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quelque difficulté qu'il y ait à découvrir la véritable doctrine susceptible d'assurer le progrès de l'humanité, il est certain qu'elle ne se trouve dans aucune de ces alternatives. Pénétré de cette conviction et sentant que s'il n'y avait pas d'autre issue, ce serait à désespérer de l'avenir, je me remis à écrire. Le choix entre ces alternatives est peut-être inévitable, et c'est peut-être folie de ne pas s'y résigner. Cette opinion paraît indiscutable à beaucoup de gens. Mais il me semble que s'y rallier, c'est prendre sa lassitude pour de la sagesse, c'est renoncer à comprendre pour désespérer. Quoi qu'il en soit, en commençant à écrire, j'avais plus d'indignation que d'espoir ; mais en terminant je suis arrivé à la conviction que la problème n'est pas insoluble en soi. La génération actuelle est sommée de choisir entre le confort et la liberté. Ce choix est inacceptable. Au lecteur de juger si ce paradoxe est dans l'immuable nature des choses, ou s'il n'est dû qu'à une erreur guérissable de l'esprit humain.
quelque difficulté qu'il y ait à découvrir la véritable doctrine susceptible d'assurer le progrès de l'humanité, il est certain qu'elle ne se trouve dans aucune de ces alternatives. Pénétré de cette conviction et sentant que s'il n'y avait pas d'autre issue, ce serait à désespérer de l'avenir, je me remis à écrire. Le choix entre ces alternatives est peut-être inévitable, et c'est peut-être folie de ne pas s'y résigner. Cette opinion paraît indiscutable à beaucoup de gens. Mais il me semble que s'y rallier, c'est prendre sa lassitude pour de la sagesse, c'est renoncer à comprendre pour désespérer. Quoi qu'il en soit, en commençant à écrire, j'avais plus d'indignation que d'espoir ; mais en terminant je suis arrivé à la conviction que la problème n'est pas insoluble en soi. La génération actuelle est sommée de choisir entre le confort et la liberté. Ce choix est inacceptable. Au lecteur de juger si ce paradoxe est dans l'immuable nature des choses, ou s'il n'est dû qu'à une erreur guérissable de l'esprit humain.
Mon ouvrage se divise en deux parties. La première, qui comprend les livres I et II, constitue l'analyse des théories et des actes du mouvement qui, depuis 1870 environ, s'efforce d'instituer un ordre social dirigé.
J'ai voulu examiner ces programmes sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des Etats démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans l'abondance et en paix. Il s'agissait pour moi de savoir, non pas si un tel résultat était désirable, mais s'il était réalisable. Je pensai d'abord que malgré toutes les difficultés qu'il y aurait à trouver des organisateurs suffisamment sages et désintéressés, une classe dirigeante bien éduquée parviendrait peut-être à réaliser cet idéal. Mais je finis par m'apercevoir qu'un tel ordre social n'est même pas réalisable en théorie, qu'il serait non seulement difficile à administrer, mais encore dépourvu de toute signification et qu'il est aussi illusoire que le mouvement perpétuel. Je finis par comprendre qu'une société dirigée doit être belliqueuse et pauvre, et que si elle n'est ni belliqueuse ni pauvre elle est indirigeable. Je compris alors qu'une société prospère et pacifique doit être libre. Si elle n'est libre, elle ne saurait être ni prospère ni pacifique.
Il me fallut ensuite un certain temps pour me rendre compte que je n'avais pas fait une découverte. C'était là la vérité essentielle qu'avaient enseignée les libéraux du XVIIIe siècle au début de l'ère moderne. Je lus alors avec un intérêt renouvelé les écrits dans lesquels Adam Smith et certains de ses contemporains avaient souligné que le souverain doit être « entièrement déchargé d'une tâche dans l'accomplissement de laquelle il sera toujours exposé à d'innombrables erreurs, et qu'aucune connaissance et aucune sagesse humaines ne sauraient jamais suffire à remplir convenablement : à savoir la charge de diriger l'industrie des individus, et de l'orienter vers les emplois les plus appropriés à l'intérêt de la société. »<ref>''Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livre IV, ch. 9, édition de 1890. </ref>
== Notes et références ==  
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Version du 21 juin 2008 à 12:40

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Walter Lippmann:La Cité libre - introduction


Anonyme


Introduction
La Cité libre
The Good Society
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Auteur : Walter Lippmann
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1937
« Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen. »
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Il y a quelques vingt-cinq ans, j'ai écrit un livre intitulé Préface à la politique, que je me proposais de compléter plus tard. Je croyais alors discerner clairement les grandes lignes de l'avenir de l'humanité. Nous étions aux plus beaux jours du Nouveau Nationalisme de Théodore Roosevelt, de la Nouvelle Liberté wilsonienne, et rien ne me faisait pressentir que la longue période de paix qui durait depuis Waterloo allait bientôt se terminer. Mon maître Graham Wallas annonçait cependant l'éventualité d'une guerre qui devait, selon lui, bouleverser les fondements de la société. Mais je ne comprenais pas cet avertissement prophétique. J'étais à vrai dire bien incapable de me représenter ce que pourrait être une telle guerre, et je ne savais pas ce qu'étaient les fondements qu'elle pourrait bouleverser.

