Wilhelm von Humboldt:Essai sur les limites de l'action de l'État - Chapitre 2

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Wilhelm von Humboldt:Essai sur les limites de l'action de l'État - Chapitre 2


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Chapitre 2 - Transition à notre véritable étude. — Division. — Du soin de l'État pour le bien positif, et en particulier pour le bien-être physique des citoyens.

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Étendue de cette division. — Le soin de l'Etat pour le bien matériel des citoyens est mauvais : — il produit l'uniformité ; — il diminue la force ; — il troublé et empêche l'influence des actes extérieurs et purement corporels, et celle des rapports extérieurs, sur l'esprit et le caractère des hommes; — il s'exerce nécessairement sur une foule hétérogène ; — il compromet ainsi l'individu par des règles générales, qui ne pèsent sur chacun que par suite d'erreurs considérables; — il empêche le développement de l'individualité et de l'originalité personnelle de l'homme; — il rend plus difficile l'administration même de l'Etat, multiplie les charges nécessaires pour y arriver, et devient la source d'inconvénients de toute sorte ; — enfin il déplace les points de vue justes et naturels de l'homme , dans les plus graves matières. —Justification contre la prétendue exagération des inconvénients signalés. — Avantages du système opposé au système que l'on combat. — Principe fondamental tiré de ce chapitre. - Moyens employés par l'Etat dans sa préoccupation pour le bien positif des citoyens. — Différence du cas où une chose est faite par l'Etat, comme Etat, et celui où elle est faite par les citoyens isolés. — Examen d'une objection : Le soin de l'Etat pour le bien positif des citoyens n'est-il pas nécessaire? Sans lui, ne serait-il pas impossible d'arriver au même but, d'obtenir les mêmes résultats nécessaires? Preuve de cette possibilité, surtout grâce à l'action spontanée et commune des citoyens. — Supériorité de cette action sur l'action de l'Etat.

En se servant d'une formule tout à fait générale, on pourrait déterminer comme suit la véritable étendue de l'action de l'État : tout ce qu'il pourrait faire pour le bien de la société sans porter atteinte au principe établi plus haut[1]. Et l'on peut dès maintenant donner cette définition : l'État s'ingère à tort dans les affaires privées des citoyens, toutes les fois qu'elles n'ont pas un rapport immédiat avec une atteinte portée au droit de l'un par les autres. Toutefois, pour épuiser entièrement la question proposée, il est nécessaire de passer en revue les divers aspects de l'influence ordinaire ou possible de l'État.

Son but peut être double. Il recherche le bonheur, ou bien il se borne à empêcher le mal ; et, dans ce dernier cas, à empocher le mal venant de la nature ou le mal causé par les hommes. S'il ne s'attaque qu'au second de ces maux, c'est la sûreté seule qu'il cherche ; et c'est cette sûreté que j'opposerai à tous les autres buts possibles compris sous le nom de bien positif. La différence des moyens employés par l'État donne à son action une étendue diverse. En effet, ou bien il cherche à réaliser immédiatement son vœu, soit par la contrainte, par les lois prohibitives et impératives, par les peines ; ou bien, de quelque manière que ce soit, il donne à la situation des citoyens la forme favorable à la réalisation de ses vues, et les empêche d'agir dans un autre sens; ou enfin il tend à mettre leurs inclinations en harmonie avec sa volonté, à agir sur leurs pensées et sur leurs sentiments. Dans le premier cas il ne restreint que des actes isolés; dans le second, il détermine déjà davantage leur façon d'agir en général; dans le troisième, enfin, il détermine leur caractère et leur manière de penser. Aussi, dans le premier cas l'influence de la délimitation est-elle fort petite, dans le second plus grande ; énorme dans le troisième, en partie parce que l'on agit sur la source d'où découlent plus d'actions, en partie parce que la possibilité de l'action même exige plus de dispositions.

Toutefois, autant les branches de l'influence de l'État paraissent différentes, autant il est difficile de trouver une disposition de l'État qui ne touche pas à plusieurs choses à la fois : c'est ainsi, par exemple, que la sûreté et le bonheur dépendent étroitement l'un de l'autre. Ce qui ne restreint que des actions isolées agit d'une manière générale sur le caractère, lorsque la fréquence de l'emploi qu'on en fait devient une habitude. Il serait fort difficile de trouver une distribution de tout ceci convenable pour la marche de notre étude. Le mieux est avant tout de rechercher si l'État doit se proposer pour but le bien-être positif de la nation, ou seulement sa sûreté, d'examiner dans toutes ses prescriptions ce qu'elles ont surtout pour objet et pour conséquences, et d'étudier les moyens que l'Étal essaye pour atteindre chacun de ces deux buts.

Je parle ici de tout travail de l'État pour augmenter le bien-être positif de la nation, de tout soin pour la population du pays, pour l'entretien des habitants, soit direct, par l'établissement de maisons de charité, soit indirect, par l'encouragement de l'agriculture, de l'industrie et du commerce ; je parle de toutes les opérations financières et monétaires, de toutes les prohibitions d'importer ou d'exporter (en tant qu'elles sont établies pour cette fin); en un mot, de toutes les dispositions prises pour éviter ou réparer les dommages causés par la nature ; enfin, de toute disposition de l'État, ayant pour but de maintenir ou de créer le bien matériel de la nation. Quant au bien moral, en effet, ce n'est pas précisément pour lui-même, mais pour le maintien de la sécurité qu'on le recherche. C'est là le premier des points que j'aborderai par la suite.

Toutes ces dispositions ont, suivant moi, des conséquences fâcheuses ; elles ne sont pas conformes à la vraie politique, celle qui procède de points de vue élevés, mais toujours humains.

1° L'esprit du gouvernement domine dans chacune de ces dispositions; et, quelque sage, quelque salutaire que soit cet esprit, il impose à la nation l'uniformité ; il lui impose une manière d'agir étrangère à elle-même. Les hommes alors obtiennent des biens au grand préjudice de leurs facultés, au lieu d'entrer dans l'état social pour y augmenter leurs forces, fût-ce au prix de quelques-uns de leurs avantages ou de leurs jouissances naturels. C'est précisément la diversité naissant de l'union de plusieurs individus qui constitue le plus grand bien que puisse donner la société ; et cette diversité croît à mesure que décroît l'ingérance de l'État. Les membres d'une nation où la vie est en commun n'ont plus de caractère propre ; ce sont des sujets séparés, mis en rapport avec l'État, c'est-à-dire avec l'esprit qui domine dans le gouvernement ; et ce rapport est tel que la puissance supérieure de l'État entrave bientôt le libre jeu des forces. Semblables causes, semblables effets. Plus l'État concourt à l'action, plus la ressemblance grandit, non-seulement entre les agents, mais encore entre les actes. C'est là précisément le désir des États. Ils veulent le bien-être et la tranquillité. On obtient toujours facilement l'un et l'autre à un degré tel que les Intérêts individuels luttent moins vivement entre eux. Mais ce que l'homme considère, ce qu'il doit considérer, est tout autre chose, c'est la variété et l'activité. Elles seules forment les caractères riches et puissants; et certes il n'est pas d'homme, si abaissé qu'il soit, qui préfère pour lui le bien-être et le bonheur à la grandeur. Mais quand on raisonne ainsi pour les autres, on se fait tout naturellement soupçonner de méconnaître l'humanité et de vouloir transformer les hommes en machines.

