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| {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}} | | {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}} |
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| enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle | | enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle |
| sans vain souci de l'au-delà. | | sans vain souci de l'au-delà. |
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| Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de | | Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de |
| vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question, | | vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question, |
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| comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la | | comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la |
| consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire. | | consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire. |
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| Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que | | Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que |
| faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie | | faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie |
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| meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie | | meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie |
| vie. | | vie. |
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| Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis | | Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis |
| vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis | | vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis |
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| soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que | | soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que |
| l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi. | | l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi. |
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| Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but, | | Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but, |
| d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après | | d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après |
| l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax | | l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax |
| Stirner (1845), L’unique et sa propriété 254
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| priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la | | priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la |
| « prodigue ». | | « prodigue ». |
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| La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais | | La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais |
| comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, | | comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, |
| mais de faire ma vendange et de consommer ma vie. | | mais de faire ma vendange et de consommer ma vie. |
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| Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous | | Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous |
| cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez | | cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez |
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| passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance. | | passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance. |
| C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance. | | C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance. |
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| Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement, | | Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement, |
| elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à | | elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à |
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| chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du | | chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du |
| romantisme ! | | romantisme ! |
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| Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous | | Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous |
| sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle, | | sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle, |
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| sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas | | sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas |
| non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ». | | non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ». |
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| Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils | | Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils |
| doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de | | doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de |
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| une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à | | une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à |
| l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner. | | l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner. |
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| Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque | | Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque |
| chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un | | chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un |
| instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des | | instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des |
| victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes | | victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 255
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| barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en | | barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en |
| holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes | | holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes |
| sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des | | sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des |
| idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne. | | idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne. |
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| Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la | | Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la |
| dépenser pour nous. | | dépenser pour nous. |
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| Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de | | Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de |
| songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se | | songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se |
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| conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le | | conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le |
| « triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera | | « triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera |
| vaincue, c'est la mort 1 », « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en | | vaincue, c'est la mort <ref>Ier épître aux Corinthiens.</ref>», « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en |
| lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité 2 ». — « Incorruptibilité », stabilité ! | | lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité <ref>IIe épître à Timothée, I, 10.</ref>». — « Incorruptibilité », stabilité ! |
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| L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce | | L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce |
| but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont | | but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont |
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| d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait | | d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait |
| gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu. | | gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu. |
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| Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure | | Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure |
| de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a | | de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a |
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| condamnait parce que « ce n'est pas toi qui t'es donne la vie, c'est Dieu, et lui seul | | condamnait parce que « ce n'est pas toi qui t'es donne la vie, c'est Dieu, et lui seul |
| peut te la reprendre » (comme si, à ce compte, ce n’était pas aussi bien Dieu qui me la | | peut te la reprendre » (comme si, à ce compte, ce n’était pas aussi bien Dieu qui me la |
| reprend lorsque je me tue que lorsqu'une tuile ou une balle ennemie me cassent la tête | | reprend lorsque je me tue que lorsqu'une tuile ou une balle ennemie me cassent la tête: c'est lui aussi qui a éveillé en moi la résolution de mourir !). L'homme moral, de son |
| : c'est lui aussi qui a éveillé en moi la résolution de mourir !). L'homme moral, de son | |
| côté, le condamne parce que je dois ma vie à la Patrie, etc., « et que je ne sais pas si | | côté, le condamne parce que je dois ma vie à la Patrie, etc., « et que je ne sais pas si |
| de ma vie n'eût pas pu résulter encore quelque bien ». Si je me tue, le Bien perd | | de ma vie n'eût pas pu résulter encore quelque bien ». Si je me tue, le Bien perd |
| naturellement en moi un instrument, comme le Seigneur compte, moi mort, un | | naturellement en moi un instrument, comme le Seigneur compte, moi mort, un |
| ouvrier de moins à sa vigne. Si je fus immoral, le Bien bénéficiera de mon amélioration | | ouvrier de moins à sa vigne. Si je fus immoral, le Bien bénéficiera de mon amélioration; si je fus impie, Dieu se réjouira de ma contrition. Le suicide est aussi criminel |
| ; si je fus impie, Dieu se réjouira de ma contrition. Le suicide est aussi criminel | |
| envers Dieu qu'envers la vertu. Toi qui t'ôtes la vie, tu oublies Dieu si tu étais | | envers Dieu qu'envers la vertu. Toi qui t'ôtes la vie, tu oublies Dieu si tu étais |
| religieux et tu oublies le devoir si tu étais moral. La mort d'Emilia Galotti est-elle | | religieux et tu oublies le devoir si tu étais moral. La mort d'Emilia Galotti est-elle |
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| moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir | | moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir |
| moralement pour être capable de s'y intéresser. | | moralement pour être capable de s'y intéresser. |
| 1 Ier épître aux Corinthiens.
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| 2 IIe épître à Timothée, I, 10.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 256
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| Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide | | Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide |
| n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa | | n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa |
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| reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon | | reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon |
| affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! » | | affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! » |
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| Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non | | Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non |
| seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne | | seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne |
| pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout | | pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout |
| en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui. | | en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui. |
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| L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette | | L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette |
| idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se | | idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se |
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| présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à | | présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à |
| diriger leur vie. | | diriger leur vie. |
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| Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa | | Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa |
| parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une | | parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une |
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| conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie | | conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie |
| « divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent. | | « divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent. |
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| L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité | | L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité |
| est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat | | est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat |
| final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs | | final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs |
| de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit. | | de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit. |
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| Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux | | Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux |
| talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation. | | talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation. |
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| Vocation — destination — devoir ! | | Vocation — destination — devoir ! |
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| Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui | | Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui |
| qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des | | qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des |
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| impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout | | impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout |
| des êtres plus ou moins bien doués. | | des êtres plus ou moins bien doués. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 257
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| Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques | | Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques |
| idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir | | idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir |
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| masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation | | masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation |
| et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout. | | et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout. |
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| Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de | | Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de |
| « tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus | | « tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus |
| étendu. | | étendu. |
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| Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à | | Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à |
| votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des | | votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des |
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| l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je | | l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je |
| veux ce que je dois. | | veux ce que je dois. |
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| Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation » | | Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation » |
| que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une | | que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une |
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| Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir | | Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir |
| dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance. | | dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance. |
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| On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que | | On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que |
| si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles, | | si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles, |
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| manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas | | manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas |
| d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ». | | d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ». |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 258
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| Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de | | Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de |
| les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la | | les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la |
| vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force | | vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force |
| n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ». | | n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ». |
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| Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a | | Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a |
| toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je | | toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je |
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| les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le | | les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le |
| dernier effort de l' « Homme ». | | dernier effort de l' « Homme ». |
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| Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel | | Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel |
| on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi | | on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi |
| que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, | | que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, |
| dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. | | dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme. |
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| Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité | | Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité |
| religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même | | religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même |
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| supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même | | supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même |
| de la liberté de la presse. | | de la liberté de la presse. |
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| Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant | | Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant |
| tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais | | tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais |
| cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle. | | cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle. |
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| En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de | | En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de |
| départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore | | départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore |
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| jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai | | jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai |
| dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi. | | dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi. |
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| Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas | | Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas |
| atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle, | | atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle, |
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| l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au | | l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au |
| moi on perd de vue le moi que l'on est. | | moi on perd de vue le moi que l'on est. |
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| Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle | | Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle |
| des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les | | des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les |
| prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste | | prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 259
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| de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes | | de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes |
| éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables 1 ». | | éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables<ref> Der Kommunismus in der Schweiz, p.24. ».</ref> |
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| Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si | | Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si |
| tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des | | tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des |
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| On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne | | On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne |
| peut pas faire. | | peut pas faire. |
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| La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les | | La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les |
| mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que | | mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que |
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| qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée : | | qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée : |
| elle est pensable. | | elle est pensable. |
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| Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne | | Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne |
| peuvent pas l'être. | | peuvent pas l'être. |
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| Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible, | | Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible, |
| etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et | | etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et |
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| avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement | | avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement |
| l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel. | | l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel. |
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| Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement | | Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement |
| plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple | | plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple: Il est possible que le soleil se lève demain, — cela ne signifie rien de plus que : par |
| : Il est possible que le soleil se lève demain, — cela ne signifie rien de plus que : par | |
| rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer | | rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer |
| qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru. | | qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru. |
| 1 Der Kommunismus in der Schweiz, p.24.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 260
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| À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce | | À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce |
| n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le | | n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le |
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| hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne | | hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne |
| nous serions guère inquiété de lui ! | | nous serions guère inquiété de lui ! |
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| La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons | | La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons |
| à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre | | à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre |
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| les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et | | les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et |
| les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ». | | les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ». |
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| Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une | | Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une |
| pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais | | pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais |
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| ce serait pour lui un « éternel honneur » d'avoir fait quelque chose pour l' « esprit de | | ce serait pour lui un « éternel honneur » d'avoir fait quelque chose pour l' « esprit de |
| l'humanité ». | | l'humanité ». |
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| Il en résulte que ceux qui pensent gouvernent le monde tant que dure l'époque des | | Il en résulte que ceux qui pensent gouvernent le monde tant que dure l'époque des |
| prêtres et des pédagogues ; ce qu'ils pensent est possible et ce qui est possible doit | | prêtres et des pédagogues ; ce qu'ils pensent est possible et ce qui est possible doit |
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| leur pensée, mais ils pensent ensuite la possibilité de réaliser cet idéal, et il est | | leur pensée, mais ils pensent ensuite la possibilité de réaliser cet idéal, et il est |
| incontestable que cette réalisation est réelle...ment pensable : c'est une — idée. | | incontestable que cette réalisation est réelle...ment pensable : c'est une — idée. |
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| Il se peut qu'un Krummacher pense que toi et moi sommes encore capables de | | Il se peut qu'un Krummacher pense que toi et moi sommes encore capables de |
| devenir bons chrétiens ; mais s'il s'avisait de nous « travailler » dans ce sens, nous lui | | devenir bons chrétiens ; mais s'il s'avisait de nous « travailler » dans ce sens, nous lui |
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| doctrine » dont nous n'avons que faire, il ne tarderait pas à se convaincre que nous | | doctrine » dont nous n'avons que faire, il ne tarderait pas à se convaincre que nous |
| n'avons que faire de devenir ce qu'il ne nous plaît pas d'être. | | n'avons que faire de devenir ce qu'il ne nous plaît pas d'être. |
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| Et le raisonnement que nous résumions tantôt se poursuit, laissant derrière lui | | Et le raisonnement que nous résumions tantôt se poursuit, laissant derrière lui |
| dévots et bigots : « Si tous les hommes étaient raisonnables, si tous pratiquaient la | | dévots et bigots : « Si tous les hommes étaient raisonnables, si tous pratiquaient la |
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| ? Non, la Raison est un gros livre bourré d'articles de lois, tous braqués contre | | ? Non, la Raison est un gros livre bourré d'articles de lois, tous braqués contre |
| l'Égoïsme. | | l'Égoïsme. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 261
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| L'histoire n'a été jusqu'à présent que l'histoire de l'homme spirituel. Après l'âge | | L'histoire n'a été jusqu'à présent que l'histoire de l'homme spirituel. Après l'âge |
| des sens a commencé l'histoire proprement dite, c'est-à-dire l'âge de l'intelligence, du | | des sens a commencé l'histoire proprement dite, c'est-à-dire l'âge de l'intelligence, du |
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| morale et n'a pas la même foi : il persécute les « dissidents, les hérétiques, les | | morale et n'a pas la même foi : il persécute les « dissidents, les hérétiques, les |
| sectes », etc. | | sectes », etc. |
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| Le mouton ne s'efforce pas de devenir un « vrai mouton », ni le chien un « vrai | | Le mouton ne s'efforce pas de devenir un « vrai mouton », ni le chien un « vrai |
| chien »; aucun animal ne prend son être pour un devoir, c'est-à-dire pour une idée | | chien »; aucun animal ne prend son être pour un devoir, c'est-à-dire pour une idée |
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| utile ou plus agréable pour nous, il n'en tire, lui, aucun profit ; une fois chien savant, il | | utile ou plus agréable pour nous, il n'en tire, lui, aucun profit ; une fois chien savant, il |
| ne vaut pas plus pour lui-même qu'un chien naturel. | | ne vaut pas plus pour lui-même qu'un chien naturel. |
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| On s'efforce, et la mode n'en est pas nouvelle, de faire des hommes des êtres moraux, | | On s'efforce, et la mode n'en est pas nouvelle, de faire des hommes des êtres moraux, |
| raisonnables, pieux, humains, etc., c'est-à-dire de les dresser. Mais ces tentatives | | raisonnables, pieux, humains, etc., c'est-à-dire de les dresser. Mais ces tentatives |
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| idéal ; ils sont de « faibles hommes » et ils se consolent en ayant conscience de la | | idéal ; ils sont de « faibles hommes » et ils se consolent en ayant conscience de la |
| « faiblesse humaine ». | | « faiblesse humaine ». |
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| Il en va tout autrement si tu ne poursuis pas un idéal comme ta « destination », | | Il en va tout autrement si tu ne poursuis pas un idéal comme ta « destination », |
| mais que tu te consumes comme le temps consume tout. La destruction n'est pas ta | | mais que tu te consumes comme le temps consume tout. La destruction n'est pas ta |
| « destination », car elle est le présent. | | « destination », car elle est le présent. |
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| Il est parfaitement vrai que la culture et la religiosité des hommes les ont libérés, | | Il est parfaitement vrai que la culture et la religiosité des hommes les ont libérés, |
| mais elles ne les ont délivrés d'un maître que pour les soumettre à un autre. La | | mais elles ne les ont délivrés d'un maître que pour les soumettre à un autre. La |
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| de l'Esprit. L'Esprit me commande, la Raison me guide ; ils me conduisent et me | | de l'Esprit. L'Esprit me commande, la Raison me guide ; ils me conduisent et me |
| gouvernent, et les « raisonnables », les « serviteurs de l'Esprit », sont leurs ministres. | | gouvernent, et les « raisonnables », les « serviteurs de l'Esprit », sont leurs ministres. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 262
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| Mais si je ne suis pas chair, je ne suis pas non plus esprit. La liberté de l'Esprit est ma | | Mais si je ne suis pas chair, je ne suis pas non plus esprit. La liberté de l'Esprit est ma |
| servitude, parce que je suis plus que chair et plus qu'esprit. | | servitude, parce que je suis plus que chair et plus qu'esprit. |
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| La culture m'a rendu puissant, cela ne souffre non plus aucun doute. Elle m'a | | La culture m'a rendu puissant, cela ne souffre non plus aucun doute. Elle m'a |
| donné un pouvoir sur tout ce qui est force, aussi bien sur les impulsions de ma nature | | donné un pouvoir sur tout ce qui est force, aussi bien sur les impulsions de ma nature |
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| pouvoir peut prendre les formes les plus diverses, il peut s'appeler Dieu ou s'appeler | | pouvoir peut prendre les formes les plus diverses, il peut s'appeler Dieu ou s'appeler |
| Esprit du peuple, État, Famille, Raison, ou encore Liberté, Humanité, Homme. | | Esprit du peuple, État, Famille, Raison, ou encore Liberté, Humanité, Homme. |
