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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 3. La Hiérarchie}} | {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 3. La Hiérarchie}} | ||
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Les réflexions historiques sur notre hérédité mongole que j'intercale ici sous | Les réflexions historiques sur notre hérédité mongole que j'intercale ici sous | ||
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présente au lecteur, c'est simplement parce qu'il me semble qu'elles peuvent contribuer | présente au lecteur, c'est simplement parce qu'il me semble qu'elles peuvent contribuer | ||
à l'éclaircissement du reste. | à l'éclaircissement du reste. | ||
L'histoire de l'humanité, qui tient à proprement parler tout entière dans l'histoire | L'histoire de l'humanité, qui tient à proprement parler tout entière dans l'histoire | ||
de la race caucasique, paraît avoir parcouru jusqu'à présent deux périodes ; à la première, | de la race caucasique, paraît avoir parcouru jusqu'à présent deux périodes ; à la première, | ||
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« Je suis possesseur du monde des objets, et je suis possesseur du monde des | « Je suis possesseur du monde des objets, et je suis possesseur du monde des | ||
pensées. » | pensées. » | ||
Il est impossible de faire grand cas de la valeur du moi tant que le dur diamant du | Il est impossible de faire grand cas de la valeur du moi tant que le dur diamant du | ||
non-moi (que ce non-moi soit le dieu ou soit le monde) reste à un prix aussi exorbitant. | non-moi (que ce non-moi soit le dieu ou soit le monde) reste à un prix aussi exorbitant. | ||
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« substantiel », et ne fait que les rendre plus affairés autour de ce qui reste debout et | « substantiel », et ne fait que les rendre plus affairés autour de ce qui reste debout et | ||
qui porte le nom d' « antiquité », d' « aïeux », etc. | qui porte le nom d' « antiquité », d' « aïeux », etc. | ||
C'est pourquoi, dans la période mongole que nous traversons, tout changement n'a | C'est pourquoi, dans la période mongole que nous traversons, tout changement n'a | ||
jamais été qu'une réforme, une amélioration, et jamais une destruction, un bouleversement, | jamais été qu'une réforme, une amélioration, et jamais une destruction, un bouleversement, | ||
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élevés de la civilisation, cette activité est dite scientifique et se traduit par un travail | élevés de la civilisation, cette activité est dite scientifique et se traduit par un travail | ||
reposant sur une supposition fixe, une hypothèse inébranlable. | reposant sur une supposition fixe, une hypothèse inébranlable. | ||
La Moralité, sous sa première et sa plus inintelligible forme, se présente comme | La Moralité, sous sa première et sa plus inintelligible forme, se présente comme | ||
habitude. Agir conformément aux moeurs et aux coutumes de son pays, c'est être | habitude. Agir conformément aux moeurs et aux coutumes de son pays, c'est être | ||
moral. Aussi est-il plus facile au Chinois qu'à tout autre d'agir moralement et de | moral. Aussi est-il plus facile au Chinois qu'à tout autre d'agir moralement et de | ||
parvenir à une pure et, naturelle moralité : il n'a qu'à s'en tenir aux vieilles coutumes, | parvenir à une pure et, naturelle moralité : il n'a qu'à s'en tenir aux vieilles coutumes, | ||
aux vieilles moeurs, et à haïr toute innovation comme un crime méritant la mort ; | aux vieilles moeurs, et à haïr toute innovation comme un crime méritant la mort; l'innovation est en effet l'ennemie mortelle de l'habitude, de la tradition et de la | ||
l'innovation est en effet l'ennemie mortelle de l'habitude, de la tradition et de la | |||
routine. Il est hors de doute que l'habitude cuirasse l'homme contre l'importunité des | routine. Il est hors de doute que l'habitude cuirasse l'homme contre l'importunité des | ||
choses et lui crée un monde spécial, le seul où il se sente chez lui, c'est-à-dire un ciel. | choses et lui crée un monde spécial, le seul où il se sente chez lui, c'est-à-dire un ciel. | ||
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renoncement, la libre jouissance. L'homme ne s'y interdit plus rien, car rien ne lui est | renoncement, la libre jouissance. L'homme ne s'y interdit plus rien, car rien ne lui est | ||
plus étranger ni hostile. | plus étranger ni hostile. | ||
L'habitude est donc une seconde nature qui délie et délivre l'homme de sa nature | L'habitude est donc une seconde nature qui délie et délivre l'homme de sa nature | ||
primitive et le met à l'abri des hasards de cette nature. | primitive et le met à l'abri des hasards de cette nature. | ||
Les traditions de la civilisation chinoise ont paré à toutes les éventualités; tout est | Les traditions de la civilisation chinoise ont paré à toutes les éventualités; tout est | ||
« prévu »; quoi qu'il arrive, le Chinois sait toujours comment il doit se comporter, il | « prévu »; quoi qu'il arrive, le Chinois sait toujours comment il doit se comporter, il | ||
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même temps le ciel ou royaume de la culture et de la seconde nature, elle gravit en | même temps le ciel ou royaume de la culture et de la seconde nature, elle gravit en | ||
réalité par l'habitude le premier échelon de l'échelle du ciel. | réalité par l'habitude le premier échelon de l'échelle du ciel. | ||
Si les Mongols ont affirmé l'existence d'êtres spirituels et créé un ciel, un monde | Si les Mongols ont affirmé l'existence d'êtres spirituels et créé un ciel, un monde | ||
des Esprits, les Caucasiens d'autre part ont, pendant des milliers d'années, lutté contre | des Esprits, les Caucasiens d'autre part ont, pendant des milliers d'années, lutté contre | ||
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crut s'affirmer encore plus solidement en se présentant comme « immortalité de | crut s'affirmer encore plus solidement en se présentant comme « immortalité de | ||
l'Esprit », se transformera-t-elle enfin en mortalité de l'Esprit ? | l'Esprit », se transformera-t-elle enfin en mortalité de l'Esprit ? | ||
Grâce aux industrieux efforts de la race mongole, les hommes avaient construit un | Grâce aux industrieux efforts de la race mongole, les hommes avaient construit un | ||
ciel, quand ceux de la race Caucasique, pour autant qu'un reste d'hérédité mongole | ciel, quand ceux de la race Caucasique, pour autant qu'un reste d'hérédité mongole | ||
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ancienne puissance que pour en légitimer une nouvelle, elle ne fait en somme qu' — | ancienne puissance que pour en légitimer une nouvelle, elle ne fait en somme qu' — | ||
améliorer. | améliorer. | ||
Et cependant, le but suprême vers lequel on marche et que chaque coude de la | Et cependant, le but suprême vers lequel on marche et que chaque coude de la | ||
route fait perdre de vue n'en demeure pas moins invariable ; c'est la destruction vraie | route fait perdre de vue n'en demeure pas moins invariable ; c'est la destruction vraie | ||
et complète du ciel, de la tradition, etc., c'est, en un mot, la fin de l'homme assuré | et complète du ciel, de la tradition, etc., c'est, en un mot, la fin de l'homme assuré | ||
uniquement contre le monde, la fin de son isolement, de sa solitaire intériorité. | uniquement contre le monde, la fin de son isolement, de sa solitaire intériorité. | ||
L'homme cherche dans le ciel de la civilisation à s'isoler du monde et à en briser la | L'homme cherche dans le ciel de la civilisation à s'isoler du monde et à en briser la | ||
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que les écraser l'un sous l'autre ; le ciel des Juifs détruit celui des Grecs, celui des | que les écraser l'un sous l'autre ; le ciel des Juifs détruit celui des Grecs, celui des | ||
Chrétiens détruit celui des Juifs, celui des Protestants celui des Catholiques, etc. | Chrétiens détruit celui des Juifs, celui des Protestants celui des Catholiques, etc. | ||
Si ces Titans humains parviennent à affranchir leur sang caucasien de son hérédité | Si ces Titans humains parviennent à affranchir leur sang caucasien de son hérédité | ||
mongole, ils enseveliront l'homme spirituel sous les cendres de son prodigieux monde | mongole, ils enseveliront l'homme spirituel sous les cendres de son prodigieux monde | ||
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sous les ruines de ce ciel. Et le ciel, c'est le royaume des Esprits, le domaine de la | sous les ruines de ce ciel. Et le ciel, c'est le royaume des Esprits, le domaine de la | ||
liberté spirituelle. | liberté spirituelle. | ||
Le royaume des cieux, le royaume des Esprits et des fantômes, a trouvé, la place | Le royaume des cieux, le royaume des Esprits et des fantômes, a trouvé, la place | ||
qui lui convenait dans la philosophie spéculative. Il y est devenu royaume des pensées, | qui lui convenait dans la philosophie spéculative. Il y est devenu royaume des pensées, | ||
des concepts et des idées : le ciel est peuplé d'idées et de pensées, et ce « royaume | des concepts et des idées : le ciel est peuplé d'idées et de pensées, et ce « royaume | ||
des Esprits » est la réalité même. | des Esprits » est la réalité même. | ||
Vouloir affranchir l'Esprit est du pur « mongolisme »; libertés de l'esprit, du | Vouloir affranchir l'Esprit est du pur « mongolisme »; libertés de l'esprit, du | ||
sentiment, de la morale sont des libertés mongoles. | sentiment, de la morale sont des libertés mongoles. | ||
On prend le mot « moralité » pour synonyme d'activité spontanée, de libre disposition | On prend le mot « moralité » pour synonyme d'activité spontanée, de libre disposition | ||
de soi-même. Pourtant il n'en est rien ; au contraire, si le Caucasien a fait | de soi-même. Pourtant il n'en est rien ; au contraire, si le Caucasien a fait | ||
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en cette dernière son perpétuel et invincible ennemi, le rapport entre lui et la tradition, | en cette dernière son perpétuel et invincible ennemi, le rapport entre lui et la tradition, | ||
c'est-à-dire sa moralité, aurait disparu. | c'est-à-dire sa moralité, aurait disparu. | ||
Le fait que ses impulsions naturelles sont encore morales est précisément ce qui | Le fait que ses impulsions naturelles sont encore morales est précisément ce qui | ||
lui reste de son hérédité mongole ; c'est un signe qu'il ne s'est pas encore ressaisi. Les | lui reste de son hérédité mongole ; c'est un signe qu'il ne s'est pas encore ressaisi. Les | ||
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orthodoxe », à la monarchie « constitutionnelle », à l'État « chrétien », à la liberté | orthodoxe », à la monarchie « constitutionnelle », à l'État « chrétien », à la liberté | ||
« modérée » ou, pour employer une image, au Héros cloué sur son lit de douleur. | « modérée » ou, pour employer une image, au Héros cloué sur son lit de douleur. | ||
