Collectif:Aux sources du modèle libéral français - Gustave de Molinari : une approche de la démocratie économique

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Collectif:Aux sources du modèle libéral français - Gustave de Molinari : une approche de la démocratie économique


Anonyme


Aux Sources du modèle libéral français
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Auteur : Collectif
Genre
histoire
Année de parution
1997
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Gustave de Molinari (1819-1912) fut l'une des figures marquantes du libéralisme économique de son temps. Ses théories, originales à plus d'un titre, lui valurent une certaine renommée et suffirait à faire aujourd'hui de cet homme de gauche, un ultra-libéral(1) !

Théoricien économique, directeur du Journal des Économistes, chef de file du courant libéral, auteur prolixe, polémiste redoutable, il n'est pourtant pas mentionné dans l'immense biographie de Michaud, ni dans les différentes biographies nationales.

Seule, la Grande Encyclopédie nous apprend que cet économiste belge, né à Liège, était le fils d'un maréchal d'Empire, devenu médecin homéopathe. Journaliste d'opposition en France, Gustave de Molinari regagne la Belgique après le coup d'État du 2 Décembre. Il occupe la chaire d'Économie politique au musée de l'industrie à Bruxelles. En 1874, il est élu correspondant de l'Académie des sciences morales et politiques. En 1881, il succède à Joseph Garnier à la direction du Journal des Économistes, fonction qu'il occupera jusqu'en 1911. Auteur prolixe nous l'avons dit, il écrivit un grand nombre d'oeuvres(2).

1819-1912, ces dates qui bornent la vie de Gustave de Molinari, presque un siècle, marquent également la naissance du libéralisme économique, son triomphe, puis sa contestation. Cette dernière devait engendrer un interventionnisme étatique contre lequel lutta farouchement notre auteur. Il le combattit au nom, précisément, de la démocratie. Mais s'il demeure certes attaché à la conception devenue traditionnelle de la démocratie, fondée sur des valeurs essentiellement politiques, il l'envisage sous un autre angle, davantage économique. C'est en ce sens que l'on peut parler chez Molinari de démocratie économique. Que faut-il entendre par cette expression ? Molinari nous l'explique dans l'un de ses ouvrages, au titre d'ailleurs significatif, Comment résoudre la question sociale ? : « L'intervention gouvernementale, dans toutes les industries où elle s'exerce, a le défaut capital de subordonner le consommateur au producteur. Tandis que dans les industries de concurrence, les producteurs sont obligés d'adapter leurs produits aux besoins des consommateurs, l'État leur impose les siens, et les contraint à les accepter comme tels. Ce sont ses propres convenances qu'il consulte, et non les leurs.(3) » En d'autres termes, de même que l'individu est libre d'agir par son vote sur le « marché politique », il convient qu'il puisse agir pleinement, par ses désirs, sur le marché économique. Sa liberté d'action suppose naturellement l'effacement d'un État omnipotent qui doit se cantonner dans un rôle traditionnel singulièrement réduit.

Rien de nouveau au premier abord. Nous retrouvons là les thèmes libéraux classiques de l'État-gendarme. Cependant, Molinari se différencie de ce classicisme en allant jusqu'au bout du raisonnement libéral, ce qui d'ailleurs le discrédita chez les libéraux eux-mêmes. Il est vrai que ses analyses ont parfois de quoi surprendre, comme nous allons le voir en examinant, d'une part, comment il envisage économiquement la démocratie politique, et d'autre part, ce qui le conduit à considérer l'État comme un obstacle à la démocratie économique.

1 - Une lecture économique de la démocratie politique : la contestation de l'omnipotence de l'État

En libéral orthodoxe, Molinari prend pour cible l'État, dont les interventions sont jugées excessives. Mais la définition qu'il donne de l'État s'éloigne de la définition constitutionnelle classique pour privilégier une approche économique. L'État, depuis ses origines, n'est qu'un producteur de services, destiné à satisfaire les besoins de ses sujets, les consommateurs: « C'est une entreprise d'exploitation agricole et industrielle(4) » dont les seuls profits, les impôts perçus, dépendent de la capacité des dirigeants de l'entreprise, les hommes politiques, à la gouvemer.

Cependant avec le temps, cette entreprise est devenue monopolistique, l'Etat intervenant dans toutes les branches de la production, et ce, au détriment des activités et créations individuelles. Il convient donc de rétablir un équilibre et d'obtenir de l'État qu'il abandonne certaines fonctions. Un tel réajustement s'avère nécessaire dans la mesure où la multiplicité des fonctions étatiques confine à une dispersion, devenue nuisible au groupe social. Molinari va donc s'attacher à délimiter strictement le champ d'action de l'État, ce qui le conduit à reconsidérer son rôle dans des interventions devenues traditionnelles au fil des temps, les fonctions régaliennes. Toute la logique de ses raisonnements en ce domaine se trouve concentrée en une phrase qui déroule, de manière cocasse mais percutante, ce qui va devenir notre fil d'Ariane: « Parce que le Code de tous les États civilisés oblige les parents à nourrir leurs enfants, s'ensuit-il que l'Etat doive se faire boulanger ?(5)" En d'autres termes, tout besoin doit-il être l'objet d'une fonction étatique ? Sont ainsi visés le contrôle de la pensée et la sécurité. Molinari, dans le cadre d'une démocratie la plus large possible, proposera le libre choix de leur Etat par les populations.


LE CONTRÔLE DE LA PENSÉE

La critique de la subvention étatique envers la religion

Molinari critique J'État qui subventionne et contrôle la religion et prône un libéralisme religieux excluant toute intervention étatique. En critiquant l'État qui subventionne la religion, Molinari vise implicitement le système français du Concordat qui instaure une véritable « Église d'État ». En effet, en échange de cette subvention, l'État limite le droit et la liberté d'association du clergé, son droit de propriété; il contrôle par ailleurs les Eglises en nommant les hauts fonctionnaires ecclésiastiques. Bref, selon Molinari, « il asservit la religion sous prétexte de la protéger.(6) » En outre, cette subvention étatique n'est rien d'autre qu'un impôt prélevé sur des contribuables, dont une partie n'use pas des services des cultes.

