Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie II : L'Etat féodal primitif »

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::Leur fier travail remplit de lourds épis mes granges,
::Leur fier travail remplit de lourds épis mes granges,
::Extrait le suc doré au temps de la vendange
::Extrait le suc doré au temps de la vendange
::Et me sacre « Seigneur» ! Le reste n'est que fange.
::Et me sacre « Seigneur » ! Le reste n'est que fange.


::Mes esclaves jamais ne brandiront l'épée;
::Mes esclaves jamais ne brandiront l'épée;
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::Je suis leur« Grand Seigneur » Mon nom sème l'effroi.
::Je suis leur« Grand Seigneur » Mon nom sème l'effroi.


Si l'orgueil du maître conquérant éclate dans ces strophes arrogantes les vers suivants, cités d'après Sombart, et appartenant à un milieu et à un degré de civilisation entièrement différents nous montrent que le pillard subsiste toujours dans le guerrier en dépit du christianisme, de la Paix de Dieu et du Saint-Empire Romain. Là aussi le poète loue le moyen politique, mais dans sa forme la plus crasse, le vol de grand chemin :
Si l'orgueil du maître conquérant éclate dans ces strophes arrogantes, les vers suivants, cités d'après Sombart, et appartenant à un milieu et à un degré de civilisation entièrement différents nous montrent que le pillard subsiste toujours dans le guerrier en dépit du christianisme, de la Paix de Dieu et du Saint-Empire Romain. Là aussi le poète loue le moyen politique, mais dans sa forme la plus crasse, le vol de grand chemin :


Veux- tu faire fortune,
::Veux- tu faire fortune,
Jeune gentilhomme,
::Jeune gentilhomme,
Suis mon conseil
::Suis mon conseil
En selle et cherche aventure.
::En selle et cherche aventure.
Tiens-toi dans le bois verdoyant
::Tiens-toi dans le bois verdoyant
Et quand le paysan s'y risque
::Et quand le paysan s'y risque
Attaque-le sans hésiter.
::Attaque-le sans hésiter.
Attrape-le au collet
::Attrape-le au collet
Et polir réjouir ton cœur
::Et polir réjouir ton cœur
Prends-lui tout ce qu'il a
::Prends-lui tout ce qu'il a
Et dételle ses chevaux5
::Et dételle ses chevaux{{ref|13}}


Sombart continue: « Lorsqu'il ne préférait pas chasser un gibier plus riche et enlever de force aux marchands le contenu de leurs ballots. Le vol de grand chemin a toujours été la forme naturelle de l'industrie du seigneur lorsque ses rentes seules ne suffisaient pas à satisfaire les besoins du train d'existence journalier, augmentés par les exigences croissantes du luxe. Le brigandage était considéré comme une occupation absolument honorable : s'emparer de ce qui est à portée de la pointe de la lance ou du tranchant de l’épée est entièrement conforme à l'esprit de chevalerie. Le chevalier faisait son apprentissage de brigand tout comme le savetier apprend son métier. C'est ce que proclame gaiment la chanson :
Sombart continue : « Lorsqu'il ne préférait pas chasser un gibier plus riche et enlever de force aux marchands le contenu de leurs ballots. Le vol de grand chemin a toujours été la forme naturelle de l'industrie du seigneur lorsque ses rentes seules ne suffisaient pas à satisfaire les besoins du train d'existence journalier, augmentés par les exigences croissantes du luxe. Le brigandage était considéré comme une occupation absolument honorable : s'emparer de ce qui est à portée de la pointe de la lance ou du tranchant de l’épée est entièrement conforme à l'esprit de chevalerie. Le chevalier faisait son apprentissage de brigand tout comme le savetier apprend son métier. C'est ce que proclame gaiment la chanson :


« A batailler et roder il n'y a aucune honte
::« A batailler et rôder il n'y a aucune honte
Les plus nobles du pays en font autant »
::Les plus nobles du pays en font autant »
 
