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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|A. Les anciens}} | |||
<div class="text"> | |||
Puisque l'usage a imposé à nos aïeux d'avant le Christ le nom d'« Anciens », nous | Puisque l'usage a imposé à nos aïeux d'avant le Christ le nom d'« Anciens », nous | ||
ne soutiendrons pas que comparés à nous, gens d'expérience, ils seraient à plus juste | ne soutiendrons pas que comparés à nous, gens d'expérience, ils seraient à plus juste | ||
titre appelés des enfants * ; nous préférons incliner devant eux comme devant de | titre appelés des enfants <ref>* Cf. DESCARTES : « Ce qu'on nomme l'Antiquité n'était que l'enfance et la jeunesse du genre | ||
humain; à nous plutôt convient le nom d'anciens; car le monde est plus vieux qu'alors, et nous | |||
avons une plus grande expérience. » (Note du Traducteur.)</ref> ; nous préférons incliner devant eux comme devant de | |||
vieux parents. Mais comment donc purent-ils finir par vieillir, et quel est celui dont la | vieux parents. Mais comment donc purent-ils finir par vieillir, et quel est celui dont la | ||
prétendue nouveauté parvint à les supplanter? | prétendue nouveauté parvint à les supplanter? | ||
Nous le connaissons, le novateur révolutionnaire, l'héritier impie qui profana de | Nous le connaissons, le novateur révolutionnaire, l'héritier impie qui profana de | ||
ses propres mains le sabbat de ses pères pour sanctifier son dimanche, et qui interrompit | ses propres mains le sabbat de ses pères pour sanctifier son dimanche, et qui interrompit | ||
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jeune, est-il encore aujourd'hui le « Moderne », ou son tour est-il venu de vieillir, lui | jeune, est-il encore aujourd'hui le « Moderne », ou son tour est-il venu de vieillir, lui | ||
qui fit vieillir les « Anciens »? | qui fit vieillir les « Anciens »? | ||
Ce furent les Anciens eux-mêmes qui enfantèrent l'homme moderne qui devait les | Ce furent les Anciens eux-mêmes qui enfantèrent l'homme moderne qui devait les | ||
supplanter; examinons cette genèse. | supplanter; examinons cette genèse. | ||
« Pour les Anciens, dit Feuerbach, le monde était une vérité. » Mais il néglige | « Pour les Anciens, dit Feuerbach, le monde était une vérité. » Mais il néglige | ||
d'ajouter, ce qui est important, « une vérité derrière la fausseté de laquelle ils cherchaient | d'ajouter, ce qui est important, « une vérité derrière la fausseté de laquelle ils cherchaient | ||
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de ces mots de Feuerbach, quand on en rapproche la parole chrétienne : « ce monde | de ces mots de Feuerbach, quand on en rapproche la parole chrétienne : « ce monde | ||
vain et périssable ». | vain et périssable ». | ||
Jamais le Chrétien n'a pu se convaincre de la vanité de la parole divine; il croit à | Jamais le Chrétien n'a pu se convaincre de la vanité de la parole divine; il croit à | ||
son éternelle et inébranlable véracité, dont les plus profondes méditations ne peuvent | son éternelle et inébranlable véracité, dont les plus profondes méditations ne peuvent | ||
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sans valeur; c'est ce que les uns avaient proclamé vrai que les autres flétrirent, | sans valeur; c'est ce que les uns avaient proclamé vrai que les autres flétrirent, | ||
comme un mensonge : l'idée tant exaltée de patrie perd son importance, et le Chrétien | comme un mensonge : l'idée tant exaltée de patrie perd son importance, et le Chrétien | ||
ne doit plus se regarder que comme « un étranger sur la terre 1 | ne doit plus se regarder que comme « un étranger sur la terre <ref>1 Épître aux Hébreux, XI, 13.</ref>; l'ensevelissement | ||
des morts, ce devoir sacré qui inspira un chef-d'oeuvre, l'Antigone de Sophocle, ne | des morts, ce devoir sacré qui inspira un chef-d'oeuvre, l'Antigone de Sophocle, ne | ||
paraît plus qu'une misère (« Laissez les morts enterrer leurs morts »); l'indissolubilité | paraît plus qu'une misère (« Laissez les morts enterrer leurs morts »); l'indissolubilité | ||