2° Le second mal causé par ces dispositions de l'Etat est qu'elles énervent la force de la nation. De même que la forme qui naît d'une matière douée d'une activité consciente d'elle-même donne à la matière plus de plénitude et de beauté} — car le beau est-il autre chose que l'alliance d'éléments qui d'abord se combattaient ? alliance à laquelle l'indication de nouveaux points de jonction, et, par suite, un grand nombre de découvertes nouvelles, est toujours nécessaire; alliance qui grandit toujours en même temps que la diversité qui existait avant elle ; — de même la matière est anéantie par la forme qu'on veut lui donner en la prenant hors d'elle-même. En effet, le Néant supprime l'Être. Tout dans l'homme est organisation. Tout ce qui doit croître en lui doit être semé en lui. Toute force suppose l'enthousiasme et peu de choses l'alimentent autant que l'idée que ce qui l'inspire est une propriété présente ou à venir[2].

L'homme considère comme à lui, non pas tant ce qu'il possède que ce qu'il fait, et l'ouvrier qui cultive un jardin en est peut-être plus exactement le propriétaire que l'homme oisif et désœuvré qui en jouit[3]. Peut-être ce raisonnement ne paraît-il permettre aucune application à la réalité des faits. Peut-être même paraît-il que l'extension de beaucoup de sciences, attribuée surtout par nous à ces dispositions de l'Etat, lequel ne peut faire que des essais en gros, est plus utile au développement des facultés intellectuelles, de la civilisation et surtout du caractère. Mais toute acquisition nouvelle de connaissances ne conduit pas immédiatement à un perfectionnement même des seules facultés intellectuelles, et quand ce perfectionnement se produit en réalité, il profite non pas à la nation tout entière, mais à une partie seulement, à la partie qui tient en main le gouvernement. En général, l'intelligence de l'homme et toutes ses autres forces ne progressent que par son activité propre, son industrie propre, ou par l'usage qu'il tire lui-même -des découvertes étrangères. Les dispositions de l'État sont toujours plus ou moins accompagnées de contrainte, et même lorsqu'il n'en est point ainsi, elles habituent l'homme h compter sur un enseignement étranger, sur une direction étrangère, sur un secours étranger, plutôt qu'à chercher luimême des ressources. La façon presque unique dont l'État peut instruire les citoyens n'est pas autre que celle-ci : ce qu'il croit le meilleur, c'est-à-dire ce qu'il a trouvé, il le pose; puis il y conduit les citoyens, soit directement par une loi, soit indirectement par quelque institution toujours obligatoire pour eux, ou par son crédit, par la proposition de récompenses, par quelque autre moyen d'encouragement; ou bien enfin il se borne à le recommander parle seul raisonnement. Mais quelle que soit celle de ces méthodes qu'il prenne, il s'éloigne toujours beaucoup du meilleur procédé à suivre. Celui-là consiste sans nul doute à présenter toutes les solutions possibles du problème, afin de préparer l'homme à choisir lui-même la plus heureuse, ou mieux encore afin de le préparer à trouver cette solution, en se bornant à la dégager des obstacles qui l'entourent. L'État ne peut suivre cette méthode d'enseignement envers des citoyens formés, d'une manière négative, que par la liberté qui, tout en laissant naître les obstacles, en confie l'enlèvement à leur force et à leur habileté ; d'une manière positive, en se formant lui-même tout d'abord par une éducation vraiment nationale. On examinera plus amplement par la suite l'objection qui se présente ici. Elle consiste à dire que le soin des affaires dont nous parlons a pour effet l'accomplissement de la chose plutôt que l'enseignement de celui qui l'exécute ; il fait que le champ soit bien cultivé, mais il fait moins que celui qui le laboure devienne un habile agriculteur.

Les soins trop étendus de l'État font souffrir encore davantage l'énergie active et le caractère moral. Ceci n'exige guère plus de développement. Celui qui est fortement et souvent mené en arrive à sacrifier presque volontairement ce qui lui reste d'activité propre. Il se croit dispensé du soin qu'il voit dans des mains étrangères ; il croit assez faire en attendant leur direction et en la suivant. Les notions du mérite et de la faute se déplacent en lui. L'idée du mérite ne l'enflamme plus ; le sentiment importun de la faute ne se fait sentir en lui que plus rarement et d'une manière moins efficace[4]; il la met sur le compte de sa situation et de ceux qui la lui ont faite. S'il en vient à penser que les intentions de l'État ne sont pas entièrement justes, s'il croit voir que l'État ne cherche pas seulement son avantage et qu'il a encore un autre but secondaire quelque peu étranger à celui-là, ce n'est plus seulement l'énergie, c'est la pureté de sa volonté morale qui est atteinte. Non-seulement il se considère comme affranchi de tout devoir qui ne lui est pas expressément imposé par l'État, mais les améliorations même qu'on tenterait d'apporter à sa situation lui sont suspectes ; il craint qu'il n'y ait là quelque occasion pour l'État d'en tirer profit. Il cherche à transgresser autant qu'il le peut les lois de l'État lui-même. Chaque violation à ses yeux est un gain. Quand on songe qu'une partie notable de la nation ne conçoit pas de morale au delà des lois et des ordonnances de l'État, n'eskce pas un décourageant spectacle de voir les plus saints devoirs et les ordres les plus arbitraires formulés par la même bouche, ayant souvent pour sanction la même peine ? Cette influence pernicieuse n'agit pas moins sûrement sur les rapports des citoyens les uns avec les autres. Comme chacun se confie soi-même à la sollicitude de l'État, chacun se repose bien mieux encore sur elle du sort de ses concitoyens. La conscience qu'ils ont de l'intervention de l'État affaiblit l'intérêt qu'ils devraient se porter les uns aux autres et les pousse à l'Indifférence réciproque. Au contraire, l'aide donnée en commun est d'autant plus active que chaque homme sent plus vivement que tout dépend de lui-même; et, l'expérience nous l'apprend, c'est dans les classes opprimées, abandonnées du gouvernement, que le sentiment de l'union redouble d'énergie. Mais quand le citoyen n'a qu'indifférence pour son concitoyen, il en est de même de l'époux pour son époux, du père pour sa famille.

Abandonné en tout au mouvement et à l'action, privé de tout secours étranger qu'il ne se serait pas procuré lui-même, l'homme sans doute, par sa faute ou sans sa faute, serait souvent en butte à l'embarras et au malheur. Mais le bonheur réservé à l'homme n'est autre que celui qu'il se procure à lui-même par sa propre force ; et c'est là ce qui aiguise l'intelligence et forme le caractère. Quand l'État entrave l'activité individuelle par une intervention trop spéciale, combien de maux ne surgissent-ils pas? Ils surgissent et abandonnent à un sort bien plus désespéré l'homme qui a pris une fois l'habitude de se confier à une-force étrangère. Autant, en effet, la lutte et le travail actif allègent le malheur, autant, et dix fois davantage, l'attente sans espoir, déçue peut-être, le rend plus amer. Dans les cas même les plus heureux, les États dont je parle ressemblent trop souvent à ces médecins qui attirent la maladie et éloignent la mort. Avant qu'il existai dos médecins, on ne connaissait que la santé ou la mort[5].