A ce trait dominant de toute psychologie de gentilhomme vient s'ajouter, comme seconde marque distinctive à peine moins caractéristique, la dévotion convaincue ou du moins marquée avec ostentation. Ce trait démontre de façon probante la facilité avec laquelle, étant données les mêmes conditions sociales, les mêmes représentations s’imposent toujours de nouveau. Dieu apparaît encore de nos jours à la classe dominatrice comme son « dieu » spécial, et surtout de façon prédominante comme le dieu des armées. La connaissance du Dieu créateur de tous les hommes, y compris les ennemis, et même depuis le christianisme du Dieu d'amour, ne peut rien contre la force avec laquelle les intérêts de classe construisent leur propre idéologie. Citons encore pour compléter le tableau de la psychologie aristocratique la tendance à la prodigalité qui se présente souvent de manière plus sympathique sous forme de libéralité, qualité évidente chez qui ignore le prix du travail ; et enfin comme trait le plus noble la bravoure à toute épreuve, engendrée par la nécessité, impérieuse pour une minorité, d'être prêt à tout instant à défendre ses droits l'arme à la main ; l'affranchissement de tout travail favorise du reste aussi le développement de cette dernière qualité en permettant l'aguerrissement physique produit par les exercices du corps, la chasse et les luttes. Son revers est l’humeur querelleuse, l'exagération extravagante du point d'honneur personnel.
 
Ici une petite digression. César trouva les Celtes de la Gaule précisément dans cette période de leur développement, lorsque l'aristocratie était parvenue au pouvoir. Sa description classique de cette psychologie de classe passe depuis pour le tableau de la psychologie de la race celte. Même un Mommsen s'y laisse prendre et cette méprise manifeste se poursuit dès lors, indestructible, dans tous les ouvrages sur l'histoire universelle et la sociologie. Un coup d'œil suffirait pourtant à connaître que tous les peuples, quelle que soit leur race, ont présenté le même caractère durant la même période de leur développement (les Thessaliens{{ref|14}}, Apuliens{{ref|15}}, Campanes{{ref|16}}, Germains et Polonais en Europe) pendant que les Celtes, et en particulier les Français, présentent pendant toutes les autres périodes des traits caractéristiques entièrement différents. Psychologie de phase et non psychologie de race !