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| J'accepte avec reconnaissance ce que les siècles de culture m'ont acquis ; je ne | | J'accepte avec reconnaissance ce que les siècles de culture m'ont acquis ; je ne |
| veux rien rejeter ou abandonner : Je n'ai pas vécu en vain. Ils ont découvert que j'ai un | | veux rien rejeter ou abandonner : Je n'ai pas vécu en vain. Ils ont découvert que j'ai un |
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| découverte fut achetée trop cher pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus | | découverte fut achetée trop cher pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus |
| encore. | | encore. |
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| On se demande ce que l'homme peut devenir, ce qu'il peut accomplir et quels | | On se demande ce que l'homme peut devenir, ce qu'il peut accomplir et quels |
| biens il peut acquérir, et de celui de ces biens qu'on juge plus grand on me fait une | | biens il peut acquérir, et de celui de ces biens qu'on juge plus grand on me fait une |
| vocation. Comme si tout m'était possible ! | | vocation. Comme si tout m'était possible ! |
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| Lorsqu'on voit quelqu'un que consume un désir, une passion, etc. (par exemple, | | Lorsqu'on voit quelqu'un que consume un désir, une passion, etc. (par exemple, |
| l'esprit de lucre, la jalousie. etc.). on se prend à souhaiter de le délivrer de cette | | l'esprit de lucre, la jalousie. etc.). on se prend à souhaiter de le délivrer de cette |
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| de la piété, de l'humanité ou de quelque autre principe, et on lui fournit de nouveau un | | de la piété, de l'humanité ou de quelque autre principe, et on lui fournit de nouveau un |
| point d'appui moral fixe. | | point d'appui moral fixe. |
| | |
| Cet échange d'un point d'appui inférieur contre un point d'appui élevé s'exprime | | Cet échange d'un point d'appui inférieur contre un point d'appui élevé s'exprime |
| en disant : il ne faut pas tourner ses regards vers ce qui passe, mais vers ce qui ne | | en disant : il ne faut pas tourner ses regards vers ce qui passe, mais vers ce qui ne |
| passe pas, non vers le temporel, mais vers l'éternel, l'absolu, le divin, le pur humain, | | passe pas, non vers le temporel, mais vers l'éternel, l'absolu, le divin, le pur humain, |
| — le spirituel. | | — le spirituel. |
| | |
| On s'aperçut bientôt qu'il n'est pas indifférent de suspendre son coeur n'importe où | | On s'aperçut bientôt qu'il n'est pas indifférent de suspendre son coeur n'importe où |
| et de s'éprendre de n'importe quoi ; on reconnut l'importance de l'objet. Un objet élevé | | et de s'éprendre de n'importe quoi ; on reconnut l'importance de l'objet. Un objet élevé |
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| valoir la peine d'en parler ». On s'en rendit compte, mais on ne cessa jamais d'accorder | | valoir la peine d'en parler ». On s'en rendit compte, mais on ne cessa jamais d'accorder |
| à l'objet une importance en soi et une valeur absolue ; comme si l'essentiel | | à l'objet une importance en soi et une valeur absolue ; comme si l'essentiel |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 263
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| n'était pas, pour l'enfant, sa poupée, et pour le Turc le Coran. Tant que l'important | | n'était pas, pour l'enfant, sa poupée, et pour le Turc le Coran. Tant que l'important |
| pour moi n'est pas uniquement Moi. peu importe l'objet que je tiens pour « essentiel | | pour moi n'est pas uniquement Moi. peu importe l'objet que je tiens pour « essentiel |
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| profondeur de mon attachement et de mon dévouement témoigne de ma servitude, et | | profondeur de mon attachement et de mon dévouement témoigne de ma servitude, et |
| la profondeur de mon péché donne la mesure de mon individualité. | | la profondeur de mon péché donne la mesure de mon individualité. |
| | |
| Mais il faut finalement savoir tout « chasser de sa pensée si l'on veut pouvoir — | | Mais il faut finalement savoir tout « chasser de sa pensée si l'on veut pouvoir — |
| s'endormir. Rien ne doit nous occuper, dont nous ne nous occupons pas : l'ambitieux | | s'endormir. Rien ne doit nous occuper, dont nous ne nous occupons pas : l'ambitieux |
| ne peut se défaire de ses projets d'ambition, et celui qui craint Dieu ne peut détacher | | ne peut se défaire de ses projets d'ambition, et celui qui craint Dieu ne peut détacher |
| sa pensée de Dieu ; manie et obsession sont jumelles. | | sa pensée de Dieu ; manie et obsession sont jumelles. |
| | |
| Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en | | Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en |
| Dieu appelle « être pieux » et ce qu'un croyant en l'Homme appelle « vivre humainement | | Dieu appelle « être pieux » et ce qu'un croyant en l'Homme appelle « vivre humainement |
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| encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l'âme, tant | | encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l'âme, tant |
| qu'il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n'est qu'un homme sensuel qui, connaissant | | qu'il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n'est qu'un homme sensuel qui, connaissant |
| la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur | | la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur: la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le |
| : la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le | |
| Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais | | Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais |
| l’ « égoïsme », l' « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc.; entre leurs mains le | | l’ « égoïsme », l' « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc.; entre leurs mains le |
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| « appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au | | « appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au |
| même? | | même? |
| *
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| **
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| Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment. | | Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment. |
| Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d'hommes ont été | | Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d'hommes ont été |
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| qui en use comme d'une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d'un | | qui en use comme d'une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d'un |
| charme ; pour l'enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc. | | charme ; pour l'enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc. |
| | |
| Mais le Christianisme prétend que la Bible doit être pour tous la même chose, | | Mais le Christianisme prétend que la Bible doit être pour tous la même chose, |
| c'est-à-dire ce qu'elle est pour lui : les « Livres Saints » ou la « Sainte Écriture ». Cela | | c'est-à-dire ce qu'elle est pour lui : les « Livres Saints » ou la « Sainte Écriture ». Cela |
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| la libert. de faire de la Bible ce qu'il me plaît, toute liberté d'agir en général se voit | | la libert. de faire de la Bible ce qu'il me plaît, toute liberté d'agir en général se voit |
| entravée et est remplacée par la contrainte d'une façon de voir et de juger obligatoire. | | entravée et est remplacée par la contrainte d'une façon de voir et de juger obligatoire. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 264
| | |
| Celui qui émet le jugement que la Bible est une longue erreur de l'humanité porte un | | Celui qui émet le jugement que la Bible est une longue erreur de l'humanité porte un |
| jugement — criminel. | | jugement — criminel. |
| | |
| En réalité, l'enfant qui la met en pièces ou qui joue avec elle et l’Inca Atahualpa | | En réalité, l'enfant qui la met en pièces ou qui joue avec elle et l’Inca Atahualpa |
| qui y applique l'oreille et la rejette avec une moue de dédain parce qu'elle reste muette | | qui y applique l'oreille et la rejette avec une moue de dédain parce qu'elle reste muette |
| émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la | | émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la |
| « parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation | | « parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation |
| hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice | | hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où |
| ; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où | |
| vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens | | vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens |
| spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes | | spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes |
| traitent ces textes à leur guise et « en font un usage arbitraire ». | | traitent ces textes à leur guise et « en font un usage arbitraire ». |
| | |
| Rien ne plaît tant au philosophe que de dénicher en tout une « Idée », et rien ne va | | Rien ne plaît tant au philosophe que de dénicher en tout une « Idée », et rien ne va |
| au dévot comme de mettre tout en oeuvre (la vénération de la Bible, par exemple) | | au dévot comme de mettre tout en oeuvre (la vénération de la Bible, par exemple) |
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| qu'elle nous juge à sa façon, c'est-à-dire dignes du bûcher ou d'un autre châtiment — | | qu'elle nous juge à sa façon, c'est-à-dire dignes du bûcher ou d'un autre châtiment — |
| de la censure, par exemple ? | | de la censure, par exemple ? |
| | |
| Ce qu'un homme est, les choses le sont à ses yeux, « le monde te voit du même | | Ce qu'un homme est, les choses le sont à ses yeux, « le monde te voit du même |
| oeil dont tu le contemples ». D'où, immédiatement, ce sage conseil : tu ne dois le | | oeil dont tu le contemples ». D'où, immédiatement, ce sage conseil : tu ne dois le |
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| il en résultera pour moi une connaissance et une critique profondes — d'après mes | | il en résultera pour moi une connaissance et une critique profondes — d'après mes |
| forces. | | forces. |
| | |
| Je choisis ce qui répond à mes intentions et par le fait même que je choisis, je | | Je choisis ce qui répond à mes intentions et par le fait même que je choisis, je |
| prouve mon — arbitraire. | | prouve mon — arbitraire. |
| | |
| De ceci naît cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est | | De ceci naît cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est |
| l'oeuvre, la création de ma volonté ; je suis par là de nouveau averti de ne pas me | | l'oeuvre, la création de ma volonté ; je suis par là de nouveau averti de ne pas me |
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| Jésus-Christ, la Trinité, la Moralité, le Bien, etc.. sont de ces créatures dont je ne dois | | Jésus-Christ, la Trinité, la Moralité, le Bien, etc.. sont de ces créatures dont je ne dois |
| pas seulement me permettre de dire qu'elles sont des vérités, mais dont je dois me | | pas seulement me permettre de dire qu'elles sont des vérités, mais dont je dois me |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 265
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| permettre tout aussi bien de dire que ce sont des illusions. Si j'ai, à un moment donné, | | permettre tout aussi bien de dire que ce sont des illusions. Si j'ai, à un moment donné, |
| voulu et décrété leur existence, il faut de même que je puisse, à un autre moment, | | voulu et décrété leur existence, il faut de même que je puisse, à un autre moment, |
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Ligne 604 : |
| « vérités éternelles », un « sacro-saint » en un mot, et de dépouiller chacun de ce qui | | « vérités éternelles », un « sacro-saint » en un mot, et de dépouiller chacun de ce qui |
| est à lui. | | est à lui. |
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| L’objet fait de nous des possédés : cette influence, il l'exerce aussi bien lorsqu'il | | L’objet fait de nous des possédés : cette influence, il l'exerce aussi bien lorsqu'il |
| se présente à nous sous une forme sacrée que sous une forme non sacrée, et comme | | se présente à nous sous une forme sacrée que sous une forme non sacrée, et comme |
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| ciel doivent être mis sur la même ligne. Alors que les propagateurs de la lumière | | ciel doivent être mis sur la même ligne. Alors que les propagateurs de la lumière |
| voulaient gagner les gens au monde sensible. Lavater prêchait l'appétit de l'invisible. | | voulaient gagner les gens au monde sensible. Lavater prêchait l'appétit de l'invisible. |
| | |
| Les uns veulent émouvoir et les autres mouvoir. | | Les uns veulent émouvoir et les autres mouvoir. |
| | |
| Chacun se fait des objets une idée particulière. Dieu, Jésus-Christ, le monde, etc., | | Chacun se fait des objets une idée particulière. Dieu, Jésus-Christ, le monde, etc., |
| ont été et seront conçus des façons les plus diverses. Chacun est en cela « hétérodoxe | | ont été et seront conçus des façons les plus diverses. Chacun est en cela « hétérodoxe |
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| n'est, rien qu'une illusion »? Pourquoi me flétrit-on quand je suis un « négateur de | | n'est, rien qu'une illusion »? Pourquoi me flétrit-on quand je suis un « négateur de |
| Dieu »? Parce qu'on met la créature au-dessus du créateur (« Ils honorent et servent | | Dieu »? Parce qu'on met la créature au-dessus du créateur (« Ils honorent et servent |
| plus la créature que le créateur 1») et qu'on a besoin qu'un objet règne pour que le | | plus la créature que le créateur <ref>Épître aux Romains, I, 25.</ref>»)et qu'on a besoin qu'un objet règne pour que le |
| sujet serve humblement. Je dois me courber sous l'Absolu, c'est mon devoir. | | sujet serve humblement. Je dois me courber sous l'Absolu, c'est mon devoir. |
| | |
| Par le royaume de « royaume des pensées », le Christianisme s'est complété ; la | | Par le royaume de « royaume des pensées », le Christianisme s'est complété ; la |
| pensée est cette intériorité dans laquelle s'éteignent toutes les lumières du monde, où | | pensée est cette intériorité dans laquelle s'éteignent toutes les lumières du monde, où |
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| foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité | | foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité |
| remonte pour son service. | | remonte pour son service. |
| 1 Épître aux Romains, I, 25.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 266
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| La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis | | La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis |
| libre et qui m'occupe, mais la pensée) — du ciel et du céleste ou « divin », c'est-àdire, | | libre et qui m'occupe, mais la pensée) — du ciel et du céleste ou « divin », c'est-àdire, |
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| mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des | | mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des |
| Esprits, des Dieux. | | Esprits, des Dieux. |
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| Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma | | Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma |
| pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je | | pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je |
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| libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et | | libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et |
| comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe. | | comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe. |
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| Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der | | Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der |
| Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son | | Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son |
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| invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il | | invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il |
| est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ». | | est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ». |
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| Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que | | Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que |
| j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il | | j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il |
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| pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens | | pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens |
| comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais. | | comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 267
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| Feuerbach reproche à Hegel 1 d'abuser de la langue en détournant une foule de | | Feuerbach reproche à Hegel <ref>Loc. cit., p. 47 sqq.</ref> d'abuser de la langue en détournant une foule de |
| mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet | | mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet |
| pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi | | pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi |
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| qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient | | qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient |
| qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain. | | qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain. |
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| L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la | | L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la |
| rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent | | rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent |
| simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en | | simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en |
| moi, car je suis espace comme la rue. | | moi, car je suis espace comme la rue. |
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| Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de | | Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de |
| penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien », | | penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien », |
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| contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui | | contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui |
| viennent « d'en haut » et il s'en tient là. | | viennent « d'en haut » et il s'en tient là. |
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| Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit. | | Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit. |
| selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la | | selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la |
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| qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc. | | qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc. |
| Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes | | Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes |
| chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pen- | | chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pensées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont |
| 1 Loc. cit., p. 47 sqq.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 268
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| sées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
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| ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour | | ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour |
| souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi | | souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi |
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| saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ? | | saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ? |
| Tout ce qui vole est — à moi. | | Tout ce qui vole est — à moi. |
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| Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne, | | Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne, |
| ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ; | | ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ; |
| vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir. | | vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir. |
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| La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule | | La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule |
| de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une | | de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une |
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| qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et | | qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et |
| faire de moi l'instrument de sa réalisation. | | faire de moi l'instrument de sa réalisation. |
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| La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais | | La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais |
| les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes | | les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes |
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| si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes | | si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes |
| créatures. | | créatures. |
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| Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme, | | Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme, |
| au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire | | au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire |
| peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de | | peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de |
| sens que, par exemple, « liberté de digérer ». | | sens que, par exemple, « liberté de digérer ». |
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| Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ; | | Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ; |
| d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà | | d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà |
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| grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé | | grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé |
| dans l'avenir et vers lequel je dois tendre. | | dans l'avenir et vers lequel je dois tendre. |
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| Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de | | Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de |
| moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain | | moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain |
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| est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la | | est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la |
| vérité, mais on peut spéculer sur sa possession. | | vérité, mais on peut spéculer sur sa possession. |
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| Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent | | Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent |
| la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ; | | la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ; |
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| Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est | | Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est |
| réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés). | | réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés). |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 269
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| La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur | | La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur |
| les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est | | les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est |
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| Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas | | Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas |
| propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ? | | propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ? |
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| Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je | | Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je |
| dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur | | dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur |
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| qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il | | qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il |
| ait « découvert l'Homme ». | | ait « découvert l'Homme ». |
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| Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que | | Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que |
| ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui | | ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui |
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| met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou | | met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou |
| l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut. | | l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut. |
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| Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent | | Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent |
| les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils | | les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils |
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| Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la | | Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la |
| Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi. | | Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi. |
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| Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la | | Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la |
| Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre | | Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre |
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| limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la | | limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la |
| règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé. | | règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé. |
| Écouter ce que dit le ministre Guizot 1 : « La grande difficulté de notre temps, | | |
| | Écouter ce que dit le ministre Guizot <ref>Chambre des Pairs, 25 avril 1844.</ref>: « La grande difficulté de notre temps, |
| c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême | | c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême |
| le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle | | le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle |
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| du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de | | du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de |
| conscience. » | | conscience. » |
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| Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à | | Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à |
| celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le | | celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le |
| citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge 2: que | | citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge <ref>Anekdota, I, 120.</ref>: que |
| 1 Chambre des Pairs, 25 avril 1844.
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| 2 Anekdota, I, 120.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 270
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| l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs | | l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs |
| déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle. | | déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle. |
| | |
| La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La | | La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La |
| légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul | | légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul |
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| s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux | | s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux |
| « privilèges ». | | « privilèges ». |
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| Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience | | Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience |
| de la raison 1 », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté | | de la raison <ref>Ibid., I, 127.</ref> », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté |
| d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre | | d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre |
| compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible, | | compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible, |
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| et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en | | et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en |
| jouis et me consommeront comme je me consomme. | | jouis et me consommeront comme je me consomme. |
| | |
| Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois | | Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois |
| le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ? | | le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ? |
| | |
| Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la | | Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la |
| raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis | | raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis |
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| jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ; | | jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ; |
| je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser. | | je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser. |
| | |
| Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire | | Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire |
| usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis | | usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis |
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| hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la | | hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la |
| plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes. | | plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes. |
| | |
| Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux | | Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux |
| avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement | | avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement |
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Ligne 887 : |
| vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user | | vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user |
| du langage comme de ta propriété. | | du langage comme de ta propriété. |
| 1 Ibid., I, 127.
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| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 271
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| Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de | | Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de |
| pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de | | pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de |
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| (par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée | | (par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée |
| initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide. | | initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide. |
| | |
| Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi | | Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi |
| ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des | | ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des |
| « intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ». | | « intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ». |
| | |
| Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur, | | Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur, |
| elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute | | elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute |
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| Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux | | Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux |
