Ludwig von Mises:L'Action humaine - chapitre 17

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Ludwig von Mises:L'Action humaine - chapitre 17


Anonyme


Chapitre XVII — L'échange indirect

Quatrième partie — La Catallactique ou économie de la société de marché

Chapitre XVII — L'échange indirect

1 / Instruments d'échange et monnaie

L'échange interpersonnel est dit échange indirect si, entre les biens et services dont l'échange l'un pour l'autre est le but ultime de la transaction, se trouvent interposés un ou plusieurs instruments d'échange. Ce qu'étudie la théorie de l'échange indirect, ce sont les proportions dans lesquelles s'échangent, d'une part les instruments d'échange, et d'autre part tous les biens et services de quelque ordre que ce soit. Les formulations de la théorie de l'échange indirect se réfèrent à tous les cas d'échange indirect, et à toutes les choses qui sont employées comme instruments d'échange.

Un instrument d'échange qui est d'usage commun est appelé monnaie. La notion de monnaie est vague, puisque sa définition comporte l'emploi d'un terme lui-même vague « d'usage commun ». Il y a des cas limites, où l'on ne peut décider si un instrument d'échange est ou non d'usage « commun » et devrait être appelé monnaie. Mais cette imprécision dans la caractérisation de la monnaie n'affecte nullement l'exactitude et la précision requises par la théorie praxéologique. Car tout ce qui doit être affirmé de la monnaie est valable pour tout instrument d'échange. Il est par conséquent indifférent, soit de conserver le terme traditionnel de théorie de la monnaie, soit de lui substituer une autre expression. La théorie de la monnaie était et est toujours la théorie de l'échange indirect et des instruments intermédiaires de l'échange 1.

2 / Observations sur quelques erreurs courantes

Les funestes erreurs charriées par les idées populaires sur la monnaie, et qui ont fait se fourvoyer les politiques monétaires d'à peu près tous les gouvernements, auraient difficilement pu se produire si beaucoup d'économistes n'avaient eux-mêmes commis de grosses méprises en traitant des problèmes monétaires, et ne s'y cramponnaient obstinément.

Il y a en tout premier rang l'idée hérétique de la prétendue neutralité de la monnaie 2. Un rejeton de cette doctrine fut la notion du « niveau » des prix, qui monte ou baisse proportionnellement à la quantité de monnaie en circulation. On n'a pas compris que des changements dans la quantité de monnaie ne peuvent jamais affecter les prix de tous les biens et services dans un même temps et dans la même mesure. L'on n'a pas davantage compris que les changements dans le pouvoir d'achat de l'unité monétaire sont nécessairement liés à des changements dans les relations mutuelles des acheteurs et des vendeurs. Pour démontrer l'exactitude de la thèse selon laquelle la quantité de monnaie et les prix montent et baissent proportionnellement, l'on a eu recours, pour traiter de la théorie monétaire, à une procédure entièrement différente de celle que la science économique moderne emploie pour tous les autres problèmes de son ressort. Au lieu de partir des actions des individus, comme la catallactique doit le faire dans absolument tous les cas, on a construit des formules visant à couvrir l'entièreté de l'économie de marché. Les éléments de ces formules étaient : la quantité totale de monnaie disponible dans la Volkswirtschaft (économie nationale) ; le volume des échanges, c'est-à-dire l'équivalent en monnaie de tous les transferts de marchandises et de services effectués à l'intérieur de l'économie nationale ; la vitesse moyenne de circulation des unités monétaires ; le niveau des prix. Ces formules démontraient apparemment la justesse de la doctrine du niveau des prix. En fait, cependant, l'ensemble de ce raisonnement est un exemple typique de la pétition de principe ou cercle vicieux. Car l'équation des échanges implique d'avance la thèse du « niveau » qu'elle a pour but de prouver. Ce n'est rien de plus que l'expression mathématique de la thèse — insoutenable — selon laquelle il y a proportionalité entre les mouvements de la quantité de monnaie et ceux des prix.

En analysant l'équation des échanges, l'on suppose que l'un de ses éléments — masse monétaire, volume des échanges, vitesse de circulation — change ; mais on ne se demande pas comment de tels changements se produisent. L'on méconnaît que des changements dans ces grandeurs se produisent, non pas dans l'économie nationale comme telle, mais dans les situations des acteurs individuels, et que c'est le jeu mutuel des réactions de ces acteurs qui se traduit par des modifications de la structure des prix. Les économistes mathématiciens refusent de partir des demandes et offres des individus en signes monétaires. Ils introduisent au contraire une notion étrangère au réel, la vitesse de circulation, calquée sur les schémas de la mécanique.

En ce point de notre raisonnement, il n'est pas utile d'examiner si oui ou non les économistes mathématiciens ont raison de supposer que les services rendus par la monnaie consistent entièrement, ou essentiellement, dans le circuit qu'elle parcourt, dans sa circulation. Même si cela était exact, il serait quand même faux d'expliquer le pouvoir d'achat — le prix —de l'unité monétaire, à partir de ses services. Les services rendus par l'eau, le whisky et le café n'expliquent pas les prix qu'on les paie. Ce qu'expliquent ces services, c'est seulement que les gens, dans la mesure où ils les apprécient, demandent, sous certaines conditions, des quantités déterminées de ces produits. C'est toujours la demande qui influe sur la structure des prix, non la valeur objective d'usage ou utilité intrinsèque.

Il est vrai qu'en ce qui concerne la monnaie, la tâche de la catallactique est plus vaste qu'en ce qui concerne les biens qui se vendent. Ce n'est pas la tâche de la catallactique, mais de la psychologie et de la physiologie, d'expliquer pourquoi les gens veulent s'assurer les services que peuvent rendre les divers articles du commerce. Mais c'est effectivement la tâche de la catallactique de répondre à cette question en ce qui concerne la monnaie. Seule la catallactique peut nous dire quels avantages un homme compte retirer du fait de détenir de la monnaie. Mais ce ne sont pas ces avantages escomptés, qui déterminent le pouvoir d'achat de la monnaie. L'envie de s'assurer ces avantages est seulement l'un des éléments qui font apparaître la demande de monnaie. C'est la demande, élément subjectif intégralement déterminé par des jugements de valeur, ce n'est pas un quelconque fait objectif, un quelconque pouvoir de provoquer un certain effet, qui joue un rôle dans la formation sur le marché des taux d'échange.

La faille dans l'équation des échanges et dans ses éléments de base est le fait qu'ils regardent les phénomènes de marché d'un point de vue holistique, globaliste. C'est l'illusion provoquée par l'adoption inconsciente de la notion d'économie nationale. Mais là où existe, au vrai sens du terme, une Volkswirtschaft, il n'y a ni marché, ni prix, ni monnaie. Sur un marché, il n'y a que des individus, ou des groupes d'individus agissant de concert. Ce qui meut ces acteurs, ce sont leurs propres objectifs, non les objectifs de l'ensemble de l'économie de marché. Si des notions telles que le volume des échanges et la vitesse de circulation ont un sens, ce ne peut être que par référence à la résultante des actions individuelles. Il est inadmissible de se retourner vers ces notions pour expliquer les actions des individus. La première question que la catallactique doit poser en présence de changements dans la quantité totale de monnaie disponible dans le système de marché, c'est de savoir comment de tels changements affectent la conduite des divers individus. La science économique moderne ne demande pas ce que vaut « l'acier », ou « le pain », mais ce que vaut une certaine masse d'acier, un certain poids de pain, pour un homme qui agit à un moment et un endroit définis. La science ne peut faire autrement en ce qui concerne la monnaie. L'équation des échanges est incompatible avec les principes fondamentaux de la pensée économique. C'est une rechute dans la façon t de penser des âges où les gens ne parvenaient pas à saisir les phénomènes praxéologiques parce qu'ils étaient imprégnés de notions holistiques. C'est un mode de pensée stérile, comme l'étaient les spéculations de jadis sur la valeur de « l'acier » et du « pain » en général. La théorie de la monnaie est une partie essentielle de la théorie catallactique. Il faut la traiter de la même façon dont on traite tous les autres problèmes catallactiques.

3 / Demande de monnaie et offre de monnaie

L'accessibilité au marché varie considérablement selon les différentes marchandises ou services. Il y a des biens pour lesquels il est aisé de trouver preneurs, disposés à débourser la plus haute rémunération qu'on puisse en obtenir dans les circonstances données, ou une rémunération un peu moindre. Il y a d'autres biens pour lesquels il est très difficile de trouver rapidement un acheteur, même si le vendeur est disposé à se contenter d'une contrepartie très inférieure à celle qu'il pourrait obtenir d'un autre amateur dont la demande est plus intense. C'est cette différence dans l'accessibilité au marché pour les divers articles et services, qui a engendré l'échange indirect. Un homme qui à un moment donné ne peut acquérir ce dont il a besoin pour son ménage ou la conduite de ses affaires, ou qui ignore encore ce dont il pourra avoir besoin dans un avenir indéterminé, se rapproche de son objectif lointain en échangeant un bien peu aisément négociable, qu'il a l'intention de vendre, contre un autre bien plus aisément vendable. Il peut aussi se produire que les propriétés physiques r de la marchandise qu'il entend écouler (telles par exemple que son caractère périssable, ou le coût de son magasinage, ou des circonstances analogues) l'obligent à ne pas attendre plus longtemps. Parfois, il peut être poussé à se débarrasser rapidement de l'article en question parce qu'il craint que sa valeur marchande ne baisse. Dans tous ces cas, il améliore sa situation en acquérant un bien auquel le marché est plus ouvert, même si ce bien ne peut servir à satisfaire directement l'un de ses besoins. Un instrument intermédiaire d'échange est un bien que les gens n'acquièrent ni pour le consommer eux-mêmes, ni pour l'employer dans leur propre activité de production, mais avec l'intention de l'échanger ultérieurement contre des biens qu'ils comptent employer pour la consommation ou la production.

La monnaie est un instrument d'échange. C'est le bien auquel le marché est le plus largement accessible, car les gens en désirent pour l'offrir ultérieurement dans des échanges interpersonnels. La monnaie est ce qui sert comme instrument d'échange généralement accepté et couramment employé. C'est sa seule fonction. Toutes les autres fonctions que l'on attribue à la monnaie sont simplement des aspects particuliers de cette fonction primordiale et unique, d'être un instrument intermédiaire d'échange 3.

Les instruments d'échange sont des biens économiques. Ils sont rares ; il y a pour ces biens une demande. Il y a sur le marché des gens qui désirent en acquérir et qui sont disposés à échanger contre eux des biens et des services. Les instruments d'échange ont une valeur d'échange. Les gens font des sacrifices pour les acquérir ; ils paient des « prix » pour les obtenir. La particularité de ces « prix » réside simplement dans le fait qu'ils ne peuvent être exprimés en termes de monnaie. Pour les biens et services vendables, nous parlons de prix, ou prix en monnaie. Quand il s'agit de la monnaie, nous parlons de son pouvoir d'achat en face des biens vendables.

Il existe une demande pour les instruments de paiement parce que les gens désirent en garder une provision. Chaque membre d'une société de marché veut avoir un certain montant de monnaie dans sa poche ou son tiroir, une encaisse liquide ou un solde disponible d'un niveau déterminé. A certains moments il veut garder une encaisse plus importante, à d'autres moments une encaisse moindre ; dans des cas exceptionnels il peut même renoncer à toute encaisse. A tout le moins, l'immense majorité des gens visent non seulement à détenir divers objets du commerce, mais aussi à posséder de la monnaie. Leur encaisse liquide n'est pas seulement un avoir résiduel, une marge non dépensée de leur fortune. Ce n'est pas un reste inintentionnel, se trouvant là après que tous les actes intentionnels d'achat et de vente ont été effectués. Son montant est déterminé par une demande délibérée d'encaisse. Et comme pour tous les autres biens, ce sont les changements dans le rapport entre la demande et l'offre de monnaie qui entraînent des changements dans le taux d'échange entre la monnaie et les biens vendables.

Chaque fragment de monnaie est la propriété de l'un des membres de l'économie de marché. Le transfert de monnaie du commandement de l'un des acteurs au commandement d'un autre est, dans le temps, immédiat, la possession n'est à aucun moment interrompue. Il n'y a aucune fraction de temps dans laquelle la monnaie ne soit pas une partie de l'avoir liquide d'un individu ou d'une firme, et où elle serait « en circulation » 4. Il n'est pas correct de distinguer entre la monnaie en circulation et la monnaie oisive. Il n'est pas moins erroné de distinguer entre monnaie circulante et monnaie thésaurisée. Ce qu'on appelle thésaurisation est un niveau d'encaisse liquide qui — dans l'opinion personnelle d'un observateur — dépasse ce qui est considéré comme normal et approprié. Néanmoins, l'argent thésaurisé est de l'encaisse liquide. La monnaie thésaurisée est encore de la monnaie et remplit dans ses coffres la même fonction qu'elle remplit dans les encaisses appelées normales. Celui qui thésaurise de la monnaie pense que certaines circonstances particulières font qu'il est indiqué d'accumuler de l'encaisse liquide au-delà de ce qu'il conserverait lui-même dans des circonstances différentes, ou que d'autres gens conservent, ou qu'un économiste qui critique son comportement considère comme approprié. En agissant comme il le fait, il influe sur la configuration de la demande de monnaie de la même façon qu'influe sur elle toute autre demande « normale ».

Bien des économistes évitent d'employer les termes de demande et d'offre au sens de demande de monnaie et offre de monnaie pour les avoirs liquides, parce qu'ils craignent une confusion avec la terminologie courante chez les banquiers. Il est courant, en effet, d'appeler demande d'argent la demande d'emprunts à court terme, et offre d'argent ces offres de prêts. De même, le marché des prêts à court terme est appelé marché de l'argent. On dit que l'argent est rare s'il y a une tendance à la hausse du taux d'intérêt des prêts à court terme ; et l'on dit que l'argent est abondant si la tendance du taux d'intérêt pour de tels prêts est à la baisse. Ces façons de parler sont si enracinées qu'il est vain de s'aventurer à les écarter. Mais elles ont favorisé la diffusion d'erreurs funestes. Elles font que les gens confondent les notions de monnaie et de capitaux et croient qu'en augmentant la quantité de monnaie l'on pourrait abaisser durablement le taux d'intérêt. Mais c'est précisément le caractère rudimentaire de ces erreurs qui rend peu vraisemblable que la terminologie suggérée puisse créer un malentendu. Il est difficile de penser que des économistes puissent errer en des matières aussi fondamentales.

D'autres ont maintenu que l'on ne devrait pas parler de demande de monnaie et d'offre de monnaie parce que les objectifs des demandeurs diffèrent de ceux qui demandent des biens vendables. Les marchandises, disent-ils, sont demandées en fin de compte pour la consommation, alors que la monnaie est demandée pour être abandonnée dans des actes d'échange ultérieurs. Cette objection n'a pas plus de valeur. L'usage que font les gens d'un instrument d'échange consiste finalement à être donné à d'autres. Mais tout d'abord, les gens ont le désir d'en accumuler un certain montant, afin d'être prêts pour le moment où un achat pourrait être effectué. Précisément parce que les gens ne désirent pas pourvoir dans l'instant même à leurs besoins lorsqu'ils livrent les biens ou services qu'ils apportent au marché, précisément parce qu'ils désirent attendre ou sont forcés d'attendre que se présentent des occasions favorables pour acheter, ils ne troquent pas directement, mais indirectement par l'intermédiaire d'un instrument d'échange. Le fait que la monnaie ne s'use pas par l'emploi qu'on en fait, et qu'elle peut rendre son service pendant un temps pratiquement illimité, est un facteur important de la configuration de l'offre de monnaie. Mais celle ne change rien au fait que la valeur attribuée à la monnaie doit s'expliquer de la même façon que pour tous les autres biens : par la demande de ceux qui désirent en acquérir une certaine quantité.

Les économistes ont essayé d'énumérer les facteurs qui dans le système économique global peuvent augmenter ou diminuer la demande de monnaie. L'on compte comme de tels facteurs : le chiffre de la population ; la mesure dans laquelle les ménages fournissent à leurs propres besoins par une production autarcique, et la mesure dans laquelle ils produisent pour les besoins d'autrui, vendant leurs produits et achetant ce qu'il leur faut sur le marché ; le rythme de l'activité de production et les échéances de règlements selon les divers moments de l'année ; les institutions procédant à l'apuration des dettes et créances qui s'annulent mutuellement, telles que les chambres de compensation. Tous ces facteurs influent effectivement sur la demande de monnaie et le niveau des diverses encaisses individuelles ou de firmes. Mais leur influence est seulement indirecte, et tient au rôle qu'ils jouent dans les supputations des gens concernant le montant d'encaisse liquide qu'ils considèrent comme opportun. Ce qui tranche la question, c'est toujours le jugement de valeur porté par les intéressés. Les divers acteurs arrêtent dans leur esprit le montant qui leur paraît adéquat de l'encaisse désirée. Ils exécutent leur décision en renonçant à l'achat de biens, de titres, ou de créances productives d'intérêts, en vendant ou au contraire en achetant davantage des avoirs de ces diverses sortes. En matière de monnaie, les choses ne se passent pas autrement que pour tous les autres biens et services. La demande de monnaie est déterminée par le comportement des gens qui veulent en acquérir pour la conserver en caisse.

Une autre objection soulevée contre la notion de demande de monnaie a été la suivante : l'utilité marginale de l'unité de monnaie décroît beaucoup plus lentement que celle des autres biens ; en fait elle décroît si lentement qu'on peut n'en pas tenir compte. En ce qui concerne la monnaie, personne ne dit jamais que sa demande en est satisfaite, et personne ne manque une occasion d'en acquérir davantage si le sacrifice corrélatif n'est pas trop grand. Il n'est donc pas admissible de considérer la demande de monnaie comme limitée. Pourtant, la notion même de demande illimitée est contradictoire. Ce raisonnement populaire est entièrement faux. Il confond la demande de monnaie pour encaisse liquide, avec le désir d'une richesse accrue exprimée en termes de monnaie. Celui qui dit que sa soif d'argent ne peut jamais être étanchée ne veut pas dire que son encaisse liquide ne saurait jamais être trop grande. Ce qu'il veut dire, c'est qu'il ne saurait jamais être assez riche. Si davantage d'argent afflue dans ses mains, il ne s'en servira pas pour augmenter son avoir liquide net ; ou il n'en utilisera de la sorte qu'une partie. Il dépensera le reste soit pour le consommer immédiatement, soit pour l'investir. Personne ne garde liquide plus d'argent qu'il ne désire en avoir en caisse.

Le fait d'avoir compris que le taux d'échange entre la monnaie d'une part et les marchandises et services vendables de l'autre, est déterminé de la même façon que les taux d'échange mutuels entre les diverses choses vendables, c'est-à-dire par l'offre et la demande, a été l'essence de la théorie quantitative de la monnaie. Cette théorie a été l'application, pour l'essentiel, de la théorie générale de l'offre et de la demande au cas particulier de la monnaie. Son mérite fut de vouloir expliquer la détermination du pouvoir d'achat de la monnaie en recourant au même raisonnement que l'on emploie pour expliquer tous les autres taux d'échange. Son défaut a été de procéder à une interprétation globaliste. Elle a considéré la masse disponible de monnaie offerte dans l'Économie Nationale, et non pas les actions des individus et des firmes distinctes. Un corollaire de ce point de vue erroné a été l'idée qu'il y a une proportionnalité entre les changements dans la quantité — totale — de monnaie, et les changements dans les prix en monnaie. Mais les premiers critiques n'ont pas su réfuter les erreurs contenues dans la théorie quantitative, et lui substituer une théorie plus satisfaisante. Ils ne s'en sont pas pris à ce qu'il y avait de faux dans la théorie quantitative ; ils ont attaqué au contraire son noyau de vérité. Ils voulurent nier qu'il y eût une relation causale entre les mouvements des prix et ceux de la quantité de monnaie. Cette négation les a conduits dans un labyrinthe d'erreurs, de contradictions et de sottises. La théorie monétaire moderne reprend le fil de la théorie quantitative traditionnelle, en ce qu'elle part de la claire connaissance du fait que les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie doivent être étudiés selon les principes appliqués à tous les autres phénomènes de marché, et qu'il existe une connexion entre d'une part les changements de demande et d'offre de monnaie, et de l'autre les changements de pouvoir d'achat. En ce sens, l'on peut dire que la théorie monétaire moderne est une variante améliorée de la théorie quantitative.

Importance épistémologique de la théorie monétaire de Carl Menger

Carl Menger n'a pas seulement fourni une théorie praxéologique irréfutable de l'origine de la monnaie. Il a aussi reconnu l'apport de sa théorie dans l'élucidation des principes fondamentaux de la praxéologie et de ses méthodes de recherche 5.

Il y eut des auteurs qui essayèrent d'expliquer l'origine de la monnaie par voie de décret, ou de convention. L'autorité, l'État, ou un contrat entre citoyens, aurait intentionnellement et consciemment établi l'échange indirect et la monnaie. Le principal défaut de cette thèse ne doit pas être cherché dans le fait que cela supposerait que les hommes d'une époque ignorant l'échange indirect et la monnaie, furent capables cependant de dresser le plan d'un ordre économique entièrement différent des conditions réelles de leur propre temps, et de comprendre l'importance d'un tel plan. Il ne faut pas non plus chercher la faille dans le fait que l'histoire ne fournit aucun indice à l'appui de telles affirmations. Il existe des raisons plus substantielles pour les rejeter.

Si l'on admet par hypothèse que la situation respective des parties intéressées s'améliore pas à pas, à mesure qu'on va de (échange direct vers l'échange indirect, et plus tard, lorsqu'on donne la préférence comme instrument intermédiaire d'échange, à certains biens caractérisés par leur aptitude particulière à être acceptés sur le marché, l'on ne voit pas bien pourquoi il faudrait, en recherchant l'origine de l'échange indirect, recourir au surplus à un décret d'autorité, ou à un contrat explicite entre les citoyens. Un homme qui éprouve de la difficulté à obtenir par le troc ce dont il a envie, améliore ses chances de se le procurer dans des actes ultérieurs d'échange, s'il se procure un bien plus aisément accepté au marché. Dans ces conditions, il n'était pas besoin d'une intervention du pouvoir, ou d'une convention entre citoyens. L'heureuse idée de procéder de la sorte pouvait venir aux individus les plus astucieux, et les moins doués pouvaient imiter leur méthode. Il est certainement plus plausible d'admettre que les avantages immédiats apportés par l'échange indirect ont été reconnus par les intéressés, plutôt que de supposer que l'image complète d'une société trafiquant avec l'aide de la monnaie ait été conçue par un génie ; ou si l'on adopte l'hypothèse de la convention, que cette image ait été rendue évidente au reste des gens par voie de persuasion.

Si, par contre, nous n'admettons pas que les individus aient pu découvrir le fait qu'il leur est plus avantageux de recourir à des échanges indirects, que d'attendre l'occasion propice pour un échange direct ; et si, pour avancer la discussion, nous supposons que les autorités ou une convention ont introduit la monnaie, il faut résoudre des questions supplémentaires. Nous devons nous demander quelles sortes de mesures ont été employées pour amener les gens à adopter une procédure dont ils ne comprenaient pas l'utilité et qui était, techniquement, plus compliquée que l'échange direct. Admettons que la contrainte ait été pratiquée. Dans ce cas, nous devons demander en outre à quel moment et par quelles circonstances l'échange indirect et l'emploi de la monnaie ont plus tard cessé d'être des procédures embarrassantes, ou du moins indifférentes, aux intéressés pour leur apparaître avantageuses.

La méthode praxéologique rattache à reculons tous les phénomènes aux actions des individus. Si les conditions de l'échange interpersonnel sont de telle nature que l'échange indirect facilite les transactions, et dans la mesure où les gens ont conscience de ces avantages, l'échange indirect et la monnaie apparaissent. L'expérience historique montre que ces conditions étaient et sont telles. Si elles étaient autres, nous ne pouvons imaginer comment les gens auraient pu adopter l'échange indirect et la monnaie, et s'y tenir pour procéder à leurs échanges.

Le problème historique des origines de l'échange indirect et de la monnaie n'est, en fin de compte, pas. intéressant pour la praxéologie. La seule chose qui compte est que l'échange indirect et la monnaie existent, parce que les conditions de leur existence furent et sont toujours réunies. S'il en est ainsi, la praxéologie n'a pas besoin de recourir à l'hypothèse d'un décret d'autorité ou d'un pacte ayant inventé ces modes d'échange. Les étatistes peuvent, s'ils le veulent, continuer à attribuer l' « invention » de la monnaie à l'État, si invraisemblable que ce soit. Ce qui compte, c'est qu'un homme acquiert un bien, non pour le consommer ou l'utiliser à produire, mais en vue de le céder dans un acte ultérieur d'échange. Une telle conduite de certaines gens fait d'une marchandise un intermédiaire d'échange et, si cet usage de ce bien-là devient habituel, la pratique en fait une monnaie. Tous les théorèmes de la théorie catallactique des instruments d'échange et de la monnaie se réfèrent aux services qu'un bien rend en sa qualité d'instrument d'échange. Même s'il était vrai que l'impulsion à l'instauration de l'échange indirect et de la monnaie ait été fournie par des autorités ou par un accord entre les membres de la société, cela n'affaiblirait en rien la constatation que seul le comportement de gens procédant à des échanges est créateur d'échange indirect et de monnaie.

L'Histoire peut nous dire où et quand des instruments d'échange ont été employés pour la première fois et comment, par la suite, la gamme des biens ainsi employés s'est progressivement resserrée. Comme la différenciation entre la notion large d'instrument d'échange et la notion plus étroite de monnaie n'est pas tranchée mais graduelle, il n'est pas possible de déterminer d'un commun accord où se trouve la transition historique entre de simples instruments d'échange et la monnaie. Répondre à de telles questions est du ressort de jugements intuitifs historiques. Mais, comme on l'a dit, la distinction entre l'échange direct et l'échange indirect est, elle, tout à fait tranchée ; et tout ce qui est formulé par la catallactique au sujet des instruments d'échange se réfère à l'entière catégorie des biens qui sont demandés et acquis en tant que biens intermédiaires.

Dans la mesure où l'affirmation que l'échange indirect et la monnaie ont été établis par décret ou convention prétend à être une description d'événements historiques, c'est aux historiens qu'il revient d'en montrer l'inexactitude. Pour autant que ce soit présenté simplement comme un constat historique, cela ne peut aucunement affecter la théorie catallactique de la monnaie et son explication de l'évolution de l'échange indirect. Mais si l'intention en est d'affirmer quelque chose sur l'agir humain et sur les faits sociaux, l'affirmation ne sert à rien car elle ne porte point sur l'action. Ce n'est pas une constatation sur l'agir humain, que de déclarer qu'un jour des gouvernants ou des citoyens se sont assemblés et ont été frappés de l'inspiration soudaine, que ce serait une bonne chose que d'échanger de façon indirecte en passant par l'intermédiaire d'un instrument d'échange d'usage commun. C'est simplement reculer d'un cran le problème impliqué.

Il est nécessaire de comprendre que l'on ne contribue en rien à la conception scientifique de l'agir humain et des phénomènes sociaux, en déclarant que l'État, un chef charismatique ou une inspiration tombant sur le peuple entier ont créé cela. De telles affirmations ne réfutent aucunement la théorie montrant que de tels phénomènes peuvent être reconnus comme « le produit initentionnel, le résultat non délibérément imaginé et visé par tels ou tels efforts individuels des membres de la société » 6.

4 / La détermination du pouvoir d'achat de la monnaie

Dès lors qu'un bien économique est demandé non seulement par ceux qui veulent s'en servir pour consommer ou produire, mais aussi par des gens qui désirent le conserver comme instrument d'échange et le céder dès qu'il en est besoin pour un acte d'échange ultérieur, la demande de ce bien augmente. Un nouvel emploi de ce bien est apparu et crée pour lui une demande additionnelle. Comme pour tout autre bien économique, une telle demande additionnelle entraîne une hausse de sa valeur d'échange, autrement dit de la quantité des autres biens que l'on offre pour en acquérir. Le montant d'autres biens qui peut être obtenu en cédant un instrument d'échange, son « prix » exprimé en termes des divers biens et services, est en partie déterminé par la demande de ceux qui désirent en acquérir comme instrument d'échange. Si les gens cessent d'employer le bien en question comme instrument d'échange, cette demande additionnelle disparaît et le « prix » baisse corrélativement.