L'homme n'aura réellement vaincu le chamanisme et le cortège de fantômes qu'il | L'homme n'aura réellement vaincu le chamanisme et le cortège de fantômes qu'il | ||
traîne à sa suite que lorsqu'il aura la force de rejeter non seulement la superstition, | traîne à sa suite que lorsqu'il aura la force de rejeter non seulement la superstition, | ||
mais la foi — non seulement la croyance aux esprits, mais la croyance à l'Esprit. | mais la foi — non seulement la croyance aux esprits, mais la croyance à l'Esprit. | ||
Celui qui croit aux revenants ne s'incline pas plus profondément devant « l'intervention | Celui qui croit aux revenants ne s'incline pas plus profondément devant « l'intervention | ||
d'un monde supérieur » que ne le fait celui qui croit à l'Esprit, et tous deux | d'un monde supérieur » que ne le fait celui qui croit à l'Esprit, et tous deux | ||
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l'existence d'êtres spirituels, on n'est pas loin de conclure que l'être réel chez l'homme | l'existence d'êtres spirituels, on n'est pas loin de conclure que l'être réel chez l'homme | ||
est son esprit, et qu'on doit réserver tous ses soins à ce seul esprit, au « salut de | est son esprit, et qu'on doit réserver tous ses soins à ce seul esprit, au « salut de | ||
l'âme ». On affirme ainsi la possibilité d'agir sur l'Esprit, ce qu'on appelle « influence | l'âme ». On affirme ainsi la possibilité d'agir sur l'Esprit, ce qu'on appelle « influence | ||
morale ». | morale ». | ||
Il saute donc aux yeux que le « Mongolisme » représente la négation radicale des | Il saute donc aux yeux que le « Mongolisme » représente la négation radicale des | ||
sens et le règne du non-sens et du contre-nature, et que le péché et le remords du | sens et le règne du non-sens et du contre-nature, et que le péché et le remords du | ||
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vanité de l'Esprit. Je le puis, et ceux d'entre vous le peuvent dont le Moi ordonne et | vanité de l'Esprit. Je le puis, et ceux d'entre vous le peuvent dont le Moi ordonne et | ||
règne souverain ; celui qui le peut, c'est, en un mot, — l'Égoïste. | règne souverain ; celui qui le peut, c'est, en un mot, — l'Égoïste. | ||
Devant ce qui est sacré, on perd tout sentiment de sa puissance et tout courage ; | Devant ce qui est sacré, on perd tout sentiment de sa puissance et tout courage ; | ||
on se sent impuissant et on s'humilie. Rien cependant n'est par soi-même sacré ; moi | on se sent impuissant et on s'humilie. Rien cependant n'est par soi-même sacré ; moi | ||
seul je consacre : ce qui canonise, c'est ma pensée, mon jugement, mes génuflexions, | seul je consacre : ce qui canonise, c'est ma pensée, mon jugement, mes génuflexions, | ||
bref, ma conscience. | bref, ma conscience. | ||
Est sacré ce qui est inaccessible à l’égoïste, soustrait à ses atteintes, hors de sa | Est sacré ce qui est inaccessible à l’égoïste, soustrait à ses atteintes, hors de sa | ||
puissance, c’est-à-dire au-dessus de lui ; en un mot, sacrée est toute — affaire de conscience | puissance, c’est-à-dire au-dessus de lui ; en un mot, sacrée est toute — affaire de conscience: « Ce m’est une affaire de conscience » ne signifie rien d’autre que : « Jetiens cela pour sacré. » | ||
: « Ce m’est une affaire de conscience » ne signifie rien d’autre que : « | |||
Pour les petits enfants comme pour les animaux, il n’est rien de sacré, car pour | Pour les petits enfants comme pour les animaux, il n’est rien de sacré, car pour | ||
s’élever à des notions de ce genre, l’intelligence doit s’être assez développée pour être | s’élever à des notions de ce genre, l’intelligence doit s’être assez développée pour être | ||
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humilité, soumission, obéissance, etc.). Ici défilent comme autant de fantômes toute la | humilité, soumission, obéissance, etc.). Ici défilent comme autant de fantômes toute la | ||
collection des « vertus chrétiennes ». | collection des « vertus chrétiennes ». | ||
Tout ce qui inspire le respect ou la vénération mérite d'être appelé sacré ; vous | Tout ce qui inspire le respect ou la vénération mérite d'être appelé sacré ; vous | ||
dites vous-mêmes que ce n'est pas sans une « sainte terreur » que vous y touchez. Et, | dites vous-mêmes que ce n'est pas sans une « sainte terreur » que vous y touchez. Et, | ||
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crime, etc.), parce que cela aussi recèle le même « quelque chose » d'inquiétant, | crime, etc.), parce que cela aussi recèle le même « quelque chose » d'inquiétant, | ||
d'étrange et d’étranger. | d'étrange et d’étranger. | ||
« S'il n'y avait rien de sacré pour l'homme, la porte serait grande ouverte au | « S'il n'y avait rien de sacré pour l'homme, la porte serait grande ouverte au | ||
caprice, à l'arbitraire et à une subjectivité illimitée ! » La crainte est bien un commencement, | caprice, à l'arbitraire et à une subjectivité illimitée ! » La crainte est bien un commencement, | ||
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crainte devenu objet de culte est dorénavant inviolable. Le respect devient éternel, | crainte devenu objet de culte est dorénavant inviolable. Le respect devient éternel, | ||
l'objet du respect devient dieu. | l'objet du respect devient dieu. | ||
L'homme désormais ne crée plus, il apprend (étudie, examine, etc.), c'est-à-dire | L'homme désormais ne crée plus, il apprend (étudie, examine, etc.), c'est-à-dire | ||
que toute son activité se concentre sur un objet immuable, dans lequel il s'enfonce | que toute son activité se concentre sur un objet immuable, dans lequel il s'enfonce | ||
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de tout doute, immuable. Et ainsi on gravit, étage par étage, tous les degrés du | de tout doute, immuable. Et ainsi on gravit, étage par étage, tous les degrés du | ||
temple, depuis le « saint » jusqu'au « saint des saints ». | temple, depuis le « saint » jusqu'au « saint des saints ». | ||
On range les hommes en deux classes : les cultivés et les non-cultivés, les civilisés | On range les hommes en deux classes : les cultivés et les non-cultivés, les civilisés | ||
et les barbares. Les premiers, en tant que méritant leur nom, s'occupaient de pensées, | et les barbares. Les premiers, en tant que méritant leur nom, s'occupaient de pensées, | ||
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eux, la plus respectueuse soumission. État, Empereur, Église, Moralité, Ordre, etc., | eux, la plus respectueuse soumission. État, Empereur, Église, Moralité, Ordre, etc., | ||
sont de ces pensées, de ces fantômes qui n'existent que pour l'Esprit. | sont de ces pensées, de ces fantômes qui n'existent que pour l'Esprit. | ||
Un être simplement vivant, un animal, s'inquiète d'eux aussi peu qu'un enfant. | Un être simplement vivant, un animal, s'inquiète d'eux aussi peu qu'un enfant. | ||
Mais les barbares ne sont en réalité que des enfants, et celui qui ne songe qu'à | Mais les barbares ne sont en réalité que des enfants, et celui qui ne songe qu'à | ||
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d'autre part sans force contre eux, il finit par succomber à leur puissance et par être | d'autre part sans force contre eux, il finit par succomber à leur puissance et par être | ||
régi par des — pensées. | régi par des — pensées. | ||
Tel est le sens de la Hiérarchie : La Hiérarchie est la domination de la pensée, la | Tel est le sens de la Hiérarchie : La Hiérarchie est la domination de la pensée, la | ||
royauté de l'Esprit. | royauté de l'Esprit. | ||
Jusqu'à ce jour nous sommes restés hiérarchiques, opprimés par ceux qui | Jusqu'à ce jour nous sommes restés hiérarchiques, opprimés par ceux qui | ||
s'appuient sur des pensées. Les pensées sont le sacré. | s'appuient sur des pensées. Les pensées sont le sacré. | ||
Mais, à chaque instant, le civilisé se heurte au barbare et le barbare se heurte au | Mais, à chaque instant, le civilisé se heurte au barbare et le barbare se heurte au | ||
civilisé, et cela non seulement à l'occasion de la rencontre de deux hommes, mais | civilisé, et cela non seulement à l'occasion de la rencontre de deux hommes, mais | ||
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triomphe de l'Esprit, et en même temps le triomphe de la Philosophie. La philosophie | triomphe de l'Esprit, et en même temps le triomphe de la Philosophie. La philosophie | ||
ne peut s'élever plus haut, elle atteint le point culminant de sa course lorsqu'elle | ne peut s'élever plus haut, elle atteint le point culminant de sa course lorsqu'elle | ||
aboutit à la toute-puissance, l'omnipotence de l'Esprit | aboutit à la toute-puissance, l'omnipotence de l'Esprit <ref>Rousseau, les Philanthropes et d'autres ont combattu la culture de l'esprit et de l'intelligence, mais | ||
ils oubliaient que cette intelligence est le fond de toute âme chrétienne, et leur critique n'atteignait | |||
que l'excès de civilisation, les raffinements de la culture spirituelle.</ref>. | |||
Les hommes selon l'esprit se sont mis en tête un but qui doit être réalisé. Ayant les | Les hommes selon l'esprit se sont mis en tête un but qui doit être réalisé. Ayant les | ||
notions d'Amour, de Bien, etc., ils voudraient faire de ces concepts des réalités ; ils | notions d'Amour, de Bien, etc., ils voudraient faire de ces concepts des réalités ; ils | ||
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chemin de la perdition, et les fermes propos d'être bon, noble, charitable, etc., sortent | chemin de la perdition, et les fermes propos d'être bon, noble, charitable, etc., sortent | ||
de la même carrière. | de la même carrière. | ||
Bruno Bauer dit quelque part | |||
Bruno Bauer dit quelque part <ref> Bruno BAUER : DenkWurdigkeiten, VI, p.7.</ref>. : « Cette classe bourgeoise, qui a pris dans l'histoire | |||
contemporaine une si redoutable importance, n'est capable d'aucun sacrifice, | contemporaine une si redoutable importance, n'est capable d'aucun sacrifice, | ||
d'aucun enthousiasme pour une idée, d'aucune élévation : elle ne s'attache qu'à ce qui | d'aucun enthousiasme pour une idée, d'aucune élévation : elle ne s'attache qu'à ce qui | ||
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est victorieuse, ce n'est, en définitive, que grâce à sa masse, dont l'inertie a lassé les | est victorieuse, ce n'est, en définitive, que grâce à sa masse, dont l'inertie a lassé les | ||
efforts de la passion, de l'enthousiasme et de la logique, et grâce à sa surface qui a | efforts de la passion, de l'enthousiasme et de la logique, et grâce à sa surface qui a | ||
absorbé une partie des idées nouvelles. » Et aussi | absorbé une partie des idées nouvelles. » Et aussi <ref>Id., ibid., VI. p. 6.</ref> : « Elle a accaparé pour elle seule | ||
le bénéfice des idées révolutionnaires auxquelles d'autres, désintéressés ou passionnés, | le bénéfice des idées révolutionnaires auxquelles d'autres, désintéressés ou passionnés, | ||