| esprits et aux fantômes. | | esprits et aux fantômes. |
| | |
| Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de | | Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de |
| l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le | | l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le |
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| leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent | | leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent |
| aux pièges de Satan. | | aux pièges de Satan. |
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| Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous | | Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous |
| a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance, | | a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance, |
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| moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de | | moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de |
| l'idée ». | | l'idée ». |
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| Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés. | | Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés. |
| | |
| Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte]; | | Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte]; |
| reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la | | reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la |
| logique, la science, la philosophie. | | logique, la science, la philosophie. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 272
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| J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les | | J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les |
| aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger. | | aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger. |
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| quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de | | quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de |
| création. | | création. |
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| L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté | | L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté |
| des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ». | | des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ». |
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Ligne 958 : |
| vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à | | vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à |
| la souveraineté et établira une loi pour tous. | | la souveraineté et établira une loi pour tous. |
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| Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces | | Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces |
| parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il | | parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il |
| reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre. | | reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre. |
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| On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient | | On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient |
| qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable, | | qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable, |
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| t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à | | t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à |
| profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets. | | profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets. |
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| Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment | | Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment |
| une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le | | une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le |
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| occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes | | occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes |
| : tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé. | | : tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé. |
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| Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion, | | Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion, |
| d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême | | d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême |
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| en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces | | en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces |
| comment ils doivent s'y prendre pour y arriver. | | comment ils doivent s'y prendre pour y arriver. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 273
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| Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et | | Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et |
| des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot | | des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot |
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| plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au | | plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au |
| nom d'un principe. | | nom d'un principe. |
| | |
| Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable » | | Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable » |
| critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une | | critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une |
| vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique | | vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps, |
| ; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps, | |
| ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a | | ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a |
| « découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le | | « découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le |
| dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette | | dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette |
| vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique. | | vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique. |
| | |
| Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force. | | Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force. |
| | |
| Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre | | Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre |
| ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert | | ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert |
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| partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera | | partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera |
| par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc. | | par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc. |
| | |
| La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout | | La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout |
| temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un | | temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un |
| produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament : | | produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament : |
| « Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon 1. » Le « bon » est la pierre de | | « Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon <ref>1er épître aux Thessaloniciens, V, 21</ref>» Le « bon » est la pierre de |
| touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours | | touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours |
| resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe. | | resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe. |
| | |
| Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la | | Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la |
| cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a | | cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a |
| justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure. | | justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure. |
| | |
| L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une | | L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une |
| certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout | | certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout |
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| le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet, | | le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet, |
| une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on | | une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on |
| 1 1er épître aux Thessaloniciens, V, 21
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 274
| |
| ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même. | | ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même. |
| Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables | | Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables |
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| ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une | | ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une |
| hypothèse. | | hypothèse. |
| | |
| Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme | | Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme |
| consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable | | consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable |
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Ligne 1 058 : |
| j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique, | | j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique, |
| car elle n'est pas ma propriété. | | car elle n'est pas ma propriété. |
| | |
| Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas | | Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas |
| personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour | | personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour |
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| possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire | | possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire |
| qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ». | | qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ». |
| | |
| Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler | | Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler |
| une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle | | une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle |
| est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les | | est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les |
| conséquences pratiques qui en découlent sont graves. | | conséquences pratiques qui en découlent sont graves. |
| | |
| La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais | | La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais |
| que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il | | que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il |
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Ligne 1 081 : |
| m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me | | m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me |
| borne à en respirer le parfum. | | borne à en respirer le parfum. |
| | |
| On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être | | On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être |
| suprême * » ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle | | suprême <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>» ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle |
| venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais | | venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais |
| elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les | | elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les |
| pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie | | pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie |
| toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La | | toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La |
| * En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 275
| |
| vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et | | vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et |
| pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité » | | pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité » |
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| qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité | | qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité |
| même. | | même. |
| | |
| Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La | | Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La |
| vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par | | vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par |
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| vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur | | vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur |
| notre Dieu »). | | notre Dieu »). |
| | |
| La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité | | La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité |
| cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il | | cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il |
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| voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce | | voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce |
| fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres. | | fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres. |
| | |
| Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme | | Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme |
| religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle | | religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle |
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| abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles | | abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles |
| et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité. | | et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité. |
| | |
| Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au | | Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au |
| repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été | | repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été |
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| l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma | | l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma |
| victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte, | | victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte, |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 276
| |
| c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême | | c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême |
| un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon | | un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon |
| la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles | | la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles |
| bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider. | | bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider. |
| | |
| Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je | | Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je |
| touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de | | touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de |
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| Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en | | Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en |
| elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature. | | elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature. |
| | |
| Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure | | Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure |
| de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée | | de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée |
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| n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux | | n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux |
| que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles. | | que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles. |
| | |
| Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus | | Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus |
| de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de | | de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de |
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| l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la | | l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la |
| cuve », de cet être « infime »! | | cuve », de cet être « infime »! |
| | |
| Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il | | Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il |
| n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui | | n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui |
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| là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à | | là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à |
| aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une. | | aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une. |
| | |
| Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des | | Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des |
| pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit | | pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit |
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| dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence | | dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence |
| » ou l' « Homme ». | | » ou l' « Homme ». |
| | |
| Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre, | | Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre, |
| égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le | | égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le |
| pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui | | pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui |
| est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association, | | est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association, |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 277
| | faux sont l'État et la société <ref>La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose |
| faux sont l'État et la société *. La « libre et vraie » critique travaille à la domination
| | l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de |
| logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à | | coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal |
| | (salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour |
| | l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)</ref>. La « libre et vraie » critique travaille à la domination logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à |
| ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner | | ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner |
| cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de | | cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de |
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| dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle | | dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle |
| n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre. | | n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre. |
| | |
| La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que | | La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que |
| la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu | | la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu |
| vérifies si l'objet te convient. | | vérifies si l'objet te convient. |
| | |
| La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que | | La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que |
| soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les | | soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les |
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| auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les | | auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les |
| met pas en fuite. | | met pas en fuite. |
| | |
| Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera | | Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera |
| jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à | | jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à |
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| « vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours | | « vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours |
| irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ». | | irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ». |
| | |
| Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le | | Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le |
| fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi, | | fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi, |
| le corporel, qui l'ai. | | le corporel, qui l'ai. |
| | |
| On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette | | On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette |
| idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure | | idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure |
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| l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui, | | l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui, |
| en se développant, développent naturellement aussi leur penser. | | en se développant, développent naturellement aussi leur penser. |
| | |
| En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore | | En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore |
| dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas | | dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas |
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| La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège | | La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège |
| par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement. | | par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement. |
| * La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
| | |
| l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
| |
| coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
| |
| (salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
| |
| l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)
| |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 278
| |
| En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la | | En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la |
| critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais | | critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais |
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| ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il | | ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il |
| exhale sa rage avant de disparaître. | | exhale sa rage avant de disparaître. |
| *
| | |
| **
| | |
| Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit | | Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit |
| humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis, | | humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis, |
| du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats | | du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats |
| qu'il vous plaira, je m'en moque. | | qu'il vous plaira, je m'en moque. |
| | |
| Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant, | | Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant, |
| et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce | | et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce |
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| ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère | | ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère |
| ou ne me plais plus à agir comme je le faisais. | | ou ne me plais plus à agir comme je le faisais. |
| | |
| De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je | | De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je |
| fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de | | fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de |
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| Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les | | Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les |
| pensées de l'esprit. | | pensées de l'esprit. |
| | |
| Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment | | Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment |
| n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, | | n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, |
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| ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la | | ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la |
| crée. | | crée. |
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| Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les | | Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les |
| personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de | | personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de |
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| peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient | | peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient |
| son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure. | | son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure. |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 279
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| Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait | | Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait |
| difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré | | difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré |
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| un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de | | un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de |
| Christianisme. | | Christianisme. |
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| Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier, | | Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier, |
| juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais | | juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais |
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| « sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose | | « sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose |
| que je suis le propriétaire du tout. | | que je suis le propriétaire du tout. |
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| À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci : | | À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci : |
| Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous | | Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous |
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| n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire | | n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire |
| autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ». | | autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ». |
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| Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit | | Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit |
| un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou | | un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou |
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| ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est | | ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est |
| chimérique. | | chimérique. |
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| Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins | | Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins |
| leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur | | leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur |
| développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu | | développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu |
| Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 280
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| produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au | | produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au |
| Panthéon ou au — Walhalla. | | Panthéon ou au — Walhalla. |
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| Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur ! | | Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur ! |
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| Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope, | | Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope, |
| par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de | | par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de |
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| que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es | | que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es |
| fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout. | | fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout. |
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| N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le | | N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le |
| créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la | | créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la |
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| c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes, | | c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes, |
| mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé. | | mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé. |
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| Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que | | Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que |
| moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice », | | moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice », |
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| sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par | | sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par |
| 1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique. | | 1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique. |
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| Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien. | | Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien. |
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| Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu | | Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu |
| seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus. | | seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus. |
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| Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es | | Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es |
| possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier. | | possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier. |
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| On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi | | On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi |
| qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que | | qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que |
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| Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me | | Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me |
| développe. | | développe. |
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| Tel est le sens de l'Unique. | | Tel est le sens de l'Unique. |
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| == Notes et références == | | == Notes et références == |
Max Stirner:C. Ma jouissance de moi
L’Unique et sa propriété
Anonyme
C — MA JOUISSANCE DE MOI
Nous sommes au tournant d'une époque. Le monde n'a jusqu'à présent songé qu'à
conquérir la vie, son unique souci a été de — vivre. Que toute activité tende vers les
choses d'ici-bas ou vers l'au-delà, vers la vie temporelle ou vers l'éternelle, qu'on
aspire au « pain quotidien » (« donnez-nous notre pain quotidien ») ou au « pain
sacré » (« le véritable pain du Ciel », « le pain de Dieu qui est descendu du ciel et qui
donne la vie au monde », « le pain de vie », Jean, VI, 32, 33, 48), que l'on se
préoccupe de la « chère vie » ou de la « vie éternelle », le but de tout effort, l'objet de
toute sollicitude ne change pas : dans l'un comme dans l'autre cas. ce qu'on cherche
est, toujours la vie. Les tendances modernes témoignent-elles d'un autre souci ? On
veut que les besoins de la vie ne soient plus un tourment pour personne, et l'on
enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle
sans vain souci de l'au-delà.
Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de
vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question,
tant qu'il peut encore avoir à trembler pour elle, il ne peut consacrer toutes ses forces
à se servir de la vie, c'est-à-dire à en jouir. Mais comment en jouir ? En l'usant,
comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la
consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire.
Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que
faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie
bienheureuse, etc.? Comment y parvenir ? Que doit faire l'homme et que doit-il être
pour être un véritable vivant ? Quels devoirs lui impose cette vocation ? » Ces
questions et d'autres pareilles indiquent que ceux qui les posent en sont encore à se
chercher, à chercher leur vrai sens, le sens que leur vie doit avoir pour être vraie. « Ce
que je suis n'est qu'un peu d'ombre et d'écume, ce que je serai sera mon vrai moi ! »
Poursuivre ce moi, le préparer, le réaliser, telle est la lourde tâche des mortels ; ils ne
meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie
vie.
Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis
vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis
de moi. Mais tant que je crois, au contraire, avoir encore à découvrir mon vrai moi,
tant que je pense devoir faire en sorte que celui qui vit en moi ne soit pas Moi, mais
soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que
l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi.
Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but,
d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après
l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax
priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la
« prodigue ».
La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais
comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi,
mais de faire ma vendange et de consommer ma vie.
Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous
cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez
ce que vous devez être ? Vous ne l'êtes donc pas ! Votre vie n'est qu'une longue et
passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance.
C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance.
Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement,
elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à
ses joyeux vivants. Pour eux aussi un dimanche succède aux jours ouvrables et les
tracas de la vie sont suivis du rêve d'un monde meilleur, d'un bonheur universel, d'un
Idéal en un mot. Mais les philosophes au moins doivent, direz-vous, être opposés aux
dévots ! Eux ? Ont-ils jamais pensé à autre chose qu'à l'idéal et ont-ils jamais eu en
vue autre chose que le moi absolu ? Partout attente, aspirations, partout de lointaines
chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du
romantisme !
Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous
sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle,
et exterminer à la fois la soif de l'idéal et la faim du pain quotidien. Celui qui doit user
sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas
non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ».
Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils
doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de
cette tâche et de ce devoir. La servitude de l'existence terrestre, tout entière subordonnée
à l'existence céleste qu'ils attendent, est évidente chez les esprits religieux, qui
escomptent une vie future et ne voient dans la vie ici-bas qu'un simple stage ; mais il
serait, très faux de croire à moins de renoncement chez ceux qui se sont en apparence
le plus affranchis des dogmes. Comprenez donc que la « vie « vraie » a un sens bien
plus étendu que votre « vie céleste »! Et, pour en venir immédiatement à la conception
libérale de la vie, la « vie vraie » n'est-elle pas « humaine » et « vraiment
humaine »? Faut-il se donner tant de peine pour parvenir à cette vie humaine, ou le
premier venu la vit-il dès l'instant où il commence à respirer ? Est-elle pour chacun le
présent, ce qu'il a et ce qu'il est actuellement, ou doit-il y tendre comme à une vie
future qu'il ne possédera qu'après s'être « lavé de la souillure de l'égoïsme ? À ce
compte, la vie n'est que la conquête de la vie, on ne vit que pour faire vivre en soi
l'essence de l'Homme et pour l'amour de cette essence. On n'a sa vie que pour en créer
une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à
l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner.
Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque
chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un
instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des
victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes
barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en
holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes
sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des
idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne.
Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la
dépenser pour nous.
Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de
songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se
survivre bel et bien. Le Chrétien consent à ce que tout arrive, il prend ses maux en
patience, du moment qu'il peut — le Juif ! — compter qu'il se rattrapera au ciel et y
touchera de gros intérêts. Il ne lui est pas permis de se tuer, il ne peut que se —
conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le
« triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera
vaincue, c'est la mort [1]», « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en
lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité [2]». — « Incorruptibilité », stabilité !
L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce
but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont
ceux du Bien, du Juste, etc. Ces moyens ne sont jamais immoraux, car le but. auquel
ils permettent d'atteindre est bon : la fin justifie les moyens ; cette maxime passe pour
jésuitique, bien qu'elle soit strictement « morale ». L'homme moral est le serviteur
d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait
gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu.
Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure
de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a
aucun pardon à attendre devant le tribunal de la moralité. L'homme religieux le
condamnait parce que « ce n'est pas toi qui t'es donne la vie, c'est Dieu, et lui seul
peut te la reprendre » (comme si, à ce compte, ce n’était pas aussi bien Dieu qui me la
reprend lorsque je me tue que lorsqu'une tuile ou une balle ennemie me cassent la tête: c'est lui aussi qui a éveillé en moi la résolution de mourir !). L'homme moral, de son
côté, le condamne parce que je dois ma vie à la Patrie, etc., « et que je ne sais pas si
de ma vie n'eût pas pu résulter encore quelque bien ». Si je me tue, le Bien perd
naturellement en moi un instrument, comme le Seigneur compte, moi mort, un
ouvrier de moins à sa vigne. Si je fus immoral, le Bien bénéficiera de mon amélioration; si je fus impie, Dieu se réjouira de ma contrition. Le suicide est aussi criminel
envers Dieu qu'envers la vertu. Toi qui t'ôtes la vie, tu oublies Dieu si tu étais
religieux et tu oublies le devoir si tu étais moral. La mort d'Emilia Galotti est-elle
justifiable au point de vue de la moralité (on admet que cette mort est un suicide, et le
fait est que c'en est bien un)? On s'est mis martel en tête pour en décider. Être assez
enragée de chasteté, ce bien moral, pour lui sacrifier sa vie est certainement moral ;
mais, en revanche, ne pas avoir assez de confiance en soi-même pour oser affronter
les pièges de la chair est immoral. Le conflit tragique qui fait le fond de tout drame
moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir
moralement pour être capable de s'y intéresser.
Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide
n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa
vie à l'Homme, à l'humanité, au genre humain. C'est seulement quand je ne me
reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon
affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! »
Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non
seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne
pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout
en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui.
L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette
idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se
l'est-on représenté ? Le Mahométan croit que l'Être suprême exige de lui une chose et
le Chrétien croit qu'il en réclame une tout autre : quel aspect différent la vie doit leur
présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à
diriger leur vie.
Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa
parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une
faune éteinte et leur immobilité est celle des pétrifications. Ce ne sont plus aujourd'hui
les pieux mais bien les libéraux qui ont le verbe haut, et la piété elle-même ne
peut plus se dispenser de rougir quelque peu ses joues blêmes de fard libéral. Les
libéraux n'honorent point en Dieu leur guide et ne suspendent point leur vie au fil
conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie
« divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent.
L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité
est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat
final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs
de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit.
Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux
talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation.
Vocation — destination — devoir !
Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui
qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des
chefs-d'oeuvre en lui interdisant les longues mais indispensables études préliminaires ;
mais il fera des vers, qu'il soit valet de ferme ou qu'il ait la chance de vivre à la cour
de Weimar. Le musicien fera de la musique, dût-il, faute d'instrument, souffler dans
un roseau. Une tête philosophique roulera des problèmes, qu'elle orne les épaules d'un
philosophe d'université ou d'un philosophe de village. Enfin l'imbécile, qui peut être
en même temps un « malin » (les deux vont très bien ensemble, quiconque a
fréquenté les écoles en retrouvera dans sa mémoire plusieurs exemples, s'il passe en
revue ses anciens condisciples), l'imbécile, dis-je, restera toujours un imbécile, soit
qu'on l'ait dressé et exercé à être chef de bureau ou à cirer les bottes dudit chef. Les
cerveaux obtus forment la classe humaine incontestablement la plus nombreuse. Mais
pourquoi n'y aurait-il pas dans l'espèce humaine les mêmes différences qu'il est
impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout
des êtres plus ou moins bien doués.
Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques
idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir
de la religion. Ils sont, de plus, susceptibles d'être, dans une certaine mesure, dressés à
d'autres idées, et on peut leur donner, par exemple, quelque compréhension musicale,
une teinte de philosophie même. Ici le sacerdoce se lie à la religion, à la moralité, à la
culture, à la science, etc., et les Communistes, par exemple, veulent par leur « école
populaire » rendre tout accessible à tous. On soutient ordinairement que la « grande
masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation
et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout.
Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de
« tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus
étendu.
Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à
votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des
montreurs d'ours, et que vous appreniez à faire des tours dont vous n'eussiez jamais
de la vie senti le besoin. Cela ne finit-il pas par vous révolter, de voir qu'on vous
prend toujours pour autre chose que ce que vous voulez paraître ? Non ! Vous répétez
mécaniquement la question qu'on vous a soufflée : « À quoi suis-je appelé ? Quel est
mon devoir ? » Et il suffit que vous posiez la question pour qu'aussitôt la réponse
s'impose à vous : vous vous ordonnez ce que vous devez faire, vous vous tracez une
vocation, ou vous vous donnez les ordres et vous vous imposez la vocation que
l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je
veux ce que je dois.
Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation »
que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une
« vocation » mais elle s'efforce de jouir du monde et de le consommer tant qu'elle
peut, c'est-à-dire qu'elle puise autant de sucs de la terre, autant d'air de l'éther et autant
de lumière du soleil qu'elle en peut absorber et contenir. L'oiseau ne vit pas pour
remplir une vocation, mais il emploie ses forces le mieux possible, il attrape des
insectes et chante à coeur joie. Les forces de la fleur et de l'oiseau sont faibles,
comparées à celles d'un homme, et l'homme qui bande ses forces pour conquérir le
monde l'étreint bien plus puissamment que ne le font la fleur et l'oiseau. Il n'a pas de
vocation ou de mission à remplir, mais il a des forces, et ces forces se déploient, se
manifestent, où elles sont parce que, pour elles, être, c'est se manifester, et qu'elles ne
peuvent pas plus rester inactives que ne le peut la vie, qui, si elle « s'arrêtait » une
seconde, ne serait plus la vie. On pourrait donc crier à l'homme : emploie ta force !
Mais cet impératif impliquerait encore une idée de devoir là où il n'y en a pas l'ombre.
Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir
dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance.
