Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Préface »

Aller à la navigation Aller à la recherche
aucun résumé de modification
 
(6 versions intermédiaires par le même utilisateur non affichées)
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{Navigateur||[[Franz Oppenheimer]]  —  [[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[]]}}
{{Navigateur||[[Franz Oppenheimer]]  —  [[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction|Introduction]]}}
{{Titre|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[Franz Oppenheimer]]|Préface}}
{{Titre|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[Franz Oppenheimer]]|Préface}}
{{infobox Etat}}
{{infobox Etat}}
Ligne 37 : Ligne 37 :
De plus, ''L’Etat'' d’Oppenheimer est un excellent complément au livre de Bertrand de Jouvenel, ''Du pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance'' (1945). Là où Oppenheimer écrit, en effet : « Qu’est-ce, alors, que l’Etat comme concept sociologique ? L’Etat, dans sa genèse (…) est une institution sociale, imposée par un groupe victorieux d’hommes sur un groupe défait, avec le but unique de régler la domination du groupe victorieux sur le groupe défait, et de se protéger contre la révolte intérieure et les attaques de l’étranger. Téléologiquement, cette domination n’a eu aucun autre but que l’exploitation économique du vaincu par les vainqueurs. », Bertrand de Jouvenel ajoute, comme en miroir : « l’Etat est essentiellement le résultat des succès réalisés par une bande des brigands, qui se superpose à de petites et distinctes sociétés{{ref|4}}. ».
De plus, ''L’Etat'' d’Oppenheimer est un excellent complément au livre de Bertrand de Jouvenel, ''Du pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance'' (1945). Là où Oppenheimer écrit, en effet : « Qu’est-ce, alors, que l’Etat comme concept sociologique ? L’Etat, dans sa genèse (…) est une institution sociale, imposée par un groupe victorieux d’hommes sur un groupe défait, avec le but unique de régler la domination du groupe victorieux sur le groupe défait, et de se protéger contre la révolte intérieure et les attaques de l’étranger. Téléologiquement, cette domination n’a eu aucun autre but que l’exploitation économique du vaincu par les vainqueurs. », Bertrand de Jouvenel ajoute, comme en miroir : « l’Etat est essentiellement le résultat des succès réalisés par une bande des brigands, qui se superpose à de petites et distinctes sociétés{{ref|4}}. ».


==La postérité de L’Etat==
==La postérité de ''L’Etat''==


Parmi les auteurs grandement inspirés par Franz Oppenheimer, on trouve indubitablement Murray Rothbard. Dans L’Ethique de la liberté, il considère qu’Oppenheimer définit « brillamment l'Etat comme « l'organisation des moyens politiques ». C'est que l'Etat est d'une essence criminelle. »  
Parmi les auteurs grandement inspirés par Franz Oppenheimer, on trouve indubitablement Murray Rothbard. Dans ''L’Ethique de la liberté'', il considère qu’Oppenheimer définit « brillamment l'Etat comme « l'organisation des moyens politiques ». C'est que l'Etat est d'une essence criminelle. »  


Plus encore, sa définition de l’Etat n’est qu’un prolongement des écrits d’Oppenheimer. « L’État, selon les mots d’Oppenheimer, est l’ « organisation de la voie politique » ; c’est la systématisation du processus prédateur sur un territoire donné. Le crime, au mieux, est sporadique et incertain ; le parasitisme est éphémère, et la ligne de conduite coercitive et parasitaire peut être contestée à tout moment par la résistance des victimes. L’État fournit un canal légal, ordonné et systématique, pour la prédation de la propriété privée ; il rend certain, sécurisé et relativement « paisible » la vie de la caste parasitaire de la société ».  
Plus encore, sa définition de l’Etat n’est qu’un prolongement des écrits d’Oppenheimer. « L’État, selon les mots d’Oppenheimer, est l’ « organisation de la voie politique » ; c’est la systématisation du processus prédateur sur un territoire donné. Le crime, au mieux, est sporadique et incertain ; le parasitisme est éphémère, et la ligne de conduite coercitive et parasitaire peut être contestée à tout moment par la résistance des victimes. L’État fournit un canal légal, ordonné et systématique, pour la prédation de la propriété privée ; il rend certain, sécurisé et relativement « paisible » la vie de la caste parasitaire de la société{{ref|5}} ».  