3° Tout ce qui occupe l'homme, qu'il tende directement ou indirectement à satisfaire ses besoins physiques; qu'il marche vers un but extérieur quelconque, tout cela se relie intimement à ses sentiments intérieurs. Quelquefois aussi le but extérieur est accompagné d'un autre but intérieur; et parfois c'est celui-ci qu'on se propose surtout d'atteindre. Quant à l'autre, on ne fait que l'y rattacher nécessairement ou accidentellement. Plus l'homme a d'unité, plus l'objet extérieur qu'il choisit jaillit librement de son être intérieur ; et l'un se relie à l'autre d'une manière d'autant plus étroite et fréquente qu'il n'a pas été choisi librement. C'est ainsi que l'homme digne d'intérêt est digne d'intérêt dans toutes ses situations et dans tous ses actes ; c'est ainsi qu'il fleurit et arrive à une beauté sublime, dans une existence qui concorde avec son caractère.

C'est ainsi peut-être que tous, paysans et ouvriers, deviendraient des artistes, c'est-à-dire des hommes qui aimeraient leur industrie pour elle-même, qui l'amélioreraient par une direction et un génie à eux propres, qui, par là même, cultiveraient leurs forces intellectuelles, anobliraient leur caractère, élèveraient leurs jouissances. C'est ainsi que l'humanité serait anoblie par ces choses, qui, quoique belles en elles-mêmes, ne servent souvent qu'à la déshonorer. Plus l'homme est habitué à vivre dans le monde des idées et des sentiments, plus son intelligence et sa moralité sont vigoureuses et délicates, plus il recherche les situations extérieures qui enrichissent son moi intérieur, ou du moins les côtés qui présentent cet avantage dans toutes celles que le destin lui attribue. On ne saurait dire combien l'homme gagne en grandeur et en beauté quand il s'applique sans relâche à donner toujours la première place à son être intérieur, quand il le considère comme la cause première et le but final de tout son labeur, quand le corps n'est pour lui qu'une enveloppe, les objets extérieurs que des outils.

Pour choisir un exemple, combien le caractère développé dans un peuple par l'agriculture laissée libre[6] ne se montre-t-il pas nettement dans l'histoire ? Le travail qu'il consacre au sol et la récolte qui l'en dédommage rapprochent tendrement l'homme de son champ et de son foyer. La participation à la fatigue bénie, la jouissance en commun de ce qu'on a gagné, établissent dans chaque famille une douce liaison, dont n'est pas exclu l'animal lui-même, compagnon du travail. Les fruits qu'il faut semer et récolter, mais qui poussent chaque année et ne trompent que rarement l'espérance, rendent l'homme patient, confiant, économe. Le don toujours reçu directement des mains de la nature ; le sentiment toujours vivant que, si c'est la main de l'homme qui répand la semence, ce n'est pas elle qui la fait germer et croître; la continuelle dépendance de la saison favorable ou défavorable donne aux cœurs la pensée tantôt terrible, tantôt douce d'êtres supérieurs ; elle inspire tour à tour la crainte et l'espoir ; elle pousse à la prière et à la reconnaissance. L'image vivante de la grandeur simple, de l'ordre indestructible, de l'immense bonté, donne aux âmes la grandeur, la simplicité, la douceur, la soumission libre et heureuse aux lois et à la morale. Toujours habituée à produire, jamais à détruire, l'agriculture est pacifique ; elle est ennemie de la cruauté et de la violence ; mais, remplie du sentiment que toute agression non provoquée est injuste, elle est animée d'une haine insurmontable contre tout destructeur de sa paix.

Toutefois la liberté est la condition absolument nécessaire, sans laquelle les actes qui portent le plus nettement le cachet de l'âme ne peuvent entraîner aucune de ces conséquences salutaires. Ce que l'homme ne choisit pas lui-même, ce en quoi il est gêné ou vers quoi il est mené, ne s'identifie jamais avec son être et lui reste toujours étranger. Pour l'accomplir, il emploie, non ses forces d'homme, mais une adresse de mécanique. Les anciens, les Grecs surtout, considéraient comme mauvaise et déshonorante toute occupation ayant pour objet, non le développement du moi, mais seulement celui des forces corporelles ou l'acquisition de biens extérieurs. Leurs philosophes les plus philanthropes approuvaient à cause de cela l'esclavage. Pour eux, c'était un moyen, injuste et barbare sans doute d'assurer le développement de la force et de la beauté d'une partie du genre humain par le sacrifice de l'autre partie. Mais le jugement et l'expérience font aisément voir l'erreur qui sert de base à ce raisonnement. Tout travail peut anoblir l'homme, lui donner une forme bien définie et digne de son être. Ce résultat ne dépend que de la manière dont l'homme se livre à ce travail ; et l'on peut considérer comme règle générale qu'il produit de salutaires effets tant que lui-même et l'énergie qui s'y rattache remplissent principalement Tâme de l'homme[7]; qu'au contraire, ses effets sont moins bons, qu'ils sont même souvent pernicieux quand l'homme voit surtout le résultat auquel il conduit, et quand il ne considère plus le travail que comme un moyen. Car tout ce qui est attrayant en soi excite l'estime et l'amour; ce qui ne représente qu'un moyen utilitaire n'éveille que les intérêts ; et, autant l'homme est anobli par l'estime et l'amour, autant il est exposé à être ravalé par les intérêts. Si donc l'État prend des soins positifs de la nature de ceux dont je parle, il ne peut se placer qu'au point de vue des résultats, et que fixer les règles dont l'observation est la plus utile pour leur bon accomplissement. Ce point de vue étroit n'est jamais plus pernicieux que quand le véritable but de l'homme est purement intellectuel ou moral; ou lorsque l'objet lui-même, indépendamment de ses conséquences, et ces conséquences elles-mêmes, ne font que s'y rattacher fatalement ou accidentellement. Il en est ainsi des études scientifiques, des opinions religieuses, de tous les liens qui unissent les hommes les uns aux autres,-et du lien le plus naturel de tous, de celui qui, pour les individus comme pour l'État, est le plus important, du mariage.

Une union de personnes de sexe différent, fondée principalement sur cette différence de sexe, suivant la définition la plus exacte peut-être qu'on puisse donner au mariage, peut se comprendre d'autant de manières diverses qu'il y a de manières diverses de comprendre cette différence, et, par suite, qu'il existe de penchants de cœur, de buts proposés par la raison. Pour tout homme, c'est une occasion d'éprouver avec sûreté son caractère moral tout entier, et principalement la force et la nature de sa sensibilité. L'homme se propose-t-il surtout d'atteindre un but extérieur, ou au contraire donne't-il la prééminence à son moi intérieur? Est-ce l'intelligence qui en lui est la plus active, ou bien est-ce le sentiment? A-t-il l'entreprise prompte et l'abandon facile? ou bien est-ce le contraire? Les liens qu'il se donne sont-ils éphémères ou solides? Jusqu'à quel point conserve-t-il son activité personnelle et spontanée dans l'union la plus intime ? Tous ces points, et d'autres encore en nombre infini, modifient de manière ou d'autre ses rapports dans la vie conjugale. Mais de quelque manière qu'ils soient déterminés, leur action sur la personnalité, sur le bonheur de l'homme, est évidente. L'effort qu'il fait pour réaliser son idéal réussit bien ou réussit mal ; mais de là dépend en grande partie l'élévation ou l'affaissement de son être. Cette influence est grande surtout sur la partie la plus intéressante de l'humanité, sur ceux dont l'organisation morale est tendre et délicate, dont la sensibilité est profonde. Dans cette classe il faut ranger les femmes plutôt que les hommes ; et le caractère de celles-là dépend de la nature qu'ont les rapports de famille dans une nation. Dispensées d'un grand nombre d'occupations extérieures ; livrées principalement à celles qui laissent le moi intérieur presque à l'abri de tout trouble; plus fortes par ce qu'elles peuvent être que par ce qu'elles peuvent faire, plus expressives dans le silence que dans la description de leurs sentiments, plus richement douées de la faculté d'exprimer directement et sans le secours des signes, possédant une organisation physique plus délicate, un œil, plus mobile, une voix plus saisissante; destinées dans leurs rapports avec autrui à attendre et à recevoir plutôt qu'à aller au-devant ; plus faibles par elles-mêmes, mais s'attachant plus profondément par l'admiration de la grandeur et de la force d'autrui ; aspirant sans cesse, dans l'union, à recevoir de l'Otre auquel elles sont unies, à former en elles ce qu'elles ont reçu, et à le rendre tout formé; plus animées du courage qu'inspire la préoccupation de l'amour et le sentiment de la force qui ne brave pas l'adversité, mais qui ne succombe pas à la douleur, les femmes approchent plus que l'homme de l'idéal de l'humanité ; et, s'il est vrai qu'elles l'atteignent plu» rarement, c'est uniquement parce qu'il est toujours plus difficile de suivre le sentier direct que de prendre le détour. Mais aussi, n'esl-il pas besoin de rappeler combien un être qui a en soi tant de charme et d'unité, en qui, par conséquent, tout est influence, et dont chaque influence sur nous est non point partielle mais universelle, combien un tel être est profondément troublé par les froissements extérieurs. Toutefois, on ne saurait énumérer tout ce qui, dans la société, dépend du développement du caractère de la femme. Si je ne me trompe, et si je puis ainsi parler, toute qualité éminente apparaît dans une certaine classe d'êtres : le caractère de la femme est de sauvegarder le trésor des mœurs,