Une véritable démocratie conduit à refuser ce contrôle étatique sur la religion, et à instaurer un véritable libéralisme en ce domaine. Mais Molinari n'étayera pas son libéralisme religieux sur les fondements, politiques tels que la liberté de conscience ou la liberté d' expression. Il raisonnera économiquement, au risque de choquer. La religion constitue un besoin, spirituel certes, mais dont les conséquences doivent être analysées connue celles de tout besoin économique. S'il existe véritablement un besoin religieux, ceux qui l'éprouvent n'hésiteront pas à fournir eux-mêmes toutes les rétributions et contributions nécessaires à sa satisfaction. Si ce besoin est inexistant, Molinari s'interroge : « Est-ce en imposant aux populations l'obligation de pourvoir aux frais du culte qu'on le fera naître ?(7) »

Enfin, Molinari pousse à l'extrême le raisonnement libéral : toute subvention étatique empêche la concurrence religieuse et, de ce fait, on assiste à une baisse de la qualité des services religieux : « la culture religieuse ne va-t-elle pas en s'abaissant et se corrompant dans tous les pays où l'État protège et subventionne les cultes, tandis qu'elle s'élève dans ceux où il les abandonne à eux-mêmes ?(8) »

Ainsi, la véritable démocratie implique le refus d'intervention de l'État dans le domaine religieux. Mais, allant plus loin, toute véritable démocratie conduit à soumettre la religion, domaine par excellence du spirituel, aux contraintes et règles du marché économique. Concurrence, satisfaction des besoins de consommateurs religieux, telle est la conclusion logique à laquelle aboutit Molinari. Il critiquait, peut-être justement, le système du Concordat. Aurait il reconnu ce qu'il prônait dans les « télévangélistes » des États-Unis ? La même logique conduit Molinari à critiquer l'intervention étatique dans l'enseignement.


La critique de l'intervention étatique dans l'enseignement

Molinari critique évidemment l'intervention étatique dans l'enseignement, intervention qu'il qualifie de « catastrophe ». En effet, toute intervention de l'État en ce domaine ne laisse guère de choix à ceux qu'il appelle les « consommateurs de l'enseignement (9)». L'État leur impose ses propres normes, telles que l'apprentissage des langues mortes au détriment des langues vivantes, la surcharge des programmes et un enseignement primaire nationaliste. Par ailleurs, des enseignants mal payés et des locaux vétustes permettent à l'État de concurrencer, à peu de frais, et donc de manière déloyale, un enseignement privé soumis.

Certes, l'enseignement constitue un besoin nécessaire. Mais faut-il en déduire que l'État doit se faire enseignant ? Et Molinari de reprendre sa logique habituelle, et de fonder la liberté de l'enseignement non sur des critères politiques traditionnels, mais sur des considérations purement économiques.

L'enseignement constituant un besoin, quand bien même n'en serait-il pas tenu compte par l'État ou les communes, se serait naturellement créé une industrie de l'enseignement. Cette industrie, au lieu d'imposer ses propres normes d'éducation, saurait davantage se prier aux désirs des consommateurs et créer des institutions d'éducation en harmonie avec les besoins des usagers (10). Elle serait, par exemple, plus à même, de s'adapter à l'évolution du marché que constitue la formation professionnelle : « Dégagée du fatras officiel des programmes, l'instruction nécessaire pour former un avocat, un médecin ou un professeur exigerait moins de temps, reviendrait à meilleur marché. (11) » Par ailleurs, outre le fait que les filières de formation offertes au libre choix de chacun seraient plus nombreuses, les plus démunis financièrement, mais capables intellectuellement, bénéficieraient de bourses leur permettant ainsi un égal accès au savoir.

L'intervention étatique en ce domaine semble ainsi, encore une fois, superflue. Elle nuit même à l'établissement d'une véritable démocratie.

La critique des subventions étatiques envers les spectacles

Molinari va critiquer les subventions octroyées aux spectacles, et en particulier aux théâtres. Le raisonnement repose sur les mêmes fondements économiques.

Les contribuables, qui ne peuvent ou ne veulent pas fréquenter les salles subventionnées, payent en fait une partie du prix des places de spectateurs qui ne sont en général que des privilégiés du monde politique et administratif, un public qui jouit ainsi d'entrées de faveur. Et Molinari de se demander, démocratiquement, si ces subventions " ne sont pas autre chose qu'un des nombreux modes d'exploitation du grand nombre par le petit ?"

Or, l'industrie théâtrale est une industrie semblable aux autres, qui doit répondre à un besoin exprimé par des consommateurs. Que ceux qui le ressentent le paient. La subvention étatique, nuisible dans ce domaine comme dans celui de la religion, ne crée pas le besoin, mais impose, dans tous les sens du terme... Au contraire, la suppression de toute subvention conduit à instaurer la concurrence, et, partant, une production théâtrale qui ne peut que correspondre au choix des consommateurs.

Enfin, cette manière de reconsidérer l'industrie théâtrale permet de résoudre le problème politique du trouble à l'ordre public que causerait une pièce heurtant la sensibilité ou les valeurs des spectateurs. Au lieu que l'État, se substituant aux consommateurs que sont les spectateurs, interdise, au nom de ses propres critères, ce sont ces derniers qui, s'ils le désirent, saisiraient les tribunaux. (13)

Ainsi, que ce soit la religion, l'enseignement, le spectacle, le contrôle de l'État est écarté. Ces domaines, envisagés économiquement, sont régis par les lois du marché, c'est-à-dire par les désirs et les choix des consommateurs ou usagers. Le besoin économique librement exprimé et satisfait constitue pour Molinari le préalable indispensable à la démocratie. Encore faut-il que le citoyen sache reconnaître le bien fondé de ses désirs, et que leur réalisation ne nuise pas à la société. Il convient donc d'éduquer en ce sens les individus.

