Questions économiques à l’ordre du jour - Quatrième partie : L'évolution du protectionnisme

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Questions économiques à l’ordre du jour - Quatrième partie : L'évolution du protectionnisme


Anonyme


Quatrième partie : L'évolution du protectionnisme

I.

L'homme obéit, comme toutes les autres créatures, à la loi de l'économie des forces ou du moindre effort. Sous l'impulsion de cette loi naturelle, il invente des outils, des machines et découvre des procédés qui lui procurent, en échange de la même somme de travail, une quantité croissante de produits. Sous l'impulsion de la même loi, il localise ses industries dans les régions où le sol, le climat et les autres agents ou matériaux nécessaires à la production lui permettent de réduire au minimum sa dépense de forces productives.

Cependant l'invention des outils et des machines, la découverte des procédés qui économisent le travail, aussi bien que la recherche des localités les mieux adaptées à chaque industrie, exigent un surcroît d'efforts et de peine que la perspective incertaine d'une épargne de travail ou d'une augmentation de profit ne suffirait pas à susciter, si une autre loi naturelle, la concurrence, n'intervenait pas pour l'imposer.

Sous sa forme économique, la concurrence est née de la division du travail et de l'échange.

Les hommes ont commencé par produire eux-mêmes, comme les animaux inférieurs, individuellement ou par association, toutes les choses nécessaires à leur subsistance. Mais, parmi ces choses, il en est qui demandent aux uns une forte dépense de travail, une moindre dépense aux autres, et réciproquement. En les échangeant ils réalisent, les uns et les autres, une économie de travail et de peine, et cette économie va croissant à mesure que la division du travail et les progrès dont elle est la source réduisent la somme d'efforts et de peine que coûte un produit. Mais, avec la division du travail et l'échange apparaît la concurrence. Dès que le travail se divise, dès que les hommes cessent de produire eux-mêmes les choses qu'ils consomment, dès qu'ils se bornent à créer un produit ou à coopérer à sa création, non plus en vue de le consommer mais en vue de l'échanger, ils se font concurrence pour l'offrir. Qui l'emportera dans cette lutte ? Les plus forts, ceux qui produisent au meilleur marché.

La concurrence apparaît ainsi comme la sanction de la loi de l'économie des forces. Elle oblige les producteurs à s'ingénier à réduire leurs frais de production, en employant le personnel le plus capable, l'outillage le plus perfectionné et en établissant leurs entreprises dans les régions et les localités les mieux appropriées à la nature de leur industrie, en un mot, en réalisant tous les progrès qui rendent plus fort, sous peine de ne pouvoir échanger leurs produits dans un état de la production où l'échange est devenu, de plus en plus, le mode d'acquisition des matériaux de la vie. Elle élimine ainsi le caput mortuum des retardataires.


II.

Les lois de l'économie des forces et de la concurrence sont les moteurs des progrès de l'industrie humaine. Voyons maintenant quel en est le processus. Le premier de ces progrès, celui qui a donné naissance à tous les autres, c'est l'invention du procédé de l'échange. Du moment où l'homme a eu recours à ce procédé pour se procurer, avec moins de travail et de peine, un produit dont il avait besoin, la division du travail a pu s'établir, mais elle n'a pu se développer que par l'extension de la sphère de l'échange, autrement dit par l'agrandissement du marché ou du débouché. Adam Smith a montré d'une manière saisissante combien, en appliquant à une seule opération les forces productives d'un ouvrier, on réduisait les frais de fabrication des épingles ; mais encore faut-il que le marché soit assez étendu pour absorber la totalité des produits de ce mode perfectionné de production, sinon il est plus économique d'employer moins d'ouvriers, en faisant exécuter à chacun plusieurs des opérations que comporte la fabrication d'une épingle. Il en est ainsi de toute augmentation de la puissance productive. Il faut que le marché soit assez étendu pour absorber le surcroît de produits qu'elle donne. Or, sous l'impulsion de la concurrence, l'industrie est continuellement excitée à réaliser les progrès qui augmentent sa puissance productive. Elle presse donc sur les limites de son marché et s'efforce de les étendre. C'est ainsi que, par une action réciproque, l'extension des marchés détermine l'augmentation de la puissance productive et que celle-ci provoque l'extension des marchés.

Si l'on considère la situation actuelle de l'industrie des peuples civilisés, on demeure émerveillé de l'énorme accroissement de la puissance productive de la plupart de ses branches. Michel Chevalier en donnait des exemples typiques dans son remarquable rapport sur l'Exposition universelle de 1867, et, depuis cette époque, les progrès qu'il signalait se sont encore accélérés et étendus. C'est ainsi que l'industrie agricole, demeurée longtemps en retard, s'est mise au niveau de l'industrie manufacturière. Mais les progrès les plus saisissants sont ceux qui répondaient au besoin d'extension de la sphère des échanges, suscité par l'augmentation générale de la puissance productive. L'application de la vapeur et de l'électricité à la locomotion a répondu à ce besoin ; elle a abrégé des neuf dixièmes et davantage les distances pour le transport des hommes et des produits, elle les a supprimées pour les communications immatérielles.

Quels sont les effets de cet ensemble de progrès, et quelle perspective ouvrent-ils devant nous ?

En supposant que la puissance productive continue à s'accroître, et nous n'apercevons pas de limites à son accroissement, elle nous permet d'espérer qu'un temps viendra où l'homme obtiendra, en échange d'un minimum d'efforts et de peine, les produits nécessaires à la satisfaction la plus complète des besoins, auxquels l'immense majorité ne peut encore pourvoir que d'une manière insuffisante. Mais les progrès de la puissance productive dépendent de l'extension de son marché, et cette extension n'a pour limites que celles de notre globe. Déjà, le « marché mondial » est librement ouvert à un certain nombre de produits, tels que les métaux monétaires ; il le serait à tous, si les obstacles naturels qui le morcelaient n'avaient pas été remplacés à mesure qu'ils allaient s'aplanissant, par l'obstacle artificiel de la douane. Supposons que cet obstacle vienne à disparaître, que les industries de toutes les nations aient librement accès sur le marché mondial et s'y fassent concurrence, quel sera le résultat de cette extension et de cette unification de leurs débouchés ? Ce sera de les obliger à réaliser incessamment les progrès qui rendent plus fort. Ces progrès peuvent être rangés en trois catégories : 1" Augmentation de la capacité du personnel de la production ; 2° accroissement de la puissance du matériel ; 3" Etablissement des différentes branches de la production dans les régions et les localités ou le sol, le sous-sol et le climat sont le mieux adaptés à leur nature. Et le résultat final de ces progrès, suscités par la pression de la concurrence universalisée, sera l'augmentation, de plus en plus rapide, de la puissance productive, partant de la richesse jusqu'à un point marqué par les limites de la capacité productive de l'homme, de la puissance de son matériel et des ressources exploitables que la nature a mises à sa disposition.

C'est vers ce point idéal que l'espèce humaine s'est acheminée dès sa naissance, lentement d'abord, puis avec une accélération croissante. Seulement, chacun de ces progrès nécessite un effort et est acheté par une souffrance. C'est pourquoi, tout en éprouvant le besoin d'améliorer son sort, la multitude s'est montrée, de tous temps, hostile aux progrès qui l'améliorent et s'est ingéniée à se protéger contre eux. Le protectionnisme, dans ses branches multiples - car il ne réside pas exclusivement dans la protection douanière - est issu de ce sentiment de répulsion, sinon contre le progrès, du moins contre les efforts et les peines au prix desquels il s'achète. Mais, le progrès n'en demeure pas moins le plus fort. Il renverse les obstacles que la nature lui oppose, et ceux que l'homme lui-même y ajoute. Une simple esquisse de la genèse de cette branche du protectionnisme que l'on a désignée sous le nom de système protecteur du travail national, nous en fournira la preuve. Nous verrons comment ce système est né, a grandi, et comment, après avoir parcouru les phases successives de son évolution, se détruira lui-même, mais non sans avoir ralenti l'essor de l'activité humaine, et causé des pertes et des souffrances supérieures à celles qu'il avait pour objet d'épargner.


III.

C'est seulement depuis l'apparition des progrès qui suppriment l'obstacle des distances auxquels se joignent ceux qui établissent, dans toutes les régions du globe, la sécurité indispensable aux échanges, que l'on a pu concevoir la possibilité de la fusion de la multitude des marchés locaux ou nationaux en un marché unifié et universalisé. Aussi loin que nous pouvons remonter dans le cours de l'histoire, nous trouvons les différentes variétés de l'espèce humaine, partagées d'abord en clans, en tribus, en nations, séparées et hostiles. Chacune de ces fractions d'humanité occupe un domaine qu'elle s'est appropriée et d'où elle commence par exclure rigoureusement les étrangers. Ces domaines sont inégalement pourvus de ressources naturelles : ceux où elles abondent, telles que les vallées du Nil, de l'Euphrate, du Gange, sont l'objet des convoitises et attirent les invasions des peuples qui occupent des régions moins favorisées par la nature. Dans cet état d'isolement et de guerre, un peuple ne pouvait subsister qu'à la condition de tirer de son domaine tous les matériaux nécessaires à la vie : nourriture, vêtements, logement, instruments de production et, plus encore, de destruction. En d'autres termes, il était obligé de se suffire à lui-même.

