Lysander Spooner:Les Vices ne sont pas des crimes - XXI

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Lysander Spooner:Les Vices ne sont pas des crimes - XXI


Anonyme


XXI

Mais, dit-on encore, la consommation de spiritueux mène à la pauvreté et ainsi rend les hommes misérables et les transforme en charge pour les contribuables; et c'est une raison suffisante pour laquelle leur vente devrait être prohibé.

Il y a différentes réponses à cet argument.

1. Une première réponse est: si le fait que la consommation d'alcool mène à la pauvreté et à la misère est une raison suffisante pour en prohiber la vente, c'est tout autant une raison suffisante pour en prohiber la consommation; car s'est la consommation, et non pas la vente, qui mène à la pauvreté. Le vendeur est, tout au plus, seulement un complice du buveur. Et c'est une règle de droit, ainsi que de raison, que si le responsable d'acte n'est pas réprimandable, le complice ne peut pas l'être davantage.

2. Une seconde réponse à l'argument est que si le gouvernement a le droit, et est tenu de prohiber n'importe quel acte spécifique – non criminel – simplement parce qu'il est supposé mener à la pauvreté, alors, selon la même règle, il a le droit, et est tenu de prohiber tout autre acte – même non criminel – qui, de l'avis du gouvernement, mène à la pauvreté. Et, sur ce principe, le gouvernement n'aurait pas seulement le droit, mais serait tenu de fouiner dans les affaires privées de chaque homme et dans les dépenses personnelles de chacun, et de déterminer lesquelles d'entre elle sont effectivement, et lesquelles n'ont pas, mené à la pauvreté; et de prohiber et punir toutes celles de la première catégorie. Un homme n'aurait plus le droit de dépenser un cent de ses biens, selon son propre plaisir ou jugement, à moins que le parlement ne soit d'opinion qu'une telle dépense ne mènerait pas à la pauvreté.

3. Une troisième réponse au même argument est que si un homme, en effet, se conduit lui-même à la pauvreté, et même à la mendicité – soit par ses vertus soit par ses vices – le gouvernement n'a pas la moindre obligation de prendre soin de lui, sauf si tel est son bon plaisir. Il peut le laisser périr dans la rue, ou dépendre de la charité privée, si tel est son bon plaisir. Il peut se reposer en toute liberté sur sa volonté et son discernement dans ce domaine; car il est au-dessus de toute responsabilité légale dans un tel cas. Cela ne fait pas, nécessairement, partie intégrante du devoir d'un gouvernement de s'occuper des pauvres. Un gouvernement – c'est-à-dire un gouvernement légitime – n'est rien d'autre qu'une association volontaire d'individus, qui s'unissent pour les desseins, et seulement pour les desseins, qui leur conviennent. Si le fait de s'occuper des pauvres – qu'ils soient vertueux ou vicieux – n'est pas l'un de ses buts, alors le gouvernement, en sa qualité de gouvernement, n'a pas plus le droit, et n'est pas plus tenu, de s'occuper d'eux que n'aurait à le faire une compagnie bancaire, ou une société de chemin de fer.

Peu importe la morale prétendant qu'un homme pauvre – vertueux ou vicieux – a droit à la charité de ses congénères, légalement il ne peut rien leur réclamer. Il doit dépendre entièrement de leur charité, si tel est leur bon plaisir. Il ne peut pas exiger, en tant que droit légal, qu'ils le nourrissent ou le vêtissent. Et il ne peut pas avoir plus de revendications légales ou morales à l'encontre 'un gouvernement – qui n'est rien d'autre qu'une association d'individu – qu'il ne peut en avoir à l'encontre des mêmes, ou de n'importe quels autres individus, en qualité de simples particuliers.

Dans la mesure où, alors, un homme pauvre – vertueux ou vicieux – n'a pas plus de revendication, légales ou morales, à avoir vis-à-vis d'un gouvernement, en matière de nourriture et de vêtements, qu'il n'en a vis-à-vis des personnes privées, un gouvernement n'a pas plus le droit qu'une personne privée de contrôler ou prohiber les dépenses ou actions d'un individu, sur la présomption qu'elles le mènent à la pauvreté.

