Différences entre les versions de « Max Stirner:B. Mes relations »

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Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les
Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les
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Tout fantôme qui se respecte porte un nom ; ceux-ci s'appellent « Peuples ». II y
Tout fantôme qui se respecte porte un nom ; ceux-ci s'appellent « Peuples ». II y
eut un Peuple des aïeux, un Peuple des Hellènes, etc., et il y a aujourd'hui le Peuple
eut un Peuple des aïeux, un Peuple des Hellènes, etc., et il y a aujourd'hui le Peuple
des Humains, l'Humanité (Anacharsis Clootz rêvait une « Nation de l'humanité ») ;
des Humains, l'Humanité (Anacharsis Clootz rêvait une « Nation de l'humanité ») ;vinrent ensuite les subdivisions de ce Peuple, qui renfermait ses sociétés particulières: peuple espagnol, peuple français, etc.; ces dernières comprirent à leur tour les castes,
vinrent ensuite les subdivisions de ce Peuple, qui renfermait ses sociétés particulières
: peuple espagnol, peuple français, etc.; ces dernières comprirent à leur tour les castes,
les villes, les corporations, bref tous les groupements possibles, jusqu'au minuscule
les villes, les corporations, bref tous les groupements possibles, jusqu'au minuscule
petit peuple qu'est la Famille.
petit peuple qu'est la Famille.
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l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit
l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit
l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs.
l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs.
Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit
Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit
repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de
repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de
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d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération
d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération
que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance.
que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance.
La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues.
La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues.
Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans
Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans
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Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme
Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme
une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut,
une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 180
dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant
dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant
en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins
en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins
de cas de lui que d'eux-mêmes.
de cas de lui que d'eux-mêmes.
États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a
États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a
levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger
levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger
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qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la
qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la
bretelle ou à la cravate.
bretelle ou à la cravate.
Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne.
Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne.
Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement
 
; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les
Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les
sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit.
sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit.
Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade,
Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade,
que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était
que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était
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le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition
le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition
également guette le traître envers l'État.
également guette le traître envers l'État.
Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun
Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun
un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro,
un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro,
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seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers
seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers
les égoïstes.
les égoïstes.
Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu
Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu
d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment
d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment
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Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer
Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer
que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.)
que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.)
La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation.
La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation.
Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à
Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à
sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniMax
sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniversaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 181
versaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles
! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient
! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient
mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples
mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples
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au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez
au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez
tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève.
tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève.
Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ?
Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ?
C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit
C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit
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espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des
espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des
morts et je retourne parmi les vivants.
morts et je retourne parmi les vivants.
« Car seuls les vivants ont raison. »
« Car seuls les vivants ont raison. »
Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans
Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans
as tyrannisé tes enfants !
as tyrannisé tes enfants !
Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand
Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand
toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon
toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon
seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai.
seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai.
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Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une
Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une
salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en
salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en
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mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai
mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai
fondateur, le créateur de la société.
fondateur, le créateur de la société.
Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent
Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent
d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que
d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que
ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement
ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 182
un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce
un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce
qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque.
qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque.
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la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière
la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière
de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison.
de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison.
Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous
Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous
arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers,
arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers,
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prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement
prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement
personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu).
personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu).
La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit
La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit
avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne.
avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne.
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moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des
moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des
sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés.
sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés.
La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté
La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté
(communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une
(communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une
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porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut,
porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut,
si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits.
si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits.
Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu
Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu
commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de
commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de
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seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à
seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à
dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune.
dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune.
Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous
Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous
demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence
demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence
par nos manoeuvres égoïstes.
par nos manoeuvres égoïstes.
Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la
Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la
famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une
famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une
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ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus
ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus
possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et
possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 183
le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que
le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que
de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute
de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute
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contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le
contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le
fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc.
fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc.
L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le
L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le
mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport
mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport
avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ».
avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ».
Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère
Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère
devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois.
devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois.
Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas
Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas
innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est
innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est
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en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et
en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et
Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser
Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser
tout l'édifice de la piété.
l'édifice de la piété.
 
Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son
Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son
sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même
sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même
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excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus
excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus
du lien familial.
du lien familial.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 184
 
Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins
Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins
volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la
volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la
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devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de
devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de
la piété a exercé sur elle son empire ?
la piété a exercé sur elle son empire ?
Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ;
Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ;
là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis
là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis
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exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné
exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné
au choix des parents.
au choix des parents.
La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la
La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la
fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple,
fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple,
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famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de
famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de
ses membres.
ses membres.
De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin
De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin
pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des
pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des
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envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses
envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses
parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État.
parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État.
Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un
Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un
protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire
protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire
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société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple
société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple
— mère du peuple — enfants du peuple »).
— mère du peuple — enfants du peuple »).
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 185
 
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Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre
Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements
; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre
lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des
lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des
autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont
autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont
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face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le
face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le
désordre l'emportait, l'État aurait vécu.
désordre l'emportait, l'État aurait vécu.
Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle,
Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle,
cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte,
cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte,
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nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est
nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est
ce bon ordre qu'on appelle État.
ce bon ordre qu'on appelle État.
Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans
Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans
qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre,
qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre,
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mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et
mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et
n'est qu'à condition de changer sans cesse.
n'est qu'à condition de changer sans cesse.
Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y
Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y
grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous
grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous
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l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un
l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un
« membre utile de la Société ».
« membre utile de la Société ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 186
 