Quel était, dans cet état de choses, le régime de la production et de l'échange ? A l'intérieur de chaque pays, les marchés étaient localisés par l'obstacle naturel des distances, l'absence ou l'insuffisance des moyens de communication. Chaque province, ou même chaque canton, produisait la presque totalité des choses nécessaires à la consommation de ses habitants. Les campagnes fournissaient les matériaux de l'alimentation, dont les producteurs consommaient eux-mêmes la plus grande partie ; les industries qui pourvoyaient au vêtement, à l'habitation, à la fabrication des armes et des outils, se concentraient dans des bourgs ou des villes, le plus souvent fortifiées. L'obstacle naturel des distances, auquel se joignait le défaut de sécurité, en limitant ainsi les marchés, les appropriait aux producteurs locaux. De là, un mode d'organisation de l'industrie que l'on retrouve dans les plus anciennes sociétés, en Egypte, en Chaldée et dans l'Inde, et qui a subsisté jusqu'aux temps modernes : l'organisation en corporations ou en castes fermées. Comment ces corporations, que l'on peut considérer comme les ancêtres de nos trusts, se sont constituées dans notre moyen âge par exemple, on peut aisément s'en rendre compte. Les serfs ou les sujets d'une seigneurie, qui avaient acquis la connaissance d'un métier, obtenaient de leur seigneur le droit d'exercer ce métier pour leur propre compte. Rassemblés dans le même voisinage, dans le même quartier, dans la même rue, où ils se faisaient concurrence, ils ne tardaient pas à s'apercevoir qu'ils trouveraient profit à s'associer pour se rendre maîtres des prix et les porter à un taux supérieur à celui auquel la concurrence les obligeait à les réduire. Les corporations se constituèrent dans ce but, comme aujourd'hui les trusts, et telle fut la première forme du protectionnisme industriel. Seulement, la protection dont jouissaient les corporations était plus complète que celles que les tarifs de douane confèrent aux trusts, car leurs membres possédaient seuls le droit - qu'ils avaient acheté - d'approvisionner le marché de la seigneurie. Ajoutons qu'il fallut bientôt réprimer l'abus de leur monopole : la coutume, ou la loi, établie par le pouvoir seigneurial, royal ou communal, y pourvoyait comme font actuellement, aux Etats-Unis, les lois et règlements destinés à refréner les trusts.

Mais quand même les lois et les coutumes auraient réussi à réprimer l'abus du monopole des corporations, il y avait un effet inévitable de la suppression de la concurrence contre lequel elles demeuraient impuissantes : c'est l'arrêt du progrès industriel. L'industrie corporative demeura livrée à une routine séculaire. Au lieu d'accueillir et d'appliquer les inventions qui auraient amélioré ses procédés et augmenté la puissance de son outillage elle persécuta les inventeurs et mit pour ainsi dire le progrès à l'index. Cette hostilité contre des inventions qui devaient, plus tard, augmenter à un si haut point sa puissance productive et ses profits, semble, d'abord, incompréhensible ; elle s'explique quand on analyse les effets de tout progrès.

Si les progrès de l'outillage engendrent un bénéfice futur par l'augmentation de la puissance productive et l'abaissement des frais de production, ils causent toujours un dommage immédiat aux chefs d'industrie et aux ouvriers, en obligeant les premiers à mettre au rebut leur vieil outillage et à faire la dépense d'un nouveau, en remplaçant, en partie, le travail physique des seconds par un travail mécanique, et en contraignant ceux qui demeurent à s'adapter à un outillage auquel ils ne sont point accoutumés. Or, l'appréhension d'un dommage immédiat l'emportant chez le plus grand nombre des hommes sur la perspective d'un bénéfice futur, ils répugnent au progrès et ne s'y résignent que sous l'inexorable pression de la concurrence, non sans avoir longtemps traité en ennemis ou considéré comme des fous dangereux ceux qui entreprenaient de les faire sortir de leur routine. L'hostilité contre les inventions nouvelles a cessé, chez les industriels, depuis que la concurrence les a obligés d'y recourir sous peine d'être expulsés du marché des échanges ; elle a persisté chez les ouvriers, tout en s'affaiblissant à mesure que le dommage immédiat qu'elles leur causent a diminué grâce à l'extension des marchés du travail, et surtout depuis qu'ils ont pu mieux apprécier les bénéfices qu'elles leur promettent.

Tandis que le monopole des corporations, en enrayant les progrès de l'industrie, la retenait dans les limites étroites des marchés locaux, la production alimentaire, dont le débouché était plus limité encore par la nature de ses produits, s'immobilisait de même dans sa routine, faute du stimulant de la concurrence. La production ne s'y séparait point du commerce. Les producteurs apportaient eux-mêmes, sur les marchés avoisinants des bourgs ou des villes, la portion de leurs denrées qu'ils ne consommaient point et dont le produit leur servait à s'acquitter de leurs impôts et redevances. De bonne heure, cependant, on voit apparaître les marchands de grains. Mais, dans des marchés étroitement limités par l'obstacle naturel des distances, l'insuffisance et la cherté des moyens de communication, le défaut ou l'état précaire de la sécurité, ce commerce, séparé de la production proprement dite, ne comportait qu'un petit nombre d'entreprises. Il suffisait aux marchands de grains de s'entendre et de constituer un « trust » pour se rendre maîtres du marché, et d'acquérir ainsi le pouvoir d'abaisser leur prix d'achat, puis d'élever leur prix de vente au double détriment des producteurs et des consommateurs. L’hostilité à laquelle ces pratiques du monopole les mettaient en butte de la part des uns et des autres, les lois et les règlements que l'on établissait pour refréner l'abus qu'ils faisaient de leur pouvoir, en réduisant le nombre des gens disposés à braver l'animadversion populaire, et à subir la gêne de la réglementation, avaient pour effet inévitable d'accroître ce pouvoir et d'en aggraver l'abus.

En résumé, la grande masse des articles de consommation était produite dans l'enceinte des frontières de chaque nation et ne dépassait pas les limites d'une province ou même d'un canton. Dans ces limites, l'organisation protectionniste des corporations, en supprimant la concurrence, enrayait les progrès de l'industrie et empêchait son expansion en dehors de la sphère étroite où elle se trouvait confinée.


IV.

Cependant, quelle que soit la diversité des produits naturels d'un pays, il y a des articles de consommation dont il ne possède point ou dont il ne possède qu'en quantité insuffisante les matériaux. Ces articles, la nation est obligée de les chercher au dehors de ses frontières. Elle ne peut se les procurer que de deux manières : par le vol ou par l'échange. Le premier de ces procédés a été d'abord employé de préférence, et la piraterie a été pendant longtemps, la plus florissante et la plus honorée des industries. Ce fut seulement lorsqu'elle cessa de « payer », que l'on eut recours au procédé de l'échange et qu'apparurent les rudiments du commerce international. Les articles indispensables à la subsistance et à la sécurité de la nation étaient produits dans le pays même, les importations consistaient seulement en métaux précieux, nécessaires à la fabrication de la monnaie, et en articles de luxe. C'étaient, généralement, des produits des régions du Nord qui s'échangeaient contre ceux des régions du Midi. Des intermédiaires étaient indispensables pour opérer ces échanges, d’articles provenant de pays plus ou moins éloignés. Tels étaient les Phéniciens et les Carthaginois dans l'antiquité ; les Vénitiens, les Génois, les Anséates, au moyen âge. Mais le besoin des articles de luxe ou de confort n'était pas assez répandu pour rétribuer un commerce à demeure. Il s'opérait d'une manière intermittente, dans des localités et à des époques fixées par les convenances des échangistes, et ces marchés temporaires, ces « foires », subsistèrent partout ,jusqu'à ce que la population, en s'accroissant et s'enrichissant, pût alimenter un commerce permanent. Dans cet état des choses, les produits que l'on tirait du dehors ne faisaient point concurrence à ceux des industries indigènes, et celles-ci ne demandaient point une protection qui leur eût été inutile. Aussi, les droits établis dans les foires et aux frontières étaient-ils purement fiscaux, et ils conservèrent ce caractère, soit qu'ils fussent perçus à l'entrée ou à la sortie, aussi longtemps que les obstacles de la distance et de l'insécurité suffirent à empêcher l'importation des produits de la même nature que ceux dont ces obstacles avaient assuré le monopole aux industries indigènes.