s'étaient sacrifiés, et elle a changé l'esprit en argent. — Mais en vérité, avant de | s'étaient sacrifiés, et elle a changé l'esprit en argent. — Mais en vérité, avant de | ||
Ligne 257 : | Ligne 282 : | ||
mais aussi la stricte conséquence, de l'ardeur fanatique de destruction contre tout | mais aussi la stricte conséquence, de l'ardeur fanatique de destruction contre tout | ||
égoïsme. » | égoïsme. » | ||
C'est entendu : ces gens-là sont incapables de dévouement et d'enthousiasme: ils | C'est entendu : ces gens-là sont incapables de dévouement et d'enthousiasme: ils | ||
n'ont ni idéal ni logique ; ce sont, au sens vulgaire du mol, des égoïstes ne songeant | n'ont ni idéal ni logique ; ce sont, au sens vulgaire du mol, des égoïstes ne songeant | ||
qu'à leurs intérêts, prosaïques, calculateurs, etc. | qu'à leurs intérêts, prosaïques, calculateurs, etc. | ||
Qui donc « se sacrifie »? Celui qui subordonne tout le reste à un but, à une volonté, | Qui donc « se sacrifie »? Celui qui subordonne tout le reste à un but, à une volonté, | ||
à une passion, etc. L'amant ne se sacrifie-t-il pas lorsqu'il abandonne père et mère, | à une passion, etc. L'amant ne se sacrifie-t-il pas lorsqu'il abandonne père et mère, | ||
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joie ? Et l'avare, qui se prive de tout pour amasser un trésor ? Et l'ivrogne ? Tous, une | joie ? Et l'avare, qui se prive de tout pour amasser un trésor ? Et l'ivrogne ? Tous, une | ||
unique passion les domine, et ils lui sacrifient toutes les autres. | unique passion les domine, et ils lui sacrifient toutes les autres. | ||
Mais ces sacrifices les empêchent-ils d'être intéressés ? Ne sont-ils point des | Mais ces sacrifices les empêchent-ils d'être intéressés ? Ne sont-ils point des | ||
égoïstes? S'ils n'ont qu'une seule passion maîtresse, ils ne cherchent pas moins à la | égoïstes? S'ils n'ont qu'une seule passion maîtresse, ils ne cherchent pas moins à la | ||
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absorbe. Tous leurs actes, tous leurs efforts sont égoïstes, mais d'un égoïsme non | absorbe. Tous leurs actes, tous leurs efforts sont égoïstes, mais d'un égoïsme non | ||
épanoui, unilatéral et borné : ils sont possédés. | épanoui, unilatéral et borné : ils sont possédés. | ||
« Ce ne sont là, dites-vous, que des passions mesquines, misérables, par lesquelles | « Ce ne sont là, dites-vous, que des passions mesquines, misérables, par lesquelles | ||
l'homme ne doit au contraire pas se laisser enchaîner. L'homme doit se dévouer à une | l'homme ne doit au contraire pas se laisser enchaîner. L'homme doit se dévouer à une | ||
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par exemple la gloire de Dieu, pour laquelle d'innombrables victimes ont cherché et | par exemple la gloire de Dieu, pour laquelle d'innombrables victimes ont cherché et | ||
trouvé la mort ; c'est le Christianisme, qui a trouvé des martyrs prêts au supplice ; | trouvé la mort ; c'est le Christianisme, qui a trouvé des martyrs prêts au supplice ; | ||
c'est cette Église hors laquelle il n'est pas de salut, si avide d'hécatombes d'hérétiques | c'est cette Église hors laquelle il n'est pas de salut, si avide d'hécatombes d'hérétiques; c'est la Liberté et l'Égalité, dont les sanglantes guillotines furent les servantes. | ||
; c'est la Liberté et l'Égalité, dont les sanglantes guillotines furent les servantes. | |||
Celui qui vit pour une grande idée, pour une bonne cause, pour une doctrine, un | Celui qui vit pour une grande idée, pour une bonne cause, pour une doctrine, un | ||
système, une mission sublime, ne doit se laisser effleurer par aucune convoitise terrestre, | système, une mission sublime, ne doit se laisser effleurer par aucune convoitise terrestre, | ||
Ligne 289 : | Ligne 311 : | ||
qu'on pourrait encore, eu égard à son rôle pédagogique, appeler la pionnerie | qu'on pourrait encore, eu égard à son rôle pédagogique, appeler la pionnerie | ||
(car un idéal n'est qu'un pion !). | (car un idéal n'est qu'un pion !). | ||
La vocation du prêtre l'appelle à vivre exclusivement pour l'Idée, à n'agir qu'en | La vocation du prêtre l'appelle à vivre exclusivement pour l'Idée, à n'agir qu'en | ||
vue de l'Idée, de la bonne cause ; aussi le peuple sent-il combien il sied mal aux gens | vue de l'Idée, de la bonne cause ; aussi le peuple sent-il combien il sied mal aux gens | ||
Ligne 302 : | Ligne 325 : | ||
idée est encore toujours pour l'homme une vocation, et c'est à la fidélité avec laquelle | idée est encore toujours pour l'homme une vocation, et c'est à la fidélité avec laquelle | ||
il s'y consacre que se mesure sa valeur humaine. | il s'y consacre que se mesure sa valeur humaine. | ||
Telle étant la domination des idées ou le sacerdoce, Robespierre, par exemple, | Telle étant la domination des idées ou le sacerdoce, Robespierre, par exemple, | ||
Saint-Just, etc., étaient bien des prêtres ; c'étaient des inspirés, des enthousiastes, les | Saint-Just, etc., étaient bien des prêtres ; c'étaient des inspirés, des enthousiastes, les | ||
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un de ses discours : « Il y a quelque chose de terrible dans l'amour sacré de la patrie ; | un de ses discours : « Il y a quelque chose de terrible dans l'amour sacré de la patrie ; | ||
il est tellement exclusif qu'il immole tout sans pitié, sans frayeur, sans respect humain | il est tellement exclusif qu'il immole tout sans pitié, sans frayeur, sans respect humain | ||
à l’intérêt public ; il précipite Manlius, il immole ses affaires privées, il entraîne | à l’intérêt public ; il précipite Manlius, il immole ses affaires privées, il entraîne | ||
Régulus à Carthage, jette un Romain dans un abîme et met Marat au Panthéon, | Régulus à Carthage, jette un Romain dans un abîme et met Marat au Panthéon, | ||
victime de son dévouement | victime de son dévouement <ref>SAINT-JUST : Rapport à la Convention, II germinal, an II.</ref>» | ||
Contre ces représentants d'intérêts idéaux ou sacrés se dresse l'innombrable | Contre ces représentants d'intérêts idéaux ou sacrés se dresse l'innombrable | ||
multitude des intérêts profanes, « personnels ». Nulle idée, nulle doctrine, nulle cause | multitude des intérêts profanes, « personnels ». Nulle idée, nulle doctrine, nulle cause | ||
Ligne 318 : | Ligne 342 : | ||
idées n'est complète que lorsqu'elles cessent d'être en contradiction avec les intérêts | idées n'est complète que lorsqu'elles cessent d'être en contradiction avec les intérêts | ||
personnels, c'est-à-dire lorsqu'elles donnent satisfaction à l'égoïsme. | personnels, c'est-à-dire lorsqu'elles donnent satisfaction à l'égoïsme. | ||
Le marchand de harengs saurs qui crie en ce moment sa marchandise sous ma | Le marchand de harengs saurs qui crie en ce moment sa marchandise sous ma | ||
fenêtre a un intérêt personnel à la bien vendre, et quand sa femme ou n'importe qui | fenêtre a un intérêt personnel à la bien vendre, et quand sa femme ou n'importe qui | ||
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ceux qui abhorrent le vol ; la personne de notre marchand passe à l'arrière-plan et | ceux qui abhorrent le vol ; la personne de notre marchand passe à l'arrière-plan et | ||
s'efface devant la catégorie de « volé » à laquelle s'attache l'intérêt public. | s'efface devant la catégorie de « volé » à laquelle s'attache l'intérêt public. | ||
Mais, ici encore, tout se ramène en définitive à un intérêt personnel : si tous ceux | Mais, ici encore, tout se ramène en définitive à un intérêt personnel : si tous ceux | ||
qui compatissent à l'infortune du volé croient devoir applaudir au châtiment du | qui compatissent à l'infortune du volé croient devoir applaudir au châtiment du | ||
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jugement rendu, qui qualifie le vol une fois pour toutes et le range dans la classe des | jugement rendu, qui qualifie le vol une fois pour toutes et le range dans la classe des | ||
« crimes ». | « crimes ». | ||
Le problème qui se pose maintenant est celui-ci : À supposer qu'un crime ne | Le problème qui se pose maintenant est celui-ci : À supposer qu'un crime ne | ||
causât pas le moindre préjudice ni à moi, ni à quiconque m'intéresse, je devrais néanmoins | causât pas le moindre préjudice ni à moi, ni à quiconque m'intéresse, je devrais néanmoins | ||
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la blesse. C'est parce que le vol lui paraît a priori abominable que Proudhon croit | la blesse. C'est parce que le vol lui paraît a priori abominable que Proudhon croit | ||
flétrir la propriété en disant que « la propriété, c'est le vol ». | flétrir la propriété en disant que « la propriété, c'est le vol ». | ||
Aux yeux des prêtres, le vol est toujours un crime, ou tout au moins un délit. | Aux yeux des prêtres, le vol est toujours un crime, ou tout au moins un délit. | ||
Ici finit l'intérêt personnel. Cette personne déterminée qui a dérobé la corbeille du | Ici finit l'intérêt personnel. Cette personne déterminée qui a dérobé la corbeille du | ||
marchand m'est, à moi personnellement, complètement indifférente ; ce qui m'intéresse, | marchand m'est, à moi personnellement, complètement indifférente ; ce qui m'intéresse, | ||
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vraiment Homme quand on est voleur ; en volant on avilit en soi l'Homme ou l' « humanité | vraiment Homme quand on est voleur ; en volant on avilit en soi l'Homme ou l' « humanité | ||
». | ». | ||
Nous sortons de l'intérêt personnel pour tomber dans la Philanthropie. Celle-ci est | Nous sortons de l'intérêt personnel pour tomber dans la Philanthropie. Celle-ci est | ||
généralement si mal comprise qu'on croit y voir un amour pour les hommes, pour | généralement si mal comprise qu'on croit y voir un amour pour les hommes, pour | ||
chaque individu en particulier, alors qu'elle n'est que l'amour de l'Homme, du concept | chaque individu en particulier, alors qu'elle n'est que l'amour de l'Homme, du concept | ||
abstrait et irréel, du fantôme. Ce n'est pas [mots en grec dans le texte], les hommes, | abstrait et irréel, du fantôme. Ce n'est pas [mots en grec dans le texte], les hommes, | ||
mais [mots en grec dans le texte], l'homme, que le philanthrope porte dans son coeur. | mais [mots en grec dans le texte], l'homme, que le philanthrope porte dans son coeur. | ||
Certes, il compatit à l'infortune de l'individu, mais ce n'est que parce qu'il voudrait | Certes, il compatit à l'infortune de l'individu, mais ce n'est que parce qu'il voudrait | ||
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mundus : Homme, Justice, sont des idées, des fantômes, à l'amour desquels tout doit | mundus : Homme, Justice, sont des idées, des fantômes, à l'amour desquels tout doit | ||
être sacrifié ; — du reste, l'homme de tous les sacrifices est, comme on sait, le prêtre. | être sacrifié ; — du reste, l'homme de tous les sacrifices est, comme on sait, le prêtre. | ||
Celui qui rêve de l’Homme perd de vue les personnes à mesure que s'étend sa | Celui qui rêve de l’Homme perd de vue les personnes à mesure que s'étend sa | ||