L'homme veut la liberté, la femme la pureté[8].

et, suivant ce mot profond et vrai du poëte, si l'homme s'efforce de reculer les barrières extérieures qui font obstacle à sa croissance, la main soigneuse de la femme pose les bienfaisantes limites intérieures sans lesquelles la force ne saurait fleurir jusqu'à la plénitude ; elle établit ces limites avec d'autant plus de délicatesse qu'elle connaît plus profondément l'existence intérieure de l'homme, et qu'elle pénètre mieux ses rapports multiples; en effet, sa faculté de perception n'est jamais entravée et la dispense d'employer ces raisons nements subtils qui obscurcissent si souvent la vérité. Si cela était nécessaire, l'histoire pourrait prêter son appui à cette proposition, et montrer combien la moralité des nations se relie étroitement à la considération dont jouissent les femmes. De ce qui précède, il résulte que les effets du mariage sont aussi divers que les caractères des individus, et que les conséquences les plus fâcheuses peuvent se produire si l'État cherche à définir par les lois un lien aussi étroitement uni à la nature personnelle des individus, ou à le rendre, par ses décrets, dépendant d'autres choses que de la seule volonté. Il en sera de même s'il peut, ne fût-ce que se préoccuper des conséquences du mariage, de la population, de l'éducation des enfants[9], etc. A la vérité, il est facile de prouver jusqu'à l'évidence que ces choses conduisent aux mêmes résultats, quand elles sont accompagnées de beaucoup de soin pour la beauté de l'existence intérieure. Des études consciencieuses ont fait voir que l'union indissoluble et perpétuelle de l'homme et de la femme est la plus favorable à la population, et qu'évidemment aucune autre ne saurait découler de l'amour vrai, naturel et libre[10]. Cet amour-là ne conduit pas à d'autres rapports que ceux que les mœurs et la loi établissent parmi nous, tels que l'éducation physique des enfants, l'enseignement privé, l'association de la vie, la communauté des biens, la direction des affaires extérieures par l'homme, le gouvernement de la maison par la femme. Le mal consiste selon moi en ce que la loi commande, alors que de tels rapports ne peuvent naître que de la volonté, point de prescriptions étrangères; et, lorsque la contrainte ou la direction imposée contrarient la volonté, celle-ci nous ramène d'autant moins au droit chemin. Aussi pense-je que l'État, nonseulement devrait rendre les liens plus libres et plus larges, mais, — s'il m'est permis de me prononcer ici, seulement d'après les considérations présentées plus haut, alors qu'il est question, non du mariage en général, mais d'un inconvénient spécial, saisissant, qui provient des prescriptions restrictives de l'État, —je pense encore qu'il devrait s'abstenir de toute action sur le mariage, l'abandonner avec les divers contrats qui en découlent en général, et dans leurs modifications, au libre arbitre des individus. La crainte de bouleverser par ce procédé tous les rapports de famille, ou peut-être d'en empêcher la formation, — quelque fondée qu'elle soit, à cause de telles ou telles circonstances locales, — ne m'effraye point, en tant que je considère exclusivement la nature des hommes et des États en général. Car l'expérience nous fait voir souvent que les mœurs défendent ce que la loi permet; l'idée de contrainte extérieure est entièrement étrangère à ces rapports qui, comme le mariage, reposent uniquement sur le penchant et le devoir intérieur. D'ailleurs, les conséquences des institutions coercitives ne répondent en rien au but que l'on se propose en les édictant[11].

4° [Le soin pour le bien positif des citoyens a de plus grands inconvénients encore, car il s'applique à une foule composée d'éléments divers; les individus se trouvent froissés par des règles générales qui ne s'appliquent à chacun d'eux qu'avec des erreurs considérables.

5° Il empêche le développement de l'individualité et du caractère propre de l'homme...] Dans la vie morale et, en général, dans la vie pratique, l'homme, pourvu qu'il observe à peu près les règles qui n'ont peut-être d'autres limites que les principes du droit, a sans cesse devant les yeux le point de vue élevé de son propre développement original et de celui d'autrui; et surtout il fait librement plier tout autre intérêt devant celui-là, sans y être en rien poussé par le motif grossier d'une, loi positive et expresse. Mais tous les côtés que l'homme peut cultiver en lui sont fort étroitement unis; si cette liaison dans l'ordre des choses intellectuelles, sans être plus profonde, est déjà plus importante et plus remarquable qu'elle ne l'est dans l'ordre des choses physiques, elle l'est encore bien davantage dans le monde moral. Les hommes doivent donc s'unir les uns aux autres pour faire disparaître, non leur personnalité originale, mais leur état d'isolement exclusif. L'union ne doit pas fondre un être dans un autre, mais ouvrir les voies de l'un à l'autre, si l'on peut ainsi parler ; chacun doit comparer ce qu'il possède de son propre fonds avec ce qu'il reçoit d'autrui; il doit modifier, mais non laisser étouffer l'un par l'autre. De mémo, en effet, que dans l'ordre intellectuel pour la vérité, de même dans le domaine de la morale, la vraie dignité de l'homme "n'est jamais en conflit avec elle-même, et, par conséquent, les liens étroits et variés qui unissent entre eux les caractères originaux sont aussi nécessaires pour anéantir ce qui ne peut subsister entre eux, et ce qui, par suite, ne peut donner à chacun ni grandeur ni beauté, que pour conserver, alimenter, renouveler et faire renaître plus belle la partie de nous-mêmes qui reste intacte dans nos rapports les uns avec les autres. De là un effort et un désir continu de bien comprendre le caractère le plus profondément personnel d'autrui, de l'utiliser et d'agir sur lui, tout en conservant le plus grand respect pour ce caractère qui est la propriété d'un être libre. Pour cette action, contenue par le respect dont nous parlons, un seul moyen sera permis : se montrer soi-même à découvert et se livrer aux yeux d'autrui comme objet de comparaison. C'est là le principe le plus élevé de l'art des relations, celui de tous peut-être qui a été le plus négligé jusqu'aujourd'hui. Pour tenter d'excuser cette négligence, si l'on disait que les relations doivent être un délassement, non un travail fatigant, et que malheureusement bien des gens ont à peine en eux un côté intéressant et original dont on puisse tirer profit, il s'ensuivrait que chacun aurait trop de respect envers soi-même pour rechercher d'autres délassements que l'échange d'un travail intéressé, ne rechercherait que ceux qui laissent inactives les plus nobles facultés; et que chacun aurait trop de respect envers l'humanité pour déclarer un seul de ses membres entièrement incapable d'être utilisé ou modifié par l'influence d'un autre. Mais du moins cette règle doit toujours être présente à l'esprit de ceux qui font profession de manier et de gouverner les hommes. Par suite, quand l'État prend un soin positif, ne fût-ce que de ce bien extérieur et physique qui se relie intimement à l'Ôtre intérieur, il ne peut s'empêcher de devenir un obstacle au développement de la personnalité. C'est là une nouvelle raison de ne jamais prendre un tel soin hors des cas de nécessité absolue,