L'éducation du consommateur politique

Le rêve d'une véritable démocratie, tant politique qu'économique, n'empêche cependant pas Molinari de rester quelque peu réaliste en évoquant le risque inhérent à tout régime démocratique. L'individu est certes devenu libre de se gouverner lui-même, économiquement. Mais est-il vraiment capable d'assumer cette liberté ? Il apparaît, pour Molinari, que la maîtrise morale de l'individu n'a pas aussi vite progressé que sa domination sur la nature. Il en résulte que l'individu ne possède plus assez conscience de ses devoirs, ce qu'il se doit à lui-même conune ce qu'il doit à autrui.

On pourrait penser que l'analyse des devoirs de chacun ne serait que la reprise, actualisée, des devoirs du citoyen tel que les énumérait la Constitution de l'an III. Fidèle à lui-même, Molinari en entreprend l'analyse à l'aide d'une grille de lecture qui repose principalement sur l'économie politique.

Il semble que pour Molinari, chacun d'entre nous soit considéré comme un potentiel d'actes dont les conséquences peuvent être bénéfiques ou nuisibles à lui-même, et donc, par voie de conséquence, à la société en son entier.

En agissant correctement envers lui-même ou envers autrui, chacun crée une plus-value dont les autres peuvent profiter. Au contraire, en agissant de manière incorrecte, on retire aux autres ce qui aurait pu leur être utile. Ainsi, l'exercice des devoirs de chacun se traduit-il plus particulièrement en recourant à l'idée de consommation. Il convient ainsi de distinguer la consommation utile, lorsque chacun remplit ses obligations envers lui-même et envers ses concitoyens, de la consommation nuisible, celle qui détruit le capital personnel, par l'intempérance, la prodigalité ou la négligence dans l'éducation des enfants. Or, de tout temps, des lois poussaient à favoriser cette consommation utile, comme les lois somptuaires qui réglementaient le port des vêtements, ou les règlements des corporations ou des manufactures qui autorisaient à se séparer d'un individu dont on savait qu'il était joueur ou buveur.(14)

Naturellement, les règles de la démocratie politique interdisent de recourir à de telles contraintes (15). Il convient au contraire de faire appel au sens de la responsabilité de chacun, et de substituer à la règle imposée une règle volontaire. Cependant, il existe une catégorie de consommateurs dont la force morale est insuffisante et dont les actes sont trop souvent nuisibles. L'État doit alors intervenir pour les protéger contre eux-mêmes. Il doit les prendre sous sa tutelle, prémunir contre la pauvreté qui les menace, eux, et, par leur entremise, la société (16). L'Etat doit leur apprendre à consommer de manière utile et les éduquer dans le cadre d'une démocratie économique. Quant aux autres, ceux qui ont déjà bénéficié de cette éducation, si leur attitude devient nuisible, l'opinion publique leur infligera une sanction morale et sociale, sorte de « peine démocratique (17) » Dès lors, la proposition de Molinari devient paradoxale. En effet, notre auteur ne cesse de vilipender l'État, que veut considérer au même titre qu'une entreprise privée, comme devant être soumis à la loi de la concurrence et courir ainsi le risque de voir fuir ses sujets. Mais par ailleurs, il lui impose le devoir d'éduquer, d'apprendre aux plus démunis les valeurs de la démocratie économique. Au risque de caricaturer sa pensée, nous pourrions presque suggérer que Molinari demande à l'État d'apprendre aux citoyens à se passer de l'État... Il est vrai que, par ailleurs, Molinari précise que cette tâche devrait être confiée à des entreprises privées.

LA CRITIQUE DU MONOPOLE ÉTATIQUE DE LA SÉCURITÉ

il était logique que Molinari critique le monopole étatique de la sécurité dans la mesure où cette fonction fut toujours considérée comme l'apanage du pouvoir politique. Quand bien même n'existerait-il qu'une fonction assumée par l'Etat, ce serait d'assurer à chacun une protection. Cette conception séculaire du rôle de l'État fut reprise par les révolutionnaires qui faisaient de la sécurité l'un des Droits de l'homme. Les libéraux eux-mêmes, qui qualifiaient l'État de Gendarme, reconnaissaient à l'État ce rôle. C'est pourquoi Molinari, en remettant en cause ce qui était devenu une mission traditionnelle de l'État, rencontrera une opposition dans le courant économique libéral.

Pour Molinari, le monopole de l'exercice de la sécurité, qu'il repose sur le droit divin, comme sous l'Ancien Régime, ou sur une délégation du peuple comme depuis la Révolution, ne peut être accepté que s'il rencontre l'adhésion des citoyens. Ces derniers ne le remettent en question que s'ils n'y trouvent plus leur intérêt. Une telle contestation découle d'ailleurs logiquement du contrat fictif passé entre l'État et les citoyens. Ces derniers cesseraient d'obéir s'ils ne pouvaient changer ce qui leur est imposé et ne les satisfait plus. Or, que constatons-nous ? L'Etat, qui détient le monopole de l'exercice de la sécurité, ne remplit pas de manière satisfaisante son office. Dans son ouvrage Comment résoudre la question sociale ?, Molinari s'en prend violemment à l'institution judiciaire qu'il qualifie de « service le plus arriéré qui soit »... « La Justice est lente, incertaine, coûteuse, la police insuffisante et vexatoire, les pénalités tantôt excessives et tantôt faibles, et le système pénitentiaire plus propre à développer la criminalité qu'à la restreindre (18). » L'intérêt même de la démocratie implique que le problème de la sécurité soit l'objet d'une nouvelle approche.

Molinari avait déjà abordé la question dans un article publié dans le Journal des Économistes, en 1849. L'originalité de ses opinions obligera la direction du journal à publier l'article, précédé d'une préface dans laquelle elle émettait des réserves importantes sur les conclusions de l'auteur (19).