rêverie; il nage en plein intérêt sacré, idéal. L'Homme n'est pas une personne, mais un | rêverie; il nage en plein intérêt sacré, idéal. L'Homme n'est pas une personne, mais un | ||
idéal, un fantôme. | idéal, un fantôme. | ||
On peut prêter à l'homme les attributs les plus divers ; s'il paraît que le premier, le | On peut prêter à l'homme les attributs les plus divers ; s'il paraît que le premier, le | ||
plus essentiel de ses attributs est la piété, le sacerdoce religieux se lève ; semble-t-il | plus essentiel de ses attributs est la piété, le sacerdoce religieux se lève ; semble-t-il | ||
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parler d'une religion de la Bourgeoisie, de la Politique, de la Publicité, de la Liberté | parler d'une religion de la Bourgeoisie, de la Politique, de la Publicité, de la Liberté | ||
de la presse, de la Cour d'assises, etc. | de la presse, de la Cour d'assises, etc. | ||
Cela dit, qu'est-ce donc que le « désintéressement »? Être désintéressé, c'est | Cela dit, qu'est-ce donc que le « désintéressement »? Être désintéressé, c'est | ||
n'avoir qu'un intérêt idéal, devant lequel s'efface toute considération de personne. | n'avoir qu'un intérêt idéal, devant lequel s'efface toute considération de personne. | ||
L'orgueil de l'homme pratique se révolte contre cette manière de voir. Mais, | L'orgueil de l'homme pratique se révolte contre cette manière de voir. Mais, | ||
depuis des milliers d'années, on a si bien travaillé à le dompter qu'il doit aujourd'hui | depuis des milliers d'années, on a si bien travaillé à le dompter qu'il doit aujourd'hui | ||
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C'est l'histoire du possédé qu'une demi-douzaine de diables harcelaient dès qu'il | C'est l'histoire du possédé qu'une demi-douzaine de diables harcelaient dès qu'il | ||
croyait en avoir chassé un. | croyait en avoir chassé un. | ||
Le passage de Bruno Bauer que nous citions plus haut dénie à la classe bourgeoise | Le passage de Bruno Bauer que nous citions plus haut dénie à la classe bourgeoise | ||
tout idéalisme, etc. Il est indubitable qu'elle a falsifié les conséquences idéales que | tout idéalisme, etc. Il est indubitable qu'elle a falsifié les conséquences idéales que | ||
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désintéressement jusqu'à abjurer tout ce qui avait été son but pour conduire au | désintéressement jusqu'à abjurer tout ce qui avait été son but pour conduire au | ||
triomphe une rigide théorie ? | triomphe une rigide théorie ? | ||
Cela fait merveilleusement l'affaire des prêtres, quand les gens prêtent l'oreille à | Cela fait merveilleusement l'affaire des prêtres, quand les gens prêtent l'oreille à | ||
leurs exhortations : « Abandonne tout et suis-moi ! » ou : « Vends tout ce que tu | leurs exhortations : « Abandonne tout et suis-moi ! » ou : « Vends tout ce que tu | ||
possèdes et donnes-en l'argent aux pauvres, cela te | possèdes et donnes-en l'argent aux pauvres, cela te | ||
vaudra un trésor dans le ciel ; viens et suis-moi ! » Quelques rares idéalistes | vaudra un trésor dans le ciel ; viens et suis-moi ! » Quelques rares idéalistes | ||
écoutent cet appel, mais la plupart font comme Ananias et Saphira, se conduisent à | écoutent cet appel, mais la plupart font comme Ananias et Saphira, se conduisent à | ||
moiti suivant l'Esprit ou la Religion, à moitié suivant le monde, et partagent leurs | moiti suivant l'Esprit ou la Religion, à moitié suivant le monde, et partagent leurs | ||
offrandes entre Dieu et Mammon. | offrandes entre Dieu et Mammon. | ||
Je ne blâme pas la Bourgeoisie de ne pas s'être laissé détourner de son but par | Je ne blâme pas la Bourgeoisie de ne pas s'être laissé détourner de son but par | ||
Robespierre et d'avoir pris conseil de son égoïsme pour savoir jusqu'à quel point elle | Robespierre et d'avoir pris conseil de son égoïsme pour savoir jusqu'à quel point elle | ||
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qui se laissent imposer comme leurs intérêts les intérêts de la classe bourgeoise. Ne | qui se laissent imposer comme leurs intérêts les intérêts de la classe bourgeoise. Ne | ||
finiront-ils pas un jour par comprendre de quel côté est leur avantage ? | finiront-ils pas un jour par comprendre de quel côté est leur avantage ? | ||
« Pour conquérir à sa cause les producteurs (Prolétaires), dit Auguste Becker | |||
« Pour conquérir à sa cause les producteurs (Prolétaires), dit Auguste Becker <ref>Volksphilosophie unserer Tage, p. 22.</ref>, il | |||
ne suffit pas d'une négation des notions traditionnelles du droit. Les gens s'inquiètent | ne suffit pas d'une négation des notions traditionnelles du droit. Les gens s'inquiètent | ||
malheureusement assez peu de la victoire théorique d'une idée. Ce qu'il faut, c'est leur | malheureusement assez peu de la victoire théorique d'une idée. Ce qu'il faut, c'est leur | ||
démontrer ad oculos le bénéfice pratique que l'on peut retirer de cette victoire ; et il | démontrer ad oculos le bénéfice pratique que l'on peut retirer de cette victoire ; et il | ||
ajoute | ajoute <ref>Ibid., p. 32.</ref>: « Vous devez empoigner les gens par leurs intérêts réels, si vous voulez | ||
avoir prise sur eux. » Il nous montre de plus la sage immoralité qui se propage déjà | avoir prise sur eux. » Il nous montre de plus la sage immoralité qui se propage déjà | ||
chez nos paysans, parce qu'ils aiment mieux suivre leurs intérêts réels que de s'astreindre | chez nos paysans, parce qu'ils aiment mieux suivre leurs intérêts réels que de s'astreindre | ||
aux commandements de la Morale. | aux commandements de la Morale. | ||
Les Pères de l'Église révolutionnaire, ses pédagogues, coupaient le cou aux hommes | Les Pères de l'Église révolutionnaire, ses pédagogues, coupaient le cou aux hommes | ||
pour servir l'Homme ; les laïques, les profanes de la Révolution n'avaient pas, en | pour servir l'Homme ; les laïques, les profanes de la Révolution n'avaient pas, en | ||
vérité, une plus grande horreur pour cette opération, mais ils se souciaient moins des | vérité, une plus grande horreur pour cette opération, mais ils se souciaient moins des | ||
droits de l'homme et de l'humanité que de leurs propres droits. | droits de l'homme et de l'humanité que de leurs propres droits. | ||
Comment se fait-il donc que l'égoïsme de ceux qui confessent et qui consultent en | Comment se fait-il donc que l'égoïsme de ceux qui confessent et qui consultent en | ||
tout temps leur intérêt personnel succombe fatalement devant un intérêt sacerdotal | tout temps leur intérêt personnel succombe fatalement devant un intérêt sacerdotal | ||
ou pédagogique ? Leur personne leur semble à eux-mêmes trop mince, trop | ou pédagogique ? Leur personne leur semble à eux-mêmes trop mince, trop | ||
insignifiante (ce qu'elle est donc, en effet) pour oser prétendre à tout et pouvoir se | insignifiante (ce qu'elle est donc, en effet) pour oser prétendre à tout et pouvoir se | ||
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prêtre en eux, et c'est pourquoi ils n'en sont jamais quittes : ils s'entendent | prêtre en eux, et c'est pourquoi ils n'en sont jamais quittes : ils s'entendent | ||
intérieurement prêcher chaque dimanche. | intérieurement prêcher chaque dimanche. | ||
Combien les hommes ont travaillé et médité pour arriver à concilier cette dualité | Combien les hommes ont travaillé et médité pour arriver à concilier cette dualité | ||
de leur essence! Ils ont entassé idée sur idée, principe sur principe, système sur | de leur essence! Ils ont entassé idée sur idée, principe sur principe, système sur | ||
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dissimulée. — En sera-t-il de même de l’individualité ? N'est-elle, elle aussi, | dissimulée. — En sera-t-il de même de l’individualité ? N'est-elle, elle aussi, | ||
qu'un essai de conciliation ? | qu'un essai de conciliation ? | ||
À quelque principe que je me sois adressé, à celui de la Raison, par exemple, j'ai | À quelque principe que je me sois adressé, à celui de la Raison, par exemple, j'ai | ||
toujours été finalement obligé de le rejeter. Ou bien puis-je être perpétuellement | toujours été finalement obligé de le rejeter. Ou bien puis-je être perpétuellement | ||
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mon imagination, dans ma pensée ; il est dans mon coeur, dans mon cerveau, il est en | mon imagination, dans ma pensée ; il est dans mon coeur, dans mon cerveau, il est en | ||
moi, comme mon coeur est en moi, mais il n'est pas moi et je ne suis pas lui. | moi, comme mon coeur est en moi, mais il n'est pas moi et je ne suis pas lui. | ||
Ce qu'on entend sous le nom d'influence morale est tout spécialement du ressort | Ce qu'on entend sous le nom d'influence morale est tout spécialement du ressort | ||
des esprits sacerdotaux. | des esprits sacerdotaux. | ||
L'influence morale commence où commence l'humiliation ; elle n'est que cette | L'influence morale commence où commence l'humiliation ; elle n'est que cette | ||
humiliation même, sous laquelle l'orgueil, forcé de plier ou de rompre, fait place à la | humiliation même, sous laquelle l'orgueil, forcé de plier ou de rompre, fait place à la | ||
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la loi ; il doit s'incliner devant une supériorité : humiliation volontaire. « Celui qui | la loi ; il doit s'incliner devant une supériorité : humiliation volontaire. « Celui qui | ||
s'abaisse sera élevé. » | s'abaisse sera élevé. » | ||
Oui, oui, il est bon d'exhorter de bonne heure les enfants à la piété, à la dévotion, | Oui, oui, il est bon d'exhorter de bonne heure les enfants à la piété, à la dévotion, | ||
à l'honnêteté. L'homme bien élevé est celui auquel les bons principes ont été enseignés, | à l'honnêteté. L'homme bien élevé est celui auquel les bons principes ont été enseignés, | ||
inculqués, serinés et entonnés à force de coups ou de sermons. | inculqués, serinés et entonnés à force de coups ou de sermons. | ||
Si cela vous fait sourire, aussitôt les Bons de s'écrier en se tordant les mains de | Si cela vous fait sourire, aussitôt les Bons de s'écrier en se tordant les mains de | ||
désespoir : « Mais, pour l'amour de Dieu, si nous ne donnons pas de bons principes à | désespoir : « Mais, pour l'amour de Dieu, si nous ne donnons pas de bons principes à | ||
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sens, certes ils le deviendront, mais votre sens est précisément un très mauvais sens. | sens, certes ils le deviendront, mais votre sens est précisément un très mauvais sens. | ||
Les effrontés ne s'en laisseront plus imposer par vos bavardages et vos lamentations, | Les effrontés ne s'en laisseront plus imposer par vos bavardages et vos lamentations, | ||
et ne sympathiseront plus avec toutes | et ne sympathiseront plus avec toutes les absurdités qui vous font rêver et radoter de temps immémorial ; ils aboliront | ||
les absurdités qui vous font rêver et radoter de temps immémorial ; ils aboliront | |||