Telles sont à peu près les conséquences les plus fâcheuses qu'entraînent les soins positifs pris par l'État pour le bien-être des citoyens; elles se rattachent, il est vrai, aux divers modes dont on peut appliquer ces soins dans la pratique ; mais on ne saurait, à mon avis, les en séparer d'une manière générale. Jusqu'ici, je n'ai voulu parler que du soin pour le bien physique; je suis toujours parti de ce point de vue, et j'ai laissé de Côté tout ce qui concerne exclusivement le bien moral. Mais je rappelais, en commençant, que ce sujet ne permet aucune distinction. Les développements que j'ai fournis peuvent donc presque toujours servir à décider les questions qui s'élèvent; ils s'appliquent, la plupart du temps, au soin positif, quel que soit l'objet auquel il s'applique. Toutefois, j'ai supposé jusqu'ici que les institutions de l'État doul nous parlons étaient déjà formulées et existantes ; je dois maintenant m'occuper de certaines difficultés qui se produisent dans leur établissement même.

6° Évidemment, il serait tout à fait nécessaire, lors de cet établissement, de peser les avantages que l'on trouve dans ces mesures, contre les inconvénients et surtout les restrictions à la liberté qui s'y rattachent toujours. Mais une telle comparaison ne se ferait que difficilement; peut-être serait-il impossible de l'établir d'une manière exacte et complète. Car toute disposition restrictive est en lutte avec la manifestation libre et naturelle des facultés; elle crée jusqu'à l'infini de nouveaux rapports, et il est impossible de prévoirions ceux qu'elle traîne après elle, même en supposant la plus grande régularité dans la marche des événements, et en faisant abstraction de toutes les conjonctures graves et imprévues qui ne manquent cependant jamais de se produire. Tout homme qui a l'occasion de mettre la main au gouvernement supérieur do l'État reconnaît par expérience, et à ne point s'y tromper, combien les règles générales sont rarement de nécessité immédiate et absolue, combien d'entre elles, au contraire, n'ont qu'une nécessité purement relative, médiate, dépendante d'autres rapports qui les précèdent et les dominent. Aussi une quantité bien plus considérable de moyens devient nécessaire, et ces moyens eux-mêmes nous éloignent du but à atteindre. Non-seulement un tel État a besoin de plus d'argent, mais il exige une organisation plus compliquée pour le maintien de la véritable sûreté politique. Moins les parties ont de cohésion entre elles, plus le soin de l'État doit être actif. De là naît la question difficile et malheureusement trop négligée de savoir si les forces naturelles de l'État sont suffisantes à produire tous les moyens forcément nécessaires dans ce système? Si ce calcul est inexactement fait, il en résulte un véritable chaos ; des dispositions nouvelles et compliquées viennent donner aux ressorts de l'État une tension exagérée. C'est là un mal dont souffrent, et pour bien d'autres raisons encore, un grand nombre d'États modernes.

Il ne faut surtout point oublier un inconvénient qui se produit ici, car il touche de très-près à l'homme et à son développement. Ce mal vient de ce que l'administration proprement dite des affaires d'État est tellement enchevêtrée que, pour ne pas devenir une vraie confusion, elle rend nécessaire une foule, de dispositions de détail et occupe un grand nombre de personnes qui, pour la plupart, n'ont qu'à noircir du papier et à remplir des formulaires. Non-seulement un grand nombre et d'excellents esprits peut-être sont empêchés de penser, beaucoup de mains qui pourraient s'occuper plus utilement sont détournées du vrai travail[12]; mais de plus, les forces intellectuelles elles-mêmes souffrent de cette occupation ou vaine, ou trop spéciale. De là vient communément un résultat nouveau : c'est que le soin des affaires d'État rend les serviteurs de l'Élat aussi complètement dépendant» de la partie gouvernante, qui les paye, que de la nation[13]. Et combien d'autres maux encore l'expérience ne nous montre-t-elle pas d'une manière incontestable : l'attente du secours de l'État, le manque d'initiative personnelle, la fausse présomption, la paresse- et l'insuffisance. Le vice d'où naissent Ces maux est ensuite engendré par eux. Ceux qui traitent ainsi les affaires d'État tendent de plus en plus à négliger les choses elles-mêmes pour n'en considérer que la forme; ils apportent à celle-ci des améliorations peut-être réelles; mais, comme ils n'accordent pas à la chose principale une attention suffisante, ces améliorations lui sont souvent funestes. De là naissent des formes nouvelles, de nouvelles complications, souvent de nouvelles prescriptions restrictives, qui tout naturellement donnent lieu à un nouveau renfort de fonctionnaires. De là tous les dix ans, dans la plupart des États, une extension du personnel des employés, un agrandissement de la bureaucratie, une restriction à la liberté des sujets[14]. Dans une pareille administration, tout dépend de la surveillance la plus stricte, de l'activité ponctuelle et consciencieuse, car les occasions de manquer à cette surveillance et à cette activité sont d'autant plus nombreuses. Aussi s'efforce-t-on alors, et avec une sorte de raison, de faire tout passer par le plus de mains qu'il se peut afin d'empêcher jusqu'à la possibililé d'une erreur ou d'une malversation. Mais aussi un tel système est cause que les affaires se font mécaniquement et que les hommes deviennent des machines; la véritable habileté, la probité, disparaissent de plus en plus, et avec elles la confiance. Enfin ces occupations, dont je parle, prennent aux yeux de chacun une importance énorme, de telle sorte que forcément le point de vue de l'importance et du peu d'importance des choses, de l'honneur et de la honte, du but principal et du but accessoire en est entièrement bouleversé. Et comme la nécessité d'occupations de cette nature a des conséquences salutaires qui sautent aux yeux et qui dédommagent de leurs inconvénients, je m'arrête ici et je passe à la dernière considération, à laquelle tous les développements qui précèdent n'étaient qu'une préparation nécessaire, pour réfuter les raisons générales invoquées en faveur du soin positif de l'État.

