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==Nécessité de leur absolutisme==
==Nécessité de leur absolutisme==
Les régimes d'autorité ont été établis par des bandes armées qui soit par la violence, soit par l'intrigue, ou bien par ces deux procédés à la fois, se sont emparées de l'appareil coercitif de l'Etat. Ils s'en sont servis pour emprisonner, pour terroriser, pour bannir ou pour tuer tous les individus susceptibles de faire de l'opposition. Ils ont aboli tous les organes représentatifs, les élections, la liberté de la presse, le droit de réunion, qui auraient pu encourager l'opposition ou lui permettre de se manifester. On explique aux étrangers naïfs que tout cela est désagréable mais nécessaire ; que ce sont des mesures transitoires dans une période dangereuse, tout comme la loi martiale qu'on proclame, après un tremblement de terre dans un pays libre. Cette explication donne toujours à entendre que, par la suite, le gouvernement constitutionnel sera restauré, et avec lui le droit à l'opposition. Mais tout cela n'est qu'une explication offerte aux étrangers qu'il faut rassurer. La verité est que la « transition » ne s'achève jamais, et qu'elle ne veut pas s'achever tant que le régime dure<ref>Ce passage a été écrit avant la promulgation de la constitution russe du 5 décembre 1936. Je ne vois aucune raison de modifier mon opinion selon laquelle le droit à l'opposition ne saurait être rétabli tant que dure le collectivisme planifié. Il pourra y avoir une renaissance de la liberté en Russie, mais seulement quand l'économie dirigée aura été démobilisée. Voir chap. VI. </ref>.
Les régimes d'autorité ont été établis par des bandes armées qui soit par la violence, soit par l'intrigue, ou bien par ces deux procédés à la fois, se sont emparées de l'appareil coercitif de l'Etat. Ils s'en sont servis pour emprisonner, pour terroriser, pour bannir ou pour tuer tous les individus susceptibles de faire de l'opposition. Ils ont aboli tous les organes représentatifs, les élections, la liberté de la presse, le droit de réunion, qui auraient pu encourager l'opposition ou lui permettre de se manifester. On explique aux étrangers naïfs que tout cela est désagréable mais nécessaire ; que ce sont des mesures transitoires dans une période dangereuse, tout comme la loi martiale qu'on proclame, après un tremblement de terre dans un pays libre. Cette explication donne toujours à entendre que, par la suite, le gouvernement constitutionnel sera restauré, et avec lui le droit à l'opposition. Mais tout cela n'est qu'une explication offerte aux étrangers qu'il faut rassurer. La verité est que la « transition » ne s'achève jamais, et qu'elle ne veut pas s'achever tant que le régime dure<ref>Ce passage a été écrit avant la promulgation de la constitution russe du 5 décembre 1936. Je ne vois aucune raison de modifier mon opinion selon laquelle le droit à l'opposition ne saurait être rétabli tant que dure le collectivisme planifié. Il pourra y avoir une renaissance de la liberté en Russie, mais seulement quand l'économie dirigée aura été démobilisée. Voir chap. VI. </ref>.
Les collectivistes autoritaires, lorsqu'ils savent ce qu'ils veulent et qu'ils sont francs avec eux-mêmes, savent fort bien que le droit à l'opposition ne peut être rétabli sans que leurs principes soient rejetées et leur ordre social renversé. Quand ils parlent de liberté, ce qui leur arrive de temps en temps, ils veulent dire qu'ils espèrent arriver à apprendre au peuple à ne rien désirer d'autre que ce que l'Etat désire, à n'avoir pas d'autres buts que les buts officiels, à se sentir libres à force de s'être habitué à obéir. « Loin d'écraser l'individu », dit Mussolini, « l'Etat fasciste multiplie les énergies, de même que dans un régiment un soldat est non pas diminué mais multiplié par le nombre de ses camarades »<ref>Michael T. Florinsky, ''Fascism and National-socialism'', p. 65. Marx et Engels ont décrit le socialisme comme « un royaume de la liberté » voulant dire que la société serait libre de diriger la production, mais non pas que les individus seraient libres de faire de l'opposition.</ref>.Mais il est évident que, quelque avantage qu'un individu ait à faire partie d'un régiment, il y perd le droit de refuser son consentement, de trouver à redire à la stratégie des généraux et à la tactique des officiers ; il ne peut plus rien avoir à dire sur la cause pour laquelle il veut vivre et mourir. Ce n'est qu'après avoir perdu sa volonté d'avoir une opinion à lui qu'il devient capable de découvrir dans une discipline militaire une liberté nouvelle. Ce n'est que dans ce sens qu'il peut y avoir de la liberté dans un Etat totalitaire ; quand il n'y a plus d'opposition, il n'est plus nécessaire d'écraser l'opposition ; et quand un peuple est devenu parfaitement obéissant on n'a plus besoin de l'opprimer.