le droit de succession en refusant d'hériter des sottises que vous ont léguées vos | le droit de succession en refusant d'hériter des sottises que vous ont léguées vos | ||
pères, et ils extirperont le péché originel. Si vous leur dites : « Incline-toi devant | pères, et ils extirperont le péché originel. Si vous leur dites : « Incline-toi devant | ||
Ligne 487 : | Ligne 519 : | ||
le règne des revenants touchera à sa fin, et les contes de nourrice ne trouveront plus | le règne des revenants touchera à sa fin, et les contes de nourrice ne trouveront plus | ||
de créance. | de créance. | ||
Mais ne sont-ce pas encore une fois les Libéraux qui insistent sur la bonne | Mais ne sont-ce pas encore une fois les Libéraux qui insistent sur la bonne | ||
éducation et sur la nécessité d'améliorer l'instruction publique ? Comment d'ailleurs | éducation et sur la nécessité d'améliorer l'instruction publique ? Comment d'ailleurs | ||
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Respect humain, c'est-à-dire à la crainte de l'Homme, et c'est à la discipline à inspirer | Respect humain, c'est-à-dire à la crainte de l'Homme, et c'est à la discipline à inspirer | ||
« l'enthousiasme pour la véritable mission humaine ». | « l'enthousiasme pour la véritable mission humaine ». | ||
On se contenta pendant longtemps de l'illusion de posséder la vérité, sans qu'il | On se contenta pendant longtemps de l'illusion de posséder la vérité, sans qu'il | ||
vînt à l'esprit de personne de se demander sérieusement s'il ne serait peut-être pas | vînt à l'esprit de personne de se demander sérieusement s'il ne serait peut-être pas | ||
Ligne 503 : | Ligne 536 : | ||
sur le sensible et le matériel. De même qu'on doit longuement exercer son oeil | sur le sensible et le matériel. De même qu'on doit longuement exercer son oeil | ||
avant d'arriver à saisir la perspective des objets éloignés, et qu'il faut que la main | avant d'arriver à saisir la perspective des objets éloignés, et qu'il faut que la main | ||
fasse de | fasse de péniblesefforts avant que les doigts aient acquis la dextérité nécessaire pour frapper les | ||
touches selon les règles de l'art, de même on s'est soumis aux mortifications les plus | touches selon les règles de l'art, de même on s'est soumis aux mortifications les plus | ||
variées afin de devenir capable d'embrasser entièrement le suprasensible. Mais ce | variées afin de devenir capable d'embrasser entièrement le suprasensible. Mais ce | ||
Ligne 515 : | Ligne 545 : | ||
rien à la découverte de la vérité ; autant eût valu exercer ses pieds à la danse pendant | rien à la découverte de la vérité ; autant eût valu exercer ses pieds à la danse pendant | ||
des années dans l'espoir de leur apprendre à jouer de la flûte. | des années dans l'espoir de leur apprendre à jouer de la flûte. | ||
Luther, avec qui finit ce qu'on nomme le Moyen Âge, fut le premier à comprendre | Luther, avec qui finit ce qu'on nomme le Moyen Âge, fut le premier à comprendre | ||
que si l'homme veut embrasser la vérité, il doit commencer par devenir autre qu'il | que si l'homme veut embrasser la vérité, il doit commencer par devenir autre qu'il | ||
Ligne 527 : | Ligne 558 : | ||
ressort que de la « conscience supérieure », et non de celle qui « n'est ouverte qu'aux | ressort que de la « conscience supérieure », et non de celle qui « n'est ouverte qu'aux | ||
choses de la terre ». | choses de la terre ». | ||
Luther met donc en lumière ce principe que la Vérité, étant pensée, n'existe que | Luther met donc en lumière ce principe que la Vérité, étant pensée, n'existe que | ||
pour l'homme pensant. Et cela revient à dire que l'homme doit simplement se placer, | pour l'homme pensant. Et cela revient à dire que l'homme doit simplement se placer, | ||
désormais, à un point de vue différent, au point de vue céleste, croyant, scientifique, | désormais, à un point de vue différent, au point de vue céleste, croyant, scientifique, | ||
au point de vue du penser en face de son objet, la pensée, ou de l'Esprit | au point de vue du penser en face de son objet, la pensée, ou de l'Esprit | ||
en face de l'Esprit. L'égal seul reconnaît l'égal. « Tu es l'égal de l'Esprit que tu | en face de l'Esprit. L'égal seul reconnaît l'égal. « Tu es l'égal de l'Esprit que tu | ||
comprends | comprends <ref>Faust. (Note du Traducteur.).</ref>» | ||
Le Protestantisme ayant abattu la hiérarchie du Moyen Âge, cette opinion put | Le Protestantisme ayant abattu la hiérarchie du Moyen Âge, cette opinion put | ||
s'enraciner que toute hiérarchie, la hiérarchie en général, avait été par lui détruite, et | s'enraciner que toute hiérarchie, la hiérarchie en général, avait été par lui détruite, et | ||
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barbarie des profanes ; il fallut la Réforme pour retremper les forces de la hiérarchie | barbarie des profanes ; il fallut la Réforme pour retremper les forces de la hiérarchie | ||
et lui donner toute son inflexible rigueur. | et lui donner toute son inflexible rigueur. | ||
« La Réforme, dit Bruno Bauer, fut avant tout le divorce théorique du principe | « La Réforme, dit Bruno Bauer, fut avant tout le divorce théorique du principe | ||
religieux avec l'Art, l'État et la Science, c'est-à-dire son affranchissement vis-à-vis de | religieux avec l'Art, l'État et la Science, c'est-à-dire son affranchissement vis-à-vis de | ||
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leur restait de séculier, pour les amener au « royaume de l'esprit » et les rendre | leur restait de séculier, pour les amener au « royaume de l'esprit » et les rendre | ||
religieux. | religieux. | ||
On a, non sans raison, rapproché Luther de Descartes, et le « celui qui croit est un | On a, non sans raison, rapproché Luther de Descartes, et le « celui qui croit est un | ||
dieu » du « je pense, donc je suis » (cogito, ergo sum). Le ciel de l'homme est le | dieu » du « je pense, donc je suis » (cogito, ergo sum). Le ciel de l'homme est le | ||
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détruire une foi déterminée, comme la foi en Zeus, Astarté, Jéhovah Allah, etc., mais | détruire une foi déterminée, comme la foi en Zeus, Astarté, Jéhovah Allah, etc., mais | ||
la foi elle-même est indestructible. | la foi elle-même est indestructible. | ||
Penser, c'est être libre. Ce dont j'ai besoin, ce dont j'ai faim, je ne l'attends plus | Penser, c'est être libre. Ce dont j'ai besoin, ce dont j'ai faim, je ne l'attends plus | ||
d'aucune grâce, ni de la Vierge Marie, ni de l'intercession des Saints, ni de l'Église | d'aucune grâce, ni de la Vierge Marie, ni de l'intercession des Saints, ni de l'Église | ||
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suis pas ce qu'est mon corps ; ma chair peut être tourmentée de convoitises et de | suis pas ce qu'est mon corps ; ma chair peut être tourmentée de convoitises et de | ||
passions. Je ne suis pas ma chair, mais je suis Esprit, rien qu'Esprit. | passions. Je ne suis pas ma chair, mais je suis Esprit, rien qu'Esprit. | ||
Cette pensée traverse toute l'histoire de la Réforme jusqu'à nos jours. | Cette pensée traverse toute l'histoire de la Réforme jusqu'à nos jours. | ||
Ce n'est que depuis Descartes que la philosophie moderne s'est appliquée sérieusement | Ce n'est que depuis Descartes que la philosophie moderne s'est appliquée sérieusement | ||
à tirer toutes leurs conclusions des prémisses chrétiennes, en faisant de la | à tirer toutes leurs conclusions des prémisses chrétiennes, en faisant de la | ||
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absurdes, renferment de la Raison, car « il faut tout faire servir à sa « meilleure fin », | absurdes, renferment de la Raison, car « il faut tout faire servir à sa « meilleure fin », | ||
c'est-à-dire au triomphe de la Raison. | c'est-à-dire au triomphe de la Raison. | ||
Le dubitare cartésien implique ce jugement que seul le cogitare, le penser, l'Esprit | Le dubitare cartésien implique ce jugement que seul le cogitare, le penser, l'Esprit | ||
— est. C'est une rupture complète avec le « sens commun » qui accorde une réalité | — est. C'est une rupture complète avec le « sens commun » qui accorde une réalité | ||
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existent. Tel est le principe de la philosophie moderne, et c'est le principe chrétien | existent. Tel est le principe de la philosophie moderne, et c'est le principe chrétien | ||
dans toute sa pureté. Descartes séparait | dans toute sa pureté. Descartes séparait | ||
déjà nettement le corps de l'esprit, et « c'est l'esprit qui se bâtit un corps », dit | déjà nettement le corps de l'esprit, et « c'est l'esprit qui se bâtit un corps », dit | ||
Goethe. | Goethe. | ||
Mais cette philosophie elle-même, philosophie toute chrétienne, ne s'écarte pas | Mais cette philosophie elle-même, philosophie toute chrétienne, ne s'écarte pas | ||
du raisonnable ; aussi se tourne-t-elle contre le « pur subjectif », contre « les caprices, | du raisonnable ; aussi se tourne-t-elle contre le « pur subjectif », contre « les caprices, | ||
Ligne 596 : | Ligne 629 : | ||
toute connaissance soit une reconnaissance de Dieu, et que l'homme contemple Dieu | toute connaissance soit une reconnaissance de Dieu, et que l'homme contemple Dieu | ||
partout ; mais il n'y a jamais de dieu sans son diable. | partout ; mais il n'y a jamais de dieu sans son diable. | ||
On ne donne pas le titre de philosophe à celui qui, les yeux larges ouverts aux | On ne donne pas le titre de philosophe à celui qui, les yeux larges ouverts aux | ||
choses du monde et le regard clair et assuré, porte sur le monde un jugement droit, | choses du monde et le regard clair et assuré, porte sur le monde un jugement droit, | ||
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peut atteindre au terme de son évolution. C'est sur le champ de bataille de la | peut atteindre au terme de son évolution. C'est sur le champ de bataille de la | ||
théologie qu'elle rendra le dernier soupir. Bacon ne s'est pas plus mis martel en tête | théologie qu'elle rendra le dernier soupir. Bacon ne s'est pas plus mis martel en tête | ||
pour les | pour les questions théologiques que pour les points cardinaux. | ||
questions théologiques que pour les points cardinaux. | |||
L'objet de la connaissance est la vie. La pensée allemande, plus que toute autre, | L'objet de la connaissance est la vie. La pensée allemande, plus que toute autre, | ||
cherche à atteindre les commencements et les sources de la vie, et ne voit la vie que | cherche à atteindre les commencements et les sources de la vie, et ne voit la vie que | ||
Ligne 627 : | Ligne 659 : | ||
à cette abstraction, à la vie des généralités abstraites ou du non-vivant. Dieu, qui est | à cette abstraction, à la vie des généralités abstraites ou du non-vivant. Dieu, qui est | ||
Esprit, est seul vivant : rien ne vit que le fantôme. | Esprit, est seul vivant : rien ne vit que le fantôme. | ||
Comment peut-on soutenir que la philosophie moderne et l'époque moderne sont | Comment peut-on soutenir que la philosophie moderne et l'époque moderne sont | ||