Molinari y abordait le problème de la sécurité sous l'angle économique. Elle constitue un besoin fondamental pour tout individu qui veut protéger ses biens. Les gouvernements, en assurant l'ordre, deviennent des producteurs de sécurité, tandis que les citoyens doivent être qualifiés de consommateurs de sécurité. Si l'on continue de raisonner économiquement, la sécurité n'est rien d'autre qu'un bien immatériel dont la production doit obéir aux règles économiques, notamment celle de la libre concurrence. Or, l'intérêt bien compris de chacun le conduit à se procurer la sécurité au prix le plus bas possible. Il en résulte donc que la concurrence doit jouer entre les producteurs de sécurité. Ainsi, pour assurer leur protection, les citoyens devraient pouvoir s'adresser au gouvernement de leur choix. Une autre solution à ce problème consisterait à recourir aux services d'entreprises privées, productrices de sécurité. Elles entreraient en concurrence, sur différents points du territoire, se substituant au monopole étatique, et seraient soumises au choix des consommateurs (20).

La sécurité, fonction régalienne par excellence, assurée par des entreprises privées, on comprend les réticences de la direction du Journal des Économistes.

Molinari évoluera peu sur ce problème. Certes, dans son cours d'économie politique (1863), il en reviendra à l'idée traditionnelle du monopole étatique de l'exercice de la sécurité. Il justifie cette concession : la société industrielle produisant davantage de richesses qui attirent les convoitises, il convient que la production de sécurité s'accroisse. La gestion de cette augmentation de la sécurité peut certes être confiée à l'État, mais à condition qu'il renonce à intervenir dans les autres domaines qui ne sont pas de son ressort, pour ne se consacrer qu'à son unique mission de protection (21).

Mais dans son Esquisse de l'organisation politique et économique de la société future (1899), il soutiendra que, devant l'échec manifeste de la sécurité étatique, « on peut prévoir que la Nation contractera de préférence par l'entremise de délégués, avec la compagnie qui offrira les conditions les plus avantageuses, et les garanties les plus " sûres pour la fourniture de cet article de consommation naturellement collective (22). " »

LE LIBRE CHOIX DE LEUR ÉTAT PAR LES POPULATIONS

La mise en concurrence des diverses institutions étatiques concerne naturellement le domaine économique. Mais Molinari ne craint pas d'en élargir la portée et d'en prôner l'application dans le domaine politique.

Lorsqu'il analyse l'État, Molinari, nous l'avons vu, ne cesse de s'élever contre son omnipotence. Il reprend là les critiques classiques depuis longtemps avancées par la doctrine libérale, notamment l'arbitraire des impôts ou l'intervention dans le domaine industriel. Mais sa critique repose davantage sur un fondement quelque peu différent de celui des libéraux classiques. Ces derniers reprochaient principalement à l'État d'intervenir dans des domaines hors de sa compétence. Mohnari reproche à l'État non seulement de sortir de son domaine, mais surtout de dénier aux membres du groupe social le droit de s'opposer à ses interventions, en sanctionnant par exemple tout « consommateur » qui voudrait se soustraire aux services imposés par l'État.(23) L'État exerce ainsi une véritable «tutelle sociale» sur les membres de la communauté, sans que ceux-ci puissent s'y dérober. Et Molinari d'approuver Jean-Baptiste Say qui qualifiait l'État d'«ulcère politique (24) ».

Contre ce qu'il considère comme un attentat à la liberté des populations à disposer d'elles-mêmes, Molinari brandit l'arme « libertaire » : toute soumission à l'État n'est légitime que si elle est librement consentie. Il convient en conséquence de laisser aux populations le libre choix de leur état. Une telle proposition ne peut manquer de choquer, tant elle va à l'encontre de certitudes constitutionnelles séculaires. Molinari tente de la justifier en faisant appel au concept économique de libre concurrence.

Dans l'Ancien Régime, l'État possédait le droit de disposer des populations, les rattachant à son territoire sans guère se soucier du consentement des intéressés. La Révolution française modifia peu le principe, puisque, si le consentement des populations est exigé pour leur rattachement, il ne l'est pas si elles souhaitent rompre leurs liens avec l'État. C'est pourquoi l'État peut imposer ses directives au nom d'une Nation « indivisible (25) ».

Il faut rompre avec cette manière d'envisager l'État comme unique et omnipotent. Il convient de le placer en situation de concurrence. Toute population doit pouvoir disposer de ce que Molinari qualifie de droit de sécession, fondement de toute concurrence entre États :

Le droit de Sécession (sic), qui se fraye aujourd'hui un chemin à travers le monde, aura pour conséquence nécessaire la liberté de gouvernement Le jour où ce droit sera reconnu et appliqué dans toute son étendue naturelle, la concurrence politique servira de complément à la concurrence agricole, industrielle et commerciales.(26)

La loi, à l'origine économique, de la concurrence s'étend au politique en autorisant aux populations le libre choix de leur citoyenneté. Elle génère alors une démocratie politique sans frein.

Ainsi, pour Molinari, l'État se révèle-t-il comme une institution superflue, sinon inutile, dans la mesure où ses fonctions considérées comme traditionnelles pourraient être exercées plus avantageusement pour la communauté par des institutions privées dépendant du verdict des consommateurs de services que sont les citoyens. La révision du rôle de l'État, tel est donc le préalable indispensable à toute réflexion sur la démocratie politique. Il en est de même pour la démocratie économique.

2 - Le refus d'un État, obstacle à la démocratie économique

Selon Molinari, on ne peut parler de véritable démocratie politique s'il n'existe pas une démocratie économique ou industrielle. Nous entendons par cette expression la liberté d'entreprendre et de créer, liberté à laquelle l'État ne doit pas s'opposer. Il convient donc, et ce sera le sens du combat de Molinari, que l'État renonce à contrôler les créations d'entreprises et assure la transparence du marché du travail. En d'autres termes, l'État doit cesser de constituer un obstacle à la démocratie industrielle. Par ailleurs, l'État doit abandonner l'une de ses fonctions régaliennes séculaires, l'émission de monnaie.