De plus, Oppenheimer pointe du doigt une idée reprise et confirmée par nombre d’auteurs : comme la production doit toujours précéder la prédation, le marché libre est antérieur à l’état. L’État n’a été jamais créé par un « contrat social » ; il est toujours né par la conquête et par l’exploitation. Une tribu de conquérants, qui pille et assassine les tribus conquises, et décide de faire une pause, car elle se rend compte que le temps de pillage sera plus long et plus sûr, et la situation plus plaisante, si les tribus conquises étaient autorisées à vivre et à produire, les conquérants se contentant d’exiger comme règle en retour un tribut régulier.  
De plus, Oppenheimer pointe du doigt une idée reprise et confirmée par nombre d’auteurs : comme la production doit toujours précéder la prédation, '''le marché libre est antérieur à l’état'''. L’État n’a été jamais créé par un « contrat social » ; il est toujours né par la conquête et par l’exploitation. Une tribu de conquérants, qui pille et assassine les tribus conquises, et décide de faire une pause, car elle se rend compte que le temps de pillage sera plus long et plus sûr, et la situation plus plaisante, si les tribus conquises étaient autorisées à vivre et à produire, les conquérants se contentant d’exiger comme règle en retour un tribut régulier.  


Carl Schmitt  ajoute : « Alors que la conception de l'Etat propre au XIXe siècle allemand, systématisé par Hegel, avait abouti à la construction intellectuelle d'un Etat situé loin au-dessus du règne animal de la société égoïste, et où régnaient la moralité et la raison objectives, [chez Oppenheimer] la hiérarchie des valeurs se trouvent à présent inversée, et la société, sphère de la justice pacifique, se place infiniment plus haut que l'Etat, dégradé en zone d'immoralité et de violence ».
Carl Schmitt  ajoute : « Alors que la conception de l'Etat propre au XIXe siècle allemand, systématisé par Hegel, avait abouti à la construction intellectuelle d'un Etat situé loin au-dessus du règne animal de la société égoïste, et où régnaient la moralité et la raison objectives, [chez Oppenheimer] la hiérarchie des valeurs se trouvent à présent inversée, et la société, sphère de la justice pacifique, se place infiniment plus haut que l'Etat, dégradé en zone d'immoralité et de violence{{ref|6}} ».


D’autre part, la distinction sociologique entre ceux qui vivent du pillage (spoliation) et ceux qui vivent de la production marquera aussi profondément les premiers intellectuels américains de la Old Right au XXe siècle : Albert Jay Nock et Frank Chodorov.
D’autre part, la distinction sociologique entre ceux qui vivent du pillage (spoliation) et ceux qui vivent de la production marquera aussi profondément les premiers intellectuels américains de la ''Old Right'' au XXe siècle : Albert Jay Nock{{ref|7}} et Frank Chodorov.


Enfin, il est indéniable qu’Oppenheimer exerça une influence majeure sur nombre de libéraux allemands et américains, comme Ludwig Erhard, père du miracle économique allemand, Benjamin Tucker, Kevin Carson ou Albert Jay Nock. Si ces personnalités ont des idées si éloignées, c'est non seulement à cause des thèses éclairantes de l’auteur, mais aussi parce que l'on peut tirer deux conclusions de celles-ci : soit que l'Etat est une organisation aux fondements injustes et dont on doit se débarrasser ou limiter (perspective minarchiste ou libertarienne), soit que l'on doit lutter contre ces injustices, y compris par l'utilisation de l'État et la modification des attributs de ce dernier. C'est la voie choisie par Oppenheimer, pour qui les libéraux doivent accepter une phase de transition durant laquelle le pouvoir politique rétablirait une situation juste. En particulier, pour Oppenheimer, c'est la répartition de la propriété foncière qui est injuste, répartition dont est responsable le pouvoir politique. Il convient d'y remédier en luttant contre les excès du pouvoir politique, qui maintient une société de classes. Pour cela, l'Etat doit être transformé, de moyen de conservation des privilèges et des monopoles à l'adversaire de ces derniers. Ainsi serait possible la transition entre un régime capitaliste non libéral et une vraie économie de marché, dans laquelle l'intérêt général serait atteint par la liberté économique.   
Enfin, il est indéniable qu’Oppenheimer exerça une influence majeure sur nombre de libéraux allemands et américains, comme Ludwig Erhard, père du miracle économique allemand, Benjamin Tucker, Kevin Carson ou Albert Jay Nock. Si ces personnalités ont des idées si éloignées, c'est non seulement à cause des thèses éclairantes de l’auteur, mais aussi parce que l'on peut tirer deux conclusions de celles-ci : soit que l'Etat est une organisation aux fondements injustes et dont on doit se débarrasser ou limiter le pouvoir du nuisance (perspective minarchiste ou libertarienne), soit que l'on doive lutter contre ces injustices, y compris par l'utilisation de l'État et la modification des attributs de ce dernier. C'est la voie choisie par Oppenheimer, pour qui les libéraux doivent accepter une phase de transition durant laquelle le pouvoir politique rétablirait une situation juste. En particulier, pour Oppenheimer, c'est la répartition de la propriété foncière qui est injuste, répartition dont est responsable le pouvoir politique. Il convient d'y remédier en luttant contre les excès du pouvoir politique, qui maintient une société de classes. Pour cela, l'Etat doit être transformé, de moyen de conservation des privilèges et des monopoles à l'adversaire de ces derniers. Ainsi sera possible la transition entre un régime capitaliste non libéral et une vraie économie de marché, dans laquelle l'intérêt général sera atteint par la liberté économique{{ref|8}}.   