On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que
si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles,
par exemple), il l'eût fait : il n'a eu peut-être qu'une minute de découragement,
mais ce fut là, en somme, une minute d'impuissance. Les forces peuvent évidemment
s'aiguiser et se multiplier, particulièrement par les bravades de l'ennemi ou par des
exhortations amies: mais là où elles restent sans effet, on peut être certain qu'elles
manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas
d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ».
Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de
les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la
vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force
n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ».
Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a
toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je
remplis ma mission et me conforme à ma destination que je suis un « véritable homme
»; j'en suis un, j'en ai toujours été et ne saurais cesser d'en être un. Mon premier
vagissement fut le signe de vie d'un « véritable homme », les combats de ma vie sont
les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le
dernier effort de l' « Homme ».
Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel
on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi
que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute,
dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme.
Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité
religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même
ma propriété. Tout ce qu'on attribuait à l'idée d’humanité m’appartient. Cette liberté
de commerce, par exemple, que l’humanité est encore à espérer et que l’on remet à un
avenir doré comme un rêve enchanté, je l'emporte comme ma propriété et je la
pratique provisoirement sous la forme de la contrebande. Peu de contrebandiers, j'en
conviens, pourraient interpréter ainsi leur conduite, mais l'instinct de l'égoïsme
supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même
de la liberté de la presse.
Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant
tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais
cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle.
En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de
départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore
étranger à moi, je suis mon essence, ma « véritable nature intime », et cette « essence
vraie » prendra comme un fantôme mille noms et mille formes diverses pour se
jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai
dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi.
Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas
atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle,
doit être sacrifiée ; ce qu'il y a de vrai en moi, c'est-à-dire l'Esprit, doit être
tout l'homme. Cela se traduit ainsi : « L'esprit est l'essentiel chez l'homme » ou :
« L'homme n'est Homme que par l'esprit. » On se précipite avidement pour saisir
l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au
moi on perd de vue le moi que l'on est.
Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle
des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les
prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste
de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes
éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables[3]
Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si
tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des
frères », la vie serait un paradis ! — Eh ! mais, les hommes sont comme ils doivent
être et comme ils peuvent être. Que doivent-ils être ? Ce qu'ils peuvent être et rien de
plus ! Et que peuvent-ils être ? Rien de plus que ce qu'ils — peuvent, c'est-à-dire que
ce qu'ils ont le pouvoir ou la force d'être. Mais cela, ils le sont réellement, attendu que
ce qu'ils ne sont pas, ils ne sont pas capables de l'être : car être capable de faire ou
d'être veut dire faire ou être réellement. On n'est pas capable d'être ce qu'on n'est pas,
on n'est pas capable de faire ce qu'on ne fait pas. Cet homme que la cataracte aveugle
pourrait-il voir ? Certainement, il suffirait qu'il fût opéré avec succès. Mais, pour le
moment, il ne peut pas voir, parce qu'il ne voit pas. Possibilité et réalité sont inséparables.
On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne
peut pas faire.
La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les
mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que
« je puis imaginer que..., etc. ». Par exemple : « Il est possible que tous les hommes
vivent raisonnablement »veut dire : « Je puis m'imaginer que...,etc. » Ma pensée ne
peut faire, et par conséquent ne fait pas, que les hommes vivent raisonnablement; c'est
là une chose qui ne dépend pas de moi mais d'eux ; la raison de tous les hommes n'est
donc pour moi que pensable, elle ne m'est, qu'intelligible ; mais comme telle elle est
en fait une réalité ; si cette réalité prend le nom de possibilité, ce n'est que par rapport
à ce que je ne puis pas faire, c'est-à-dire à la raison des gens. À supposer que cela
dépendît de toi, tous les hommes pourraient être raisonnables, car tu n'y vois aucun
inconvénient, et si loin même que s'étende ta pensée tu ne découvres peut-être rien
qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée :
elle est pensable.
Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne
peuvent pas l'être.
Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible,
etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et
qu'elle est — impossible. Notre époque a son art, sa science, etc.; il se peut que son
art soit exécrable, mais pouvons-nous, dans ce cas dire : Nous méritions d'en avoir un
meilleur, et nous « aurions pu » en avoir un meilleur si nous l'avions voulu ? Nous
avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement
l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel.
Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement
plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple: Il est possible que le soleil se lève demain, — cela ne signifie rien de plus que : par
rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer
qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru.
À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce
n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le
plus de conséquences, si ce petit mot « possible » n'était pas dans la cervelle des
hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne
nous serions guère inquiété de lui !
La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons
à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre
que pensable, intelligible, et d'innombrables victimes ont été sacrifiées à ce terrible
intelligible. Il est pensable que les hommes puissent être raisonnables, il est pensable
qu'ils puissent reconnaître le Christ, pensable qu'ils puissent être inspirés par le Bien
et être moraux, pensable qu'ils puissent se réfugier dans le giron de l'Église, qu'ils
puissent ne rien faire, ne rien penser et ne rien dire qui mette l'État en péril, il est
pensable encore qu'ils puissent être des sujets obéissants. Mais voyez où cela va nous
mener : Tout cela étant pensable est possible, et cela étant possible aux hommes
(c'est, ici qu'est l'erreur : parce que ce m'est intelligible, c'est possible aux hommes) ils
doivent l'être ou doivent le faire, c'est leur vocation. Et, enfin, il ne faut rien voir dans
les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et
les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ».
Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une
pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais
ce qu'un point à la craie est au point mathématique, ce qu'une créature finie est au
Créateur infini, ou, en termes plus modernes, ce que l'exemplaire est à l'espèce. D'où
le culte de l'Humanité « éternelle », « immortelle », à la gloire de laquelle (ad
majorem humanitatis gloriam) l'individu doit être prêt à tout sacrifier, convaincu que
ce serait pour lui un « éternel honneur » d'avoir fait quelque chose pour l' « esprit de
l'humanité ».
Il en résulte que ceux qui pensent gouvernent le monde tant que dure l'époque des
prêtres et des pédagogues ; ce qu'ils pensent est possible et ce qui est possible doit
être réalisé. Ils pensent un idéal humain qui n'a provisoirement de réalité que dans
leur pensée, mais ils pensent ensuite la possibilité de réaliser cet idéal, et il est
incontestable que cette réalisation est réelle...ment pensable : c'est une — idée.
Il se peut qu'un Krummacher pense que toi et moi sommes encore capables de
devenir bons chrétiens ; mais s'il s'avisait de nous « travailler » dans ce sens, nous lui
ferions bientôt sentir que notre christianisation, encore que pensable, est cependant
impossible, et s’il s’obstinait à nous assassiner de ses pensées et de sa « bonne
doctrine » dont nous n'avons que faire, il ne tarderait pas à se convaincre que nous
n'avons que faire de devenir ce qu'il ne nous plaît pas d'être.
Et le raisonnement que nous résumions tantôt se poursuit, laissant derrière lui
dévots et bigots : « Si tous les hommes étaient raisonnables, si tous pratiquaient la
justice, si tous prenaient pour guide la charité, etc.! Raison, Justice, Charité leur sont
présentées comme la vocation de l'homme, comme le but où doivent tendre ses
efforts. Et que signifie être raisonnable ? Est-ce se raisonner soi-même, se comprendre
? Non, la Raison est un gros livre bourré d'articles de lois, tous braqués contre
l'Égoïsme.
L'histoire n'a été jusqu'à présent que l'histoire de l'homme spirituel. Après l'âge
des sens a commencé l'histoire proprement dite, c'est-à-dire l'âge de l'intelligence, du
spirituel, du suprasensible, de l'idéal, du — non-sens. L'homme se met alors à vouloir
être quelque chose. Être quoi ? Bon, beau, vrai, ou plus exactement moral, pieux,
noble, etc. Il veut faire de lui-même un « véritable homme »; l'Homme est son but,
son impératif, son devoir, sa destination, sa vocation, son — Idéal, l'Homme est pour
lui un futur, un au-delà. Et s'il devient ce qu'il rêve, ce ne peut être que grâce à quelque
chose qui s'appellera véracité, bonté, moralité, etc. Dès lors, il regarde de travers
quiconque ne rend pas hommage au même « quelque chose », ne suit pas la même
morale et n'a pas la même foi : il persécute les « dissidents, les hérétiques, les
sectes », etc.
Le mouton ne s'efforce pas de devenir un « vrai mouton », ni le chien un « vrai
chien »; aucun animal ne prend son être pour un devoir, c'est-à-dire pour une idée
qu'il doit réaliser. Il se réalise par là même qu'il vit sa vie, c'est-à-dire qu'il s'use et
qu'il se détruit. Il ne demande pas à devenir quelque chose d'autre que ce qu'il est. Ce
n'est pas que je veuille vous conseiller de ressembler aux animaux. Je ne le puis
d’ailleurs pas, car vous exhorter à devenir des animaux serait vous proposer de
nouveau une tâche, un idéal (« l'abeille peut t'en remontrer en application »); cela
équivaudrait à souhaiter aux animaux de devenir hommes. Votre nature est, une fois
pour toutes, humaine ; vous êtes des natures humaines, c'est-à-dire des hommes, et
c'est justement, parce que vous en êtes que vous n'avez plus besoin d'en devenir.
Certains animaux aussi peuvent être « dressés », et un animal dressé exécute toutes
sortes d'exercices qui ne lui sont pas naturels. Mais si le dressage rend le chien plus
utile ou plus agréable pour nous, il n'en tire, lui, aucun profit ; une fois chien savant, il
ne vaut pas plus pour lui-même qu'un chien naturel.
On s'efforce, et la mode n'en est pas nouvelle, de faire des hommes des êtres moraux,
raisonnables, pieux, humains, etc., c'est-à-dire de les dresser. Mais ces tentatives
se brisent contre l'incoercible individualité de l'égoïste. Ceux qu'on a soumis à cette
discipline n'atteignent jamais leur idéal ; ils ne professent qu'en paroles les sublimes
doctrines et se bornent à faire des professions de foi ; pratiquement, ils doivent bien
confesser qu'ils sont tous des « pécheurs » et qu'ils restent loin en dessous de leur
idéal ; ils sont de « faibles hommes » et ils se consolent en ayant conscience de la
« faiblesse humaine ».
Il en va tout autrement si tu ne poursuis pas un idéal comme ta « destination »,
mais que tu te consumes comme le temps consume tout. La destruction n'est pas ta
« destination », car elle est le présent.
Il est parfaitement vrai que la culture et la religiosité des hommes les ont libérés,
mais elles ne les ont délivrés d'un maître que pour les soumettre à un autre. La
religion m'a appris à réfréner mes désirs, les artifices que la science met à mon service
me permettent de vaincre la résistance du monde, et je ne reconnais même plus en
aucun homme mon maître : « Je ne suis le serviteur de personne. » Seulement, il vaut
mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. Plus je suis affranchi des impulsions déraisonnables
de l'instinct et plus docilement j'obéis à la maîtresse — Raison. J'ai gagné la
« liberté spirituelle », la « liberté de l'Esprit », et je suis devenu par là même l'esclave
de l'Esprit. L'Esprit me commande, la Raison me guide ; ils me conduisent et me
gouvernent, et les « raisonnables », les « serviteurs de l'Esprit », sont leurs ministres.
Mais si je ne suis pas chair, je ne suis pas non plus esprit. La liberté de l'Esprit est ma
servitude, parce que je suis plus que chair et plus qu'esprit.
La culture m'a rendu puissant, cela ne souffre non plus aucun doute. Elle m'a
donné un pouvoir sur tout ce qui est force, aussi bien sur les impulsions de ma nature
que sur les assauts et les violences du monde extérieur. Je sais que rien ne m'oblige à
me laisser contraindre par mes désirs, mes appétits et mes passions, et la culture m'a
donné la force de les vaincre : je suis leur — maître. De même, je suis, grâce aux
sciences et aux arts, le maître du monde rebelle ; la terre et la mer sont sous mes
ordres, et les étoiles même doivent me rendre des comptes. C'est l'Esprit qui m'a
donné cet empire. — Mais sur l'Esprit lui-même je ne puis rien. La religion (culture)
m'a bien enseigné le moyen de devenir le « vainqueur du monde », mais elle ne m'a
pas appris à vaincre Dieu, car Dieu « est l'Esprit ». Cet Esprit sur lequel je n'ai aucun
pouvoir peut prendre les formes les plus diverses, il peut s'appeler Dieu ou s'appeler
Esprit du peuple, État, Famille, Raison, ou encore Liberté, Humanité, Homme.
J'accepte avec reconnaissance ce que les siècles de culture m'ont acquis ; je ne
veux rien rejeter ou abandonner : Je n'ai pas vécu en vain. Ils ont découvert que j'ai un
pouvoir sur ma nature et que je ne suis pas forcé d'être l'esclave de mes appétits, et
c'est là un résultat appréciable que je ne dois pas laisser se perdre. Ils ont découvert
que je puis, grâce aux moyens que me fournit la culture, dompter le monde, et cette
découverte fut achetée trop cher pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus
encore.
On se demande ce que l'homme peut devenir, ce qu'il peut accomplir et quels
biens il peut acquérir, et de celui de ces biens qu'on juge plus grand on me fait une
vocation. Comme si tout m'était possible !
Lorsqu'on voit quelqu'un que consume un désir, une passion, etc. (par exemple,
l'esprit de lucre, la jalousie. etc.). on se prend à souhaiter de le délivrer de cette
obsession et de l'aider à « se vaincre ». Nous voulons faire de lui un homme ! Ce
serait fort beau. si une autre possession ne prenait pas immédiatement, la place que
vient de vider l'ancienne. Sitôt la cupidité exorcisée, on jette sa victime dans les bras
de la piété, de l'humanité ou de quelque autre principe, et on lui fournit de nouveau un
point d'appui moral fixe.