7° Rattachons cette partie de notre étude à une considération générale qui découle des points de vue les plus élevés. On néglige les hommes pour s'occuper des choses, et les facultés pour ne voir que les résultats. D'après ce système, un État ressemble à un amas d'instruments, morts ou vifs, d'influence et de jouissance, plutôt qu'à une réunion de forces capables d'agir et de jouir. En négligeant la spontanéité personnelle des êtres actifs, il semble qu'on ne travaille qu'à leur bonheur et à leur jouissance. Mais, en supposant même qu'il en soit vraiment ainsi, car après tout c'est la sensibilité de l'être qui jouit qui est le seul juge de sa félicité et de sa jouissance, cela serait toujours contraire à la dignité humaine. S'il en était autrement, on ne pourrait pas s'étonner de ce que ce système, qui n'a d'autre visée que le calme, renonce à la plus élevée des jouissances humaines, par crainte, pour ainsi dire, de ce qui lui est contraire. L'homme jouit surtout dans les moments où il se sent en pleine possession de sa force et de son unité. Sans doute, l'homme alors est bien près d'être aussi malheureux qu'il peut l'être. Car l'instant de la tension est forcément suivi d'une tension pareille ; mais c'est l'insurmontable destin qui nous lance vers le bonheur ou vers la souffrance. Toutefois, du moment où le sentiment de ce qu'il y a de plus élevé dans l'homme mérite seul le nom de bonheur, la douleur et la souffrance prennent une forme nouvelle. Le moi intérieur de l'homme devient le siège du bonheur ou du malheur, il ne varie pas suivant les agitations du courant qui l'emporte. Ce système conduit, suivant moi, à de terribles efforts faits pour échapper à la douleur. Celui qui se connaît vraiment en bonheur supporte la douleur, qui sait bien joindre ceux qui la fuient, et se réjouit incessamment de la marche inflexible de la destinée[15]. Que les choses naissent ou disparaissent, la vue de la grandeur est pour lui douce et attachante. L'homme en arrive ainsi à sentir que le moment de sa propre destruction est pour lui un de ces moments de délices réservés quelquefois, mais bien rarement, aux imaginations exaltées.

Peut-être m'accusera-t-on d'avoir exagéré les inconvénients qu'on vient d'énumérer. Mais je devais dépeindre en entier l'influence exercée par l'immixtion de l'État, dont il est question ici. On comprend sans peine que tous ces inconvénients sont très-différents selon le mode et le degré d'énergie de cette ingérance. Je supplie que pour tout ce que ces pages contiennent de général, on veuille bien ne faire aucun rapprochement ni comparaison avec les faits. Dans la réalité on trouve bien rarement un cas simple et complet; ce qui fait que l'on ne voit pas distinctement l'action particulière de chaque chose séparée. II ne faut pas oublier non plus, qu'étant donnée une fois l'existence d'influences mauvaises, le mal fait de bien rapides progrès. De même qu'une grande force unie à une grande force en produit une deux fois plus grande, de même la faiblesse unie à la faiblesse produit une faiblesse infime. Quelle pensée oserait déterminer la rapidité de ce mouvement? Toutefois, en admettant même que les inconvénients soient moins considérables, il me semble que la théorie ci-dessus développée est plus qu'amplement justifiée par les avantages incalculables qu'en présenterait l'application, en supposant, ce qui peut faire doute, que cette application soit de tout point possible. En effet, par la nature même des choses, la force toujours active, jamais oisive, combat toute institution qui lui est contraire, provoque toute institution qui lui est salutaire ; de telle sorte qu'on peut dire en toute vérité que l'agitation la plus ardente produit nécessairement et toujours plus de bien qu'elle ne peut produire de mal.

Je pourrais ici présenter comme contraste l'heureux tableau d'un peuple vivant au milieu de la liberté la plus complète et la plus illimitée, vivant pour luimême au milieu de la plus grande variété de rapports existant en lui et autour de lui; je pourrais montrer combien l'originalité, la diversité des forces y paraitrait plus belle, plus grande, plus admirable que dans cette antiquité superbe où le caractère propre d'un peuple moins cultivé est toujours plus rude et plus grossier, où les forces et la richesse même du caractère grandissent avec la délicatesse, où l'union presque infinie de toutes les nations et de toutes les parties du monde donnent une bien plus grande richesse d'éléments; je pourrais montrer quelle vigueur se développerait nécessairement si chacun s'arrangeait soi-même, si chacun, entouré sans cesse de forces excellentes, s'assimilait ces forces avec une activité spontanée sans limites et toujours excitée par la liberté; je pourrais faire voir combien l'existence intérieurc de Fhomme deviendrait tendre et délicate, combien ses occupations se multiplieraient, combien tout ce qui est physique et extérieur pénétrerait l'être intérieur, moral Ct intellectuel, combien le lien qui unit les deux natures de l'homme gagnerait de force durable, si rien ne venait plus troubler la libre réaction des travaux humains sur l'esprit et le caractère ; je pourrais faire voir comment personne ne serait sacrifié à autrui, comment chacun conserverait pour soi la force qui lui a été départie, et serait par suite plus noblement disposé à lui imprimer une direction salutaire à ses semblables; combien, si chacun grandissait dans son originalité propre, le caractère humain gagnerait de nuances variées, délicates et belles; combien l'aptitude exclusive deviendrait rare, car elle n'est en général que la conséquence dela petitesse et de la débilité;comme quoi chacun n'ayant plus rien qui le contraindrait à se faire semblable aux autres, serait plus fortement poussé à se modifier d'après eux par la nécessité toujours croissante de l'union avec autrui; comment, chez un tel peuple, toutes les facultés et toutes les mains travailleraient à l'élévation et au bonheur de la vie humaine; je pourrais montrer enfin comment chacun n'aurait d'autre mobile que celui-là, et serait détourné de tout autre but faux ou moins digne de l'humanité. Je pourrais terminer en faisant remarquer combien les effets salutaires d'une telle constitution, répandus chez un peuple, quel qu'il soit, enlèveraient à ses misères, qu'il est impossible, hélas! de faire entièrement disparaître, aux ravages de la nature, à l'action mauvaise des passions hostiles, aux excès des penchants assouvis, une immense part de leur horreur. Mais il me suffit d'en avoir esquissé le contraste ; je me contente de crayonner des idées et de les offrir à un examen plus approfondi. Si j'essaye de tirer la conclusion de tout ceci, je trouve que le premier principe fondamental de cette partie de mon étude est celui-ci :

Que l'État se dispense de tout soin pour le bien positif des citoyens; qu'il n'agisse jamais plus qu'il n'est nécessaire pour leur procurer la sécurité entre eux et vis-à-vis des ennemis extérieurs; qu'il ne restreigne jamais leur liberté en faveur d'un autre but.