Comment la protection s'est-elle greffée sur la fiscalité ? Quoique les origines du protectionnisme soient demeurées encore obscures, on les rattache, d'habitude, à la croyance, autrefois générale, que les métaux précieux, l'or et l'argent, matières premières de la monnaie, constituaient seuls la richesse. N'est-ce pas, en effet, avec la monnaie que l'on se procure toutes les choses nécessaires à la vie ? D'où l'on concluait qu'un pays était d'autant plus riche que l'or et l'argent y abondaient davantage. Cependant, cette erreur économique des consommateurs de monnaie n'aurait pas eu, à elle seule, le pouvoir d'engendrer une législation protectionniste, si elle ne s'était point accordée avec l'intérêt des producteurs. De bonne heure, les gouvernements s'étaient attribués, dans l'intérêt prétendu des consommateurs, le monopole de la fabrication de la monnaie, et ils tirèrent longtemps de l'exploitation de ce monopole, une portion importante de leurs revenus sous forme de seigneuriage. Ils étaient par conséquent intéressés, comme tous les autres monopoleurs, à se préserver de la concurrence et c'est pourquoi ils interdisaient rigoureusement l'emploi des monnaies étrangères. A cet intérêt s'enjoignait un autre qui n'était pas moindre : celui de se procurer, au meilleur marché possible, la matière première, ce qui leur permettait d'abaisser leur prix de revient et d'augmenter leur profit sans diminuer la quantité de métal précieux contenue dans la monnaie. A la vérité, ils pouvaient encore obtenir le même résultat en réduisant la quantité et en altérant la qualité de la matière première, or ou argent, et ils ne résistaient pas toujours à la tentation de recourir à ce procédé frauduleux. Mais la multiplication de cette monnaie affaiblie ou altérée ne manquait point de la déprécier, et, en causant des perturbations analogues à celles qu'a produites, plus tard, le papier-monnaie, de provoquer les plaintes, parfois même les révoltes des consommateurs de monnaie [1]. Il était donc préférable de chercher, dans l'abaissement du prix des matières premières monétaires, l'augmentation du profit du seigneuriage. C'est ainsi que les gouvernements furent amenés, tant pour se défendre contre la concurrence des monnayeurs étrangers que pour se procurer à bon marché leurs matières premières, à mettre leur pouvoir de fabricants de lois au service de leur fabrique de monnaie. Les expédients auxquels ils eurent recours pour obtenir en abondance, et à bas prix, ces matériaux indispensables de leur industrie monétaire, étaient de différentes sortes. Ils employèrent d'abord celui qui leur paraissait le plus efficace et le plus facile, savoir la prohibition de l'exportation des métaux précieux, soit sous forme de matières premières, soit sous forme de monnaie. Mais si ce procédé pouvait empêcher les métaux précieux de sortir du pays, il n'avait pas la vertu de les y faire entrer. Les gouvernements monnayeurs en empruntèrent alors un autre à la pratique commerciale qui avait fait découvrir, bien avant

J.-B. Say, que les produits s'échangent contre des produits. Ils s'efforcèrent de développer l'exportation des articles contre lesquels s'échangeaient les métaux précieux, en étendant, au profit des industries qui les produisaient, l'application du procédé qu'ils employaient eux-mêmes : la prohibition à la sortie des matières premières ; en même temps, et dans le même but, il s'appliquaient à diminuer la consommation des produits dont l'importation faisait concurrence à celle des métaux précieux. Les lois somptuaires, qui limitaient la consommation des articles de luxe, tirés, pour la plus grande part, de l'étranger, furent établies autant dans l'intérêt matériel des gouvernements fabricants de monnaie, que dans l'intérêt moral de leurs sujets.

Cet ensemble de mesures inspirées par l'intérêt du monopole monétaire, a été le premier embryon du protectionnisme. Comme toutes les pratiques, bonnes ou mauvaises, celles-ci ont donné naissance à une théorie destinée à les justifier. Cette théorie, dite de la balance du commerce, avait l'avantage de s'accorder avec la croyance populaire qui attribuait à la seule monnaie la qualité de richesse, et, par conséquent, de laisser sans échos les objections qu'aurait pu soulever le protectionnisme monétaire. Si la monnaie constitue seule la richesse, une nation est évidemment intéressée à exporter plus de marchandises qu'elle n'en importe, et à recevoir la différence en or et en argent, matières premières de la monnaie. Elle s'enrichit quand la balance lui est favorable, elle s'appauvrit dans le cas contraire. Quoique l'expérience et la science aient fait justice de cette théorie, quoique les gouvernements ne soient plus intéressés à la soutenir depuis qu'ils ont renoncé au profit du seigneuriage, elle est demeurée enracinée dans l'esprit des protectionnistes, et ils continuent encore à l'invoquer. Tant l'erreur a la vie dure.


V.

Organisées en corporations et en possession d'un marché dont elles avaient acquis le monopole, et que l'obstacle naturel des distances et l'état de guerre presque permanent, défendaient suffisamment contre la concurrence extérieure, la généralité des industries n'éprouvaient pas le besoin d'être protégées par des barrières artificielles. Ce besoin, elles le ressentirent seulement lorsque l'invention de la boussole, de l'astrolabe, des postes, d'une part, l'établissement de la paix intérieure par l'extinction du régime féodal, de l'autre, en supprimant les obstacles des distances et de l'insécurité, eurent commencé à mettre en communication les marchés qu'elles monopolisaient et à en ouvrir de nouveaux. Elles demandèrent alors au gouvernement de sauvegarder leur monopole par les mêmes procédés qu'il avait mis en oeuvre pour protéger le sien [1].

Cette demande de protection était motivée par les dangers que leur faisait courir la concurrence, dangers très réels, mais contre lesquels elles auraient pu se protéger elles-mêmes, s'il ne leur eût paru plus facile et moins coûteux de recourir à la protection du gouvernement.

Comme nous l'avons vu plus haut, aussi longtemps que les marchés étaient demeurés morcelés et isolés, les industries indispensables à l'existence de la nation avaient dû s'y créer, si mal adaptées que fussent quelques-unes de ces industries au sol, au climat et aux aptitudes des populations. A cette cause naturelle d'infériorité s'ajoutait l'inégalité générale d'avancement de l'industrie d'un pays, et parfois d'une province du même pays à une autre, Quel était l'effet inévitable des progrès qui mettaient en communication des localités dont les industries étaient inégalement avancées, et quelques-unes même hors d'état de soutenir la concurrence d'industries mieux situées ? C'était d'obliger celles-là de se mettre au niveau de progrès de la concurrence que le progrès avait fait surgir, ce qui obligeait les industriels à faire des efforts extraordinaires et à s'imposer des sacrifices onéreux ; c'était, pis encore, de condamner celles-ci à se déplacer sous peine de périr. Or, dans l'un ou l'autre cas, soit qu'il s'agit, pour les industriels, de se mettre au niveau de leurs concurrents par le renouvellement de leurs procédés et de leur outillage, ou de surmonter les difficultés et de supporter les frais d'un déplacement, le bien futur que leur promettait l'élargissement du marché était acheté par des sacrifices et des dommages actuels. Et comme la perspective d'un bien futur, dût-il profiter à leurs semblables aussi bien qu'à eux-mêmes, ne compense pas, aux yeux du plus grand nombre des hommes un mal actuel qui les atteint en particulier, on s'explique que les industriels aient usé de leur influence pour faire remplacer, par des obstacles artificiels, les obstacles naturels qui protégeaient leurs monopoles locaux.

Quelquefois, cette résistance au progrès était vaine. Lorsque la découverte de la nouvelle route de l'Inde, par exemple, fit abandonner l'ancienne, ce progrès ruina le commerce des Vénitiens et des Génois en le faisant passer aux mains des Portugais et, plus tard, des Hollandais et des Anglais. Mais le mal particulier causé par ce déplacement fut amplement compensé par le bien général qui résulta de l'abaissement du prix des produits de l'Inde en Europe, des produits de l'Europe dans l'Inde, et de l'augmentation de la consommation, partant, de la production qui en fut la conséquence. Cependant, s'il avait été au pouvoir des Vénitiens et des Génois de fermer la nouvelle route, ils n'y auraient pas manqué, et le libre-échangiste qui s'y serait opposé en invoquant l'intérêt général de l'humanité, eût été qualifié de traître à la patrie, vendu à l'étranger, et probablement lapidé. Plus tard, n'est-ce pas le même égoïsme protectionniste qui animait lord Palmerston, lorsqu'il usait de toute son influence pour empêcher la construction du canal de Suez ? Il mettait l'intérêt particulier de l'Angleterre, alors en possession du monopole du commerce de l'Inde, au-dessus de l'intérêt général des nations, sans se douter que l'Angleterre serait la première à profiter de ce progrès.

Mais, partout, le déplacement des industries rencontrait les résistances les plus vives lorsqu'elles venaient à être mises en concurrence avec des industries placées dans de meilleures conditions économiques, même lorsque ce déplacement s'opérait dans l'intérieur du pays. Les industries urbaines s'opposaient à la création d'industries similaires dans les campagnes où les salaires étaient à meilleur marché [2], et les provinces élevaient, les unes contre les autres, des barrières que Colbert ne put supprimer qu'en partie et qui subsistèrent jusqu'à la Révolution.

Combien cette résistance au progrès devait être plus vive encore lorsque les obstacles qui séparaient le marché national des marchés étrangers venaient à s'abaisser ! Les industries placées dans de bonnes conditions économiques, mais dont la machinerie était moins perfectionnée que celle de leurs rivales de l'étranger, étaient obligées de s'imposer de lourds sacrifices pour l'élever au même niveau. Celles qui étaient mal situées et n'avaient pu s'établir que grâce à la protection de l'obstacle naturel des distances étaient condamnées à périr ou à émigrer à l'étranger. A la vérité, ces sacrifices et ces dommages locaux ne dépassaient pas ceux de l'unification des marchés à l'intérieur, et ils étaient de même compensés, et au delà, par l'augmentation générale de la consommation résultant de la diminution des frais de la production et de l'abaissement des prix. Et, si cette unification du marché intérieur avec le marché étranger devait faire disparaître du sol national les industries les plus faibles, - celles qui n'avaient pu s'établir que grâce à la protection des obstacles naturels, - elle avait, en revanche, pour effet de développer les industries les plus fortes, celles qui étaient adaptées au sol, au climat, aux aptitudes des populations, en élargissant leur débouché ; s'il y avait ainsi, d'un côté, une diminution des emplois du capital et du travail, résultant de la disparition ou de l'émigration des industries les plus faibles, il y avait, d'un autre côté, une augmentation des emplois du capital et du travail dans les industries les plus fortes.

Mais ces considérations d'intérêt général, qui auraient pu faire impression sur des théoriciens, ne touchaient guère les « hommes pratiques » .Quand les obstacles naturels qui séparaient deux nations venaient à s'aplanir, les industriels, dans l'une comme dans l'autre, étaient saisis de panique ; sauf de rares exceptions, ils se déclaraient trop faibles pour affronter la concurrence qui les menaçait, et ils demandaient à être protégés contre l'ennemi commun : le progrès.