Les hommes de cette génération avaient, pour la plupart, oublié les labeurs auxquels ils devaient leur prospérité, les luttes au prix desquelles ils avaient conquis la liberté, les victoires qui leur avaient donné la paix. Ils trouvaient tout naturels, aussi naturels que l'air qu'on respire et que le sol sur lequel on marche, les bienfaits de la civilisation occidentale. Aussi, dans ma Préface, avais-je affirmé catégoriquement que sous un régime de liberté personnelle, l'exercice sans cesse étendu de la souveraineté populaire permettrait à chaque nation de se donner un ordre social généreusement aménagé et intelligemment dirigé. J'étais tellement sûr de cet avenir que je m'empressais d'écrire un second livre[1], dont le titre proclamait la fin de l'ère des improvisations et l'avènement de celle de la maîtrise de l'ordre social par l'homme.

Un an après, la Guerre éclatait. Depuis lors, j'ai vu beaucoup moins clair dans l'avenir. Voilà plus de vingt ans que je consacre mes écrits aux graves événements de notre temps, et, pour m'aider à les comprendre, je n'ai rien trouvé mieux que des généralisations improvisées à la hâte par un esprit en désarroi. Bien souvent, j'ai eu envie de poser la plume, et d'essayer de découvrir quelle était ma véritable conviction. J'aurais voulu retrouver la certitude paisible, la stabilité d'opinions pleine d'assurance dont jouissent les gens qui peuvent adhérer sans réserve aux doctrines de l'une des nombreuses écoles qui existent dans le monde. Mais je n'ai trouvé dans aucune de ces écoles une philosophie pratique qui me permît d'y adhérer en toute confiance.

C'était, l'on en conviendra, une situation pénible. Car, au long de toutes ces années de crises successives il n'était pas possible de rester neutre ni indifférent. Mais peu à peu, tout en échafaudant mes maladroites improvisations, je commençai à me rendre compte pourquoi je ne pouvais prendre parti. La confusion qui régnait dans mon esprit n'était que le reflet du grand divorce qui divise le monde moderne : ceux qui s'efforcent d'améliorer le sort de l'humanité croient qu'il leur faut défaire l'oeuvre de leurs précédesseurs.

Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les programmes de réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen.

Ces alternatives sont intolérables. Elles sont cependant les seules que nous offrent les grands doctrinaires de notre temps. Aussi ceux qui voudraient faire preuve de loyauté envers les réalisations du passé sont-ils en général disposés à accepter le présent avec une certaine complaisance à ceux qui ont des projets d'avenir n'hésitent-ils pas à désavouer un passé héroïque. C'est un cercle vicieux.

quelque difficulté qu'il y ait à découvrir la véritable doctrine susceptible d'assurer le progrès de l'humanité, il est certain qu'elle ne se trouve dans aucune de ces alternatives. Pénétré de cette conviction et sentant que s'il n'y avait pas d'autre issue, ce serait à désespérer de l'avenir, je me remis à écrire. Le choix entre ces alternatives est peut-être inévitable, et c'est peut-être folie de ne pas s'y résigner. Cette opinion paraît indiscutable à beaucoup de gens. Mais il me semble que s'y rallier, c'est prendre sa lassitude pour de la sagesse, c'est renoncer à comprendre pour désespérer. Quoi qu'il en soit, en commençant à écrire, j'avais plus d'indignation que d'espoir ; mais en terminant je suis arrivé à la conviction que la problème n'est pas insoluble en soi. La génération actuelle est sommée de choisir entre le confort et la liberté. Ce choix est inacceptable. Au lecteur de juger si ce paradoxe est dans l'immuable nature des choses, ou s'il n'est dû qu'à une erreur guérissable de l'esprit humain.

Mon ouvrage se divise en deux parties. La première, qui comprend les livres I et II, constitue l'analyse des théories et des actes du mouvement qui, depuis 1870 environ, s'efforce d'instituer un ordre social dirigé.

J'ai voulu examiner ces programmes sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des Etats démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans l'abondance et en paix. Il s'agissait pour moi de savoir, non pas si un tel résultat était désirable, mais s'il était réalisable. Je pensai d'abord que malgré toutes les difficultés qu'il y aurait à trouver des organisateurs suffisamment sages et désintéressés, une classe dirigeante bien éduquée parviendrait peut-être à réaliser cet idéal. Mais je finis par m'apercevoir qu'un tel ordre social n'est même pas réalisable en théorie, qu'il serait non seulement difficile à administrer, mais encore dépourvu de toute signification et qu'il est aussi illusoire que le mouvement perpétuel. Je finis par comprendre qu'une société dirigée doit être belliqueuse et pauvre, et que si elle n'est ni belliqueuse ni pauvre elle est indirigeable. Je compris alors qu'une société prospère et pacifique doit être libre. Si elle n'est libre, elle ne saurait être ni prospère ni pacifique.

Il me fallut ensuite un certain temps pour me rendre compte que je n'avais pas fait une découverte. C'était là la vérité essentielle qu'avaient enseignée les libéraux du XVIIIe siècle au début de l'ère moderne. Je lus alors avec un intérêt renouvelé les écrits dans lesquels Adam Smith et certains de ses contemporains avaient souligné que le souverain doit être « entièrement déchargé d'une tâche dans l'accomplissement de laquelle il sera toujours exposé à d'innombrables erreurs, et qu'aucune connaissance et aucune sagesse humaines ne sauraient jamais suffire à remplir convenablement : à savoir la charge de diriger l'industrie des individus, et de l'orienter vers les emplois les plus appropriés à l'intérêt de la société. »[2]

Notes et références

  1. Drift and Mastery.
  2. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livre IV, ch. 9, édition de 1890.
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