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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}}
{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 2. Les Possédés}}


As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est
As-tu déjà vu un Esprit ? — Moi? non, mais ma grand-mère en a vu. — C'est
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cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous
cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous
croyons à l'existence des esprits.
croyons à l'existence des esprits.
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules
Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules
chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui,
chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants? Hélas! oui,
c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces
c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces
philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite !
philosophes. ! Nous le verrons bien par la suite !
Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans
Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans
l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement
l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement
ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules
ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules
devant la première?
devant la première?
Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants
Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants
compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette
compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette
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des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs
des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs
somnambules, leurs voyantes, etc.
somnambules, leurs voyantes, etc.
Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance
Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance
aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion,
aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion,
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qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer
qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer
un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit.
un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) — aucun Esprit.
« Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si
« Mais il existe des Esprits! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si
derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit
derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit
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d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière,
d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière,
que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine
que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 41
de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté!
de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté!
Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante
Que dis-je? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante
d'un Esprit, il est un fantôme.
d'un Esprit, il est un fantôme.
Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le
Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le
monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est
monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est
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que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est
que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est
qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ».
qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ».
Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les
Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les
dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le
dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le
monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas.
monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas.
À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme;
À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme;
aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton
aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton
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sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la
sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la
« délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »?
« délivrance »? Ne sommes-nous pas des « Esprits »?
Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair »,
Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair »,
ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée.
ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée.
Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres
Tu as un esprit, car tu as des pensées. Mais que sont ces pensées ? — Des êtres
spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses,
spirituels. — Elles ne sont donc point des choses ? — Non, mais l'Esprit des choses,
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supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la
supprimer la Vérité. Je crois à la Vérité et c'est pourquoi je la recherche ; rien ne la
dépasse, elle est éternelle.
dépasse, elle est éternelle.
La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais
La vérité est sacrée et éternelle ! Mais toi, qui t'emplis de cette sainteté et en fais
ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce
ton guide, tu seras toi-même sanctifié. Le Sacré ne se manifeste jamais à tes sens, ce
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foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un
foi, ou plus exactement à ton Esprit, car il est lui-même quelque chose de spirituel, un
Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit.
Esprit ; il est Esprit pour l'Esprit.
La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup
La notion de sainteté ne se laisse pas extirper aussi facilement que beaucoup
semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque
semblent le croire, qui se refusent à employer encore ce mot « impropre ». À quelque
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chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on
chose de « saint », de « sacré ». Que ce sacro-saint soit d'ailleurs si humain que l'on
voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout
voudra, qu'il soit l'Humain même, cela ne lui enlève rien de son caractère et fait tout
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 42
au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré
au plus de ce sacré supra-terrestre un sacré terrestre, de ce sacré divin un sacré
humain.
humain.
Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme,
Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme,
pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les
pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les
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ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir
ses peines pour s'affranchir de son moi ne sont qu'un effort mal compris pour affranchir
son moi.
son moi.
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier 1 ? Ne
Es-tu lié à ton heure passée? Dois-tu faire aujourd'hui ce que tu fis hier 1 ? Ne
peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et
peux-tu te transformer à chaque instant ? S'il en était ainsi, tu te sentirais enchaîné et
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involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être
involontaire, et c'est pourquoi l' « être supérieur » reste pour toi un étranger. Tout être
supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous.
supérieur, Vérité, Humanité, etc., est un être au-dessus de nous.
Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est
Il nous est étranger ; c'est là un signe auquel nous reconnaissons ce qui est
« sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui
« sacré ». II y a dans tout ce qui est sacré quelque chose d'inconnu, de différent, qui
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si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à
si, au contraire, la figure de l'empereur de Chine m'est sacrée, elle reste étrangère à
mes yeux et je les baisse devant lui.
mes yeux et je les baisse devant lui.
Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel
Pourquoi une vérité mathématique indiscutable, qu'on pourrait dans le sens usuel
du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ;
du mot appeler éternelle, ne m'est-elle pas — sacrée ? Parce qu'elle n'est pas révélée ;
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GOETHE (Épigrammes vénitiennes, II).
GOETHE (Épigrammes vénitiennes, II).
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 43
 
