Walter Lippmann:La Cité libre - préface

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Walter Lippmann:La Cité libre - préface
La Cité libre


Anonyme


Préface par André Maurois
1946
La Cité libre
The Good Society
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Auteur : Walter Lippmann
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1937
« Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen. »
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Très rares sont aujourd'hui les hommes capables d'examiner sans précipitation et sans prévention les problèmes économiques ou politiques. La peur paralyse certains esprits ; l'enthousiasme en dérègle d'autres. Nous devons la plus vive reconnaissance à ceux qui nous apportent sur les questions essentielles, des études profondes et objectives. Parmi eux je citerai, au premier rang, l'Américain Walter Lippmann. Ses articles du New York Herald Tribune, reproduits par de nombreux journaux, exercent dans toute l'Amérique une bienfaisante influence. Par sa bonne foi, par sa curiosité active, par sa prudente recherche de la vérité, il mérite de servir de modèle à ceux qui ont l'honneur et la responsabilité de former l'opinion publique.

Mais un écrivain ne peut juger sainement hommes et choses de son temps que s'il s'est fait un système de valeurs plus générales. Ce fut, dès sa jeunesse, une préoccupation constante de Lippmann que d'avoir en morale, en économie, en politique, une doctrine, fût-elle, comme celle de Descartes, provisoire. Plusieurs fois il a entrepris de traiter les plus vastes sujets, fait table rase des préjugés et tenté bravement de reconstruire. Il écrivit ainsi jadis une très belle Préface à la morale ; il publie aujourd'hui la Cité libre qui est une défense et illustration du capitalisme libéral.

La thèse est neuve et hardie. L'Europe, de 1870 à nos jours, a traversé une crise de pensée socialiste comme elle avait, au XVIIIe siècle, traversé une crise de pensée libérale. Un grand nombre d'hommes intelligents ont semblé admettre, comme une proposition évidente, que le libéralisme était un échec et que les peuples seraient désormais plus heureux si l'Etat dirigeait toutes nos affaires. Cette doctrine prenait, suivant les pays, des formes diverses. Sur le principe même du collectivisme, seuls quelques attardés discutaient encore et apparaissaient comme « les donquichotesques paladins » d'une économie désuète.

Depuis la guerre, en tous pays, des gouvernements autoritaires, et aussi des gouvernements démocratiques munis de pleins pouvoirs, ont fait l'essai d'une économie par plan. Désemparés par le désordre où la guerre de 1914 avait jeté l'économie mondiale, les hommes, un peu partout, réclamaient alors des experts qui fussent aussi des autocrates. En fait l'économie dirigée, constate Walter Lippmann, n'a réussi (temporairement) que dans les pays où elle se donnait pour objet non le bonheur des citoyens, mais la préparation à la guerre. Dans tous les autres Etats elle a échoué parce que l'esprit humain est impuissant à suivre et à régler des millions de destinées humaines.

Partout cette économie a engendré un despotisme sans précédent. Les hommes qui avaient vécu au temps des civilisations agricoles avaient pu se trouver soumis à des gouvernements despotiques ; au moins leur champ, leur troupeau les mettaient-ils à l'abri de la pire des tyrannies, celle de la faim. Les ouvriers qui travaillaient dans les usines capitalistes au début du XIXe siècle avaient pu souffrir des bas salaires et des trop longues heures de travail ; mais grâce à la liberté politique, ils avaient peu à peu amélioré leur condition. Dès le moment où pouvoir économique et pouvoir politique sont réunis dans les mêmes mains, l'individu se voit sans recours contre les abus. « Le collectisme, dit Walter Lippmann, crée une nouvelle forme de propriété : celle du bureaucrate. La lutte pour la richesse devient lutte pour le pouvoir. » L'inégalité se fait plus insupportable que jamais.

La meilleure preuve de l'échec de ces régimes, c'est qu'ils ne peuvent se maintenir que grâce à la plus cruelle sévérité. « Si la doctrine collectiviste était conforme aux données de l'expérience et des besoins humains, il ne serait pas nécessaire d'administrer le collectivisme en dressant le peuple, en le stérilisant contre les idées subversives, en le terrorisant, en le corrompant, en l'endormant et en l'amusant. Les fourmis vivent, il est vrai, sous un régime collectiviste et il n'est pas prouvé qu'elles aient besoin de ministres de la propagande, de censeurs, d'inquisiteurs, de police secrète, d'espions et d'indicateurs pour les rappeler à leurs devoirs. Mais les hommes ne peuvent pas vivre comme des fourmis... »

Quel sera le remède ? Et pourra-t-on revenir à l'ancien régime économique ? Walter Lippmann ne le croit pas, encore qu'il admire profondément l'oeuvre du capitalisme libéral. C'est, dit-il, par le capitalisme libéral que la planète a été organisée ; c'est lui qui a donné à l'homme moyen un mode de vie plus agréable que celui du seigneur de jadis ; c'est lui enfin qui a permis la formation d'Etats libres, c'est-à-dire d'Etats où des individus inégaux entre eux sont pourtant soumis aux mêmes lois. Pourtant on ne peut dire qu'il ait entièrement réussi et le succès intellectuel des doctrines collectivistes prouve le relatif échec du système qu'elles ont discrédité.