des liens de famille devient un préjugé dont on ne saurait assez tôt se défaire 2, et | des liens de famille devient un préjugé dont on ne saurait assez tôt se défaire <ref>2 Marc, X, 29.</ref>, et | ||
ainsi de suite. | ainsi de suite. | ||
Nous voyons donc que ce que les Anciens tinrent pour la vérité était le contraire | Nous voyons donc que ce que les Anciens tinrent pour la vérité était le contraire | ||
même de ce qui passa pour la vérité aux yeux des modernes; les uns crurent au | même de ce qui passa pour la vérité aux yeux des modernes; les uns crurent au | ||
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pensée moderne ne fut que l'aboutissement et le produit de la pensée antique, reste à | pensée moderne ne fut que l'aboutissement et le produit de la pensée antique, reste à | ||
examiner comment était possible une telle métamorphose. | examiner comment était possible une telle métamorphose. | ||
Ce furent les Anciens eux-mêmes qui finirent par faire de leur vérité un | Ce furent les Anciens eux-mêmes qui finirent par faire de leur vérité un | ||
mensonge. | mensonge. | ||
Remontons aux plus belles années de l'Antiquité, au siècle de Périclès : c'est alors | Remontons aux plus belles années de l'Antiquité, au siècle de Périclès : c'est alors | ||
que commença la sophistique, et que la Grèce fit un jouet de ce qui avait été pour elle | que commença la sophistique, et que la Grèce fit un jouet de ce qui avait été pour elle | ||
jusqu'alors l'objet des plus graves méditations. | jusqu'alors l'objet des plus graves méditations. | ||
Les pères avaient été trop longtemps courbés sous le joug inexorable des réalités | Les pères avaient été trop longtemps courbés sous le joug inexorable des réalités | ||
pour que ces dures expériences n'apprissent à leurs descendants à se connaître. C'est | pour que ces dures expériences n'apprissent à leurs descendants à se connaître. C'est | ||
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moyen, ce que sont pour les enfants la ruse et l'audace. L'esprit, c'est pour eux l'intelligence, | moyen, ce que sont pour les enfants la ruse et l'audace. L'esprit, c'est pour eux l'intelligence, | ||
l'infaillible raison. | l'infaillible raison. | ||
On jugerait aujourd'hui cette éducation intellectuelle incomplète, unilatérale, et | On jugerait aujourd'hui cette éducation intellectuelle incomplète, unilatérale, et | ||
l'on ajouterait : Ne formez pas uniquement votre intelligence, formez aussi votre | l'on ajouterait : Ne formez pas uniquement votre intelligence, formez aussi votre | ||
coeur. C'est ce que fit SOCRATE. | coeur. C'est ce que fit SOCRATE. | ||
Si le coeur, en effet, n'était point affranchi de ses aspirations naturelles, s'il restait | Si le coeur, en effet, n'était point affranchi de ses aspirations naturelles, s'il restait | ||
empli de son contenu fortuit, d'impulsions désordonnées soumises à toutes les influences | empli de son contenu fortuit, d'impulsions désordonnées soumises à toutes les influences | ||
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arriverait fatalement que la libre intelligence, asservie à ce « mauvais coeur », se prêterait | arriverait fatalement que la libre intelligence, asservie à ce « mauvais coeur », se prêterait | ||
à réaliser tout ce qu'en souhaiterait la malice. | à réaliser tout ce qu'en souhaiterait la malice. | ||
Aussi Socrate déclare-t-il qu'il ne suffit pas d'employer en toutes circonstances | Aussi Socrate déclare-t-il qu'il ne suffit pas d'employer en toutes circonstances | ||
son intelligence, mais que la question est de savoir à quel but il sied de l’appliquer. | son intelligence, mais que la question est de savoir à quel but il sied de l’appliquer. | ||
Nous dirions aujourd'hui que ce but doit être le « Bien »: mais poursuivre le bien, | Nous dirions aujourd'hui que ce but doit être le « Bien »: mais poursuivre le bien, | ||
c'est être — moral : Socrate est donc le fondateur de l’éthique. | c'est être — moral : Socrate est donc le fondateur de l’éthique. | ||
Le principe de la sophistique conduisait à admettre pour l'homme le plus aveuglément | Le principe de la sophistique conduisait à admettre pour l'homme le plus aveuglément | ||