M. A, en tant qu'individu, n'a clairement aucun droit d'interdire le moindre acte ou dépense à M. Z, par peur que de tels actes ou dépenses puissent le mener (Z) à la pauvreté, et qu'il puisse (Z), en conséquence, à un moment futur inconnu,venir à lui (A) dans la détresse, et lui demander la charité. Et si A n'a aucun droit, en tant qu'individu, d'interdire le moindre acte ou dépense à Z, alors le gouvernement, qui n'est rien d'autre qu'une association d'individus, ne peut pas avoir un tel droit non plus.

Certainement aucun homme, qui est compos mentis, ne considère son droit à disposer et à jouir des ses propres biens comme ayant si peu de valeur que n'importe lequel de ses voisins ou tous seraient autorisés – qu'ils se fassent appeler gouvernement ou non – à intervenir, et à lui interdire toutes dépenses, hormis celles jugées par eux peut-être non susceptibles de le mener à la pauvreté, et de la conduire ainsi vers eux en quête de charité.

Si un homme, qui est compos mentis, en est réduit à la pauvreté, par ses vertus ou ses vices, aucun homme, ni groupe d'hommes, ne peut avoir le droit d'intervenir dans sa conduite, simplement parce que leur sympathie pour lui risquerait à un moment d'être sollicité; car si elle est sollicité, ils ont tous les droits d'agir selon leur propre plaisir ou discernement pour répondre à ses requêtes.

Ce droit de refuser la charité aux pauvres – que ces derniers soient vertueux ou vicieux – est un droit dont les gouvernements se servent toujours. Aucun gouvernement n'alloue plus au pauvres qu'il n'en a envie. En conséquence, les pauvres sont laissés, en très grande partie, dépendants de la charité privée. En fait, ils sont souvent abandonnés aux souffrances de la maladie, et même à la mort, car ni la charité publique ni la charité privée ne viennent à leur secours. Comme il devient absurde, alors, d'attribuer au gouvernement le droit de contrôler l'usage fait par un homme de ses propres biens, pour qu'il ne puisse pas tomber dans la pauvreté, et demander la charité.

4. Une quatrième réponse à l'argument est que la grand et unique motivation pour laquelle chaque individu doit travailler, et créer de la richesse, est qu'il pourra en disposer selon son bon plaisir ou jugement, et pour la promotion de son propre bonheur, et du bonheur de ceux qu'il aime[1].

Bien qu'un homme puisse souvent, par manque d'expérience ou de raisonnement, dépenser une portion de son labeur de façon peu judicieuse, et de manière à ne pas promouvoir son plus grand bien, il en tire néanmoins de la sagesse, comme dans tous les autres domaines, par l'expérience; autant par se erreurs que par ses réussites. Et c'est l'unique manière par laquelle il peut apprendre la sagesse. Une fois qu'il est convaincu d'avoir fait une dépens idiote, il apprend ainsi à ne pas en faire une autre similaire. Et il doit être autorisé à expérimenter par lui même, et autant qu'il le désire, dans cette matière comme dans toutes les autres; car autrement il n'a pas la moindre raison de travailler, de créer de la richesse.

N'importe quel homme, qui est vraiment un homme, préfèrerait être un sauvage, et être libre, créant et procurant uniquement la richesse qu'il peut contrôler et consommer au jour le jour, au leu d'être un homme civilisé, sachant comment créer et accumuler la richesse indéfiniment, et n'étant pas cependant autorisé à s'en servir ou à en disposer, sauf sous la supervision, direction, et les ordres d'un ensemble d'imbéciles et de tyrans qui fourrent leurs nez partout avec une diligence ô combien excessive, et qui, n'ayant pas plus de connaissance que lui, et peut-être même pas la moitié des siennes, prendraient sur eux de le contrôler, sur la présomption qu'il n'a ni le droit, ni la capacité de déterminer par lui-même quoi faire des fruits de son labeur.

5. Une cinquième réponse à l'argument est que s'il est du devoir du gouvernement de surveiller les dépenses de n'importe quelle personne en particulier – qui est compos mentis, et qui n'est pas criminelle – pour voir lesquelles mènent à la pauvreté, et lesquelles n'y mènent pas, et d'interdire et de punir les premières, alors, selon la même règle, il est tenu de surveiller les dépenses de toutes les autre personnes, et d'interdire et de punir toutes celles qui, de son avis, mènent à la pauvreté.