== Notes et références ==  
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Version du 13 juillet 2008 à 17:49

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Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 5 - les régimes totalitaires


Anonyme


Chapitre 5 - Les régimes totalitaires
La Cité libre
The Good Society
22510100747760L.jpg
Auteur : Walter Lippmann
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1937
« Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen. »
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Nécessité de leur absolutisme

Les régimes d'autorité ont été établis par des bandes armées qui soit par la violence, soit par l'intrigue, ou bien par ces deux procédés à la fois, se sont emparées de l'appareil coercitif de l'Etat. Ils s'en sont servis pour emprisonner, pour terroriser, pour bannir ou pour tuer tous les individus susceptibles de faire de l'opposition. Ils ont aboli tous les organes représentatifs, les élections, la liberté de la presse, le droit de réunion, qui auraient pu encourager l'opposition ou lui permettre de se manifester. On explique aux étrangers naïfs que tout cela est désagréable mais nécessaire ; que ce sont des mesures transitoires dans une période dangereuse, tout comme la loi martiale qu'on proclame, après un tremblement de terre dans un pays libre. Cette explication donne toujours à entendre que, par la suite, le gouvernement constitutionnel sera restauré, et avec lui le droit à l'opposition. Mais tout cela n'est qu'une explication offerte aux étrangers qu'il faut rassurer. La verité est que la « transition » ne s'achève jamais, et qu'elle ne veut pas s'achever tant que le régime dure[1].

Les collectivistes autoritaires, lorsqu'ils savent ce qu'ils veulent et qu'ils sont francs avec eux-mêmes, savent fort bien que le droit à l'opposition ne peut être rétabli sans que leurs principes soient rejetées et leur ordre social renversé. Quand ils parlent de liberté, ce qui leur arrive de temps en temps, ils veulent dire qu'ils espèrent arriver à apprendre au peuple à ne rien désirer d'autre que ce que l'Etat désire, à n'avoir pas d'autres buts que les buts officiels, à se sentir libres à force de s'être habitué à obéir. « Loin d'écraser l'individu », dit Mussolini, « l'Etat fasciste multiplie les énergies, de même que dans un régiment un soldat est non pas diminué mais multiplié par le nombre de ses camarades »[2].Mais il est évident que, quelque avantage qu'un individu ait à faire partie d'un régiment, il y perd le droit de refuser son consentement, de trouver à redire à la stratégie des généraux et à la tactique des officiers ; il ne peut plus rien avoir à dire sur la cause pour laquelle il veut vivre et mourir. Ce n'est qu'après avoir perdu sa volonté d'avoir une opinion à lui qu'il devient capable de découvrir dans une discipline militaire une liberté nouvelle. Ce n'est que dans ce sens qu'il peut y avoir de la liberté dans un Etat totalitaire ; quand il n'y a plus d'opposition, il n'est plus nécessaire d'écraser l'opposition ; et quand un peuple est devenu parfaitement obéissant on n'a plus besoin de l'opprimer.

Notes et références

  1. Ce passage a été écrit avant la promulgation de la constitution russe du 5 décembre 1936. Je ne vois aucune raison de modifier mon opinion selon laquelle le droit à l'opposition ne saurait être rétabli tant que dure le collectivisme planifié. Il pourra y avoir une renaissance de la liberté en Russie, mais seulement quand l'économie dirigée aura été démobilisée. Voir chap. VI.
  2. Michael T. Florinsky, Fascism and National-socialism, p. 65. Marx et Engels ont décrit le socialisme comme « un royaume de la liberté » voulant dire que la société serait libre de diriger la production, mais non pas que les individus seraient libres de faire de l'opposition.
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