esclave de ses passions la possibilité d’être un sophiste redoutable, capable, | esclave de ses passions la possibilité d’être un sophiste redoutable, capable, | ||
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grossier. Quelle est l’action en faveur de laquelle on ne peut invoquer « de bonnes | grossier. Quelle est l’action en faveur de laquelle on ne peut invoquer « de bonnes | ||
raisons »? Tout n'est-il pas soutenable? | raisons »? Tout n'est-il pas soutenable? | ||
C'est pour cela que Socrate ajoute : Pour que l'on puisse priser votre sagesse, il | C'est pour cela que Socrate ajoute : Pour que l'on puisse priser votre sagesse, il | ||
faut que vous ayez « un coeur pur ». Alors commence la seconde période de l'affranchissement | faut que vous ayez « un coeur pur ». Alors commence la seconde période de l'affranchissement | ||
de la pensée grecque, la période de la pureté du coeur. La première finit | de la pensée grecque, la période de la pureté du coeur. La première finit | ||
avec les Sophistes, lorsqu'ils eurent proclamé la puissance illimitée de l'intelligence. | avec les Sophistes, lorsqu'ils eurent proclamé la puissance illimitée de l'intelligence. | ||
Mais le coeur prend toujours le parti du monde; il est son serviteur, toujours agité | Mais le coeur prend toujours le parti du monde; il est son serviteur, toujours agité | ||
de passions terrestres. Il fallait dès lors dégrossir ce coeur inculte : ce fut le temps de | de passions terrestres. Il fallait dès lors dégrossir ce coeur inculte : ce fut le temps de | ||
l'éducation du coeur. Mais quelle éducation convient au coeur? | l'éducation du coeur. Mais quelle éducation convient au coeur? | ||
L'intelligence en est arrivée à se jouer librement de tout le contenu de l'esprit, dont | L'intelligence en est arrivée à se jouer librement de tout le contenu de l'esprit, dont | ||
elle est une face; c'est là aussi ce qui menace le coeur : devant lui va bientôt s'écrouler | elle est une face; c'est là aussi ce qui menace le coeur : devant lui va bientôt s'écrouler | ||
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patrie, tout sera abandonné pour lui, c'est-à-dire pour la Félicité, pour la félicité du | patrie, tout sera abandonné pour lui, c'est-à-dire pour la Félicité, pour la félicité du | ||
coeur. | coeur. | ||
L'expérience journalière enseigne que la raison peut avoir depuis longtemps renoncé | L'expérience journalière enseigne que la raison peut avoir depuis longtemps renoncé | ||
à une chose, alors que le coeur bat et battra pour elle encore pendant bien des | à une chose, alors que le coeur bat et battra pour elle encore pendant bien des | ||
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n'eussent plus aucune prise sur l'homme, à les expulser du coeur où elles régnaient | n'eussent plus aucune prise sur l'homme, à les expulser du coeur où elles régnaient | ||
sans conteste. | sans conteste. | ||
Cette guerre, ce fut Socrate qui la déclara, et la paix ne fut signée que le jour où il | Cette guerre, ce fut Socrate qui la déclara, et la paix ne fut signée que le jour où il | ||
mourut le monde antique. | mourut le monde antique. | ||
Avec Socrate commence l'examen du coeur, et tout son contenu va être passé au | Avec Socrate commence l'examen du coeur, et tout son contenu va être passé au | ||
crible. Les derniers, les suprêmes efforts des Anciens aboutirent à rejeter du coeur tout | crible. Les derniers, les suprêmes efforts des Anciens aboutirent à rejeter du coeur tout | ||
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plus arrêter par rien, celui de l'éducation sceptique, que le coeur ne se laisse plus | plus arrêter par rien, celui de l'éducation sceptique, que le coeur ne se laisse plus | ||
émouvoir par rien. | émouvoir par rien. | ||
Aussi longtemps que l'homme reste pris dans l'engrenage du monde et embarrassé | Aussi longtemps que l'homme reste pris dans l'engrenage du monde et embarrassé | ||
par ses relations avec lui — et il le reste jusqu'à la fin de l'Antiquité parce que son | par ses relations avec lui — et il le reste jusqu'à la fin de l'Antiquité parce que son | ||