Ainsi la demande d'un instrument d'échange est le composé de deux demandes partielles : la demande provoquée par l'intention de s'en servir pour la consommation ou la production, et celle provoquée par l'intention de s'en servir comme instrument d'échange 7. En ce qui concerne la monnaie métallique moderne, l'on parle de la demande industrielle et de la demande monétaire. La valeur d'échange (ou pouvoir d'achat) d'un instrument d'échange est la résultante des effets cumulés de chacune des deux demandes partielles.

Or le volume de cette partie de la demande d'un instrument d'échange qui se manifeste en raison de son utilité comme moyen d'échange, dépend de sa valeur dans l'échange. Ce fait soulève des difficultés que beaucoup d'économistes considérèrent comme insolubles, de telle sorte qu'ils s'abstinrent de poursuivre dans cette ligne de raisonnement. Il est illogique, disaient-ils, d'expliquer le pouvoir d'achat de la monnaie en se référant à la demande de monnaie, et la demande de monnaie en se référant à son pouvoir d'achat.

La difficulté, toutefois, n'est qu'apparente. Le pouvoir d'achat que nous expliquons en nous référant au volume de la demande spécifique n'est pas le même pouvoir d'achat dont la hauteur détermine cette demande spécifique. Le problème est de concevoir comment se forme le pouvoir d'achat du futur immédiat, du moment qui vient. Pour résoudre cette question nous nous reportons au pouvoir d'achat du passé immédiat, du moment qui vient de passer. Ce sont des grandeurs distinctes. Il est erroné d'objecter à notre théorème, que l'on peut appeler le théorème de la régression, un prétendu raisonnement en cercle vicieux 8.

Mais, disent les critiques, cela revient simplement à déplacer le problème à reculons. Car maintenant l'on doit encore expliquer la formation du pouvoir d'achat d'hier. Si l'on explique ce dernier en se référant à celui d'avant-hier et ainsi de suite, l'on s'engage dans une régression in infinitum. Un tel raisonnement, déclarent-ils, n'est certainement pas une solution complète et logiquement satisfaisante du problème en question. Ce que ces critiques ne voient pas, c'est que la régression ne recule pas sans fin. Elle atteint un point où l'explication est complète et où aucune question ne reste sans réponse. Si nous remontons à la trace le pouvoir d'achat de la monnaie pas à pas, nous arrivons finalement au point où le bien considéré a commencé à servir comme instrument d'échange. A ce moment-là, la valeur d'échange de la veille est exclusivement déterminée par la demande non monétaire — industrielle — qui est manifestée seulement par ceux qui désirent se servir du bien pour des emplois autres que celui d'instrument d'échange.

Mais, poursuivent les critiques, cela veut dire que l'on explique la partie du pouvoir d'achat de la monnaie qui est due à ses services comme moyen d'échange, par le fait de son emploi à des fins industrielles. Le problème même, qui est d'expliquer la composante spécifiquement monétaire dans sa valeur d'échange, reste non résolu. Là encore, les critiques se trompent. La composante de la valeur de la monnaie qui découle des services qu'elle rend comme instrument d'échange, est entièrement expliquée par référence à ces services monétaires spécifiques, et à la demande qu'ils créent. Deux faits ne peuvent être niés, et personne ne les nie. Le premier est que la demande d'un instrument d'échange est déterminée par des prises en considération de sa valeur d'échange qui découle à la fois des services monétaires et des services industriels qu'elle rend. Deuxièmement, que la valeur d'échange d'un bien qui n'a pas encore été demandé pour servir d'instrument d'échange est déterminée uniquement par la demande émanant de gens qui veulent s'en servir à des fins dites industrielles, c'est-à-dire pour consommer ou produire. Or, la théorie de la régression vise à interpréter l'apparition d'une demande monétaire pour un bien qui antérieurement avait été demandé exclusivement à des fins industrielles, comme influencée par la valeur d'échange qui lui était assignée à ce moment-là en raison de ses seuls usages non monétaires. Cela n'implique certainement pas que l'on explique la valeur d'échange spécifiquement monétaire d'un instrument d'échange sur la base de sa valeur d'échange industrielle.

Finalement, l'on a objecté au théorème de la régression de se placer à un point de vue historique, et non théorique. Cette objection n'est pas moins fausse. Expliquer historiquement un phénomène veut dire montrer comment il a été produit par des forces et des facteurs opérant à une certaine date et en un certain lieu. Ces forces et facteurs définis sont les éléments fondamentaux de l'interprétation. Ce sont les données ultimes et comme tels ils ne sont susceptibles d'aucune analyse et réduction ultérieure. Expliquer un phénomène théoriquement signifie rattacher son apparition à une application de règles générales déjà comprises dans le système théorique. Le théorème de la régression obéit à cette exigence. Il rattache la valeur spécifiquement monétaire d'un instrument d'échange à la fonction qu'il remplit comme tel, et aux théorèmes concernant l'attribution de valeur et la formation des prix, tels qu'ils sont développés par la théorie générale de la catallactique. Il déduit des règles d'une théorie plus universelle, l'explication d'un cas plus particulier. Il montre comment le phénomène spécial découle nécessairement de l'application de règles valables généralement pour tous les phénomènes. Il ne dit pas : ceci est arrivé à tel moment et en tel endroit. Il dit : ceci se produit toujours quand de telles conditions sont réunies ; chaque fois qu'un bien qui n'a jamais été demandé antérieurement pour servir d'instrument d'échange commence à être demandé en vue de cet usage, les mêmes effets doivent se reproduire ; nul bien ne peut être employé comme instrument d'échange qui, au moment où l'on a commencé à s'en servir comme tel, n'avait pas une valeur d'échange en raison d'autres emplois. Et toutes ces affirmations impliquées dans le théorème de la régression sont énoncées apodictiquement conformément à la nature aprioriste de la praxéologie. Cela doit se produire ainsi. Personne ne peut ni ne pourra parvenir à construire un cas hypothétique dans lequel les choses se produiraient différemment.

Le pouvoir d'achat de la monnaie est déterminé par la demande et l'offre, comme dans le cas des prix de tous les biens et services vendables. Etant donné que l'action tend toujours à réaliser un arrangement plus satisfaisant des éléments d'une situation à venir, quelqu'un qui envisage d'acquérir ou de céder de la monnaie se préoccupe naturellement, avant tout, de son pouvoir d'achat futur et de la configuration future des prix. Mais il ne peut former de jugement sur le futur pouvoir d'achat de la I monnaie, autrement qu'en regardant comment il se manifestait dans le passé immédiat. C'est là le fait qui distingue radicalement la détermination du pouvoir d'achat de la monnaie de la détermination des taux d'échange mutuels entre les divers biens et services. A l'égard de ces derniers, les acteurs n'ont rien d'autre à considérer que leur importance pour la future satisfaction de besoins. Si une nouvelle marchandise inconnue jadis se trouve mise en vente, comme ce fut le cas par exemple pour les appareils de radio il y a quelques décennies, la seule question qui compte pour l'individu est de savoir si la satisfaction que lui procurera le nouvel article sera ou non supérieure à la satisfaction attendue d'autres biens auxquels il devra renoncer pour se procurer la chose nouvelle. La connaissance des prix passés n'est pour l'acheteur qu'un moyen d'estimer son « boni » de consommateur. Si cette estimation ne l'intéresse pas, il peut au besoin ordonner ses achats sans que lui soient familiers les prix de marché du passé immédiat, que les gens appellent prix actuels. Il pourrait faire ses évaluations sans qu'il y ait appréciations. Comme on l'a noté précédemment, si l'on perdait complètement la mémoire des prix passés, cela n'empêcherait pas la formation de nouveaux taux d'échange entre les diverses choses vendables. Mais si la connaissance du pouvoir d'achat de la monnaie venait à disparaître, le processus de développement de l'échange indirect et des instruments d'échange devrait recommencer à zéro. Il deviendrait nécessaire de recommencer par employer certains biens, plus aisément accueillis par le marché, comme instruments d'échange. La demande de ces biens augmenterait, et elle ajouterait au montant de leur valeur d'échange découlant de leur emploi (non monétaire) industriel, un composant spécifique dû à leur nouvel usage comme instrument d'échange. Un jugement de valeur n'est possible, vis-à-vis de la monnaie, que s'il peut s'appuyer sur l'existence de prix. L'acceptation d'une nouvelle sorte de monnaie présuppose que la chose en question a déjà une valeur d'échange antérieurement acquise par les services qu'elle rend directement à la consommation ou à la production. Ni un acheteur ni un vendeur ne pourrait juger de la valeur d'une unité monétaire s'il n'avait aucune information sur sa valeur d'échange — son pouvoir d'achat — dans le passé immédiat.

La relation entre la demande de monnaie et l'offre de monnaie, qu'on peut appeler relation monétaire, détermine le niveau du pouvoir d'achat. La relation monétaire d'aujourd'hui, telle qu'elle est formée sur la base du pouvoir d'achat d'hier, détermine le pouvoir d'achat d'aujourd'hui. Celui qui désire augmenter son encaisse liquide restreint ses achats et augmente ses ventes, ce qui produit une tendance à la baisse des prix. Celui qui souhaite diminuer ses encaisses liquides accroît ses achats — soit pour consommer, soit pour produire et investir — et il restreint ses ventes ; il introduit ainsi une tendance à la hausse des prix.

Les changements dans la masse de monnaie doivent nécessairement altérer la localisation des biens vendables en tant que possédés par les divers individus et firmes. La quantité de monnaie existante dans l'ensemble du système de marché ne peut augmenter ou diminuer autrement qu'en augmentant ou diminuant d'abord les encaisses liquides de certains membres individuellement. Nous pouvons, si nous voulons, supposer que chaque membre personnellement reçoit une part de la monnaie additionnelle, ou supporte une part de la réduction, au moment même où la monnaie additionnelle entre ou sort du système. Mais que nous fassions cette supposition ou non, le résultat final de notre démonstration restera le même. Ce résultat sera que des changements dans la structure des prix, provoqués par des changements dans la quantité de monnaie disponible à l'intérieur du système économique, n'affectent jamais les prix des diverses marchandises et des services dans la même mesure et au même moment.

Supposons que le gouvernement émette une quantité additionnelle de papier monnaie. Le gouvernement a l'intention soit d'acheter des biens et services, soit de rembourser des dettes antérieures ou d'en verser les intérêts. Quoi qu'il en soit, le Trésor vient sur le marché avec une demande additionnelle de biens et de services, il est maintenant en mesure d'acheter davantage. Les prix des biens qu'il achète montent. Si le gouvernement avait dépensé dans ces achats l'argent prélevé au préalable par l'impôt, les contribuables auraient diminué leurs achats et, tandis que les biens achetés par le gouvernement renchériraient, le prix des autres biens baisserait. Mais cette baisse de prix des articles que les contribuables avaient l'habitude d'acheter ne se produit pas si le gouvernement augmente la quantité d'argent à sa disposition sans réduire celle aux mains du public. Les prix de certains articles — à savoir, ceux que le gouvernement achète — montent immédiatement, tandis que les prix des autres marchandises restent inchangés pour un temps. Mais le processus se poursuit. Les gens qui vendent les biens que le gouvernement achète sont maintenant eux-mêmes en mesure d'acheter davantage qu'ils n'en avaient l'habitude. Les prix des choses que ces gens-là achètent en plus grande quantité, augmentent par conséquent aussi. Ainsi l'impulsion à la hausse se propage d'un groupe de biens et de services aux autres groupes, jusqu'à ce que tous les prix et taux de salaires aient augmenté. La hausse des prix n'est donc pas simultanée pour les diverses catégories de biens et services.

Lorsque finalement, dans le cours ultérieur de l'augmentation de la masse monétaire, tous les prix auront monté, la hausse n'aura pas affecté les divers biens et services dans la même proportion. Car le processus aura affecté la situation matérielle des divers individus de façon diverse. Pendant que le processus se déroule, certaines gens profitent des prix plus élevés des biens et services qu'ils vendent, pendant que les prix des choses qu'ils achètent n'ont pas encore augmenté ou n'ont pas augmenté autant. D'autre part, il y a des gens malchanceux qui vendent des biens et services dont les prix n'ont pas monté, ou monté autant que les prix des biens qu'ils doivent acheter pour leur consommation quotidienne. Pour les premiers, la propagation graduelle de la hausse est une bonne fortune, pour les seconds une calamité. De plus, les débiteurs sont avantagés, au détriment des créditeurs. Lorsque le processus parvient à son terme, la richesse des divers individus a été modifiée dans des sens divers et des proportions diverses. Certains sont enrichis, d'autres appauvris. Les conditions ne sont plus ce qu'elles étaient avant. Le nouvel état de choses entraîne des changements d'intensité dans la demande des divers biens. Les rapports des prix en monnaie des divers biens et services vendables ne sont plus les mêmes qu'avant. La structure des prix a changé, indépendamment du fait que tous les prix exprimés en monnaie ont monté. Les prix finaux vers lesquels tendent les prix de marché, une fois que les effets de l'augmentation de la masse de monnaie ont achevé d'agir, ne sont pas égaux aux prix finaux antérieurs multipliés par un même coefficient.

Le défaut principal de la vieille théorie quantitative, aussi bien que de l'équation des échanges des économistes mathématiciens, est d'avoir méconnu cette question fondamentale. Des changements dans la quantité de monnaie doivent forcément entraîner des changements dans les autres données aussi. Le système du marché, avant et après l'apport ou le retrait d'une quantité de monnaie, n'est pas seulement modifié en ce que les encaisses des individus et les prix ont monté ou baissé. Il s'est produit en outre des changements dans les taux d'échange mutuels des divers biens et services ; changements que l'on peut, si l'on tient à user de métaphores, désigner plus adéquatement par l'image d'une révolution des prix que par le chiffre trompeur d'une élévation ou d'une baisse du « niveau » des prix.

Nous pouvons pour l'instant négliger les effets produits par l'influence sur le contenu de tous les paiements différés tels qu'ils ont été stipulés par les contrats. Nous les examinerons plus tard, de même que la répercussion des événements monétaires sur la consommation et la production, sur l'investissement en capitaux fixes, et sur l'accumulation et la consommation de capital. Mais même en mettant de côté toutes ces choses, nous ne devons jamais oublier que des changements dans la quantité de monnaie affectent les prix de manière inégale. Il dépend des données de chaque cas individuel que les effets sur les prix des biens et services divers se produisent à un moment donné et dans une proportion déterminée. Dans le cours d'une expansion monétaire (inflation) la première réaction n'est pas seulement que les prix de certains d'entre eux augmentent plus tôt et plus fort que d'autres. Il peut aussi se produire que certains commencent par baisser parce qu'ils sont principalement demandés par les groupes dont les intérêts sont atteints.

Les changements dans la relation monétaire ne sont pas seulement causés par les gouvernements émettant un surcroît de papier-monnaie. Un accroissement de la production de métaux précieux employés comme monnaie a les mêmes effets, bien qu'évidemment ce soient d'autres classes de la population qui s'en trouvent avantagées ou défavorisées. Les prix montent de même si, en l'absence d'une réduction correspondante de la quantité de monnaie, la demande de monnaie diminue en raison d'une tendance générale à désirer moins d'encaisse liquide. La monnaie dépensée ainsi en plus grande quantité du fait de cette « dé-thésaurisation » entraîne une tendance à la hausse des prix, de la même façon que si elle provenait des mines de métaux précieux ou de la planche à billets. Inversement, les prix baissent quand la masse disponible de monnaie diminue (par exemple, en cas de retrait de monnaie-papier) ou lorsque la demande de monnaie augmente (par exemple en vue de « thésauriser », c'est-à-dire de garder davantage d'encaisse liquide, ou de soldes créditeurs). Le processus est toujours inégal et par à-coups, disproportionné et asymétrique.

On pouvait objecter, et l'on n'y a pas manqué, que la production normale des mines d'or apportée au marché peut bien produire une augmentation de la quantité de monnaie, mais non pas accroître le revenu — et encore moins la richesse — des propriétaires de mines. Ces gens gagnent seulement leur revenu « normal » et donc leur dépense ne peut déranger les conditions du marché, ni les tendances dominantes à l'établissement de prix finaux et à l'équilibre d'une économie en rythme uniforme. Pour eux, la production annuelle de la mine ne représente pas une augmentation de richesse et ne les oblige pas à offrir des prix plus élevés. Ils continuent à vivre sur le même pied que toujours. Leur dépense dans ces limites ne bouleversera pas le marché. Donc la production normale d'or, bien qu'elle augmente certainement la quantité de monnaie disponible, ne peut mettre en branle un processus de dépréciation. Elle est neutre vis-à-vis des prix.

Contre un tel raisonnement, l'on doit tout d'abord observer qu'au sein d'une économie en progrès, où la population augmente et où sont réalisées la division du travail et sa conséquence la spécialisation industrielle, il règne en permanence une tendance à l'augmentation de la demande de monnaie. De nouvelles gens apparaissent sur la scène et désirent se constituer une encaisse liquide. L'autosuffisance économique, c'est-à-dire la production pour les besoins du ménage même, perd du terrain, et les gens deviennent davantage dépendants du marché ; en gros et de façon générale, cela les obligera à augmenter leur encaisse liquide. Ainsi la tendance à la hausse des prix émanant de ce qu'on appelle la production d'or « normale » rencontre une tendance à la baisse des prix émanant de la demande croissante d'encaisses liquides. Toutefois, ces deux tendances opposées ne se neutralisent pas l'une l'autre. Chacun des deux processus suit son cours propre, produisant un désarrangement des conditions sociales existantes, rendant certains plus riches, d'autres plus pauvres. Tous deux affectent les prix des divers biens à des moments différents et à des degrés différents. Il est vrai que la hausse des prix de certains articles, provoquée par l'un de ces processus, peut être finalement compensée par la baisse causée par l'autre. Il peut arriver que certains prix, à la fin, retrouvent leur niveau antérieur. Mais ce résultat final n'est pas causé par une absence des mouvements que causent les modifications de la relation monétaire. C'est plutôt l'issue d'effets combinés et coïncidants de deux processus indépendants l'un de l'autre, et dont chacun provoque des changements de données sur le marché ainsi que dans la situation matérielle des individus et groupes d'individus. La nouvelle structure des prix peut n'être pas très différente de la précédente. Mais c'est la résultante de deux séries de changements qui ont accompli toutes les transformations sociales qu'ils contenaient en puissance.

Le fait que les possesseurs de mines d'or escomptent de leur production un revenu annuel stable n'annule pas l'influence de l'or nouvellement produit sur les prix. Les propriétaires de mines prennent sur le marché, en échange de l'or produit, les biens et services requis pour l'extraction, et les biens dont ils ont besoin pour leur consommation et leurs investissements dans d'autres branches de production. S'ils n'avaient pas produit cette quantité d'or, les prix n'en auraient pas été affectés. Peu importe qu'ils aient anticipé sur la production future de la mine, qu'ils l'aient capitalisée et ajusté leur train de vie au flux escompté de rapport des opérations d'extraction. Les effets que l'or nouvellement extrait exerce sur leur dépense et sur celles des gens qui vont peu à peu l'incorporer dans leur encaisse, ne commencent qu'à l'instant où cet or est disponible dans les mains des propriétaires des mines. Si, comptant sur une certaine production à venir, ils avaient dépensé de la monnaie à une date antérieure, et que la production escomptée ait manqué à se réaliser, la situation ne serait pas différente des autres cas où une consommation a été financée par du crédit basé sur des prévisions démenties ensuite par les faits.

Les changements dans le volume des encaisses désirées de diverses gens ne se neutralisent que dans la mesure où ils se produisent périodiquement et sont mutuellement liés par une réciprocité causale. Les salariés et receveurs d'appointements ne sont pas payés jour par jour, mais à certains « jours de paie » au terme d'une ou de plusieurs semaines. Ils ne cherchent pas à maintenir leur encaisse liquide au même niveau pendant l'intervalle entre deux jours de paie ; le montant d'argent qu'ils ont en poche diminue au fur et à mesure qu'approche la paie suivante. De l'autre côté, les marchands qui leur fournissent ce dont ils ont besoin couramment augmentent leurs encaisses dans la même période. Les deux mouvements se conditionnent l'un l'autre ; il y a une interdépendance causale qui les harmonise dans le temps et le montant. Ni le marchand ni le client ne se laissent impressionner par ces fluctuations récurrentes. Leurs plans concernant l'encaisse aussi bien que les opérations professionnelles et les dépenses de consommation, prennent en compte la période complète et n'en regardent que l'ensemble.

Ce fut ce phénomène qui a conduit des économistes à l'image d'une circulation régulière de la monnaie et à négliger les variations des encaisses individuelles. Cependant, nous sommes en présence d'un enchaînement qui est limité à un champ étroit et nettement circonscrit. La neutralisation ne peut se produire que dans la mesure où l'augmentation des encaisses d'un groupe est liée dans le temps et dans le montant, à la diminution des encaisses d'un autre groupe ; il faut que ces changements se liquident automatiquement dans le cours d'une période que les membres des deux groupes considèrent comme un tout dans leur prévision d'encaisse liquide. Hors de ce champ, il n'est pas question d'une telle neutralisation.

5 / Le problème de Hume et Mill, et la force motrice de la monnaie

Est-il possible de penser un état de choses où les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie se produiraient au même moment et dans la même proportion relativement à toutes les marchandises et à tous les services, et proportionnellement à des changements apportés soit à la demande, soit à l'offre de monnaie ? Autrement dit, est-il possible d'imaginer une monnaie neutre dans le cadre d'une économie dont le système ne correspond pas à la construction imaginaire d'une économie tournant en rythme uniforme ? Nous pouvons appeler cette pertinente question le problème de Hume et Mill.

Il est hors de conteste que ni Hume ni Mill n'ont réussi à trouver de réponse positive à cette question 9. Est-il possible de répondre catégoriquement par la négative ?

Nous imaginons deux systèmes d'économie tournant en rythme uniforme, A et B. Les deux systèmes sont indépendants, et à aucun égard en connexion l'un avec l'autre. Les deux systèmes ne diffèrent que par le fait qu'à chaque montant m de monnaie en A correspond un montant n. ni en B, avec n plus grand ou plus petit que 1. Nous supposons qu'il n'y a pas de paiements différés, et que la monnaie employée dans les deux systèmes ne sert qu'à l'usage monétaire et n'est propre à aucun usage non monétaire. En conséquence, les prix dans les deux systèmes sont dans le rapport 1 : n. Est-il pensable que la situation en A soit modifiée d'un seul coup de façon telle que tout y soit équivalent à la situation en B ? La réponse à cette question doit clairement être négative. Celui qui veut répondre affirmativement doit supposer qu'un deus ex machina s'adresse à chaque individu au même instant, augmente ou diminue son encaisse en la multipliant par n, et lui dise que dorénavant il doit multiplier par n toutes les données de prix qu'il emploie dans ses études de prix et autres calculs. Cela ne peut arriver sans un miracle.

Il a été signalé déjà que dans la construction imaginaire d'une économie fonctionnant en rythme uniforme, la notion même de monnaie s'évanouit dans un processus de calcul insubstantiel, contradictoire en son essence, et dépourvu de toute signification 10. Il est impossible d'assigner une fonction quelconque à l'échange indirect, aux instruments d'échange et à la monnaie, dans une construction imaginaire dont la marque caractéristique est l'immutabilité et la rigidité des circonstances.

Là où il n'y a pas d'incertitude concernant l'avenir, il n'est nul besoin d'encaisse liquide. Comme la monnaie doit nécessairement se trouver détenue par des gens dans leur encaisse liquide, il n'y a pas non plus de monnaie. L'emploi d'instruments d'échange et la détention d'encaisses liquides sont conditionnés par le fait que les données économiques sont changeantes. La monnaie elle-même est un élément de changement ; son existence est incompatible avec l'idée d'un flux régulier d'événements dans une économie en circuit uniforme.

Tout changement dans la relation monétaire modifie — en dehors de ses effets sur les paiements différés — la situation des divers membres de la société. Certains deviennent plus riches, d'autres plus pauvres. Il peut arriver que les effets d'un changement dans la demande et dans l'offre de monnaie se rencontrent avec les effets de changements inverses survenant en gros au même moment et dans la même mesure ; il peut arriver que la résultante des deux mouvements opposés soit telle qu'aucun changement marqué n'apparaisse dans la structure des prix. Mais même alors, les répercussions sur la situation des divers individus ne sont pas absentes. Tout changement dans la relation monétaire se propage dans sa ligne propre et produit ses effets particuliers. Si un mouvement inflationnaire et un mouvement déflationnaire se produisent au même moment, ou si une inflation est suivie chronologiquement par une déflation de telle sorte que les prix ne soient finalement guère modifiés, les conséquences sociales de chacun des deux mouvements ne s'annulent pas réciproquement. Aux conséquences sociales d'une inflation s'ajoutent les conséquences d'une déflation. Il n'y a aucune raison de supposer que tous ceux ou même la plupart de ceux qui sont avantagés par l'un des mouvements seront lésés par l'autre, et vice versa.

La monnaie n'est ni un numéraire abstrait, ni un étalon de valeur ou de prix. C'est nécessairement un bien économique et, comme tel, elle est revêtue de valeur et pourvue de prix en raison de ses mérites propres, c'est-à-dire des services qu'un homme en attend s'il conserve une encaisse liquide. Sur le marché, il y a toujours changement et mouvement. C'est uniquement parce qu'il y a des fluctuations, qu'il y a de la monnaie. La monnaie est un élément de changement, non pas parce qu'elle « circule », mais parce qu'on la détient dans des encaisses. C'est uniquement parce que les gens s'attendent à des changements dont ils ignorent la nature et l'ampleur, qu'ils conservent de la monnaie.

Alors que la monnaie ne peut être pensée qu'à l'intérieur d'une économie de changement, elle est en elle-même un élément de changements supplémentaires. Toute modification dans les données économiques la met en mouvement, et en font la force motrice de nouveaux changements. Tout déplacement dans la relation mutuelle des taux d'échange entre les divers biens non monétaires produit non seulement des changements dans la production et dans ce qu'on appelle couramment la distribution, mais encore il provoque des modifications de la relation monétaire et par là des changements supplémentaires. Rien ne peut survenir dans l'orbite des biens vendables qui n'affecte l'orbite de la monnaie, et tout ce qui advient dans l'orbite de la monnaie affecte l'orbite des marchandises.

La notion d'une monnaie neutre n'est pas moins contradictoire que celle d'une monnaie à pouvoir d'achat stable. La monnaie qui n'aurait pas par elle-même une force de poussée ne serait pas la monnaie parfaite que les gens supposent ; elle ne serait pas du tout une monnaie.

C'est une illusion populaire de croire que la monnaie parfaite devrait être neutre et dotée d'un pouvoir d'achat immuable, et que le but de la politique monétaire devrait être de réaliser cette monnaie parfaite. Il est aisé de comprendre cette idée en tant que réaction contre les postulats encore plus faux des inflationnistes. Mais c'est une réaction excessive, intrinsèquement confuse et contradictoire, et elle a causé des désastres parce qu'elle a été renforcée par une erreur invétérée inhérente à la pensée de beaucoup de philosophes et d'économistes.

Ces penseurs sont induits en erreur par la croyance commune qu'un état de repos est plus parfait qu'un état de mouvement. Leur idée de la perfection implique qu'aucun état plus parfait ne peut être pensé, et que par conséquent tout changement l'amoindrirait. Le mieux que l'on puisse dire d'un mouvement est qu'il est dirigé vers l'obtention d'un état de perfection, dans lequel il y a repos puisque tout mouvement ultérieur conduirait à un état moins parfait. Le mouvement est vu comme l'absence d'équilibre et de pleine satisfaction, comme une manifestation de trouble et de manque. Dans la mesure où de telles réflexions établissent simplement le fait que l'action tend à écarter une gêne et finalement à l'obtention d'une totale satisfaction, elles sont bien fondées. Mais il ne faut pas oublier que le repos et l'équilibre ne sont pas seulement présents dans un état où un parfait contentement a rendu les gens parfaitement heureux ; ils existent aussi dans la situation où des gens, bien qu'ils manquent de bien des choses, ne voient aucun moyen d'améliorer leur condition. L'absence d'action n'est pas seulement le résultat de la pleine satisfaction ; elle peut aussi bien être le corollaire de l'impuissance à rendre les choses plus satisfaisantes. Elle peut signifier privation d'espoir, tout autant que contentement.