Je devrais maintenant m'occuper des moyens suivant lesquels un tel soin peut être exercé activement; mais comme mes principes me conduisent à le désapprouver en lui-même, je puis garder le silence sur ces moyens et me contenter de remarquer en général que les moyens par lesquels on restreint la liberté dans l'intérêt du bien-être peuvent être de nature fort diverse. Ils peuvent être directs, tels que les lois, les encouragements, les primes ; ou indirects, tels que la situation faite au souverain, lequel est le propriétaire le plus important, les concessions qu'il fait à des citoyens isolés de privilèges, de monopoles, etc. Tous, suivant le degré et le mode dont on les emploie, entrainent des maux divers. A supposer même qu'on ne soulève aucune objection contre ma critique, il paraît étrange de vouloir interdire à l'État ce que chacun peut faire : établir des récompenses, distribuer des secours, être propriétaire. S'il était possible en pratique, comme il est concevable en théorie, que l'Ét t jouât ainsi un double rôle, il n'y aurait rien à dire là contre. Ce serait là exactement ce qui a lieu lorsqu'un particulier acquiert une grande influence. Mais, sans tenir compte de la profonde différence qui existe entre la théorie et la pratique, l'action d'un particulier peut être arrêtée par la concurrence des autres citoyens, par la dépense de ses biens, par la mort, et par d'autres causes encore qui n'existent plus quand il s'agit de l'État[16]. Reste donc toujours ce principe que l'État ne doit se mêler en rien de ce qui ne concerne pas exclusivement la sûreté; ce devoir d'abstention est d'autant plus certain que ce principe ne repose pas seulement sur des motifs tirés exclusivement de la nature de la contrainte. Les actions des particuliers ont d'autres mobiles que celles de l'État. Qu'un citoyen par exemple propose des récompenses : en admettant qu'elles aient la même influence que celles proposées par l'État, ce qui n'a jamais lieu, ce citoyen agit ainsi un peu dans son propre intérêt. Mais son intérêt, à lui qui est en commerce permanent avec le reste des citoyens et qui se trouve dans la même condition qu'eux, est en rapport intime avec l'intérêt ou le préjudice des autres citoyens et par suite avec leur situation. Le résultat qu'il veut obtenir est préparé d'une manière déterminée dans le présent, et, par suite, son influence est salutaire. Tout au rebours, les mobiles de l'État se composent d'idées ou de principes sur lesquel-s le jugement, même le plus sain, se trompe souvent; il existe même de ces mobiles qui naissent de la situation privée de l'État, laquelle, dé sa nature, n'est que trop souvent opposée au bien-être et à la sûreté des citoyens, et n'est d'ailleurs jamais la même que celle de ces derniers. Si cette similitude existait, ce ne serait plus par le fait l'État qui agirait, et la nature de ce raisonnement fait qu'on ne peut l'invoquer[17].

En ceci et dans tout ce qui précède, on s'est placé à ces points de vue d'où l'on ne considère que la force de l'homme, comme homme, et son perfectionnement intérieur. Le reproche d'exclusivisme pourrait nous être adressé, si l'on négligeait absolument les résultats dont l'existence est si nécessaire, et sans lesquels cette force ne peut agir. Aussi se présente maintenant la question de savoir si ces choses, du soin desquelles l'État doit s'abstenir, peuvent prospérer toutes seules et sans lui. Ce serait le moment d'examiner séparément les divers modes de l'industrie, de l'agriculture, du commerce, de toutes ces choses dont je m'occupe en bloc, et de dire, en connaissance de cause, quels sont pour chacune d'elles les avantages et les inconvénients de la liberté et de l'activité livrée à elle-même. Le manque de connaissances techniques m'empêche d'entreprendre cet examen. Je considère d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire à mon sujet. Toutefois, s'il était bien fait, surtout au point de vue historique, il pourrait être fort utile[18]; il recommanderait davantage ces idées, il démontrerait la possibilité de leur application largement modifiée, car dans l'ordre de choses existant, on n'oserait la permettre d'une manière absolument libre dans aucun État peut-être. Je me contente de quelques observations générales. Toute chose, quelle qu'elle soit, est mieux faite quand on agit plutôt pour elle-même que par amour pour ce qui peut en résulter. Cela est tellement dans la nature de l'homme que bien souvent une chose entreprise pour sa seule utilité finit par présenter du charme. Cela vient de ce que l'action est plus douce que la possession, pourvu que cette action soit libre et spontanée. Car l'homme le plus vigoureux et le plus actif préférerait le désœuvrement au travail forcé. De plus, l'idée de la propriété ne s'éveille qu'avec l'idée de la liberté, et nous devons surtout à l'idée de la propriété l'énergie de notre activité[19]. L'unité dans l'organisation est nécessaire à l'obtention de tout grand résultat. Cela est certain. Elle est nécessaire encore pour empêcher ou détourner les grands fléaux : la famine, les inondations, etc. Mais on peut arriver à cette unité au moyen de dispositions prises par la nation, et non pas seulement au moyen de dispositions édictées par l'État. Pour cela il ne faut qu'une chose: donner aux diverses parties de la nation et à la nation tout entière elle-même la liberté de contracter des obligations. Il existe toujours évidemment une différence profonde entre les dispositions prises par la nation et les prescriptions de l'État. Les premières ont un pouvoir médiat, les secondes un pouvoir immédiat. Les premières, par suite, laissent plus de liberté pour former, dissoudre ou modifier l'obligation. A l'origine, tous les engagements contractés par les États n'étaient probablement que des alliances entre les nations. Mais l'expérience nous montre ici les conséquences funestes qui se produisent quand le désir de conserver la sùrelé se relie à d'autres buts encore. Il faut que celui qui doit mettre la main à ces choses possède, en ce qui concerne la sûreté, un pouvoir absolu. Mais il l'étend et en use pour tout le reste; et plus l'institution s'éloigne de son origine, plus le pouvoir grandit et plus le souvenir du pacte fondamental s'efface[20]. Or, une mesure ne peut avoir de force dans l'État qu'autant qu'elle maintient l'existence et l'autorité de ce pacte. Cette raison seule pourra bien déjà paraître suffisante. Mais alors même que le pacte fondamental serait entièrement respecté, que le contrat passé par l'État serait, dans le sens le plus strict du mot, un contrat national, la volonté des individus séparés ne pourrait encore s'exprimer que par la représentation ; et il est tout à fait impossible que le représentant de plusieurs personnes soit un organe absolument fidèle de l'intérêt de ses représentés pris isolément. Or, tout ce qui vient d'être dit suppose la nécessité de l'adhésion de chaque individu. Cela exclut la décision à la majorité des voix, et pourtant on n'en peut concevoir une autre pour les obligations de l'État ayant un objet qui se rattache au bien positif des citoyens. Il ne reste donc aux dissidents qu'à sortir de la société pour se soustraire à sa compétence, et pour rendre nulles à leur égard les décisions prises par la majorité[21]. Mais ceci est rendu difficile jusqu'à l'impossibilité, si sortir de cette société c'est sortir de l'État. D'ailleurs, il vaut mieux contracter des obligations déterminées pour des raisons déterminées, que d'en contracter de générales pour les besoins indéterminés de l'avenir. Enfin, les associations d'hommes libres dans une nation se forment très-difficilement. En admettant d'un côté que les obstacles qui s'y opposent nuisent à l'obtention des résultats, il ne faut pas oublier que ce qui se forme difficilement a plus de durée et de solidité, les forces longtemps éprouvées se réunissant avec une cohésion plus énergique. Mais en admettant tout cela, il n'en reste pas moins certain que toute association vaste est peu salutaire. Plus l'homme agit pour lui-même, plus il se développe. Dans une grande association, il devient trop aisément un outil. Souvent encore, ces associations sont cause que le signe prend la place de la chose même, ce qui est un obstacle à tout progrès[22]. Les hiéroglyphes morts ne peuvent nous enthousiasmer comme la nature vivante. Pour tout exemple, je rappellerai ici les maisons de charité. Est-il une chose qui tue plus complètement toute compassion vraie, qui arrête toute demande pleine d'espoir et de douceur, toute confiance de l'homme dans l'homme? Qui donc ne mépriserait le mendiant qui aimerait mieux être tranquillement nourri à l'année dans un hôpital que d'être assisté dans ses souffrances, non par une main distraite, mais par un cœur compatissant[23]? Je concède volontiers que sans ces vastes groupes, en qui, si je puis ainsi parler, l'humanité a agi pendant ces derniers siècles, nous n'aurions pas fait tous nos progrès rapides, mais seulement rapides. Les fruits seraient venus plus lentement mais ils auraient mûri; et ne seraient-ils pas devenus plus doux? Je crois donc devoir écarter cette objection. Il en reste deux autres qui seront examinées par la suite. L'une consiste à demander si, avec l'insouciance de l'État, telle qu'on l'a dépeinte, la conservation de la sécurité est possible ; l'autre à demander si du moins la création des moyens jugés nécessaires pour que l'action de l'État puisse s'exercer multiplie fatalement les atteintes portées aux rapports des citoyens par les rouages de la machine gouvernementale.