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pour lui ni nature ni lois de la nature, mais uniquement le spirituel et les liens | pour lui ni nature ni lois de la nature, mais uniquement le spirituel et les liens | ||
spirituels. | spirituels. | ||
C'est pourquoi l'homme dut devenir aussi insoucieux et aussi détaché de tout que | C'est pourquoi l'homme dut devenir aussi insoucieux et aussi détaché de tout que | ||
l'avait fait l'éducation sceptique, assez indifférent envers le monde pour que son | l'avait fait l'éducation sceptique, assez indifférent envers le monde pour que son | ||
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monde, c'est-à-dire se sentir esprit. Et c'est l'oeuvre de géants accomplie par les | monde, c'est-à-dire se sentir esprit. Et c'est l'oeuvre de géants accomplie par les | ||
Anciens que l'homme doit de se savoir un être sans liaison avec le monde, un Esprit. | Anciens que l'homme doit de se savoir un être sans liaison avec le monde, un Esprit. | ||
Lorsque tout souci du monde l'a abandonné, et alors seulement, l'homme est pour | Lorsque tout souci du monde l'a abandonné, et alors seulement, l'homme est pour | ||
lui-même tout dans tout ; il n'est plus que pour lui-même, il est esprit pour l'esprit ; | lui-même tout dans tout ; il n'est plus que pour lui-même, il est esprit pour l'esprit ; | ||
ou, plus clairement : il ne se soucie plus que du spirituel. | ou, plus clairement : il ne se soucie plus que du spirituel. | ||
Les Anciens tendirent vers l'Esprit et s'efforcèrent de parvenir à la spiritualité. | Les Anciens tendirent vers l'Esprit et s'efforcèrent de parvenir à la spiritualité. | ||
Mais l'homme qui veut être actif comme esprit sera entraîné à des tâches tout autres | Mais l'homme qui veut être actif comme esprit sera entraîné à des tâches tout autres | ||
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et non plus seulement l'intelligence pratique, la perspicacité capable uniquement de | et non plus seulement l'intelligence pratique, la perspicacité capable uniquement de | ||
se rendre maître des choses. L'esprit poursuit uniquement le spirituel et cherche en | se rendre maître des choses. L'esprit poursuit uniquement le spirituel et cherche en | ||
tout les « traces de l'esprit » : pour l’esprit croyant « toute chose procède de Dieu » et | tout les « traces de l'esprit » : pour l’esprit croyant « toute chose procède de Dieu » et | ||
ne l'intéresse que pour autant que cette origine divine s’y révèle ; tout paraît à l’esprit | ne l'intéresse que pour autant que cette origine divine s’y révèle ; tout paraît à l’esprit | ||
philosophique marqué du sceau de la raison, et ne l'intéresse que s’il peut y découvrir | philosophique marqué du sceau de la raison, et ne l'intéresse que s’il peut y découvrir | ||
la raison, c’est-à-dire le contenu spirituel. | la raison, c’est-à-dire le contenu spirituel. | ||
Cet esprit qui ne s'applique à rien de non spirituel, à aucune chose, mais uniquement | Cet esprit qui ne s'applique à rien de non spirituel, à aucune chose, mais uniquement | ||
à l'être qui existe derrière et au-dessus des choses, aux pensées, cet esprit, les | à l'être qui existe derrière et au-dessus des choses, aux pensées, cet esprit, les | ||
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et de toute la puissance de raisonnement qui les rendent si aisément maîtres des | et de toute la puissance de raisonnement qui les rendent si aisément maîtres des | ||
choses, de concevoir l'esprit pour lequel les choses ne sont rien. | choses, de concevoir l'esprit pour lequel les choses ne sont rien. | ||
Le Chrétien a des intérêts spirituels parce qu'il ose être homme par l'esprit; le Juif | Le Chrétien a des intérêts spirituels parce qu'il ose être homme par l'esprit; le Juif | ||
ne peut comprendre ces intérêts dans toute leur pureté parce qu'il ne peut prendre sur | ne peut comprendre ces intérêts dans toute leur pureté parce qu'il ne peut prendre sur | ||