Si un tel principe était appliqué avec impartialité, il en résulterait que toute l'humanité serait si occupée surveiller les dépenses les uns des autres, et à dénoncer, à traduire en justice, et à punir ceux qui se dirigent vers la pauvreté, qu'elle n'aurait pas le temps de créer la moindre richesse. Toute personne capable d'un travail productif serait en prison ou tiendrait le rôle de juge, juré, témoin ou gardien. Il serait impossible de créer suffisamment de tribunaux pour juger ou construire suffisamment de prisons pour enfermer les contrevenants. Tout labeur productif cesserait; et les imbéciles qui étaient tellement décidés à empêcher la pauvreté n se contenteraient pas d'être tous conduits à la pauvreté, l'emprisonnement, et la famine eux-même, ils entraîneraient également tous les autres dans la pauvreté, l'emprisonnement et la famine.

6. Si l'on prétend qu'un homme doit,pour le moins, être également poussé à subvenir aux besoins de sa famille, et par conséquent, s'abstenir de faire toutes dépenses qui, de l'avis du gouvernement, tendent à l'empêcher d'accomplir ce devoir, différentes réponses sont possible. Mais la suivante est suffisante: aucun homme, à moins qu'il ne soit un imbécile ou un esclave, ne reconnaîtrait qu'une famille est la sienne, si cette reconnaissance devenait un prétexte, pour le gouvernement, de la priver soit de sa liberté personnelle, soit du contrôle des ses biens.

Lorsqu'un homme se voit accorder sa liberté naturelle, et le contrôle de ses biens, sa famille est d'habitude, presque universellement, l'objet primordial de sa fierté et de son affection; et il emploiera, non seulement volontairement, mais aussi pour son plus grand plaisir, ses meilleurs faculté mentales et physiques, pas simplement pour leur procurer les nécessités et les conforts ordinaires de la vie, mais pour le couvrir de tous les luxes et de toutes les élégances que son travail peut fournir.

Un homme ne s'attache aucune obligation morale ou légale envers sa femme ou ses enfants à faire quoi que ce soit pour eux, sauf ce qu'il peut faire sans enfreindre sa propre liberté personnelle, et son droit à contrôler ses propres biens selon son bon jugement.

Si un gouvernement peut s'immiscer et dire à un homme – qui est compos mentis, et qui accomplit son devoir envers sa famille, selon sa conception du devoir, et selon son meilleur jugement, si imparfait soit-il – "Nous (le gouvernement) suspectons que vous n'employez pas le fruit de votre labeur dans le meilleur intérêt de votre famille; nous suspectons que vos dépenses, et votre façon de disposer de vos biens, ne sont pas aussi judicieuses qu'elles pourrait l'être, dans l'intérêt de votre famille; et par conséquent nous (le gouvernement) allons mettre sous notre surveillance particulière vous et vos biens, et vous indiquer ce que vous pouvez, et ne pouvez pas, faire de vous-même et de vos biens; et votre famille se tournera désormais vers nous (le gouvernement), et non pas vers vous, pour subvenir à ses besoins" – si un gouvernement peut faire cela, toute la fierté, ambition, et affection, d'un homme par rapport à sa famille se verraient écrasées, autant qu'il serait possible à une tyrannie humaine de les écraser; et soit il ne fondera jamais une famille (qu'il reconnaitrait publiquement être la sienne), soit il mettrait en jeu à la fois ses biens et sa vie dans le renversement d'une dictature si insultante, outrageuse, et intolérable. Et toute femme qui souhaiterait que son mari – qui est compos mentis – se soumette à des insultes et à des injustices tellement contre-nature, ne mérite en aucune façon son affection, ou rien de plus que son dégoût et son mépris. Et il lui ferait probablement très vite comprendre que, si elle choisissait de se reposer sur le gouvernement pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, plutôt que sur lui, il lui faudrait compter uniquement sur le gouvernement.

Notes

  1. ^  C'est à cette motivation seule que nous devons toute la richesse jamais créée par le labeur humain et jamais accumulée au bénéfice de l'homme.
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