Mais surtout, de cette lutte ancestrale entre le moyen politique et le moyen économique, le vainqueur apparaît clairement aux yeux d’Oppenheimer. Et c’est bien cela le plus important de sa pensée. En effet, si la tendance de l'évolution de l'Etat se révèle comme la lutte constante et victorieuse du moyen économique contre le moyen politique, le droit du moyen économique, le droit d'égalité et de paix, héritage des conditions sociales préhistoriques, était à l’origine borné au cercle étroit de la horde familiale. Autour de cet îlot de paix l'océan du moyen politique et de son droit faisait rage.  
Mais surtout, de cette lutte ancestrale entre le moyen politique et le moyen économique, le vainqueur apparaît clairement aux yeux d’Oppenheimer. Et c’est bien cela le plus important de sa pensée. En effet, si la tendance de l'évolution de l'Etat se révèle comme la lutte constante et victorieuse du moyen économique contre le moyen politique, le droit du moyen économique, le droit d'égalité et de paix, héritage des conditions sociales préhistoriques, était à l’origine borné au cercle étroit de la horde familiale. Autour de cet îlot de paix l'océan du moyen politique et de son droit faisait rage.  


Or, peu à peu, ce cercle s’est de plus en plus étendu : le droit de paix a chassé l'adversaire, il a progressé partout à la mesure du progrès économique, de l'échange équivalent entre les groupes. D'abord peut-être par l'échange du feu, puis par l'échange de femmes et enfin par l'échange de marchandises, le territoire du droit de paix s'étend de plus en plus. C'est ce droit qui protège les marchés, puis les routes y conduisant, enfin les marchands qui circulent sur ces routes. L’Etat, ensuite, a absorbé ces organisations pacifiques qu'il développe. Elles refoulent de plus en plus dans son territoire même le droit de la violence. Le droit du marchand devient le droit urbain. La ville industrielle, le moyen économique organisé, sape par son économie industrielle et monétaire les forces de l'Etat Féodal, du moyen politique organisé : et la population urbaine anéantit finalement en guerre ouverte les débris politiques de l'Etat Féodal, reconquérant pour la population entière avec la liberté le droit d'égalité. Le droit urbain devient droit public et enfin droit international.
Or, peu à peu, ce cercle s’est de plus en plus étendu : le droit de paix a chassé l'adversaire, il a progressé partout à la mesure du progrès économique, de l'échange équivalent entre les groupes. D'abord peut-être par l'échange du feu, puis par l'échange de femmes et enfin par l'échange de marchandises, le territoire du droit de paix s'étend de plus en plus. C'est ce droit qui protège les marchés, puis les routes y conduisant, enfin les marchands qui circulent sur ces routes. L’Etat, ensuite, a absorbé ces organisations pacifiques qu'il développe. Elles refoulent de plus en plus dans son territoire même le droit de la violence. Le droit du marchand devient le droit urbain. La ville industrielle, le moyen économique organisé, sape par son économie industrielle et monétaire les forces de l'Etat Féodal, du moyen politique organisé : et la population urbaine anéantit finalement, en guerre ouverte, les débris politiques de l'Etat Féodal, reconquérant pour la population entière avec la liberté le droit d'égalité. Le droit urbain devient droit public et enfin droit international.