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car le spirituel est aussi inintelligible pour le réaliste que le réel est méprisable | car le spirituel est aussi inintelligible pour le réaliste que le réel est méprisable | ||
aux yeux de l'esprit. Les Juifs n'ont que « l'esprit de ce monde ». | aux yeux de l'esprit. Les Juifs n'ont que « l'esprit de ce monde ». | ||
La perspicacité et la profondeur antiques sont aussi éloignées de l'esprit et de la | La perspicacité et la profondeur antiques sont aussi éloignées de l'esprit et de la | ||
spiritualité du monde chrétien que la terre l'est du ciel. | spiritualité du monde chrétien que la terre l'est du ciel. | ||
Les choses de ce monde ne frappent ni n'angoissent celui qui se sent un libre | Les choses de ce monde ne frappent ni n'angoissent celui qui se sent un libre | ||
esprit; il n'en a cure, car il faudrait, pour qu'il continuât à sentir leur poids, qu'il fût | esprit; il n'en a cure, car il faudrait, pour qu'il continuât à sentir leur poids, qu'il fût | ||
assez borné pour leur accorder encore quelque importance, ce qui témoignerait manifestement | assez borné pour leur accorder encore quelque importance, ce qui témoignerait manifestement | ||
qu'il n'a pas encore complètement perdu de vue la « chère vie ». | qu'il n'a pas encore complètement perdu de vue la « chère vie ». | ||
Celui qui s'applique exclusivement à se savoir et à se sentir un pur esprit s'inquiète | Celui qui s'applique exclusivement à se savoir et à se sentir un pur esprit s'inquiète | ||
peu des éventualités fâcheuses qui peuvent l'atteindre et ne songe nullement aux | peu des éventualités fâcheuses qui peuvent l'atteindre et ne songe nullement aux | ||
dispositions à prendre pour s'assurer une vie libre et agréable. | dispositions à prendre pour s'assurer une vie libre et agréable. | ||
Les désagréments que les hasards de la vie font naître des choses ne l'affectent | Les désagréments que les hasards de la vie font naître des choses ne l'affectent | ||
point, car il ne vit que par l'esprit et d'aliments tout spirituels. Sans doute, comme le | point, car il ne vit que par l'esprit et d'aliments tout spirituels. Sans doute, comme le | ||
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pâture vient à lui faire défaut, son corps succombe; mais en tant qu'esprit il se sait | pâture vient à lui faire défaut, son corps succombe; mais en tant qu'esprit il se sait | ||
immortel, et ses yeux se ferment au milieu d'une méditation ou d'une prière. | immortel, et ses yeux se ferment au milieu d'une méditation ou d'une prière. | ||
Toute sa vie tient dans ses rapports avec le spirituel : il pense, et le reste n'est rien; | Toute sa vie tient dans ses rapports avec le spirituel : il pense, et le reste n'est rien; | ||
quelque direction que prenne son activité dans le domaine de l'esprit, prière, contemplation | quelque direction que prenne son activité dans le domaine de l'esprit, prière, contemplation | ||
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pensée qui est mon être et ma vie, que je n’ai d'autre vie que ma vie spirituelle, que je | pensée qui est mon être et ma vie, que je n’ai d'autre vie que ma vie spirituelle, que je | ||
n’ai d’autre existence que mon existence en tant qu’esprit, ou, enfin, que je suis | n’ai d’autre existence que mon existence en tant qu’esprit, ou, enfin, que je suis | ||
absolument esprit et rien qu'esprit. L'infortuné Peter Schlemihl, qui avait perdu son | absolument esprit et rien qu'esprit. L'infortuné Peter Schlemihl, qui avait perdu son | ||
ombre, est le portrait de cet homme devenu esprit, car le corps de l'esprit ne fait pas | ombre, est le portrait de cet homme devenu esprit, car le corps de l'esprit ne fait pas | ||
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nature, « elle ne vit que de pensées » et n'est par conséquent plus la « vie » mais — la | nature, « elle ne vit que de pensées » et n'est par conséquent plus la « vie » mais — la | ||
pensée. | pensée. | ||
Il ne faudrait pas croire, toutefois, que les Anciens vivaient sans penser; ce serait | Il ne faudrait pas croire, toutefois, que les Anciens vivaient sans penser; ce serait | ||