l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme »
l'ancien que pour faire place à un nouveau. À côté d'un individu humain, l'« Homme »
n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son
n'est-il pas un être supérieur ? Et les Vérités, les Droits, les Idées qui découlent de son
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même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes,
même), mais une essence, un être « supérieur », et, pour les athées eux-mêmes,
l'essence ou l'Être « suprêmes ».
l'essence ou l'Être « suprêmes ».
De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu,
De même que les révélations divines ne furent pas écrites de la main de Dieu,
mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas
mais publiées par les « instruments du Seigneur », de même l'Homme ne publie pas
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les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et
les hommes ». L'Esprit réintègre ainsi sa forme de fantôme et redevient compact et
populaire à souhait.
populaire à souhait.
Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et
Saint donc est l'être suprême, saint est tout ce en quoi il se révèle ou se révélera, et
sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire
sanctifiés sont ceux qui reconnaissent cet être suprême dans leur propre être, c'est-àdire
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; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, de
; le culte qu'il lui rend le sanctifie et sanctifie ce qu'il fait : un saint commerce, de
saintes pensées et de saintes actions, etc.
saintes pensées et de saintes actions, etc.
L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être
L'objet qui doit être honoré comme l'être suprême ne peut, on le conçoit, être
discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont
discuté avec fruit que pour autant que les contradicteurs les plus acharnés sont
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tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux,
tous qui servez un Être suprême quel qu'il soit, vous n'êtes que des — gens pieux,
l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien.
l'athée le plus frénétique comme le plus fervent chrétien.
Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte
Dans la sainteté vient au premier rang l'Être suprême, et avec lui notre « sainte
croyance ».
croyance ».
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 44
 
LE FANTÔME
 
== LE FANTÔME ==
 
 
Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des
Avec les revenants nous entrons dans le royaume des esprits, dans le royaume des
Êtres, des Essences.
Êtres, des Essences.
L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le
L'être énigmatique et « incompréhensible » qui hante et trouble l'univers est le
fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir,
fantôme mystérieux que nous nommons être suprême. Pénétrer ce fantôme, le saisir,
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et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être,
et corporelle. Derrière le monde existant, ils cherchèrent la « chose en soi », l'être,
l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose.
l'essence ; derrière la chose, ils cherchèrent la non-chose.
Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on
Qu'on examine à fond le moindre phénomène, qu'on en recherche l'essence, et l'on
y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une
y découvrira souvent tout autre chose que ce qui paraissait à première vue : une
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Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris
Et par là même qu'on fait ressortir l'essence, on réduit l'aspect jusqu'alors mal compris
à une mensongère apparence.
à une mensongère apparence.
L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la —
L'essence de ce monde superbe est, pour celui qui en scrute les profondeurs, la —
vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains
vanité. Celui qui est religieux ne s'occupe point de l'apparence trompeuse, des vains
phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la
phénomènes, mais recherche l'essence, et quand il tient cette essence il tient — la
Vérité.
Vérité.
Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises
Les essences qui se manifestent sous certaines apparences sont les mauvaises
essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment
essences, celles qui se manifestent sous d'autres sont les bonnes. L'essence du sentiment
humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien,
humain, par exemple, est l'amour, l'essence de la volonté humaine est le bien,
celle de la pensée est le vrai, etc.
celle de la pensée est le vrai, etc.
Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît
Ce qui passe d'abord pour existant, comme le monde et ce qui s'y rapporte, apparaît
maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence,
maintenant comme une pure illusion, et ce qui existe vraiment, c'est l'essence,
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reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un
reconnaître que les essences, tel est le propre de la religion ; son royaume est un
royaume des essences, des fantômes, des revenants.
royaume des essences, des fantômes, des revenants.
L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens * » a
L'effort pour rendre saisissable le fantôme, ou pour réaliser le « non-sens * » a
abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps
abouti à produire un fantôme corporel, un fantôme ou un esprit pourvu d'un corps
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d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps
d'une part la divine, d'autre part l'humaine ; d'une part le fantôme, de l'autre le corps
* « Non-sens » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
* « Non-sens » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 45
sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se
sensible. Le plus extraordinaire des fantômes est resté une « non-chose ». Celui qui se
martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au
martyrisait l'âme n'était point encore un Esprit, et nul chaman qui se torture jusqu'au
délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce
délire furieux et à la frénésie pour exorciser un esprit n'a éprouvé les angoisses que ce
spectre insaisissable procura aux Chrétiens.
spectre insaisissable procura aux Chrétiens.
C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme
C'est le Christ qui mit en lumière cette vérité que le véritable Esprit, le fantôme
par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même
par excellence, est — l'Homme. L'esprit fait chair, c'est l'Homme ; il est lui-même
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la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un
la pensée la plus douce (et cette pensée est elle-même un Esprit) est peut-être un
diable, etc.
diable, etc.
Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant
Le fantôme a pris un corps, le Dieu s'est fait homme, mais l'homme est maintenant
lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche
lui-même le terrifiant fantôme derrière lequel il s'efforce de pénétrer, qu'il cherche
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revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée
revenant, un fantôme obscur et décevant, auquel une place déterminée est assignée
dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.)
dans le corps. (Discussions sur le siège de l'âme : est-elle dans la tête? etc.)
Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut
Tu n'es pas pour moi un être supérieur, et je n'en suis point un pour toi. Il se peut
toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect
toutefois que chacun de nous recèle un être supérieur, qui exige de nous un respect
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passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode
passagère, toi en qui un esprit se manifeste sans être lié à ton corps et à ce mode
d'apparition, comme un fantôme.
d'apparition, comme un fantôme.
Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi,
Aussi ne te considéré-je point comme un être supérieur ; ce que je respecte en toi,
ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens
ce n'est que l'être supérieur que tu héberges, c'est-à-dire l' « Homme ». Les Anciens
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supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême,
supérieur, elle n'est ni plus haute ni plus générale que toi, elle est unique comme toimême,
c'est toi-même.
c'est toi-même.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 46
 
Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit
Mais l'homme n'est pas seul un fantôme ; tout est hanté. L'être supérieur, l'Esprit
qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses.
qui s'agite en toutes choses, n'est lié à rien et ne fait que « paraître » dans les choses.
Fantômes dans tous les coins!
Fantômes dans tous les coins!
Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion
Ce serait ici le lieu de faire défiler ces fantômes ; mais nous aurons l'occasion
dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous
dans la suite de les évoquer de nouveau pour les voir s'envoler devant l'égoïsme. Nous
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Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien
Saint-Esprit, ainsi la Vérité, le Roi, la Loi, le Bien, la Majesté, l'Honneur, le Bien
public, l'Ordre, la Patrie, etc.
public, l'Ordre, la Patrie, etc.
LA MAROTTE
 
 
== LA MAROTTE ==
 
 
Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu
Homme, ta cervelle est hantée, tu bats la campagne! Dans tes rêves démesurés, tu
te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui
te forges tout un monde divin, un royaume des Esprits qui t'attend, un Idéal qui
t'invite. Tu as une idée fixe!
t'invite. Tu as une idée fixe!
Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare
Ne crois pas que je plaisante ou que je parle par métaphore, quand je déclare
radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire,
radicalement fous, fous à lier, tous ceux que l'infini, le surhumain tourmente, c'est-àdire,
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traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète
traiteras pas ton frère de fou, sinon..., etc.! Mais la menace me laisse froid, et je répète
: mes frères sont des fous fieffés.
: mes frères sont des fous fieffés.
Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père,
Qu'un pauvre fou dans son cabanon se nourrisse de l'illusion qu'il est Dieu le Père,
l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est
l'empereur du Japon, le Saint-Esprit, ou qu'un brave bourgeois s'imagine qu'il est
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bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute
bouquins dans les limites de la superstition papiste, sans que le moindre doute
effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio
effleurât leur croyance ; c'est ainsi que les écrivains entassent in-folio sur in-folio
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 47
traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est
traitant de l'État, sans jamais mettre en question l'idée fixe d'État elle-même; c'est
ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette
ainsi que nos gazettes regorgent de politique parce qu'elles sont infectées de cette
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met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà
met en doute joue avec les vases de l'autel! Redisons-le encore : une idée fixe, voilà
ce qu'est le vrai sacro-saint!
ce qu'est le vrai sacro-saint!
Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi
Ne nous heurtons-nous qu'à des possédés du Diable, ou rencontrons-nous aussi
souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la
souvent des possédés d'espèce contraire, possédés par le Bien, la Vertu, la Morale, la
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la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les
la « tentation », de l'autre la « grâce »; mais quelle que soit celle qui opère, les
possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion.
possédés n'en sont pas moins acharnés dans leur opinion.
« Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous
« Possession » vous déplaît ? Dites obsession, ou, puisque c'est l'Esprit qui vous
possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme,
possède et qui vous suggère tout, dites inspiration, enthousiasme. J'ajoute que l'enthousiasme,
dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme,
dans sa plénitude, car il ne peut être question de faux, de demi-enthousiasme,
s'appelle — fanatisme.
s'appelle — fanatisme.
Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme
Le fanatisme est spécialement propre aux gens cultivés, car la culture d'un homme
est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il
est en raison de l'intérêt qu'il attache aux choses de l'esprit, et cet intérêt spirituel s'il
est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour
est fort et vivace, n'est et ne peut être que fanatisme ; c'est, un intérêt fanatique pour
ce qui est sacré (fanum).
ce qui est sacré (fanum).
Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit
Observez nos libéraux, lisez certains de nos journaux saxons, et écoutez ce que dit
Schlosser 1 : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine
Schlosser 1 : « La société d'Holbach ourdit un complot formel contre la doctrine
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