parvenues à la liberté, puisqu'elles ne nous délivrent pas du joug de l'objectivité ? | parvenues à la liberté, puisqu'elles ne nous délivrent pas du joug de l'objectivité ? | ||
Ligne 638 : | Ligne 671 : | ||
ce n'a été que pour prendre d'autant plus au sérieux leur notion abstraite. « Affranchi | ce n'a été que pour prendre d'autant plus au sérieux leur notion abstraite. « Affranchi | ||
du Méchant, on a gardé le mal. » | du Méchant, on a gardé le mal. » | ||
On ne se fit aucun scrupule de se révolter contre l'état de choses existant et de | On ne se fit aucun scrupule de se révolter contre l'état de choses existant et de | ||
renverser les lois régnantes lorsqu'on eut pris une fois pour toutes la résolution de ne | renverser les lois régnantes lorsqu'on eut pris une fois pour toutes la résolution de ne | ||
Ligne 643 : | Ligne 677 : | ||
pécher contre l'idée de l'État, et de ne pas se soumettre à l'idée de la Loi ? Et l'on resta | pécher contre l'idée de l'État, et de ne pas se soumettre à l'idée de la Loi ? Et l'on resta | ||
« citoyen » on resta homme « légal », loyal ; | « citoyen » on resta homme « légal », loyal ; | ||
on se crut même d'autant plus « légal » qu'on abolissait plus rationnellement les | on se crut même d'autant plus « légal » qu'on abolissait plus rationnellement les | ||
vieilles lois boiteuses pour rendre hommage à l' « esprit de la Loi ». En somme, les | vieilles lois boiteuses pour rendre hommage à l' « esprit de la Loi ». En somme, les | ||
Ligne 653 : | Ligne 685 : | ||
choses en images ou en représentations des choses, en idées, en concepts, et on ne | choses en images ou en représentations des choses, en idées, en concepts, et on ne | ||
leur fut que plus intimement et indissolublement lié. | leur fut que plus intimement et indissolublement lié. | ||
Il n'est pas difficile, par exemple, de se soustraire aux ordres des parents, de | Il n'est pas difficile, par exemple, de se soustraire aux ordres des parents, de | ||
fermer l'oreille aux conseils des oncles et des tantes et aux prières des frères et des | fermer l'oreille aux conseils des oncles et des tantes et aux prières des frères et des | ||
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notion sacrée que l'individu ne peut offenser. — Et cette famille, ainsi rendue intérieure | notion sacrée que l'individu ne peut offenser. — Et cette famille, ainsi rendue intérieure | ||
et immatérielle, devenue pensée et représentation, passe au rang de | et immatérielle, devenue pensée et représentation, passe au rang de | ||
chose « sacro-sainte »; son despotisme en est centuplé, car c'est ma conscience | chose « sacro-sainte »; son despotisme en est centuplé, car c'est ma conscience | ||
qu'elle va, désormais, remplir de ses clameurs. Pour que le despotisme de la famille | qu'elle va, désormais, remplir de ses clameurs. Pour que le despotisme de la famille | ||
fût vraiment brisé, il faudrait que cette famille idéale elle-même devînt d'abord un | fût vraiment brisé, il faudrait que cette famille idéale elle-même devînt d'abord un | ||
néant. Les phrases chrétiennes : « Femme, qu'ai-je à faire de toi ? | néant. Les phrases chrétiennes : « Femme, qu'ai-je à faire de toi ? <ref>Jean, II, 4.</ref> » — « Je suis | ||
venu pour soulever l'homme contre son père et la fille contre sa mère | venu pour soulever l'homme contre son père et la fille contre sa mère <ref>Matthieu, X, 35.</ref> », et d'autres | ||
semblables, doivent s'entendre comme un appel à la famille céleste, à la vraie famille. | semblables, doivent s'entendre comme un appel à la famille céleste, à la vraie famille. | ||
L'État ne dit pas autre chose, lorsqu'il exige qu'en tout conflit entre la famille et lui on | L'État ne dit pas autre chose, lorsqu'il exige qu'en tout conflit entre la famille et lui on | ||
obéisse à ses ordres, à lui État. | obéisse à ses ordres, à lui État. | ||
Il en est de la Moralité comme de la Famille. Beaucoup ne se laissent plus arrêter | Il en est de la Moralité comme de la Famille. Beaucoup ne se laissent plus arrêter | ||
par la morale qui auraient grand-peine à se dégager du concept « Moralité ». La | par la morale qui auraient grand-peine à se dégager du concept « Moralité ». La | ||
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la morale, au contraire, est trop matérielle pour dominer l'esprit et ne peut enchaîner | la morale, au contraire, est trop matérielle pour dominer l'esprit et ne peut enchaîner | ||
un homme « spirituel », un soi-disant « libre penseur ». | un homme « spirituel », un soi-disant « libre penseur ». | ||
Le Protestant a beau faire, la « Sainte Écriture », la « parole de Dieu », lui reste | Le Protestant a beau faire, la « Sainte Écriture », la « parole de Dieu », lui reste | ||
sacrée. Celui pour qui elle n'est plus « sacrée » a cessé d’être un Protestant. Il doit, du | sacrée. Celui pour qui elle n'est plus « sacrée » a cessé d’être un Protestant. Il doit, du | ||
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s'est approprié tout ce qu'il y avait de sainteté dans les objets, on en a imprégné ses | s'est approprié tout ce qu'il y avait de sainteté dans les objets, on en a imprégné ses | ||
pensées et ses actes, on s'est fait des cas de conscience | pensées et ses actes, on s'est fait des cas de conscience | ||
et on s'est tracé des devoirs sacrés. Aussi tout ce dont la conscience du Protestant | et on s'est tracé des devoirs sacrés. Aussi tout ce dont la conscience du Protestant | ||
ne peut s'affranchir lui est-il sacré, et le Protestant est-il consciencieux ; c'est le trait | ne peut s'affranchir lui est-il sacré, et le Protestant est-il consciencieux ; c'est le trait | ||
le plus saillant de son caractère. | le plus saillant de son caractère. | ||
Le Protestantisme a proprement organisé en l'homme un véritable service de | Le Protestantisme a proprement organisé en l'homme un véritable service de | ||
« police occulte ». L'espion, le guetteur « Conscience », surveille chaque mouvement | « police occulte ». L'espion, le guetteur « Conscience », surveille chaque mouvement | ||
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sa conscience, mais non indépendamment de la conscience ; on sera immoral mais | sa conscience, mais non indépendamment de la conscience ; on sera immoral mais | ||
non amoral. | non amoral. | ||
Le Catholique peut aller en paix, du moment qu'il a rempli les « commandements | Le Catholique peut aller en paix, du moment qu'il a rempli les « commandements | ||
»: le Protestant, lui, « fait de son mieux ». Le Catholique n'est qu'un laïque, | »: le Protestant, lui, « fait de son mieux ». Le Catholique n'est qu'un laïque, | ||
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accession de tous à la prêtrise est le progrès réalisé par la Réforme sur le Moyen Âge | accession de tous à la prêtrise est le progrès réalisé par la Réforme sur le Moyen Âge | ||
et sa malédiction. | et sa malédiction. | ||
Qu'était la morale jésuitique, sinon la continuation de la vente des indulgences, à | Qu'était la morale jésuitique, sinon la continuation de la vente des indulgences, à | ||
cette différence près que celui qu'on renvoyait absous avait désormais en plus la | cette différence près que celui qu'on renvoyait absous avait désormais en plus la | ||
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sensualité pouvait se donner libre carrière, sauf à être achetée à l'Église. Les Jésuites | sensualité pouvait se donner libre carrière, sauf à être achetée à l'Église. Les Jésuites | ||
continuèrent | continuèrent | ||
à encourager la sensualité et prévinrent ainsi la dépréciation de l'homme selon les | à encourager la sensualité et prévinrent ainsi la dépréciation de l'homme selon les | ||
sens, tandis que les Protestants, austères, sombres, fanatiques, repentants, contrits et | sens, tandis que les Protestants, austères, sombres, fanatiques, repentants, contrits et | ||
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témoin forcé, en France notamment, de la victoire du philistinisme protestant et de | témoin forcé, en France notamment, de la victoire du philistinisme protestant et de | ||
l'allégresse de l'Esprit triomphant. | l'allégresse de l'Esprit triomphant. | ||
On a coutume de louer le Protestantisme de ce qu'il a remis en honneur le | On a coutume de louer le Protestantisme de ce qu'il a remis en honneur le | ||
temporel, comme par exemple le mariage, l'État, etc. Mais en réalité le temporel en | temporel, comme par exemple le mariage, l'État, etc. Mais en réalité le temporel en | ||
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l'État et ses princes en les bénissant ; aujourd'hui l'État, la Majesté sont par euxmêmes | l'État et ses princes en les bénissant ; aujourd'hui l'État, la Majesté sont par euxmêmes | ||
sacrés sans qu'au préalable la main du prêtre ait dû s'étendre sur eux. | sacrés sans qu'au préalable la main du prêtre ait dû s'étendre sur eux. | ||
En somme, l'ordre de la Nature, ou Droit naturel, a été sanctifié sous le nom | En somme, l'ordre de la Nature, ou Droit naturel, a été sanctifié sous le nom | ||
d'« ordre divin ». La Confession d'Augsbourg, art. II, dit par exemple : « Tenonsnous- | d'« ordre divin ». La Confession d'Augsbourg, art. II, dit par exemple : « Tenonsnous- | ||
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l'homme et la femme vivent ensemble. Or, ce qui est un droit naturel est l'ordre de | l'homme et la femme vivent ensemble. Or, ce qui est un droit naturel est l'ordre de | ||
Dieu transporté dans la nature, et est donc aussi un droit divin. » | Dieu transporté dans la nature, et est donc aussi un droit divin. » | ||
Et qu'est Feuerbach, sinon un protestant éclairé, lorsqu'il déclare sacrées toutes les | Et qu'est Feuerbach, sinon un protestant éclairé, lorsqu'il déclare sacrées toutes les | ||
relations morales, non point en vérité comme conformes à la volonté divine, mais en | relations morales, non point en vérité comme conformes à la volonté divine, mais en | ||
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religieusement observées, avec autant de scrupules que le croyant en met à sauvegarder | religieusement observées, avec autant de scrupules que le croyant en met à sauvegarder | ||
la dignité de son Dieu. Sacrés sont et nous doivent être l'amitié, la propriété, le | la dignité de son Dieu. Sacrés sont et nous doivent être l'amitié, la propriété, le | ||
mariage, le bien de chaque homme, mais sacrés en eux-mêmes et par eux-mêmes | mariage, le bien de chaque homme, mais sacrés en eux-mêmes et par eux-mêmes <ref>Wesen des Christentums, p. 408.</ref> » | ||
C'est là un point essentiel, sur lequel je veux insister. D'après le Catholicisme, le | C'est là un point essentiel, sur lequel je veux insister. D'après le Catholicisme, le | ||
mondain, le séculier peut bien être consacré ou sanctifié, mais il n'est pas saint sans | mondain, le séculier peut bien être consacré ou sanctifié, mais il n'est pas saint sans | ||