C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel.
C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel.
Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un
Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un
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toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il
toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il
ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de
ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de
l'homme par excellence *, et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de
l'homme par excellence <ref>« Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>, et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de
l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors
l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors
de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même.
de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même.
Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me
Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me
voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre,
voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre,
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dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un
dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un
moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme.
moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme.
Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États
Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États
vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la
vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la
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déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement
déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement
Dupin en parlant du clergé.
Dupin en parlant du clergé.
Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles
Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles
immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est
immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est
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l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop
l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop
étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens.
étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens.
* « Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 187
L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait
L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait
m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? —
m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? —
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Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église :
Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église :
l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité.
l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité.
On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la
On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la
liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si
liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si
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qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve
qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve
d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ».
d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ».
L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne
L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne
prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut
prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut
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seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni
seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni
mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi.
mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi.
L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner
L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner
à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu
à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu
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(avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État
(avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État
veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que
veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 188
vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est
vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est
l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui
l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui
accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc.
accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc.
Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50),
Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50),
rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en
rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en
opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »:
opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »:« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour
« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour
un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui
un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui
opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il
opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il
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sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement,
sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement,
sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout.
sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout.
« Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement
« Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement
dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une
dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une
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gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de
gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de
l'autre.
l'autre.
La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain
La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain
s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ».
s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ».
Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut
Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut
se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et
se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et
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Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république,
Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république,
attendu que l'État y est conçu comme en dissolution.
attendu que l'État y est conçu comme en dissolution.
Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une
Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une
« personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est
« personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est
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parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais
parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais
un fantôme.
un fantôme.
Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout
Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout
gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État
gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État
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», sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable
», sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable
que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) !
que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) !
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 189
 
« Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant
« Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant
toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique
toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique
doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination,
doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination,
de la soumission à la — volonté du Peuple ?
de la soumission à la — volonté du Peuple ?
« Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive
« Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive
sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être
sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être
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efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir
efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir
libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne.
libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne.
Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même,
Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même,
parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple
parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple
veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre.
veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre.
Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance,
Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance,
c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans
c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans
l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour
l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour
maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement
maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou
; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou
plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince.
plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince.
Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand
Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand
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Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que
Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que
je dois vaincre.
je dois vaincre.
Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a
Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a
plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi
plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi
ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement
ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement
des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur.
des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur.
Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour
Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour
vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête,
vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête,
un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire
un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire
acéphale ne peut vivre 1 ».
acéphale ne peut vivre <ref>De la création de l'ordre, p. 485.»</ref>.
 
On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique »
On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique »
doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox
doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox
dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ?
dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ?
1 De la création de l'ordre, p. 485.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 190
On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de
On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de
l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul
l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul
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les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les
les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les
conduit.
conduit.
En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait
En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait
exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands
exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands
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radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la
radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la
séparation de l'homme d'avec l'homme.
séparation de l'homme d'avec l'homme.
La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire
La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire
par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand
par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand
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n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera
n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera
pour se transformer en alliance.
pour se transformer en alliance.
Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui
Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui
est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui
est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui
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origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront,
origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront,
que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre
que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre
toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' Allemands
toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' Allemands; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans
; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans
leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à
leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à
une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental
une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental
Ligne 671 : Ligne 709 :
superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les
superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les
poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille.
poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille.
Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce
Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce
qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car
qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 191
la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands
la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands
n'est qu'une association volontaire, active et spontanée.
n'est qu'une association volontaire, active et spontanée.
L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un
L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un
Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête
Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête
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n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles
n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles
gravitent autour d'un centre commun.
gravitent autour d'un centre commun.
Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en
Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en
faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État
faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État
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du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux
du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux
! Le bonheur du Peuple est — mon malheur.
! Le bonheur du Peuple est — mon malheur.
On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux
On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux
politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur
politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur
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distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement
distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement
intéressés à le voir rester comme il est ou changer.
intéressés à le voir rester comme il est ou changer.
Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera
Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera
jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir »
jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir »
qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire.
qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 192
Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et
Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et
vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur
vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur
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sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la
sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la
vie de l'État.
vie de l'État.
Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme
Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme
n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de
n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de
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privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit
privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit
le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ».
le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ».
Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de
Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de
la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même
la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même
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lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour
lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour
chacun de s'intéresser à l'État ».
chacun de s'intéresser à l'État ».
Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête
Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête
ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi.
ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi.
« L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. »
« L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. »
Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité
Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un
; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un
embarras.
embarras.
Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le
Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le
Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les
Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les
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etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi,
etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi,
ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations.
ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations.
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Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers
Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers
temps chanté les louanges.
temps chanté les louanges.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 193
 
Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! »
Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! »
Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se
Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se
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non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se
non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se
brisent tous les partis.
brisent tous les partis.
Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle
Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle
à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit
à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit
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devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la
devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la
faire accepter.
faire accepter.
Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation
Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation
de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de
de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de
compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau.
compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau.
Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur,
Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur,
renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à
renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à
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souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque
souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque
général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme
général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 194
sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir
sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir
clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de
clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de
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ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente
ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente
occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord !
occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord !
Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être
Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être
uniques s'ils appartenaient à un parti ?
uniques s'ils appartenaient à un parti ?
Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti
Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti
et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que
et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que
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». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte
». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte
pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui.
pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui.
Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont
Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont
d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils
d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils
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exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses
exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses
membres.
membres.
Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses
Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses
membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter,
membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter,
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autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse
autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse
impiété va t'aider à atteindre l'Individualité.
impiété va t'aider à atteindre l'Individualité.
Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais
Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais
prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et
prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et
enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie,
enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie,
il prend part.
il prend part.
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Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à
Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à
la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est
la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est
un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître
un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître
ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie.
ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 195
 
« Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un
« Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un
État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État.
État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État.
Ligne 860 : Ligne 912 :
peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à
peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à
celui de l'État.
celui de l'État.
L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi
L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi
l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis
l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis
Ligne 893 : Ligne 946 :
tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner
tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner
devant l'image du saint ?
devant l'image du saint ?
Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec
Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec
l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son
l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son
Ligne 902 : Ligne 956 :
ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il
ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il
appelle peine ou châtiment, est légitime.
appelle peine ou châtiment, est légitime.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 196
 
Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une
Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une
chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine
chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine
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que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme —
que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme —
religieux.
religieux.
Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il
Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il
espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles
espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles
Ligne 918 : Ligne 973 :
comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes
comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes
qu' « appelle » leur nature d'hommes ?
qu' « appelle » leur nature d'hommes ?
Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la
Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la
thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans
thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans
Ligne 925 : Ligne 981 :
amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la
amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la
conserverais ou la détruirais à mon gré.
conserverais ou la détruirais à mon gré.
« Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception
« Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception
égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi
égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi
Ligne 931 : Ligne 988 :
ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de
ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de
compassion, etc.
compassion, etc.
Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui,
Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui,
le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par
le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par
Ligne 943 : Ligne 1 001 :
contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression
contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression
des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières.
des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières.
Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on
Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on
renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal,
renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal,
Ligne 948 : Ligne 1 007 :
justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction,
justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction,
encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous
encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 197
fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous
fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous
faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la
faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la
Ligne 962 : Ligne 1 020 :
simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la
simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la
police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement.
police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement.
C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière
C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière
sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux
sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux
Ligne 968 : Ligne 1 027 :
— crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel,
— crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel,
lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ?
lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ?
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Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la
Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la
Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus
Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus
Ligne 975 : Ligne 1 034 :
trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se
trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se
sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ».
sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ».
Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici
Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici
opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y
opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y
Ligne 980 : Ligne 1 040 :
n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des
n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des
maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates.
maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates.
Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant
Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant
Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif
Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif
Ligne 989 : Ligne 1 050 :
« destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable
« destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable
homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un
homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 198
« véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine,
« véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine,
cela revient au même.
cela revient au même.
Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci
Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci
ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement,
ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement,
Ligne 1 008 : Ligne 1 069 :
principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des
principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des
sujets ou des affranchis et des hommes.
sujets ou des affranchis et des hommes.
On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme
On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme
de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y
de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y
Ligne 1 016 : Ligne 1 078 :
être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer
être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer
une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se
une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se
parfaire 1 ».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père
parfaire <ref>».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père
céleste » Matth., v. 48.) Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection
céleste » Matth., v. 48.)</ref> Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection
est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le
est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le
véritable homme, l'homme libre, etc.
véritable homme, l'homme libre, etc.
Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme
Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme
libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle —
libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle —
religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une
religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une
nouvelle divinité, de nouveaux remords.
nouvelle divinité, de nouveaux remords.
L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après
L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après
Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine
Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine
absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation »
absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation »
et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est
et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté).
: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté).
 
Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille,
Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille,
de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des
de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des
hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à
hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à
être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur
être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur
1 Bruno BAUER : Lit. Ztg., 22.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 199
valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux
valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux
autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité.
autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité.
Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui
Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui
pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des
pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des
liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux.
liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux.
Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut
Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut
être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil
être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil
Ligne 1 050 : Ligne 1 114 :
moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la
moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la
lui écraser.
lui écraser.
Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le
Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le
fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus
fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus
Ligne 1 056 : Ligne 1 121 :
Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer
Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer
tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même
tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même
raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison
raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne
: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne
doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à
doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à
résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout
résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout
entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi
entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi
seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence.
seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence.
L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après
L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après
l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu
l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu
d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans
d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans
l'individu borné et passager, dans l'Unique.
l'individu borné et passager, dans l'Unique.
Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien
Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien
d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de
d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de
vivre pour une autre que celle que tu es toi-même.
vivre pour une autre que celle que tu es toi-même.
*
 
**
 
Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici
Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici
se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en
se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en
d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions
d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions
pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous
pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 200
interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas
interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas
seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme
seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme
Ligne 1 086 : Ligne 1 151 :
mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que
mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que
spirituels.
spirituels.
Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence
Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence
plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes
plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes
Ligne 1 092 : Ligne 1 158 :
mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient
mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient
à l'Homme.
à l'Homme.
Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est
Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est
sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur.
sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur.
Ligne 1 106 : Ligne 1 173 :
l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est
l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est
pas la vie d'un non-homme.
pas la vie d'un non-homme.
Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité,
Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité,
il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes
il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes
Ligne 1 111 : Ligne 1 179 :
également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science
également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science
et de la critique.
et de la critique.
Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À
Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À
première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou
première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou
Ligne 1 116 : Ligne 1 185 :
humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme
humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme
et non à titre de non-homme.
et non à titre de non-homme.
Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple,
Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple,
et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux,
et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux,
Ligne 1 121 : Ligne 1 191 :
ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute
ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute
lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ».
lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 201
 
Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir
Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir
jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être
jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être
Ligne 1 128 : Ligne 1 198 :
l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se
l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se
traduire par des mesures de répulsion pratique.
traduire par des mesures de répulsion pratique.
Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur
Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur
l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel,
l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel,
Ligne 1 138 : Ligne 1 209 :
en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait
en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait
même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain.
même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain.
Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à
Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à
leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi,
leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi,
son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi
son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour
: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour
autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de
autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de
propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le
propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le
Ligne 1 147 : Ligne 1 218 :
ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en
ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en
propriétaire selon — mes forces.
propriétaire selon — mes forces.
La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ;
La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ;
ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible
ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible
Ligne 1 152 : Ligne 1 224 :
dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété
dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété
se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande.
se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande.
La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu »
La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu »
et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la
et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la
« faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de
« faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de
l'homme ».
l'homme ».
Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux
Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux
qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être
qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être
Ligne 1 163 : Ligne 1 237 :
le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à
le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à
l’ « Homme ».
l’ « Homme ».
Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa
Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa
propriété.
propriété.
Propriété = Mien !
Propriété = Mien !
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 202
 
Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois
Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois
respecter ta propriété.
respecter ta propriété.
« Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun
« Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun
posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à
posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à
un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à
un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à
ronger.
ronger.
L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux
L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux
effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété,
effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété,
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propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de
propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de
nous entendre.
nous entendre.
Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les
Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les
servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout
servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout
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et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en
et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en
« hommes libres » et en « bons patriotes ».
« hommes libres » et en « bons patriotes ».
Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité,
Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité,
la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les
la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les
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la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement
la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement
écartés et on ne les expulserait pas.
écartés et on ne les expulserait pas.
La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives
La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives
des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le
des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le
citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le
citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le
monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui.
monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui.
Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs
Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs
ou d'usufruitiers 1. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais
ou d'usufruitiers <ref>Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83</ref>. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais
en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il
en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il
en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa
en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa
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non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine
non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine
aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une
aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une
1 Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83
société <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 203
société * qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui
propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la
propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la
terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en
terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en
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fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en
fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en
useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu
useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu
isolé, ledit « propriétaire ** ».
isolé, ledit « propriétaire <ref> Ibid.</ref>».
 
Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être
Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être
« exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel
« exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel
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nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par
nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par
la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. »
la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. »
Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et
Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et
l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on
l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on
nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol * »); si elle retire
nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>»); si elle retire
au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle
au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle
ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en
ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en
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que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de
que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de
l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ».
l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ».
Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles
Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles
la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de
la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de
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car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et
car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et
imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium
imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
** Ibid.
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 204
la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens,
la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens,
ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés
ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés
et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société,
et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société,
etc.).
etc.).
Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il
Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il
dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre
dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre
ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ;
ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ;
il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà.
il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà.
Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est —
Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est —
l'Individu.
l'Individu.
*
 
**
 
Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant
Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant
de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection
de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection
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conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se
conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se
l'approprie est un voleur.
l'approprie est un voleur.
La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; —
La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; —
car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne
car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne
devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait * »,
devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>»,
comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la
comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la
propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui
propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui
fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit.
fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit.
Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les
Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les
choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit
choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit
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seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force
seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force
de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute-
de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute-
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 205
puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait
puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait
ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires.
ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires.
Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant
Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant
qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend.
qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend.
La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des
La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des
gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi,
gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi,
l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal,
l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal,
et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi.
et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi.
Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est
Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est
faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai
faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai
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à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait
à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait
à la patrie, au Peuple, à l'État.
à la patrie, au Peuple, à l'État.
On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander
On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander
de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le
de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le
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l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est
l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est
confisquée ou fond en procès ruineux.
confisquée ou fond en procès ruineux.
La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété
La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété
du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient
du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient
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mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si
mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si
— l'État ne s'y oppose pas.
— l'État ne s'y oppose pas.
En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque
En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque
le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans
le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans
les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple,
les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple,
« l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal.
« l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal.
Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire
Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire
dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou
dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou
même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État
même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 206
ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier
ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier
au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que
au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que
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qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et
qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et
qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État.
qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État.
Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est
Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est
cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de
cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de
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que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement
que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement
à un « commerce ».
à un « commerce ».
L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ;
L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ;
si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays »,
si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays »,
Ligne 1 369 : Ligne 1 457 :
termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs
termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs
qu'il ne puisse rien faire pour moi.
qu'il ne puisse rien faire pour moi.
Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à
Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à
me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables.
me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables.
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m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner
m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner
une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ».
une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ».
Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus
Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus
que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me
que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me
voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever.
voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever.
Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à
Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à
grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême
grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême
Ligne 1 392 : Ligne 1 483 :
ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à
ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à
redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment
redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 207
que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si,
que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si,
ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux
ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux
Ligne 1 400 : Ligne 1 490 :
les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme
les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme
« Esprit ».
« Esprit ».
Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels
Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels
dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent
dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent
Ligne 1 407 : Ligne 1 498 :
que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous
que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous
compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État !
compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État !
Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau.
Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau.
L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce
L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce
Ligne 1 423 : Ligne 1 515 :
fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à
fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à
l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne.
l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne.
Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il
Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il
doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême.
doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême.
Ligne 1 430 : Ligne 1 523 :
propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que
propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que
par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui.
par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui.
Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant
Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant
(privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État.
(privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État.
Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance
Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance
considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et
considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et
ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien.
ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien.
Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus
Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus
les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma
les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma
propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma
propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma
guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu
guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 208
de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes,
de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes,
elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en
elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en
change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété.
change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété.
Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À
Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À
quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le
quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le
droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres
droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres
termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire
termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre.
; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre.
 
Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose
Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose
demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai
demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai
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je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de
je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de
mon droit.
mon droit.
Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe
Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe
d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même
d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même
équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de
équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de
l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier
l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier
quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement
quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai !
: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai !
 
Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont
Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont
leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de
leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de
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dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir
dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir
qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore.
qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore.
C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de
C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de
la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les
la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 209
biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il
biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il
s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire
s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire
ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la
ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la
déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir.
déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir.
« En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout
« En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout
temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que
temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que
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mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est
mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est
purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même.
purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même.
Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que
Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que
je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne
je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne
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veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est
veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est
la vieille conscience du péché qui en est cause.
la vieille conscience du péché qui en est cause.
Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une
Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une
propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent
propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent
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individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens
individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens
d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée.
d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée.
Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire
Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire
Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma
Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma
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répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste
répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste
agit en propriétaire.
agit en propriétaire.
Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent
Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent
échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe
échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe
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crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait
crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait
l'Épouvantail au Chat Botté.
l'Épouvantail au Chat Botté.
La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher
La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher
aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne
aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne
suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin.
suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 210
 
« Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de
« Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de
beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ?
beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ?
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Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de
Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de
donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes
donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes
(taxe des pauvres 1 ) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons
(taxe des pauvres <ref> Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder
l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône
acquiert des droits politiques !</ref>) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons
permettront que cela dure.
permettront que cela dure.
La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre
La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre
que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue
que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue
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leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que —
leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que —
la suppression de tout don.
la suppression de tout don.
On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris
On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris
courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de
courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de
tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ?
tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ?
— Attendez, et vous le saurez.
— Attendez, et vous le saurez.
*
 
**
 
La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre
La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre
chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette
chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette
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entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais
entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais
devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ».
devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ».
1 Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder
 
l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône
acquiert des droits politiques !
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 211
L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes,
L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes,
trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car
trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car
l'égalité * n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples
l'égalité <ref>« Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)</ref> n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples
particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents.
particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents.
Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec
Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec
tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible,
tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible,
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accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession
accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession
lui est ouverte [patente]).
lui est ouverte [patente]).
Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même
Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même
vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce
vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce
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Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la
Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la
bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ?
bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ?
« Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la
« Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la
concurrence.
concurrence.
— Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses.
— Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses.
— Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de
— Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de
l'argent !
l'argent !
— C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir.
— C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir.
Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et
Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et
ses privilèges. »
ses privilèges. »
La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les
La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les
choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à
choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à
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l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de
l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de
concession, de dépôt.
concession, de dépôt.
« Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence
« Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence
à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter
à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter
son auditoire.
son auditoire.
— As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ?
— As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ?
— Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à
— Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à
cet enseignement.
cet enseignement.
* « Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 212
— J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne,
— J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne,
il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce
il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce
diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous
diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous
verrons ensuite ce qu'il y a à faire. »
verrons ensuite ce qu'il y a à faire. »
Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon
Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon
seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir.
seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir.
Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une
Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une
fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc.
fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc.
Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la
Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la
palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font
palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font
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que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre
que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre
(comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une
(comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une
grâce que l'État m'accorde 1.
grâce que l'État m'accorde <ref>Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la
plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en
principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi
toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un
placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».</ref>.
 
Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes
Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes
comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour
comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour
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la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des
la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des
moyens matériels.
moyens matériels.
Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se
Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se
fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart
fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart
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conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans
conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans
la concurrence.
la concurrence.
Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé
 
; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question
Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question
du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir
du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir
autant qu'il lui est nécessaire. »
autant qu'il lui est nécessaire. »
1 Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne
 
leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la
plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en
principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi
toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un
placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 213
Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme »
Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme »
ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir
ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir
besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier.
besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier.
Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et
Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et
c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais
c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais
de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes
de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes
sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer.
sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer.
Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et
Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et
préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons
préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons
plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) *. Tu auras à te créer
plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) <ref>Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance,
faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le
lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de
production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot
français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est
pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)</ref>. Tu auras à te créer
une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail.
une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail.
Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons
Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons
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« propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en
« propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en
attendant que tu sois « exproprié ».
attendant que tu sois « exproprié ».
Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont
Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont
pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable
pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable
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pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens
pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens
d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse.
d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse.
Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le
Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le
servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et
servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et
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ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce
ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce
qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage.
qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage.
En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage,
En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage,
comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à
comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à
l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun.
l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun.
Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste
Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste
que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable
que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable
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impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que
impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que
de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer
de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer
* Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance,
faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le
lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de
production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot
français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est
pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 214
leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait
leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait
absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à
absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à
disparaître.
disparaître.
Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer
Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer
un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des
un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des
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oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es
oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es
tout juste capable de disparaître.
tout juste capable de disparaître.
Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux
Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux
qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me
qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me
servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ?
servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ?
Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du
Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du
partage égal.
partage égal.
L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième
L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième
de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette
de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette
conception qui le diminue et le rabaisse.
conception qui le diminue et le rabaisse.
Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des
Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des
travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au
travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au
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toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous
toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous
contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous.
contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous.
Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai
Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai
besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un
besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un
prix à mes yeux. et que j'achète.
prix à mes yeux. et que j'achète.
Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en
Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en
argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en
argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en
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Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à
Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à
peine ressentir pour un pareil bétail ?
peine ressentir pour un pareil bétail ?
La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires
La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires
ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse,
ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse,
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Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de
Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de
son travail.
son travail.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 215
 
Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une
Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une
façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant
façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant
tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix.
tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix.
Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils
Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils
n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais
n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais
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circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as
circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as
la valeur que tu sais te donner.
la valeur que tu sais te donner.
On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse,
On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse,
son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître.
son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître.
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instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec
instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec
ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse !
ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse !
En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon
En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon
ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais
ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais
pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens.
pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens.
« Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À
« Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À
chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là
chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là
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que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon
que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon
pouvoir, qui dépend de ma force.
pouvoir, qui dépend de ma force.
On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas
On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas
digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder.
digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder.
On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres.
On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres.
Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas
Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas
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pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce,
pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce,
d'où viennent-ils ?
d'où viennent-ils ?
Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec
Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec
les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à
les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à
peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandezvous
peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandez-vous: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux
: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux
pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un
pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un
écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil
écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil
de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ?
de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ?
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 216
 
Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire
Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire
de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec
de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec
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administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé
administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé
ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive.
ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive.
Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts
Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts
ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre
ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre
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hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de
hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de
chose !
chose !
Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous
Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous
arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder.
arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder.
Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres
Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres
peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur,
peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur,
Ligne 1 817 : Ligne 1 954 :
attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à
attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à
peu près « tous les hommes ».
peu près « tous les hommes ».
Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent
Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent
une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui
une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui
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L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut
L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut
pas lever l'Unique.
pas lever l'Unique.
Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux
Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux
humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme
humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme
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et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de
et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de
« matérialisme des moeurs ».
« matérialisme des moeurs ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 217
 
Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens
Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens
humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une
humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une
organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie
organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie
qui a paru nécessaire jusqu'à présent.
qui a paru nécessaire jusqu'à présent.
Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de
Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de
temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme
temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme
se tait.
se tait.
Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa
Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa
part comme homme !
part comme homme !
Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est
Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est
humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la
humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la
concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous
concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous
nos voeux.
nos voeux.
Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le
Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le
bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui
bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui
consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et
consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et
la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal.
la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal.
Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se
Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se
croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever
croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever
Ligne 1 861 : Ligne 2 005 :
tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire
tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire
suffit.
suffit.
En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination
En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination
hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons
hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons
Ligne 1 866 : Ligne 2 011 :
démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle
démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle
sociale.
sociale.
Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans
Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans
doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère
doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère
Ligne 1 875 : Ligne 2 021 :
avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à
avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à
autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs !
autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs !
À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici
À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici
le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais
le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais
moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de
moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de
paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses
paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 218
centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de
centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de
vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos
vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos
Ligne 1 888 : Ligne 2 034 :
avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous,
avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous,
ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez.
ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez.
Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près
Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près
(car tout cela n'était que possession), au travail.
(car tout cela n'était que possession), au travail.
Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez
Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez
pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix.
pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix.
Ligne 1 903 : Ligne 2 051 :
que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien
que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien
entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux.
entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux.
Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix
Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix
équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne
équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne
Ligne 1 912 : Ligne 2 061 :
d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous
d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous
aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être.
aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être.
Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y
Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y
a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a
a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a
Ligne 1 918 : Ligne 2 068 :
présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons
présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons
rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir.
rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir.
Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je
Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je
suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix
suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix
Ligne 1 923 : Ligne 2 074 :
autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un
autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un
qui demande moins, qu'il prenne garde à lui !
qui demande moins, qu'il prenne garde à lui !
Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en
Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en
dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax
dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 219
jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez
jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez
pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! —
pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! —
Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense.
Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense.
Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ?
Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ?
Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me
Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me
regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la
regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la
Ligne 1 946 : Ligne 2 098 :
vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons
vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons
bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez.
bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez.
L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un
L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un
sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa
sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa
Ligne 1 959 : Ligne 2 112 :
Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient
Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient
parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ?
parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ?
Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un
Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un
principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par
principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par
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non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du
non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du
commun et du communiste, — par égoïsme.
commun et du communiste, — par égoïsme.
Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur
Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur
(« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci
(« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci
Ligne 1 974 : Ligne 2 129 :
réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne
réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne
peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque
peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 220
instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on
instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on
l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais
l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais
Ligne 1 981 : Ligne 2 135 :
me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans
me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans
mon travail.
mon travail.
Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président
Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président
ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire
ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire
Ligne 1 988 : Ligne 2 143 :
pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est
pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est
capable.
capable.
Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel
Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel
qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à
qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à
Ligne 1 998 : Ligne 2 154 :
ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur
ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur
d'unique. Faites payer de même votre propre travail.
d'unique. Faites payer de même votre propre travail.
On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je
On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je
fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à
fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à
forfait.
forfait.
Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que
Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que
le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité.
le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité.
Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est
Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est
à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te
à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te
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pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction
pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction
de tes désirs.
de tes désirs.
Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie
Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie
s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle
s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle
Ligne 2 016 : Ligne 2 176 :
que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi
que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi
le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ?
le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ?
Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise
Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise
parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme
parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme
une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle
une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle
empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si
empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 221
vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais
vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais
ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui
ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui
Ligne 2 029 : Ligne 2 189 :
d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par
d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par
leur faute, à devenir des — sans-travail.
leur faute, à devenir des — sans-travail.
C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance
C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance
dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille,
dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille,
Ligne 2 035 : Ligne 2 196 :
enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur
enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur
ardente passion.
ardente passion.
Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la
Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la
jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison,
jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison,
Ligne 2 044 : Ligne 2 206 :
issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère
issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère
nouveau.
nouveau.
Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément
Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément
son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à
son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à
Ligne 2 051 : Ligne 2 214 :
indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la
indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la
viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc.
viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc.
Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation.
Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation.
Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des
Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des
Ligne 2 057 : Ligne 2 221 :
mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés,
mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés,
mais bien celle des associés.
mais bien celle des associés.
Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il
Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il
plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis
plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis
Ligne 2 066 : Ligne 2 231 :
fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle
fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle
corporation ou de tel patron patenté.
corporation ou de tel patron patenté.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 222
 
Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde,
Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde,
aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes.
aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes.
Ligne 2 075 : Ligne 2 240 :
« criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait
« criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait
par une « voie légale ».
par une « voie légale ».
C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution.
C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution.
Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence
Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence
indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ;
indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ;
Ligne 2 084 : Ligne 2 251 :
que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance
que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance
du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant.
du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant.
On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté,
On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté,
etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister
etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister
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fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas
fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas
même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »).
même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »).
Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit.
Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit.
Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance
Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance
de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que
de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que
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« pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un
« pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un
meilleur parti.
meilleur parti.
Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en
Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en
faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner
faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner
la puissance que nous lui avons prêtée ?
la puissance que nous lui avons prêtée ?
L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui
L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui
n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété
n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété
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mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les
mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les
autres du droit humain ou des droits de l'homme.
autres du droit humain ou des droits de l'homme.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 223
 
Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son
Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son
droit.
droit.
Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À
Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À
chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les
chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les
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discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins
discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins
un crime. Vous êtes tous des criminels.
un crime. Vous êtes tous des criminels.
Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du
Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du
droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas
droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas
vous en féliciter.
vous en féliciter.
La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la
La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la
fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce
fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce
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qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout
qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout
objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général.
objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général.
Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard
Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard
tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa
tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa
Ligne 2 149 : Ligne 2 325 :
exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi
exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi
devant elle.
devant elle.
Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme,
Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme,
mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent
mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent
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de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le
de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le
veux.
veux.
Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera
Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera
juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il
juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 224
en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit
en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit
absolu du propriétaire.
absolu du propriétaire.
Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à
Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à
présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous
présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous
Ligne 2 169 : Ligne 2 347 :
l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée
l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée
et on doit s'incliner devant elle.
et on doit s'incliner devant elle.
Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun
Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun
une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main
une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main
Ligne 2 175 : Ligne 2 354 :
qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se
qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se
déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit.
déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit.
Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême
Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême
» et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait
» et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait
Ligne 2 184 : Ligne 2 364 :
empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre
empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre
vrai moi un fantôme devenu si bon homme.
vrai moi un fantôme devenu si bon homme.
Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa
Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa
plus haute puissance.
plus haute puissance.
L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque
L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque
chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout
chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout
respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas.
respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas.
À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites
À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites
différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire
différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire
Ligne 2 196 : Ligne 2 379 :
qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le
qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le
Libéral.
Libéral.
Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on
Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on
nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis
nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis
Ligne 2 206 : Ligne 2 390 :
c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le
c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le
scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété.
scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété.
*
 
