Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 3 - le gouvernement de la postérité »

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C'est donc se faire illusion que s'imaginer que l'on peut soumettre à une direction consciente l'évolution de l'humanité. Seuls peuvent l'entretenir ceux qui refusent toute importance à ce que leur esprit n'a pu saisir, et croient que pour résoudre un problème donné, ils n'ont besoin que de ce qu'ils sont capables de comprendre par l'intellect. Certes, l'esprit humain pourrait dresser le plan d'une société qu'il comprendrait, et diriger un ordre social dont le plan serait intelligible. Mais aucun esprit humain n'a jamais compris le plan complet d'une société. Dans le meilleur des cas, l'esprit peut comprendre sa propre interprétation du plan, c'est-à-dire quelque chose de beaucoup plus ténu, qui est à la réalité ce qu'une silhouette est à un corps humain. C'est pourquoi la politique travaille sur des abstractions, et les gouvernements ne connaissent que des aspects abstraits de l'ordre social.
C'est donc se faire illusion que s'imaginer que l'on peut soumettre à une direction consciente l'évolution de l'humanité. Seuls peuvent l'entretenir ceux qui refusent toute importance à ce que leur esprit n'a pu saisir, et croient que pour résoudre un problème donné, ils n'ont besoin que de ce qu'ils sont capables de comprendre par l'intellect. Certes, l'esprit humain pourrait dresser le plan d'une société qu'il comprendrait, et diriger un ordre social dont le plan serait intelligible. Mais aucun esprit humain n'a jamais compris le plan complet d'une société. Dans le meilleur des cas, l'esprit peut comprendre sa propre interprétation du plan, c'est-à-dire quelque chose de beaucoup plus ténu, qui est à la réalité ce qu'une silhouette est à un corps humain. C'est pourquoi la politique travaille sur des abstractions, et les gouvernements ne connaissent que des aspects abstraits de l'ordre social.
Aussi le contrôle social ne peut-il même pas être comparé de loin à la domination que les hommes ont attribué à Dieu, créateur et maître de l'univers. Dieu seul pouvait créer un monde gouvernable par lui. Les hommes gouvernent un monde déjà existant. Leurs actes de gouvernement sont des interventions, des ingérences, des interpositions, des interruptions dans un processus qui dans l'ensemble dépasse leur puissance et leur entendement. Les hommes s'abusent lorsqu'ils croient pouvoir assumer la direction de l'ordre social. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est ouvrir une brèche sur un point et créer une diversion.
Une doctrine, une politique, une action, ne peuvent tenir compte que de certains aspects les plus immédiats et les plus évidents d'une situation donnée. La réalité, comme dans le cas du petit déjeuner formé par la réunion de jus d'orange, de café et de pain grillé, est le résultat d'un équilibre mobile au milieu d'un nombre virtuellement infini de variables interdépendantes<ref>Voir J. Henderson, ''Pareto's general sociology''.</ref>. On ne saurait saisir l'ensemble d'un tel complexe, comme le montre Henderson, par la méthode ordinaire de « l'analyse des effets et des causes ». Et pourtant, les gouvernants héréditaires, élus, et les dictateurs ne sont même pas très doués pour le maniement de cette simple logique. Quant à la logique qui permettrait d'analyser les « variations interdépendantes des variables », elle constitue une entreprise logico-mathématique abstruse qui dépasse autant la compétence d'un ministre et de ses conseillers techniques, que la chimie celle d'un cuisinier. En fait, c'est une méthode que les connaisseurs les plus accomplis des affaires humaines ne peuvent utiliser qu'à titre d'expérience et très imparfaitement.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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