L'ÉTAT, OBSTACLE À LA DÉMOCRATIE INDUSTRIELLE

L'Association, forme de démocratie industrielle, favorise la vie démocratique

Mofinari se range là sous la bannière des libéraux et participe pleinement à leur combat contre l'interventionnisme économique de l'État. Mais son angle d'attaque sera celui de la démocratie, au sens large du terme, celle qui permet à chacun de participer à la vie politique comme à la vie économique de la Nation. Ainsi, dans le Journal des Économistes, il rédigera un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté des associations, dont il analysera la constitution en usant des termes de la démocratie politique, établissant ainsi un parallèle entre les deux concepts (27). Dans un long historique sur l'Association, Molinari regrettera la méfiance que suscitait sous l'Ancien Régime, tant auprès de l'État que dans la population, cette institution économique. les instances politiques y craignaient un État dans l'État, d'où des formes très strictes de contrôles pour leur constitution et leur direction, comme le démontrent les ordonnances de Colbert. Par ailleurs, l'opinion publique assimilait toute structure associative au monopole corporatif, à l'affermage des impôts ou à une industrie protégée par des privilèges. Ainsi, sous l'Ancien Régime, toute forme associative était-elle déconsidérée.

Les révolutionnaires réagirent donc logiquement lorsqu'ils supprimèrent les corporations et firent table rase des privilèges pour laisser la place à l'individualisme le plus parfait, par l'entremise du décrèt d'Allarde et de la loi Le Chapelier. Par ailleurs, l'association économique demeura toujours suspecte, dans la mesure où l'obtention de la liberté politique primait sur la liberté d'association industrielle, cette dernière demeurant sans cesse contrôlée par l'État.

Les conséquences de cette mise à l'écart, de cette méfiance de toute association industrielle aboutirent à un paradoxe. En effet, alors que les techniques de production n'ont cessé de progresser à pas de géant, les structures de production sont demeurées inchangées, contrôlées qu'elles sont, dès leur création, par l'État. Il en résulte une inadaptation par rapport aux exigences industrielles, inadaptation qui contraint l'État à devenir lui-même industriel, par exemple en intervenant dans l'industrie des chemins de fer.

L'Angleterre cessa la première ce contrôle et instaura un véritable libéralisme qui impliquait la libre création d'entreprises. La crainte d'une concurrence devant la prolifération d'entreprises privées compétitives contraignit la France à suivre le mouvement. le traité de libre échange en 1860 avec l'Angleterre, les lois de 1863 puis de 1867 élargissant puis accordant totalement la liberté de création des sociétés anonymes, balisèrent cette marche de la France vers le libéralisme. Mais la mentalité française demeure méfiante à l'égard des structures économiques libérales. Ce sont ces doutes que Molinari veut lever.

Il voit dans la forme associative, et plus particulièrement dans la société anonyme, l'expression la plus parfaite de la démocratie économique. En effet, non seulement toute sujétion étatique a disparu, mais encore il n'existe plus aucun frein à la liberté de création de chacun. Et Molinari d'illustrer par des exemples précis l'axiome qu'il vient de poser : la liberté d'association permet à chacun d'épanouir et de réaliser son potentiel créatif.

Ainsi, un inventeur est-il rarement à la fois créateur et gestionnaire. De plus, il ne dispose généralement pas de l'argent nécessaire pour exploiter son invention. D'où l'intérêt de la société anonyme qui lui permet d'accéder au marché des capitaux (28).

De même, la constitution du capital d'une entreprise s'adresse-t-elle au public le plus large, puisqu'il peut y être souscrit par tranche de cinq cents francs. Une telle démarche s'inspire naturellement des principes de la démocratie, puisqu'elle permet aux petites gens de participer à la vie économique et tend à écarter la primauté des gros capitaux (29).

Enfin, l'organisation et la direction de la société anonyme relèvent de la même ferveur démocratique. L'entreprise appartient certes aux actionnaires, qui peuvent la gouverner à leur guise. Mais, tout comme dans la vie politique, le gouvernement direct se révèle peu pratique.On lui préfère le gouvernement par délégation, le conseil d'administration et une direction, qui gèrent, sous le contrôle de mandataires. Et Molinari d'insister sur les avantages de cette forme d'institution économique. Il continue de l'analyser dans l'optique de la démocratie, puisqu'il va comparer les organes de direction d'une entreprise aux institutions politiques démocratiques, ces dernières tenant lieu de référence (30). Tout d'abord, dans une telle association économique, il existe une séparation des fonctions, des pouvoirs même, entre les actionnaires, qui représentent le capital, et la direction, qui représente l'intelligence pratique, celle qui met en oeuvre le capital. Les entreprises, ces acteurs économiques dont l'importance va grandissant, deviennent ainsi accessibles à ceux qui possèdent l'argent, mais sont démunis de l'intelligence des affaires, mais également à ceux qui possèdent l'intelligence, mais sont dépourvus des capitaux. Le capital intellectuel, uni au capital matériel sont donc à l'origine de l'émergence de la démocratie industrielle.

Quant aux actionnaires, qui possèdent certes la souveraineté, mais sont ignorants du monde des affaires, ils délèguent leurs droits à ceux qui en sont familiers, les praticiens. lis ne conservent que les droits de modifier la constitution de l'entreprise, de choisir et de contrôler la direction. On croirait à une parodie de Montesquieu : les actionnaires n'entendent rien aux affaires, mais possèdent le bon sens pour désigner leurs dirigeants... Telle est donc l'entreprise, fondée sur le libre choix de la direction par les actionnaires et sur la liberté d'agir des gouvernants (31).