Avec l'univers réel de l'agir et du changement incessant, avec le système économique qui ne peut être rigide, ne sont compatibles ni la neutralité de la monnaie, ni la stabilité de son pouvoir d'achat. Un monde du genre que postulent les exigences absolues d'une monnaie neutre ou une monnaie stable, serait un monde sans action.

Il n'est par conséquent ni étrange ni mauvais que, dans le cadre d'un monde ainsi changeant, la monnaie ne soit ni neutre ni stable en pouvoir d'achat. Tous les plans pour rendre la monnaie neutre et stable sont contradictoires. La monnaie est un élément d'action et par conséquent de changement. Les changements dans la relation monétaire, c'est-à-dire dans la relation entre la demande de monnaie et les quantités disponibles de monnaie, affectent le taux d'échange entre la monnaie d'une part, et les choses vendables de l'autre. Ces changements n'affectent pas dans le même temps et dans la même proportion les prix des diverses marchandises et divers services. Ils affectent par conséquent de façon diverse la fortune des divers membres de la société.

6 / Changements dans le pouvoir d'achat induits par les encaisses et par les biens

Les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie, c'est-à-dire dans le taux d'échange entre la monnaie et les biens et produits vendables, peuvent avoir leur origine ou bien du côté de la monnaie, ou bien du côté des biens et produits vendables. Le changement dans les données qui les provoque peut survenir soit dans la demande et dans l'offre de monnaie, soit dans la demande et l'offre des autres biens et services. Nous pouvons en conséquence distinguer entre les changements de pouvoir d'achat, selon qu'ils sont induits par les encaisses ou par les biens.

Les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie induits par les biens peuvent être amenés par des changements dans l'offre de produits et de services, ou dans la demande de marchandises ou services déterminés. Une hausse ou une baisse générale dans la demande de tous les biens et services, ou de la majeure partie d'entre eux, ne peut être provoquée que du côté de la monnaie.

Examinons maintenant les conséquences sociales et économiques des changements de pouvoir d'achat de la monnaie, dans la triple hypothèse que voici : premièrement, que la monnaie en question ne puisse être utilisée que comme monnaie, c'est-à-dire comme instrument d'échange, et ne puisse servir à rien d'autre ; deuxièmement, qu'il n'y ait d'échange qu'entre des biens présents, et aucun échange de biens présents contre des biens futurs ; troisièmement, que nous ne tenions pas compte des effets des changements de pouvoir d'achat sur les calculs en monnaie.

Sous ces trois conditions, tout ce que peuvent provoquer des changements de pouvoir d'achat induits par les encaisses, ce sont des déplacements dans la répartition des richesses entre différents individus. Certains s'enrichissent, d'autres s'appauvrissent ; certains sont mieux pourvus, d'autres moins bien ; ce que certains gagnent provient de ce que d'autres perdent. Il serait toutefois insoutenable d'interpréter ce fait en disant que la satisfaction totale est restée inchangée ou que, bien qu'aucun changement ne se soit produit dans les disponibilités totales, l'état de totale satisfaction ou la somme de bonheur s'est trouvée augmentée ou diminuée par les changements de répartition de la richesse. Les notions de satisfaction totale ou de bonheur global sont vides de sens. Il est impossible de trouver un critère de comparaison entre les divers degrés de satisfaction ou de bonheur obtenus par les divers individus.

Les changements de pouvoir d'achat induits par les encaisses déclenchent indirectement d'autres changements en favorisant soit l'accumulation de capitaux neufs, soit la consommation du capital existant. L'apparition et le sens de ces effets secondaires dépendent des données spéciales de chaque cas. Nous traiterons de ces problèmes importants à une prochaine occasion 11.

Les changements de pouvoir d'achat induits par les biens ne sont parfois rien d'autre que les conséquences d'un déplacement de la demande, de certains biens vers certains autres. Si leur cause a été un accroissement ou une diminution dans l'offre de biens, il ne s'agit pas seulement de transferts de certaines gens à certaines autres. Ces changements ne signifient pas que Pierre gagne ce que Paul a perdu. Certains peuvent devenir plus riches sans que personne soit appauvri ; et vice versa.

Nous pouvons décrire ce fait de la manière suivante : Soient A et B deux systèmes indépendants, aucunement connectés l'un à l'autre. Dans les deux systèmes l'on emploie la même espèce de monnaie, inutilisable pour usages non monétaires. Maintenant, supposons comme cas 1 que A et B diffèrent l'un de l'autre uniquement en ceci que dans B la masse de monnaie disponible est de n m, où m représente la masse de monnaie disponible en A ; en même temps, à chaque encaisse c et à chaque créance en monnaie d qui existent en A, correspondent en B une encaisse de n c et une créance de n d. A tous autres égards, il y a égalité entre A et B. Maintenant, supposons comme cas 2, que A et B diffèrent l'un de l'autre uniquement par le fait qu'en B l'offre totale d'une certaine marchandise r est de n p, le facteur p représentant l'offre totale de cette même marchandise dans A ; et qu'à chaque stock v de cette marchandise r existant dans A correspond un stock dans B de n v. Dans les deux cas, n est supérieur à 1. Si nous demandons à chaque individu de A s'il est disposé à faire le moindre sacrifice afin d'échanger sa situation pour la situation correspondante en B, la réponse sera unanimement négative dans le cas 1. Mais dans le cas 2, tous les possesseurs de r et tous ceux qui n'en possèdent pas mais qui désirent en acquérir une quantité — c'est-à-dire au moins un individu — donneront une réponse affirmative.

Les services que rend la monnaie sont fonction du niveau de son pouvoir d'achat. Personne ne désire avoir comme encaisse un certain nombre de pièces de monnaie ou un poids de monnaie déterminé ; l'on désire avoir en caisse un montant déterminé de pouvoir d'achat. Comme le fonctionnement du marché tend à porter le pouvoir d'achat de la monnaie, dans son état final, à un degré où la demande et l'offre de monnaie coïncident, il ne peut jamais y avoir excès ou manque de monnaie. Tout individu, et tous les individus ensemble, bénéficient toujours des avantages qu'ils peuvent tirer de l'échange indirect et de l'emploi de la monnaie, que la quantité totale de monnaie soit grande ou petite. Les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie provoquent des changements dans la répartition de la richesse parmi les divers membres de la société. Du point de vue des gens qui souhaitent s'enrichir par de tels changements, la masse disponible de monnaie peut être jugée insuffisante ou excessive, et l'attrait de gains de cette nature peut conduire à des politiques destinées à provoquer des altérations induites par encaisses, dans le pouvoir d'achat. Néanmoins, les services que rend la monnaie ne peuvent être ni améliorés ni restaurés par un changement dans la masse de monnaie disponible. Dans les encaisses individuelles, il peut apparaître un excès ou un manque de monnaie. Mais de telles situations peuvent être réglées en accroissant ou en diminuant la consommation ou l'investissement. (Bien entendu, il ne faut pas se laisser prendre à la confusion populaire entre demande de monnaie pour encaisse, et désir de davantage de richesse.) La quantité de monnaie disponible dans l'ensemble de l'économie est toujours suffisante pour assurer à tout un chacun tout ce que la monnaie est capable de faire.

Si l'on considère les choses de ce point de vue, l'on peut déclarer que les dépenses supportées pour accroître la quantité de monnaie sont autant de gaspillages. Le fait que des choses qui pourraient rendre quelque autre service utile soient utilisées comme monnaie, et ainsi soustraites à ces autres emplois, apparaît comme un sacrifice inutile de possibilités limitées de satisfaction des besoins. C'est cette idée qui conduisit Adam Smith et Ricardo à considérer qu'il serait très avantageux de réduire le coût de la production de monnaie en recourant à l'emploi légal de papier-monnaie. Cependant, les choses apparaissent sous un autre jour à qui étudie l'histoire monétaire. Si l'on regarde les conséquences catastrophiques des grandes inflations de papier-monnaie, il faut reconnaître que le coût élevé de la production d'or est le moindre mal. Il serait futile de répliquer que ces catastrophes ont été provoquées par le mauvais usage que firent les gouvernements des pouvoirs que plaçaient entre leurs mains la monnaie — crédit et la monnaie factice, et que des gouvernements plus sages auraient adopté des politiques plus saines. Etant donné que la monnaie ne peut être neutre et de pouvoir d'achat constant, les plans d'un gouvernement concernant la détermination de la quantité de monnaie ne peuvent jamais être impartiaux, ni équitables envers tous les membres de la société. Tout ce qu'un gouvernement fait dans l'intention d'influer sur le niveau du pouvoir d'achat dépend nécessairement des jugements de valeur personnels des dirigeants. Les intérêts de certains groupes de gens sont toujours, dans ces opérations, avantagés au détriment d'autres groupes. Elles ne servent jamais ce qu'on appelle le bien public ou la prospérité commune. Pas plus que dans les autres domaines, les politiques monétaires ne peuvent s'appuyer scientifiquement sur des formules normatives.

Le choix de la chose à employer comme instrument d'échange et comme monnaie n'est jamais indifférent. Il détermine le cours des changements induits par encaisses dans le pouvoir d'achat. La seule question est de savoir qui devrait faire le choix : les gens qui achètent et vendent sur le marché, ou les gouvernements ? Ce fut le marché qui, dans un processus de sélection, qui a duré pendant des générations, assigna finalement aux métaux précieux, or et argent, le caractère de monnaie. Il y a deux cents ans que les gouvernements sont intervenus à l'encontre des choix du marché en fait d'instrument monétaire. Même les étatistes les plus fanatiques ne se risquent pas à affirmer que cette immixtion a été bénéfique.

Inflation et déflation, inflationnisme et déflationnisme

Les notions d'inflation et de déflation ne sont pas des concepts praxéologiques. Ils n'ont pas été créés par des économistes, mais par le langage profane du public et des politiciens. Ils impliquaient l'illusion populaire, qu'il existe quelque chose comme une monnaie neutre, ou une monnaie à pouvoir d'achat constant, et que la monnaie doit être neutre et stable en pouvoir d'achat pour être saine. De ce point de vue, le terme d'inflation a été appliqué pour signifier les changements induits par encaisses, ayant pour résultat une baisse du pouvoir d'achat ; et le terme de déflation, pour signifier les changements induits par encaisses ayant pour résultat une hausse de pouvoir d'achat.

Cependant, ceux qui emploient ces termes ne se rendent pas compte du fait que le pouvoir d'achat ne cesse jamais de changer, et qu'en conséquence il y a toujours inflation ou déflation. Ils ignorent ces fluctuations nécessairement permanentes, dans la mesure où elles sont minimes et n'attirent pas l'attention ; ils réservent l'emploi des termes en question, aux grands changements de pouvoir d'achat. Etant donné que la question du point à partir duquel un changement de pouvoir d'achat mérite d'être considéré comme grand, dépend des jugements personnels quant à sa portée, il devient manifeste qu'inflation et déflation sont des termes dépourvus de la précision catégorielle requise pour des concepts praxéologiques, économiques et catallactiques. Leur emploi est approprié en histoire et en politique. La catallactique ne peut y recourir que lorsqu'elle applique ses théorèmes à l'interprétation d'événements de l'histoire économique et de programmes politiques. De plus, il est tout à fait indiqué, même dans les investigations rigoureuses de la catallactique, de se servir de ces deux termes chaque fois qu'il n'en peut résulter de malentendu, et qu'on peut ainsi éviter la lourdeur pédantesque de l'expression. Mais il est nécessaire de ne jamais oublier que tout ce que la catallactique dit concernant l'inflation et la déflation — c'est-à-dire de grands changements de pouvoir d'achat induits par encaisses — est également vrai concernant les petits changements, bien qu'évidemment les conséquences de ces petits changements soient moins visibles que celles des grands.

Les termes d'inflationnisme et déflationnisme, inflationnistes et déflationnistes, signifient les programmes politiques visant à l'inflation ou à la déflation au sens des grands changements induits par encaisses dans le pouvoir d'achat.

La révolution sémantique qui est l'une des caractéristiques majeures de notre époque a aussi changé la connotation traditionnelle des termes inflation et déflation. Ce que beaucoup de gens appellent ainsi aujourd'hui n'est plus le grand accroissement ou la grande contraction de la quantité de monnaie, mais les conséquences qui en découlent inexorablement : la tendance générale à une hausse ou à une baisse des prix des biens et des taux de salaires. Cette innovation est loin d'être anodine. Elle joue un rôle important, en ce qu'elle nourrit les tendances populaires vers l'inflationnisme.

Tout d'abord, il n'y a plus de terme disponible pour signifier ce que le mot inflation signifiait jadis. Il est impossible de combattre une politique que vous ne pouvez nommer. Hommes d'État et écrivains n'ont plus la possibilité de recourir à une terminologie acceptée et comprise par le publie, lorsqu'ils veulent mettre en question le bien-fondé de l'émission d'énormes quantités supplémentaires de monnaie. Il leur faut entrer dans une analyse détaillée et décrire cette politique avec tous ses caractères et des comptes méticuleux ; et ils doivent répéter ce processus lassant à chaque étape de leur discussion du problème. Comme cette politique n'a pas de nom, l'on pense qu'il n'y a là rien à analyser, mais un fait pur et simple. Elle s'épanouit sans entraves.

Le second méfait est que ceux qui s'engagent dans des tentatives naïves et sans espoir pour combattre les inévitables conséquences de l'inflation — les prix en hausse — déguisent leur entreprise en l'appelant lutte contre l'inflation. Alors qu'ils ne font que combattre des symptômes, ils prétendent combattre les racines du mal. Parce qu'ils ne comprennent pas les relations ` causales entre l'accroissement de la quantité de monnaie d'une part, et la hausse des prix de l'autre, ils aggravent pratiquement les choses. Le meilleur exemple a été fourni par les subventions accordées pendant la seconde guerre mondiale aux agriculteurs, par les gouvernements des États-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne. Les prix plafonnés réduit sent l'offre des denrées concernées, parce que leur production se traduit par une perte pour les producteurs marginaux. Pour prévenir cette conséquence, les gouvernements accordèrent des subsides aux agriculteurs qui produisaient aux coûts les plus élevés. Ces mesures de soutien furent i financées par des injections supplémentaires de monnaie. Si les consommateurs avaient eu à payer plus cher les produits en question, l'on n'aurait pas vu se produire d'effets inflationnistes ultérieurs. Les consommateurs auraient été forcés d'employer à ces dépenses supplémentaires la monnaie qui était déjà émise, et elle seule. Ainsi la confusion entre l'inflation et ses conséquences produit en fait directement une inflation accrue.

Il est clair que cette nouvelle connotation à la mode, des termes d'inflation et déflation est entièrement déroutante et perturbatrice, et qu'elle doit être absolument rejetée.

7 / Calcul monétaire et changements dans te pouvoir d'achat

Le calcul monétaire compte avec les prix des biens et services tels qu'ils ont été déterminés, auraient été déterminés, ou seront vraisemblablement déterminés sur le marché. Il cherche à déceler les discordances de prix et à tirer des conclusions de telles découvertes.

Les changements induits par encaisses dans le pouvoir d'achat ne peuvent être pris en compte dans de tels calculs. Il est possible de remplacer les calculs basés sur une certaine monnaie a par des calculs différents fondés sur une autre monnaie b. Dans ce cas, les calculs sont mis à l'abri des déviations provenant de changements dans le pouvoir d'achat de a ; mais ils peuvent être encore faussés par les changements intervenant dans le pouvoir d'achat de b. Il n'y a aucun moyen de libérer quelque mode de calcul que ce soit de l'influence des changements de pouvoir d'achat de la monnaie particulière sur laquelle il est basé.

Tous les résultats du calcul économique et toutes les conclusions qu'on en tire sont soumis aux vicissitudes liées aux changements induits par encaisses du pouvoir d'achat. En liaison avec les hausses ou baisses du pouvoir d'achat, il se produit entre les articles reflétant des prix antérieurs et ceux reflétant les prix plus récents des différences spécifiques ; le calcul montre des profits ou pertes qui proviennent seulement des changements induits par encaisses dans le pouvoir d'achat de la monnaie. Si nous comparons ces profits ou ces pertes avec le résultat d'un calcul accompli sur la base d'une autre monnaie dont le pouvoir d'achat a subi des variations moins intenses, nous pouvons les dire imaginaires ou simplement apparents. Mais il ne faut pas oublier que de telles constatations ne sont possibles qu'en comparant des calculs faits en différentes sortes de monnaie. Comme il n'existe en réalité aucune monnaie à pouvoir d'achat constant, de tels profits ou pertes apparents ressortent de tous les modes de calculs économiques, quelle que soit la sorte de monnaie prise pour base. Il est impossible de distinguer strictement les profits et pertes authentiques de ceux qui sont simplement apparents.

L'on peut donc déclarer que le calcul économique n'est pas parfait. Malgré tout, personne n'est capable de suggérer une méthode qui pourrait affranchir le calcul économique de ces imperfections ou dessiner un système monétaire qui pourrait écarter cette source d'erreur entièrement.

C'est un fait indéniable que le marché libre a réussi à élaborer un système de moyens de paiement qui répondait bien à toutes les exigences aussi bien de l'échange indirect que du calcul économique. Les objectifs de la supputation monétaire sont d'une nature telle qu'ils ne peuvent être frustrés par les inexactitudes dérivant de mouvements du pouvoir d'achat lents et de faible amplitude relative. Les variations de pouvoir d'achat induites par encaisses, de l'amplitude qui était habituelle au cours des deux derniers siècles avec la monnaie métallique, et plus spécialement avec la monnaie d'or, ne peuvent affecter le résultat des calculs économiques des chefs d'entreprises si gravement que leurs supputations en deviennent inefficaces. L'expérience historique montre que l'on pouvait, à toutes les fins pratiques que comporte la conduite d'une affaire, employer de façon tout à fait satisfaisante ces méthodes de calcul. L'examen théorique montre qu'il est impossible d'imaginer, et encore moins de réaliser, une méthode meilleure. De ce fait, il est vain de qualifier d'imparfait le calcul économique. L'homme n'a pas le pouvoir de changer les catégories de l'agir humain. Il doit ajuster sa conduite à ces catégories.

Les hommes d'affaires n'ont jamais estimé nécessaire de libérer le calcul économique en termes de monnaie — or, de sa dépendance par rapport aux fluctuations du pouvoir d'achat. Les propositions pour améliorer le système de la monnaie à cours légal, en adoptant une table de référence composée de chiffres — indices, ou bien divers systèmes d'étalons — marchandises, n'ont pas été faites en vue des transactions économiques pratiques et du calcul monétaire. Leur but était de fournir un étalon moins instable pour les contrats de prêts à long terme. Les entrepreneurs n'ont même pas jugé utile de modifier leurs méthodes comptables sur certains points où il eût été aisé de resserrer les marges d'erreur découlant des fluctuations de pouvoir d'achat. Il aurait été, par exemple, possible d'abandonner la pratique d'amortir les équipements durables au moyen de tranches annuelles de leur prix d'acquisition. A la place, on pouvait employer un système de mise en réserve de quotas de dépréciation, invariablement fixés en un pourcentage du coût de remplacement estimé suffisant pour payer le matériel neuf le moment venu. Mais le monde des affaires n'était pas disposé à l'adopter.

Tout ce qui précède ne vaut qu'en ce qui concerne une monnaie non sujette à des variations de pouvoir d'achat induites par encaisses, rapides et de grande ampleur. Mais une monnaie sujette à de rapides et profondes variations devient complètement inapte au service en tant qu'instrument d'échange.

8 / L'anticipation des changements probables dans le pouvoir d'achat de la monnaie

Les délibérations des individus qui déterminent leur comportement vis-à-vis de la monnaie se basent sur leur connaissance des prix du passé immédiat. S'ils ne les connaissaient pas, ils ne seraient pas en mesure de décider du montant auquel devrait s'élever leur encaisse liquide, ni combien ils devraient dépenser pour acquérir les divers biens dont ils ont besoin. Un instrument d'échange sans passé n'est pas imaginable. Rien ne peut revêtir la fonction d'instrument d'échange, qui n'ait été déjà un bien économique auquel les gens assignaient une valeur d'échange avant même qu'il ne devienne demandé en tant qu'instrument d'échange.

Mais le pouvoir d'achat transmis par le passé immédiat est modifié par ce que sont aujourd'hui la demande et la masse disponible de monnaie. L'agir humain est toujours provision pour le futur, même si ce futur vient dans l'heure commencée. Celui qui achète, le fait pour la consommation et la production à venir. Dans la mesure où il pense que le futur va différer du présent et du passé, il modifie sa façon de juger des valeurs et des prix. Cela n'est pas moins vrai vis-à-vis de la monnaie, que de tous les biens vendables. Dans ce sens, nous pouvons dire que la valeur d'échange de la monnaie aujourd'hui est une anticipation de sa valeur d'échange demain. La base de tous les jugements concernant la monnaie est son pouvoir d'achat tel qu'il était dans le passé immédiat. Mais, dans la mesure où l'on s'attend à des variations de pouvoir d'achat induites par encaisses, un second facteur entre en scène, qui est l'anticipation de ces variations.

Celui qui pense que les prix des biens auxquels il s'intéresse augmenteront, en achète davantage qu'il n'eût fait s'il n'avait cru à cette hausse ; en conséquence, il diminue son encaisse liquide. Celui qui croit que les prix baisseront, restreint ses achats et donc augmente son encaisse. Aussi longtemps que de telles prévisions aléatoires sont limitées à quelques marchandises, elles ne provoquent pas une tendance générale à changer l'importance des encaisses. Mais c'est différent si les gens croient qu'ils sont à la veille de grands changements du pouvoir d'achat induits par encaisses. Lorsqu'ils s'attendent à une hausse ou une baisse des prix de toutes choses, ils intensifient ou ralentissent leurs achats. Ces attitudes renforcent et accélèrent considérablement les tendances escomptées. Cela continue jusqu'au moment où l'on ne s'attend plus à voir le changement du pouvoir d'achat dépasser le point atteint. Alors seulement les gens cessent d'être poussés à acheter ou à vendre, et recommencent à augmenter ou restreindre leurs encaisses.

Mais si à un moment donné l'opinion publique se persuade que l'augmentation de la quantité de monnaie va continuer indéfiniment, et qu'en conséquence les prix de tous les biens et services ne cesseront pas de monter, tout le monde se hâte d'acheter le plus possible et de limiter son encaisse au strict minimum. Car dans de telles circonstances, le coût habituel de conserver de l'encaisse liquide s'augmente des pertes subies du fait de la baisse progressive du pouvoir d'achat. Les avantages de garder du liquide doivent se payer de sacrifices si lourds qu'ils apparaissent déraisonnables. Ce phénomène fut, lors des grandes inflations européennes des années vingt, appelé « fuite vers les valeurs réelles » (flight into real goods, Flucht in die Sachwerte) ou hausse de panique (Crack-up boom, Katastrophenhausse). Les économistes mathématiciens sont bien embarrassés pour s'expliquer la relation causale entre l'accroissement de la quantité de monnaie et ce qu'ils appellent la « vélocité de la circulation ».

La marque caractéristique de ce phénomène est que l'accroissement de la quantité de monnaie provoque une baisse de la demande de monnaie. La tendance à la fonte du pouvoir d'achat, telle que l'engendre l'augmentation de la quantité disponible de monnaie, est intensifiée par la propension générale à restreindre les encaisses qu'elle entraîne. Finalement, un point est atteint où les prix auxquels les gens seraient disposés à céder des biens « réels » sont majorés d'un escompte tel pour parer à l'accélération de la baisse prévue du pouvoir d'achat, que plus personne n'a assez d'argent liquide disponible pour payer de tels prix. Le système monétaire s'effondre, toutes les transactions en monnaie cessent ; une panique achève d'enlever tout pouvoir d'achat à cette monnaie-là. Les gens retournent au troc, ou à l'emploi d'une autre sorte de monnaie.

Le cours d'une inflation croissant avec le temps est celui-ci : au commencement l'injection de monnaie additionnelle fait que les prix de certaines marchandises augmentent ; d'autres prix augmentent plus tard. La hausse des prix affecte les divers biens et services, comme on l'a montré, à des moments différents et dans une proportion différente.

Ce premier stade du processus inflationniste peut durer de longues années. Pendant ce temps, les prix de nombreux biens et services ne sont pas encore ajustés à la relation monétaire modifiée. Il y a encore des gens dans le pays qui ne se sont pas rendu compte d'être en présence d'une révolution des prix qui aboutira à une hausse considérable de tous les prix, bien que l'importance de cette hausse ne doive pas être la même pour les divers biens et services. Ces gens croient encore qu'un jour les prix baisseront. Dans l'attente de ce jour, ils restreignent leurs achats et du même coup augmentent leurs encaisses. Aussi longtemps que de telles idées demeurent ancrées dans l'opinion du public, il n'est pas trop tard pour que le gouvernement abandonne sa politique inflationnaire.

Mais à la fin les masses s'éveillent à la réalité. Elles s'aperçoivent soudain du fait que l'inflation est délibérée et que cette politique continuera indéfiniment. Une rupture d'équilibre survient. La hausse de panique se produit. Tout le monde est pressé d'échanger son argent contre des biens « réels », qu'on en ait besoin ou pas, et à n'importe quel prix. Dans un délai très bref, quelques semaines ou même quelques jours, ce qu'on employait comme monnaie cesse de servir de moyens d'échange. Cela devient des chiffons de papier. Personne ne veut donner quoi que ce soit pour en recevoir.

C'est là ce qui s'est passé avec la monnaie continentale en Amérique, en 1781 ; avec en France les mandats territoriaux en 1796, et avec le Mark allemand en 1923. Cela se reproduira chaque fois que la même situation apparaîtra. Pour que quelque chose soit employé comme instrument d'échange, l'opinion publique ne doit pas être fondée à croire que la quantité de cette chose augmentera sans limite. L'inflation est une politique qui ne peut être perpétuelle.

9 / La valeur spécifique de la monnaie

Dans la mesure où un bien employé comme monnaie est revêtu d'une valeur et d'un prix en raison des services qu'il rend à des fins non monétaires, il ne se pose aucun problème appelant une attention spéciale. La tâche de la théorie de la monnaie consiste simplement à traiter de cette composante de la valeur attribuée à la monnaie, qui dépend de sa fonction comme instrument d'échange.

Dans le cours de l'histoire, diverses marchandises ont été employées comme instruments d'échange. Une longue évolution a éliminé la plupart de ces marchandises de l'emploi monétaire. Deux seulement, les métaux précieux or et argent, ont subsisté. Dans la seconde partie du XIXe siècle, des gouvernements de plus en plus nombreux se tournèrent résolument vers la démonétisation de l'argent.

Dans tous ces cas, ce qui est employé comme monnaie est une marchandise qui est utilisée aussi pour des fins non monétaires. Dans l'étalon — or, l'or est monnaie et la monnaie est or. Il est sans importance que les lois assignent ou non le pouvoir libératoire aux seules pièces frappées par le gouvernement. Ce qui compte est que ces pièces contiennent réellement un poids fixe d'or, et que n'importe quelle quantité de métal monnayable puisse être transformée en pièces. En régime d'étalon — or, le dollar et la livre n'étaient que de simples noms pour une quantité définie d'or, entre des marges extrêmement étroites fixées avec précision par la loi. Nous pouvons appeler cette sorte de monnaie une monnaie-marchandise.

Une seconde sorte de monnaie est la monnaie-crédit. La monnaie-crédit a son origine dans l'emploi de substituts monétaires. On avait l'habitude d'employer des créances payables à vue et absolument sûres, comme substitut de la somme d'argent à laquelle ces créances donnaient droit. (Nous traiterons des caractéristiques et des problèmes des substituts monétaires dans les sections suivantes.) Le marché usait constamment de ces créances, et continua quand un jour leur rachat immédiat fut suspendu, et que des doutes sur leur sûreté et la solvabilité du débiteur se manifestèrent. Aussi longtemps que ces créances avaient été des créances à échéance quotidienne sur un débiteur dont la solvabilité était incontestée, pouvant être réglées à vue et sans frais, leur valeur d'échange avait été égale à leur valeur faciale ; c'était cette parfaite équivalence qui leur conférait le caractère de substituts de la monnaie. A partir du moment où leur rachat fut suspendu, leur échéance repoussée à un avenir indéfini, des doutes apparurent sur la solvabilité du débiteur ou du moins sur sa volonté de payer, et en conséquence elles perdirent une partie de la valeur qu'on leur attribuait précédemment. C'étaient maintenant de simples créances, qui ne portaient pas d'intérêt, contre un débiteur douteux, et dont l'échéance restait indéterminée. Mais étant donné qu'on s'en servait comme instrument d'échange, leur valeur d'échange ne tomba pas aussi bas qu'elle l'eût fait si elles n'avaient été simplement que des créances.