Notes et références

  1. A savoir, que le vrai but de l'homme est le développement le plus large et le mieux proportionné de ses forces dans leur ensemble, et que la liberté et la variété des situations sont indispensables pour atteindre ce but. (Relire les premières lignes du chapitre précédent.)
  2. La propriété est considérée ici comme cause productive de l'enthousiasme, mais non comme cause unique. Il est certain en effet que l'enthousiasme, et le plus violent peut-être, provient souvent de la foi, loclale, politique, religieuse, philosophique, artistique, littéraire; causes qui ne touchent que bien peu ou point du tout au sentiment ou à l'espérance de la propriété. Cette réserve faite, l'aperçu de Humboldt reste profondément vrai. Michelet l'a merveilleusement développé dans son livre Le Peuple, à propos de la propriété de la terre
  3. Ceci est une manière de parler. Qui dit propriété dit travail, mais dit aussi jouissance absolue et exclusive, faculté d'user et de disposer de l'objet du droit. Or, le jardinier n'a que le premier lot, le travail, rémunéré par un salaire, point par une portion quelconque du droit de jouissance ou de disposition. Ce qu'on pourrait dire, c'est que dans ce cas, et à aptitude égale, le travail sera rarement aussi bien fait par un étranger que par le propriétaire. L'enthousiasme, fils de la propriété, y manquera, mais il pourra dire remplace par le sentiment du devoir qui lui aussi sait, grâce à Dieu, créer l'enthousiasme, — (Rapprocher ce passage d'un autre passage de ce chapitre, vers la fin, et les notes.)
  4. Ceci a été admirablement développé par Proudhon :«.... Comment sous cette loi qui ne procéderait plus de son individualité pure, l'homme pourrait-il être encore vertueux ou lâche, coupable ou repentant? Comment serait-il moral? On conçoit très bien le remords procédant du péché contre soi-même : que sera-t-il né de la désobéissance à une loi factice, adventice, étrangère ? Qui s'arrogera le droit de punir, même en alléguant le bien du coupable, le soin de son âme, le salut de sa dignité? Quel accord possible entre la société et le moi? Et si l'accord est impossible, si la société doit toujours, nécessairement, même sans compensation, prévaloir, que devient l'individualité, obligée de s'effacer, d'abdiquer?... Que vont devenir la liberté, l'audace, le génie entreprenant, toutes nos manifestations les plus généreuses, sans lesquelles notre existence n'est plus rien ? » (De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise, étude première, chap. II.)
  5. On reconnaît ici l'influence de la lecture de Platon. (Voy. République, liv. 111.)
  6. C'est la gloire des économistes physiocrates d'avoir les premiers réclamé cette liberté
  7. L'espolf que nous éprouvons de triompher des obstacles qui nous séparent de tel ou tel résultat, et de nous prouver ainsi à nous-mêmes notre force, est plus excitant que l'espoir d'obtenir ce résultat. C'est là l'explication de ce que l'on appelle la curiosité. L'archevêque Whately l'a fort bien dit : "Men are never so ready to study the interior of a subject, as when there is something of a veil thrown » over the exterior. » (Thoughts and Apophthegms. London, 1850)
  8. Goethe, Torquaio Tasso, acte II, scène 1ère.
  9. L'auteur n'entend parler ici que d'un mode particulier d'éducation que l'Etat prétendrait imposer directement ou indirectement, (Voyez plus loin les chapitres vi et xiv.)
  10. Il est, je pense, inutile de dire que sous ce dernier mot il faut comprendre l'amour qui n'est point troublé par les dispositions arbitraires de l'Etat : unverstimmte Liebe, dit le texte.
  11. Voyez sur ce grave sujet, traité ici d'une manière quelque peu paradoxale, ce qui en est dit au chapitre xi de l'ouvrage. — C'est là que se termine le morceau inséré par Schiller dans la Thalia, et que se trouve cette malheureuse lacune dont il est parlé dans la notice du traducteur
  12. Union entre la liberté individuelle et l'économie politique
  13. Union entre la liberté individuelle et l'économie politique
  14. Ces opinions se retrouvent dans le mémoire écrit par Humboldt vingt-sept ans plus tard,en 1819, sur l'Organisation constitutionnelle de la Prusse. (Voyez l'Introduction.)
  15. Cette philosophie est bonne en présence de faits qui échappent à nos forces et à no:re activité; c'est alors de la résignation rationnelle; elle est mauvaise dans les autres cas; ce n'est plus qu'un paresseux fatalisme digne de Turcs.
  16. Voyez plus bas une importante application de ceci, en matière de religion (chap. vi).
  17. En effet'c'est une pétition de principe. La majeure du raisonnement repose sur ce fait que l'Etat, en agissant comme être privé, peut dépouiller l'influence excessive et malgré lui despotique qu'il possède ; ce qui est démontré faux suivant l'auteur.
  18. Ce travail est fort avancé aujourd'hui, grâce aux travaux des économistes français et anglais dont les idées ont triomphé en 1859, grâce aux écrits de M. Laboulaye sur l'histoire des Etats-Unis.
  19. Voyez plus haut, même chapitre, § 2, note.
  20. Adoption de la théorie de Rousseau, du Contrat social. Humboldt ne voit pas que cette théorie favorable au pouvoir du peuple, est meurtrière pour la liberté individuelle.
  21. Lire sur ces questions surtout politiques le Gouvernement représentatif de John Stuart Mill, et la Liberté politique de M. Dupont-White.
  22. Ceci a déjà été dit des Etats qui ne savent pas limiter leur action. Le même vice affecte les vastes associations, parce que celles-ci tendent le plus souvent à imiter les façons de faire de l'État. (Voyez l'introduction.)
  23. Que j'aime bien mieux les idées de M. Jules Simon sur le même sujet : « Quand l'Etat élève des asiles pour l'enfance, pour la vieillesse et pour les malades, il obéit simplement à l'une de ses obligations les plus étroites. Cet enfant, sur le seuil de la vie, est abandonné par ses parents? A l'Etat de punir les coupables s'il y en a, et d'élever leur victime. Ce vieillard impotent n'a plus la force de gagner sa vie? C'est un ouvrier qui a servi à son heure et qui, maintenant, a le droit de se reposer. S'il reste à ses enfants un morceau de pain, qu'ils le partagent avec lui. S'il meurt le dernier des siens, c'est une épave de l'Etat : l'Etat n'est tenu qu'au nécessaire ; cela seul est de justice, le reste est de générosité. Encore doit-il mettre une sage mesure dans sa munificence et ne pas rendre l'abandon et l'isolement désirables en faisant d'un hospice un palais. Même en matière d'assistance il ne doit pas se substituer à la famille, il ne doit que la remplacer quand elle fait défaut. » (La Liberté, 2e édit., t. Ier, p. 379-380.)
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