A ce trait dominant de toute psychologie (le gentilhomme vient s'ajouter, comme seconde mardistinctive à peine moins caractéristique, la évotion convaincue ou du moins marquée avec ostentation. Ce trait démontre de façon probante la facilité avec laquelle, étant données les mêmes conditions sociales, les mêmes représentations s’imposent toujours de nouveau. Dieu apparaît encore de nos jours à la classe dominatrice comme son « dieu » spécial, et surtout de façon prédominante comme le dieu des armées. La connaissance du Dieu créateur de tous les hommes, y compris les ennemis, et même depuis le christianisme du Dieu d'amour, ne peut rien contre la force avec laquelle les intérêts de classe construisent leur propre idéologie. Citons encore pour compléter le tableau de la psychologie aristocratique la tendance à la prodigalité qui se présente souvent de manière plus sympathique sous forme de éralité, qualité évidente chez qui ignore le prix du travail ; et enfin comme trait le plus noble la bravoure à toute épreuve, engendrée par la nécessité, impérieuse pour une minorité , d'être prêt à tout instant à défendre ses droits l'arme à la main ; l'affranchissement de tout travail favorise du reste aussi le développement de cette dernière qualité en permettant l'aguerrissement physique produit par les exercices du corps, la chasse et les luttes. Son revers est l’humeur querelleuse, l'exagération extravagante du point d'honneur personnel.
Ici une petite digression. César les Celtes de la Gaule précisément dans cette période de leur développement, lorsque 'aristocratie était parvenue au pouvoir. Sa description classique de cette psychologie de classe passe depuis le tableau de la psychologie de la race celte. ême un Mommsen s'y laisse prendre et cette méprise manifeste se continue dès lors indestructible dans tous les ouvrages sur l'histoire universelle et la sociologie. Un coup d'œil suffirait pourtant à connaître que tous les peuples, quelle que soit leur race, ont présenté le même caractère durant la même période de leur développement (les Thessaliens, Apuliens, Campanes, Germains et Polonais en Europe) pendant que les Celtes, et en particulier les Français, présentent pendant toutes les autres périodes des traits caractéristiques entièrement différents. Psychologie de phase et non psychologie de race !
De l'autre côté, partout où les représentations religieuses consacrant l'Etat sont faibles ou vont s'affaiblissant, une notion plus ou moins claire du « droit naturel » s'élève comme théorie du groupe des asservis. La classe inférieure ressent comme une arrogance insupportable l'orgueil de race aristocratique et se considère comme étant de tout aussi bonne lignée et de sang aussi noble, et cela encore avec raison, l'assiduité et l'esprit d'ordre étant pour elle les seules vertus. Elle est souvent sceptique vis-à-vis de la religion qu'elle voit trop souvent liguée avec ses ennemis et elle est aussi fermement convaincue que les privilèges du groupe dominateur offensent le bon droit et la raison que ses maîtres sont persuadés du contraire. Ici aussi tous les développements ultérieurs n'ont pu ajouter aucun trait important aux éléments primordiaux.
De l'autre côté, partout où les représentations religieuses consacrant l'Etat sont faibles ou vont s'affaiblissant, une notion plus ou moins claire du « droit naturel » s'élève comme théorie du groupe des asservis. La classe inférieure ressent comme une arrogance insupportable l'orgueil de race aristocratique et se considère comme étant de tout aussi bonne lignée et de sang aussi noble, et cela encore avec raison, l'assiduité et l'esprit d'ordre étant pour elle les seules vertus. Elle est souvent sceptique vis-à-vis de la religion qu'elle voit trop souvent liguée avec ses ennemis et elle est aussi fermement convaincue que les privilèges du groupe dominateur offensent le bon droit et la raison que ses maîtres sont persuadés du contraire. Ici aussi tous les développements ultérieurs n'ont pu ajouter aucun trait important aux éléments primordiaux.
Guidés plus ou moins consciemment par ces idées, les deux groupes livrent désormais le grand combat des intérêts, et l'Etat naissant risquerait d'éclater sous la pression de ces forces centrifuges si les forces centripètes de l'intérêt commun, de la conscience d'Etat, n'étaient pas en général plus puissantes encore. La pression extérieure de l’Etranger, de l'ennemi commun, est plus forte que la pression intérieure des intérêts particuliers antagonistes. Que l'on se rappelle la fable de la ''secessio plebis'' et la mission couronnée de succès de Menenius Agrippa. Le jeune Etat suivrait ainsi éternellement, nouvelle planète, la voie que lui trace le parallélogramme des forces, si l'évolution ne le transformait, lui et son milieu, en développant de nouvelles forces extérieures et intérieures.
 
Guidés plus ou moins consciemment par ces idées, les deux groupes livrent désormais le grand combat des intérêts, et l'Etat naissant risquerait d'éclater sous la pression de ces forces centrifuges si les forces centripètes de l'intérêt commun, de la conscience d'Etat, n'étaient pas en général plus puissantes encore. La pression extérieure de l’Etranger, de l'ennemi commun, est plus forte que la pression intérieure des intérêts particuliers antagonistes. Que l'on se rappelle la fable de la ''secessio plebis''{{ref|17}} et la mission couronnée de succès de Menenius Agrippa{{ref|18}}. Le jeune Etat suivrait ainsi éternellement, nouvelle planète, la voie que lui trace le parallélogramme des forces, si l'évolution ne le transformait, lui et son milieu, en développant de nouvelles forces extérieures et intérieures.


