIe partie, Tübingen, 1914, pp. 203 sqq ; Weiss, Art. "Abnehmender Ertrag im Handwörterbuch der Staatswissenschaften," 4e édition, tome I, pp. 11 sqq.

[2] Les autres facteurs géographiques de la production (cf. Alfred Weber, Industrielle Standortslehre dans "Grundriss der Sozialökonomik," VIe partie, Tübingen, 1914, pp. 54 sqq.) peuvent être laissés de côté car ils dépendent en définitive de la répartition de la production des matières premières, telle qu'elle existe actuellement ou telle qu'elle résulte de l'évolution historique.