**
 
Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous
Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous
ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop
ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop
libre.
libre.
Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la
Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la
presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses
presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses
Ligne 2 216 : Ligne 2 401 :
« pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux
« pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux
que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure.
que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure.
Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de
Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de
la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance,
la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance,
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ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle
ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle
commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté.
commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté.
Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui
Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui
être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me
être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me
fusse affranchi de l'obéissance à la loi.
fusse affranchi de l'obéissance à la loi.
En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté
En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté
absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que
absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que
de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré,
de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré,
soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi.
soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi.
Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne
Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne
pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres
pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres
que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être,
que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être,
comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme.
comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme.
On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la
On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la
presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce
presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 226
qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou
qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou
n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à
n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à
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sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la
sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la
presse.
presse.
En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre
En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre
moi-même.
moi-même.
Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la
Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la
presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne
presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne
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par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de
par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de
vaines espérances et de vaines récriminations.
vaines espérances et de vaines récriminations.
« Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre,
« Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre,
vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à
vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à
force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on
force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on
importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? »
importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? »
Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne
Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne
va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante :
va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante :
—Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer
—Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer
pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne
pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne
me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion
me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion
favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ?
favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ?
« Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe
« Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe
l'État.
l'État.
« Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut
« Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut
de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il
de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il
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redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura
redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura
perdu son inviolabilité.
perdu son inviolabilité.
« Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait
« Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait
l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui,
l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui,
Ligne 2 285 : Ligne 2 482 :
déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint »
déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint »
d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la
d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 227
vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous
vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous
aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement.
aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement.
« Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté
« Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté
de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par
de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par
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contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et
contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et
de toute « puissance supérieure ».
de toute « puissance supérieure ».
« Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut
« Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut
être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais
être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais
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morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas
morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas
liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi.
liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi.
« La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre
« La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre
jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je
jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je
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elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux
elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux
m'assurer.
m'assurer.
« Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et
« Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et
l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la
l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la
presse à l'anéantir.
presse à l'anéantir.
« Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme
« Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme
« liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de
« liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de
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aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une
aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une
tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ».
tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ».
« La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au
« La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au
Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage.
Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage.
Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax
Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 228
tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse,
tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse,
je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la
je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la
permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force.
permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force.
« Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour
« Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour
en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du
en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du
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feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de
feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de
l'Allemagne ».
l'Allemagne ».
« La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire :
« La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire :
Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du
Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du
monde.
monde.
« Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très
« Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très
peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire
peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire
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comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes
comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes
ennemis.
ennemis.
— N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ?
— N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ?
— Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai
— Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai
aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais
aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais
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sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là
sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là
mêmes qui me l'auront accordée.
mêmes qui me l'auront accordée.
« J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de
« J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de
leur imprévoyance.
leur imprévoyance.
« La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en
« La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en
dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni
dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni
par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon
par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon
égoïsme ! »
égoïsme ! »
Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais
Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais
peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la
peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la
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affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de
affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de
l'État).
l'État).
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 229
 
Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être
Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être
ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au
ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au
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ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves
ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves
qu'ils emploient.
qu'ils emploient.
Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse
Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse
est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout
est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout
indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer
indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent 1. Ce
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent <ref>II, p. 91 sqq.</ref>. Ce
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si,
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si,
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la
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propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui,
propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui,
individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire.
individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire.
Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer
Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer
sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il
sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il
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contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si
contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété.
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété.
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle
n'est que le droit du citoyen libre.
n'est que le droit du citoyen libre.
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon
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établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à
établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse.
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse.
1 II, p. 91 sqq.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 230
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme.
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme.
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse.
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse.
*
 
**
 
Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement,
Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement,
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher,
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher,
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de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et
de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et
l'Humanité.
l'Humanité.
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt
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etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer
etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste !
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste !
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous
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N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la
N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ?
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ?
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos
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indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement,
indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement,
des jugements.
des jugements.
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque
chose.
chose.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 231
 
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu
et ne peut devenir sans amour.
et ne peut devenir sans amour.
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté.
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté.
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins 1. » Sa main se retrouve
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins <ref> Athanase.</ref>.» Sa main se retrouve
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se
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combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui
combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine.
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine.
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme
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pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse
pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ».
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ».
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné
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succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est
succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est
impérissable.
impérissable.
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation
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Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur
Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il
1 Athanase.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 232
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de
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il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis
il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis
me le donner.
me le donner.
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en
soi l'être suprême et d'en faire une vérité * et une réalité, on devait aussi aux autres de
soi l'être suprême et d'en faire une vérité <ref>« Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> et une réalité, on devait aussi aux autres de
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation.
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation.
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des
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rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports
rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports
avec les hommes.
avec les hommes.
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source
: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le
devoir et la vocation de l'homme, etc. »
devoir et la vocation de l'homme, etc. »
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie
à la puissance de l'Homme.
à la puissance de l'Homme.
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement.
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement.
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l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de
l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité.
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité.
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui
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lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi
lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne
* « Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 233
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que,
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que,
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même
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à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce
à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé.
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé.
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux.
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux.
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour
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m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser.
m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser.
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » *. Ma
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » <ref> Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)</ref>. Ma
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien,
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien,
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien »
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien »
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Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce
Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie.
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie.
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ;
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ;
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes.
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes.
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me
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s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui
s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance.
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance.
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux
dissiper que mon chagrin.
dissiper que mon chagrin.
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes
* Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 234
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On
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génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns
génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer.
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer.
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique.
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique.
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais
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conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui
conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui
lui appartiens.
lui appartiens.
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que
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s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et
s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et
devienne, par exemple, un « Homme ».
devienne, par exemple, un « Homme ».
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même
Ligne 2 642 : Ligne 2 873 :
je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui
je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui
paie.
paie.
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé,
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé,
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit
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« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet
« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls.
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls.
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À
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elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le
elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais.
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais.
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes
de connaître l'esclavage du mysticisme.
de connaître l'esclavage du mysticisme.
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut
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prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son
prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son
embouchure dans l'intérêt personnel.
embouchure dans l'intérêt personnel.
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est
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chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma —
chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma —
propriété.
propriété.
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine
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diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire
diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique.
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique.
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste 1. » C'est ce que dit
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste <ref>FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.</ref>. » C'est ce que dit
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un
1 FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 236
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour,
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour,
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes.
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes.
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout
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propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »;
propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »;
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle.
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle.
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur
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comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je
comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je
surmonte toute autre antipathie.
surmonte toute autre antipathie.
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est
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sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement
sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit.
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit.
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins
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». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que
». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui.
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui.
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche,
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche,
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Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre
Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ».
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ».
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense,
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense,
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non :
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non :
« Je chante comme chante l'oiseau
« Je chante comme chante l'oiseau
Qui habite dans le feuillage.
Qui habite dans le feuillage.
Le chant même que produit ma voix
Le chant même que produit ma voix
Est mon salaire, et un salaire royal 1. »
Est mon salaire, et un salaire royal <ref> Wilhelm Meister.</ref>»
 
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles.
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles.
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ;
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ;
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ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes
ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.
*
 
**
 
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être
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Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous
Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme.
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme.
1 Wilhelm Meister.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 238
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance
; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps
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le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne
le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même.
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même.
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement,
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement,
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seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous
seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous
brouiller avec Dieu par un parjure.
brouiller avec Dieu par un parjure.
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on
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vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et
vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 239
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie
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coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ;
coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ;
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. »
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. »
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ;
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ;
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole
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pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard
pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard
des hommes.
des hommes.
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une
parole princière violée !
parole princière violée !
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de
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ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son
ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son
maître, tout comme celui qui craint Dieu.
maître, tout comme celui qui craint Dieu.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 240
 