Le protectionnisme apparaît ainsi, en dernière analyse, comme un obstacle que l'esprit de monopole, fait d'égoïsme, de paresse et d'imprévoyance, a opposé à l'accroissement de la puissance productive de l'homme, partant à l'amélioration de sa condition matérielle et morale, d'une part, en retardant l'emploi du matériel et des procédés les plus efficaces ; d'une autre part, en empêchant la localisation économique de la production. En cela, les effets du protectionnisme sont les mêmes que ceux de la guerre aux machines qu'ont faite d'abord les industriels, sous le régime des corporations, qu'ont continuée ensuite les ouvriers. Le motif déterminant de cette guerre protectionniste résidait, chez les propriétaires de maîtrises, dans les frais et dommages qu'impliquait la substitution d'un matériel perfectionné et de procédés inaccoutumés, à ceux qu'ils mettaient en oeuvre de génération en génération. Cette guerre aux machines, les industriels ont cessé de la faire lorsque la suppression des corporations et le développement de la concurrence leur ont imposé l'alternative de renouveler leur outillage ou de perdre leur clientèle. Alors, les inventions qui augmentaient la puissance productive et économisaient le travail commencèrent à être demandées, car elles procuraient un surcroît de bénéfices à ceux qui les appliquaient les premiers. Les inventeurs cessèrent d'être persécutés et ils acquirent la possibilité d'obtenir une part dans ces bénéfices, par la reconnaissance partielle de la propriété des fruits de leur industrie. L'Angleterre donna l'exemple de ce progrès en inaugurant, en 1623, le régime des brevets d'invention, et elle en fut récompensée par l'essor extraordinaire que l'industrie, devenue rémunératrice, des inventeurs, imprima à l'ensemble de la production en la dotant de la machine à vapeur, des moteurs mécaniques, etc., , etc. L'hostilité contre les machines s'éteignit chez les industriels auxquels la substitution du travail mécanique au travail physique procurait des bénéfices qui compensaient amplement les frais du renouvellement de leur outillage. Elle subsista chez les ouvriers à qui ce renouvellement causait un dommage immédiat en ne leur offrant qu'une compensation lointaine. Ceux que la machine remplaçait n'étaient-ils pas obligés de chercher un nouvel emploi, auquel ils n'étaient point préparés, et toujours difficile à trouver dans les marchés étroits où ils étaient confinés ? Sans doute, l'abaissement du prix des produits, déterminé par l'introduction de la machine, avait pour conséquence d'en augmenter la consommation, partant la production, et d'élargir, par là même, le débouché du travail. Mais, en attendant ce bénéfice futur, la machine ne causait-elle pas à l'ouvrier un dommage actuel que l'insuffisance de ses ressources lui rendait difficile à supporter ?

Les premiers effets de l'élargissement d'un marché par l'aplanissement des obstacles naturels qui l'avaient, jusqu'alors, séparé des autres marchés intérieurs ou étrangers, étaient exactement les mêmes que ceux de l'introduction d'une machine nouvelle. Les industries dont l'outillage était inférieur à celui des industries avec lesquelles cet élargissement du marché les mettait en concurrence étaient obligées de le renouveler. Celles qui étaient situées dans des conditions naturelles moins avantageuses, devaient se déplacer, et, dans l'un et l'autre cas, s'imposer des sacrifices et subir des dommages analogues à ceux qu’infligeait, aux industriels et aux ouvriers, l'introduction d'une machine nouvelle. Mais, de même que la machine, l'élargissement du marché déterminait l'extension de la division du travail, l'augmentation de la puissance productive, l'abaissement des prix, au double avantage des consommateurs et des producteurs eux-mêmes. Seulement, cet avantage futur ne compensait pas, aux yeux de ceux-ci, le dommage actuel. Que faisaient-ils ? Ils employaient leur influence politique à faire remplacer les obstacles naturels qui les protégeaient, auparavant, contre la concurrence, par l'obstacle artificiel de la douane. Et, en attendant cette protection gouvernementale, on les vit, en maintes occasions, se protéger eux-mêmes en déchaînant l'émeute contre l'importation des produits concurrents de l'étranger [3].

Entre les protectionnistes qui emploient la force publique pour se protéger contre le progrès, et les ouvriers qui, à défaut de la force publique qu'ils n'ont point le pouvoir de mettre à leur service, emploient la leur, où est donc la différence ? N'est-ce pas le même esprit de monopole, égoïste et aveugle, qui fait élever les barrières douanières et briser les machines ?


VI.

Jusque vers le milieu du XVIe siècle, les douanes établies tant à l'intérieur qu'aux frontières des Etats eurent un caractère principalement, sinon exclusivement fiscal. Le tarif de 1540 conservait encore ce caractère, et il frappait les marchandises à la sortie aussi bien qu'à l’entrée. L'industrie monétaire des gouvernements et les rares industries d'exportation qui l'alimentaient de métaux précieux, ses matières premières, seules étaient l'objet de mesures protectionnistes. La généralité des autres industries appropriées aux corporations, et suffisamment protégées par l'obstacle naturel des distances, n'éprouvaient pas le besoin d'une protection artificielle et ne la demandaient point. Cet état de choses changea lorsque la découverte de l'Amérique et de la nouvelle route de l'Inde eut ouvert de nouveaux débouchés à l'industrie et au commerce de l'Europe. Ces débouchés, les classes industrielles et commerçantes, aussi bien que les classes gouvernantes, politiques et militaires, voulurent s'en réserver l'exploitation exclusive. Non seulement elles y firent prohiber l'importation des produits étrangers, mais encore interdire la production de tous ceux qu'elles y importaient. Les populations indigènes étaient trop faibles pour résister à ces mesures spoliatrices, mais lorsque les colons, devenus nombreux, eurent acquis quelque influence, ils réclamèrent une compensation. On la leur accorda en prohibant les denrées coloniales de l'étranger, ou en les frappant de droits différentiels. Telle fut cette branche du protectionnisme qui a pris le nom de système colonial.

Cependant, les industries d'exportation se développaient grâce à l'accession des marchés coloniaux et à l'augmentation de la consommation des denrées exotiques dont le prix avait baissé, depuis que les nouvelles découvertes en avaient rendu l'importation plus facile et plus abondante. Cette augmentation des importations avait déterminé celle de l'exportation des produits qui servaient à les payer ; partant, l'accroissement de la puissance productive des industries exportatrices. Elles commencèrent alors à se faire concurrence, et lorsque les plus progressives eurent abaissé leur prix de revient, de manière à dépasser le montant de la protection que l'obstacle naturel des distances conférait aux moins progressives, celles- ci, demandèrent à y suppléer par l'obstacle artificiel des droits, ou, mieux encore, des prohibitions à l'entrée des produits concurrents. Car la prohibition à la sortie des matières premières, qui ne leur procurait, d'ailleurs, qu'une économie douteuse, ne leur présentait plus aucun avantage du moment où leurs concurrentes, mieux outillées, l'obtenaient comme elles. En outre, cet avantage contestable a disparu tout à fait, lorsque les producteurs de matières premières devinrent, à leur tour, assez influents pour obtenir la liberté de les exporter.

Les prohibitions à la sortie disparurent, tandis que les droits et les prohibitions à l'entrée se généralisèrent. Les industries auxquelles on enlevait le monopole de l'achat de leurs matières premières obtinrent, en compensation, des primes à l'exportation. Le système protecteur se perfectionna ainsi peu à peu. Il s'était créé sous l'influence de l'intérêt monétaire des gouvernements, il se compléta sous l'influence de leurs intérêts politiques. C'est pour affaiblir la puissance maritime de la Hollande que Cromwell établit son célèbre acte de navigation. En d'autres circonstances, les intérêts politiques jouèrent un rôle analogue. Tantôt ils firent conclure des traités de commerce avec les nations dont la classe gouvernante recherchait l'alliance, tantôt, au contraire, ils provoquèrent l'établissement de droits sur les produits d'une nation dont on punissait le mauvais vouloir ou les offenses, sans se douter apparemment que les coups que l'on portait à l'industrie d'un ennemi politique se répercutaient sur la sienne. L'ennemi ne manquait pas d'user de représailles, et la guerre à coups de tarifs engendrait, d'habitude, la guerre à coups de canon [1].

A la fin du XVe siècle, une réaction s'opéra contre ce système anti-économique. En Angleterre, Adam Smith, en France, Turgot et les Physiocrates, en se plaçant au point de vue de l'intérêt général des nations, entreprirent de convertir l'opinion à la cause de la liberté du travail et de l'échange. Les vérités qu'ils mettaient au jour avaient la bonne fortune d'apparaître dans un moment où elles étaient « demandées », où le besoin de la réforme d'un régime politique et économique, en retard sur l'état des sociétés, était universellement ressenti. Sous l'influence de ce nouveau courant d'idées, la France conclut avec l'Angleterre, en 1786, un traité de commerce qui remplaçait, par des droits modérés, les droits prohibitifs des tarifs de Colbert et de ses successeurs. Animée du même esprit, l'Assemblée constituante établissait, en 1791, un régime douanier relativement libéral. Mais la Révolution ne tarda pas à emporter ce régime, et l'Empire transforma le tarif des douanes en une arme de guerre. Le blocus continental, quelque peu tempéré par le régime des licences, interrompit les relations commerciales des pays soumis à la domination de Napoléon, avec l'Angleterre.' Quand la paix survint, en 1814, l'industrie continentale, retardée par la guerre, se trouva brusquement exposée à la concurrence de l'industrie britannique à laquelle la paix intérieure avait permis de prendre une forte avance. De là une demande de protection dirigée, au retour de la paix, principalement, sinon exclusivement, contre l'Angleterre.