cette bénédiction sacerdotale ; d'après le Protestantisme, au contraire, le temporel est | cette bénédiction sacerdotale ; d'après le Protestantisme, au contraire, le temporel est | ||
saint par lui-même, du fait de sa seule existence. | saint par lui-même, du fait de sa seule existence. | ||
À cette consécration ecclésiastique, source de toute sainteté, est intimement liée la | À cette consécration ecclésiastique, source de toute sainteté, est intimement liée la | ||
maxime jésuitique : « La fin justifie les moyens. » Un moyen n'est en soi ni saint ni | maxime jésuitique : « La fin justifie les moyens. » Un moyen n'est en soi ni saint ni | ||
non-saint, mais, appliqué aux besoins de l'Église, | non-saint, mais, appliqué aux besoins de l'Église, | ||
utile à l'Église, le voilà sanctifié. Le régicide, par exemple, est un de ces moyens ; | utile à l'Église, le voilà sanctifié. Le régicide, par exemple, est un de ces moyens ; | ||
lorsqu'il a été accompli pour le bien de l'Église, il a toujours été sûr d'obtenir, parfois | lorsqu'il a été accompli pour le bien de l'Église, il a toujours été sûr d'obtenir, parfois | ||
Ligne 789 : | Ligne 818 : | ||
le roi anathème ne sera plus pour ses sujets catholiques qu'un « homme du siècle », un | le roi anathème ne sera plus pour ses sujets catholiques qu'un « homme du siècle », un | ||
laïque, un « profane ». | laïque, un « profane ». | ||
Si le Protestant s'efforce de découvrir quelque sainteté dans tout ce qui touche aux | Si le Protestant s'efforce de découvrir quelque sainteté dans tout ce qui touche aux | ||
sens, à la matière, pour ne plus s'attacher ensuite qu'à son côté sacré, le Catholique, | sens, à la matière, pour ne plus s'attacher ensuite qu'à son côté sacré, le Catholique, | ||
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tenant le mariage et les liens de la famille pour sacrés, fait abstraction de ce | tenant le mariage et les liens de la famille pour sacrés, fait abstraction de ce | ||
qu'ils ont de mondain et n'y voit rien qui ne puisse convenir à ses prêtres. | qu'ils ont de mondain et n'y voit rien qui ne puisse convenir à ses prêtres. | ||
Un Jésuite, en sa qualité de bon catholique, peut tout sanctifier. Il suffit, par | Un Jésuite, en sa qualité de bon catholique, peut tout sanctifier. Il suffit, par | ||
exemple, de se dire : Je suis prêtre et comme tel nécessaire à l'Église. Mais je la servirai | exemple, de se dire : Je suis prêtre et comme tel nécessaire à l'Église. Mais je la servirai | ||
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le bien de l'Église. Pourquoi le prêtre catholique craindrait-il de tendre à l'empereur | le bien de l'Église. Pourquoi le prêtre catholique craindrait-il de tendre à l'empereur | ||
Henri VII l'hostie empoisonnée — pour le salut de l'Église ? | Henri VII l'hostie empoisonnée — pour le salut de l'Église ? | ||
Les Protestants vraiment selon le coeur de l'Église ont prohibé tous les « plaisirs | Les Protestants vraiment selon le coeur de l'Église ont prohibé tous les « plaisirs | ||
innocents », parce que seul | innocents », parce que seul le sacré, le spirituel, pouvait être innocent. Ils ont été obligés de condamner tout | ||
le sacré, le spirituel, pouvait être innocent. Ils ont été obligés de condamner tout | |||
ce en quoi ils n'apercevaient pas le Saint-Esprit : danse, théâtre, luxe (dans l'église, | ce en quoi ils n'apercevaient pas le Saint-Esprit : danse, théâtre, luxe (dans l'église, | ||
par exemple), etc. C'est là le fait du Calvinisme puritain ; mais, parallèlement à lui, le | par exemple), etc. C'est là le fait du Calvinisme puritain ; mais, parallèlement à lui, le | ||
Luthéranisme évolue dans un sens plus religieux, parce qu'il est d'un spiritualisme | Luthéranisme évolue dans un sens plus religieux, parce qu'il est d'un spiritualisme | ||
plus radical. | plus radical. | ||
Le Calvinisme met en interdit une foule de choses qu'il considère à première vue | Le Calvinisme met en interdit une foule de choses qu'il considère à première vue | ||
comme sensuelles ou profanes ; il purifie l'Église par exclusion. Le Luthéranisme, au | comme sensuelles ou profanes ; il purifie l'Église par exclusion. Le Luthéranisme, au | ||
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tout, attendu qu'en toute chose, par exemple dans chaque mensonge, on peut découvrir | tout, attendu qu'en toute chose, par exemple dans chaque mensonge, on peut découvrir | ||
de la vérité : il n'y a pas de mensonge absolu, pas de mal absolu, etc. | de la vérité : il n'y a pas de mensonge absolu, pas de mal absolu, etc. | ||
Les Protestants presque seuls ont produit les grandes « oeuvres de l'esprit », parce | Les Protestants presque seuls ont produit les grandes « oeuvres de l'esprit », parce | ||
qu'eux seuls sont les vrais apôtres de l'Esprit. | qu'eux seuls sont les vrais apôtres de l'Esprit. | ||
Combien l'empire de l'homme est borné ! Il doit laisser le soleil poursuivre sa | Combien l'empire de l'homme est borné ! Il doit laisser le soleil poursuivre sa | ||
carrière, la mer soulever et abaisser ses flots, la montagne se dresser vers le ciel. Il est | carrière, la mer soulever et abaisser ses flots, la montagne se dresser vers le ciel. Il est | ||
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immuable à laquelle l'homme doit se soumettre et qui règle sa destinée ; comment | immuable à laquelle l'homme doit se soumettre et qui règle sa destinée ; comment | ||
pourrait-il se défendre devant lui d'un sentiment d'impuissance ? | pourrait-il se défendre devant lui d'un sentiment d'impuissance ? | ||
Quel fut le but des efforts de l'humanité avant le Christ ? Se garantir contre les | Quel fut le but des efforts de l'humanité avant le Christ ? Se garantir contre les | ||
coups du sort, et ne plus être à leur merci. Les Stoïciens y parvinrent par | coups du sort, et ne plus être à leur merci. Les Stoïciens y parvinrent par | ||
l’apathie, en considérant comme indifférents les hasards de la nature et en ne se | l’apathie, en considérant comme indifférents les hasards de la nature et en ne se | ||
laissant pas affecter par eux. Horace, par son célèbre nil mirari, proclame également | laissant pas affecter par eux. Horace, par son célèbre nil mirari, proclame également | ||
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ne craindrons pas, quand la terre sera renversée..., etc. » En tout cela est en germe | ne craindrons pas, quand la terre sera renversée..., etc. » En tout cela est en germe | ||
l'aphorisme chrétien sur la vanité du monde, et aussi le chrétien mépris du monde. | l'aphorisme chrétien sur la vanité du monde, et aussi le chrétien mépris du monde. | ||
L’impassibilité d'esprit du « sage », par laquelle le monde antique préparait sa | L’impassibilité d'esprit du « sage », par laquelle le monde antique préparait sa | ||
ruine, reçut une secousse intérieure contre laquelle ni ataraxie ni stoïcisme ne purent | ruine, reçut une secousse intérieure contre laquelle ni ataraxie ni stoïcisme ne purent | ||
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excitées en son sein entrèrent en jeu et commencèrent à exercer leur merveilleuse | excitées en son sein entrèrent en jeu et commencèrent à exercer leur merveilleuse | ||
action. | action. | ||
L'histoire ancienne est virtuellement close le jour où je parviens à faire du monde | L'histoire ancienne est virtuellement close le jour où je parviens à faire du monde | ||
ma propriété. « Mon Père m'a mis toutes choses entre les mains | ma propriété. « Mon Père m'a mis toutes choses entre les mains <ref>Matthieu, XI, 27. </ref>» Le monde cesse | ||
de m'écraser de sa puissance, il n'est plus inaccessible, sacré, divin, etc., « les dieux | de m'écraser de sa puissance, il n'est plus inaccessible, sacré, divin, etc., « les dieux | ||
sont morts », et je traite si bien le monde selon mon bon plaisir qu'il ne tiendrait qu'à | sont morts », et je traite si bien le monde selon mon bon plaisir qu'il ne tiendrait qu'à | ||
moi d'y opérer des miracles (qui sont des oeuvres de l'Esprit) ; je pourrais renverser | moi d'y opérer des miracles (qui sont des oeuvres de l'Esprit) ; je pourrais renverser | ||
des montagnes, ordonner à ce mûrier de se déraciner et de s'aller jeter dans la mer | des montagnes, ordonner à ce mûrier de se déraciner et de s'aller jeter dans la mer <ref>Luc, XVII, 6.</ref> », | ||
tout ce qui est pensable est possible : « Toutes choses sont possibles à celui qui | tout ce qui est pensable est possible : « Toutes choses sont possibles à celui qui | ||
croit <ref>Marc, IX, 22.</ref>» Je suis le maître du monde, la « majesté » est à moi. Le monde est | |||
devenu prosaïque, car le divin en a disparu : il est ma propriété, et j'en use comme il | devenu prosaïque, car le divin en a disparu : il est ma propriété, et j'en use comme il | ||
me plaît (savoir, comme il plaît à l'esprit). | me plaît (savoir, comme il plaît à l'esprit). | ||
Par le fait que le Moi s'était élevé à ce titre de possesseur du monde, l'Égoïsme | Par le fait que le Moi s'était élevé à ce titre de possesseur du monde, l'Égoïsme | ||
avait remporté sa première victoire, et une victoire décisive : il avait vaincu le monde | avait remporté sa première victoire, et une victoire décisive : il avait vaincu le monde | ||
et l'avait « supprimé », et il confisqua à son profit l'oeuvre d'une longue suite de | et l'avait « supprimé », et il confisqua à son profit l'oeuvre d'une longue suite de | ||
siècles. | siècles. | ||
La première propriété, le premier « trône » est conquis. | La première propriété, le premier « trône » est conquis. | ||
Mais le maître du monde n'est pas encore maître de ses pensées, de ses sentiments | Mais le maître du monde n'est pas encore maître de ses pensées, de ses sentiments | ||
et de sa volonté : il n'est pas le maître et le possesseur de l'Esprit, car l'Esprit est | et de sa volonté : il n'est pas le maître et le possesseur de l'Esprit, car l'Esprit est | ||
encore sacré, il est le Saint-Esprit. Le Chrétien, qui a « nié le monde », ne peut pas | encore sacré, il est le Saint-Esprit. Le Chrétien, qui a « nié le monde », ne peut pas | ||
« nier Dieu ». | « nier Dieu ». | ||
L'Antiquité avait lutté contre le monde ; le combat du Moyen Âge fut un combat | L'Antiquité avait lutté contre le monde ; le combat du Moyen Âge fut un combat | ||
contre soi-même, contre l'Esprit. L'ennemi des Anciens avait été extérieur, celui des | contre soi-même, contre l'Esprit. L'ennemi des Anciens avait été extérieur, celui des | ||
Chrétiens fut intérieur, et le champ de bataille où ils en vinrent aux mains fut | Chrétiens fut intérieur, et le champ de bataille où ils en vinrent aux mains fut | ||
l'intimité de leur pensée, de leur conscience. | l'intimité de leur pensée, de leur conscience. | ||
Toute la sagesse des Anciens est Cosmologie, science du monde; toute la sagesse | Toute la sagesse des Anciens est Cosmologie, science du monde; toute la sagesse | ||
des Modernes est Théologie, science de Dieu. | des Modernes est Théologie, science de Dieu. | ||
