Henry Hazlitt:L'Économie politique en une leçon - Chapitre XV – Le fonctionnement du système des prix

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Henry Hazlitt:L'Économie politique en une leçon - Chapitre XV – Le fonctionnement du système des prix


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Chapitre XV - Le fonctionnement du système des prix

Toute l'argumentation de ce livre peut se résumer dans cette affirmation que, pour bien étudier les effets d'une mesure économique quelconque, il faut en examiner non seulement les résultats immédiats mais aussi les résultats lointains, et envisager non seulement ses premières conséquences mais également ses conséquences secondaires, examiner non seulement les résultats qu'elle aura pour un groupe social donné, mais encore ceux qu'elle aura pour le public en général.

Il s'ensuit qu'il est puéril et erroné d'accorder toute notre attention à l'examen d'un point particulier - de considérer, par exemple, ce qui se passe dans une certaine industrie sans voir ce qui arrive dans toutes les autres. Or c'est précisément de cette habitude paresseuse et persistante de ne s'occuper que d'une industrie particulière ou d'une méthode particulière, en l'isolant des autres, que découlent les plus graves erreurs au point de vue économique. Ces erreurs se retrouvent constamment dans les thèses des auteurs à la solde de tels ou tels intérêts particuliers, et aussi dans celles de certains économistes réputés sérieux.

C'est ainsi que la doctrine de l'école qui prône "la production en vue de l'utilité publique et non en vue du profit", et qui dénonce les prétendus "vices" du système des prix, est basée en fin de compte sur l'idée fausse que l'isolationnisme peut exister dans le domaine économique. Le problème de la production, nous disent ces gens, est résolu - erreur monumentale qui, nous le verrons, est aussi le point de départ de la plupart des inepties qu'on prononce en ce qui concerne la monnaie et des boniments de charlatans sur le partage des biens. Le problème de la production est résolu, disent-ils. Les savants, les experts, les ingénieurs et les techniciens l'ont résolu. Ils pourraient à leur gré produire n'importe quel bien qu'il vous plairait de nommer, en quantité illimitée. Le mal est que le monde n'est pas régi par des techniciens dont le seul souci est de produire, mais par des hommes ‘affaires qui, eux, ne pensent qu'au profit. Ce sont ces hommes d'affaires qui donnent leurs ordres aux ingénieurs, alors que ce devrait être l'inverse. Ces hommes d'affaires sont prêts à produire n'importe quoi s'ils y trouvent leur profit, mais dès l'instant où un article ne rapporte plus rien, ces méchants hommes d'affaires cesseront de le fabriquer, même si les besoins d'une partie du public ne sont pas satisfaits, et qu'elle que soit la demande de cet article.

ce point de vue renferme des erreurs si nombreuses qu'il est impossible de les analyser d'un seul coup. Toutefois l'erreur primordiale consiste, ainsi que nous l'avons déjà donné à entendre, à ne tenir compte que d'une industrie unique ou à considérer successivement plusieurs industries, comme si chacune d'elles était un tout isolé. En fait chacune d'elles existe par rapport à toutes les autres, et toute décision importante prise à propos de l'une d'elles affecte toutes les autres.

Nous nous en rendrons mieux compte si nous comprenons le problème essentiel que toute l'industrie considérée dans son ensemble doit s'efforcer de résoudre. Pour simplifier le plus possible, examinons le problème que doit résoudre un Robinson Crusoé naufragé dans son île déserte. A première vue ses besoins paraissent illimités. Il est trempé jusqu'aux os et frissonne de froid, il a faim et soif. Tout lui manque, l'eau potable, la nourriture, un toit, les moyens de se protéger contre les animaux sauvages, et il n'a ni feu ni lieu. Il lui est radicalement impossible de satisfaire à la fois tous ses besoins, il n'en a ni le temps, ni la force, ni les moyens. Il lui faut parer immédiatement au besoin le plus pressant. Supposons qu'il souffre, avant tout, de la soif : il creuse un trou dans le sable pour recueillir l'eau du ciel, ou il façonne un récipient rudimentaire. Quand il s'est procuré de la sorte une petite quantité d'eau, il lui faut chercher à se procurer de la nourriture avant de pouvoir songer à améliorer de façon durable sa façon de recueillir de l'eau. Il peut essayer de pêcher, mais il lui faut, pour cela, posséder soit une ligne et hameçon, soit un filet, qu'il doit d'abord fabriquer. Ainsi tout ce qu'il fabrique l'empêche de faire une autre chose moins urgente. Il est constamment ramené en face du problème du choix des applications pratiques de son travail et de son temps.