VII.

En France, le retour de la paix affecta à la fois les intérêts de l'industrie et ceux de l'agriculture ou, pour mieux dire, de la propriété foncière. En même temps que l'industrie britannique, exclue depuis vingt ans des marchés français, y apportait ses produits dont une machinerie perfectionnée avait abaissé les prix, les blés russes affluaient, en quantités croissantes, dans les ports du Midi. On pouvait résister de deux manières à cette invasion de produits à bon marché, - une invasion plus dangereuse que celle des Cosaques, disait plus tard le maréchal Bugeaud - en réalisant les progrès qui abaissent les frais de la production, ou en exhaussant les barrières douanières. Le premier de ces procédés était, incontestablement, le plus efficace et le plus sûr, mais il exigeait des efforts extraordinaires et des sacrifices onéreux ; le second ne demandait aucun effort et ne coûtait rien. Comment n'aurait-il pas été choisi de préférence ? Les grands propriétaires et les grands industriels, en majorité dans les Chambres de la Restauration, se coalisèrent en conséquence et ils élevèrent une digue plus haute même qu'il n'était nécessaire pour arrêter l'inondation. Et comme, à défaut de l'intérêt des consommateurs qui ne comptait point, on leur opposait l'intérêt du fisc dont les droits prohibitifs tarissaient les recettes, un de leurs coryphées, M. de Bourrienne, rapporteur de la Commission des douanes de 1822, formulait ces maximes qui ont régi, sans interruption, pendant quarante ans, la politique économique de la France.

« Un pays où les droits de douane ne seraient qu'un objet de fiscalité marcherait, à grands pas, vers sa décadence ; si l'intérêt du fisc l'emportait sur l'intérêt général, il n'en résulterait qu'un avantage momentané que l'on payerait cher un jour.

« Les droits de douane ne sont pas un impôt, c'est une prime d'encouragement pour l'agriculture, le commerce et l'industrie ; et les lois qui les établissent doivent être des lois quelquefois de politique, toujours de protection, jamais d'intérêt fiscal.

« Si la loi qui vous est soumise amène une diminution dans le produit des douanes, vous devez vous en féliciter. Ce sera la preuve que vous aurez atteint le but que vous vous proposez, de ralentir des importations dangereuses et de favoriser des exportations utiles. »

En Angleterre, la situation était différente. Ce n'est pas que le protectionnisme y fût moins en faveur que sur le continent. Il s'y était implanté à la fin du XVe siècle en débutant par une mesure de représailles contre les Vénitiens qui avaient surtaxé les produits de l'industrie britannique [1], et il s'était perfectionné et complété dans les siècles suivants. Les industriels anglais ne redoutaient pas moins la concurrence étrangère que leurs congénères du continent, et le traité de 1786 avait rencontré, en Angleterre, une opposition aussi vive qu'en France. Cependant, les inventions de Watt., de Crompton, d'Arkwright avaient prodigieusement accru, depuis cette époque, la puissance productive de l'industrie britannique. Elle possédait, sur l'industrie continentale, une supériorité qui défendait son marché mieux qu'aucun droit d'importation. Les industriels en avaient conscience, et c'est pourquoi 'ils ne réclamèrent point, au retour de la paix, un supplément de droits d'entrée sur des produits qui n'entraient point. Ils n'avaient donc aucun intérêt à s'allier avec les propriétaires fonciers, car ceux-ci n'avaient à leur offrir aucune compensation pour les charges, de plus en plus lourdes, que le protectionnisme agraire faisait peser sur l'industrie. Abusant, en effet, de sa puissance politique, l'aristocratie foncière avait fait prohiber, au retour de la paix, en 1814, l'importation des blés lorsque les blés indigènes n'auraient pas atteint le taux exorbitant de 80 shillings par quarter. Cette limite avait été ensuite abaissée à 72 shillings, mais le poids de cette législation protectionniste n'en était pas moins écrasant pour les ouvriers et dommageable pour l'industrie. Quoique les industriels eussent été élevés dans le giron de la protection, et que le plus grand nombre d'entre eux n'eussent, selon toute apparence, qu'une conception obscure des avantages et de la portée du libre-échange, on s'explique, en considérant cet état des choses, qu'ils aient apporté leur concours à Cobden, dans sa lutte pour l'abolition des lois céréales, qu'ils aient consenti même, non sans quelque résistance, à la suppression des droits qui protégeaient leur industrie. Car ces droits leur étaient visiblement moins utiles que ne leur étaient nuisibles ceux qui renchérissaient la nourriture de leurs ouvriers.

Cependant, Cobden et ses auxiliaires dévoués de la Ligue contre les lois-céréales n'avaient pas entrepris leur campagne dans l'intérêt exclusif et étroit de l'industrie manufacturière. Ils avaient des visées plus amples et plus hautes. Ils étaient convaincus qu'en prenant l'initiative de l'établissement du libre-échange, comme elle avait pris celle de l'abolition de l'esclavage, l'Angleterre donnerait au monde l'exemple d'un progrès dont profiterait 1’humamte tout entière.

« Ce grand mouvement, disait Cobden (meeting de Manchester, octobre 1842), se distingue, parmi tous ceux qui ont agité ce pays, en ce qu'il n'a pas exclusivement en vue, comme les autres, des intérêts locaux ou l'amélioration intérieure de notre patrie. Nous ne pouvons triompher, dans cette lutte, sans que les résultats de ce triomphe ne se fassent ressentir jusqu'aux extrémités du monde... Fonder la liberté commerciale, c'est fonder, en même temps, la paix universelle, c'est resserrer entre eux, par le ciment des échanges réciproques, tous les peuples de la terre...Tel est l'objet que nous avons en vue, et gardons-nous de le considérer jamais, ainsi qu'on le fait trop souvent, comme une question purement pécuniaire et affectant exclusivement les intérêts d'une classe de manufacturiers et de marchands. »

Cette conviction ardente et désintéressée qui animait les apôtres du libre-échange explique la victoire qu'ils ont remportée sur la plus puissante aristocratie du monde. Seulement, ils s'étaient fait illusion en croyant que l'exemple de l’Angleterre serait contagieux et que, comme toutes les autres machines qui abaissent les frais de production, le libre-échange s'imposerait d'emblée à toutes les autres nations. Ils avaient compté sans les résistances des intérêts protectionnistes demeurés partout prépondérants et maîtres de la fabrique des lois. Si ces résistances ont été d'abord surmontées en France en 1860, en Allemagne en 1865, par des gouvernements qui se croyaient assez forts pour imposer un progrès auquel les intérêts prédominants demeuraient réfractaires, elles ont pris le dessus, en France, lorsque le despote converti au libre-échange eut disparu, en Allemagne, lorsqu'il s'est cru intéressé à redevenir protectionniste. En sorte que le libre-échange de l'Angleterre, au lieu de se propager dans le reste du monde, a provoqué une recrudescence générale du protectionnisme.

Cependant, en se plaçant au point de vue de l'intérêt exclusif de l'industrie britannique, on peut se demander si l'extension du libre-échange chez les autres nations industrielles lui eût été aussi avantageuse qu'on le suppose généralement ; si elle n'a pas gagné à posséder seule cette machine à produire à bon marché. Sans doute les barrières, de plus en plus hautes, que les nations protectionnistes ont élevées contre ses produits ont rétréci sensiblement le débouché qu'elle trouvait chez elles ; ses exportations y ont diminué ou s'y sont moins accrues que si leurs portes lui avaient été librement ouvertes. En revanche, la possession du libre-échange lui a donné, sur tous les marchés de concurrence, un avantage manifeste. Il ne faut pas oublier, en effet, que le protectionnisme fait payer la sauvegarde qu'il accorde aux industries d'une nation par l'établissement d'une série d'impôts, qui s'ajoutent à leurs frais de production. Le fabricant de tissus de coton, de laine, de soie, est frappé d'un impôt égal au montant du droit protecteur de la filature. Le confectionneur supporte l'impôt de la protection du tissu, cumulée avec celle du fil, etc., et il en est ainsi pour la généralité des branches de la production. Tous ces impôts retombent finalement sur le consommateur national qui ne peut se dispenser de les rembourser, mais il en est autrement du consommateur étranger qui est le maître de choisir, entre les produits de toutes provenances, ceux qui lui sont offerts au prix le plus bas. Dans les marchés tiers, où les produits de toutes les nations se présentent en concurrence, les industries d'une nation libre-échangiste, telle que l'Angleterre, ont donc, sur celles des nations protectionnistes, un avantage égal au montant de l'impôt de la protection dont les produits de celles-ci sont grevés. Et cet avantage est d'autant plus grand que l'impôt de la protection est plus élevé. C'est pourquoi on pourrait se demander, disons-nous, s'il n'a pas procuré à l'industrie britannique, sur les marchés de concurrence un accroissement de débouché qui a compensé et au delà, la diminution que lui ont fait subir la persistance et l'aggravation du protectionnisme chez les nations concurrentes. Il en aurait été ainsi selon toutes probabilités, si l'industrie libre-échangiste de l'Angleterre s'était efforcée de réaliser les mêmes progrès que ses rivales. Mais il en a été du monopole de la machine à produire à bon marché du libre-échange, comme de tous les autres monopoles, il a eu pour effet de ralentir l'activité de ses bénéficiaires et de les endormir dans une fausse sécurité. L'industrie britannique s'est laissée devancer, au moins dans quelques-unes de ses branches, tant sous le rapport de l'outillage que sous celui de l'éducation technique ; et elle a laissé entamer sa clientèle jusque sur son propre marché [2]. Alors, au lieu de s'en prendre à eux-mêmes et de s'efforcer de regagner le terrain perdu, par un redoublement d'activité et d'énergie, les industriels, en qui survivait le vieil atavisme protectionniste, s'en sont pris au libre-échange.