Car la réalité industrielle n'obéit pas à cet idéal de démocratie industrielle. Et Molinari de comparer une réalité industrielle pervertissant les principes fondateurs démocratiques, à une réalité politique qui ne reflète guère l'idéal démocratique. La liberté électorale des actionnaires se trouve, par exemple, limitée, puisqu'il est exigé un minimum ou un maximum d'actions pour qu'elle puisse s'exercer. Molinari qualifîe cette limitation du droit des actionnaires de cens électoral au sein de l'entreprise. De même, l'accès à la direction de l'entreprise suppose de la part des postulants la possession d'un minimum d'actions, ce que Molinari qualifie de cens d'éligibilité. Il conclut, amer, qu'une partie du capital demeure entre les mains des gouvernants, tandis que le cens électoral réduit le nombre des actionnaires influents. Ne peut-il en résulter un mauvais gouvernement de l'entreprise, gouvernement qui peut se perpétuer par ce qu'il faut bien appeler une corruption électorale (32) ? Le remède réside dans ce droit considérable que possèdent les actionnaires de se faire aider par des mandataires possédant des connaissances industrielles dont eux-mêmes sont dépourvus. Ces mandataires contrôlent la gestion de l'entreprise, mais ne peuvent y parvenir que s'il existe une transparence des comptes et des résultats. De là la nécessité d'une publicité des résultats de toute entreprise, publicité indispensable à l'essor de toute démocratie industrielle (33).

Cependant, malgré ces réserves, Molinari demeure confiant dans l'avenir des structures associatives. Il réfute ainsi l'objection souvent avancée que la concentration des capitaux entre les mains d'entreprises puissantes accroîtrait la distance entre le capital et le travail. Prenant l'exemple de l'Angleterre, plus avancée que nous en ce domaine, il soutient que cette forme d'entreprise, la société anonyme, décentralise la propriété industrielle, la rendant accessible à la multitude. Au contraire, la restriction à la création d'entreprise renforce la concentration des capitaux (34). A la conception politique des révolutionnaires souhaitant une nation de petits propriétaires, Molinari substitue le souhait d'une nation de petits actionnaires, participant à la vie industrielle par leurs actions sur les marchés économiques.

La démocratisation du marché du travail

La même logique de libéralisation s'applique au marché du travail. Contrairement à certains libéraux partisans d'une liberté individuelle totale, Molinari protestera vigoureusement contre les interdictions des coalitions d'ouvriers. Il y voit un obstacle à une véritable liberté du travail, dans la mesure où les rapports de forces avec les employeurs penchent en faveur de ces derniers et empêchent une libre discussion des conditions de travail. L'interdiction des coalitions s'oppose à l'instauration d'une véritable démocratie économique et interdit à l'ouvrier d'agir efficacement sur le marché du travail.

De nouveau, Molinari procède de l'analyse économique d'une institution juridique, le contrat de travail, et s'éloigne, aussi bien des socialistes qui souhaitaient un contrôle de l'Etat en ce domaine que des libéraux qui en repoussaient l'intervention.

Molinari s'interroge ainsi sur le rapport qui existe entre un ouvrier et son travail. Qu'est-ce qu'un ouvrier sinon un individu qui se trouve en état d'offrir une prestation qui possède une certaine valeur, un bien économique, "un marchand de travail" (35) ? Dépassant l'analyse marxiste qui s'en tenait aux rapports qui existent entre l'empoyeur et l'employé, et à l'exploitation de la valeur travail, Molinari transpose le problème de la prestation offerte sur le plan plus large du marché. L'ouvrier reste le premier intéressé à connaître les débouchés potentiels du travail qu'il offre, sa valeur sur le marché économique. Il lui est indispensable de connaître ces données, sous peine de rester dépendant d'un employeur qui hésitera certainement à les lui communiquer. Il convient donc qu'existe une véritable transparence de l'offre et de la demande de travail, une véritable publicité qui permette un jeu de la loi de l'offre et de la demande (36). Or, une institution économique remplit ces conditions. Ce sont les Bourses du Travail, qui constituent un véritable thermomètre de la valeur des prestations offertes et demandées. Et Molinari insistera sur la nécessité de développer ces institutions.(37)

L'ÉMISSION DE MONNAIE

Molinari va s'insurger contre cette fonction régalienne par excellence. L'émission de monnaie s'accompagnait, sous l'Ancien Régime, de la manipulation et de la falsification de l'étalon monétaire, l'or, ce qui interdisait l'établissement d'un système monétaire économique et sûr. Par ailleurs, encore actuellement, ce monopole d'émission engendre des frais, assumés par le contribuable, tout en créant une monnaie incertaine, fondée sur les variations de l'or, unique étalon.

Imaginons au contraire la suppression du monopole étatique d'émission de la monnaie. Imaginons que des entreprises privées ou des banques créent elles-mêmes des monnaies de papier, de métal. Tout d'abord, et ce n'est pas négligeable, la concurrence limitera les frais de fabrication. Mais allons plus loin. Refusons le monopole de l'or comme référence monétaire. « Il faut substituer à cet étalon simple un étalon composé d'un ensemble de produits.(38) » Quelles seraient les conséquences d'une telle substitution ? Toutes les monnaies, même celles des pays voisins seraient émises dans tous les pays; le public choisirait ou refuserait telle ou telle monnaie selon qu'elle reposerait et serait ou non garantie par des valeurs suffisantes. Inéluctablement, devant cette diversité, un temps gênante, les banques de circulation seraient amenées à fixer leur monnaie sur l'étalon le plus généralement apprécié, étalon qui pourrait être une monnaie étrangère de référence. Nous entrerions dès lors dans une véritable démocratie monétaire, puisque les monnaies « élues » dépendraient du choix des « consommateurs », choix guidé par des critères de concurrence et de sécurité économique (39).

La fonction monétaire actuelle de l'État semble donc superflue, tout comme semble dépassée, toujours selon le critère de la démocratie économique, sa volonté de s'immiscer dans la vie industrielle et ainsi de diriger l'activité économique au détriment de ses fonctions propres.


Que conclure devant un auteur dont on ne peut nier l'originalité ? L'erreur consisterait, à notre sens, à voir dans l'anti-étatisme virulent de Molinari un anarchisme où seule primerait la liberté individuelle. La recherche de l'harmonie sociale conserve toute sa valeur et l'importance accordée à l'éducation des citoyens suffit à le montrer.