L'on peut aisément admettre que cette monnaie — crédit pourrait rester en usage comme instrument d'échange, même si elle perdait son caractère de créance sur une banque ou sur le Trésor, devenant ainsi de la monnaie factice. Une monnaie factice consiste en de simples signes qui ne peuvent ni être employés à aucun usage industriel, ni ouvrir une créance sur qui que ce soit.

II n'incombe pas à la catallactique, mais à l'histoire économique de rechercher s'il y a eu dans le passé des spécimens de monnaie — factice, ou si toutes les sortes de monnaie qui ne furent pas des monnaies marchandises ont été de la monnaie —crédit. La seule chose que la catallactique ait à établir, c'est que la possibilité de l'existence de la monnaie factice doit être admise.

La chose importante à retenir est que pour toute espèce de monnaie, sa démonétisation — c'est-à-dire l'abandon de son emploi comme instrument d'échange — doit entraîner une diminution considérable de sa valeur d'échange. Ce que cela signifie pratiquement a été mis en lumière quand dans les quatre-vingt-dix dernières années l'emploi de l'argent —métal comme monnaie — marchandise a été graduellement restreint.

Il y a des exemples de monnaie — crédit et de monnaie factice qui sont matérialisées par des jetons métalliques. Cette monnaie est en quelque sorte imprimée sur de l'argent, du cuivre ou du nickel. Si de telles pièces de monnaie factice sont démonétisées, elles gardent une valeur d'échange en tant que bout de métal. Mais c'est une bien petite indemnisation pour le détenteur. Elle n'a pratiquement aucune importance.

La conservation d'une encaisse liquide comporte des sacrifices. Dans la mesure où une personne conserve de l'argent dans ses poches ou un solde créditeur à son compte en banque, elle renonce à l'emploi immédiat de ces sommes pour acquérir des biens qu'elle pourrait consommer ou employer dans la production. En économie de marché, ces sacrifices peuvent être définis avec précision par le calcul. Ils sont égaux au montant de l'intérêt originel qu'il aurait gagné en investissant la somme. Le fait qu'un homme prend en compte ce manque à gagner prouve qu'il préfère les avantages de la détention d'une encaisse, malgré la perte de l'intérêt.

II est possible de préciser les avantages que les gens attendent de la conservation d'une certaine encaisse. Mais c'est une illusion que de supposer qu'une analyse de ces motifs pourrait nous fournir une théorie de la détermination du pouvoir d'achat, qui pourrait se passer des notions d'encaisse gardée liquide et de demande et offre de monnaie 12. Les avantages et inconvénients de garder une encaisse ne sont pas des facteurs objectifs qui pourraient influer directement sur le montant des encaisses gardées. Ils sont mis en balance par chaque individu et pesés les uns contre les autres. Le résultat est un jugement de valeur subjectif, coloré par la personnalité de l'individu. Des gens divers, et les mêmes gens à divers moments, évaluent les mêmes faits objectifs de façon diverse. De même qu'on ne pourrait, en connaissant l'état de santé et la condition physique d'un homme, dire combien il serait disposé à dépenser pour de la nourriture d'un certain pouvoir nutritif, la connaissance des données concernant sa situation matérielle ne nous permet pas de dire quoi que ce soit de précis quant au volume de l'encaisse qu'il garde.

10 / La portée de la relation monétaire

La relation monétaire, c'est-à-dire la relation entre la demande de monnaie et la quantité de monnaie disponible, détermine uniquement la structure des prix pour autant que le taux d'échange réciproque entre monnaie et biens ou services vendables est concerné.

Si la relation monétaire reste inchangée, il ne peut apparaître de pression inflationniste (expansionniste) ni déflationniste (contractionniste) sur le commerce, les entreprises, la production, la consommation et l'emploi. Les assertions en sens contraire reflètent les plaintes de gens qui renâclent devant la nécessité d'ajuster leurs activités aux demandes de leurs contemporains telles qu'elles se manifestent sur le marché. Néanmoins, ce n'est pas à cause d'une prétendue rareté de monnaie, que les prix des produits agricoles sont insuffisants pour assurer aux cultivateurs sub-marginaux des recettes du montant désiré par eux. La cause de la détresse de ces agriculteurs est que d'autres agriculteurs produisent à moindre coût.

Un accroissement de la quantité de biens produits, toutes choses égales d'ailleurs, doit amener une amélioration de la situation des gens. Sa conséquence est une baisse des prix en monnaie des biens dont la production a augmenté. Mais une telle baisse du prix en monnaie ne diminue en rien les avantages qui découlent de la production de richesses plus abondantes. L'on peut considérer comme inéquitable que la part des créanciers dans cette richesse supplémentaire augmente, bien que de telles critiques soient contestables si l'augmentation de pouvoir d'achat a été correctement prévue et s'il en a été tenu compte de façon adéquate par une prime de prix négative 13. Mais il ne faut pas dire qu'une baisse de prix provoquée par l'accroissement de production des biens en question prouve qu'il y a un déséquilibre impossible à éliminer sans un accroissement de la quantité de monnaie. Bien entendu, en règle générale tout accroissement de la production de certains biens ou de tous les biens requiert une nouvelle affectation des facteurs de production entre les diverses branches de l'activité économique. Si la quantité de monnaie demeure inchangée, la nécessité d'une telle redistribution devient visible dans la structure des prix. Certaines branches de production deviennent plus profitables, dans d'autres les profits baissent ou des pertes apparaissent. Par là, le fonctionnement du marché tend à éliminer ces déséquilibres dont il f est tant parlé. Il est possible, par le moyen d'une augmentation de la quantité de monnaie, de retarder ou d'interrompre ce processus d'adaptation. Il est impossible de le rendre superflu, ou moins pénible pour les intéressés.

Si les variations induites par encaisses dans le pouvoir d'achat provoquées par les gouvernements n'avaient d'autre résultat que des déplacements de richesse entre certaines gens et d'autres, il ne serait pas admissible de les condamner du point de vue de la neutralité scientifique de la catallactique. Il est évidemment frauduleux de les justifier sous le prétexte du bien commun ou de la prospérité générale. Mais l'on pourrait encore les considérer comme des mesures politiques convenables pour favoriser les intérêts de certains groupes aux frais d'autres groupes, sans qu'il y ait d'autres inconvénients. Cependant, il y a en fait d'autres conséquences à considérer.

Il n'est pas nécessaire de souligner celles auxquelles entraîne forcément une politique de déflation prolongée. Personne ne préconise une telle politique. La faveur des masses, ainsi que des écrivains et hommes politiques désireux d'être applaudis, va à l'inflation. A propos de ces tendances, nous devons souligner trois points : Primo, une politique inflationniste ou expansionniste provoque inévitablement une surconsommation d'une part, et de mauvais investissements d'autre part. Ainsi elle gaspille du capital et compromet dans l'avenir l'état de satisfaction des besoins 14. Secundo, le processus inflationniste n'écarte pas la nécessité d'ajuster la production et de réorienter les ressources. Il ne fait que la différer et la rend ainsi plus malaisée. Tertio, l'inflation ne peut être employée comme politique permanente, parce qu'à la longue elle conduit forcément à l'effondrement du système monétaire.

Un petit commerçant ou un aubergiste peut aisément tomber dans l'illusion que tout ce qu'il faut pour que ses confrères et lui-même soient plus prospères, c'est que le public dépense davantage. A ses yeux, l'important est de pousser les gens à dépenser plus. Mais il est effarant qu'une telle croyance puisse être présentée au monde comme une nouvelle philosophie sociale. Lord Keynes et ses disciples imputent au manque de propension à dépenser ce qu'ils jugent insatisfaisant dans la situation économique. Ce qui est nécessaire, à leur avis, pour rendre les gens plus prospères, ce n'est pas une augmentation de production, mais une augmentation de dépense. Afin que les gens puissent dépenser davantage, on recommande une politique « expansionniste ».

Cette thèse est aussi ancienne qu'elle est mauvaise. Son analyse et sa réfutation seront effectuées dans le chapitre relatif au cycle économique 15.

11 / Les substituts de la monnaie

Des créances pour une quantité de monnaie définie, payables et recouvrables sur demande, contre un débiteur dont la solvabilité et l'intention de payer ne font aucun doute, rendent à l'individu tous les services que la monnaie peut rendre, pourvu que toutes les parties avec lesquelles il peut opérer des transactions soient parfaitement au courant des qualités essentielles ci-dessus des créances en question : exigibilité quotidienne, solvabilité et intention de payer indubitables du débiteur. Nous pouvons appeler de telles créances des substituts monétaires, puisqu'elles peuvent pleinement remplacer la monnaie dans l'encaisse de l'individu ou de la firme. Les caractères techniques et légaux des substituts de monnaie ne sont pas du ressort de la catallactique. Un substitut monétaire peut être concrétisé par un billet de banque, ou un dépôt à vue auprès d'une banque honorant les chèques (monnaie — chèques ou monnaie bancaire), pourvu que la banque soit en mesure d'échanger à vue et sans frais le billet contre la monnaie vraie. Les jetons sont aussi des substituts de la monnaie, pourvu que le porteur soit en mesure de les échanger à volonté, sans frais ni délai, contre de la monnaie. Pour réaliser cela, il n'est pas nécessaire que le gouvernement soit obligé par la loi de les racheter. Ce qui importe est que ces signes soient réellement échangeables sans frais ni délai. Si le montant total des jetons mis en circulation est maintenu dans des limites raisonnables, le gouvernement n'a pas à prendre de mesure spéciale pour maintenir leur valeur d'échange au pair de leur valeur faciale. La demande du public pour de la monnaie divisionnaire donne à tout un chacun l'occasion de les échanger contre des pièces de monnaie. L'important est que tout porteur de substituts monétaires soit absolument certain de pouvoir, à tout instant et sans frais, les échanger contre de la monnaie.

Si le débiteur — le gouvernement ou une banque — conserve en regard du volume total des substituts monétaires une réserve à 100 % de monnaie réelle, nous appelons ce substitut monétaire un certificat de monnaie. Chaque certificat de monnaie est — sinon légalement, du moins toujours au sens catallactique — la représentation d'un montant correspondant de monnaie en réserve. L'émission de certificats de monnaie n'augmente pas la quantité des choses susceptibles de satisfaire la demande de monnaie pour encaisse. Par conséquent, les variations dans le volume des certificats n'altèrent pas la masse de monnaie disponible ni la relation monétaire. Ils ne jouent aucun rôle dans la formation du pouvoir d'achat de la monnaie.

Si la réserve de monnaie conservée par le débiteur en regard des substituts monétaires demeure inférieure au montant total des certificats de monnaie, nous appelons cet excédent de certificats par rapport à la réserve, moyens fiduciaires. En règle générale, il n'est pas possible de vérifier si un certain spécimen de substitut monétaire est un certificat de monnaie ou un instrument fiduciaire. Une partie du montant total des substituts monétaires en circulation est d'habitude couverte par la réserve de monnaie conservée. Ainsi, une part du montant total des substituts monétaires en circulation consiste en certificats de monnaie, le reste étant des instruments fiduciaires. Mais ce fait ne peut être mesuré par que ceux qui sont familiers avec les bilans bancaires. Le billet de banque, le dépôt ou le jeton de monnaie divisionnaire ne renseigne pas sur son caractère catallactique.

L'émission de certificats de monnaie n'accroît pas les fonds que la banque peut employer pour ses opérations de prêts. Une banque qui n'émet pas d'instruments fiduciaires ne peut accorder que du crédit-réel, elle ne peut prêter que ses propres fonds et le montant de monnaie que lui ont confié ses clients. L'émission d'instruments fiduciaires augmente les fonds dont dispose la banque pour prêter au-delà de ces limites. Elle peut maintenant accorder non seulement du crédit-réel, mais aussi du crédit de circulation, c'est-à-dire du crédit au moyen de l'émission d'instruments fiduciaires.

Tandis que la quantité de certificats de monnaie est indifférente, la quantité des instruments fiduciaires ne l'est pas. Les instruments fiduciaires affectent les phénomènes de marché de la même façon que le fait la monnaie. Les variations de leur volume influent sur la détermination du pouvoir d'achat de la monnaie, des prix et — pour un temps — aussi du taux de l'intérêt.

Des économistes ont précédemment employé une autre terminologie. Beaucoup étaient disposés à appeler les substituts monétaires, simplement de la monnaie, puisqu'ils sont aptes à remplir les services que la monnaie rend. Mais cette terminologie n'est pas pratique. Le premier objet d'une terminologie scientifique est de faciliter l'analyse des problèmes impliqués. La tâche de la théorie catallactique de la monnaie — en tant que distincte de la théorie légale et des disciplines techniques du métier de banquier et de comptable — est l'étude des problèmes de la formation des prix et des taux d'intérêt. Cette tâche exige une distinction tranchée entre les certificats de monnaie et les instruments fiduciaires.

Le terme expansion du crédit a été souvent mal interprété. Il est important de comprendre que le crédit-réel ne peut être étendu. Le seul véhicule de l'expansion de crédit consiste dans le crédit de circulation. Mais le fait d'accorder du crédit de circulation ne signifie pas toujours une expansion du crédit. Si le montant des instruments fiduciaires antérieurement émis a épuisé tous ses effets sur le marché, si les prix, les taux de salaires et les taux d'intérêt ont été ajustés à la masse totale de monnaie proprement dite et de moyens fiduciaires (masse monétaire au sens large), le fait d'accorder du crédit de circulation sans un surcroît d'instruments fiduciaires ne constitue pas de l'expansion du crédit. L'expansion de crédit n'a lieu que si le crédit est fourni par une addition d'instruments fiduciaires, et non pas si les banques prêtent de nouveau des instruments fiduciaires remboursés par leurs anciens débiteurs.

12 / La limitation de l'émission d'instruments fiduciaires

Les gens se comportent avec les substituts monétaires comme si c'était de la monnaie, parce qu'ils ont pleinement confiance dans la possibilité de les échanger n'importe quand, sans délai et sans frais, contre de la monnaie. Nous pouvons appeler ceux qui partagent cette confiance, et sont donc disposés à traiter les substituts monétaires comme s'ils étaient de la monnaie, les clients du banquier émetteur, de la banque ou de l'autorité émettrice. Il est sans importance que l'organisme émetteur soit ou non géré conformément aux usages admis dans l'industrie bancaire. Les jetons de monnaie divisionnaire émis par le Trésor sont aussi des substituts monétaires, bien que le Trésor, en règle générale, ne comptabilise pas le montant émis comme une dette exigible, ni ne considère ce montant comme une part de la dette publique du pays. Il n'importe pas davantage que le porteur d'un substitut monétaire ait ou non la possibilité d'une action en justice pour obtenir le remboursement. L'important est que le substitut monétaire puisse réellement être échangé contre monnaie sans délai ni coût 16.

Émettre des certificats de monnaie est une entreprise coûteuse. Les billets de banque doivent être imprimés, les jetons divisionnaires frappés ; un système de comptabilisation des dépôts doit être mis sur pied ; les réserves doivent être gardées en lieu sûr ; enfin, il y a le risque d'être escroqué par de faux billets de banque ou de faux chèques. En contrepartie de ces dépenses, il n'y a que la faible chance qu'une partie des billets émis se trouve détruite, et la chance encore plus mince que quelques déposants oublient leur dépôt. Emettre des certificats de monnaie est ruineux, si ce n'est associé à l'émission d'instruments fiduciaires. Au début de l'histoire de l'activité bancaire, il y eut des banques dont la seule opération consistait à émettre des certificats de monnaie ; mais ces banques étaient indemnisées par leurs clients, pour les frais encourus. De toute façon, la catallactique ne s'intéresse pas aux aspects purement techniques des banques qui n'émettent pas d'instruments fiduciaires. Le seul intérêt que la catallactique porte aux certificats de monnaie, regarde la liaison entre leur émission et celle des instruments fiduciaires.

Alors que la quantité des certificats de monnaie est catallactiquement sans importance, une augmentation ou une diminution du volume des instruments fiduciaires affecte la détermination du pouvoir d'achat de la monnaie, de la même façon que le font les variations dans la quantité de monnaie. C'est pourquoi la question de savoir s'il y a ou non des limites à l'augmentation du volume des instruments fiduciaires, est d'une importance fondamentale.

Si la clientèle d'une banque comprend tous les membres de l'économie de marché, la limite à l'émission d'instruments fiduciaires est la même que celle tracée à l'accroissement de la quantité de monnaie. Une banque qui, dans un pays isolé ou dans le monde entier, est la seule institution émettant des instruments fiduciaires, et dont la clientèle comprend tous les individus et firmes, doit observer dans la conduite de ses opérations les deux règles suivantes :

Premièrement, elle doit éviter toute action qui pourrait rendre soupçonneux les clients, autrement dit le public. Dès que les clients commencent à perdre confiance, ils se mettent à demander le remboursement des billets de la banque et à retirer leurs dépôts. La mesure dans laquelle la banque peut s'aventurer à accroître ses émissions de moyens fiduciaires sans éveiller la méfiance, dépend de facteurs psychologiques.

Deuxièmement, elle ne doit pas accroître le volume des instruments fiduciaires émis à un rythme tel, que les clients en arrivent à se persuader que les prix vont continuer d'augmenter, indéfiniment et de plus en plus vite. Car si les gens croient que ce sera le cas, ils réduiront leurs encaisses pour se précipiter sur des « valeurs réelles », et déclencheront la « hausse de panique ». Il est impossible d'imaginer le déclenchement de cette marche au cataclysme, sans supposer que sa première manifestation consiste dans la disparition graduelle de la confiance. Le public préférera certainement échanger les instruments fiduciaires contre de la monnaie, plutôt que de se réfugier dans les « valeurs réelles », autrement dit d'acheter en hâte n'importe quoi. Par conséquent la banque devra faire faillite. Si le gouvernement s'interpose en libérant la banque de l'obligation de rembourser ses billets et de restituer les dépôts conformément aux termes du contrat, les moyens de paiement fiduciaires deviennent ou bien de la monnaie — crédit, ou bien de la monnaie factice. La suspension du paiement en espèces transforme radicalement l'état des choses. Il n'est plus désormais question de moyens de paiement fiduciaires, de certificats de monnaie et de substituts monétaires. Le pouvoir politique entre en scène, avec le cours forcé imposé par la loi. La banque perd son existence indépendante ; elle devient un outil pour la politique des gouvernants, une agence subalterne du Trésor.

Au point de vue catallactique, les problèmes les plus importants à propos de l'émission des instruments fiduciaires par une banque unique, ou par des banques agissant de concert, dont la clientèle comprend tous les individus, ne sont pas ceux des limites tracées au montant des émissions. Nous traiterons ces problèmes-là au chapitre XX, concernant les relations entre la quantité de monnaie et le taux d'intérêt.

A ce point de notre réflexion, il nous faut examiner le problème de la coexistence de multiples banques indépendantes. Indépendance signifie que chaque banque, en émettant des instruments fiduciaires suit sa propre ligne de conduite et n'agit pas de concert avec les autres banques. Coexistence, signifie que chaque banque a une clientèle qui ne comprend pas tous les membres du système de marché. Pour la simplicité, nous supposerons que nul individu ou firme n'est client de plus d'une banque. Si nous supposions qu'il y a aussi des gens qui sont clients de plus d'une banque, et des gens qui ne sont clients d'aucune, cela ne changerait rien au résultat de notre démonstration.

La question à poser n'est pas de savoir si oui ou non il y a des bornes à l'émission d'instruments fiduciaires lorsque de telles banques existent en même temps et de façon indépendante. Puisqu'il y a des limites à l'émission d'instruments fiduciaires pour une banque unique dont tout le monde est client, il est évident que de telles limites s'imposent également à une multiplicité de banques coexistantes et indépendantes. Ce que nous voulons montrer est que pour une telle multiplicité de banques indépendantes qui coexistent, les limites sont encore plus étroites que celles tracées à une banque unique à clientèle totale.

Nous supposons que dans un système de marché plusieurs banques indépendantes ont été créées dans le passé. Auparavant, seule la monnaie était employée, puis ces banques ont introduit l'usage de substituts monétaires dont une partie constituée par des instruments fiduciaires. Chaque banque a une clientèle et a émis une certaine quantité d'instruments fiduciaires qui figurent comme substituts monétaires dans les encaisses des divers clients. La quantité totale des instruments fiduciaires émis par les banques et absorbés par les encaisses des clients a modifié la structure des prix et le pouvoir d'achat de l'unité monétaire. Mais ces effets ont déjà été entièrement ressentis, et à présent le marché n'est plus agité par les mouvements qu'a provoqués cette expansion antérieure du crédit.

A présent, supposons en outre qu'une seule banque se mette à émettre un volume supplémentaire d'instruments fiduciaires, pendant que les autres s'abstiennent de faire de même. Les clients de la banque expansionniste — vieux clients ou clients nouveaux attirés par l'expansion de crédit — obtiennent de nouvelles facilités, augmentent leur activité économique, ils se présentent sur le marché avec un surcroît de demande, et poussent les prix des biens et services. Les gens qui ne sont pas clients de la banque expansionniste ne sont pas à même de faire face à ces nouveaux prix ; ils sont obligés de restreindre leurs achats. Ainsi se produit sur le marché un transfert des biens qui se vendent, détournés des non-clients vers les clients de la banque expansionniste. Les clients achètent aux non-clients plus qu'ils ne leur vendent ; ils doivent payer aux non-clients plus qu'ils n'en reçoivent. Mais les substituts de monnaie émis par la banque expansionniste ne sont pas agréés par les non-clients, puisque ces derniers ne leur reconnaissent pas le caractère de substituts monétaires. Afin de régler leurs achats aux non-clients, les clients doivent d'abord échanger les substituts de monnaie émis par leur propre banque — la banque expansionniste — contre de la monnaie. La banque expansionniste doit racheter ses billets et rembourser ses dépôts. Ses réserves — nous supposons qu'une partie seulement des substituts monétaires qu'elle a émis avaient le caractère d'instruments fiduciaires — se rétrécissent. Le moment approche où la banque, ayant épuisé ses réserves de monnaie, ne sera plus en mesure de racheter les substituts monétaires encore en circulation. Afin d'éviter cette mise en cessation de paiements, elle doit le plus tôt possible en revenir à une politique de renforcement de ses réserves de monnaie. Elle doit abandonner ses méthodes expansionnistes.

Cette réaction du marché à une expansion de crédit de la part d'une banque à clientèle limitée a été brillamment décrite par l'école monétaire. Le cas particulier traité par l'école monétaire concernait la coïncidence entre une expansion de crédit par la banque centrale privilégiée, ou par l'ensemble des banques d'un seul pays, et une politique non expansionniste des banques des autres pays. Notre démonstration couvre le cas plus général de la coexistence de multiples banques à clientèles distinctes, de même que le cas le plus général où il n'existe qu'une banque à clientèle limitée dans un système où le reste des gens ne fréquente aucune banque et ne considère pas les créances comme des substituts de monnaie. Il est naturellement sans importance que l'on suppose les clients d'une banque comme vivant nettement séparés de ceux des autres banques, dans une région ou un pays déterminés, ou qu'on les suppose vivant côte à côte. Il n'y a là que des différences de données n'affectant pas le problème catallactique posé.

Une banque ne peut jamais émettre plus de substituts monétaires que ses clients n'en peuvent conserver en encaisse. Le client particulier ne peut conserver en encaisse une proportion de substituts-monétaires supérieure à la proportion entre son mouvement d'affaires avec les autres clients de la banque et son mouvement d'affaires total. Pour des raisons pratiques il restera, en général, nettement au-dessous de cette proportion maxima. C'est ainsi que la limite est tracée à l'émission d'instruments fiduciaires. Nous pouvons admettre que tout le monde est disposé à accepter dans ses transactions courantes, sans discrimination, les billets émis par n'importe quelle banque et les chèques tirés sur n'importe laquelle. Mais il dépose immédiatement à sa propre banque non seulement les chèques, mais aussi les billets des banques dont il n'est pas lui-même client. Par la suite, sa banque règle ses comptes avec la banque débitrice. Ainsi le processus décrit ci-dessus se met en marche.

On a écrit beaucoup de sottises à propos d'une tendance perverse du public à accepter de préférence les billets émis par des banques douteuses. La vérité est que, mis à part les petits groupes d'hommes d'affaires qui étaient capables de distinguer les bonnes banques des mauvaises, les billets de banque ont toujours été considérés avec méfiance. Ce sont les chartes spéciales, conférées par les gouvernements à des banques privilégiées, qui ont lentement fait disparaître ces préventions. L'argument souvent avancé, que les billets de faible montant vont aux mains de gens pauvres et ignorants qui ne peuvent distinguer les bons des mauvais billets, ne peut être pris au sérieux. Plus celui qui reçoit un billet de banque est pauvre et ignorant des usages bancaires, plus vite il dépensera ce billet qui retournera rapidement, à travers le commerce de détail et de gros, à la banque qui l'a émis, ou à des gens au courant de la situation bancaire.

Il est très facile pour une banque d'accroître le nombre de gens disposés à accepter des prêts fournis par l'expansion de crédit et versés sous forme de substituts monétaires. Mais il est fort malaisé pour n'importe quelle banque d'accroître sa clientèle, c'est-à-dire le nombre des gens qui sont disposés à considérer ces créances comme des substituts monétaires et à les conserver en encaisse comme tels. Accroître la clientèle ainsi comprise, c'est un processus difficile et lent, comme l'acquisition de n'importe quelle sorte de bonne renommée commerciale. D'autre part, une banque peut perdre sa clientèle en très peu de temps. Si elle veut la conserver, elle doit ne jamais prêter au moindre doute sur sa capacité et sa promptitude à s'acquitter de tous ses engagements, en toute conformité avec les termes du contrat. Une réserve doit être maintenue au niveau suffisant pour racheter tout billet qu'un porteur vienne à présenter. C'est pourquoi aucune banque ne peut se contenter d'émettre simplement des instruments fiduciaires ; elle doit garder une réserve, en regard du montant total des substituts monétaires émis et, par conséquent, combiner les émissions d'instruments fiduciaires et de certificats de monnaie.

Ce fut une grave erreur de croire que la fonction de la réserve est de fournir les moyens de racheter ceux des billets dont les porteurs n'ont plus confiance dans la banque. La confiance dont jouissent et la banque et les substituts de monnaie qu'elle a émis est indivisible. Elle règne chez tous les clients, ou s'évanouit entièrement. Si quelques-uns des clients perdent confiance, les autres la perdent aussi. Aucune banque qui émet des instruments fiduciaires et accorde des crédits de circulation ne peut remplir les obligations qu'elle a assumées en émettant des substituts de monnaie si tous les clients perdent confiance et demandent que leurs billets soient rachetés et leurs dépôts en compte remboursés. C'est là un caractère essentiel, ou une faiblesse essentielle, du métier d'émettre des instruments fiduciaires et d'accorder des crédits de circulation. Nul système de politique des réserves, nulle exigence de couverture édictée par la loi ne peut servir de remède. Tout ce que peut faire une réserve, c'est de permettre à la banque de retirer du marché un montant trop élevé d'instruments fiduciaires émis par elle. Si la banque a émis plus de billets que ses clients n'en peuvent employer dans leurs transactions avec les autres clients, la banque doit faire rentrer ces billets en excès.

Les lois qui ont été faites pour obliger les banques à conserver des réserves dans une proportion déterminée du total des dépôts et des billets émis ont été efficaces pour limiter l'accroissement des instruments fiduciaires et des crédits de circulation. Elles ont été inopérantes dans la mesure où elles visaient à garantir, dans l'éventualité d'une perte de confiance, le prompt rachat des billets et le prompt remboursement des dépôts.