C'est à ce moment psychologique que M. Chamberlain leur a offert, comme une panacée, le retour à la protection et au système colonial. Mais cette panacée, qu'ils ont accueillie avec enthousiasme à Birmingham, à Sheffield et dans quelques autres foyers d'industrie, pourrait bien aggraver le mal que son propagateur a la prétention de vouloir guérir. Car le protectionnisme ressemble à la fortune dont on a dit qu'elle vend ce qu'on croit qu'elle donne.

Le protectionnisme vend ses services et se les fait payer cher. En rétablissant chez elle l'impôt de la protection, l'Angleterre perdra le seul avantage qu'elle possède aujourd'hui sur les nations protectionnistes. Et si l'on songe qu'elle se trouve, à bien des égards, dans une situation moins favorable, qu'elle possède moins de ressources naturelles que les Etats-Unis, que son industrie paie des salaires plus élevés que l'industrie allemande, on peut calculer ce qu'il lui en coûtera à briser la machine du libre-échange. Elle perdra, sur les marchés internationaux, où elle exporte les deux tiers de ses produits, une clientèle autrement nombreuse que celle que le protectionnisme lui fera retrouver sur son marché, en y joignant même celui de ses colonies. C'est pourquoi nous doutons que l'Angleterre, qui sait compter, partage la foi enthousiaste de ses industriels en retard dans la vertu de la panacée de M. Chamberlain.


VIII.

C'est à l'accroissement continu et progressif de la puissance productive de l'industrie, et surtout au développement merveilleux des moyens de communication maritimes et terrestres dans la seconde moitié du XIXe siècle, qu'est due la recrudescence du protectionnisme. Les barrières artificielles qui avaient, jusqu'alors, remédié à l'abaissement des obstacles naturels n'ont plus suffi à protéger les industries mal adaptées au sol, au climat, aux aptitudes des populations ; ou simplement en retard. Il est devenu indispensable de les exhausser de manière a compenser le nouvel et extraordinaire abaissement des barrières naturelles auxquelles elles s'ajoutaient. Les industries, menacées par la concurrence étrangère, étaient d'autant plus excitées à réclamer ce surcroît de protection, qu'il pouvait maintenant leur valoir des bénéfices bien plus considérables qu'auparavant. Lorsque le commerce international était encore dans l'enfance (n'oublions pas qu'il s'élevait tout au plus à dix milliards du temps de Colbert et qu'il dépasse, aujourd’hui, cent milliards), le protectionnisme assurait simplement, aux industries nationales, la conservation de leur clientèle intérieure. C'était une assurance dont les consommateurs payaient la prime. Mais la situation a changé à mesure que l'abaissement des obstacles naturels a permis aux industries les plus progressives, de se créer une clientèle dans des pays qui leur étaient demeurés, jusqu'alors, inabordables. Dans ce nouvel état de choses, le protectionnisme n'a plus été seulement un instrument de conservation, il est devenu un instrument de rapine. Nous allons voir par quel procédé ingénieux, sinon respectueux du bien d'autrui. En relevant le droit sur un produit qui était fourni, en totalité, ou pour la plus grande partie, par l'industrie étrangère, on en faisait hausser le prix du montant de ce droit. Il devenait alors particulièrement avantageux d'en entreprendre ou d'en augmenter la production. En supposant, par exemple, que les prix de revient de l'industrie protégée fussent de 10% plus élevés que ceux de l'industrie étrangère, et que le droit fût porté à 50%, elle pouvait réaliser un profit supérieur de 40% au taux commun des profits des industries de concurrence, et en se contentant de 30 ou 35% au lieu de 40, réduire son prix à un taux qui cessait d'être rémunérateur pour l'industrie étrangère, et s'emparer ainsi de sa clientèle. C'était, en réalité, une confiscation opérée par l'intermédiaire du tarif. On conçoit que le profit extraordinaire que procurait cette confiscation ne dût pas manquer d'attirer les capitaux, et le travail, et de faire prendre à l’industrie protégée un essor rapide, à la grande joie des protectionnistes. Toutefois, cette joie n'était pas sans mélange. Car, au début de l'opération, le capital et le travail étrangers en écrémaient communément les profits. Que faisaient, en effet, les industriels dont le relèvement du tarif confisquait la clientèle ? Au lieu d'importer leurs produits, ils importaient leur industrie et venaient se placer sous la protection du tarif. C'est ce qu'avaient fait les fabricants anglais de fer, de machines, de quincaillerie, de tissus, etc., lorsque les tarifs de la Restauration leur eurent fermé le marché français ; c'est ce que firent, plus tard et dans de bien autres proportions, les mêmes industriels, lorsque la recrudescence du protectionnisme les eut bannis des marchés des Etats-Unis et de l'Amérique du Sud [1], les fabricants de sucre français, belges, allemands, lorsque le sucre étranger eut été à peu près prohibé en Russie. Mais, au dire des protectionnistes, l'industrie nationale, en acquérant, par ce procédé, une nouvelle branche, n'en a pas moins ouvert au pays une nouvelle source de richesse.

En est-il bien ainsi ? En examinant de près les résultats de cette opération protectionniste, que trouvons-nous ? Si nous nous plaçons au point de vue de la richesse générale, nous trouvons qu'elle se solde visiblement en perte. En effet, le relèvement des droits, en exhaussant les prix du produit protégé, en a restreint la consommation et, par conséquent, la production. A l'intérieur, cette production, déplacée et renchérie par le tarif, est moindre qu'elle ne l'était auparavant à l'étranger, et la richesse générale en est diminuée d'autant. Soit ! disent les protectionnistes, mais que nous importe ! pourvu que la richesse nationale en soit augmentée. Et même, si la richesse de l'étranger s'en trouve diminuée, n'est-ce pas un double bénéfice ?

Seulement, est-il bien avéré que la richesse nationale se trouve augmentée par l'importation d'une nouvelle branche « ravie à l'étranger » par l'opération du tarif ? La question vaut la peine d'être approfondie, car s'il en était ainsi, ce procédé d'enrichissement serait à la fois économique et commode. Et combien la confiance en la vertu productive des législations douanières, sans parler des autres, en serait raffermie !

Deux cas peuvent se présenter : ou l'industrie, qu'il s'agit de créer dans un pays, y est naturellement adaptée ou elle ne l'est point. Dans le premier cas, l'établissement ou l'exhaussement d'un tarif protectionniste n'a d'autre effet que de hâter l'éclosion d'une industrie qui s'établirait d'elle-même plus tard, c'est-à-dire lorsqu'elle trouverait réunis les éléments et les conditions nécessaires de succès. En devançant l'opération de là nature, la protection augmente-t-elle la richesse nationale ? Il est facile de se rendre compte qu'elle se borne à la déplacer, non sans perturbation et sans frais. Que faitelle ? Elle établit, sur les consommateurs du produit de l'industrie protégée, un impôt égal à la différence du prix qu'ils lui paient et de celui qu'ils payaient auparavant à l'industrie étrangère. Cet impôt diminue d'autant leur pouvoir d'achat de tous les autres articles de consommation et réduit, par là même, la production des industries qui fournissent ces articles, partant la somme des revenus du capital et du travail qui y sont investis. A la vérité, l'industrie protégée, qui perçoit l'impôt, procure à ses capitalistes et à ses travailleurs une augmentation de leur pouvoir d'achat, mais ce pouvoir n'alimente pas les mêmes industries. La protection cause ainsi une perturbation dans le marché de la production, tout en infligeant aux consommateurs du produit protégé une charge ou une privation qui subsiste jusqu'à ce que le prix de ce produit descende au taux de la concurrence. Cette perturbation, cette charge ou cette privation, augmentent-elles la richesse nationale ?

Dans le second cas, s'il s'agit d'une industrie que la protection seule peut faire subsister, la charge ou la privation imposée aux consommateurs cesse d'être temporaire, elle devient permanente, car les frais de production d'une industrie à laquelle la protection est indispensable ne peuvent jamais s'abaisser au niveau de ceux des industries étrangères auxquelles elle ne l'est pas. Dans ce cas, le pouvoir d'achat des consommateurs se trouve diminué à perpétuité du montant de la différence du prix du produit à l'intérieur et à l'étranger. Ils sont obligés, en effet, d'appliquer à la satisfaction du besoin auquel répond ce produit une portion de leur pouvoir d'achat qu'ils pourraient employer à la satisfaction d'autres besoins. Cette diminution de leur pouvoir d'achat est-elle autre chose qu'un appauvrissement ? et cet appauvrissement s'aggrave à mesure que la protection renchérit les produits d'un plus grand nombre d'industries incapables, d'une manière temporaire ou permanente, de subsister sans son secours.