Cet échange d'un point d'appui inférieur contre un point d'appui élevé s'exprime
en disant : il ne faut pas tourner ses regards vers ce qui passe, mais vers ce qui ne
passe pas, non vers le temporel, mais vers l'éternel, l'absolu, le divin, le pur humain,
— le spirituel.
On s'aperçut bientôt qu'il n'est pas indifférent de suspendre son coeur n'importe où
et de s'éprendre de n'importe quoi ; on reconnut l'importance de l'objet. Un objet élevé
au-dessus de la particularité des choses est l'essence des choses ; leur essence, en
effet, est. seulement ce qu'il y a de pensable en elles et n'existe que pour l'homme
pensant. Ne dirige donc plus tes sens sur la chose, mais dirige tes pensées sur l'essence.
« Bienheureux ceux qui, ne voyant pas, croient », autrement dit : bienheureux
les pensants, car eux seuls ont affaire a l'invisible et y croient. Mais un objet de
penser qui passa pendant des siècles pour un critérium finit tôt ou tard par « ne plus
valoir la peine d'en parler ». On s'en rendit compte, mais on ne cessa jamais d'accorder
à l'objet une importance en soi et une valeur absolue ; comme si l'essentiel
n'était pas, pour l'enfant, sa poupée, et pour le Turc le Coran. Tant que l'important
pour moi n'est pas uniquement Moi. peu importe l'objet que je tiens pour « essentiel
» : seule, la petitesse ou la grandeur de mon crime envers lui a une valeur. La
profondeur de mon attachement et de mon dévouement témoigne de ma servitude, et
la profondeur de mon péché donne la mesure de mon individualité.
Mais il faut finalement savoir tout « chasser de sa pensée si l'on veut pouvoir —
s'endormir. Rien ne doit nous occuper, dont nous ne nous occupons pas : l'ambitieux
ne peut se défaire de ses projets d'ambition, et celui qui craint Dieu ne peut détacher
sa pensée de Dieu ; manie et obsession sont jumelles.
Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en
Dieu appelle « être pieux » et ce qu'un croyant en l'Homme appelle « vivre humainement
»; ce but, seul l'homme sensuel ou le pécheur peut se le proposer, tant qu'il a
encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l'âme, tant
qu'il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n'est qu'un homme sensuel qui, connaissant
la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur: la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le
Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais
l’ « égoïsme », l' « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc.; entre leurs mains le
Diable a changé de peau et est devenu l'« Inhumain » ou l’ « Égoïste » ; mais cela les
empêche-t-il d'être chrétiens ? Le vieux dualisme du Bien et du Mal ne reste-t-il pas
debout ? N'y a-t-il plus au-dessus de nous un juge : l'Homme ? N'est-il plus de vocation
? Et « faire de soi un Homme », comment appelez-vous ça ? Je le sais, vous ne
dites plus vocation, vous dites « tâche », ou encore « devoir », et ce changement de
nom est très juste, car l'Homme n'est pas comme Dieu une personne qui peut
« appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au
même?
Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment.
Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d'hommes ont été
en rapport depuis bientôt vingt siècles : la Bible. Qu'a-t-elle été pour chacun d'eux ?
Ce qu'il en a fait, et rien d'autre. Elle n'est rien pour celui qui n'en fait rien ; pour celui
qui en use comme d'une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d'un
charme ; pour l'enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc.
Mais le Christianisme prétend que la Bible doit être pour tous la même chose,
c'est-à-dire ce qu'elle est pour lui : les « Livres Saints » ou la « Sainte Écriture ». Cela
revient à prétendre que le point de vue du Chrétien doit être celui des autres hommes
et que personne ne peut avoir avec l'objet en question d'autres rapports que le Chrétien.
Le rapport perd ainsi toute valeur individuelle ; une certaine opinion se substitue
à la mienne, devient définitive et s'implante comme la vraie et la « seule vraie ». Avec
la libert. de faire de la Bible ce qu'il me plaît, toute liberté d'agir en général se voit
entravée et est remplacée par la contrainte d'une façon de voir et de juger obligatoire.
Celui qui émet le jugement que la Bible est une longue erreur de l'humanité porte un
jugement — criminel.
En réalité, l'enfant qui la met en pièces ou qui joue avec elle et l’Inca Atahualpa
qui y applique l'oreille et la rejette avec une moue de dédain parce qu'elle reste muette
émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes
traitent ces textes à leur guise et « en font un usage arbitraire ».
Rien ne plaît tant au philosophe que de dénicher en tout une « Idée », et rien ne va
au dévot comme de mettre tout en oeuvre (la vénération de la Bible, par exemple)
pour se faire de Dieu un ami. Nous faisons tous preuve du même arbitraire dans notre
commerce avec les choses et nous les traitons comme il nous plaît : aussi ne
rencontrons-nous nulle part une aussi pesante tyrannie, autant de violences terribles et
d'oppression stupide que dans le domaine de notre — propre arbitraire. Mais si nous
agissons à notre guise en faisant ceci ou cela des objets sacrés, comment pourrionsnous
reprocher à la prêtraille d'agir, elle aussi, à sa guise, et lui en vouloir de ce
qu'elle nous juge à sa façon, c'est-à-dire dignes du bûcher ou d'un autre châtiment —
de la censure, par exemple ?
Ce qu'un homme est, les choses le sont à ses yeux, « le monde te voit du même
oeil dont tu le contemples ». D'où, immédiatement, ce sage conseil : tu ne dois le
regarder que d'un oeil « juste et impartial ». (Comme si l'enfant ne regardait pas la
Bible avec justice et impartialité quand il s'en fait un jouet !) Feuerbach, entre autres,
nous donne ce prudent avis. Voir les choses justement, c'est tout bonnement, en faire
ce qu'on veut (par choses, j'entends ici tous les objets en général : Dieu, nos confrères
en humanité, une maîtresse, un livre, un animal, etc.); ce qu'il faut mettre en première
ligne, ce n'est pas les choses et leur aspect, mais Moi et ma volonté. On veut des
choses extraire des pensées, on veut découvrir de la raison dans le monde, on veut y
trouver de la sainteté : il en résulte que tout cela on le trouve : « Cherchez et vous
trouverez ! » Ce que je veux chercher, c'est Moi qui le détermine. Si je veux chercher
dans la Bible matière à édification, je trouverai ; si je veux la lire et l'examiner à fond,
il en résultera pour moi une connaissance et une critique profondes — d'après mes
forces.
Je choisis ce qui répond à mes intentions et par le fait même que je choisis, je
prouve mon — arbitraire.
De ceci naît cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est
l'oeuvre, la création de ma volonté ; je suis par là de nouveau averti de ne pas me
perdre dans la créature qu'est mon jugement, mais de rester le créateur qui juge et qui
toujours crée à nouveau. Tous les prédicats des objets sont mes affirmations, mes
jugements, — mes créatures. S'ils veulent, se détacher de moi et devenir quelque
chose pour eux-mêmes ou m'en imposer le moins du monde, je n'ai rien de plus
urgent, que de les faire rentrer dans leur néant, c'est-à-dire en Moi. leur créateur. Dieu
Jésus-Christ, la Trinité, la Moralité, le Bien, etc.. sont de ces créatures dont je ne dois
pas seulement me permettre de dire qu'elles sont des vérités, mais dont je dois me
permettre tout aussi bien de dire que ce sont des illusions. Si j'ai, à un moment donné,
voulu et décrété leur existence, il faut de même que je puisse, à un autre moment,
vouloir et décréter leur non-existence. Je ne puis les laisser croître par-dessus ma tête,
je ne puis avoir la faiblesse de les laisser devenir quelque chose d' « absolu » ce qui
les soustrairait à ma puissance et m'interdirait de décider souverainement, de leur sort.
Je tomberais ainsi sous le joug du principe de stabilité, du principe vital par excellence
de la Religion, qui prend à coeur de créer des « sanctuaires inviolables », des
« vérités éternelles », un « sacro-saint » en un mot, et de dépouiller chacun de ce qui
est à lui.
L’objet fait de nous des possédés : cette influence, il l'exerce aussi bien lorsqu'il
se présente à nous sous une forme sacrée que sous une forme non sacrée, et comme
objet suprasensible que comme objet sensible. À l'objet, quel qu'il soit, répond chez
nous un désir : convoitise sensuelle ou voeux idéaux, soif de l'or et aspiration vers le
ciel doivent être mis sur la même ligne. Alors que les propagateurs de la lumière
voulaient gagner les gens au monde sensible. Lavater prêchait l'appétit de l'invisible.
Les uns veulent émouvoir et les autres mouvoir.
Chacun se fait des objets une idée particulière. Dieu, Jésus-Christ, le monde, etc.,
ont été et seront conçus des façons les plus diverses. Chacun est en cela « hétérodoxe
», et il a fallu des guerres sanglantes avant que des vues opposées sur un même
objet en vinssent à ne plus être jugées des hérésies qui méritaient la mort. Les
hétérodoxes se tolèrent. Mais pourquoi me borner à penser autrement au sujet d'une
chose, pourquoi ne pas pousser l'hétérodoxie à ses dernières limites et ne plus rien
penser de cette chose, la supprimer de ma pensée ? Ce serait la fin de toute interprétation,
parce que plus rien ne serait à interpréter. Pourquoi dire : « Dieu n'est pas
Brahma, n'est pas Jéhovah, n'est pas Allah, mais est — Dieu », et ne pas dire : « Dieu
n'est, rien qu'une illusion »? Pourquoi me flétrit-on quand je suis un « négateur de
Dieu »? Parce qu'on met la créature au-dessus du créateur (« Ils honorent et servent
plus la créature que le créateur [4]»)et qu'on a besoin qu'un objet règne pour que le
sujet serve humblement. Je dois me courber sous l'Absolu, c'est mon devoir.
Par le royaume de « royaume des pensées », le Christianisme s'est complété ; la
pensée est cette intériorité dans laquelle s'éteignent toutes les lumières du monde, où
toute existence devient inexistante et où l'homme intérieur (le cerveau, le coeur)
devient tout. Ce royaume des pensées attend sa délivrance, il attend comme le sphinx
qu'OEdipe résolve l'énigme et lui permette d'entrer dans la mort. Je suis son destructeur,
car dans mon royaume, dans le royaume du créateur, il ne peut plus se former de
royaumes propres et d'États dans l'État : il est une création de ma créatrice — absence
de pensée. Le monde chrétien, le Christianisme et la Religion en général ne peuvent
périr qu'avec le monde pensant ; ce n'est que du jour où les pensées passeront qu'il n'y
aura plus de croyants. Pour celui qui pense, le penser est « un labeur sublime, une
activité sacrée », et repose sur une foi solide, la foi dans la vérité. C'est d'abord la
prière qui est une sainte activité, puis ce saint « recueillement » devient un « penser »
raisonnable et raisonnant, qui, toutefois, conserve-lui aussi comme base l'inébranlable
foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité
remonte pour son service.
La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis
libre et qui m'occupe, mais la pensée) — du ciel et du céleste ou « divin », c'est-àdire,
en réalité, du monde et du mondain, avec cette réserve que ce monde en est
devenu un « autre »; le monde a simplement subi un déplacement, une aliénation, et
je m'occupe de son essence, ce qui est une autre aliénation. Celui qui pense est
aveugle envers les choses qui l'entourent et inapte à s'en rendre maître ; il ne mange,
ni ne boit, ni ne jouit, car manger et boire n'est jamais penser ; il néglige tout, son
avancement dans le monde, le soin de sa conservation, etc., pour penser. Il l'oublie
comme l'oublie celui qui prie. Aussi le vigoureux fils de la nature le regarde-t-il
comme un cerveau détraqué, comme un fou, alors même qu'il le tient pour un saint ;
c'est ainsi que les Anciens tenaient les frénétiques pour sacrés. La pensée libre est
une frénésie, une folie, attendu qu'elle est un pur mouvement de l'être intime, du seul
homme intérieur qui conduit et, régit le reste de l'homme. Le chaman et le philosophe
spéculatif sont les échelons extrêmes de l'échelle de l'homme intérieur, — du
mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des
Esprits, des Dieux.
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je
lance ou retiens à mon gré. Cette pensée, ma propriété, diffère autant de la pensée
libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son
hostilité contre Hegel et la philosophie de l'Absolu, plongé jusqu'au cou dans
l'abstraction, car l' « être » est une abstraction, juste comme le « moi ». Mais Moi qui
suis, et Moi seul, je ne suis pas purement une abstraction, je suis tout dans tout et par
conséquent je suis même abstraction et rien, je suis tout et rien. Je ne suis pas une
simple pensée, mais je suis plein, entre autres choses, de pensées, je suis un monde
de pensées. Hegel condamne tout ce qui m'est propre, mon avoir et mon — avis
privés. La « pensée absolue » est celle qui perd de vue qu'elle n'est que ma pensée,
que c'est Moi qui la pense et qu'elle n'existe que par Moi. En tant que je suis Moi je
dévore ce qui est mien, j'en suis le maître ; la pensée n'est que mon opinion, opinion
que je puis à tout moment changer, c'est-à-dire anéantir, faire rentrer en moi et consommer.
Feuerbach veut démolir la « pensée absolue » de Hegel grâce à l’être
invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ».
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il
est positif que je ne puis pas penser si je ne suis pas un être sensible ; seulement,
pour la pensée comme, pour la sensation, pour l'abstrait comme pour le concret, j'ai
avant tout besoin de Moi, et quand je dis moi, j'entends ce moi parfaitement déterminé
que je suis, Moi l'unique. Si je n'étais pas un tel, si je n'étais pas Hegel, par
exemple, je ne contemplerais pas le monde comme je le contemple, je n'y trouverais
pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais.
