Max Stirner:Je n’ai basé ma cause sur rien

De Librairal
Révision datée du 29 décembre 2010 à 22:32 par Serge (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche
Préface du traducteur << Max Stirner  —  L’Unique et sa propriété >> Première partie : l’homme


Max Stirner:Je n’ai basé ma cause sur rien
L’Unique et sa propriété


Anonyme


Je n’ai basé ma cause sur rien


Quelle cause n'ai-je pas à défendre? Avant tout, ma cause est la bonne cause, c'est la cause de Dieu, de la Vérité, de la Liberté, de l’Humanité, de la Justice; puis, celle de mon Prince, de mon Peuple, de ma Patrie; ce sera celle de 1'Esprit, et mille autres encore. Mais que la cause que je défends soit ma cause, ma cause à Moi. jamais! « Fi! l'égoïste qui ne pense qu'à lui! »

Mais ceux-là dont nous devons prendre à coeur les intérêts, ceux-là pour qui nous devons nous dévouer et nous enthousiasmer, comment donc entendent-ils leur cause? Voyons un peu.

Vous qui savez de Dieu tant et de si profondes choses, vous qui pendant des siècles avez « exploré les profondeurs de la Divinité » et avez plongé vos regards jusqu'au fond de son coeur, vous pourrez bien nous dire comment Dieu entend la « divine cause » que nous sommes appelés à servir. Ne nous celez point les desseins du Seigneur. Que veut-il? Que poursuit-il? A-t-il, comme ce nous est prescrit à nous, embrassé une cause étrangère et s'est-il fait le champion de la Vérité et de l'Amour? Cette absurdité vous révolte; vous nous enseignez que Dieu étant lui-même tout Amour et toute Vérité, la cause de la Vérité et celle de l'Amour se confondent avec la sienne et ne lui sont pas étrangères. Il vous répugne d'admettre que Dieu puisse être comme nous, pauvres vers, et faire sienne la cause d'un autre. « Mais Dieu embrasserait-il la cause de la Vérité, s'il n'était pas lui-même la Vérité? » Dieu ne s'occupe que de sa cause, seulement il est tout dans tout, de sorte que tout est sa cause. Mais nous ne sommes pas tout dans tout et notre cause est bien mince, bien méprisable; aussi devons-nous « servir une cause supérieure ». — Voilà qui est clair : Dieu ne s'inquiète que du sien. Dieu ne s'occupe que de lui-même, ne pense qu'à luimême et n'a que lui-même en vue; malheur à ce qui contrarie ses desseins. Il ne sert rien de supérieur et ne cherche qu'à se satisfaire. La cause qu'il défend est purement — égoïste!

Et l'Humanité, dont nous devons aussi défendre les intérêts comme les nôtres, quelle cause défend-elle? Celle d'un autre? Une supérieure? Non, L'Humanité ne voit qu'elle-même, l'Humanité n'a d'autre but, que l'Humanité; sa cause, c'est elle-même. Pourvu qu'elle se développe, peu lui importe que les individus et les peuples succombent à son service; elle tire d'eux ce qu'elle en peut tirer, et lorsqu'ils ont accompli la tâche qu'elle réclamait d'eux, elle les jette en guise de remerciement dans la hotte de l'histoire. La cause que défend l'Humanité n'est-elle pas purement — égoïste ?

Inutile de poursuivre, et de montrer à propos de chacune de ces choses qui nous appellent à leur défense qu'il ne s'agit pour elles que d'elles et non de nous, de leur bien et non du nôtre. Passez vous-mêmes les autres en revue, et dites si la Vérité, la Liberté, la Justice, etc., s'inquiètent de vous autrement que pour réclamer votre enthousiasme et vos services. Soyez des serviteurs zélés, rendez-leur hommage, c'est tout ce qu'elles demandent.

Voyez ce Peuple que sauvent des patriotes dévoués; les patriotes tombent sur le champ de bataille ou crèvent de faim et de misère; qu'en dit le Peuple? Le Peuple? Fumé de leurs cadavres, il devient un « peuple florissant »! Les individus sont morts « pour la grande cause du Peuple », qui leur envoie quelques tardives phrases de reconnaissance et — garde pour lui tout le profit. Cela me paraît d'un égoïsme assez lucratif.

Mais contemplez maintenant ce Sultan qui soigne si tendrement « les siens ». N'est-il pas l'image du plus pur dévouement, et sa vie n'est-elle pas un perpétuel sacrifice pour les siens? Eh! oui, pour « les siens »! En veux-tu faire l'essai? Montre que tu n'es pas « le sien », mais « le tien »; refuse-toi à son égoïsme : tu iras aux galères. Le Sultan n'a basé sa cause sur rien d'autre que sur lui-même; il est tout dans tout, il est l'Unique et ne permet à personne de ne pas être un des « siens ».

Ces illustres exemples ne vous suggèrent-ils rien? Ne vous invitent-ils pas à penser que l'Égoïste pourrait bien avoir raison? Pour ma part, j'y vois une leçon; au lieu de continuer à servir avec désintéressement ces grands égoïstes, je serai plutôt moi-même l'Égoïste.

Dieu et l'Humanité n'ont basé leur cause sur rien, sur rien qu'eux-mêmes. Je baserai donc ma cause sur Moi : aussi bien que Dieu, je suis la négation de tout le reste, je suis pour moi tout je suis l'Unique.

Si Dieu et l'Humanité sont, comme vous l'assurez, riches de ce qu'ils renferment au point d'être pour eux-mêmes tout dans tout, je m'aperçois qu'il me manque à moi beaucoup moins encore et que je n'ai pas à me plaindre de ma « vanité ». Je ne suis pas rien dans le sens de « rien que vanité », mais je suis le Rien créateur, le Rien dont je tire tout.

Foin donc de toute cause qui n'est pas entièrement, exclusivement la Mienne! Ma cause, dites-vous, devrait au moins être la «bonne cause»? Qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui est mauvais? Je suis moi-même ma cause, et je ne suis ni bon ni mauvais, ce ne sont là pour moi que des mots.

Le divin regarde Dieu, l'humain regarde l'Homme. Ma cause n'est ni divine ni humaine, ce n'est ni le vrai, ni le bon, ni le juste, ni le libre, c'est — le Mien; elle n'est pas générale, mais — unique, comme je suis unique. Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi!


Préface du traducteur << Max Stirner  —  L’Unique et sa propriété >> Première partie : l’homme