Pour le Robinson Suisse et sa famille, le problème, il est vrai, paraît un peu plus facile. Il y a plus de bouches à nourrir mais aussi plus de bras au travail ; on peut pratiquer la spécialisation et la division du travail. Le père chasse, la mère prépare les aliments, les enfants ramassent du bois. Mais cette famille elle-même ne peut se permettre de faire faire indéfiniment la même besogne à l'un de ses membres sans tenir compte de l'urgence relative du besoin commun que cette besogne permet de satisfaire, en négligeant l'urgence d'autres besoins encore non satisfaits. Quand les enfants ont amassé un tas de bois d'une certaine hauteur, on ne peut les employer à en empiler davantage. Il est bientôt temps de les envoyer faire autre chose, chercher de l'eau, par exemple. En outre, la famille doit constamment envisager le problème de faire un choix parmi des alternatives possibles de travail, et si elle a la chance de posséder des fusils, du matériel de pêche, un bateau, des haches, des scies, etc., elle devra choisir entre des alternatives possibles d'emploi de son travail et de ses instruments. Il serait d'une inconcevable sottise de la part du membre de la famille préposé au ramassage du bois de se plaindre qu'il pourrait en accumuler davantage si son frère l'aidait toute la journée, au lieu d'aller pêcher le poisson nécessaire au déjeuner familial. Chacun reconnaît avec évidence qu'en ce qui concerne l'individu ou la famille isolée, une occupation déterminée ne peut s'exercer qu'aux dépens de toutes les autres occupations.

Les illustrations simplifiées du genre de celles que nous venons de donner sont parfois ridiculisées sous le nom de robinsonnades. Malheureusement ceux qui les tournent le plus en ridicule sont ceux précisément qui en ont le plus besoin, ceux qui ne saisissent pas le principe particulier démontré par ce bien simple exemple, ou encore ceux qui le perdent complètement de vue lorsqu'ils examinent l'incroyable complexité d'une grande communauté économique moderne. On le résout précisément grâce au système des prix, grâce au changement continu qui s'opère dans les apports entre prix de revient, prix de vente et bénéfices.

Les prix sont fixés par le rapport entre l'offre et la demande, et à leur tour, ces prix influent sur l'offre et sur la demande. Quand un article est demandé plus qu'un autre, on offre davantage pour l'avoir, ce qui fait monter les prix et les bénéfices. Comme il devient plus avantageux de fabriquer le dit article plutôt que tout autre, ceux qui le fabriquaient augmentent leur production, et d'autres personnes seront attirées vers cette industrie. Il en résulte un accroissement de la production et une baisse des prix, ce qui réduit les bénéfices, jusqu'au jour où la marge de profit que laisse la fabrication de l'article en question n'est plus supérieure à celle qu'on tire de la production d'autres articles différents, dans d'autres industries (compte tenu, bien entendu, des risques relatifs). A ce moment, ou bien la demande de l'article considéré se met à faiblir, ou bien la production s'accroît à un degré tel qu'il y a moins d'avantage à le fabriquer qu'à fabriquer autre chose ; peut-être même le fabrique-t-on à perte. En ce dernier cas, les producteurs "marginaux", j'entends les moins adroits ou ceux font les prix de revient sont les plus élevés, seront éliminés du marché. L'article ne sera plus produit que par les meilleurs fabricants, c'est-à-dire qui travaillent à meilleur compte. La production de l'article diminuera ou du moins cessera d'augmenter.

Ce processus est à l'origine de l'idée selon laquelle les prix de vente sont fonction des prix de revient. Cette doctrine, ainsi énoncée, est fausse. Ce sont l'offre et la demande qui déterminent les prix, et la demande est déterminée par le besoin plus ou moins grand que les gens ont d'une chose, et par ce qu'ils ont offrir en échange. Il est exact que la production est en partie déterminée par le prix de revient, mais ce qu'un article a coûté à produire dans le passé ne saurait en déterminer la valeur. Celle-ci dépendra du rapport présent entre l'offre et la demande. Mais les prévisions des industriels relativement à ce qu'un article coûtera à produire, et à ce qu'il vaudra dans l'avenir, détermineront l'extension de leur fabrication, et celle-ci, à son tour, influera sur l'approvisionnement futur du marché. Le prix d'un article et son coût marginal de production tendent donc constamment à s'égaliser, mais ce n'est pas le coût marginal de production qui influe directement sur le prix.

On peut donc comparer le système de l'entreprise privée à un millier de machines, réglées chacune par un "régulateur" quasi automatique et qui pourtant sont toutes reliées entre elles et interdépendantes, en sorte qu'elles marchent en fait comme une grande machine unique. Nous avons tous observé le régulateur automatique d'une machine à vapeur : il est généralement constitué par deux boules ou deux poids mus par la force centrifuge. Au fur et à mesure que s'accroît la vitesse de la machine, ces boules s'éloignent du piston auquel elles sont reliées et diminuent ainsi, ou ferment complètement, l'ouverture d'une soupape qui régularise l'entrée de la vapeur et ralentit ainsi la vitesse. Si au contraire la machine va trop lentement, les boules en retombant, élargissent l'ouverture de la soupape, ce qui augmente la vitesse. Ainsi chaque écart de la vitesse initiale met en jeu des forces qui tendent à le corriger.