L'école bancaire a entièrement manqué à résoudre ces problèmes. Elle a été fourvoyée par une idée fausse, d'après laquelle les besoins du commerce fixent rigidement la limite du montant maximum des billets qu'une banque peut émettre. Ses membres n'ont pas vu que la demande du public en matière de crédit est fonction de la facilité avec laquelle les banques sont disposées à prêter et que les banques qui ne se soucient pas de leur propre solvabilité sont en mesure d'accroître la masse des crédits de circulation en abaissant le taux de l'intérêt au-dessous du taux du marché. Il n'est pas exact que le montant maximum qu'une banque puisse prêter si elle se borne à escompter les lettres de change à court terme résultant des ventes et achats de matières premières et de produits demi — finis soit une quantité uniquement déterminée par l'état des affaires, et sans rapports avec la politique suivie par la banque. Cette quantité augmente ou diminue avec la baisse ou la hausse du taux d'escompte. Abaisser le taux de l'intérêt est l'équivalent d'augmenter la masse de ce qui est considéré à tort comme les besoins normaux du commerce.

L'école monétaire a donné une explication correcte des crises récurrentes qui ont déséquilibré la situation économique en Angleterre aux années trente et quarante du XIXe siècle. Il y avait eu expansion du crédit de la part de la Banque d'Angleterre et des autres banques ou banquiers britanniques, pendant qu'il n'y avait pas d'expansion, ou du moins une moindre expansion de crédit, dans les pays avec lesquels la Grande-Bretagne commerçait. Le drainage externe se produisit comme la conséquence nécessaire de cet état des affaires. Tout ce que l'école bancaire a soutenu pour réfuter cette théorie était vain. Malheureusement, l'école monétaire s'est trompée sur deux points. Elle n'a jamais compris que le remède qu'elle suggérait, à savoir la stricte limitation par la loi du montant des billets au-delà de la réserve métallique, n'était pas le seul. Elle n'a jamais pensé à l'idée que l'industrie bancaire puisse fonctionner sous le régime pur et simple de la libre entreprise. La seconde erreur de l'école monétaire fut de méconnaître que les dépôts en comptes chèques sont des substituts monétaires et, dans la mesure où leur montant excède la réserve conservée, sont des instruments fiduciaires et par conséquent un véhicule d'expansion du crédit de la même façon que les billets de banque. Ce fut le seul mérite de l'école bancaire que de reconnaître que ce qu'on appelle monnaie de dépôt est un substitut monétaire non moins que les billets de banque. Mais, sauf sur ce point, toutes les thèses de l'école bancaire sont fausses. Elle se guida sur des idées contradictoires concernant la neutralité de la monnaie ; elle tenta de réfuter la théorie quantitative de la monnaie en invoquant un deus ex machina, les thésauriseurs dont on a tant parlé, et elle a entièrement manqué la solution des problèmes du taux d'intérêt.

Il faut souligner que le problème des restrictions légales à l'émission d'instruments fiduciaires n'a pu surgir que parce que les gouvernements avaient conféré des privilèges spéciaux à une ou plusieurs banques et empêché ainsi l'évolution libre de l'industrie bancaire. Si les gouvernants n'étaient jamais intervenus pour favoriser des banques particulières, s'ils n'avaient jamais relevé certaines banques de l'obligation, incombant à tout individu et toute firme dans une économie de marché, de régler leurs dettes en conformité entière avec les termes du contrat, il n'y aurait eu aucun problème de la banque. Les limites qui sont tracées à l'expansion de crédit auraient été efficaces. Le souci de sa propre solvabilité aurait forcé chaque banque à borner avec précaution l'émission d'instruments fiduciaires. Celles des banques qui n'auraient pas observé les règles indispensables auraient fait banqueroute, et le public, instruit par le dommage subi, serait devenu doublement méfiant et réservé.

Les attitudes des gouvernements européens envers l'industrie de la banque ont été dès le début insincères et mensongères. La prétendue sollicitude pour le bien de la nation, pour le public en général et pour les pauvres masses ignorantes en particulier ne fut qu'un paravent. Les gouvernements voulaient l'inflation et l'expansion du crédit, ils voulaient le boom et l'argent facile. Ces Américains qui par deux fois réussirent à se débarrasser d'une banque centrale étaient conscients du danger de ce genre d'institutions ; il est vraiment regrettable qu'ils n'aient pas vu que les maux contre lesquels ils luttaient sont présents dans n'importe lequel des systèmes d'intervention étatique dans l'activité bancaire. Aujourd'hui, même les plus fanatiques étatistes ne peuvent nier que les prétendus dangers de la libre entreprise bancaire comptent bien peu en comparaison des effets désastreux des gigantesques inflations qu'ont amenées les banques privilégiées et sous tutelle gouvernementale.

C'est une fable, que les gouvernements soient intervenus dans la banque pour limiter l'émission des instruments fiduciaires et pour empêcher l'expansion du crédit. L'idée qui inspira les gouvernements fut, au contraire, l'attrait de l'inflation et de l'expansion de crédit. Ils ont privilégié des banques parce qu'ils voulaient élargir les limites que le marché non entravé impose à l'expansion du crédit, ou parce qu'ils désiraient ouvrir au Trésor une source de revenus. Pour la plupart, les autorités furent poussées par les deux motifs à la fois. Elles étaient persuadées que les instruments fiduciaires sont un moyen efficace pour abaisser le taux de l'intérêt, et elles demandèrent aux banques d'accroître le volume des crédits au profit aussi bien des affaires que du Trésor. C'est seulement lorsque les effets indésirés de l'expansion de crédit devinrent visibles, que des lois furent promulguées pour limiter l'émission des billets — parfois même des comptes de dépôt — non couverts par des espèces. L'établissement de la libre entreprise bancaire n'a jamais été sérieusement considéré, précisément parce qu'elle aurait été trop efficace dans la restriction de l'expansion du crédit. Car les dirigeants, les écrivains et le public étaient unanimes dans la croyance que le monde des affaires a incontestablement droit à un montant « normal » et « nécessaire » de crédits de circulation, et que ce montant ne pourrait être atteint si la banque était une entreprise libre ordinaire 17.

Nombre de gouvernements n'ont jamais considéré l'émission d'instruments fiduciaires d'un autre point de vue que celui de leurs préoccupations fiscales. A leurs yeux la fonction primordiale des banques était de prêter de l'argent au Trésor. Les substituts monétaires étaient vus d'un œil favorable parce qu'ils ouvraient la voie au papier-monnaie émis par l'État. Le billet de banque convertible fut simplement le premier pas vers le papier-monnaie non convertible. Avec l'avance de la statolâtrie et la politique interventionniste, ces idées sont devenues générales et plus personne ne les met en question. Aucun gouvernement ne consent aujourd'hui à accorder la moindre pensée à un programme de libre entreprise bancaire, parce que aucun ne désire renoncer à ce qu'il considère comme une source de revenus très maniable. Ce qu'on appelle aujourd'hui précautions financières pour le cas de guerre est simplement la possibilité de disposer, par le canal de banques privilégiées sous la coupe de l'État, de tout l'argent dont une nation en guerre peut avoir besoin. Un inflationnisme radical est le trait essentiel — bien que non avoué explicitement — de l'idéologie économique de notre époque.

Mais même au temps où le libéralisme jouissait de son plus haut prestige et où les gouvernements se souciaient davantage de préserver la paix et le bien-être que de fomenter la guerre, la mort, la destruction et la misère, les gens nourrissaient des préjugés fâcheux quant aux problèmes de l'activité bancaire. Hors des pays anglo-saxons l'opinion publique était convaincue que c'est l'une des tâches principales d'un bon gouvernement que d'abaisser le taux de l'intérêt, et que l'expansion du crédit est le moyen adéquat pour y parvenir.

L'Angleterre se débarrassa de ces erreurs lorsqu'en 1844 elle réforma sa législation bancaire. Mais les deux faiblesses de l'école monétaire contaminèrent la loi de Peel. D'une part, le système d'intervention de l'État en matière bancaire fut maintenu. D'autre part, il n'y eut de limitation qu'à l'émission de billets en excédent de la couverture en espèces. Les instruments fiduciaires, supprimés sous forme de billets de banque, pouvaient foisonner sous forme de comptes chèques.

En poussant à sa pleine conclusion logique l'idée impliquée dans la théorie de l'école monétaire, l'on pouvait suggérer que toute banque quelconque soit obligée de garder une réserve de 100 % du total des substituts monétaires (billets de banque et dépôts à vue) ; tel est le point central du plan du Pr. Irving Fisher dit de 100 %. Mais le Pr. Fisher combinait ce plan avec ses propositions concernant l'adoption d'un nombre — index comme étalon. Il a déjà été montré pourquoi un tel schéma est illusoire, et qu'il équivaut à ratifier que le pouvoir gouvernemental manipule le pouvoir d'achat conformément aux appétits de puissants groupes de pression. Mais même si le plan de réserve à 100 % devait être adopté sur la base d'un étalon-or authentique, cela n'écarterait pas complètement les inconvénients inhérents à toute intrusion gouvernementale en matière de banque. Ce qu'il faut pour empêcher toute expansion de crédit supplémentaire est de placer l'activité bancaire sous les règles générales des lois civiles et commerciales contraignant tout individu et toute firme à s'acquitter de ses obligations en conformité complète avec les termes du contrat. Si les banques ne continuent à exister que comme établissements privilégiés et soumis à des dispositions législatives particulières, l'outil demeure dont le gouvernement peut se servir à des fins fiscales. Alors, toute limite imposée à l'émission d'instruments fiduciaires dépend du bon vouloir du gouvernement et du parlement. La limite sera peut-être valable dans les périodes qu'ils considèrent comme normales. Elle sera levée chaque fois qu'un gouvernement jugera qu'une circonstance grave justifie le recours à des mesures exceptionnelles. Si un cabinet ministériel et le parti majoritaire désirent augmenter les dépenses publiques sans compromettre leur popularité en levant des impôts plus lourds, ils seront toujours enclins à considérer que leur impasse est une circonstance grave. Le recours à la planche à billets et à la complaisance servile des directeurs de banques empressés à satisfaire les autorités qui réglementent l'activité de leur profession, sont les moyens par excellence des gouvernants qui souhaitent dépenser de l'argent pour des objectifs que les contribuables ne sont pas disposés à financer par des impôts plus élevés.

La libre entreprise en matière de banque est la seule méthode praticable pour prévenir les dangers inhérents au gonflement de crédits. Elle n'empêcherait pas, à vrai dire, une expansion lente du crédit de la part de banques prudentes qui la maintiendraient dans des limites très étroites et fourniraient au public toute l'information requise sur leur situation financière. Mais avec la libre entreprise bancaire il aurait été impossible à l'expansion de crédit, et à toutes ses inévitables conséquences, de devenir un trait permanent — l'on est tenté de dire normal — du système économique. Seule la libre entreprise bancaire aurait rendu l'économie de marché inattaquable par les crises et les dépressions.

Regardant en arrière l'histoire des deux derniers siècles, l'on ne peut pas ne pas comprendre que les erreurs commises par le libéralisme dans son traitement des problèmes de la banque ont porté un coup fatal à l'économie de marché. Il n'y avait absolument pas de raison valable d'abandonner le principe de la libre entreprise dans le domaine de la banque. La majorité des politiciens libéraux ont tout simplement capitulé devant l'hostilité populaire à l'encontre des prêts de monnaie et de la perception d'intérêts. Ils n'ont pas su voir que le taux d'intérêt est un phénomène de marché qui ne peut être manipulé selon le bon plaisir du pouvoir ou d'une institution quelconque. Ils ont cédé à la superstition d'après laquelle abaisser le taux de l'intérêt est bénéfique, et l'expansion de crédit le moyen tout indiqué pour obtenir ainsi que l'argent soit bon marché. Rien n'a été plus nuisible à la cause libérale que la récurrence presque régulière de hausses fiévreuses et d'effondrements dramatiques de marchés baissiers suivis de morosités prolongées. L'opinion publique s'est convaincue finalement que ce genre d'événements est inévitable dans une économie de marché non entravée. Les gens n'ont pu concevoir que ce dont ils se plaignaient était la conséquence inéluctable de politiques tendant à abaisser le taux de l'intérêt au moyen d'une expansion du crédit. Ils se sont obstinés dans ces politiques, essayant vainement de combattre leurs conséquences indésirées en accumulant les immixtions gouvernementales.

Discussions concernant la libre entreprise bancaire

L'école bancaire enseignait que l'excès d'émission de billets de banque est impossible si la banque limite ses opérations à fournir des prêts à court terme 18. Quand le prêt est remboursé à son échéance, les billets reviennent à la banque et ainsi disparaissent du marché. Toutefois, cela ne se produit que si la banque restreint le volume des crédits en cours. (Mais, même dans ce cas, cela n'annulerait pas les effets de l'expansion de crédit initiale. S'y ajouterait simplement l'effet d'une contraction de crédit ultérieure.) Le cours habituel des affaires est que la banque remplace les traites échues et payées en escomptant de nouvelles lettres de change. Alors le montant des billets retirés du marché par le remboursement de prêts antérieurs correspond à un montant de billets nouvellement émis.

L'enchaînement qui impose une limite à l'expansion du crédit dans un système de libre entreprise bancaire fonctionne d'autre façon. Il n'a aucun rapport avec le processus évoqué par ce prétendu principe de Fullarton. Il a pour cause le fait que l'expansion de crédit en elle-même n'élargit pas la clientèle d'une banque, au sens du nombre des gens qui attachent aux créances à vue sur cette banque le caractère de substituts de monnaie. Etant donné que l'émission supplémentaire de papier fiduciaire de la part d'une certaine banque entraîne, comme on l'a montré ci-dessus, une augmentation du montant que les clients de la banque expansionniste doivent payer à des non-clients, elle augmente de façon concomitante la demande de remboursement des substituts monétaires émis par elle. La banque expansionniste est ainsi ramenée à la prudence.

Ce fait n'a jamais été mis en doute en ce qui concerne les dépôts à vue en comptes chèques. Il est évident que la banque expansionniste se trouverait bientôt en position difficile lors de la compensation avec les autres banques. Cependant, certains ont soutenu que les choses sont différentes en ce qui concerne les billets de banque.

Lorsqu'elle traite des problèmes des substituts monétaires, la catallactique affirme que les créances en question sont employées par beaucoup de gens comme de la monnaie ; qu'elles sont, comme la monnaie, cédées et acceptées dans les transactions et conservées dans les encaisses. Tout ce qu'affirme la catallactique concernant les substituts monétaires présuppose cet état de choses. Mais il serait ridicule de croire que tout billet émis par n'importe quelle banque devienne effectivement un substitut de monnaie. Ce qui fait d'un billet de banque un substitut monétaire, c'est le genre spécial de bonne renommée dont jouit la banque émettrice. Le plus léger doute sur la capacité ou la promptitude de la banque à racheter tout billet émis par elle, sans délai, n'importe quand et sans frais pour le porteur, entame cette bonne renommée spéciale et enlève aux billets le caractère de substituts de monnaie. L'on peut admettre comme possible que tout le monde consente à recevoir en prêt de tels billets douteux, et même les recevoir en paiement plutôt que d'attendre plus longtemps. Mais s'il existe une suspicion sur leur excellence, les gens se hâteront de s'en défaire dès que possible. Ils garderont dans leur encaisse la monnaie et les substituts monétaires qu'ils considèrent comme absolument sûrs, et se débarrasseront des billets suspects. Ces billets seront négociés au rabais, et cela les ramènera à la banque émettrice qui seule est obligée de les racheter à leur valeur faciale.

La question s'éclaire encore mieux en évoquant la façon dont les affaires bancaires se passaient sur le continent européen. Là les banques commerciales n'étaient tenues à aucune limite concernant le montant des comptes chèques à vue. Il leur aurait été loisible de fournir du crédit de circulation et de faire de l'expansion de crédit selon les méthodes pratiquées par les banques de pays anglo-saxons. Seulement, le public n'était pas disposé à traiter ces dépôts bancaires comme des substituts de monnaie. En règle générale, lorsque quelqu'un recevait un chèque, il l'encaissait immédiatement et donc en retirait le montant à la banque. Il n'était pas possible, pour une banque commerciale, de prêter plus que des sommes minimes, en portant un crédit à l'actif du compte de l'emprunteur. Dés que ce débiteur signait un chèque, le montant en était retiré à la banque. Seules les grandes alaires traitaient les comptes de dépôt à vue comme des substituts monétaires. Bien que les banques centrales de la plupart de ces pays ne fussent soumises à aucune restriction légale quant au montant de leurs comptes de dépôt, elles étaient empêchées de s'en servir comme véhicule d'une expansion de crédit à grande échelle parce que la clientèle de la monnaie chèque était trop restreinte. Les billets de banque étaient pratiquement le seul instrument du crédit de circulation et de l'expansion de crédit.

Dans les années quatre-vingt du XIXe siècle le gouvernement autrichien entreprit de populariser la monnaie chèque en créant un département des comptes chèques au sein de la Caisse d'Epargne du Service postal. Il réussit dans une certaine mesure. Les soldes créditeurs auprès de ce département du Service des Postes furent traités comme des substituts monétaires par une clientèle qui devint plus large que celle du département des comptes chèques de la banque centrale d'émission du pays. Le système fut maintenu ensuite par les nouveaux États qui succédèrent à l'Empire de Habsbourg. Il fut aussi adopté par beaucoup d'autres pays européens, par exemple l'Allemagne. Il est important de noter que ce genre de monnaie de dépôt fut une entreprise purement gouvernementale et que le crédit de circulation que le système procurait était exclusivement prêté au gouvernement. Il est caractéristique que le nom de l'institution autrichienne de l'Epargne postale, ainsi que de ses répliques à l'étranger pour la plupart, n'était pas « Banque » d'épargne mais « Service » d'épargne (Amt). En dehors de ces comptes à vue du Service postal dans la plupart des pays non anglo-saxons, les billets de banque — et, dans une faible mesure, les comptes de dépôt à la banque centrale d'émission contrôlée par le gouvernement — sont le véhicule essentiel du crédit de circulation. En parlant de l'expansion de crédit en ce qui concerne ces pays, l'on se réfère presque entièrement aux billets de banque.

Aux États-Unis, beaucoup d'employeurs paient les appointements et même les salaires par émission de chèques. Dans la mesure où les bénéficiaires encaissent immédiatement les chèques reçus et en retirent le montant total à la banque, la méthode signifie seulement que la corvée onéreuse de manipuler les pièces et billets est transférée du caissier de l'employeur au caissier de la banque. Cela n'a pas d'implication catallactique. Si tous les citoyens devaient se servir des chèques reçus de cette façon-là, les dépôts en banque ne seraient pas des substituts monétaires et ne pourraient servir d'instruments au crédit de circulation. C'est seulement le fait qu'une partie considérable du public regarde les dépôts comme des substituts de monnaie, qui produit ce qu'on appelle couramment la monnaie chèque ou monnaie scripturale.

C'est une erreur que d'associer à la notion de liberté bancaire l'image d'un état de choses où tout le monde est libre d'émettre des billets de banque et d'escroquer le public ad libitum. Les gens se réfèrent souvent à la formule d'un Américain anonyme, cité par Tooke : « Le libre exercice du métier de banquier, c'est le libre exercice de l'escroquerie. » Pourtant, la liberté d'émettre des billets de banque aurait considérablement limité leur emploi, si même elle ne l'avait pas supprimé entièrement. C'est l'idée qu'avança Cernuschi lors des audiences de la commission d'enquête sur la profession bancaire le 24 octobre 1865 : « Je crois que ce qu'on appelle liberté bancaire aurait pour résultat la disparition complète des billets de banque en France. Je souhaite donner à tout le monde le droit d'émettre des billets, de sorte que plus personne désormais n'en accepterait » 19.

L'on peut soutenir que les billets de banque sont plus maniables que les pièces et que des considérations pratiques en ont recommandé l'usage. Dans la mesure où il en est ainsi, le public devrait être disposé à payer une prime pour éviter les inconvénients que comporte le transport d'un poids important de pièces dans les poches. Ainsi jadis des billets émis par des banques d'une solvabilité incontestable firent légèrement prime sur la monnaie métallique. Ainsi les chèques de voyageurs sont assez à la mode bien que les banques émettrices perçoivent une commission pour en délivrer. Mais tout cela est à côté de la question. Cela ne fournit pas de justification aux politiques qui poussent le public à se servir de billets de banque. Les gouvernements n'en ont pas favorisé l'usage pour éviter de la peine aux dames qui font leurs emplettes. Leur idée était d'abaisser le taux de l'intérêt et d'ouvrir une source de crédit bon marché pour leur trésorerie. A leurs yeux, l'accroissement du volume des instruments fiduciaires était un moyen de favoriser la prospérité.

Les billets de banque ne sont pas indispensables. Toutes les réalisations du capitalisme auraient eu lieu s'ils n'avaient jamais existé. D'ailleurs la monnaie scripturale peut faire tout ce que font les billets de banque. Et l'immixtion gouvernementale dans les dépôts des banques commerciales ne peut se justifier par le prétexte hypocrite d'une protection nécessaire des pauvres salariés et paysans ignorants contre les méchants banquiers.

Mais, demandent certains, que faire à propos d'un cartel des banques commerciales ? Les banques ne pourraient-elles pas s'entendre pour permettre une expansion indéfinie de leurs émissions de moyens fiduciaires ? C'est là une objection ridicule. Aussi longtemps que le public n'est pas dépouillé, par une intervention du pouvoir, de son droit de retirer ses dépôts, aucune banque ne peut risquer sa propre bonne renommée par une collusion avec des banques dont la réputation n'est pas aussi bonne que la sienne. Il ne faut pas oublier que toute banque qui émet des instruments fiduciaires est dans une situation assez précaire. Son atout le plus précieux est sa réputation. Elle est condamnée à la banqueroute dès que des doutes apparaissent concernant sa parfaite correction et sa parfaite solvabilité. Ce serait suicidaire pour une banque de premier ordre, que de lier son nom à celui d'autres banques dont la réputation est moindre. En régime de libre entreprise bancaire, un cartel de banques démolirait tout le système bancaire du pays. Il ne servirait les intérêts d'aucune banque.

Pour la plupart, l'on reproche aux banques de grande réputation leur conservatisme et leur répugnance à augmenter le volume du crédit. Les gens qui ne méritent pas qu'on leur fasse crédit considèrent cette réserve comme un défaut. Mais c'est la règle première et suprême du métier de banquier dans un régime de libre entreprise bancaire.

Il est extrêmement difficile pour nos contemporains de se faire une idée d'un régime de libre entreprise bancaire, parce qu'ils tiennent l'intervention du pouvoir dans l'activité bancaire pour allant de soi et nécessaire. Cependant, il faut se rappeler que l'intervention gouvernementale a eu pour base la conviction erronée, que l'expansion de crédit est un moyen approprié pour abaisser le taux de l'intérêt de façon permanente et sans dommage pour personne, excepté les capitalistes sans cœur Les gouvernements sont intervenus précisément parce qu'ils savaient que la liberté d'exercice de la banque contient l'expansion de crédit dans des bornes étroites.

Les économistes ont sans doute raison d'affirmer que dans les conditions actuelles du métier de la banque, l'intervention du pouvoir dans les problèmes bancaires est chose recommandable. Mais cette situation actuelle de la banque n'est pas le résultat du fonctionnement d'une économie de marché non entravée. C'est le produit des tentatives de divers gouvernements, visant à créer les conditions d'une expansion de crédit à grande échelle. Si les gouvernements ne s'en étaient jamais mêlés, l'usage des billets de banque et des comptes chèques serait limité à ces couches de la population où l'on est bien à même de distinguer entre des banques solvables et non solvables. Nulle expansion à grande échelle des crédits n'aurait été possible. Les gouvernements seuls sont responsables d'avoir répandu parmi les gens ordinaires le respect superstitieux avec lequel ils considèrent n'importe quel bout de papier sur quoi le Trésor public ou des institutions sous son contrôle ont fait porter les mots magiques : monnaie légale.

L'intervention gouvernementale dans la présente situation des activités bancaires se justifierait si son but était de liquider les conditions qui la rendent non satisfaisante, en empêchant ou du moins en restreignant sévèrement de nouvelles expansions de crédit. En fait, l'objectif essentiel de l'immixtion gouvernementale est d'intensifier l'expansion de crédit. Une telle politique est vouée à faire faillite. Tôt ou tard elle doit aboutir à la catastrophe.

13 / Volume et composition des encaisses

Le montant total de monnaie et de substituts monétaires est détenu par des individus ou des firmes, dans leurs encaisses liquides. La part de chacun est déterminée par l'utilité marginale. Chacun entend conserver une certaine partie de ses avoirs sous forme liquide. Il se débarrasse d'un excès de liquidités en augmentant ses achats, et pare à une insuffisance de trésorerie en augmentant ses ventes. La terminologie courante, qui confond la demande de monnaie pour encaisse avec la demande de richesses et de biens vendables ne doit pas dérouter un économiste.

Ce qui vaut pour les individus et les firmes n'est pas moins vrai à l'égard de chaque total des encaisses d'un nombre donné d'individus et de firmes. Le point de vue sous lequel nous considérons un tel nombre d'individus et de firmes comme un tout et additionnons leurs encaisses liquides n'a pas d'importance. L'encaisse liquide d'une ville, d'une province ou d'un pays est la somme des encaisses des résidents.

Supposons que l'économie de marché n'emploie qu'une espèce de monnaie et que les substituts monétaires soient ou bien inconnus, ou bien employés dans tout le territoire pour tout le monde et de la même manière. Il y a par exemple l'or monnayé et des billets convertibles en or émis par une banque mondiale, que tout le monde considère comme des substituts de monnaie. Dans une telle hypothèse, les mesures qui entravent l'échange des biens et des services n'affectent pas la situation quant aux transactions monétaires et au volume des encaisses détenues. Tarifs douaniers, embargos et entraves aux migrations influent sur les tendances à l'égalisation des prix, des salaires et des taux d'intérêt. Ces mesures ne réagissent pas directement sur les encaisses détenues.

Si un gouvernement vise à accroître le montant des liquidités détenues par ses administrés, il doit leur commander de déposer une certaine somme auprès d'un institut officiel et de l'y laisser inemployée. La nécessité de se procurer cette somme forcerait tout le monde à vendre davantage et acheter moins ; les prix intérieurs baisseraient ; les exportations augmenteraient et les importations diminueraient ; une quantité de liquidités monétaires serait importée. Mais si le gouvernement se contentait d'empêcher l'importation de marchandises et l'exportation de monnaie, il n'obtiendrait pas le résultat qu'il cherchait : si les importations diminuent, toutes choses égales d'ailleurs, les exportations baissent de façon concomitante.

Le rôle que la monnaie joue dans le commerce international ne diffère pas de celui qu'elle joue dans le commerce intérieur. La monnaie n'est pas moins un instrument intermédiaire d'échanges dans le commerce avec l'étranger, qu'elle ne l'est dans le commerce avec des nationaux. Dans l'un comme dans l'autre, les achats et les ventes ne provoquent que des changements passagers dans le volume des encaisses détenues par les individus et firmes, à moins que les gens ne s'efforcent intentionnellement d'accroître ou diminuer l'importance de leur encaisse conservée. Un surplus de monnaie n'entre dans un pays que lorsque ses habitants sont plus désireux que les étrangers d'accroître leurs encaisses. Un flux de monnaie ne s'écoule vers l'extérieur que si les résidents désirent plus que les étrangers réduire leur encaisse. Un transfert de monnaie d'un pays vers un autre, qui ne soit pas compensé par un transfert en sens inverse, n'est jamais le résultat non cherché de transactions commerciales internationales. C'est toujours le résultat de changements intentionnels de leur encaisse par les résidents. De même que le blé n'est exporté que lorsque les résidents du pays désirent exporter un surplus de blé, de même la monnaie ne sort du pays qui si les habitants veulent exporter des sommes qu'ils considèrent comme un excédent de monnaie.

Si un pays se met à employer des substituts monétaires qui n'ont pas cours ailleurs, un tel excédent apparaît. L'apparition de ces substituts monétaires équivaut à un accroissement, dans le pays, de la masse monétaire au sens large, c'est-à-dire du stock de monnaie plus les instruments fiduciaires ; elle entraîne un surplus de l'offre de monnaie au sens large. Les habitants veulent se débarrasser de leur part de ce surplus, en augmentant leurs achats soit de biens nationaux, soit de biens étrangers. Dans le premier cas, les exportations diminuent, dans le second les importations augmentent. Dans les deux cas l'excédent de monnaie sort du pays. Comme par hypothèse les substituts monétaires ne sont pas exportables, seule la monnaie proprement dite s'écoule. Le résultat est que dans la masse monétaire domestique au sens large (monnaie plus instruments fiduciaires), la proportion de monnaie diminue et la proportion d'instruments fiduciaires augmente. Le stock de monnaie proprement dite du pays est maintenant moindre qu'avant.