De là découle la conclusion optimiste du présent ouvrage : « Nous sommes enfin mûrs pour une culture aussi supérieure à celle de l'époque de Périclès que la population, la puissance et la richesse de nos empires sont supérieures à celles du minuscule Etat de l'Attique.
De là découle la conclusion optimiste du présent ouvrage : « Nous sommes enfin mûrs pour une culture aussi supérieure à celle de l'époque de Périclès que la population, la puissance et la richesse de nos empires sont supérieures à celles du minuscule Etat de l'Attique.
Athènes a péri, elle devait périr, entraînée à l'abîme par l'économie esclavagiste, par le moyen politique. Tout chemin partant de là ne peut aboutir qu'à la mort des peuples. Notre chemin conduit à la vie ! »
Athènes a péri, elle devait périr, entraînée à l'abîme par l'économie esclavagiste, par le moyen politique. Tout chemin partant de là ne peut aboutir qu'à la mort des peuples. Notre chemin conduit à la vie ! »


Et nous pouvons dès lors faire nôtres les dernières phrases de L’Etat :  
Et nous pouvons dès lors faire nôtres les dernières phrases de L’Etat :  
« L'examen historico-philosophique étudiant la tendance de l’évolution politique et l'examen économique étudiant la tendance de l'évolution économique aboutissent au même résultat : le moyen économique triomphe sur toute la ligne, le moyen politique disparaît de la vie sociale en même temps que sa plus ancienne, sa plus tenace création. Avec la grande propriété foncière, avec la rente foncière, périt le capitalisme.
« L'examen historico-philosophique étudiant la tendance de l’évolution politique et l'examen économique étudiant la tendance de l'évolution économique aboutissent au même résultat : le moyen économique triomphe sur toute la ligne, le moyen politique disparaît de la vie sociale en même temps que sa plus ancienne, sa plus tenace création. Avec la grande propriété foncière, avec la rente foncière, périt le capitalisme.


Ligne 64 : Ligne 66 :


Fabrice Ribet
Fabrice Ribet
== Notes ==  
== Notes ==  
<small>
<small>
# {{note|1}}Murray N. Rothbard, L’Anatomie de l’Etat, in ''Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Others Essays'', Auburn, Mises Institute, 1974, pp. 55-88, trad. F. Ribet, brochure libéraux.org, disponible sur internet.
# {{note|1}}Murray N. Rothbard, L’Anatomie de l’Etat, in ''Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Others Essays'', Auburn, Mises Institute, 1974, pp. 55-88, trad. F. Ribet, brochure libéraux.org, disponible sur internet.
# {{note|2}}Voir notamment : ''Considérations sur l’état moral de la nation française, et sur les causes de l’instabilité de ses institutions'', vol. 1, pp. 1-2, 9.
# {{note|2}}Voir notamment : ''Considérations sur l’état moral de la nation française, et sur les causes de l’instabilité de ses institutions'', vol. 1, pp. 1-2, 9.
# {{note|3}}Tome VII de l’édition Guillaumin des ''Œuvres complètes'' de Bastiat, texte 60.
# {{note|4}}''Du Pouvoir'', p. 100-101.
# {{note|5}}Murray N. Rothbard, ''L’Ethique de la liberté'', trad. F. Guillaumat et P. Lemieux, Les Belles Lettres, 1991.
# {{note|6}}  Carl Schmitt, La notion de politique, 1932.
# {{note|7}}  Albert Jay Nock a écrit vivement que « l’Etat clame et exerce le monopole du crime (…) Il interdit le meurtre privé, mais lui-même organise le meurtre à une échelle colossale. Il punit le vol privé, mais lui-même fait main basse sans scrupule sur tout ce qu’il veut, qu’il s’agisse de la propriété d’un citoyen ou d’un étranger. », Nock, ''On Doing the Right Thing, and Other Essays'' (New York, Harper and Bros., 1929), p. 143 ; cité in Jack Schwartzman, « Albert Jay Nock—A Superfluous Man, » Faith and Freedom (December, 1953) : 11.
# {{note|8}}  Franz Oppenheimer, « Praktische Ökonomik und Volkwirtschafspolitik », ''Annalen der Naturphilosophie'', 12, 1913, p.22, cité par N. Goldschmidt, p. 966.
</small>
</small>
</div>
</div>
{{Navigateur||[[Franz Oppenheimer]]&nbsp;&nbsp;—&nbsp;&nbsp;[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[]]}}
{{Navigateur||[[Franz Oppenheimer]]&nbsp;&nbsp;—&nbsp;&nbsp;[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir|L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir]]|[[Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction|Introduction]]}}
1 854

modifications

Menu de navigation