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement,
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement,
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où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un
où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou.
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou.
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ;
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ;
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable.
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable.
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé.
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé.
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il
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pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se
pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.)
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.)
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner
 
; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme.
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme.
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle
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hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami,
hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami,
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 241
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne
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de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours
de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice.
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice.
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y
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de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la
de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la
vérité, et que Dieu vous bénisse !
vérité, et que Dieu vous bénisse !
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font,
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font,
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment.
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment.
Ligne 2 957 : Ligne 3 209 :
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer.
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer.
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez,
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez,
Ligne 2 969 : Ligne 3 222 :
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal.
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal.
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 242
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque
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c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car
c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit.
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit.
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler
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! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je
! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire.
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire.
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais
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enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de
enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. »
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. »
*
 
**
 
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux
formes, pensée et agiotage.
formes, pensée et agiotage.
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui
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encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui
encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi.
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 243
 
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui,
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui,
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le
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est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je
est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ».
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ».
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est —
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est —
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour
Ligne 3 031 : Ligne 3 288 :
qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être
qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être
des « égoïstes ».
des « égoïstes ».
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par
Ligne 3 038 : Ligne 3 296 :
est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a
est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété.
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété.
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société.
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société.
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère,
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère,
Ligne 3 050 : Ligne 3 309 :
préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il
préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il
n'est pas entré, où il n'a fait que naître.
n'est pas entré, où il n'a fait que naître.
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce
: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance.
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance.
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association
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— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association
— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association
du parti.
du parti.
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 244
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins;
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins;
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue.
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue.
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à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses
à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses
coups.
coups.
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai
jalousement mon individualité.
jalousement mon individualité.
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle
Ligne 3 084 : Ligne 3 345 :
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que
ce que leur permettent la société et ses lois.
ce que leur permettent la société et ses lois.
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle
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que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa
que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa
souveraineté.
souveraineté.
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association
Ligne 3 104 : Ligne 3 367 :
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles.
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles.
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de
Ligne 3 109 : Ligne 3 373 :
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 245
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi,
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi,
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un
Ligne 3 119 : Ligne 3 382 :
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de
Ligne 3 126 : Ligne 3 390 :
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment
plus aussi que l'association.
plus aussi que l'association.
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se
Ligne 3 147 : Ligne 3 412 :
s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que
s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que
leur promet Weitling.
leur promet Weitling.
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les
Ligne 3 159 : Ligne 3 425 :
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 246
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années,
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années,
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue
Ligne 3 168 : Ligne 3 433 :
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme
ne sort pas de la même ornière.
ne sort pas de la même ornière.
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui
Ligne 3 181 : Ligne 3 447 :
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les
hommes. »)
hommes. »)
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe.
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe.
Ligne 3 188 : Ligne 3 455 :
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État !
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État !
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité
Ligne 3 204 : Ligne 3 472 :
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré
tout, le pauvre diable aime encore son maître !
tout, le pauvre diable aime encore son maître !
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible.
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible.
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 247
MOI 371
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux
Ligne 3 217 : Ligne 3 484 :
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se
fixer par la parole.
fixer par la parole.
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans
Ligne 3 228 : Ligne 3 496 :
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas,
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas,
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir.
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir.
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus
Ligne 3 233 : Ligne 3 502 :
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni
Ligne 3 243 : Ligne 3 513 :
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle.
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle.
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à
Ligne 3 248 : Ligne 3 519 :
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété.
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété.
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 248
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait
Ligne 3 268 : Ligne 3 539 :
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement
différente.
différente.
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en
Ligne 3 274 : Ligne 3 546 :
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer.
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer.
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur
 
; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle.
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle.
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association.
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association.
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en
Ligne 3 288 : Ligne 3 561 :
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne
« sacrifie » rien du tout.
« sacrifie » rien du tout.
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant,
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant,
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il
Ligne 3 295 : Ligne 3 569 :
de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de
de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine.
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine.
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 249
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car
Ligne 3 306 : Ligne 3 580 :
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute
suzeraineté de l’ « Homme ».
suzeraineté de l’ « Homme ».
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il
Ligne 3 315 : Ligne 3 590 :
confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est
confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ».
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ».
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre
Ligne 3 323 : Ligne 3 599 :
Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme
Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier.
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier.
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur
Ligne 3 331 : Ligne 3 608 :
et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez :
et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez :
je veux en profiter.
je veux en profiter.
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! »
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! »
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme
Ligne 3 341 : Ligne 3 620 :
nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en
nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en
est aux pauvres.
est aux pauvres.
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est,
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 250
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien
Ligne 3 353 : Ligne 3 632 :
d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus
d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus
pur, on ne peut plus humain !
pur, on ne peut plus humain !
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est
Ligne 3 361 : Ligne 3 641 :
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle,
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle,
la — parfaite gueuserie.
la — parfaite gueuserie.
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ?
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ?
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc
Ligne 3 375 : Ligne 3 657 :
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent
est mort et tombe en décomposition.
est mort et tombe en décomposition.
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes.
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes.
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève
ou qu'on s'élève.
ou qu'on s'élève.
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères,
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères,
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé 1.
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé <ref>Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.</ref>.
 
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme.
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme.
1 Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
 
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 251
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et
Ligne 3 425 : Ligne 3 710 :
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines.
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines.
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ?
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ?
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne
s'est accomplie.
s'est accomplie.
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes,
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes,
Ligne 3 434 : Ligne 3 721 :
Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont
Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi.
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi.
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 252
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour
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rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire
rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire
renoncer au pouvoir de vie et de mort.
renoncer au pouvoir de vie et de mort.
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent
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suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon
suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon
existence terrestre, etc.).
existence terrestre, etc.).
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou
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pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les
pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les
élève et me mets au-dessous d'elles.
élève et me mets au-dessous d'elles.
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme »,
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme »,
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sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix
sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc.
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc.
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance.
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance.
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma —
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma —
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== Notes et références ==  
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<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références -->
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