Ce n'est pas tout. Le protectionnisme est une maladie contagieuse. Les bénéfices extraordinaires que procure la confiscation de la clientèle des industries étrangères n'ont pas manqué de tenter, dans tous les pays du monde, les producteurs les moins capables de défendre leur marché. Partout, ils ont réclamé des relèvements de tarifs destinés à suppléer aux obstacles naturels dont l'aplanissement avait laissé grossir cette clientèle. Qu'est-il résulté de cette recrudescence générale du protectionnisme ? C'est que, partout, les industries les plus productives ont vu se restreindre leurs débouchés et enrayer leurs progrès au profit des moins productives et des moins capables de progrès. En même temps, le protectionnisme a ajouté aux risques naturels qui pèsent sur elles, un risque croissant de confiscation de leur clientèle étrangère. Car cette confiscation est devenue de plus en plus profitable aux industries nationales auxquelles elles font concurrence. Ce risque atteint le capital, et, par contrecoup, le travail, et crée, chez toutes les nations, maintenant rattachées et solidarisées par l'échange, un état permanent d'instabilité qui rend de plus en plus précaire l'existence de leurs industries et de ceux qui en vivent.


IX.

Cependant, la situation que nous venons d'esquisser est en train aujourd'hui, de se modifier par l'apparition des trusts, cartels ou syndicats. C'est la dernière phase et, selon toute apparence, la phase finale de l'évolution du protectionnisme.

Les trusts, les cartels et les syndicats s'établissent, aussi bien sous un régime de concurrence, comme en Angleterre, que sous un régime de protection comme aux Etats-Unis et en Allemagne. Mais là, leurs fondateurs obéissent simplement à la nécessité d'abaisser les frais de la production, tandis qu'ici ils ont pour objectif principal, sinon unique, l'élévation du prix au-dessus du taux de la concurrence.

De même que la concurrence oblige les industriels à employer la machinerie la plus puissante, elle les pousse à donner à leurs entreprises les dimensions les plus économiques ; ces dimensions, comme la puissance de l'outillage, sont déterminées ayant tout par celles du débouché, et elles ne peuvent s'étendre qu'autant qu'il s'agrandit. Seulement, si nous ne connaissons point de limite à la puissance du matériel des entreprises, il y en a une à celle de la capacité de leur personnel. Au delà d'un certain point marqué par l'expérience, l'intelligence du personnel dirigeant cesse de suffire à sa tâche, le fonctionnement de la machine à produire devient moins régulier et moins sûr, les frais de production s'accroissent au lieu de diminuer. Si donc, à mesure que les débouchés de l'industrie s'étendent, - et des progrès de toute sorte en ont décuplé l'étendue dans le cours du XIXe siècle, il devient possible d'agrandir les dimensions des entreprises, il faut arrêter cet agrandissement à sa limite économique. Lorsqu'une entreprise dépasse cette limite, la concurrence se charge d'en faire justice.

Mais la diminution des frais de la production qui est, sous un régime de concurrence, l'objectif unique des associations ou des fusions d'entreprises, devient tout à fait secondaire pour une industrie protégée, comme aux Etats-Unis, par un tarif prohibitif. Les trusts américains ont été fondés bien moins en vue de l'abaissement des frais de la production que de l'exhaussement des prix. On sait dans quelles circonstances ils se sont constitués. Relevés à la suite de la guerre de Sécession, les tarifs ont provoqué un développement extraordinaire des industries protégées. Les capitaux s'y sont portés en abondance, attirés par l'appât de bénéfices dépassant le taux rémunérateur. Bientôt, cet apport est devenu excessif. Après avoir dépassé, du montant des droits protecteurs, le taux du marché général, les prix sont tombés, sous la pression de la concurrence intérieure, à un taux qui n'était pas même rémunérateur. De là une crise qui a remplacé par des pertes les bénéfices exorbitants de la protection. Alors, on a cherché un remède à ce mal. Ce remède était tout indiqué et on n'a pas tardé à le découvrir. Il consistait dans la suppression de la concurrence intérieure par l'association ou la fusion des entreprises concurrentes. Ces entreprises, fusionnées et unifiées d'une manière ou d'une autre, devenaient les maîtresses du marché. Elles pouvaient, en limitant leur production, élever leurs prix de tout le montant des droits protecteurs et retrouver ainsi les bénéfices que la concurrence leur avait fait perdre. En admettant que cette monopolisation industrielle se fût généralisée, que chaque industrie se fût concentrée dans une entreprise unique, on aurait vu se constituer, sur un plan plus vaste et dans de nouvelles conditions, le vieux régime des corporations, avec cette seule différence que les corporations étaient surtout redevables de leur monopole aux obstacles naturels qui morcelaient les marchés, tandis que les trusts l'étaient à l'obstacle artificiel des tarifs de la douane. Mais le monopole conférait aux trusts le même pouvoir qu'avaient possédé les corporations, sauf à ne point dépasser le taux des marchés de concurrence, augmenté du droit protecteur. Or, ce droit s'élevant en moyenne à 41% et pour quelques industries particulièrement influentes, à 100% et davantage, les monopoleurs avaient de la marge. L'analogie eût été complète entre les deux régimes si le monopole de trusts avait pu se généraliser, et il aurait eu pour conséquence d'arrêter le progrès des industries entrustées comme il avait arrêté celui des industries incorporées.

Mais cette tentative de monopolisation n'a réussi qu'en partie. Les trusts n'ont absorbé, jusqu'à présent, qu'un tiers environ de la production industrielle des Etats- Unis, et quelques-uns d'entre eux, ceux qui avaient poussé trop loin l'abus de la capitalisation et dépassé les limites utiles des entreprises, qui étaient, au point de vue économique, de véritables monstres, se sont effondrés au grand dommage de leurs actionnaires, sinon de leurs fondateurs. Ceux qui subsistent n'en demeurent pas moins maîtres du marché, et il en est de même de leurs congénères, les cartels allemands. Les uns et les autres peuvent élever leurs prix au-dessus du taux de la concurrence jusqu'à la limite marquée par le tarif. Cependant, pour atteindre cette limite artificielle, les uns et les autres aussi sont obligés de se conformer à la loi naturelle de l'offre et de la demande, savoir de restreindre leur offre et, par conséquent, leur production. Or, cette restriction de la production, dans un marché intérieur déjà trop étroit, est incompatible avec la nature et les nécessités de la grande industrie, au point de développement où elle est maintenant parvenue. Ecoutons, à ce sujet, un des rois de l'industrie américaine, M. Andrew Carnegie :

« Le libre jeu des lois économiques concentre de plus en plus la fabrication de tous les articles de consommation générale dans quelques gigantesques maisons, afin d'en réduire le prix pour le consommateur.

« Il n'y a plus de place pour la fabrication de tels articles sur une petite échelle : des usines coûteuses et des machines valant des millions sont nécessaires. Le montant par tonne ou par mètre de ce qu'on appelle « frais généraux » est un facteur si important dans le coût total que le succès ou l'insuccès d'une maison, dans bien des cas, dépend de la répartition de ces « frais généraux », - qui, en fait, sont les mêmes dans une grande maison que dans une petite – sur mille ou cinq cents tonnes de production journalière. Telle est la raison de l'augmentation continuelle, d'année en année, du rendement de nos usines. Non pas que le fabricant désire augmenter sa production, mais l'effort de la concurrence l'oblige à des augmentations afin de permettre de réduire, de plus en plus, par tonne ou par mètre, ces « frais généraux ». La sécurité de son capital dépend de ces réductions.

« ...La baisse du prix des articles manufacturés a été saisissante. Jamais les principaux articles de consommation n'ont été aussi bon marché qu'aujourd'hui. Cette baisse des prix est due à la concentration. Une seule usine fabrique 1700 montres par jour, et les montres sont vendues quelques dollars la pièce. Des usines fabriquent des millions de yards de calicot par jour et le yard de cet article indispensable coûte quelques cents. Des aciéries produisent 2500 tonnes par jour, et quatre livres d'acier sont vendues 5 cents. Et ainsi de suite dans toutes les industries. Divisez les immenses manufactures en établissements plus petits, et vous trouverez qu'il est complètement impossible de fabriquer certains articles. Le succès de l'association vient de ce qu'elle est pratiquée sur une large échelle. Le coût d'articles produits dans de petits établissements serait double ou triple des prix actuels. Il ne semble pas qu'il existe aucune force qui puisse s'opposer à cette loi de concentration dans le monde industriel. Au contraire, les forces actives actuellement en jeu semblent exiger de chaque établissement une production et un chiffre d'affaires de plus en plus grand, afin que le minimum du prix de revient puisse être atteint. De là le rapide et continu accroissement des capitaux des maisons industrielles et commerciales. Cinq, dix, quinze et même parfois vingt millions de dollars sont entassés dans une seule Société.

« ...Quand un article était produit par une petite fabrique qui employait, probablement, dans sa propre maison, deux ou trois ouvriers et un ou deux apprentis, il lui était facile de limiter ou d'arrêter la production. Avec les conditions actuelles de l'industrie, avec d'énormes établissements ayant un capital de cinq ou dix millions de dollars, et employant des milliers d'ouvriers, il est moins coûteux pour le manufacturier de perdre sur chaque tonne ou sur chaque mètre que d'arrêter sa production. Un arrêt serait une affaire extrêmement sérieuse. La condition essentielle de la production à bon marché c'est que l'usine fonctionne au complet. Vingt sources de dépenses sont des frais généraux, et beaucoup d'entre elles seraient simplement augmentées par un arrêt. Continuer à fabriquer est coûteux, mais le fabricant sait trop bien que l'arrêt serait la ruine [1]. »

Ainsi obligés de produire par masses et sans arrêt dans un marché intérieur naturellement restreint, et que l'élévation des prix protégés ne manque pas de restreindre encore, que font les trusts et les cartels ? Ils se débarrassent du surcroît de leurs produits, en les écoulant sur les marchés étrangers à des prix inférieurs à ceux de la concurrence [2]. Mais, quels sont les effets de cette surélévation des prix au dedans, de cet avilissement au dehors ?