Il semble que l'on assiste de la part de Molinari à un vibrant plaidoyer pour la démocratie. Simplement, la manière dont il envisage ce concept sort des voies traditionnelles et en conséquence, choque parfois. Il surprend, dans la mesure où il associe démocratie politique et démocratie économique, une véritable société démocratique reposant sur les deux concepts. A la liberté politique du citoyen correspond la liberte économique du consommateur, l'un et l'autre devant pouvoir agir efficacement sur le marché politique comme sur le marché économique. Certes, il peut paraître choquant, nous l'avons relevé, de considérer uniquement sous l'angle économique toutes les activités ou besoins individuels, surtout lorsqu'il est question de religion. Mais l'important réside moins dans ces exagérations que dans la volonté de faire cesser une contradiction fondamentale entre la proclamation des libertés et leurs restrictions par une institution qui outrepasse, selon Molinari, ses fonctions. Molinari semble percevoir que la société devient trop complexe pour être régie d'une manière monolithique.

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Il lui préfère le marché, rencontre des souverainetés individuelles d'où jaillit, par voie de conséquence, l'intérêt général. La rencontre des volontés individuelles sécrète, comme le montrera Hayek, un ordre spontané, que l'institution étatique est incapable de susciter. La souveraineté individuelle devient ainsi le fondement d'une société dans laquelle l'individu se substitue à l'État, dont l'action est jugée moins efficace. L'individu devient ainsi meilleur juge de l'intérêt général.(40)

Il n'en demeure pas moins que sa vision de la société provoque de nombreuses questions, questions d'autant plus intéressantes que certaines des propositions de Molinari concement nos problèmes actuels.(41) Tout d'abord, n'existe-t-il pas une forte contradiction entre le cosmopolitisme auquel il aspire et l'État Nation, partie intégrante de notre culture politique ? Par ailleurs, dans l'optique de Molinari, qui incarnerait l'intérêt général ? Faudrait-il, au risque de verser dans un matérialisme outrancier, identifier l'intérêt général au bien-être économique ? Certes, l'éducation démocratique, sur laquelle Molinari insiste tellement, contribuerait à préserver d'un tel risque. Mais on mesure la fragilité d'une telle barrière devant la menace permanente du règne de la loi du plus fort. Cette société que souhaite Molinari, dans laquelle les pouvoirs de l'État se réduiraient, telle une peau de chagrin, ne tracerait-elle pas pour beaucoup la « route de la servitude » ?

NOTES

1. Cf L'Êconomie politique en France au xix' siècle, sous la direction de Y. Breton et M. Luftalla, p. 3 note 1. et P. Lemieux, l'anarcho-capitalisme, PUF, P. 5.

2. Les Soirées de la rue Saint-Lazare. Entretiens sur les lois économiques et défense de la propriété, Paris, Guillaumin 1849; « De la production de sécurité », Journal des Economistes, 1849 (JE 1849); Esquisse de l'organisation politique et économique de la société future, Paris, 1899. Comment se résoudra la question sociale, Cours d'économie politique, 2' éd. Paris, Guillaumin, t. 1, Questions d'Economie politique et de Droit public, Paris, Guillaumin, 1861. Les Bourses du travail, Paris, 1893.

3. Comment se résoudra.., op. cit., p. 329.

4. Esquisse de l'organisation.... op. cit, p. 58.

5. Comment se résoudra.. op. cit., p. 331.

6. Ibid. P. 335.

7. Ibid. P. 335.

8. Ibid. P. 336.

9. Ibid. p. 330 et suiv.

10. Ibid. p. 331. « L'instruction est un besoin, tout besoin suscite la demande du produit ou du service propre à le satisfaire, et la demande détermine l'offre de ce produit ou de ce service, aussitôt qu'elle devient assez intense pour en rembourser les frais. »

11. Ibid. p. 331.

12. Ibid. p. 336.

13. Ibid p. 335.

14. Cours d'économie politique, op. cil., t. 2, p. 473 et suiv.

15. Comment se résoudra.., op. cit, pp. 478-479: « L'observation et l'expérience démontrent qu'il n'est pas vrai, comme l'affirment les individualistes, que tous les hommes soient capables de se gouverner. Qu'il n'est pas vrai, non plus, comme l'affirment les socialistes, que tous les hommes soient incapables de se gouverner. D'où la conclusion qu'il faut les laisser pleinement libres, soit de pratiquer le self-government, soit de ne point le pratiquer".

16. Ibid. p. 477: « Si cette multitude incapable du self-government était libre de se placer sous la tutelle qui lui est encore nécessaire il y a apparence qu'elle n'y manquerait point; qu'elle échangerait d'elle-même sa condition misérable et précaire contre une tutelle qui se résoudrait pour elle en une assurance libre contre le paupérisme. »

17. Comment se résoudra..., op. cit., p. 478.

18. Ibid., p. 338.

19. JE, 1849, p. 277 : « Bien que cet article puisse paraître empreint d'utopie dans ses conclusions, nous croyons, néanmoins, devoir le publier ... Tant de gens exagèrent la nature et les attributions du gouvernement, qu'il est devenuutile de formuler strictement la circonscription hors de laquelle l'intervention de l'autorité cesse d'être tutélaire pour devenir anarchique et tyrannique."

20. JE 1849, p. 279 - "S'il est une chose bien établie en économie politique, c'est celle-ci : Qu'en toutes Choses, Pour toutes les denrées servant à pourvoir à ses besoins matériels ou immatériels, le consommateur est intéressé à ce que le travail et l'échange demeurent libres, car la liberté du travail et de l'échange ont pour résultat nécessaire et permanent un maximum d'abaissement dans le prix. et celle-ci: Que l'intérêt du consommateur d'une denrée quelconque doit toujours prévaloir sur l'intérêt.du producteur. Or, en suivant ces principes, on aboutit à cette conclusion rigoureuse: Que la production de la sécurité doit, dans l'intérêt des consommateurs de cette denrée immatérielle, demeurer soumise à la loi de la libre concurrence. D'où il résulte: Qu'aucun gouvernement ne devrait avoir le droit d'empêcher un autre gouvernement de s'établir concuremment avec lui, ou d'obliger les consommateurs de sécurité de s'adresser exclusivement à lui pour cette denrée. »