aussi faux que de s'imaginer l'homme spirituel comme pensant sans vivre. Les | aussi faux que de s'imaginer l'homme spirituel comme pensant sans vivre. Les | ||
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sont plus hautes que vos pensées », et rappelez-vous ce qui a été dit plus haut de nos | sont plus hautes que vos pensées », et rappelez-vous ce qui a été dit plus haut de nos | ||
pensées d’enfants. | pensées d’enfants. | ||
Que cherche donc l'Antiquité? La véritable joie, la joie de vivre, et c’est à la | Que cherche donc l'Antiquité? La véritable joie, la joie de vivre, et c’est à la | ||
« véritable vie » qu’elle finit par aboutir. | « véritable vie » qu’elle finit par aboutir. | ||
Le poète grec Simonide chante : « Pour l'homme mortel, le plus noble et le premier | Le poète grec Simonide chante : « Pour l'homme mortel, le plus noble et le premier | ||
des biens est la santé ; le suivant est la beauté; le troisième, la richesse acquise | des biens est la santé ; le suivant est la beauté; le troisième, la richesse acquise | ||
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d'âme? Ce qu'ils cherchaient tous, c'était le calme et imperturbable désir de vivre, | d'âme? Ce qu'ils cherchaient tous, c'était le calme et imperturbable désir de vivre, | ||
c'était la sérénité ; ils cherchaient à être « de bonnes choses ». | c'était la sérénité ; ils cherchaient à être « de bonnes choses ». | ||
Les Stoïciens veulent réaliser l'idéal de la sagesse dans la vie, être des hommes | Les Stoïciens veulent réaliser l'idéal de la sagesse dans la vie, être des hommes | ||
qui savent vivre. Cet idéal, ils le trouvent dans le dédain du monde, dans une vie | qui savent vivre. Cet idéal, ils le trouvent dans le dédain du monde, dans une vie | ||
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monde. Le stoïque vit, mais il est seul à vivre : pour lui, tout le reste est mort. Les | monde. Le stoïque vit, mais il est seul à vivre : pour lui, tout le reste est mort. Les | ||
Épicuriens, au contraire, demandaient une vie active. | Épicuriens, au contraire, demandaient une vie active. | ||
Les Anciens, en voulant être de bonnes choses, aspirent au bien vivre (les Juifs | Les Anciens, en voulant être de bonnes choses, aspirent au bien vivre (les Juifs | ||
notamment désirent vivre longuement, comblés d'enfants et de richesses), à | notamment désirent vivre longuement, comblés d'enfants et de richesses), à | ||
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paix du coeur de celui « qui coule ses jours dans le repos, loin des agitations et des | paix du coeur de celui « qui coule ses jours dans le repos, loin des agitations et des | ||
soucis ». | soucis ». | ||
L'Ancien songe donc à traverser la vie sans encombre, en se garant des chances | L'Ancien songe donc à traverser la vie sans encombre, en se garant des chances | ||
mauvaises et des hasards du monde. Comme il ne peut s'affranchir du monde, puisque | mauvaises et des hasards du monde. Comme il ne peut s'affranchir du monde, puisque | ||
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rien cependant ne le séparera essentiellement de l'homme des sens, de l'homme de la | rien cependant ne le séparera essentiellement de l'homme des sens, de l'homme de la | ||
chair. | chair. | ||
Le stoïcisme, la vertu virile même n'ont d'autre raison d'être que la nécessité de | Le stoïcisme, la vertu virile même n'ont d'autre raison d'être que la nécessité de | ||
s'affirmer et de se soutenir envers et contre le monde; l'éthique des stoïciens n'est | s'affirmer et de se soutenir envers et contre le monde; l'éthique des stoïciens n'est | ||
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de soi vis-à-vis du monde. Et cette doctrine s'exprime dans « l'impassibilité et | de soi vis-à-vis du monde. Et cette doctrine s'exprime dans « l'impassibilité et | ||
le calme de la vie, c'est-à-dire dans la pure vertu romaine. | le calme de la vie, c'est-à-dire dans la pure vertu romaine. | ||
Les Romains ne dépassèrent pas cette sagesse dans la vie (Horace, Cicéron, etc.). | Les Romains ne dépassèrent pas cette sagesse dans la vie (Horace, Cicéron, etc.). | ||