== Notes ==  
== Notes ==  
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# {{note|11}}Id. 1, ch. II, p. 476.
# {{note|11}}Id. 1, ch. II, p. 476.
# {{note|12}}Id. 1, ch. II, p. 453.
# {{note|12}}Id. 1, ch. II, p. 453.
# {{note|13}}Uhland, ''Anciens chants populaires allemands'', I, cité d'après Sombart, ''Der moderne Kapitalismus'', Leipzig, 1902, I, p. 384-385.
# {{note|14}}La Thessalie (en grec moderne : Θεσσαλία) est une région historique et une périphérie du nord-est de la Grèce, au sud de la Macédoine.
# {{note|15}}L'Apulie est l'ancien nom de la région des Pouilles, en Italie.
# {{note|16}}La région de Campanie (en italien : Regione Campania), plus couramment appelée la Campanie, est une région d'Italie méridionale. Le mot Campanie est formé de la contraction de deux termes latins : le mot campus (la campagne) et le nom de la ville de Capoue (Capua) qui était alors la ville principale de cette région méridionale de la péninsule italienne.
# {{note|17}}Les sécessions de la plèbe (''Secessio plebis'') sont l'exercice informel du pouvoir par les citoyens plébéiens romains, similaire à une grève. Durant une sécession, les citoyens abandonnent simplement la ville en masse en s'opposant ainsi à l'ordre des patriciens. La République romaine est une oligarchie dominée par la minorité des patriciens qui lutte souvent contre la masse de la plèbe : c'est la guerre des ordres. De l'institution de la République jusqu'aux guerres puniques, la plèbe et le patriciat luttent pour gouverner la Ville, et il y eut plusieurs sécessions de la plèbe, qui n'avait aucun droit au début.
# {{note|18}}Agrippa Menenius Lanatus est un patricien romain des débuts de la République romaine, père de Titus Menenius Agrippae Lanatus (consul en 477 av. J.-C.). Il faut préciser que comme la plus grande partie des hommes et des institutions de cette époque romaine, la réalité de son existence historique et de ses actions nous échappent, nos sources lacunaires présentant par ailleurs des récits et des traditions considérablement réécrits et déformés. Il est élu consul en 503 av. J.-C., année durant laquelle il triomphe des Sabins. En 494 av. J.-C., il est envoyé par le sénat sur le mont Sacré (ou sur le mont Aventin) où s'est réfugiée la plèbe lors d'une insurrection, accablée de dettes. Ayant le devoir de réaliser la concordance entre patriciens et plébéiens, il emploie le fameux apologue : Les membres et l'estomac grâce auquel il tente de démontrer que la cité ne peut exister sans la plèbe, mais que, parallèlement la plèbe ne peut vivre sans la cité, selon les termes suivants, d'après Aurelius Victor : « Un jour [...] les membres du corps humain, voyant que l'estomac restait oisif, séparèrent leur cause de la sienne, et lui refusèrent leur office. Mais cette conspiration les fit bientôt tomber eux-mêmes en langueur ; ils comprirent alors que l'estomac distribuait à chacun d'eux la nourriture qu'il avait reçue, et rentrèrent en grâce avec lui. Ainsi le sénat et le peuple, qui sont comme un seul corps, périssent par la désunion, et vivent pleins de force par la concorde ». On ignore si Agrippa a réellement eu un impact quant au retour des plébéiens dans la cité, mais il est resté célèbre pour son apologue, plus tard repris par La Fontaine. Mais selon la légende, cet apologue apaisa les esprits, car suite à cet événement, on institua par la ''Lex Sacrata'' les tribuns de la plèbe pour défendre les intérêts du peuple et pour qu'ils soient des ambassadeurs entre le sénat et le peuple. L'année suivante, en 493 av. J.-C., Agrippa Menenius meurt si pauvre que le peuple lui paie ses funérailles, au nom de l'homme qui a ramené la plèbe dans Rome et a été le lien entre le Sénat romain et le peuple.
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