Feuerbach reproche à Hegel [5] d'abuser de la langue en détournant une foule de
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi
éminent qu'inusité. C'est ainsi qu’il déclare (p. 69) que « le sensible n’est pas le
profane l’irréfléchi, le patent, ce qui se saisit à première vue ». Mais si c'est le sacré,
le réfléchi, le caché, si c'est ce qui ne se comprend qu'à force de réflexion, ce n'est
plus ce qu’on appelle le sensible. Le sensible n'est que ce qui est pour les sens ; ce
dont ceux-là seuls peuvent jouir qui jouissent par plus que les sens et qui dépassent la
jouissance ou la conception sensible a tout au plus les sens pour intermédiaires et
pour véhicules, c’est-à-dire que les sens sont la condition de son obtention, mais qu'il
n'est plus rien de sensible. Le sensible, quel qu’il soit, cesse d'être sensible en
pénétrant en moi, quoiqu'il y puisse de nouveau avoir des effets sensibles tels que, par
exemple, d'exciter mes passions et de faire bouillir mon sang.
Feuerbach réhabilite les sens ; c'est fort bien mais il ne sait qu'affubler le matérialisme
de sa « philosophie nouvelle » de la défroque qui était jusqu'à présent la propriété
de la « philosophie de l'absolu ». Les gens ne se laisseront pas plus persuader
qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain.
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en
moi, car je suis espace comme la rue.
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien »,
que ce dispensateur s'appelle Dieu, le Pape, l'Église ou n'importe comment. Si quelqu'un
d'eux nourrit des pensées illégitimes, il doit les dire à l'oreille de son confesseur
et se laisser imposer par lui pénitences et mortifications jusqu’à ce que le fouet à
esclaves devienne intolérable à ces libres pensées. L'esprit de corps a d'ailleurs encore
recours à d'autres procédés afin que les libres pensées n'éclosent pas du tout ; au
nombre de ces moyens vient en première ligne une éducation appropriée. Celui qu'on
a convenablement imprégné des principes de la morale ne redevient jamais libre de
pensées morales : le vol, le parjure, la tromperie, etc., restent pour lui des idées fixes
contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui
viennent « d'en haut » et il s'en tient là.
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit.
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la
concession d'une faculté de penser, il n'a que faire d'un privilège spécial. Comme
« tous les hommes sont doués de raison », chacun est libre de se mettre en tête
n'importe quelle pensée et d'amasser d'après la patente de ses capacités naturelles une
plus ou moins grande richesse de pensées. Et l'on vous exhorte à « respecter toutes les
opinions et toutes les convictions », on affirme que « toute conviction est légitime »,
qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc.
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pensées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi
appeliez ces pensées les vôtres : elles n'en restent pas moins les miennes ; mon
attitude à leur égard est mon affaire et non une permission que je m'arroge. Il peut me
plaire de vous laisser à vos pensées, et je me tairai. Croyez-vous que les pensées
soient comme des oiseaux, et qu'elles voltigent si librement que chacun n'ait qu'à en
saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ?
Tout ce qui vole est — à moi.
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne,
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ;
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir.
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une
perte pour moi, une déchéance. La pensée n'est à moi que du moment que c'est moi
qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et
faire de moi l'instrument de sa réalisation.
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes
maîtres. Tant que la pensée est libre, ce sont les pensées (les Idées) qui règnent ; mais
si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes
créatures.
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme,
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de
sens que, par exemple, « liberté de digérer ».
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ;
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà
trouvée et existante, je n'ai qu'à en — accuser réception au donateur qui me fait la
grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre.
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain
(mérite personnel). Donc : 1o La vérité est un privilège ; 2o Non, le chemin qui y mène
est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession.
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ;
en tant qu'unique, il est un tel Sixte, un tel Clément, etc., et en tant que Sixte ou
Clément il ne possède pas la vérité : s'il en est dépositaire, c'est comme « Saint-
Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés).
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est
alors dans le droit chemin (tous les chemins mènent à Rome, au bout du monde, etc.).
Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ?
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur
d'une « constitution » absolue. Dans l'État, par exemple, il poursuit l'idée jusqu'à ce
qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il
ait « découvert l'Homme ».
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui
qui pense recourt à mille dogmes là où le croyant s'en tire avec quelques-uns ; mais il
met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut.
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils
disent : « Si cela vient de la Vérité, c'est vrai »; au lieu de : « Rendez hommage à
Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi.
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre
lui-même en danger par une liberté illimitée, par ce qu'on appelle la licence effrénée.
L'État, en proclamant la « liberté de l'enseignement », proclame simplement que quiconque
enseigne comme le veut l'État ou plus exactement comme le veut le pouvoir
de l'État est dans son droit. La concurrence est également soumise à ce « comme le
veut l'État »: si le clergé, par exemple, ne veut pas comme l'État, il s'exclut lui-même
de la concurrence (voir ce qui s'est passé en France). Les bornes que met nécessairement
l'état à toute concurrence sont appelées « la surveillance et la haute direction
de l'État ». Par le fait même qu'il maintient la liberté de l'enseignement dans les
limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé.
Écouter ce que dit le ministre Guizot [6]: « La grande difficulté de notre temps,
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle
destination. L'État a besoin qu'un grand corps laïque (l'Université)... tenant de l'État
son pouvoir, sa direction, exerce sur la jeunesse cette influence morale qui la forme à
l'ordre, à la règle, et sans laquelle..., etc. » « C'est notre devoir à nous, Gouvernement
du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de
conscience. »
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge [7]: que
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle.
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul
individu ? Est-ce la généralité (État, Lois, Moeurs, Moralité, etc.) ou l'individualité qui
autorise ? Questions oiseuses ! Le problème n'est soluble, et résolu, que lorsqu'on ne
s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux
« privilèges ».
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience
de la raison [8] », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible,
cela seul est « raison », quelque déraisonnable que je sois ; si je me fais comprendre
et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en
jouis et me consommeront comme je me consomme.
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ?
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis
toujours été l'idéal du monde chrétien. On voulait rendre libre le penser — et, comme
nous l'avons dit, le croire aussi est penser, comme le penser est croire ; — ceux qui
pensent, c'est-à-dire aussi bien ceux qui croient que ceux qui raisonnent, devaient être
libres, pour les autres la liberté était impossible. Mais la liberté de ceux qui pensent
est la « liberté des enfants de Dieu », c'est la plus impitoyable — hiérarchie ou
domination de la pensée : car je succombe sous la pensée. Si les pensées sont libres,
j'en suis dominé, je n'ai sur elles aucun pouvoir et je suis leur esclave. Mais je veux
jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ;
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser.
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis
homme. Et, en réalité, en tant qu'homme, je n'ai que des pensées, tandis que, en tant
que Moi, je suis en outre sans pensée. Pour autant qu'on ne peut se dégager d'une
pensée, on n'est, rien qu'homme, on est l'esclave de la langue, cette production des
hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes.
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement
pendant ton sommeil que tu es sans pensée ni parole ; tu l'es dans les plus
profondes méditations, et c'est même justement alors que tu l'es le plus. Et ce n'est
que par cette absence de pensée, par cette « liberté de penser » méconnue ou liberté
vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user
du langage comme de ta propriété.
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de
mon penser n'est pas une pensée, mais est Moi ; aussi suis-je également son but, et
tout son cours n'est-il que le cours de ma jouissance de Moi. Le commencement du
penser absolu ou libre est, au contraire, le penser libre lui-même, et le tout est, dure
besogne, de faire remonter ce commencement à la suprême, la primordiale abstraction
(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide.
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ».
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur,
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute
crédulité que soit le penser absolu, son scepticisme a des bornes, et il lui reste la foi à
la vérité, à l'esprit, à l'Idée et à sa victoire finale : il ne pèche pas contre le Saint-
Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux
esprits et aux fantômes.
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le
penser est notre vision des essences (pensées). Les essences existent en tout ce qui est
sensible, et particulièrement dans le « verbe ». Le pouvoir des mots succède au pouvoir
des choses ; on est d'abord contraint par les verges, on l'est plus tard par la
conviction. La puissance des choses est vaincue par notre courage, notre esprit ;
contre la puissance d'une conviction, donc d'un mot, les chevalets et le billot perdent
leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent
aux pièges de Satan.
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance,
je m'élève au-dessus d'elles, je suis sur-vrai comme je suis sur-sensible. Les
vérités me sont aussi indifférentes, aussi banales que les choses ; elles ne m'attirent ni
ne m'enthousiasment. Il n'est, pas une vérité, que ce soit le Droit, la Liberté, l'Humanité,
etc., qui ait une existence indépendante de moi et devant laquelle je m'incline.
Elles sont des mots, et rien que des mots, comme pour le Chrétien toutes les choses ne
sont que « vanités ». Dans les mots et dans les vérités (chaque mot est une vérité, et,
comme Hegel le soutient, il n'est pas possible de dire un mensonge), il n'y a point de
salut pour Moi, pas plus qu'il n'y a de salut pour les Chrétiens dans les choses et dans
les vanités. Pas plus que les richesses de ce monde, les vérités ne peuvent me rendre
heureux. Le tentateur n'est plus Satan, mais l'Esprit, et celui-ci ne nous séduit pas au
moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de
l'idée ».
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés.
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte];
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la
logique, la science, la philosophie.
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger.
Les vérités sont les pensées des hommes traduites en mots, et c'est ce qui fait
qu'elles n'ont pas moins d'existence que les autres choses, bien qu'elles n'existent que
pour l'esprit ou le penser. Elles sont des productions des hommes et des créatures
humaines ; si on fait des révélations divines, elles me deviennent étrangères et,
quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de
création.
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ».
Beaucoup, il est vrai, font subir aux pensées une épreuve préalable et n'en élisent
aucune pour maître sans critique ; mais ils rappellent par là le chien qui va flairer les
gens pour sentir « son maître »: ils s'adressent toujours aux pensées régnantes. Le
Chrétien peut indéfiniment réformer et bouleverser les idées qui dominent depuis des
siècles, il peut même les détruire, mais ce sera toujours pour tendre vers un nouveau
« principe » ou un nouveau maître ; toujours il érigera une plus haute ou plus « profonde
vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à
la souveraineté et établira une loi pour tous.
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable,
il y a une foule de problèmes difficiles à résoudre, sans être venu à bout desquels tu
n'iras pas loin. Dis-toi bien que ce ne t'est nullement un devoir ou une vocation de
t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets.
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le
devoir de penser ou de croire. On peut lui dire : tu ne vas pas assez loin, ta curiosité
est bornée et timide, tu ne vas pas au fond des choses, bref, tu ne t’en rends pas
complètement maître ; mais d'autre part, si loin que tu sois arrivé, tu es toujours au
bout de tâche, aucune vocation ne t'appelle à pousser plus loin, et tu es libre de faire
comme tu veux ou comme tu peux. Il en est de la pensée comme de toute autre
besogne que tu peux abandonner quand t'en passe l'envie. De même, lorsque tu ne
peux plus croire une chose, tu n'as pas à te forcer à y croire et à continuer à t'en
occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes
- tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé.
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion,
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême
de l'humanité », aucune « cause sacrée » ne vaut que tu la serves et que tu t'en
occupes pour l'amour d'elle ; ne lui cherche d'autre valeur que dans ce qu'elle vaut
pour toi. Rappelle par ta conduite la parole biblique : « Soyez comme des enfants »;
les enfants n'ont pas d'intérêts sacrés et n'ont aucune idée d'une « bonne cause ». Ils
en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver.
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot
la Hiérarchie, durera aussi longtemps que les prêtres auront la parole — les prêtres,
c'est-à-dire les théologiens, les philosophes, les hommes d'État, les philistins, les
Libéraux, les maîtres d'école, les domestiques, les parents, les enfants, les époux,
Proudhon, George Sand, Bluntschli, etc. La Hiérarchie durera tant qu'on croira à des
principes, tant qu'on y pensera ou même qu'on les critiquera, car la critique, même la
plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au
nom d'un principe.
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable »
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps,
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique.
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force.
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert
à cet Être et s'exerce en sa faveur ; si je suis possédé de la foi en un « État libre », je
critique tout ce qui s'y rapporte au point de vue de sa concordance, de sa convenance
pour l'État libre, car j'aime cet État ; si je suis un critique pieux, tout se divisera pour
moi en deux classes, le divin et le diabolique, la nature entière sera faite à mes yeux
de traces de Dieu ou de traces du Diable (de là les lieux-dits Gottesgabe, don de Dieu,
Gottesberg, montagne de Dieu, Teufelskanzel, chaire du Diable, etc.), les hommes se
partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc.
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament :
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon [9]» Le « bon » est la pierre de
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe.
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure.
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout
le reste, c'est-à-dire qu'on l'y mesurera et le critiquera d'après lui. En d'autres termes,
ceci revient à dire que le penser doit commencer avec quelque chose de déjà pensé. Si
le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet,
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même.
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables
erreurs. Les Hégéliens s'expriment toujours comme si le penser pensait et agissait ; ils
en font l' « esprit pensant », c'est-à-dire le penser personnifié, le penser devenu fantôme.