Maintenant, nous supposons en outre que les substituts monétaires du pays cessent d'être des substituts de monnaie. La banque qui les émettait ne les rachète plus désormais en monnaie. Ces anciens substituts de monnaie sont maintenant des créances contre une banque qui ne remplit plus ses obligations, une banque dont la capacité et la disponibilité pour régler ses dettes est douteuse. Personne ne sait si elles seront remboursées et quand. Mais il se peut que les créances en question soient utilisées par le public en tant que monnaie crédit. En tant que substituts monétaires ils avaient été considérés comme l'équivalent de la somme de monnaie à laquelle ils donnaient droit à tout moment. Comme monnaie crédit on les négocie maintenant avec un rabais.

A ce point, le gouvernement peut intervenir. Il décrète que ces bouts de monnaie crédit sont monnaie légale, ayant pouvoir libératoire à leur valeur faciale 20. Tout créancier est tenu de les accepter en paiement à leur valeur faciale. Nul négociant ne peut refuser de les encaisser ni stipuler un autre mode de paiement. Un tel décret essaie de contraindre le public à traiter des choses dont la valeur d'échange est différente, comme si la valeur d'échange en était la même. Il modifie la structure des prix telle que le marché la déterminerait. Il fixe un prix minimum pour la monnaie crédit et un prix maximum pour la monnaie marchandise (l'or) et pour les devises étrangères. Le résultat n'est pas ce que visait le gouvernement. La différence entre la valeur d'échange de la monnaie crédit et celle de l'or ne disparaît pas. Comme il est interdit d'employer les pièces suivant leur prix de marché, les gens ne les utilisent plus désormais pour acheter, payer et régler les dettes. Ils les conservent ou les exportent. La monnaie marchandise déserte le marché national. La mauvaise monnaie, dit la loi de Gresham, chasse la bonne hors du pays. Il serait plus exact de dire que la monnaie que le décret gouvernemental a sous-évaluée disparaît du marché, pendant que la monnaie que ce décret a surévaluée reste seule.

L'écoulement de la monnaie marchandise hors du pays n'est donc pas le résultat d'une balance des paiements défavorable, mais l'effet d'une immixtion gouvernementale dans la structure des prix.

14 / Balance des paiements

La confrontation de l'équivalent monétaire de toutes les entrées et de toutes les sorties d'un individu ou d'un groupe d'individus pendant une quelconque période de temps s'appelle balance des paiements. Le côté crédit et le côté débit sont toujours égaux. La balance est toujours en équilibre.

Si nous voulons connaître la position d'un individu dans le cadre de l'économie de marché, nous devons regarder ce qu'est sa balance des paiements. Cela nous dit tout quant au rôle qu'il joue dans le système de la division sociale du travail. On y voit ce qu'il donne à ses semblables et ce qu'il en reçoit ou leur prend. Cela montre s'il est un citoyen décent subvenant à ses propres besoins, ou un voleur, ou un mendiant. Cela montre s'il consomme tous ses revenus ou s'il en épargne une partie. Il y a bien des aspects humains qui ne se reflètent pas dans les pages du registre ; il y a les vertus et les œuvres, les vices et les crimes ; cela ne laisse pas de traces dans les comptes. Mais dans la mesure où l'homme est intégré dans la vie et les activités de société, l'information fournie est complète quant à sa contribution à l'effort combiné de la société, quant à la façon dont sa contribution est appréciée par ses semblables, et quant à ce qu'il consomme de ce qui est ou peut être vendu et acheté sur le marché.

Si nous combinons les balances de paiements d'un nombre défini d'individus, et écartons du compte les postes se rapportant aux transactions entre les membres de ce groupe, nous dégageons la balance des paiements du groupe. Cette balance nous dit comment les membres du groupe, considérés comme un ensemble intégré de personnes, sont reliés au reste de la société de marché. Ainsi nous pouvons établir la balance des paiements du barreau de New York, des agriculteurs belges, des habitants de Paris ou du canton de Berne en Suisse. Les statisticiens s'intéressent surtout à l'établissement des balances de paiements des habitants des divers pays organisés en nation indépendante.

Alors que la balance des paiements d'un individu fournit une information complète sur sa position dans la société, la balance d'un groupe révèle beaucoup moins de choses. Elle ne dit rien des relations mutuelles des membres du groupe. Plus grand est le groupe, et moins ses membres sont homogènes, moins instructive aussi est sa balance des paiements. La balance des paiements du Danemark renseigne plus sur la situation des Danois, que la balance des paiements des États-Unis sur la situation des Américains. Pour décrire la situation économique et sociale d'un pays, il n'est pas nécessaire de considérer la balance des paiements de chaque habitant personnellement. Mais il ne faut considérer en groupe que des gens qui, en gros, sont homogènes quant à leur position sociale et à leurs activités économiques.

Lire les balances des paiements est donc très éclairant. Mais pour se défendre des erreurs populaires, l'on doit savoir comment interpréter ces documents.

Il est traditionnel de répartir en deux listes distinctes les éléments monétaires et les éléments non monétaires d'une balance des paiements nationale. L'on dit que la balance est favorable s'il y a un excédent des importations de monnaie et de métaux monnayables sur les exportations de monnaie et lingots. On dit que la balance est défavorable si les exportations de monnaie et lingots dépassent les importations. Cette terminologie dérive des erreurs invétérées du mercantilisme, qui survivent malheureusement malgré les critiques des économistes pourtant annihilantes. Les importations et exportations de monnaie et de métaux monnayables sont considérées comme le résultat non voulu de la configuration des éléments non monétaires de la balance des paiements. Cette opinion est entièrement fausse. Un excédent des exportations de monnaie et de lingots n'est pas le résultat d'un regrettable enchaînement de circonstances qui frappe une nation comme un cas de force majeure. C'est la conséquence du fait que les habitants du pays considéré entendent réduire le montant de leurs encaisses en monnaie et acheter des marchandises à la place. C'est pour cela que la balance des paiements des pays producteurs d'or est régulièrement « défavorable » ; c'est pour cela que la balance des paiements d'un pays qui remplace par des instruments fiduciaires une partie de son stock de monnaie est « défavorable » aussi longtemps que cette opération se poursuit.

Nulle intervention prévoyante d'une autorité paternelle n'est requise pour éviter qu'un pays ne perde la totalité de son stock de monnaie du fait d'une balance des paiements défavorable. Les choses ne sont pas différentes, à cet égard, selon qu'il s'agit des balances de paiement des individus, ou de celle de groupes. Il n'y a pas de différence non plus entre les balances des paiements d'une ville ou d'un canton, et celle d'un État souverain. Aucune intervention gouvernementale n'est nécessaire pour que les habitants de New York soient empêchés de dépenser tout leur argent dans des transactions avec les autres quarante-neuf États de l'Union. Aussi longtemps qu'un Américain quelconque attache une importance au fait de conserver de l'argent liquide, il se charge spontanément de faire le nécessaire pour son propre compte. Il contribue ainsi pour sa part au maintien d'un volume adéquat de la masse monétaire de son pays. Mais si aucun Américain ne souhaitait conserver une encaisse liquide, aucune mesure gouvernementale concernant le commerce extérieur et le règlement des paiements internationaux ne pourrait empêcher de s'écouler au-dehors la totalité du stock monétaire de l'Amérique. Il y faudrait un embargo rigidement imposé sur toute exportation de monnaie et de métaux monnayables.

15 / Les taux d'échange à distance

Supposons d'abord qu'il n'y ait qu'une seule sorte de monnaie. Dans ce cas, ce qui vaut en matière de prix des marchandises l'est également en ce qui concerne le pouvoir d'achat de la monnaie en divers endroits. Le prix final du coton à Liverpool ne peut pas excéder le prix final à Houston, Texas, de plus du coût de transport. Dès que le prix à Liverpool s'élève au-dessus de ce point, les marchands enverront du coton à Liverpool et feront ainsi apparaître une tendance vers le retour au prix final. S'il n'y a pas d'obstacle institutionnel, le prix d'un ordre de paiement pour un montant défini de florins réglable à Amsterdam ne peut pas s'élever, à New York, au-dessus du montant déterminé par la refonte des pièces, le transport, l'assurance et l'intérêt pendant la période requise par ces manipulations. Aussitôt que la différence s'élève au-dessus de ce point — le point de sortie de l'or — il devient avantageux d'expédier de l'or de New York à Amsterdam. De telles expéditions font baisser le taux de change du florin à New York au-dessous du point de sortie de l'or. Il y a une différence de configuration entre les échanges à distance selon qu'il s'agit de marchandises ou de monnaie ; elle résulte du fait qu'en général les marchandises se déplacent dans une seule direction, c'est-à-dire du lieu de production excédentaire vers le lieu de consommation excédentaire. Le coton est envoyé de Houston à Liverpool, pas de Liverpool vers Houston. Son prix est plus bas à Houston, qu'à Liverpool, et l'écart est déterminé par le coût du transport. La monnaie, elle, est expédiée tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre.

L'erreur de ceux qui interprètent les fluctuations des taux d'échanges interrégionaux et les expéditions de monnaie, comme déterminées par la configuration des éléments non monétaires de la balance des paiements, réside en ce qu'ils attribuent à la monnaie une position exceptionnelle. Ils ne voient pas qu'en ce qui concerne les taux d'échanges interrégionaux, il n'y a pas de différence entre la monnaie et les marchandises. Dans la mesure où il est possible de commercer entre Houston et Liverpool, les prix du coton sur ces deux places ne peuvent différer que du montant total des coûts entraînés par le transport. De la même façon qu'il y a un afflux de coton depuis le sud des États-Unis vers l'Europe, de même l'or s'écoule des pays producteurs d'or, tels que l'Afrique du Sud, vers l'Europe.

Laissons de côté le commerce triangulaire et le cas des pays producteurs d'or ; et supposons que les individus et firmes qui commercent entre eux sur la base de l'étalon-or n'ont pas l'intention de modifier le volume de leurs encaisses liquides. Du fait des achats et des ventes, prennent naissance des créances qui nécessitent des paiements à distance. Mais, selon notre hypothèse, ces paiements interrégionaux sont égaux en volume. Le montant des paiements dus par les habitants de A aux habitants de B est égal au montant dû par les habitants de B à ceux de A. Il est par conséquent possible d'éviter les frais de transport de l'or de A vers B et de B vers A. Créances et dettes peuvent être réglées par une sorte de compensation interrégionale. Des considérations techniques seules feront que cette péréquation sera réalisée par une chambre de compensation organisée, ou par les mouvements d'un marché spécial des devises. De toute façon, le prix qu'un résident de A doit régler pour faire opérer un paiement dans le pays B (et vice versa) est contenu dans les marges déterminées par les coûts de transport. Il ne peut s'élever au-dessus du pair, de plus du montant des coûts de transport (point de sortie de l'or), et ne peut tomber au-dessous du pair de plus de ce montant (point d'entrée de l'or).

Il peut se produire que — toutes nos autres suppositions restant inchangées — un déséquilibre momentané apparaisse entre les paiements en provenance de A vers B et ceux en provenance de B vers A. Dans ce cas, l'expédition d'or ne peut être évitée que par le détour d'une opération de crédit. Si l'importateur qui aujourd'hui doit payer de A en B, peut acheter au marché des devises des créances sur des habitants de B échéant dans quatre-vingt-dix jours, il peut économiser les frais d'envoi d'or en empruntant la somme en question en B, pour une période de quatre-vingt-dix jours. Les négociants en devises recourront à ce procédé si le coût d'un emprunt en B n'excède pas le coût d'emprunter en A, de plus du double du coût d'expédier de l'or. Si le coût d'expédition est de 1/8 %, ils seront disposés à payer un emprunt en B à trois mois d'échéance, jusqu'à 1 % (par an) comme intérêt, de plus que ne comporterait le taux d'intérêt sur le marché monétaire auquel — en l'absence d'une telle exigence pour effectuer le règlement en monnaie à distance — s'effectueraient les transactions de crédit entre A et B.

L'on peut exprimer ces faits en disant que l'état quotidien de la balance des paiements entre A et B détermine le point auquel, à l'intérieur des limites posées par les points d'entrée et de sortie de l'or, les taux de change avec l'étranger sont fixés. Mais il ne faut pas oublier d'ajouter que cela ne se produit que si les habitants de A et de B ne désirent pas modifier le volume de leurs encaisses liquides. C'est seulement si tel est le cas, qu'il est possible d'éviter complètement les transferts d'or et de maintenir les changes dans les limites représentées par les points d'entrée et de sortie de l'or. Si les habitants de A désirent réduire leurs encaisses et que ceux de B veulent accroître les leurs, de l'or devra être transféré de A en B ; et le prix du transfert télégraphique vers B montera en A jusqu'au niveau du point de sortie. Alors, l'or est envoyé de A en B de la même façon que le coton voyage régulièrement des États-Unis vers l'Europe. Le prix du transfert par câble vers B atteint le point de sortie de l'or, parce que les habitants de A vendent de l'or à ceux de B, et non parce que leur balance des paiements est défavorable.

Tout ce qui précède est valable en ce qui concerne les paiements à effectuer entre des places différentes. Peu importe que les villes concernées appartiennent à la même nation souveraine ou à plusieurs. Cependant, l'immixtion gouvernementale a considérablement changé la situation. Tous les gouvernements ont créé des institutions qui donnent aux habitants de ces pays la possibilité d'effectuer des règlements à distance au pair, à l'intérieur du pays. Les frais relatifs au transfert de monnaie d'un endroit à un autre sont supportés ou bien par le Trésor, ou bien par la banque centrale et son réseau, ou par celui d'une autre banque gouvernementale telle que les caisses d'épargne postales de divers pays européens. De ce fait, il n'y a plus de marché pour le change de place intérieur. Le public ne paie pas davantage pour un ordre hors place que pour un ordre sur place ; ou si la commission est légèrement supérieure, elle n'a plus aucun lien avec les fluctuations des courants d'échange en monnaie à l'intérieur du pays. C'est cette intervention du pouvoir politique qui a rendu plus tranchée la différence entre les paiements à l'intérieur et les paiements hors des frontières nationales. Les paiements intérieurs sont effectués au pair, alors que pour les paiements à l'étranger il y a des fluctuations entre les bornes posées par les points d'entrée et sortie de l'or.

S'il y a plus d'une sorte de monnaie employée comme instrument d'échange, le taux de change réciproque entre les monnaies est déterminé par leur pouvoir d'achat respectif. Les prix finaux des diverses denrées, exprimés dans chacune des deux ou diverses monnaies, sont proportionnels entre eux. Le taux de change final entre les diverses sortes de monnaies reflète leur pouvoir d'achat à l'égard des marchandises. Si un écart quelconque apparaît, il offre une chance de transaction avantageuse ; et les efforts des gens de négoce attentifs à en profiter tendent à faire de nouveau disparaître l'écart en question. La théorie de la parité des monnaies étrangères d'après leur pouvoir d'achat est simplement l'application des théorèmes généraux relatifs à la détermination des prix, dans le cas spécial de la coexistence de plusieurs espèces de monnaie.

Il n'importe point que les diverses espèces de monnaie coexistent sur le même territoire, ou que leur emploi soit limité à des régions distinctes. Dans l'un ou l'autre cas, les taux de change réciproques entre elles tendent à une configuration finale telle qu'il deviendra indifférent d'acheter ou de vendre en telle monnaie plutôt qu'en telle autre. Dans la mesure où des coûts de transfert à distance entrent en jeu, il faut les ajouter ou les déduire.

Les modifications du pouvoir d'achat ne se produisent pas au même moment pour toutes les marchandises ou tous les services. Considérons encore le cas, pratiquement fort important, où il se produit une inflation en un seul pays. L'accroissement de quantité de monnaie crédit ou de monnaie factice affecte d'abord les seuls prix de certains biens ou services. Les prix des autres restent momentanément inchangés. Le taux de change entre la monnaie nationale et les monnaies étrangères est déterminé à la Bourse, marché organisé et dirigé selon le type et les usages commerciaux du marché des valeurs. Les opérateurs de ce marché particulier sont plus prompts que le reste des gens à prévoir les changements à venir. En conséquence, la structure des prix sur le marché des changes étrangers reflète la 1 nouvelle situation monétaire plus tôt que ne le font les prix de nombreux biens ou services. Dès que l'inflation commence à affecter certains de ces prix, et de toute façon bien avant qu'elle ait épuisé ses effets sur la majorité des prix de biens ou services, le prix des devises étrangères tend à monter vers le point correspondant à l'état final des prix et des taux de salaires nationaux.

Ce fait a été interprété de façon tout à fait erronée. Les gens n'ont pas compris que la hausse des changes étrangers traduit simplement un pronostic sur le mouvement des prix intérieurs. L'on a expliqué la montée des changes étrangers comme découlant d'une balance défavorable des paiements. La demande de devises étrangères, a-t-on dit, s'est trouvée accrue par une détérioration de la balance commerciale ou de postes différents de la balance des paiements ; ou simplement par les sinistres machinations de spéculateurs inciviques. Les prix plus élevés qu'il faut payer pour des devises étrangères font que les prix des marchandises importées augmentent aussi. Les prix des produits nationaux doivent forcément suivre le mouvement, car leur niveau demeurant bas pousserait les entreprises à ne pas présenter les produits au marché intérieur, afin de les vendre plus avantageusement à l'étranger.

Les erreurs implicites dans cette explication populaire peuvent être montrées aisément. Si le revenu nominal du public national n'avait été accru par l'inflation, les citoyens auraient dû restreindre leur consommation soit de produits importés, soit de produits nationaux. Dans le premier cas les importations auraient baissé, dans le second cas les exportations auraient augmenté. Ainsi la balance commerciale aurait été ramenée à la situation que les mercantilistes appellent une balance favorable.

Poussés dans leurs retranchements, les mercantilistes ne peuvent que reconnaître la pertinence de ce raisonnement. Mais, disent-ils, il ne s'applique que dans les conditions d'un commerce normal. Il ne tient pas compte de la situation des pays qui sont dans la nécessité d'importer des marchandises vitales, telles que des produits alimentaires ou des matières premières essentielles. L'importation de tels articles ne peut être ramenée au-dessous d'un certain minimum. Ils sont importés quel qu'en soit le prix qu'il faut payer. Si les devises étrangères requises pour les importer ne peuvent être acquises par un montant adéquat d'exportations, la balance du commerce devient défavorable et les taux de change étrangers ne pourront que monter continuellement.

Cela n'est pas moins illusoire que toutes les autres idées mercantilistes. Si urgente et vitale que soit la demande d'un individu ou d'un groupe, relativement à certains biens, les intéressés ne peuvent la satisfaire qu'en payant le prix du marché. Si un Autrichien désire acheter du blé canadien, il doit payer le prix de marché en dollars canadiens. Il doit se procurer ces dollars canadiens en exportant quelque chose soit directement au Canada, soit indirectement dans d'autres pays. Il n'augmente pas la quantité de dollars disponible en payant pour des dollars canadiens un prix plus élevé en schillings (la monnaie domestique autrichienne). D'ailleurs, il ne peut payer de tels prix accrus en schillings pour du blé importé, si ses revenus en schillings n'ont pas augmenté. C'est seulement si le gouvernement autrichien se lance dans une politique inflationniste, et accroît ainsi le nombre des schillings dans la poche de ses citoyens, que les Autrichiens sont à même d'acheter les quantités habituelles de blé canadien sans réduire d'autres dépenses. S'il n'y a pas d'inflation domestique, toute hausse dans le prix des biens importés provoquerait soit une baisse de la consommation de ces biens, soit une restriction de la consommation de produits autres. Alors le processus de réadaptation décrit plus haut se mettra en mouvement.

Si un homme manque de l'argent nécessaire pour acheter du pain chez son voisin, le boulanger du village, la cause n'en est pas dans une prétendue disette de monnaie. La cause en est que cet homme n'est pas parvenu à gagner l'argent nécessaire en vendant des marchandises ou en rendant des services pour lesquels d'autres hommes sont disposés à payer. La même chose est vraie quant au commerce international. Un pays peut être en difficultés parce qu'il ne sait comment faire pour vendre au-dehors assez de produits pour acheter et payer tous les produits alimentaires nécessaires à ses habitants. Mais cela ne veut pas dire que les devises étrangères sont rares. Cela veut dire que les habitants sont pauvres. Et l'inflation domestique n'est certainement pas un moyen approprié pour mettre fin à cette pauvreté.

La spéculation non plus n'est en cause dans la formation des taux de change avec l'étranger. Les spéculateurs font simplement des pronostics sur les changements prochains. S'ils se trompent, si leur opinion qu'il y a de l'inflation en cours est inexacte, la structure des prix et les taux des changes extérieurs ne correspondront pas à leurs pronostics, et ils auront à payer leur erreur en subissant des pertes.

La théorie selon laquelle les taux de changes avec l'étranger sont déterminés par la balance des paiements est fondée sur une généralisation illégitime d'un cas particulier. Si deux régions, A et B, emploient la même sorte de monnaie, et si les habitants ne souhaitent pas modifier le volume de leurs encaisses liquides, au bout d'un certain laps de temps la quantité de monnaie payée par les habitants de A aux habitants de B est égale au montant payé par les habitants de B à ceux de A ; et tous les paiements peuvent être effectués sans transfert de monnaie de A et B ou de B en A. Dans ce cas, le taux des transferts télégraphiques vers B ne peut monter en A au-dessus d'un point légèrement inférieur au pont de sortie de l'or ; et il ne peut baisser au-dessous d'un point légèrement supérieur au point d'entrée de l'or ; et vice versa de B en A. A l'intérieur de cette marge s l'état quotidien de la balance des paiements détermine celui du taux de change étranger. Cela suppose toutefois que ni les habitants de A ni ceux de B ne souhaitent modifier le volume de leurs encaisses liquides. Si les habitants de A souhaitent diminuer leurs encaisses liquides, et ceux de B augmenter les leurs, de la monnaie est transférée de A en B et le prix des transferts télégraphiques vers B monte en A jusqu'au point de sortie de l'or. Cependant, ce n'est pas parce que la balance des paiements est devenue défavorable pour A, qu'il y a des envois de monnaie vers B. Ce que les mercantilistes appellent balance défavorable est l'effet d'une diminution délibérée des encaisses liquides de la part des citoyens de A, et d'une augmentation délibérée de leurs encaisses par les citoyens de B. Si aucun habitant de A n'était disposé à réduire son encaisse liquide, un tel flux de monnaie sortant de A ne pourrait se produire.

La différence entre le commerce de la monnaie et celui des biens vendables est celle-ci : en règle générale les biens se déplacent dans une voie à sens unique, des places à production excédentaire aux places à consommation excédentaire. En conséquence, le prix de certains articles sur les places où ils sont produits en surplus est généralement inférieur au prix de ces articles sur les places consommatrices, et l'écart est chiffré par le coût de l'expédition. Il n'en va pas de même avec la monnaie, compte non tenu du cas des pays extracteurs d'or et du cas des pays dont les habitants cherchent délibérément à modifier le volume de leurs encaisses liquides. La monnaie se déplace tantôt dans un sens, tantôt dans le sens opposé. A un moment donné, tel pays exporte de la monnaie, à un autre moment il en importe. Tout pays qui exporte sera bientôt importateur, précisément en raison de ses exportations antérieures. C'est là la raison unique pour laquelle il est possible d'économiser les frais du transfert de monnaie, par l'entremise du marché des devises étrangères.

16 / Les taux d'intérêt et la relation monétaire

La monnaie joue, dans les opérations de crédit, le même rôle que dans toutes les autres transactions. En général, les prêts sont consentis en monnaie, l'intérêt et le principal sont payés en monnaie. Les paiements résultant de ces transactions n'influent sur le volume des encaisses liquides que d'une façon temporaire. Les personnes qui reçoivent le prêt, ou l'intérêt et le principal, dépensent les sommes qu'elles reçoivent soit pour la consommation, soit pour l'investissement. Elles n'augmentent leurs encaisses liquides que pour des raisons déterminées, qui les amènent à en décider ainsi indépendamment de l'entrée d'argent opérée.

L'état final du taux d'intérêt sur le marché est le même pour tous les prêts d'un même caractère. Les différences dans le taux d'intérêt sont causées soit par des différences dans la situation plus ou moins saine ou dans l'honorabilité plus ou moins établie du débiteur, soit par des différences dans les termes du contrat 21. Les écarts entre des taux d'intérêt qui n'ont pas pour cause des différences de cette nature tendent à disparaître. Les demandeurs de crédit s'adressent aux prêteurs qui demandent de moindres taux d'intérêt. Les prêteurs cherchent à s'occuper de gens disposés à payer des taux élevés. Les choses se passent de la même façon sur le marché de l'argent que sur tous les autres marchés.

En ce qui concerne les transactions de crédit entre des régions distinctes, les taux de change à distance sont à prendre en compte concurremment avec les différences dans l'étalon monétaire lorsqu'il en existe. Examinons le cas de deux pays A et B, sachant qu'en A l'étalon monétaire est l'or, tandis qu'en B c'est l'argent. Le prêteur qui envisage de prêter de la monnaie de A à un habitant de B, doit en premier lieu vendre de l'or contre de l'argent ; et plus tard, à l'expiration du prêt, il devra vendre de l'argent contre de l'or. Si, à cette dernière date, le prix de l'argent a baissé par rapport à l'or, le capital remboursé par l'emprunteur (en argent) n'achètera qu'un montant d'or inférieur à celui dépensé par le créancier lorsqu'il a conclu jadis la transaction. Par conséquent, il ne se risquera à faire un prêt en B que si la différence des taux d'intérêt en A et en B est suffisamment importante pour compenser une baisse probable du prix de l'argent par rapport à l'or. La tendance à l'égalisation du taux d'intérêt pour les prêts à court terme, qui prévaut entre les marchés de A et de B si les deux pays ont le même étalon monétaire, se trouve gravement entravée par une différence d'étalon.

Si A et B ont tous deux le même étalon, il est impossible pour les banques de A de procéder à une expansion de crédit si celles de B n'adoptent pas la même politique. Une expansion du crédit en A y fait monter les prix, et les taux d'intérêt à court terme baissent momentanément en A, alors qu'en B les prix et les taux d'intérêt restent inchangés. De ce fait, les exportations de A baissent et ses importations augmentent. De plus, les prêteurs habitant A se mettent à rechercher des emprunteurs à court terme sur le marché de B. Le résultat est un drainage des réserves monétaires de A vers l'extérieur, et elles tendent à disparaître. Si les banques de A ne renoncent pas à leur politique expansionniste, elles deviennent insolvables

Un tel processus a été interprété de façon entièrement fausse. Les gens disent que la banque centrale d'un pays a une mission importante et vitale à remplir pour la nation. Il est du devoir sacré de la banque centrale, disent-ils, de préserver la stabilité des taux de change avec l'étranger, et de défendre la réserve d'or de la nation contre les attaques des spéculateurs étrangers et de leurs complices de l'intérieur. La vérité est que tout ce que fait la banque centrale pour éviter que s'évapore sa réserve d'or, elle le fait pour sauvegarder sa propre solvabilité. Elle a compromis sa solidité financière en s'embarquant dans une expansion du crédit, et doit maintenant défaire son ouvrage afin d'en éluder les conséquences désastreuses. Sa politique expansionniste a buté contre les obstacles qui bornent l'émission des instruments fiduciaires.

L'emploi de la terminologie guerrière ne convient pas à l'analyse des questions monétaires, ni à celle d'aucun autre problème de catallaxie. Il n'y a pas de « guerre » entre les banques centrales, pas de forces sinistres « attaquant » la position d'une banque et menaçant la stabilité des taux de changes. Il n'est besoin d'aucun « défenseur » pour « protéger » le système monétaire d'un pays. En outre, il n'est pas vrai que ce qui empêche la banque centrale d'un pays, ou ses banques privées, d'abaisser le taux d'intérêt sur le marché national, ce sont des considérations de défense du système de l'étalon-or et de stabilité des changes, ou encore de néfastes machinations d'un réseau international de financiers capitalistes. Le taux d'intérêt sur le marché n'est pas susceptible d'être abaissé par une expansion de crédit, si ce n'est pour une brève période ; et même, alors, cela entraîne tous les effets que décrit la théorie du cycle commercial.