21. Cours d'économie politique op. cit., p. 483: « Produire de la sécurité, telle est, en résumé, la fonction essentielle des gouvernements. »

22. Ibid., p. 83.

23. Comment se résoudra..., op. cit., p. 402. Molinari décrit ainsi les gouvernements: « Armés du pouvoir irrésistible que leur confère une souveraineté sans limite... protégés contre une concurrence sous sa forme nouvelle par la tance d'un régime de " sujétion ", qui punit comme un acte de haute. trahison toute tentative de séparation des consommateurs de leurs services, investis ainsi d'un monopole qui met à leur merci, en dépit de toutes les gara ties constitutionnelles au autres, les libertés nécessaires de l'individu, liberté du Travail, de l'Échange, de l'Association.... et qui subordonne le droit de propriété de chacun de leur " sujet " à leur droit souverain de taxer, de règlementer, et de s'approprier même telle branche d'industrie qu'ils jugent particulièrement propres a augmenter leurs ressources et à combler leurs déficits... »

24. Cours d'économie politique, op. cil., p. 530.

25. Esquisse de l'organisation..., op. cit., p. 62.

26. Cours d'économie politique, op. cit., p. 532. 27. JE, 1867.

28. Ibid., p. 163.

29. Ibid., p. 166 et suiv. Cf. plus particulièrement pp. 173-174. « ... Sous le régime de la production individualisée, le capital industriel et commercial n'étant guère recueilli que dans les régions supérieures et moyennes de la société, les bénéfices de la production sont le monopole de l'aristocratie et de la bourgeoisie; sous le régime de la production par voie d'association, les capitaux d'entreprise étant demandés en coupures accessibles aux petites bourses et toujours réalisables en cas de nécessité, les classes inférieures, à leur tour, peuvent contribuer à la constitution du capital industriel et commercial, et participer à ses bénéfices. Le monopole des gros capitaux disparaît; le champ fécond de la production est ouvert à l'épargne de l'ouvrier comme à celle de l'entrepreneur d'industrie et du riche propriétaire. »

30. Ibid p. 174 et suiv.

31. Ibid p. 176: « En résumé, ce qu'on pourrait appeler l'organisation naturelle ou utile des entreprises par voie d'association a pour base la liberté de choisir chez les actionnaires, et la liberté d'agir chez le personnel gouvernant. »

32. Ibid., p. 176 et suiv.

33. Ibid., p. 178.

34. JE, IM, p. 21 -. « Si l'association avait, dès le début de la grande industrie, appelé les plus petits capitaux comme les plus grands à participer à I'oeuvre et aux profits de la production agrandie; si elle avait répandu, comme elle le fait aujourd'hui en Angleterre par millions et dizaines de millions les parts de la propriété industrielle, de manière à les faire descendre jusque dans les couches les plus basses de la société, comment l'idée d'un antagonisme entre la classe capitaliste et la classe ouvrière aurait-elle pu surgir? C'est l'absence ou l'insuffisance de l'association, entravée dans son essor par une législation protectrice de l'individualisme, qui a suscité cet antagonisme, c'est l'association devenue libre, et s'étendant peu à peu dans sa sphère naturelle, qui le fera disparaître. »

35. Questions d'Économie politique et de Droit public, op. cit., p. 183 « L'ouvrier est un marchand de travail... Il est intéressé à connaître les débouchés qui existent pour sa denrée et de savoir quelle est la situation des différents marchés du travail. »

36. Les Bourses du travail, op. cit., p. 133. « Si les prix du travail dans les différentes contrées du globe étaient partout parfaitement connus des ouvriers, les salaires seraient donc régularisés, en ce sens que la même quantité de travail finirait par se payer partout à peu près au même taux. »

37. Ibid., p. 137: « De tous points donc, la publicité du travail serait avantageuse aux travailleurs. Il ne nous reste plus qu'à chercher le moyen de l'établir. Ce moyen serait fort simple. C'est la presse qui publie le bulletin de la Bourse et les annonces industrielles: ce serait la presse qui publierait le Bulletin du travail. Nous proposons, en conséquence, à tous les corps d'état de la ville de Paris, de publier gratuitement chaque semaine le bulletin des engagements d'ouvriers avec l'indication du taux des salaires de l'état de l'offre et de la demande... Nous inviterons nos confrères des départements à publier le Bulletin de travail de leurs localités respectives... Chaque semaine, tous les travailleurs de France pourront avoir de la sorte sous les yeux le tableau de la situation du travail dans les différentes parties du pays. »

38. Comment se résoudra..., op. cit., p. 321.

39. Ibid., p. 325: « A mesure que les relations internationales se multiplieront, et que la diversité des monnaies deviendra plus gênante et plus onéreuse, les banques de circulation seront amenées à fixer leurs monnaies sur l'étalon le plus généralement demandé. »

40. Esquisse de l'organisation..., op. cit., p. 95: « La souveraineté individuelle, voilà donc quelle est, en dernière anafyse, la base des institutions politiques de la société future. La souveraineté n'appartient plus à une société propriétaire d'un territoire et d'une population esclave ou sujette, ou à une sorte d'entité idéale, héritière de l'établissement politique de sa devancière et investie, comme elle, d'un droit illimité sur la vie, la liberté et la propriété individuelle. Elle appartient à l'individu lui-même. Il n'est plus un sujet, il est son maître, son propre souverain, et il est libre de travailler, d'échanger les produits de son travail... »

41. Cf. notamment Murray N. Rothbard, An Austrian perspective on the historic of economic Thouhght, vol. 11, éd. Edward Elgar, 1995, qui consacre d'importants développements à notre auteur. Dans le même ordre d'idées, on pourra se reporter à la chronique du Pr. Mouly « Sécurité sociale et concurrence : une réforme constitutionnellement possible », Recueil Dalloz-Sirey 1996, Chronique pp. 24 à 28.


Jean-Michel Poughon, in Aux sources du modèle libéral français, Paris, 1997


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