Au dedans, la surélévation des prix des trusts et des cartels cause un dommage général à toutes les autres industries, en diminuant le pouvoir d'achat de leurs produits et un dommage particulier à celles auxquelles les produits des trusts et des cartels servent de matières premières. S'il s'agit, par exemple, du fer ou de l'acier, le trust ou le cartel, en élevant ses prix au-dessus du taux de la concurrence, prélève un impôt sur les fabricants de machines et de quincaillerie, les constructeurs de navires, etc. Si ces industriels sont protégés de leur côté, ils peuvent se faire rembourser cet impôt par les consommateurs, en subissant, toutefois, une perte ou un manque à gagner causés par la diminution de la consommation intérieure. Mais s'ils ont un débouché à l'étranger, ils y sont frappés de deux manières : 1° par l'augmentation de leurs frais de production, chargés de l'impôt qu'ils ne peuvent se faire rembourser ; 2° par l'abaissement anormal du prix auquel leurs concurrents peuvent se procurer le fer et l'acier. Ils voient, en conséquence, se fermer ou se rétrécir leurs débouchés étrangers et s'amoindrir d'autant leurs profits. D'un autre côté, quels sont les effets de la vente à perte du fer et de l'acier dans les pays où le surcroît en est importé ? Si les industries qui les emploient y sont favorisées aux dépens des industries similaires du pays qui les importe, en revanche, cette importation est ruineuse pour les producteurs de fer et d'acier. De là une perturbation également nuisible au pays importateur et au pays exportateur.

On peut donc se demander si les gouvernements, en leur qualité d'assureurs de la sécurité publique, ne seraient pas autorisés à interdire cette pratique perturbatrice et déloyale [3].

Mais, quand même ils ne se résoudraient point à suivre, à cet égard, l'exemple que l'Angleterre a donné dans la question des sucres, les industries lésées en feraient, tôt au tard, justice.

Mais alors que feront, du surcroît de leur production, les grandes industries auxquelles le marché intérieur cesse, chaque jour davantage, de suffire, et dont le protectionnisme limite ou ferme les débouchés sur le vaste marché du monde ? Elles presseront sur les barrières qu'il a dressées, et cela avec d'autant plus de vigueur ; que l'accroissement de leur puissance productive leur rendra plus nécessaire l'extension de leurs débouchés. Ce sera la fin du protectionnisme.


Notes

IV. [1] Voir notre Cours d'économie politique, t. II, 4e et 5e leçons. La monnaie sous l'ancien régime.

V. [1] Au moyen âge, la vie économique était presque exclusivement municipale, c'était dans les statuts des corps de métiers que se manifestait l'esprit d'exclusivisme. Les barrières se déplacèrent quand la royauté eut réuni les communes sous une même autorité ; les artisans ne pouvant pas maintenir, aussi rigoureusement, la prohibition de ville à ville, aspirèrent à la prohibition de royaume à royaume, alléguant que la consommation de leur pays leur appartenait de droit, comme au moyen âge, la consommation de leur commune. La protection douanière apparut donc dès que les rois eurent de vastes domaines et l'industrie quelque importance. Nous en avons vu les premières traces sous Philippe-le-Bel ; elle se montra plus manifestement à la fin du XVe siècle, sous Louis XI, et surtout au XVIe siècle sous François 1er, Henri IV ne fit que continuer le système de ses prédécesseurs dont Colbert sera le législateur et dont il portera la responsabilité devant l'histoire. Levasseur. Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789, t. II, p. !83.

V. [2] Voir Levasseur. Le travail industriel dans les campagnes et les édits de 1762, 1765 et 1766, sur le tissage. Ibid. t. II, p.583.

V. [3] En 1630, une cargaison de 1 million de livres de draps anglais arrive à Rouen ; les drapiers de Rouen et de Darnétal s'assemblent aussitôt ; les uns vont protester au Parlement, les autres se rendent au port, brûlent les balles déchargées, envahissent les navires et jettent les autres à l'eau. Deux ans après, une autre cargaison arrive ; les tailleurs, prévenus sans doute, s'assemblent à leur tour et protègent les étrangers dont ils sont les acheteurs. Ouen-Lacroix. Histoire des Corporations à Rouen, p. 103.

VI. [1] Les étrangers répondirent aux aggravations (du tarif de 1667), par des mesures analogues, et la question des tarifs devint une grave affaire de politique européenne. L'Angleterre éleva les droits sur les vins. Le négociateur hollandais, Von Benningen, ayant demandé et n'ayant pas pu obtenir d'adoucissement au tarif de 1667, le grand pensionnaire se décida à augmenter les droits d'entrée sur les vins, eaux-de-vie et autres marchandises françaises. Les cultivateurs et les négociants français se plaignirent, à leur tour, du tort fait à leur commerce ; Colbert en fut vivement ému, et l'animosité croissante des deux nations devint une des deux causes de la guerre dé 1672. Levasseur. Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789, t. 11, p. 290.

VII. [1] Dictionnary of political economy, edited by Inglis Palgrave. Art. Customs duties.

VII. [2] S'il n'est pas exact, disions-nous (chronique du Journal des Economistes), que le commerce d'exportation, de l'Angleterre ait décliné d'une manière générale, en revanche, les produits étrangers pénètrent de plus en plus, sur le marché anglais. Dans son dernier rapport, M. de Trobriant, consul général à Liverpool, signale, notamment, parmi les industries qui n'ont pu résister ou qui résistent difficilement à la concurrence étrangère, la fabrication des montres à Prescott, celle des verres à vitres a Saint-Hélen, l'industrie des produits chimiques a Widnes. D'un autre côté, un correspondant de la République française constate, non sans satisfaction, que les négociants et les industriels anglais se sont laissé devancer par les Américains, les Allemands, les Danois même, et les Suisses : « II y a longtemps, dit-il, que les ingénieurs ou grands directeurs industriels anglais ne vivent plus que sur leur réputation. On les croyait beaucoup plus forts que les autres, parce qu'ils se faisaient payer beaucoup plus cher, en travaillant moins, et parce qu'ils vivaient comme des grands seigneurs. Mais ils ont dédaigné le travail, la science, l'expérience, et ils se sont laissés dépasser partout en valeur et en résultats obtenus. Au point de vue technique et industriel, les Anglais sont distancés par les Américains, les Allemands, les Danois même et les Suisses. Les découvertes nouvelles sur l'électricité et son utilisation par des machines pratiques leur sont absolument étrangères. Il leur faut s'approvisionner à New-York. La métallurgie américaine les envahit de même, et, pour ce qui est de la mécanique ou des machinesoutils, ils ne comptent plus. « Les constructions navales qui semblaient leur spécialité sont chez eux en décadence depuis qu'il a fallu faire de savants calculs de poids et de résistance, et qu'ils n'ont plus le monopole de la production des matières premières. Leurs devis sont mal faits, et leurs prix de revient dépassent ceux de toutes les usines, même des usines françaises. » Cette appréciation se ressent visiblement de l'humeur protectionniste de son auteur, mais est-elle complètement dénuée de vérité ?

VIII. [1] De l'enquête de 1828, il ressortit, disions-nous dans un travail sur les Fers et houilles, un fait extrêmement curieux : c'est que le nouveau capital engagé depuis 1822, dans la production de fer, avait servi principalement à salarier des ouvriers anglais. Ce fait s'explique aisément. La loi de 1822 accordant une prime considérable a la production du fer à la houille, la plupart des usines qui s'étaient établies depuis cette époque, avaient adopté des procédés anglais ; elles fabriquaient au coke ou à la houille, ou bien encore avec un mélange de combustible végétal et de combustible minéral. Mais, pour pratiquer ces procédés nouveaux, à peu près inconnus en France, il fallait des travailleurs exercés. Les maîtres de forges en firent venir, à grands frais, de l'Angleterre. Nous voyons, dans l'enquête, que les salaires des ouvriers anglais, attachés à nos forges, étaient de moitié plus élevés que ceux des ouvriers français. Et, cependant, on avait voulu, on l'affirmait du moins, protéger le travail national. Dans sa brochure The Balance of trade, M. Shaw-Lefèvre évalue à 37 millions de livres sterling le montant annuel, en moyenne, des placements des capitaux anglais à l'étranger, depuis 1865. Une bonne part de ces capitaux a été féconder l’industrie américaine, remarque en passant M. Andrew Carnegie, dans son dernier ouvrage, l'Empire des affaires : « J'ai oublié, dit-il, de mentionner un des meilleurs, peut-être le meilleur de tous les résultats de notre politique de protectionnisme provisoire. Elle nous a amené de nombreux manufacturiers anglais qui ont établi des usines et ont ainsi développé nos ressources. Les Clarks et les Coats de Paisley, les Dolans du Yorkshire, les Sandersons de Sheffield, et enfin ceux qui viennent d'Halifax, en dernier, mais non les moindres. Andrew Carnegie. L'Empire des affaires, p. 215.

IX. [1] Andrew Carnegie. L'Empire des affaires, traduit par Arthur Maillet.

IX. [2] Voir plus loin : La convention de Bruxelles est-elle conforme au principe du libre-échange ?

IX. [3] Voir le Journal des Economistes. A propos d'un almanach par Emile Macquart, N° du 15 mai 1903.


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