Le Libéralisme critique, de son côté, vous dira : La « Critique » fait ceci ou cela,
ou bien : La « conscience » juge de telle ou telle façon. Mais si vous tenez le penser
pour ce qui agit personnellement, ce penser lui-même devra être supposé ; si vous
tenez la Critique pour agissante, une pensée encore doit en être l'antécédent. Le
penser et la Critique, pour être par eux-mêmes actifs, devraient être l'hypothèse même
de leur activité, vu qu'ils ne peuvent être actifs sans être. Et le penser, en tant que
« supposé », est une pensée fixe, un dogme ; il en résulte que le penser et la Critique
ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une
hypothèse.
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable
« liberté de pensée », la « libre pensée », le « libre Esprit ». La « vraie » Critique, que
j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique,
car elle n'est pas ma propriété.
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour
hypothèse le « penser », mais Toi. Ainsi donc, tu t'es supposé ? Oui, mais ce n'est pas
à moi que je me sup-pose, c'est à mon penser. Avant mon penser, Je suis. Il s'ensuit
que nulle pensée ne précède mon penser ou que mon penser n'a pas d'hypothèse. Car
si je suis une supposition par rapport à mon penser, cette supposition n'est pas l'oeuvre
du penser, elle n'est pas sub-pensée, mais est la position même du penser, et son
possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ».
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les
conséquences pratiques qui en découlent sont graves.
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il
veut servir ; aussi ne fait-il à son dieu que des hécatombes de fausses idoles. Ce qu'il
fait pour l'amour de cet être n'est qu'une — oeuvre de l'amour. Mais Moi, quand je
critique, je n'ai pas seulement en vue mon but, je me procure en outre un plaisir, je
m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me
borne à en respirer le parfum.
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être
suprême [10]» ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité »
continue à resplendir alors que le monde des dieux est rentré dans la nuit, parce
qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité
même.
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par
rapport à toi, ce qui n'est pas à toi et n'est pas en ton pouvoir. Mais la vérité est aussi
ce qui n'a pas d'existence par soi-même, ce qui est impersonnel, irréel et incorporel ;
la vérité ne peut se manifester comme tu te manifestes, elle ne peut se mouvoir, ni
changer, ni se développer ; la vérité attend et reçoit tout de toi, et n'est même que par
toi, car elle n'existe que — dans ta tête. Tu conviens que la vérité est une pensée, mais
tu n'admets pas que toute pensée en soit une vraie ; tu dis, pour m'exprimer comme
toi, que chaque pensée n'est pas vraiment et réellement une pensée. Et à quoi
reconnais-tu la vraie pensée ou la pensée vraie ? À ton impuissance, c'est-à-dire à ce
que tu n'as aucune prise sur elle ! Quand elle te vainc, t'enthousiasme et t'entraîne, tu
la tiens pour vraie. Sa domination sur toi t'est la preuve de sa vérité ; lorsqu'elle te
violente et que tu en es possédé, tu es content, tu as trouvé ton — seigneur et maître.
Quand tu cherchais la vérité, qu'appelait ton coeur ? Un maître ! Tu ne tendais pas
vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur
notre Dieu »).
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il
n'est qu'esprit, et partout où tu crois le découvrir, tu n'aperçois qu' — un fantôme ; le
Seigneur n'est qu'une pensée, et ce n'est que le tourment, l'angoisse du Chrétien qui
voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres.
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle
n'est rien. Sans doute, toi aussi tu t'enquiers de la vérité, toi aussi tu « critiques »;
mais tu ne t'enquiers pas d'une « vérité supérieure », c'est-à-dire plus haute que toi, et
tu ne critiques pas suivant le critérium d'une telle vérité. Tu ne t'adresses aux pensées
et aux représentations comme aux phénomènes du monde extérieur que dans le but de
les conformer à ton goût, de te les rendre agréables et de te les approprier ; tu ne veux
que t'en rendre maître et devenir leur possesseur ; tu veux t'y orienter et t'y sentir chez
toi, et tu les trouves vraies ou les vois sous leur vrai jour quand elles ne peuvent plus
t'échapper, quand il ne leur reste rien d'insaisi, rien d'incompris, ou que tu en jouis et
qu'elles sont ta propriété. S'il arrive qu'elles te deviennent des servantes moins empressées,
qu'elles se dérobent de nouveau à ton empire, ce sera le signe de leur
fausseté, c'est-à-dire de ton impuissance. Ton impuissance est leur puissance, ton
abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été
enlevée, ils deviennent ma propriété et qu'on ne dise plus : la vérité grandit, gouverne,
l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte,
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de
la désirer. Je ne me propose pas de me mettre au service de la vérité ; elle n'est qu'un
aliment pour mon cerveau pensant, comme la pomme de terre en est un pour mon
estomac digérant ou l'ami pour mon coeur sociable. Tant que j'ai le goût et la force de
penser, toute vérité ne me sert qu'à la façonner autant qu'il m'est possible. La vérité
est pour moi ce que la mondanité est pour les Chrétiens, « vaine et frivole ». Elle n'en
existe pas moins, de même que les choses du monde continuent à exister quoique le
Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature.
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée
vous pouvez découvrir d'innombrables vérités, et nous nous en réjouirons de tout
coeur. Mais je ne consentirai jamais à me faire l'esclave de vos machines nouvelles, je
n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles.
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de
vérité au-dessus de moi, car au-dessus de Moi, il n'y a rien. Ni mon essence, ni
l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la
cuve », de cet être « infime »!
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui
n'est qu'à elle. Vous accordez cependant que chaque époque eut sa vérité ? Mais par
là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une.
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit
dire que chaque époque eut sa « vérité de foi », et il est un fait, c'est qu'on n'en a
jamais vu aucune où l'on ne reconnût une « vérité suprême » devant laquelle on se
croyait obligé de s'incliner comme devant la « souveraine majesté ». La vérité d'une
époque en est l'idée fixe ; lorsqu'un jour vient où l'on trouve une autre vérité, on ne la
découvre que parce qu'on en cherchait une autre : on ne faisait que réformer sa folie et
l'habiller à neuf. Car on voulait être « inspiré » par une idée, on cherchait à être
dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence
» ou l' « Homme ».
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre,
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association,
faux sont l'État et la société [11]. La « libre et vraie » critique travaille à la domination logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de
l'animal critiquant ; je ne vois dans mes affaires que moi et non elles. Je suis le
critérium de la Vérité, mais je ne suis pas une idée, je suis plus qu'une idée, car je
dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre.
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu
vérifies si l'objet te convient.
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les
fantômes, mais elle ne peut le faire qu'en les tenant pour des fantômes. Les Idées
auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les
met pas en fuite.
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à
l'homme corporel, ni son humanité, ni la liberté, etc. Il s'en tient toujours à une
« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ».
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi,
le corporel, qui l'ai.
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure
où elle est idée, c'est-à-dire pour autant que je la pense ou que je l'ai. Ce n'est pas
l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui,
en se développant, développent naturellement aussi leur penser.
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas
propriétaire de ses » mauvais désirs » aussi longtemps qu'il a à s'en défendre : pour
celui qui combat le vice, le vice existe.
La critique reste embourbée dans la « liberté de l'entendement », dans la liberté de
l'esprit ; et l'esprit gagne vraiment sa liberté lorsqu'il s'emplit de la pure, de la vraie
idée ; telle est la liberté de penser, qui ne peut être sans pensées.
La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement.
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais
l'idée, le général, que je dois mettre en valeur.
La guerre du clergé contre l'égoïsme et des spirituels contre les mondains forme
tout le contenu de l'histoire chrétienne. Dans la critique contemporaine, cette guerre
ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il
exhale sa rage avant de disparaître.
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis,
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats
qu'il vous plaira, je m'en moque.
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant,
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce
que ces pensées ou ces actions ne sont pas conformes au Christianisme, ce n'est pas
parce qu'elles portent atteinte aux éternels droits de l'Homme ou sont un soufflet à
l'idée d'Humanité ; non, — c'est qu'elles ne sont plus conformes à Moi, c'est qu'elles
ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de
matériel devant lequel je ne ressens plus la terreur du sacré. Désormais je ne frissonnerai
plus d'horreur à aucune pensée, quelque téméraire ou « diabolique » qu'elle
paraisse, car, pour peu qu'elle me devienne trop importune et désagréable, sa fin est
en mon pouvoir ; et désormais je ne m'arrêterai plus en tremblant devant une action
parce que l'esprit d'impiété, d'immoralité ou d'injustice y habite, pas plus que saint
Boniface ne s'abstint par scrupule religieux d'abattre les chênes sacrés des païens.
Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les
pensées de l'esprit.
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel,
etc.), aucune foi n'est sacrée. Pensées, sentiments, croyances sont révocables et sont
ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la
crée.
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de
lui-même, c'est-à-dire, au sens chrétien, de son esprit, de son âme. Le propriétaire
peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure.
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré
et rompu avec quelque sainte pensée ou quelque sainte croyance ; mais nous ne rencontrerions
personne qui ne pût encore s'affranchir de l'une ou de l'autre de ses pensées
sacrées. Chaque fois que nous nous attaquons à une conviction, nous partons de
l'opinion que nous sommes capables de chasser, pour ainsi dire, l'adversaire des
retranchements de sa pensée. Mais ce que je fais inconsciemment, je ne le fais qu'à
moitié ; aussi, après chaque victoire sur une croyance, redeviens-je le prisonnier (le
possédé) d'une nouvelle croyance, qui me reprend tout entier à son service ; elle fait
de moi un fanatique de la raison quand j'ai cessé de m'enthousiasmer pour la Bible, ou
un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de
Christianisme.
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier,
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais
c'est en souriant que j'accueillerai l'issue du combat, c'est, en souriant que je déposerai
mon bouclier sur le cadavre de mes pensées et de ma foi, et en souriant que, vaincu, je
triompherai. C'est là justement qu'est l'humour de la chose. Pour laisser les gens
s'égayer aux dépens des petitesses des hommes, il suffit de se sentir « trop haut pour
être atteint »; mais les laisser jouer avec toutes les « grandes pensées » avec les
« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose
que je suis le propriétaire du tout.
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci :
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous
pouvons être, et rien ne nous oblige jamais à être davantage. Comme nous ne traînons
avec nous aucun manque, aucun défaut, le péché n'a pas de sens. Montrez-moi encore
un pécheur dans un monde où nul n'a plus à satisfaire rien de supérieur à soi ! Si je ne
veux que me satisfaire, en ne me satisfaisant pas je ne pèche pas, attendu que je
n'offense en moi aucune « sainteté »; au contraire, si je dois être pieux, j'ai à satisfaire
Dieu, si je dois agir humainement, j'ai à satisfaire l'essence de l'Homme, l'idée
d'humanité, etc. Celui que le religieux appelle un « pécheur », l'humanitaire l'appelle
un égoïste. Mais, encore une fois, je n'ai à contenter personne ; qu'est-ce donc que
l' « Égoïste », ce Diable à la nouvelle mode que s'est payé l'Humanitarisme ? L'Égoïste
devant lequel les humanitaires se signent avec effroi n'est qu'un fantôme, comme le
Diable : il n'est qu'un épouvantail et une fantasmagorie de leur cerveau. S'ils n'étaient
pas naïvement hantés par la vieille antithèse du bien et du mal auxquels ils ont donné
respectivement les noms d'« humain » et d'« égoïste », ils n'auraient pas, pour le
rajeunir, fait bouillir le « pécheur » grisonnant dans le chaudron de l’« égoïsme et
n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ».
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou
l'homme de la lune, il fourmille d'insensés qui se croient des pécheurs. Les premiers
ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est
chimérique.
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au
Panthéon ou au — Walhalla.
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur !
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope,
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de
la grande ville : ne vois-tu pas partout des péchés, des péchés et encore des péchés ?
Ne gémis-tu pas sur l'humanité corrompue, ne déplores-tu pas le monstrueux épanouissement
de l'égoïsme ? Verras-tu un riche sans le trouver impitoyable et « égoïste »?
Tu t'intitules peut-être athée, mais tu restes fidèle au sentiment chrétien qu'il est plus
facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche de n'être pas
« inhumain ». Combien as-tu déjà rencontré de gens que tu n'aies pas rejetés dans la
« masse égoïste »? Ah! ton amour de l'Homme ! À quoi a-t-il abouti ? Tu ne vois plus
que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout.
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la
fange du crime, c'est toi qui les fais vicieux ou vertueux, hommes ou inhumains, et
c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes,
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé.
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice »,
au « dévouement », à l’« enthousiasme ». Eh bien ! si je ne sers plus aucune idée,
aucun « être supérieur », il va de soi que je ne servirai plus non plus aucun homme
sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique.
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus.
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier.
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que
Je = Homme. C'est là le cercle magique chrétien. Le moi de Fichte est également un
être extérieur et étranger à Moi, car ce moi est chacun et a seul des droits, de sorte
qu'il est le « moi » et non Moi. Mais Moi, je ne suis pas un « moi » auprès d'autres
« moi » : je suis le seul Moi, je suis Unique. Et mes besoins, mes actions, tout en Moi
est unique. C'est par le seul fait que je suis ce Moi unique que je fais de tout ma
propriété rien qu'en me mettant en oeuvre et en me développant. Ce n'est pas comme
Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me
développe.
Tel est le sens de l'Unique.
Notes et références
- ↑ Ier épître aux Corinthiens.
- ↑ IIe épître à Timothée, I, 10.
- ↑ Der Kommunismus in der Schweiz, p.24. ».
- ↑ Épître aux Romains, I, 25.
- ↑ Loc. cit., p. 47 sqq.
- ↑ Chambre des Pairs, 25 avril 1844.
- ↑ Anekdota, I, 120.
- ↑ Ibid., I, 127.
- ↑ 1er épître aux Thessaloniciens, V, 21
- ↑ En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
- ↑ La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)