Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 24


Ludwig von Mises:Le Socialisme - chapitre 24
Le Socialisme
Étude économique et sociologique


Anonyme


Troisième partie : la doctrine de l'inéluctabilité du socialisme
Section II — La concentration du capital et la constitution des monopoles, étape préliminaire du socialisme
Chapitre III — La concentration des entreprises

Troisième partie : la doctrine de l'inéluctabilité du socialisme

Section II — La concentration du capital et la constitution des monopoles, étape préliminaire du socialisme

Chapitre III — La concentration des entreprises

1. Concentration horizontale des entreprises

La réunion de plusieurs entreprises autonomes de même nature en une entreprise unique peut être désignée sous le nom de concentration horizontale des entreprises, encore que cette expression empruntée au vocabulaire usuel de la littérature des cartels ne soit pas prise ici exactement dans le même sens. Si les différentes exploitations ne conservent pas leur pleine autonomie, si par exemple la direction de l'exploitation est unifiée ou si différents comptoirs ou différentes sections de l'exploitation sont groupés, on se trouve en présence d'un phénomène de concentration de l'exploitation. Mais si les diverses exploitations, en dehors des directives économiques fondamentales, conservent leur autonomie complète, il y a seulement concentration des entreprises. L'exemple le plus typique nous est fourni par la constitution d'un cartel ou d'un syndicat. Toutes choses demeurent en état ; seules les décisions concernant les achats ou les ventes (suivant qu'il s'agit d'achat ou de vente, ou des deux à la fois) font l'objet de décision uniques.

Le but de tels groupements, lorsqu'ils ne sont pas simplement la préface de la concentration de l'exploitation, c'est l'établissement d'un monopole sur le marché. Les différents entrepreneurs cherchent à s'assurer les avantages que présentent les monopoles sous certaines conditions : c'est là l'origine de la concentration horizontale des entreprises.

2. Concentration verticale des entreprises

Le groupement d'entreprises indépendantes, dont les unes utilisent les produits des autres, en une entreprise unique peut être appelée concentration verticale pour reprendre une expression de la terminologie économique moderne. Des exemples nous en sont fournis par la réunion de tissages avec des filatures, des blanchisseries et des teintureries, d'imprimeries avec des fabriques de papier ou de maisons d'édition, par les entreprises mixtes de l'industrie de l'acier et du charbon.

Chaque exploitation est une concentration verticale de processus et d'outillages partiels. L'unité de l'exploitation est réalisée par le fait qu'une partie des moyens de l'exploitation — par exemple certaines machines, certains bâtiments, la direction — est commune. Cette communauté fait défaut dans la concentration verticale des entreprises. Ici l'unité est obtenue par la volonté de l'entrepreneur de mettre une entreprise au service des autres. Si cette volonté vient à manquer, alors le fait que deux entreprises ont le même propriétaire n'établit entre elles aucun rapport. Il n'y a pas concentration verticale quand par exemple un fabricant de chocolat possède en même temps une usine métallurgique.

On a coutume de donner pour objet à la concentration verticale le désir de s'assurer l'écoulement ou la fourniture de matières premières ou de produits demi-finis. C'est du moins la réponse que font les entrepreneurs interrogés au sujet des avantages de tels groupements. Maints économiques s'en contentent. Ils n'estiment pas que leur tâche consiste à examiner de plus près les déclarations des "praticiens" de l'économie. Ils les prennent pour argent comptant et les soumettent à un examen du point de vue éthique. Mais il ne leur aurait pas fallu beaucoup de réflexion pour les mettre sur la trace de la vérité. En effet on peut recueillir de nombreuses plaintes de la bouche des directeurs des différentes entreprises réunies par une concentration verticale. Je pourrais, dit le directeur de la fabrique de papier, tirer un bien meilleur parti de mon papier si je n'étais pas contraint de le livrer à l'imprimerie du groupe. Et le tisserand dit : si je n'étais pas obligé d'acheter le fil de notre filature, je pourrais m'approvisionner à meilleur compte. Les doléances de ce genre sont à l'ordre du jour et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi elles sont l'accompagnement nécessaire de la concentration verticale.

Si chacune des entreprises groupées était assez forte pour ne pas redouter la concurrence des autres, la concentration verticale n'aurait aucun sens. Une fabrique de papier marchant à la perfection n'a aucun besoin de se garantir des débouchés. Une imprimerie dont la capacité de concurrence est parfaite n'a nullement besoin de se garrantir la fourniture de son papier. Une entreprise en pleine vitalité vend et achète là ou elle trouve les meilleurs prix. Il ne suffit pas que deux entreprises appartenant à des stades différents de production de la même branche soient réunies dans la même main pour que la concentration verticale s'impose. Ce n'est que si l'une d'entre elles se montre moins capable d'affronter la concurrence que l'idée se fait jour de lui apporter un soutien en la reliant à l'autre. On cherche dans les bénéficies de celle qui marche bien une compensation aux pertes de celle qui fonctionne mal. Si l'on fait abstraction dse allègements fiscaux et autres avantages particuliers comme ceux que les entreprises mixtes de l'industrie allemande de l'acier ont pu retirer des cartels, le groupement vertical aboutit simplement à permettre à une entreprise de réaliser un bénéfice purement apparent tandis que l'autre entreprise subit une perte également apparente.

On exagère considérablement la fréquence et l'importance de la concentration verticale des entreprises. Dans l'économie capitaliste tout au contraire surgissent sans cesse de nouvelles catégories d'entreprises. Des parties d'entreprises ne cessent de se détacher pour devenir des entreprises autonomes. La spécialisation croissante de l'industrie moderne offre le spectacle d'une évolution qui ne tend nullement à la concentration verticale. A part les cas où cette dernière apparaît comme la conséquence naturelle des conditions techniques de la production, la concentration verticale demeure un phénomène d'exception dont l'origine doit être cherchée dans les conditions juridiques et politiques de la production. Et nous voyons constamment se dénouer les liens qu'elle avait établis et les entreprises qu'elle avait groupées reprendre leur autonomie.