Lorsque la Banque d'Angleterre rachetait un billet de banque en se conformant aux termes du contrat, elle ne rendait pas avec désintéressement un service vital au peuple britannique. Elle faisait simplement ce que fait la ménagère qui règle ses dettes chez l'épicier. L'idée qu'il y a un mérite spécial, pour la banque centrale, à remplir ses obligations librement contractées n'a pu prendre naissance que dans le fait qu'à maintes reprises les gouvernements ont conféré à leurs banques centrales le privilège de refuser à leurs clients le remboursement auquel ils avaient titre légal. En réalité, les banques centrales sont devenues de plus en plus des annexes subalternes du Trésor, de simples instruments pour opérer expansions de crédit et inflation. Il n'y a pratiquement aucune différence entre celles qui sont propriété de l'État et administrées par des fonctionnaires, et celles qui ne le sont pas. Dans les faits, les banques qui accordent des crédits de circulation sont, dans tous les pays aujourd'hui, de simples agences du Trésor.

Il n'y a qu'un moyen unique de maintenir une monnaie légalement libératoire, au pair avec l'or et les devises étrangères : c'est la convertibilité inconditionnelle. La banque centrale doit acheter au pair tout montant d'or ou de créances sur l'étranger qu'on lui offre, en échange de billets de banque et comptes de dépôt ; d'autre part, elle doit vendre, sans discrimination, tout montant en or ou devises étrangères demandé par quiconque est disposé à payer au pair en billets de banque du pays, pièces de monnaie ou soldes créditeurs de dépôt. Telle était la politique des banques centrales sous le régime de l'étalon-or. Telle était aussi la politique des gouvernements et banques centrales qui avaient adopté le système monétaire couramment appelé « étalon de change-or ». La seule différence entre le régime classique ou » orthodoxe » d'étalon-or, tel qu'il exista en Grande-Bretagne depuis le début des années 1820, et dans plusieurs autres pays, jusqu'à la conflagration de la Première Guerre mondiale, d'une part, et le système d'étalon de change-or d'autre part, portait sur l'emploi des pièces d'or dans le marché national. En régime classique d'étalon-or une partie des encaisses liquides des citoyens consistait en pièces d'or et le reste en substituts monétaires. En régime d'étalon de change-or, les encaisses des particuliers consistaient entièrement en substituts monétaires.

Accrocher le change extérieur à un certain taux revient à promettre d'acheter à ce taux.

Un fonds, ou office, d'égalisation des changes ne peut, lui aussi, réussir dans ses opérations que s'il s'en tient fermement aux mêmes règles.

Les raisons pour lesquelles, dans les dernières décennies, les gouvernements européens ont préféré des offices de stabilisation des changes au fonctionnement des banques centrales sont évidentes. La législation sur les banques centrales avait été l'œuvre de gouvernements libéraux, ou de gouvernements qui n'osaient pas aller ouvertement à l'encontre, au moins dans la conduite des affaires financières, de l'opinion publique des pays libéraux. Les opérations des banques centrales étaient par conséquent conformes à la liberté économique. C'est ce qui les a fait considérer comme embarrassantes dans cet âge de totalitarisme croissant. Les principales caractéristiques du fonctionnement d'un fonds de stabilisation des changes, comparé à celui d'une banque centrale, sont les suivantes

1. Les autorités gardent secrètes les opérations du fonds. Les lois ont obligé les banques centrales à publier leur situation réelle à intervalles rapprochés, en général chaque semaine. Mais la situation du fonds de stabilisation n'est connue que des initiés. Les pouvoirs publics publient un rapport lorsqu'un laps de temps suffisant s'est écoulé pour que les chiffres n'aient d'intérêt que pour les historiens, et ne puissent servir en rien aux hommes d'affaires.

2. Ce secret permet de défavoriser des gens qui ne sont pas en trop bons termes avec les autorités. Dans plusieurs pays du continent européen, ce fut l'occasion de cas de corruption scandaleux. D'autres gouvernements ont usé de ce pouvoir arbitraire pour nuire à des dirigeants d'entreprises appartenant à des minorités linguistiques ou religieuses, ou qui soutenaient des partis d'opposition.

3. Une parité de change n'est plus fixée par une loi dûment promulguée selon le processus parlementaire, qui portait la décision à la connaissance de tout citoyen. La détermination dépend de bureaucrates décidant à leur idée. De temps en temps, on lit dans les journaux que la monnaie de la Ruritanie est faible. Il serait plus conforme à la réalité de dire : les autorités ruritaniennes ont décidé de relever le prix des devises étrangères 22.

Un Fonds de Stabilisation des changes n'est pas une baguette magique capable de remédier aux méfaits de l'inflation. Il ne peut employer aucun moyen autre que ceux dont disposent les banques centrales « orthodoxes ». Et comme les banques centrales, il ne peut qu'échouer dans ses efforts de maintenir les taux de change extérieurs au pair s'il y a inflation interne et expansion de crédit.

Il a été dit que les méthodes « orthodoxes » pour lutter contre un drainage extérieur au moyen du taux d'escompte ne donnent plus de résultat, parce que les nations ne sont plus disposées à se plier aux « règles du jeu ». Or, l'étalon-or n'est pas un jeu, c'est une institution sociale. Son fonctionnement ne dépend pas de la disposition d'esprit de gens, qui accepteraient d'observer certaines règles arbitraires. Il est dirigé par la force d'une loi économique inexorable.

A l'appui de leur objection, les critiques citent le fait que dans la période entre les deux guerres un relèvement du taux d'escompte fut incapable d'arrêter le drainage extérieur, c'est-à-dire l'écoulement de la monnaie et le transfert des dépôts dans des pays étrangers. Mais ce phénomène a eu pour cause la politique suivie par les gouvernements, hostiles à l'or et adeptes de l'inflation. Si une personne s'attend à perdre 40 % de son actif liquide par suite d'une dévaluation imminente, elle essayera de transférer son dépôt à l'étranger et ne changera pas d'avis si le taux d'escompte de son pays monte de 1 ou 2 % alors que le gouvernement envisage une dévaluation. Une telle hausse du taux d'escompte ne compense manifestement pas une perte qui peut être dix fois, vingt fois ou même quarante fois plus grande. Il va de soi que l'étalon-or ne peut fonctionner si les gouvernements ne souhaitent qu'en paralyser le fonctionnement.

17 / Instruments secondaires d'échange

L'emploi de la monnaie n'écarte pas les différences qui existent entre les divers biens non monétaires en ce qui concerne leur négociabilité sur le marché. Dans l'économie monétaire, il y a une différence très substantielle entre la négociabilité de la monnaie et celle des biens vendables. Mais il reste des différences entre les diverses espèces de biens de ce dernier groupe. Pour quelques-uns, il est plus facile de trouver immédiatement un acheteur disposé à payer le prix le plus élevé compatible avec l'état du marché. Pour d'autres, c'est plus difficile. Un titre de rente nu un bon du Trésor sont plus négociables qu'une maison dans la grand-rue, et un vieux manteau de fourrure plus négociable qu'un autographe d'homme d'État du XVIIIe siècle. L'on ne compare plus la négociabilité des divers biens vendables avec celle parfaite de la monnaie ; l'on compare simplement le degré de négociabilité de diverses marchandises. L'on peut parler de la négociabilité secondaire des biens vendables.

Celui qui possède un stock de marchandises de haut degré de négociabilité secondaire est en mesure de restreindre son avoir liquide en caisse. Il peut prévoir que si un jour il lui est nécessaire d'augmenter son encaisse liquide il sera en mesure de vendre ces biens de haute négociabilité secondaire sans délai, au prix le plus élevé pratiqué sur le marché. Ainsi le volume de l'encaisse liquide d'un particulier ou d'une firme est influencé par le fait de disposer ou non d'un stock de biens de haute négociabilité. Le volume de l'encaisse liquide et les frais correspondant à sa conservation peuvent être réduits par la disposition de biens, productifs de revenus et dont la négociabilité secondaire est élevée.

En conséquence, il apparaît une demande spécifique de tels biens, émanant de gens désireux d'en détenir pour réduire les frais de maintien d'une encaisse liquide. Les prix de ces biens sont en partie déterminés par cette demande spécifique ; en son absence ils seraient plus bas. Ces biens sont en somme des moyens secondaires d'échange, et leur valeur d'échange est la résultante de deux sortes de demande : la demande relative à leurs services comme instruments secondaires d'échange, et la demande relative aux autres services qu'ils rendent.

Les coûts occasionnés par la conservation d'argent liquide sont égaux au montant de l'intérêt que la somme aurait rapporté si elle avait été placée. Le coût de conservation de moyens secondaires d'échange consiste en la différence entre l'intérêt produit par les valeurs ainsi employées et l'intérêt plus élevé d'autres valeurs qui ne diffèrent des premières que par leur moindre négociabilité, qui les rend impropres à servir de moyens secondaires d'échange.

De temps immémorial, les bijoux ont été employés comme instruments secondaires d'échange. Aujourd'hui les moyens secondaires d'échange couramment employés sont

  • 1. Des créances contre des banques, des banquiers, des caisses d'épargne payables à vue ou à échéance brève (tout en n'étant pas des substituts de monnaie 23) ;
  • 2. Des bons ou obligations dont la circulation et la popularité sont assez grandes pour qu'il soit possible d'en vendre de petites quantités sans déprimer le marché ;
  • Finalement, à la limite certains titres particulièrement négociables, voire certaines marchandises.

Bien entendu, les avantages à retirer d'un abaissement des frais de maintien d'encaisse liquide doivent être mis en regard de certains risques courus. La vente de titres et plus encore celle de marchandises ne peuvent à certains moments être effectuées qu'à perte. Ce danger n'est pas présent dans le cas de soldes bancaires, et le risque d'insolvabilité d'une banque est généralement négligeable. C'est pourquoi les créances productives d'intérêt sur des banques ou banquiers, qui peuvent être retirées à bref délai, sont les moyens secondaires d'échange les plus populaires.

Il ne faut pas confondre les instruments secondaires d'échange avec les substituts de monnaie. Les substituts de monnaie sont, dans les règlements, cédés et reçus comme la monnaie. Mais les instruments secondaires d'échange doivent d'abord être échangés contre de la monnaie ou des substituts de monnaie si l'on veut s'en servir — de façon indirecte — pour payer ou pour augmenter l'encaisse liquide.

Les créances employées comme instruments d'échange secondaires ont, du fait de cet emploi, un marché plus large et un prix plus élevé. La conséquence est qu'ils rapportent un intérêt moindre que les créances de même nature qui ne sont pas aptes à servir de moyens secondaires d'échange. Les rentes d'État et les bons du Trésor qui peuvent être utilisés comme instruments secondaires d'échange peuvent être émis dans des conditions plus favorables au débiteur que les emprunts qui ne peuvent être ainsi employés. Les débiteurs en question sont donc désireux d'organiser le marché de leurs reconnaissances de dette de telle sorte qu'elles deviennent intéressantes pour les gens à la recherche d'instruments secondaires d'échange. Ils s'efforcent de rendre possible pour tout porteur de tels titres, de les vendre ou de les déposer en garantie d'emprunts, dans les conditions les plus raisonnables. Dans la publicité concernant leurs émissions publiques ils soulignent ces possibilités comme un avantage spécial.

De même, les banques et banquiers s'efforcent d'attirer les demandes d'instruments secondaires d'échange. Ils offrent à leurs clients des stipulations pratiques. Ils cherchent à se concurrencer en raccourcissant les délais de préavis. Parfois ils paient même des intérêts sur la monnaie exigible à vue. Dans cette rivalité, certaines banques sont allées trop loin, au détriment de leur solvabilité.

Les circonstances politiques des dernières décennies ont procuré une importance accrue aux soldes en banque qui peuvent servir de moyens secondaires d'échange. Les gouvernements de presque tous les pays font la chasse aux capitalistes ; ils visent à les exproprier au moyen de l'impôt et des mesures monétaires. Les capitalistes s'efforcent de protéger leur propriété en gardant liquide une partie de leurs fonds afin de se soustraire à temps aux mesures de confiscation. Ils conservent des soldes créditeurs auprès de banques des pays où le danger de confiscation ou de dévaluation monétaire est momentanément moindre qu'ailleurs. Dès que les perspectives changent, ils transfèrent ces soldes créditeurs dans les pays qui semblent à ce moment-là offrir plus de sécurité. Ce sont ces fonds-là que les gens visent quand ils parlent d'argent « brûlant ».

L'impact de l'argent brûlant sur la situation des affaires monétaires est la conséquence du système de la réserve unique. Afin de faciliter aux banques centrales la tâche de provoquer une expansion de crédit, les gouvernements européens ont tendu depuis longtemps à concentrer les réserves d'or du pays aux mains de la banque centrale. Les autres banques (les banques privées, c'est-à-dire non dotées de privilèges spéciaux et non habilitées à émettre des billets de banque) limitent leur encaisse liquide au montant requis par leurs transactions quotidiennes ; elles ne conservent plus une réserve pour faire face au remboursement de leurs dettes venant à échéance. Elles ne considèrent pas utile de régler les échéances et les disponibilités de telle sorte qu'elles puissent chaque jour se conformer sans aide extérieure aux engagements envers leurs créanciers. Elles s'en reposent sur la banque centrale. Lorsque les créanciers désirent retirer plus que le montant « normal », les banques privées empruntent les fonds requis à la banque centrale. Une banque privée se considère en liquidité suffisante si elle détient un montant suffisant, soit de titres sur lesquels la banque centrale accordera un prêt, soit d'effets de commerce que la banque centrale réescomptera 24.

Quand l'afflux d'argent brûlant, ou capitaux vagabonds, commença, les banques privées des pays où l'argent était momentanément déposé ne virent aucun mal à se servir de ces fonds comme d'habitude. Elles employèrent les fonds supplémentaires qu'on leur confiait, en augmentant leurs prêts aux affaires. Elles ne s'inquiétèrent pas des conséquences, bien qu'elles aient su que ces fonds repartiraient aussitôt qu'apparaîtrait quelque doute sur la politique fiscale ou monétaire de leur pays. Le manque de liquidité de la position de ces banques était manifeste : d'un côté, des sommes considérables pouvaient être retirées à bref délai par les clients, tandis que de l'autre les prêts aux firmes ne pouvaient être retirés qu'à des dates éloignées. La seule méthode prudente pour traiter les capitaux vagabonds eût été de conserver une réserve en or et devises étrangères assez élevée pour rembourser le total au cas de retrait subit. Évidemment, cette méthode aurait exigé que les banques se fassent payer une commission par les déposants pour conserver leurs fonds en sûreté.

L'heure de vérité vint pour les banques suisses lorsqu'en septembre 1936 la France dévalua le franc français. Les déposants de capitaux vagabonds prirent peur, redoutant que la Suisse suive l'exemple de la France. Comme on pouvait s'y attendre, tous cherchèrent à transférer immédiatement leurs fonds à Londres, New York ou même Paris, où il était improbable que les premières semaines à venir risquent de voir une nouvelle dépréciation de la monnaie. Mais les banques commerciales suisses n'étaient pas en mesure de rembourser ces fonds sans l'aide de la Banque nationale. Elles les avaient prêtés à des affaires — en grande partie situées dans des pays qui, par le contrôle des changes, avaient bloqué leurs soldes débiteurs. La seule issue pour elles aurait été d'emprunter à la Banque nationale, afin de maintenir leur propre solvabilité. Mais dans ce cas les déposants remboursés auraient tout de suite demandé à la Banque nationale de racheter, en or ou en devises étrangères, les billets touchés. Si la Banque nationale refusait de le faire, elle abandonnait en fait l'étalon-or et dévaluait le franc suisse. Si la Banque nationale rachetait les billets, elle perdait la majeure partie de ses réserves. Une panique s'en serait suivie, les Suisses eux-mêmes auraient tenté de se procurer le plus possible d'or ou de devises. Le système monétaire entier du pays aurait croulé.

La seule alternative pour la Banque nationale suisse eût été de ne pas aider du tout les banques privées. Mais c'était l'équivalent de la faillite des plus importantes institutions de crédit du pays.

Ainsi, le gouvernement helvétique n'avait pas de choix. Le moyen unique pour éviter une catastrophe économique était de suivre le mouvement et de dévaluer le franc suisse. L'affaire ne souffrait pas de retard.

En gros, la Grande-Bretagne se trouva dans la même situation quand éclata la guerre en septembre 1939. La Cité de Londres avait jadis été le centre mondial de l'industrie bancaire. Elle a de longue date perdu cette fonction, mais l'étranger, et les citoyens des Dominions conservaient encore, à la veille du conflit, des balances à court terme considérables dans les banques britanniques. De plus, il y avait des dépôts très importants dus aux banques centrales de la « Zone Sterling ». Si le gouvernement britannique n'avait gelé tous ces soldes créditeurs en édictant des mesures de restriction sur les changes, l'insolvabilité des banques britanniques aurait été manifeste. Le contrôle des changes fut un moratoire déguisé accordé aux banques. Il les relevait de l'obligation cruelle de reconnaître publiquement leur incapacité de remplir leurs engagements.

18 / La vue inflationniste de l'histoire

Une théorie très populaire soutient qu'un abaissement progressif du pouvoir d'achat de l'unité monétaire a joué un rôle décisif dans l'évolution historique. L'on affirme que l'humanité n'aurait pas atteint son présent niveau de bien-être si l'offre de monnaie n'avait pas grandi plus vite que sa demande. La baisse résultante en pouvoir d'achat, dit-on, a été une condition nécessaire du progrès économique. L'intensification de la division du travail et le rythme croissant de l'accumulation de capitaux, qui ont centuplé la productivité du travail, ne pouvaient se produire que dans un monde où les prix montent progressivement. L'inflation engendre prospérité et richesse, la déflation produit la détresse et le déclin économique 25. Un tour d'horizon de la littérature politique et des idées qui ont guidé pendant des siècles la politique monétaire et bancaire des nations, révèle que cette opinion est presque généralement acceptée. En dépit de tous les avertissements des économistes, elle est encore aujourd'hui au cœur de la philosophie économique du profane. Elle est tout autant l'essence des enseignements de lord Keynes et de ses disciples dans les deux hémisphères.

La popularité de l'inflationnisme est en grande partie due à la haine profondément enracinée des créanciers. L'inflation est considérée comme juste parce qu'elle favorise les débiteurs au détriment des créanciers. Toutefois, la vue inflationniste de l'histoire dont nous avons à traiter ici n'est que de manière assez lâche reliée à ce mobile anti-créanciers. Ce qu'elle affirme est que l' « expansionnisme » est la force motrice du progrès économique et que le » restrictionnisme » est le pire des fléaux, et cette affirmation est fondée sur des arguments différents.

Il est évident que les problèmes posés par la doctrine inflationniste ne peuvent être résolus par un recours à l'expérience historique. Il ne fait aucun doute que l'histoire des prix montre, en gros, une tendance ascensionnelle constante, bien qu'elle soit parfois interrompue pendant de courtes périodes. Il est évidemment impossible d'établir le fait autrement que par un jugement intuitif historique. La précision catallactique ne peut s'appliquer aux problèmes historiques. Les efforts de certains historiens et statisticiens pour remonter le cours des changements de pouvoir d'achat des métaux précieux à travers les âges sont futiles. Il a déjà été montré que tous les essais pour mesurer des grandeurs économiques ont pour base des suppositions entièrement fausses, et qu'ils manifestent une ignorance des principes fondamentaux aussi bien de l'histoire que de l'économie. Mais ce que l'Histoire, par ses méthodes spécifiques, est capable de nous dire en ce domaine suffit pour justifier l'assertion que le pouvoir d'achat de la monnaie a pendant des siècles montré une tendance à baisser. Sur ce point, tout le monde est d'accord. 1

Mais tel n'est pas le problème qu'il s'agit d'élucider. La question est de savoir si la baisse du pouvoir d'achat a été ou non un facteur indispensable, dans l'évolution qui conduisit de la pauvreté des temps passés à la situation plus satisfaisante du capitalisme occidental moderne. Il faut répondre à cette question sans se référer à l'expérience historique, qui peut être et est toujours interprétée de façons différentes ; partisans et adversaires de n'importe quelle théorie ou explication de l'histoire s'y réfèrent comme preuve de leurs affirmations contradictoires et incompatibles. Ce qu'il faut, c'est mettre au clair les effets des changements de pouvoir d'achat sur la division du travail, l'accumulation du capital, et le progrès technique.

Pour traiter ce problème, l'on ne peut se contenter de réfuter les arguments proposés par les inflationnistes à l'appui de leur thèse. L'absurdité de ces arguments est si manifeste qu'il est aisé de les réfuter et rejeter. Depuis aussi longtemps qu'elle existe, la science économique a montré à maintes reprises que les assertions concernant les prétendus bienfaits d'une abondance de monnaie et les prétendus désastres provoqués par une rareté de la monnaie sont le fruit d'erreurs de raisonnement grossières. Les efforts des propagandistes de l'inflationnisme et de l'expansionnisme pour réfuter les conclusions des économistes ont été absolument vains.

La seule question pertinente est celle-ci : est-il ou non possible d'abaisser le taux de l'intérêt durablement, au moyen de l'expansion du crédit ? Ce problème sera traité à fond dans le chapitre consacré à la liaison à double sens entre la relation monétaire et le taux de l'intérêt. Il y sera montré ce que doivent être forcément les conséquences des périodes d'essor provoquées par l'expansion de crédit.

Mais nous devons nous demander, en ce point de notre recherche, s'il n'est pas possible que d'autres raisons puissent être avancées en faveur de l'interprétation inflationniste de l'Histoire. Ne se pourrait-il pas que les champions de l'inflationnisme aient négligé de recourir à quelque argument valable qui pourrait appuyer leur position ? Il est certainement nécessaire de cerner le problème par toutes ses avenues.

Imaginons un monde dans lequel la quantité de monnaie est fixe. A une époque reculée de l'Histoire, les habitants de ce monde-là ont produit toute la quantité susceptible de l'être, du matériau employé pour les usages monétaires. Il est hors de question d'augmenter la quantité de monnaie. Les moyens fiduciaires sont inconnus. Tous les substituts de monnaie — y compris les jetons divisionnaires — sont des certificats de monnaie.

Dans ces conditions, l'intensification de la division du travail, l'évolution hors de l'autosuffisance économique des ménages, des villages, provinces et pays vers le système de marché mondial du XIXe siècle, l'accumulation progressive du capital, et l'amélioration technologique des méthodes de production, tout aurait convergé pour produire une baisse des prix. Cette tendance constante à la hausse du pouvoir d'achat de l'unité monétaire aurait-elle bloqué l'évolution du capitalisme ?

L'homme d'affaires courant répondra par l'affirmative. A vivre et agir dans un environnement où la baisse lente et continue du pouvoir d'achat de l'unité monétaire est considérée comme normale, nécessaire et bienfaisante, il ne peut simplement pas comprendre un état de choses différent. Dans son esprit, les notions de prix en hausse et de bénéfices sont associées, de même que celles de prix en baisse et de pertes. Le fait qu'il y ait des opérations baissières aussi, et que de grandes fortunes aient été édifiées par des baissiers, n'ébranle pas son dogmatisme. Ce sont là, dit-il, des transactions spéculatives de gens qui veulent profiter de la baisse de prix de biens déjà fabriqués et disponibles. Les innovations créatrices, les nouveaux investissements, et l'utilisation de méthodes technologiquement améliorées exigent le stimulant fourni par la perspective de prix en hausse. Le progrès économique n'est possible que dans un monde où les prix montent.

Cette opinion est insoutenable. Dans un monde où le pouvoir d'achat de l'unité monétaire serait constamment en hausse, la façon de penser des gens s'adapterait à cet état de choses, exactement comme dans notre monde réel elle s'est ajustée au pouvoir d'achat décroissant de l'unité monétaire. Aujourd'hui, tout le monde considère spontanément qu'une hausse de son revenu nominal ou monétaire est une amélioration de son bien-être matériel. L'attention des gens est attirée vers la hausse des taux de salaires nominaux, et vers l'équivalent monétaire de la richesse, plutôt que vers un accroissement de la quantité des biens disponibles. Dans un monde où le pouvoir d'achat de l'unité monétaire serait croissant, ils s'occuperaient davantage de la baisse du coût de la vie. Cela mettrait mieux en relief le fait que le progrès économique consiste primordialement dans le fait que les agréments de la vie deviennent plus accessibles.

Dans la conduite des affaires, les réflexions sur le mouvement séculaire des prix ne jouent absolument aucun rôle. Les entrepreneurs et les investisseurs ne s'en soucient nullement. Ce qui oriente leurs actions, c'est leur opinion sur le mouvement des prix dans les prochaines semaines, les prochains mois, au maximum de prochaines années. Ils n'observent pas le mouvement général de l'ensemble des prix. Ce qui importe pour eux, c'est l'existence d'écarts entre les prix des facteurs complémentaires de production, et le prix probable des produits. Aucun homme d'affaires ne se lance dans une production donnée parce qu'il pense que les prix, c'est-à-dire ceux de tous les biens et services, vont augmenter. Il se risque s'il croit pouvoir profiter d'une différence entre les prix de biens d'ordre différent. Dans un monde à tendance séculaire vers la baisse, de telles occasions de profit se manifesteront de la même façon que dans un monde où la tendance séculaire des prix est à la hausse. La perspective d'un mouvement général et progressif vers le haut de tous les prix ne provoque pas une production intensifiée ni une amélioration du bien-être. Elle a pour conséquence une « fuite vers les valeurs réelles », une hausse casse-cou et l'effondrement complet du système monétaire.

Si l'idée que les prix de toutes les marchandises vont baisser devient générale, le taux de marché de l'intérêt pour le court terme s'abaisse du montant de la prime de prix négative 26. Ainsi l'entrepreneur qui emploie des fonds empruntés est garanti contre les conséquences d'une telle baisse des prix, dans la même mesure où, dans une situation de hausse des prix, le prêteur est garanti par la prime de prix contre les conséquences de la chute du pouvoir d'achat.

Une tendance séculaire à la hausse du pouvoir d'achat de l'unité monétaire rendrait nécessaires, de la part des entrepreneurs et investisseurs, certaines décisions à vue de nez, des tactiques empiriques qui ne seraient pas les mêmes que celles adoptées quand la tendance est à la baisse séculaire du pouvoir d'achat. Mais cela n'exercerait certainement pas d'influence importante sur le cours des affaires économiques. Cela n'éliminerait pas le désir des gens d'améliorer leur bien-être matériel autant qu'ils le peuvent, par un arrangement approprié de la production. Cela ne priverait pas le système économique des facteurs qui sont la source du progrès matériel, à savoir l'effort des promoteurs entreprenants à la poursuite du profit, ni l'empressement du public à acheter celles d'entre les marchandises qui leur procurent le plus de satisfaction au moindre coût.

Les observations qui précèdent ne constituent assurément pas un plaidoyer pour une politique de déflation. Elles comportent seulement la réfutation de fables inflationnistes indéracinables. Elles démasquent le caractère illusoire de la théorie de lord Keynes, disant que la source de la pauvreté et de la misère, des dépressions du commerce, et du manque d'emplois doit être recherchée dans une « pression contractionniste ». Il n'est pas vrai qu'une « pression déflationniste... aurait empêché le développement de l'industrie moderne ». Il n'est pas vrai que l'expansion de crédit réalise le « miracle... de changer une pierre en pain » 27.

L'économie ne recommande ni une politique inflationniste ni une politique déflationniste. Elle ne presse pas les gouvernements de s'immiscer dans le choix que le marché fait d'un instrument d'échange. Elle se contente d'établir les vérités suivantes :

1. En se vouant à une politique inflationnaire ou déflationnaire un gouvernement ne sert pas le bien-être public, le Bien commun, ni les intérêts de la nation entière. Il favorise simplement un ou plusieurs groupes de la population aux dépens d'autres groupes.

2. Il est impossible de savoir à l'avance quel groupe sera favorisé par une mesure inflationnaire ou déflationnaire donnée, et dans quelle mesure il le sera. Ces conséquences dépendent de la totalité des rapports entre les données du marché considéré. Elles dépendent aussi largement de la vitesse des mouvements inflationnaires ou déflationnaires, et peuvent être complètement inversées dans le cours de ces mouvements.

3. De toute façon, une expansion monétaire produit du mal — investissement de capital et de la sur-consommation. Elle laisse la nation dans son ensemble plus pauvre, et non pas plus riche. Ces problèmes seront examinés au chapitre XX.