La prospérité épicurienne (Hédonè) n'est que le savoir-vivre stoïcien, mais affiné, | La prospérité épicurienne (Hédonè) n'est que le savoir-vivre stoïcien, mais affiné, | ||
plus artificieux; les Épicuriens enseignent simplement une autre conduite dans le | plus artificieux; les Épicuriens enseignent simplement une autre conduite dans le | ||
monde; ils conseillent de ruser avec lui au lieu de le heurter de front : il faut tromper | monde; ils conseillent de ruser avec lui au lieu de le heurter de front : il faut tromper | ||
le monde, car il est mon ennemi. | le monde, car il est mon ennemi. | ||
Le divorce définitif avec le monde fut consommé par les Sceptiques. Toutes nos | Le divorce définitif avec le monde fut consommé par les Sceptiques. Toutes nos | ||
relations avec lui sont « sans valeur et sans vérité ». « Les sensations et les pensées | relations avec lui sont « sans valeur et sans vérité ». « Les sensations et les pensées | ||
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le monde que l'Ataraxie (l'indifférence) et l'Aphasie (le silence, ou en d’autres termes | le monde que l'Ataraxie (l'indifférence) et l'Aphasie (le silence, ou en d’autres termes | ||
l'isolement intérieur). | l'isolement intérieur). | ||
Il n'y a dans le monde aucune vérité à saisir ; les choses se contredisent, nos | Il n'y a dans le monde aucune vérité à saisir ; les choses se contredisent, nos | ||
jugements sur elles n'ont aucun critérium (une chose est bonne ou mauvaise suivant | jugements sur elles n'ont aucun critérium (une chose est bonne ou mauvaise suivant | ||
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recherche de la « Vérité » ; que les hommes renoncent à trouver dans le monde aucun | recherche de la « Vérité » ; que les hommes renoncent à trouver dans le monde aucun | ||
objet de connaissance, et qu'ils cessent de s'inquiéter d'un monde sans vérité. | objet de connaissance, et qu'ils cessent de s'inquiéter d'un monde sans vérité. | ||
Ainsi l'Antiquité vint à bout du monde des choses, de l'ordre de la nature et de | Ainsi l'Antiquité vint à bout du monde des choses, de l'ordre de la nature et de | ||
l'univers ; mais cet ordre embrasse non seulement les lois de la nature, mais encore | l'univers ; mais cet ordre embrasse non seulement les lois de la nature, mais encore | ||
toutes les relations dans lesquelles la nature place l'homme, la famille, la chose | toutes les relations dans lesquelles la nature place l'homme, la famille, la chose | ||
publique, et tout ce qu'on nomme les « liens naturels ». | publique, et tout ce qu'on nomme les « liens naturels ». | ||
Avec le monde d e l'Esprit commence le Christianisme. L'homme qui se tient | Avec le monde d e l'Esprit commence le Christianisme. L'homme qui se tient | ||
encore en armes vis-à-vis du monde est l'Ancien, le — Païen (le Juif l'est resté parce | encore en armes vis-à-vis du monde est l'Ancien, le — Païen (le Juif l'est resté parce | ||
que non chrétien) ; l'homme que ne guident plus que la « joie du coeur », la compassion, | que non chrétien) ; l'homme que ne guident plus que la « joie du coeur », la compassion, | ||
la sympathie, l'Esprit, est le Moderne, le — Chrétien. | la sympathie, l'Esprit, est le Moderne, le — Chrétien. | ||
Les Anciens travaillèrent à soumettre le monde et s'efforcèrent de dégager l'homme | Les Anciens travaillèrent à soumettre le monde et s'efforcèrent de dégager l'homme | ||
des lourdes chaînes de sa dépendance vis-à-vis de ce qui n'était pas lui ; ils | des lourdes chaînes de sa dépendance vis-à-vis de ce qui n'était pas lui ; ils | ||
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qui rabaissent ma liberté spirituelle. | qui rabaissent ma liberté spirituelle. | ||
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== Notes et références == | |||
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références --> | |||
{{Navigateur|[[Max_Stirner: | {{Navigateur|[[Max_Stirner:II. Les anciens et les modernes|II. Les anciens et les modernes]]|[[Max Stirner]] — [[Max Stirner:L’Unique et sa propriété|L’Unique et sa propriété]]|}} |
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