Les Païens (y compris les Juifs) avaient eu raison du monde ; il s'agit dans la suite | Les Païens (y compris les Juifs) avaient eu raison du monde ; il s'agit dans la suite | ||
d'avoir aussi raison de soi-même, l'Esprit, et de nier l'Esprit, c'est-à-dire de nier Dieu. | d'avoir aussi raison de soi-même, l'Esprit, et de nier l'Esprit, c'est-à-dire de nier Dieu. | ||
Pendant près de deux mille ans, nous avons travaillé à nous asservir le Saint- | Pendant près de deux mille ans, nous avons travaillé à nous asservir le Saint- | ||
Esprit, et nous avons petit à petit déchiré et foulé aux pieds maint lambeau de la sainteté | Esprit, et nous avons petit à petit déchiré et foulé aux pieds maint lambeau de la sainteté; mais le formidable adversaire se relève toujours sous d'autres formes ou d'autres | ||
; mais le formidable adversaire se relève toujours sous d'autres formes ou d'autres | |||
noms. L'Esprit n'a point encore cessé d'être divin, saint, sacré. Il y a longtemps en | noms. L'Esprit n'a point encore cessé d'être divin, saint, sacré. Il y a longtemps en | ||
vérité qu'il ne plane plus au-dessus de nos têtes comme une colombe, il y a longtemps | vérité qu'il ne plane plus au-dessus de nos têtes comme une colombe, il y a longtemps | ||
qu'il ne descend | qu'il ne descend plus sur ses seuls élus : il se laisse saisir aussi par des laïques, etc.; mais en tant | ||
plus sur ses seuls élus : il se laisse saisir aussi par des laïques, etc.; mais en tant | |||
qu'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire Esprit de l'Homme, il demeure pour toi comme | qu'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire Esprit de l'Homme, il demeure pour toi comme | ||
pour moi un Esprit étranger, bien loin d'être une propriété dont nous puissions | pour moi un Esprit étranger, bien loin d'être une propriété dont nous puissions | ||
disposer selon notre bon plaisir. | disposer selon notre bon plaisir. | ||
Un fait est néanmoins certain, qui a visiblement dirigé la marche de l'histoire | Un fait est néanmoins certain, qui a visiblement dirigé la marche de l'histoire | ||
depuis Jésus-Christ, c'est la tendance à rendre le Saint-Esprit plus humain, à le rapprocher | depuis Jésus-Christ, c'est la tendance à rendre le Saint-Esprit plus humain, à le rapprocher | ||
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plus facile et plus familier sous ses divers noms d'idée de l'humanité, genre | plus facile et plus familier sous ses divers noms d'idée de l'humanité, genre | ||
humain, humanisme, philanthropie, etc. | humain, humanisme, philanthropie, etc. | ||
Ne devrait-on pas penser que chacun peut aujourd'hui posséder le Saint-Esprit, | Ne devrait-on pas penser que chacun peut aujourd'hui posséder le Saint-Esprit, | ||
interpréter l'idée d'humanité et réaliser en soi le genre humain ? | interpréter l'idée d'humanité et réaliser en soi le genre humain ? | ||
Non : l'Esprit n'a perdu ni sa sainteté ni son inviolabilité ; il ne nous est pas accessible | Non : l'Esprit n'a perdu ni sa sainteté ni son inviolabilité ; il ne nous est pas accessible | ||
et n'est pas notre propriété, car l'Esprit de l'humanité n'est pas mon Esprit. Il | et n'est pas notre propriété, car l'Esprit de l'humanité n'est pas mon Esprit. Il | ||
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représentons l'Esprit sous les aspects les plus divers, mais il est toutefois un | représentons l'Esprit sous les aspects les plus divers, mais il est toutefois un | ||
fidéicommis que je ne puis ni aliéner ni supprimer. | fidéicommis que je ne puis ni aliéner ni supprimer. | ||
À la longue et après de multiples avatars, le Saint-Esprit est devenu l'« Idée absolue | À la longue et après de multiples avatars, le Saint-Esprit est devenu l'« Idée absolue | ||
», laquelle, à son tour, se divisant et se subdivisant, a donné naissance aux | », laquelle, à son tour, se divisant et se subdivisant, a donné naissance aux | ||
diverses idées de philanthropie, de bon sens, de vertu civique, etc. | diverses idées de philanthropie, de bon sens, de vertu civique, etc. | ||
Mais puis-je nommer l'idée ma propriété, tant qu'elle est l'idée de l'humanité, et | Mais puis-je nommer l'idée ma propriété, tant qu'elle est l'idée de l'humanité, et | ||
puis-je considérer l'Esprit comme vaincu, tant que je dois le servir et « me sacrifier » | puis-je considérer l'Esprit comme vaincu, tant que je dois le servir et « me sacrifier » | ||
pour lui ? | pour lui ? | ||
L'Antiquité à son déclin ne parvint à faire du monde sa propriété qu'après avoir | L'Antiquité à son déclin ne parvint à faire du monde sa propriété qu'après avoir | ||
brisé sa suprématie et sa « divinité », et s'être pénétrée de son impuissance et, de sa | brisé sa suprématie et sa « divinité », et s'être pénétrée de son impuissance et, de sa | ||
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il ne paraîtra plus ni saint, ni sacré, ni divin, et je me servirai de lui au lieu de le | il ne paraîtra plus ni saint, ni sacré, ni divin, et je me servirai de lui au lieu de le | ||
servir, comme je me sers de la nature à ma guise et sans le moindre scrupule. | servir, comme je me sers de la nature à ma guise et sans le moindre scrupule. | ||
La « nature des choses », la « notion des rapports » doivent me guider : la nature | La « nature des choses », la « notion des rapports » doivent me guider : la nature | ||
des choses m'enseigne comment je dois me comporter envers elles, la notion des | des choses m'enseigne comment je dois me comporter envers elles, la notion des | ||
rapports m'apprend à en conclure. | rapports m'apprend à en conclure. | ||
Comme si l'« idée d'une chose » existait par elle-même et n'était pas plutôt l'idée | Comme si l'« idée d'une chose » existait par elle-même et n'était pas plutôt l'idée | ||
qu'on se fait d'une chose ! Comme si le rapport que je conçois n'était pas unique, par | qu'on se fait d'une chose ! Comme si le rapport que je conçois n'était pas unique, par | ||
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actes, auxquels on applique comme critrium la « dignité humaine ». Les idées doivent | actes, auxquels on applique comme critrium la « dignité humaine ». Les idées doivent | ||
décider de tout, ce sont des idées qui gouvernent la vie, ce sont des Idées qui règnent. | décider de tout, ce sont des idées qui gouvernent la vie, ce sont des Idées qui règnent. | ||
Tel est le monde religieux, auquel Hegel a donné une expression systématique, | Tel est le monde religieux, auquel Hegel a donné une expression systématique, | ||
lorsque, mettant de la méthode dans l'absurdité, il assit sur les lois de la logique les | lorsque, mettant de la méthode dans l'absurdité, il assit sur les lois de la logique les | ||
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ne poursuivait d'autre but que rendre plus rigoureuse la domination de la loi judaïque? | ne poursuivait d'autre but que rendre plus rigoureuse la domination de la loi judaïque? | ||
(« Pas une lettre de la Loi ne doit être perdue. ») | (« Pas une lettre de la Loi ne doit être perdue. ») | ||
Le Libéralisme n'a fait que mettre d'autres idées à l'ordre du jour ; il a remplacé le | Le Libéralisme n'a fait que mettre d'autres idées à l'ordre du jour ; il a remplacé le | ||
divin par l'humain, | divin par l'humain, l'Église par l'État et le fidèle par le savant, ou, en général, les dogmes bruts et les | ||
l'Église par l'État et le fidèle par le savant, ou, en général, les dogmes bruts et les | |||
aphorismes surannés par des idées réelles et des lois éternelles. | aphorismes surannés par des idées réelles et des lois éternelles. | ||
Aujourd'hui, rien ne règne plus dans le monde que l'Esprit. Une innombrable | Aujourd'hui, rien ne règne plus dans le monde que l'Esprit. Une innombrable | ||
foule d'idées bourdonnent en tous sens dans les têtes; et que font ceux qui veulent | foule d'idées bourdonnent en tous sens dans les têtes; et que font ceux qui veulent | ||
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de l'Honneur, etc.; l'idée qu'il faut se faire du Droit, etc., est bien plutôt celle-ci, que | de l'Honneur, etc.; l'idée qu'il faut se faire du Droit, etc., est bien plutôt celle-ci, que | ||
nous proposons. » Ainsi la confusion des idées va croissant. | nous proposons. » Ainsi la confusion des idées va croissant. | ||
L'histoire du monde nous est cruelle, et l'Esprit a conquis une puissance souveraine. | L'histoire du monde nous est cruelle, et l'Esprit a conquis une puissance souveraine. | ||
Tu dois respecter mes misérables souliers qui pourraient protéger ton pied nu, | Tu dois respecter mes misérables souliers qui pourraient protéger ton pied nu, | ||
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intangibles et inaccessibles, les honorer, les respecter : malheur à lui s'il y porte la | intangibles et inaccessibles, les honorer, les respecter : malheur à lui s'il y porte la | ||
main, nous appelons cela « avoir les doigts crochus ». | main, nous appelons cela « avoir les doigts crochus ». | ||
Que nous reste-t-il ? Bien peu de chose, hélas ! autant vaudrait dire rien ! Tout | Que nous reste-t-il ? Bien peu de chose, hélas ! autant vaudrait dire rien ! Tout | ||
nous est enlevé, et nous ne pouvons tenter de rien obtenir de ce qui ne nous a pas été | nous est enlevé, et nous ne pouvons tenter de rien obtenir de ce qui ne nous a pas été | ||
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Bien plus, tu ne dois avoir aucune pensée, prononcer aucune syllabe, poser aucun acte | Bien plus, tu ne dois avoir aucune pensée, prononcer aucune syllabe, poser aucun acte | ||
qui ait en toi seul | qui ait en toi seul | ||
leur sanction, au lieu de la recevoir de la Moralité, de la Raison ou de l'Humanité. | leur sanction, au lieu de la recevoir de la Moralité, de la Raison ou de l'Humanité. | ||
Bienheureuse ingénuité de l'homme qui ne connaît que ses appétits, avec quelle | Bienheureuse ingénuité de l'homme qui ne connaît que ses appétits, avec quelle | ||
cruauté on a cherché à t'immoler sur l'autel de la Contrainte ! | cruauté on a cherché à t'immoler sur l'autel de la Contrainte ! | ||
Autour de l'autel se dresse une église, et cette église grandit, et ses murailles | Autour de l'autel se dresse une église, et cette église grandit, et ses murailles | ||
s'écartent chaque jour davantage. Ce que couvre l'ombre de ses voûtes est — sacré, | s'écartent chaque jour davantage. Ce que couvre l'ombre de ses voûtes est — sacré, | ||
Ligne 986 : | Ligne 1 024 : | ||
tout, et rue-toi à travers les portes au coeur même du sanctuaire ! Si tu consommes le | tout, et rue-toi à travers les portes au coeur même du sanctuaire ! Si tu consommes le | ||
sacré, tu l'auras fait tien ! Digère l'hostie, et tu en es quitte ! | sacré, tu l'auras fait tien ! Digère l'hostie, et tu en es quitte ! | ||
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== Notes et références == | |||
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> | |||
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