4. L'inflation continue doit finalement aboutir à la hausse de panique, et à la ruine complète du système monétaire artificiel.

5. La politique déflationnaire est coûteuse pour le Trésor et impopulaire auprès des masses. Mais la politique inflationnaire est une aubaine pour le Trésor, et très populaire auprès des ignorants. Pratiquement, le danger de la déflation est restreint, le danger de l'inflation est énorme.

19 / L'étalon-or

Les hommes ont choisi les métaux précieux or et argent pour servir de monnaie en raison de leurs caractères minéralogiques, physiques et chimiques. L'emploi de monnaie dans une économie de marché est praxéologiquement un fait nécessaire. Que l'or — et non pas quelque autre chose — soit employé comme monnaie n'est qu'un fait d'ordre historique, et comme tel ne peut être conçu par la catallactique. Dans l'histoire monétaire aussi bien que dans les autres branches de l'Histoire, on est obligé de recourir aux jugements intuitifs. S'il plaît à Un Tel d'appeler l'étalon-or une « relique barbare » 28, celui-là ne pourra protester si l'on qualifie de même n'importe quelle institution que l'Histoire a engendrée. Ainsi le fait que les Britanniques parlent anglais — et non pas danois, allemand ni français — est également une relique barbare ; et chaque Britannique qui refuse de substituer l'esperanto à l'anglais est tout autant dogmatique et orthodoxe que ceux que n'enthousiasme pas la perspective d'une monnaie dirigée.

La démonétisation de l'argent et l'institution du monométallisme — or ont été provoquées par une intervention délibérée du pouvoir dans les questions de monnaie. Il est oiseux de se demander ce qui serait arrivé en l'absence de telles politiques. Mais il ne faut pas oublier que ce n'était pas l'intention des gouvernants que d'instituer l'étalon-or. Ce que souhaitaient les gouvernants, c'était le bimétallisme. Ils voulaient substituer une relation fixe, établie par décret, entre l'or et l'argent, aux fluctuations de leurs taux d'échange sur le marché lorsque existaient simultanément des pièces d'or et des pièces d'argent. Les théories monétaires qui servaient de base à ces efforts interprétaient de travers les phénomènes de marché ; et l'erreur était à ce point radicale que seuls des bureaucrates pouvaient la commettre. Les efforts pour créer un étalon double, à la fois or et argent, échouèrent lamentablement. C'est cet échec qui a engendré l'étalon-or. L'apparition de l'étalon-or fut la manifestation du retentissant fiasco des gouvernements et de leurs idées favorites.

Au XVIIe siècle les taux auxquels le gouvernement anglais tarifait les pièces surévaluaient la guinée par rapport à l'argent, et cela fit disparaître les pièces d'argent. Seules restaient en circulation les pièces d'argent trop usées ou de quelque autre manière défigurées ou réduites de poids ; il ne valait pas la peine de les exporter pour les vendre sur le marché des métaux monnayables. C'est ainsi que l'Angleterre eut un étalon-or contre l'intention de son gouvernement. Bien plus tard seulement, les lois firent de cet étalon-or de facto l'étalon de jure. Le gouvernement renonça à répéter davantage ses tentatives pour réinjecter des pièces d'argent au cours légal sur le marché ; l'on ne frappa plus que des pièces divisionnaires d'argent, avec pouvoir libératoire limité. Ces jetons subsidiaires n'étaient pas de la monnaie, mais des substituts de monnaie. Leur valeur d'échange ne dépendait pas de leur teneur en argent, mais du fait qu'à tout instant et sans frais l'on pouvait les échanger à leur valeur faciale contre de l'or. C'étaient de facto des billets de banque imprimés sur de l'argent, des créances sur un certain montant en or.

Plus tard au cours du XIXe siècle l'essai d'un étalon double aboutit de même à l'avènement du monométallisme — or de facto, en France et dans les autres pays de l'Union monétaire latine. Lorsque la baisse profonde du prix de l'argent, dans les dernières années 78'70, évolua automatiquement vers le remplacement de l'or par l'argent comme étalon de fait, les gouvernements suspendirent la frappe de l'argent pour protéger l'or dans sa fonction d'étalon. Aux États-Unis, la structure des prix sur le marché des métaux monnayables avait, dès avant que n'éclate la Guerre de Sécession, transformé le bimétallisme légal en monométallisme — or de fait. Après la période des greenbacks, il y eut un conflit confus entre les partisans de l'étalon-or et ceux de l'étalon-argent ; l'issue fut une victoire de l'or. Une fois que les nations économiquement les plus avancées eurent adopté l'étalon-or, les autres pays suivirent le mouvement. Après les grandes aventures inflationnaires de la Première Guerre mondiale, la plupart des nations s'empressèrent de revenir à l'étalon-or ou à l'étalon de change-or.

L'étalon-or a été l'étalon monétaire mondial de l'âge capitaliste, où grandirent le bien-être, la liberté et la démocratie, tant politique qu'économique. Aux yeux des partisans de la liberté des échanges, sa qualité éminente était précisément le fait d'être un étalon international correspondant pleinement aux besoins du commerce international, des transactions sur les monnaies à travers le monde, et du marché des capitaux 29. Il fut l'instrument d'échange grâce auquel l'industrialisme occidental et les capitaux de l'Occident portèrent sa civilisation jusqu'aux endroits les plus écartés de la surface de la Terre, détruisant partout les entraves de préjugés et de superstitions immémoriales, répandant la semence d'une existence nouvelle et d'un nouveau bien-être, libérant les esprits et les âmes, et créant des richesses jusqu'alors inouïes. Il a accompagné dans leur triomphe les progrès sans précédent du libéralisme occidental, prêt à unir toutes les nations en une communauté de nations libres coopérant pacifiquement les unes avec les autres.

Il est facile de comprendre pourquoi les gens ont considéré l'étalon-or comme le symbole de ce changement historique, le plus grand et le plus bénéfique de tous. Tous ceux qui visent à saboter l'évolution vers le bien-être, la paix, la liberté et la démocratie ont détesté l'étalon-or, et pas seulement à cause de sa signification économique. A leurs yeux, l'étalon-or était l'étendard, le symbole, de toutes les doctrines et politiques qu'ils souhaitaient détruire. Dans l'offensive contre l'étalon-or il y avait bien plus en jeu que les prix des marchandises et les taux de change extérieurs.

Les nationalistes combattent l'étalon-or parce qu'ils veulent détacher leur pays du commerce mondial et l'établir dans une autarcie aussi complète que possible. Les gouvernements interventionnistes et les groupes de pression combattent l'étalon-or parce qu'ils le considèrent comme l'obstacle le plus sérieux à leurs efforts pour manipuler les prix et les taux de salaires. Mais les attaques les plus fanatiques contre l'or viennent de ceux qui veulent pratiquer l'expansion de crédit. Chez eux, l'expansion de crédit est la panacée contre tous les maux économiques. Cela pourrait abaisser et même annuler complètement le taux d'intérêt, relever les salaires et les prix pour le plus grand bonheur de tous, sauf les capitalistes parasites et les employeurs exploiteurs, affranchir l'État de la nécessité d'équilibrer le budget — en bref, rendre contents et prospères tous les individus décents. Seul l'étalon-or, cette diabolique invention d'économistes « orthodoxes » pervers et stupides, empêche l'humanité de parvenir à une prospérité perpétuelle.

L'étalon-or n'est certes pas un étalon parfait ou idéal. En matières humaines, il n'existe pas de perfection. Mais personne n'est en mesure de nous dire comment l'on pourrait instaurer quelque chose de plus satisfaisant que l'étalon-or. Le pouvoir d'achat de l'or n'est pas stable. Mais les notions mêmes de stabilité et d'immutabilité du pouvoir d'achat sont absurdes. Dans un monde qui vit et change, il ne peut y avoir de stabilité du pouvoir d'achat. Dans la construction imaginaire d'une économie tournant en rythme uniforme, il n'y a aucune place pour un instrument d'échange. C'est un caractère essentiel de la monnaie que d'avoir un pouvoir d'achat changeant. En réalité, les adversaires de l'étalon-or ne cherchent pas à rendre stable le pouvoir d'achat de la monnaie. Ils veulent donner aux gouvernements le pouvoir de manipuler le pouvoir d'achat sans avoir à se préoccuper d'un facteur « externe », à savoir la relation monétaire de l'or étalon.

La principale objection élevée contre l'étalon-or est qu'il rend opérant dans la détermination des prix un facteur qu'aucun gouvernement n'est capable de dominer : les vicissitudes de la production d'or. Par là, une force » extérieure » ou « automatique » restreint le pouvoir d'un gouvernement national, l'empêche de rendre ses sujets aussi prospères qu'il le voudrait. Les capitalistes internationaux décident, la souveraineté nationale devient un trompe-l'œil.

Mais la futilité des politiques interventionnistes n'a absolument rien à voir avec les questions monétaires. Il sera montré plus loin pourquoi toutes les mesures prises par des gouvernements intervenant sporadiquement doivent nécessairement manquer leur but. Si le gouvernement interventionniste cherche à remédier aux défauts de ses premières interventions en allant de plus en plus loin, il finit par transformer le système économique de son pays en un socialisme du type allemand. Il abolit alors le marché intérieur complètement, et avec cela la monnaie et les problèmes monétaires, même s'il maintient quelques appellations et étiquettes de l'économie de marché 30. Dans l'un et l'autre cas, ce n'est pas l'étalon-or qui déjoue les bonnes intentions de la bienveillante autorité.

Le fait que l'étalon-or fasse dépendre l'accroissement de la quantité d'or disponible de la profitabilité d'en produire, signifie évidemment qu'il limite la possibilité, pour le gouvernement, de recourir à l'inflation. L'étalon-or rend la formation du pouvoir d'achat de la monnaie indépendante des ambitions changeantes et des théories des partis politiques et des groupes de pression. Ce n'est pas un défaut de l'étalon-or, c'est sa principale excellence. Toute méthode de manipulation du pouvoir d'achat est par nécessité arbitraire. Toutes les méthodes proposées pour la découverte d'une référence prétendue objective et scientifique en vue de la manipulation de la monnaie, sont fondées sur l'illusion que les changements dans le pouvoir d'achat peuvent être « mesurés ». L'étalon-or soustrait à l'arène politique la détermination des changements de pouvoir d'achat induits par encaisse. Son acceptation générale exige que l'on reconnaisse cette vérité, que personne n'est capable de rendre les gens plus riches en imprimant de la monnaie. Ceux qui abhorrent l'étalon-or sont inspirés par la superstition de croire que des gouvernements omnipotents peuvent créer de la richesse à partir de petits bouts de papier.

L'on a soutenu que l'étalon-or est lui aussi un étalon manipulé. Les gouvernements peuvent influer sur le niveau du pouvoir d'achat de l'or, soit par l'expansion de crédit, même si celle-ci est contenue dans les limites qu'impose le souci de préserver la convertibilité des substituts monétaires ; ou indirectement en introduisant des mesures qui induisent les gens à restreindre le volume de leur encaisse liquide. Cela est exact. L'on ne peut nier que la hausse dans le prix des marchandises qui s'est produite entre 1896 et 1914 ait été dans une large mesure provoquée par de telles politiques gouvernementales. Mais la chose essentielle est que l'étalon-or maintient de telles initiatives pour abaisser le pouvoir d'achat de la monnaie, dans des limites étroites. Les inflationnistes combattent en fait l'étalon-or précisément parce qu'ils considèrent ces limites comme un obstacle sérieux à la réalisation de leurs plans.

Ce que les expansionnistes appellent les défauts de l'étalon-or constitue en vérité sa supériorité même et son utilité. Il fait échec aux aventures démesurées des gouvernements tentés par l'inflation. L'étalon-or n'a pas échoué. Les gouvernements ont voulu le détruire, parce qu'ils étaient en proie aux illusions d'après lesquelles l'expansion du crédit est un moyen adéquat pour abaisser le taux de l'intérêt et pour « améliorer» la balance du commerce.

Aucun gouvernement, pourtant, n'est assez puissant pour abolir l'étalon-or. L'or est la monnaie du commerce international et de la communauté économique supranationale de l'humanité. II ne peut être affecté par les mesures des gouvernements dont la souveraineté est cantonnée dans un pays particulier. Aussi longtemps qu'un pays n'est pas en mesure de se suffire économiquement à lui-même, au sens strict de la chose, aussi longtemps temps qu'il existe des fuites dans la muraille où les gouvernements nationaux . essaient d'isoler leur peuple du reste du monde, l'or reste utilisé comme monnaie. Il importe peu que les gouvernements confisquent les pièces d'or . et les lingots qu'ils peuvent saisir, et qu'ils punissent les détenteurs d'or comme des criminels. Le langage des accords de compensation bilatéraux, à travers lesquels les gouvernements essaient d'éliminer l'or du commerce international, évite toute référence à l'or. Mais les mouvements effectués sur la base de ces accords sont calculés en prix d'or. Celui qui achète ou vend sur un marché étranger calcule en or les avantages et inconvénients de ces transactions. En dépit du fait qu'un pays a supprimé tout lien entre sa monnaie et l'or, la structure interne de ses prix demeure étroitement liée à l'or et aux prix en or du marché mondial. Si un gouvernement veut dissocier la structure de ses prix internes d'avec celle du marché mondial, il doit recourir à d'autres mesures, telles que des droits prohibitifs à l'importation et à l'exportation, ou l'embargo. La nationalisation du commerce extérieur, qu'elle soit officielle ou réalisée indirectement par le contrôle des changes, n'élimine pas l'or. Les gouvernements, en tant qu'ils font du négoce, le font en utilisant l'or comme instrument d'échange.

La lutte contre l'or qui est l'une des préoccupations principales de tous les gouvernements contemporains ne doit pas être considérée comme un phénomène isolé. Ce n'est que l'un des chapitres du gigantesque processus de destruction qui est la marque de notre époque. Les gens combattent (étalon-or parce qu'ils désirent remplacer le libre-échange par l'autarcie nationale, la paix par la guerre, la liberté par l'absolutisme totalitaire.

Il est bien possible qu'un jour la technologie découvre un moyen d'accroître la masse disponible d'or, à un coût si minime que l'or devienne inutilisable dans sa fonction monétaire. Alors les hommes n'auront qu'une issue : remplacer cet étalon par un autre étalon. Il est futile de se préoccuper aujourd'hui de la solution d'un tel problème. Nous ignorons complètement les données de la situation où une telle décision devrait être prise.

Coopération monétaire internationale

L'or fonctionne comme étalon international sans aucune intervention des gouvernements. Il réalise la coopération effective de tous les participants à (économie mondiale de marché. Il n'est aucun besoin que les gouvernements se mêlent de faire fonctionner l'étalon-or à l'échelle internationale.

Ce que les gouvernements appellent coopération monétaire internationale est en fait leur action concertée en vue de l'expansion des crédits. Ils ont appris d'expérience que l'expansion de crédit limitée à un seul pays a pour résultat une hémorragie. Ils croient que c'est seulement cet écoulement vers l'extérieur qui fait échouer leurs efforts pour abaisser le taux d'intérêt et pour réaliser ainsi la prospérité perpétuelle. Ils pensent que si tous les gouvernements collaboraient à leur politique expansionniste, l'obstacle serait annulé. Il suffirait d'une banque internationale émettant des instruments fiduciaires acceptés comme substituts de monnaie par tous les peuples de tous les pays.

Il est inutile de souligner à nouveau ici que ce qui rend impossible un abaissement du taux d'intérêt par le biais d'une expansion de crédit, ce n'est pas seulement l'écoulement d'argent vers l'étranger. Ce problème fondamental est traité de façon exhaustive dans d'autres chapitres et sections de ce livre 31.

Mais il y a une autre importante question à examiner.

Supposons qu'il existe une banque internationale émettant des instruments fiduciaires, et dont la clientèle englobe la population totale du globe. Il n'importe point que ces substituts monétaires aillent directement dans les encaisses liquides des particuliers et des firmes, ou qu'ils soient détenus par les banques centrales respectives des pays, comme réserves correspondant à des émissions de substituts de monnaie nationaux. Le point décisif est qu'il y ait une monnaie légale pour le monde entier. Les billets de banque nationaux et la monnaie — chèques sont convertibles en substituts monétaires émis par la banque internationale. La nécessité de maintenir la monnaie légale intérieure au pair avec la monnaie internationale limite le pouvoir de chaque banque centrale nationale en fait d'expansion de crédit. Mais la banque mondiale n'est bornée à cet égard que par les seuls facteurs qui limitent l'expansion de crédit dans le cas d'une banque unique fonctionnant dans un système économique isolé, ou dans le monde entier.

Nous pouvons tout aussi bien supposer que la banque internationale n'est pas une banque émettant des substituts de monnaie dont une partie est faite de moyens fiduciaires ; mais qu'elle est une autorité mondiale émettant une monnaie artificielle internationale. L'or a été entièrement démonétisé. La seule monnaie utilisée est celle créée par l'autorité internationale. L'autorité internationale est libre d'accroître la quantité de cette monnaie, pourvu qu'elle n'aille pas si loin que de provoquer la hausse de panique et l'effondrement de sa monnaie légale.

C'est alors, introduit dans les faits, l'idéal de Keynes. Il y a une institution qui fonctionne pour exercer « une pression expansionniste sur le commerce mondial ».

Toutefois les partisans de tels plans ont négligé un problème fondamental, à savoir celui de la distribution des quantités additionnelles de cette monnaie — crédit ou de ce papier-monnaie.

Supposons que l'autorité internationale augmente son émission d'une somme définie, et que le tout aille à un seul pays, la Ruritanie. Le résultat final de cette action inflationnaire sera de relever les prix des biens et des services partout dans le monde. Mais pendant que ce processus est en cours, la situation des citoyens des divers pays est affectée diversement. Les Ruritaniens sont le premier groupe bénéficiant de la manne additionnelle. Ils ont davantage de monnaie dans leur poche, alors que les habitants du reste du monde n'ont pas encore reçu leur part de la nouvelle monnaie. Ils peuvent offrir des prix plus élevés, les autres ne le peuvent pas. Par conséquent, les Ruritaniens retirent davantage de biens du marché mondial qu'ils ne le faisaient auparavant. Les non-Ruritaniens sont obligés de restreindre leur consommation parce qu'ils ne peuvent offrir les prix relevés que paient les Ruritaniens. Pendant le temps où le processus opère l'ajustement des prix à la nouvelle relation monétaire, les Ruritaniens sont dans une position avantageuse ; lorsque le processus arrive à sa fin, les Ruritaniens se sont enrichis aux dépens des non-Ruritaniens.

Le problème principal dans de telles entreprises d'expansion est celui de la proportion dans laquelle la monnaie supplémentaire doit être attribuée aux divers pays. Chaque nation s'empressera de plaider pour un mode de distribution qui lui donnera la part la plus grosse possible. Les nations orientales industriellement peu développées, par exemple, recommanderont une distribution proportionnelle au nombre de leurs habitants ; ce mode défavorisera évidemment les nations fortement industrialisées. Quel que soit le mode adopté, tous les pays seront mécontents et se diront victimes d'un traitement injuste. Des conflits se produiront et leur gravité fera se disloquer le système entier.

Ce serait avancer un argument sans valeur que de dire que le problème ainsi défini ne s'est pas présenté, ou très peu, lors des négociations qui ont précédé l'institution du Fonds monétaire international, et qu'il a été facile de parvenir à un accord sur l'usage des ressources du Fonds. La Conférence de Bretton Woods s'est tenue dans des circonstances très particulières. La plupart des nations participantes étaient à l'époque entièrement dépendantes du bon vouloir des États-Unis. Elles auraient été perdues si les États-Unis avaient cessé de combattre pour leur liberté et de les aider matériellement par le prêt-bail. Le gouvernement des États-Unis, pour sa part, envisageait l'accord monétaire comme une continuation déguisée du prêt-bail après la cessation des hostilités. Les États-Unis étaient disposés à donner, et les autres participants à prendre sans discuter ce qu'on leur offrirait — spécialement les pays d'Europe, dont une grande partie était encore occupée par les armées allemandes — de même que les représentants des pays asiatiques. Les problèmes implicites deviendront visibles lorsque l'attitude chimérique des États-Unis vis-à-vis des questions financières et commerciales cédera la place à une mentalité plus réaliste.

Le Fonds monétaire international n'a pas réalisé ce que ses répondants en attendaient. Aux réunions annuelles du Fonds il y a quantité de discussions, et des observations et critiques parfois pertinentes sur les politiques monétaires et bancaires des gouvernements et des banques centrales. Le Fonds lui-même s'engage dans des transactions de prêts et emprunts avec divers gouvernements et diverses banques centrales. Il considère que sa fonction principale est d'aider les gouvernements à soutenir un taux de change irréaliste en faveur de leur monnaie légale nationale gonflée à l'excès. Les méthodes auxquelles il recourt dans ces opérations ne diffèrent pas essentiellement de celles habituellement employées dans ce but. Les affaires monétaires mondiales vont leur train comme s'il existait ni Accords de Bretton Woods, ni Fonds monétaire international.

La conjoncture des affaires politiques et économiques mondiales a permis au gouvernement américain de tenir sa promesse, de permettre aux gouvernements étrangers et aux banques centrales de se faire délivrer une once d'or en payant 35 $. Mais la persistance et l'intensification de la politique de crédit « expansionniste » ont considérablement augmenté les retraits d'or et les gens deviennent inquiets sur l'avenir de la situation monétaire. L'on redoute le spectre de retraits encore plus forts qui risqueraient d'épuiser les réserves d'or américaines et forceraient le gouvernement des États-Unis à abandonner sa manière actuelle de traiter cette question de l'or.

C'est un trait caractéristique de la discussion publique sur ces problèmes, que le soin apporté à ne pas mentionner les faits qui sont cause de l'extension de la demande d'or. L'on ne fait pas allusion aux politiques de déficit budgétaire et d'expansion du crédit. A la place, l'on élève des plaintes contre « l'insuffisance des liquidités » et l'amaigrissement des « réserves ». Le remède suggéré est davantage de liquidité et le moyen consiste à « créer » de nouvelles « réserves » supplémentaires. Cela signifie que l'on propose de guérir les effets de l'inflation par davantage d'inflation.

Il faut rappeler que la politique du gouvernement américain et de la Banque d'Angleterre, qui maintient à Londres le cours de 35 $ l'once, est la seule mesure qui à l'heure actuelle empêche les nations occidentales de se lancer dans une inflation illimitée. Cette politique n'est pas directement affectée par le volume des « réserves » des divers pays. Les plans de création de nouvelles « réserves » semblent donc ne pas concerner directement le problème de la relation entre l'or et le dollar. Ils s'y rapportent r indirectement, en ce qu'on essaye ainsi de détourner l'attention du public du problème réel : l'inflation. Pour le reste, la théorie officielle repose sur l'interprétation depuis longtemps discréditée, rattachant les troubles monétaires à la balance des paiements.

Notes

1 La théorie du calcul monétaire ne relève pas de la théorie de l'échange indirect. C'est une partie de la théorie générale de la praxéologie.

2 Voir ci-dessus, p. 215. D'importantes contributions à l'histoire et à la terminologie de cette doctrine sont fournies par F. A. Hayek, Prices and Production (éd. révisée, Londres, 1935), pp. 1 et suiv., 129 et suiv.

3 Voir Mises, The Theory of Money and Credit, traduction par H. E. Batson, Londres et New York, 1934, pp. 34 à 37.

4 La monnaie peut être en cours de transport, elle peut voyager dans des trains, des bateaux, des avions allant d'un endroit à un autre. Mais dans ce cas également, elle est toujours sous le commandement de quelqu'un, elle est la propriété de quelqu'un.

5 Voir les livres de Carl Menger, Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, Vienne, 1871, pp. 250 et suiv. ; même ouvrage, 2e éd., Vienne, 1923, pp. 241 et suiv. ; Untersuchungen ûbes die Methode der Sozialwissenschaften, Leipzig, 1883, pp. 171 et suiv.

6 Voir Menger, Untersuchungen, passage cité, p. 178.

7 Les problèmes d'une monnaie exclusivement consacrée à servir d'instrument d'échange, et non apte à rendre d'autres services en fonction desquels on en demanderait, sont traités ci-dessous dans la section 9.

8 L'auteur de ce livre a d'abord exposé ce théorème de la formation régressive du pouvoir d'achat dans la première édition de son livre, Theory of Money and Credit, publié en 19,2 (pp. 97-123 de la traduction en langue anglaise). Son théorème a été critiqué de divers points de vue. Certaines des objections soulevées, spécialement celles de B. M. Anderson dans son livre riche en idées, The Value of Money, paru d'abord en 1917 (voir pp. 100 et suiv. de l'édition de 1936), méritent un examen très soigneux. L'importance des problèmes soulevés rend nécessaire de peser également les objections de H. Ellis, German Monetary Theory 1905-1933, Cambridge, 1934, PP. 77 et suiv. Dans le texte ci-dessus, toutes les objections soulevées sont identifiées et examinées critiquement.

9 Voir Mises, Theory of Money and Credit, pp. 140-142.

10 Voir, ci-dessus, p. 264.

11 Voir, ci-après, chap. XX.

12 Un tel essai a été fait par Greidanus, The Value of Money, Londres, 1932, pp. 197 et suiv.

13 . Sur les relations entre les taux d'intérêt sur le marché, et les variations du pouvoir d'achat, voir, ci-après, chap. XX.

14 Voir, ci-dessous, pp. 590 et 591.

15 Voir, ci-dessous, pp. 574 à 591.

16 Il n'importe pas non plus que les lois confèrent ou non aux substituts monétaires le pouvoir libératoire. Si ces choses sont effectivement considérées par les gens comme des substituts monétaires et sont par conséquent des équivalents de monnaie possédant le même pouvoir d'achat que le montant correspondant de monnaie, le seul effet de la qualité libératoire légale est d'empêcher des personnes tracassières de recourir à des chicanes pour le simple plaisir d'ennuyer leurs semblables. Si en revanche les choses en question ne sont pas des substituts monétaires, mais sont négociées avec un rabais sur leur valeur faciale, le fait de leur conférer un pouvoir libératoire légal revient à édicter un plafond obligatoire de prix, la fixation d'un prix maximum pour l'or et les devises étrangères, et d'un prix minimum pour ces choses qui ne sont plus désormais des substituts monétaires mais, ou bien de la monnaie —crédit, ou bien de la monnaie factice. Alors apparaissent les effets décrits par la loi de Gresham.

17 La notion d'une expansion de crédit « normale » est absurde. L'émission des instruments fiduciaires, quel qu'en soit le montant, met toujours en mouvement les changements de structure des prix qu'a pour objet de décrire la théorie du cycle commercial. Bien entendu, si le montant émis est faible, faibles également sont les inévitables effets de l'expansion.

18 Voir, ci-dessus, pp. 459 à 461.

19 Voir Cernuschi, Contre le billet de banque, Paris, 1866, p. 55.

20 Très souvent le pouvoir libératoire légal a été donné à ces billets de banque à une époque où c'étaient encore des substituts de monnaie et, comme tels, équivalents à la monnaie en valeur d'échange. A ce moment, le décret n'avait pas d'importance catallactique. Maintenant il devient important parce que le marché ne les considère plus comme des substituts de monnaie.

21 Pour une analyse plus poussée, voir, ci-après, pp. 564 à 574.

22 Voir ci-dessous, pp. 827 à 830.

23 Par exemple, des dépôts à vue non soumis à chèques.

24 Tout cela se rapporte à la situation en Europe. Celle aux États-Unis n'en diffère que techniquement, mais pas économiquement.

25 Voir l'étude critique de Marianne von Herzfeld, « Die Geschichte als Funktion des Geldbewegung », Archiv für Sozialwissenschaft, LVI, pp. 654-686, et les écrits cités dans cette étude.

26 Voir ci-dessous, pp. 568 à 571.

27 Cité d'après International Clearing Union, Text of a Paper Containing Proposals bv British Experts for an International Clearing Union, April 8, 1943 (publié par les Services Britanniques d'Information, institution dépendant du gouvernement britannique), p. 12.

28 Lord Keynes dans le discours prononcé devant la Chambre des Lords le 23 mai 1944.

29 T. E. Gregory, The Gold Standard and Its Future, éd. limitée, Londres, 1934, pp. 22 et suiv.

30 Voir ci-dessous, chap. XXVII à XXXI.

31 Voir ci-dessus, pp. 463 à 465, et ci-dessous, pp. 577 à 615.