Il en est exactement de même dans le monde économique où la demande relative de milliers de machines se trouve régularisée grâce au système de la concurrence des entreprises privées. Chaque fois que la demande d'une marchandise s'accroît, la concurrence des acheteurs en fait hausser le prix. Cela augmente les bénéfices du fabricant, et cela même l'incite à produire davantage. Cela aussi incite les fabricants d'autres produits à interrompre leur fabrication antérieure et à se mettre à fabriquer ce produit qui est d'un meilleur bénéfice. Mais alors ce produit inonde le marché, tandis que d'autres se raréfient. Son prix tombe par rapport à celui des autres et le fabricant n'est plus incité à en accroître la production.

De la même manière, si la demande d'un produit s'effondre, son prix, ainsi que le bénéfice du fabricant, diminue, et la production s'en ralentit.

C'est ce dernier développement de l'opération économique qui scandalise ceux qui ne peuvent arriver à comprendre ce "système des prix" qu'ils dénoncent. Ils l'accusent de créer la rareté. Pourquoi, demandent-ils indignés, le fabricant arrête-t-il la production des chaussures quand il arrive au point où il ne retire plus aucun bénéfice de sa production ? Pourquoi se laisse-t-il guider uniquement par l'appât du gain ? Pourquoi se laisse-t-il guider par l'évolution du marché ? Pourquoi ne fabrique-t-il pas de chaussures "jusqu'à la pleine capacité des moyens de la technique moderne ?" Le système des prix et de l'entreprise privée, concluent nos philosophes de la "production en vue de l'utilité" n'est qu'une forme de l'économie de rareté.

Ces questions et les conclusions qu'on en tire proviennent, elles aussi, de l'erreur qui consiste à considérer telle industrie isolément, de ne voir qu'un arbre et d'ignorer la forêt. Il est certes nécessaire de fabriquer des chaussures, mais il faut aussi produire des manteaux, des chemises, des pantalons, des maisons, des charrues, des pelles, des usines, des ponts, du lait et du pain. Il serait, en effet, absurde de continuer à fabriquer des montagnes de chaussures en excédent, parce que cela est possible, tandis que des centaines de besoins urgents resteraient non satisfaits.

Mais, dans une économie en équilibre, nulle industrie ne peut se développer qu'aux dépens des autres. Car, à tout moment, les facteurs de la production sont en quantité limitée. Une industrie qui se développe ne peut le faire que si elle s'assure la main-d'oeuvre, la terre et le capital qui autrement seraient au service d'autres entreprises. Et s'il arrive que cette industrie réduise ou arrête ses fabrications, cela ne veut pas nécessairement dire que l'ensemble de la production connaisse un déclin. Il se peut que la réduction de production dans cette industrie n'ait fait que libérer de la main-d'oeuvre et du capital, ce qui va permettre à d'autres industries de naître et grandir. Il est donc faux de conclure que si la production faiblit dans un secteur, la production entière faiblit également.

On peut donc simplifier et affirmer que tout objet n'est fabriqué qu'aux dépens d'un autre. Les coûts de production eux-mêmes pourraient être définis comme des choses qu'on a sacrifiées (les loisirs et les plaisirs, les matières premières avec les divers emplois qu'on aurait pu en faire) en vue de créer l'objet qu'on a choisi de faire.

Il s'ensuit que dans une économie saine et dynamique, il est tout aussi essentiel de laisser mourir les industries languissantes ou malades que d'aider à grandir celles qui sont florissantes. Et ce n'est guère que le système des prix tant décrié qui peut résoudre le problème compliqué de savoir ajuster les unes aux autres les quantités respectives qu'il y a lieu de produire dans les dizaines de milliers de catégories d'objets et de services dont la société a besoin. Ces sortes d'équations, effarantes de complexité, trouvent leur solution presque automatiquement grâce au jeu du système : prix, profits et coûts. Elles le trouvent ainsi beaucoup mieux que si n'importe quel groupe de bureaucrates devait s'en charger. Car elles sont résolues grâce à un système où, chaque jour, chaque consommateur jette librement sur le marché son bulletin de vote ou même une douzaine de bulletins nouveaux.

Le bureaucrate qui voudrait résoudre lui-même le problème ne donnerait pas forcément aux consommateurs ce qu'ils désirent, mais déciderait lui-même de ce qui leur convient.

Pourtant, bien que les bureaucrates ne comprennent pas le système quasi automatique du marché, ils ne cessent d'en être troublés et de vouloir le corriger ou l'amender, la plupart du temps sous la pression réitérée de certains groupes dont il sert ainsi les intérêts particuliers.

Nous verrons, dans les chapitres suivants, quelques-uns des effets de cette intervention.



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