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Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les | Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les | ||
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Tout fantôme qui se respecte porte un nom ; ceux-ci s'appellent « Peuples ». II y | Tout fantôme qui se respecte porte un nom ; ceux-ci s'appellent « Peuples ». II y | ||
eut un Peuple des aïeux, un Peuple des Hellènes, etc., et il y a aujourd'hui le Peuple | eut un Peuple des aïeux, un Peuple des Hellènes, etc., et il y a aujourd'hui le Peuple | ||
des Humains, l'Humanité (Anacharsis Clootz rêvait une « Nation de l'humanité ») ; | des Humains, l'Humanité (Anacharsis Clootz rêvait une « Nation de l'humanité ») ;vinrent ensuite les subdivisions de ce Peuple, qui renfermait ses sociétés particulières: peuple espagnol, peuple français, etc.; ces dernières comprirent à leur tour les castes, | ||
vinrent ensuite les subdivisions de ce Peuple, qui renfermait ses sociétés particulières | |||
: peuple espagnol, peuple français, etc.; ces dernières comprirent à leur tour les castes, | |||
les villes, les corporations, bref tous les groupements possibles, jusqu'au minuscule | les villes, les corporations, bref tous les groupements possibles, jusqu'au minuscule | ||
petit peuple qu'est la Famille. | petit peuple qu'est la Famille. | ||
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l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit | l'individu est lié. C'est à l'époque de sa plus grande liberté que le peuple grec établit | ||
l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs. | l'ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs. | ||
Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit | Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit | ||
repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de | repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de | ||
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d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération | d'une « justice », d'une « légalité », etc., devait se dissiper devant cette considération | ||
que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance. | que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance. | ||
La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues. | La liberté grecque périt misérablement au milieu des chicanes et des intrigues. | ||
Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans | Pourquoi ? Parce que les conclusions que n'avait pas su tirer Socrate, leur maître dans | ||
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Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme | Spartiate Lysandre et bien d'autres témoignent que l'intrigue s'était répandue comme | ||
une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut, | une lèpre dans toute la Grèce. Le Droit grec, sur lequel reposaient les États grecs, fut, | ||
dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant | dans ces États mêmes, miné et ébranlé par les égoïstes, et les États croulèrent, mettant | ||
en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins | en liberté les Individus. Le Peuple grec tomba parce que les individus faisaient moins | ||
de cas de lui que d'eux-mêmes. | de cas de lui que d'eux-mêmes. | ||
États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a | États, Constitutions, Églises, etc., se sont toujours évanouis dès que l'individu a | ||
levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger | levé la tête, car l'individu est l'ennemi irréconciliable de tout ce qui tend à submerger | ||
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qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la | qu'on ait faits en matière de liens, on n'est arrivé, en partant des lisières, qu'à la | ||
bretelle ou à la cravate. | bretelle ou à la cravate. | ||
Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne. | Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne. | ||
Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement | |||
; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les | Tout ce qui est sacré est falsifié par des faussaires, et il ne pourrait en être autrement; aussi trouve-t-on à notre époque une foule de ces faussaires dans toutes les | ||
sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit. | sphères. Ils préparent la rupture avec le droit, la suppression du droit. | ||
Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade, | Pauvres Athéniens, qu'on accuse de chicane et de sophistique ! Pauvre Alcibiade, | ||
que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était | que l'on accuse d'intrigue ! C'est là justement ce que vous aviez de meilleur, c'était | ||
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le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition | le citoyen trop puissant, l'inquisition de l'Église guette l'hérétique, et — l'inquisition | ||
également guette le traître envers l'État. | également guette le traître envers l'État. | ||
Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun | Car le Peuple n'a cure que de se maintenir et de s'affermir ; il réclame de chacun | ||
un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro, | un « patriotique dévouement ». L'individu en soi lui est donc indifférent, c'est un zéro, | ||
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seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers | seul capable d'accomplir, sa réalisation. Tout Peuple, tout État est « injuste » envers | ||
les égoïstes. | les égoïstes. | ||
Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu | Tant qu'il reste debout une seule institution qu'il n'est pas permis à l'individu | ||
d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment | d'abolir, le Moi est encore bien loin d'être sa propriété et d'être autonome. Comment | ||
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Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer | Peuple ? Gomment être moi-même s'il n'est permis à mes facultés de se développer | ||
que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.) | que pour autant qu'elles « ne troublent pas l'harmonie de la Société »? (Weitling.) | ||
La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation. | La chute des peuples et de l'humanité sera le signal de son élévation. | ||
Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à | Écoute ! Au moment, même où j'écris ces lignes, les cloches se sont mises à | ||
sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième | sonner ; elles portent au loin un joyeux message : demain on célèbre le millième anniversaire de notre chère Allemagne. Sonnez, sonnez, ô cloches, cloches des funérailles | ||
! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient | ! Votre voix est si solennelle et si grave qu'il semble que vos langues de bronze soient | ||
mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples | mues par un pressentiment et que vous escortiez un mort. Peuple allemand et peuples | ||
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au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez | au tombeau pour ne vous relever jamais, et qu'ils soient libres, ceux que vous avez | ||
tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève. | tenus enchaînés si longtemps ! — Le Peuple est mort, Je me lève. | ||
Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ? | Ô toi qui as tant souffert, ô mon peuple allemand, quelle a été ta souffrance ? | ||
C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit | C'était le tourment d'une pensée qui ne peut se créer un corps, le tourment d'un Esprit | ||
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espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des | espérance s'envole, que le dernier amour s'éteint. Je dis adieu à la maison déserte des | ||
morts et je retourne parmi les vivants. | morts et je retourne parmi les vivants. | ||
« Car seuls les vivants ont raison. » | « Car seuls les vivants ont raison. » | ||
Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans | Adieu donc, rêve de tant de millions d'hommes ; adieu, toi qui pendant mille ans | ||
as tyrannisé tes enfants ! | as tyrannisé tes enfants ! | ||
Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand | Demain, on te portera en terre ; bientôt, tes soeurs les nations te suivront. Quand | ||
toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon | toutes seront parties à ta suite, l'humanité sera enterrée, et sur sa tombe, Moi, mon | ||
seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai. | seul maître enfin, Moi, son héritier, je rirai. | ||
Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une | Le mot Gesellschaft, société, a pour étymologie le mot Saal, salle. Lorsqu'une | ||
salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en | salle renferme plusieurs personnes, c'est elle qui fait que ces personnes sont en | ||
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mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai | mais d'un tiers ; c'est ce tiers qui fait de nous des compagnons et qui est le vrai | ||
fondateur, le créateur de la société. | fondateur, le créateur de la société. | ||
Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent | Il en est de même pour une société ou compagnie de prisonniers (ceux qui jouissent | ||
d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que | d'une même prison). Le tiers que nous rencontrons ici est déjà plus complexe que | ||
ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement | ne l'était celui de tantôt, le simple local, la salle. Prison ne désigne plus simplement | ||
un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce | un lieu, mais un lieu en rapport avec ses habitants : la prison n'est prison que parce | ||
qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque. | qu'elle est destinée à des prisonniers, sans lesquels elle serait un bâtiment quelconque. | ||
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la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière | la prison, car c'est à cause d'elle qu'ils sont des prisonniers. Qui détermine la manière | ||
de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison. | de vivre de la société de prisonniers ? Encore la prison. | ||
Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous | Mais qui détermine leurs relations ? Est-ce aussi la prison ? Halte ! Ici, je vous | ||
arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers, | arrête : Évidemment, s'ils entrent en relations, ce ne peut être que comme des prisonniers, | ||
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prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement | prison, mais celle-ci doit veiller à s'opposer à toutes relations égoïstes, purement | ||
personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu). | personnelles (les seules qui puissent s'établir réellement entre un Je et un Tu). | ||
La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit | La prison consent à ce que nous fassions un travail en commun, elle nous voit | ||
avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne. | avec plaisir manoeuvrer ensemble une machine ou partager n'importe quelle besogne. | ||
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moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des | moindre tentative de ce genre est punissable, comme l'est toute révolte contre une des | ||
sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés. | sacro-saintetés auxquelles l'homme doit se livrer pieds et poings liés. | ||
La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté | La prison, comme la salle, produit une société, une compagnie, une communauté | ||
(communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une | (communauté de travail, par exemple), mais non des relations, une réciprocité, une | ||
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porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut, | porte en elle le germe dangereux d'un « complot », et cette semence de rébellion peut, | ||
si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits. | si les circonstances sont favorables, germer et porter des fruits. | ||
Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu | Ce n'est guère l'usage d'aller volontairement en prison, et il est également peu | ||
commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de | commun que l'on y reste volontairement ; on y nourrit plutôt un égoïste désir de | ||
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seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à | seront hostiles à la société réalisée par la prison, et ne tendront à rien de moins qu'à | ||
dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune. | dissoudre cette société qui résulte de la captivité commune. | ||
Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous | Adressons-nous donc à d'autres sociétés, des sociétés où il semble que nous | ||
demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence | demeurions volontiers et de notre plein gré sans vouloir en compromettre l'existence | ||
par nos manoeuvres égoïstes. | par nos manoeuvres égoïstes. | ||
Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la | Comme communauté remplissant ces conditions se présente en premier lieu la | ||
famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une | famille. Parents, époux, enfants, frères et soeurs forment un tout, ou constituent une | ||
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ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus | ombilical. Cette dernière liaison a existé autrefois, elle est un fait qu'il n'est plus | ||
possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et | possible de défaire et en vertu duquel on reste irrévocablement le fils de cette mère et | ||
le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que | le frère de ses autres enfants ; mais une dépendance permanente ne peut résulter que | ||
de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute | de la permanence de la piété, de l'esprit de famille. Les individus ne sont, dans toute | ||
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contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le | contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le | ||
fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc. | fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc. | ||
L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le | L'individu chez qui l'instinct égoïste n'est pas assez fort se soumet : il conclut le | ||
mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport | mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport | ||
avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ». | avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ». | ||
Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère | Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d'ardeur dans ses veines, il préfère | ||
devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois. | devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois. | ||
Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas | Lequel m'est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas | ||
innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est | innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est | ||
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en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et | en avoir une perception nette ? C'est l'histoire de la Juliette de Roméo et | ||
Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser | Juliette : la passion déchaînée finit par ne plus pouvoir être domptée et par renverser | ||
l'édifice de la piété. | |||
Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son | Vous me direz que c'est purement dans son intérêt que la famille rejette de son | ||
sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même | sein ces égoïstes qui obéissent à leurs passions plus qu'à la piété. C'est ce même | ||
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excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus | excluent d'eux-mêmes en mettant leur passion ou leur volonté individuelle au-dessus | ||
du lien familial. | du lien familial. | ||
Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins | Mais il peut arriver que le désir s'allume dans un coeur moins passionné et moins | ||
volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la | volontaire que celui de Juliette. Alors celle qui se soumet se sacrifie à la paix de la | ||
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devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de | devant une puissance supérieure — soumise et sacrifiée parce que la superstition de | ||
la piété a exercé sur elle son empire ? | la piété a exercé sur elle son empire ? | ||
Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ; | Là, l'égoïsme avait vaincu ; ici, la piété est victorieuse et le coeur égoïste saigne ; | ||
là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis | là, l'égoïsme était fort ; ici, il a été faible. Des faibles : voilà, nous le savons depuis | ||
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exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné | exemple, fait l'éloge, quand il demande que le mariage des enfants soit subordonné | ||
au choix des parents. | au choix des parents. | ||
La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la | La famille étant une communauté sacrée à laquelle l'individu doit obéissance, la | ||
fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple, | fonction de juge lui appartient de droit. Le Cabanis de Wilibald Alexis, par exemple, | ||
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famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de | famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d'un de | ||
ses membres. | ses membres. | ||
De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin | De nos jours, toutefois, le bras de l'autorité familiale s'étend rarement assez loin | ||
pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des | pour pouvoir efficacement châtier le rebelle (l'État protège même dans la plupart des | ||
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envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses | envers la famille : il fait un devoir au fils, par exemple, de refuser d'obéir à ses | ||
parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État. | parents si ceux-ci veulent l'entraîner à pécher contre l'État. | ||
Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un | Supposons que l'égoïste ait rompu les liens familiaux et trouve dans l'État un | ||
protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire | protecteur contre l'esprit de famille gravement offensé. À quoi en arrive-t-il ? À faire | ||
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société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple | société et n'est pas une association : il est l'extension de la famille (« père du peuple | ||
— mère du peuple — enfants du peuple »). | — mère du peuple — enfants du peuple »). | ||
Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre | |||
Ce qu'on nomme État est un tissu, un entrelacement de dépendances et d'attachements | |||
; c'est une solidarité, une réciprocité ayant pour effet que tous ceux entre | |||
lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des | lesquels s'établit cette coordination s'accordent entre eux et dépendent les uns des | ||
autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont | autres : l'État est l'ordre, le régime de cette dépendance mutuelle. Que le roi, dont | ||
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face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le | face du désordre de la bestialité par tous ceux chez qui veille le sens de l'ordre. Si le | ||
désordre l'emportait, l'État aurait vécu. | désordre l'emportait, l'État aurait vécu. | ||
Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle, | Mais cette bonne entente, cet attachement réciproque, cette dépendance mutuelle, | ||
cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte, | cette pensée d'amour est-elle réellement capable de nous gouverner ? À ce compte, | ||
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nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est | nul ne « marche sur les pieds du voisin » ? Tout est ainsi mis en « bon ordre », et c'est | ||
ce bon ordre qu'on appelle État. | ce bon ordre qu'on appelle État. | ||
Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans | Nos sociétés et nos États sont sans que nous les fassions ; ils peuvent s'allier sans | ||
qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre, | qu'il y ait alliance entre nous, ils sont prédestinés et ils ont une existence propre, | ||
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mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et | mais l'alliance, l'union, l'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui est et | ||
n'est qu'à condition de changer sans cesse. | n'est qu'à condition de changer sans cesse. | ||
Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y | Un État se passe de mon entremise et de mon consentement ; je nais en lui, j'y | ||
grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous | grandis, j'ai envers lui des devoirs et je lui dois « foi et hommage ». Il me prend sous | ||
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l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un | l'État est capable de me donner : il me dresse à être un « bon instrument », un | ||
« membre utile de la Société ». | « membre utile de la Société ». | ||
C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel. | C'est ce que doit faire tout État, qu'il soit démocratique, absolu ou constitutionnel. | ||
Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un | Et il le fera tant que nous ne nous serons pas défaits de cette idée erronée qu'il est un | ||
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toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il | toujours de la même façon, un Moi réel se soit présenté et m'ait affirmé en face qu'il | ||
ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de | ne m'était pas un « toi », mais bel et bien mon propre moi ? C'est ce que fit le Fils de | ||
l'homme par excellence | l'homme par excellence <ref>« Par excellence » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>, et je me demande ce qui empêcherait le premier fils de | ||
l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors | l'homme venu d'en faire autant. Voyant ainsi mon moi toujours au-dessus et en dehors | ||
de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même. | de moi, je ne suis jamais parvenu à être réellement Moi-même. | ||
Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me | Je n'ai jamais cru à Moi, je n'ai jamais cru à mon actualité, et je n'ai jamais su me | ||
voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre, | voir que dans l'avenir. L'enfant croit qu'il sera vraiment lui lorsqu'il sera devenu autre, | ||
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dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un | dans l'acceptation d'un moi étranger auquel on se dévoue. Et qu'est-il, ce moi ? Un | ||
moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme. | moi qui n'est ni un moi ni un toi, un moi imaginaire, un fantôme. | ||
Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États | Tandis qu'au Moyen Âge l'Église admettait parfaitement que plusieurs États | ||
vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la | vécussent côte à côte sous son aile, quand vint la Réforme et plus particulièrement la | ||
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déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement | déterminée. « L'enseignement et l'éducation appartiennent à l'État », disait dernièrement | ||
Dupin en parlant du clergé. | Dupin en parlant du clergé. | ||
Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles | Tout ce qui touche au principe de la moralité est affaire d'État. De là, les perpétuelles | ||
immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est | immixtions de l'État chinois dans les affaires de famille : en Chine, on n'est | ||
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l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop | l'État y est moins visible, parce qu'il se fie à la famille et ne la soumet pas à une trop | ||
étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens. | étroite surveillance. Il la tient liée par le mariage dont lui seul peut dénouer les liens. | ||
L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait | L'État me demande compte de mes principes et m'en impose certains ; cela pourrait | ||
m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? — | m'induire à demander : « Que lui importe ma marotte (mon principe) ? — | ||
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Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église : | Loi morale (moralité)? La domination de l'État ne diffère pas de celle de l'église : | ||
l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. | l'une s'appuie sur la piété, l'autre sur la moralité. | ||
On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la | On parle de la tolérance, et l'on vante comme un caractère des États civilisés la | ||
liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si | liberté qu'y ont les tendances les plus opposées de se manifester, etc. Il est vrai que si | ||
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qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve | qui mettent l'État en danger ! Dans l'État auquel nous faisions allusion, on rêve | ||
d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ». | d'une « science libre », et en Angleterre on rêve d'une « vie populaire libre ». | ||
L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne | L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne | ||
prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut | prennent pas leur jeu au sérieux et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut | ||
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seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni | seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni | ||
mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi. | mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi. | ||
L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner | L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner | ||
à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu | à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu | ||
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(avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État | (avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État | ||
veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que | veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que | ||
vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est | vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est | ||
l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui | l'adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui | ||
accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc. | accorde aucun titre, aucun emploi, aucune commission, etc. | ||
Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50), | Edgar Bauer, dans ses Liberalen Bestrebungen (Revendications libérales, II, 50), | ||
rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en | rêve d' « un gouvernement qui, issu du Peuple, ne puisse jamais se trouver en | ||
opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »: | opposition avec lui. Il est vrai qu'il retire lui-même (p. 69) le mot « gouvernement »:« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour | ||
« Dans une république, il ne peut y avoir de gouvernement, il n'y a de place que pour | |||
un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui | un pouvoir exécutif. Pure et simple émanation du Peuple, ce pouvoir ne pourrait lui | ||
opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il | opposer ni une puissance indépendante, ni des principes et des fonctionnaires à lui ; il | ||
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sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement, | sorti du sein de la mère, se met immédiatement en opposition avec elle. Le gouvernement, | ||
sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout. | sans ce caractère d'indépendance et d'opposition, ne serait rien du tout. | ||
« Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement | « Dans l'État libre, il n'y a pas de gouvernement, etc. » (p. 94). Ceci veut simplement | ||
dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une | dire que le Peuple, lorsqu'il est le souverain, ne se laisse pas régenter par une | ||
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gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de | gouvernement au-dessus de Moi, et je ne me trouverai pas mieux de l'un que de | ||
l'autre. | l'autre. | ||
La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain | La République n'est qu'une — monarchie absolue, car peu importe que le souverain | ||
s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ». | s'appelle Prince ou peuple : l'un et l'autre sont une « Majesté ». | ||
Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut | Le régime constitutionnel démontre précisément que personne ne veut et ne peut | ||
se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et | se résigner à n'être qu'un instrument. Les ministres dominent leur maître, le Prince, et | ||
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Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république, | Chambres de le conduire. Le constitutionnalisme va plus loin que la république, | ||
attendu que l'État y est conçu comme en dissolution. | attendu que l'État y est conçu comme en dissolution. | ||
Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une | Edgar Bauer nie (p. 56) que dans l'État constitutionnel le Peuple était une | ||
« personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est | « personnalité ». — Et dans la République ? Dans l'État constitutionnel, le Peuple est | ||
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parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais | parti populaire, Peuple ou encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais | ||
un fantôme. | un fantôme. | ||
Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout | Plus loin, Edgar Bauer ajoute (p. 60) : « La tutelle est la caractéristique de tout | ||
gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État | gouvernement ». En vérité, elle est plus encore celle d'un Peuple et d'un « État | ||
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», sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable | », sous prétexte qu'ils sont « les exécuteurs de la volonté libre et raisonnable | ||
que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) ! | que le Peuple exprime dans ses lois » (p. 73) ! | ||
« Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant | « Il ne peut être mis d'unité dans l'État, dit-il encore (p. 74), qu'en subordonnant | ||
toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique | toutes les administrations aux intentions du gouvernement. » Mais son État démocratique | ||
doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination, | doit, lui aussi, avoir de l' « unité » ; comment s'y passer de la subordination, | ||
de la soumission à la — volonté du Peuple ? | de la soumission à la — volonté du Peuple ? | ||
« Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive | « Dans un État constitutionnel, tout l'édifice gouvernemental repose en définitive | ||
sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être | sur le Régent et dépend de son sentiment » (p. 130). Comment pourrait-il en être | ||
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efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir | efforts d'Edgar Bauer aboutissent à un changement de maître. Au lieu de vouloir | ||
libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne. | libérer le Peuple, il aurait dû s'occuper de la seule liberté réalisable, de la sienne. | ||
Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même, | Dans l'État constitutionnel, l'absolutisme a fini par entrer en lutte avec lui-même, | ||
parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple | parce qu'il a abouti à un antagonisme : le gouvernement veut être absolu, et le Peuple | ||
veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre. | veut être absolu. Ces deux absolus se détruiront l'un l'autre. | ||
Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance, | Edgar Bauer s'indigne de ce que le roi constitutionnel soit donné par la naissance, | ||
c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans | c'est-à-dire par le hasard. Mais quand « le Peuple sera devenu l'unique puissance dans | ||
l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour | l'État » (p. 132), n'est-ce pas à un hasard pareil que nous devrons de l'avoir pour | ||
maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement | maître ? Qu'est-ce donc que le Peuple ? Le Peuple n'a jamais été que le corps du gouvernement; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou | ||
; c'est plusieurs corps sous un même bonnet (couronne de prince) ou | |||
plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince. | plusieurs corps sous une même constitution. Et la constitution est le — prince. | ||
Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand | Princes et Peuples ne peuvent subsister que tant qu'ils ne s'identifient pas. Quand | ||
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Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que | Peuple n'est qu'une puissance — fortuite ; c'est une force de la nature, un ennemi que | ||
je dois vaincre. | je dois vaincre. | ||
Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a | Que faut-il entendre par un peuple « organisé » (id., p. 132)? Un Peuple « qui n'a | ||
plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi | plus de gouvernement » et qui se gouverne lui-même. Donc, dans lequel aucun Moi | ||
ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement | ne dépasse le niveau, un Peuple organisé par l'ostracisme. L'ostracisme, le bannissement | ||
des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur. | des « Moi », fait du peuple son propre gouverneur. | ||
Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour | Si vous parlez d'un Peuple, il faut aussi parler d'un prince, car pour être, pour | ||
vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête, | vivre et pour faire de l'histoire le Peuple doit, comme tout ce qui agit, avoir une tête, | ||
un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire | un « chef ». C'est ce que Proudhon exprime en disant : « Une société pour ainsi dire | ||
acéphale ne peut vivre | acéphale ne peut vivre <ref>De la création de l'ordre, p. 485.»</ref>. | ||
On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique » | On invoque à chaque instant aujourd'hui la vox populi ; l’« opinion publique » | ||
doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox | doit gouverner les princes. Il est bien certain que la vox populi est en même temps vox | ||
dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ? | dei ; mais à quoi bon l'une et l'autre ? Et la vox principis n'est-elle pas aussi vox dei ? | ||
On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de | On peut ici se rappeler les « Nationalistes ». Vouloir faire des trente-huit États de | ||
l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul | l'Allemagne une nation est aussi absurde que d'entreprendre de réunir en un seul | ||
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les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les | les reines. Abeilles et Peuples sans volonté, et l'instinct de leurs reines les | ||
conduit. | conduit. | ||
En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait | En rappelant aux abeilles la qualité d'abeilles qui leur est commune, on ferait | ||
exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands | exactement ce que l'on fait si bruyamment aujourd'hui lorsqu'on rappelle aux Allemands | ||
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radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la | radicale, en ferait sortir en même temps la fin de toute séparation. J'entends la | ||
séparation de l'homme d'avec l'homme. | séparation de l'homme d'avec l'homme. | ||
La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire | La qualité d'Allemands est partagée par divers peuples et diverses tribus, c'est-àdire | ||
par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand | par diverses ruches d'abeilles ; mais l'individu qui a la propriété d'être un Allemand | ||
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n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera | n'est que lorsque l'ultime séparation aura eu lieu que la séparation elle-même cessera | ||
pour se transformer en alliance. | pour se transformer en alliance. | ||
Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui | Les Nationalistes s'efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui | ||
est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui | est abeille. Les individualistes, eux, lutteront pour l'unité personnellement voulue qui | ||
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origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront, | origine et même signification. Les Allemands ne seront unis, c'est-à-dire ne s'uniront, | ||
que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre | que du jour où ils auront envoyé au diable leur qualité d'abeilles et jeté par terre | ||
toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' | toutes leurs ruches, ou, en d'autres termes, du jour où ils seront plus qu' Allemands; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans | ||
; alors seulement ils pourront former une « association allemande ». Ce n'est ni dans | |||
leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à | leur nationalité ni dans le ventre de leur mère qu'ils doivent rentrer pour parvenir à | ||
une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental | une renaissance ; que chacun rentre en soi-même! N'est-ce pas un spectacle sentimental | ||
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superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les | superstition de la « piété », de la « fraternité », de l’ « amour filial », et de tous les | ||
poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille. | poncifs sentimentaux qui composent le répertoire de l'esprit de famille. | ||
Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce | Il suffirait pourtant aux susdits Nationalistes de bien comprendre eux-mêmes ce | ||
qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car | qu'ils veulent pour ne plus se livrer aux embrassades des teutomanes à romances, car | ||
la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands | la coalition en vue de résultats et d'intérêts matériels qu'ils prônent aux Allemands | ||
n'est qu'une association volontaire, active et spontanée. | n'est qu'une association volontaire, active et spontanée. | ||
L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un | L'impersonnalité de ce qu'on nomme Peuple et Nation éclate dans ce fait qu'un | ||
Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête | Peuple qui veut faire tout son possible pour mettre son Moi en valeur place à sa tête | ||
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n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles | n'a pas plus un moi que les onze planètes assemblées n'en ont un, encore qu'elles | ||
gravitent autour d'un centre commun. | gravitent autour d'un centre commun. | ||
Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en | Pendant longtemps, l'homme a passé pour un citoyen du Ciel. Un voudrait en | ||
faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État | faire aujourd'hui comme au temps des Grecs un zoon politicon, un citoyen de l'État | ||
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du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux | du Peuple, et pour faire le Peuple heureux, grand, etc., on nous rend malheureux | ||
! Le bonheur du Peuple est — mon malheur. | ! Le bonheur du Peuple est — mon malheur. | ||
On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux | On peut juger du vide que recouvrent de leur emphase les discours des Libéraux | ||
politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur | politiques en feuilletant l'ouvrage de Nauwerk : Ueber die Theilnahme am Staate (Sur | ||
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distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement | distraire ? Que ceux-là s'inquiètent de la marche de l'État qui sont personnellement | ||
intéressés à le voir rester comme il est ou changer. | intéressés à le voir rester comme il est ou changer. | ||
Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera | Ce n'est pas l'idée d'un « devoir sacré » à remplir qui pousse et qui poussera | ||
jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir » | jamais personne à consacrer ses veilles à l'État, pas plus que ce n'est « par devoir » | ||
qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire. | qu'on se fait disciple de la science, artiste, etc.; l'égoïsme seul peut y conduire. | ||
Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et | Démontrez aux gens que leur égoïsme exige qu'ils offrent leur concours à l'État, et | ||
vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur | vous n'aurez pas besoin de les exhorter longtemps ; mais si vous faites appel à leur | ||
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sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la | sourds. Le fait est que jamais les égoïstes ne participeront comme vous l'entendez à la | ||
vie de l'État. | vie de l'État. | ||
Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme | Je trouve dans Nauwerk une phrase imprégnée du plus pur Libéralisme : « L'homme | ||
n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de | n'accomplit sa mission que pour autant qu'il se sache et se sente membre de | ||
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privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit | privée, ce qui équivaut à les nier et les détruire. » Et la Religion, telle que la conçoit | ||
le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ». | le Politique, que devient-elle ? Une « affaire privée ». | ||
Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de | Si, au lieu de leur parler du « devoir sacré », de la « destination de l'homme », de | ||
la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même | la « vocation d'être parfaitement humains » et d'autres commandements de même | ||
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lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour | lui incomber. » Puis il examine de plus près la « nécessité catégorique qu'il y a pour | ||
chacun de s'intéresser à l'État ». | chacun de s'intéresser à l'État ». | ||
Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête | Celui-là est un politicien et le restera de toute éternité qui loge l'État dans sa tête | ||
ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi. | ou dans son coeur ou dans les deux à la fois ; c'est un possédé de l'État, il a la Foi. | ||
« L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. » | « L'État est la condition indispensable du développement intégral de l'humanité. » | ||
Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité | Certes, il le fut, aussi longtemps que nous nous proposâmes de développer l'humanité; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un | ||
; mais maintenant que nous voulons nous développer, il ne peut plus nous être qu'un | |||
embarras. | embarras. | ||
Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le | Peut-on encore se proposer, aujourd'hui, de réformer et d'améliorer l'État et le | ||
Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les | Peuple ? Pas plus que la Noblesse, le Clergé, l'Église, etc.; on peut les suspendre, les | ||
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etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi, | etc., retombent ainsi dans l'abîme dont elles n'auraient pas dû sortir, leur néant. Moi, | ||
ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations. | ce rien, je ferai jaillir de moi-même mes créations. | ||
Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers | Au chapitre de la Société se rattache celui du « parti » dont on a en ces derniers | ||
temps chanté les louanges. | temps chanté les louanges. | ||
Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! » | Il y a dans l'État des partis. « Mon Parti ! Qui voudrait ne pas prendre parti ! » | ||
Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se | Mais l'individu est unique et n'est pas membre d'un parti. Il s'unit librement et se | ||
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non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se | non plus ne veulent qu'un — État. C'est contre l'Individu, et non contre l'État, que se | ||
brisent tous les partis. | brisent tous les partis. | ||
Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle | Il n'est rien qu'on entende plus souvent aujourd'hui que l'exhortation à rester fidèle | ||
à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit | à son parti ; les hommes de parti ne méprisent rien tant qu'un renégat. On doit | ||
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devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la | devant renfermer la vérité éternelle, il suffit de l'en extraire, de la démontrer et de la | ||
faire accepter. | faire accepter. | ||
Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation | Bref, le parti est contradictoire à l'impartialité, et cette dernière est une manifestation | ||
de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de | de l'égoïsme. Que m'importe d'ailleurs le parti ? Je trouverai toujours assez de | ||
compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau. | compagnons qui se réuniront à moi sans prêter serment à mon drapeau. | ||
Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur, | Si quelqu'un passe d'un parti à l'autre, on l'appelle immédiatement transfuge, déserteur, | ||
renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à | renégat, apostat, etc. La Morale, en effet, exige que l'on adhère fermement à | ||
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souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque | souillé d'une « trahison », c'est-à-dire d'une immoralité. Ce sentiment est presque | ||
général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme | général chez les gens de culture inférieure. Les plus éclairés sont sur ce point, comme | ||
sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir | sur tous, incertains et troublés ; la confusion de leurs idées ne leur permet pas d'avoir | ||
clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de | clairement conscience de la contradiction où les accule nécessairement le principe de | ||
Ligne 819 : | Ligne 866 : | ||
ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente | ils n'osent pas abandonner leur point d'appui dans la moralité. Quelle excellente | ||
occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord ! | occasion, pourtant, de la jeter par-dessus bord ! | ||
Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être | Les Individus ou Uniques sont-ils d'un parti ? Eh! comment pourraient-ils être | ||
uniques s'ils appartenaient à un parti ? | uniques s'ils appartenaient à un parti ? | ||
Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti | Ne peut-on donc être d'aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti | ||
et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que | et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que | ||
Ligne 827 : | Ligne 876 : | ||
». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte | ». Le parti n'a pour moi rien qui me lie, rien d'obligatoire, et je ne le respecte | ||
pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui. | pas ; s'il cesse de me plaire, je me retourne contre lui. | ||
Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont | Les membres de tout parti qui tient à son existence et à sa conservation ont | ||
d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils | d'autant moins de liberté, ou plus exactement, d'autant, moins de personnalité, et ils | ||
Ligne 832 : | Ligne 882 : | ||
exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses | exigences de ce parti. L'indépendance du parti implique la dépendance de ses | ||
membres. | membres. | ||
Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses | Un parti, quel qu'il soit, ne peut jamais se passer d'une profession de foi, car ses | ||
membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter, | membres doivent croire à son principe et ne peuvent le mettre en doute ni le discuter, | ||
Ligne 843 : | Ligne 894 : | ||
autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse | autre parti). Mais tant mieux pour toi si un péché ne t'épouvante pas : ton audacieuse | ||
impiété va t'aider à atteindre l'Individualité. | impiété va t'aider à atteindre l'Individualité. | ||
Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais | Ainsi donc, un égoïste ne pourra jamais embrasser un parti, il ne pourra jamais | ||
prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et | prendre parti ? Mais si, il le peut parfaitement, pourvu qu'il ne se laisse pas saisir et | ||
enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie, | enchaîner par le parti ! Le parti n'est jamais pour lui qu'une partie : il est de la partie, | ||
il prend part. | il prend part. | ||
Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à | Le meilleur État est évidemment celui qui renferme les citoyens les plus fidèles à | ||
la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est | la loi. À mesure que le noble sentiment de la légalité languit et s'éteint, l'État, qui est | ||
un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître | un système de moralité et la vie morale elle-même, voit baisser ses forces et décroître | ||
ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie. | ses biens. Avec les bons citoyens disparaît le bon État ; il sombre dans l'anarchie. | ||
« Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un | « Respect à la Loi ! », tel est le ciment qui maintient debout tout l'édifice d'un | ||
État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État. | État. « La loi est sacrée, celui qui la viole est un criminel. » Sans le crime, pas d'État. | ||
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peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à | peut parvenir à ses fins que par le crime, dans tous les cas où son intérêt est opposé à | ||
celui de l'État. | celui de l'État. | ||
L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi | L'État ne peut cesser d'exiger que ses lois soient tenues pour sacrées. Aussi | ||
l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis | l'Individu est-il aujourd'hui, vis-à-vis de l'État, exactement ce qu'il était jadis vis-à-vis | ||
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tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner | tout cela va-t-il durer ? Ne viendra-t-il pas un jour où l'on cessera de se prosterner | ||
devant l'image du saint ? | devant l'image du saint ? | ||
Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec | Quelle folie d'exiger que le pouvoir de l'État lutte à armes courtoises avec | ||
l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son | l'individu et, comme on l'a dit à propos de la liberté de la presse, partage avec son | ||
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ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il | ils n'en démordent pas, que l'État est plus que l'individu et que sa vengeance, qu'il | ||
appelle peine ou châtiment, est légitime. | appelle peine ou châtiment, est légitime. | ||
Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une | Le mot peine n'a de sens que s'il désigne la pénitence infligée au profanateur d'une | ||
chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine | chose sacrée. Celui qui tient une chose pour sacrée mérite évidemment qu'une peine | ||
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que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme — | que cette vie lui est sacrée et que l'idée d'y attenter lui fait horreur est un homme — | ||
religieux. | religieux. | ||
Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il | Weitling impute au « désordre social » tous les crimes qui se commettent, et il | ||
espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles | espère que sous le régime communiste les crimes deviendront impossibles, les mobiles | ||
Ligne 918 : | Ligne 973 : | ||
comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes | comme « voués » à une certaine « cure » et qu'on va leur appliquer les remèdes | ||
qu' « appelle » leur nature d'hommes ? | qu' « appelle » leur nature d'hommes ? | ||
Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la | Le remède et la cure ne sont que l'autre face du châtiment et de l'amendement, la | ||
thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans | thérapeutique du corps fait le pendant de la diététique de l'âme. Si celle-ci voit dans | ||
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amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la | amie ou ennemie ? Je la traiterais alors comme ma propriété, c'est-à-dire que je la | ||
conserverais ou la détruirais à mon gré. | conserverais ou la détruirais à mon gré. | ||
« Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception | « Crime » et « maladie » ne sont point des noms qui s'appliquent à une conception | ||
égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi | égoïste des choses qu'ils désignent ; ce sont des jugements portés non pas par Moi | ||
Ligne 931 : | Ligne 988 : | ||
ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de | ménagement pour le « crime », tandis qu'on use envers la « maladie » de douceur, de | ||
compassion, etc. | compassion, etc. | ||
Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui, | Le crime est suivi du châtiment. Si le Sacré disparaît, entraînant le crime avec lui, | ||
le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par | le châtiment doit disparaître également, car lui non plus n'a de signification que par | ||
Ligne 943 : | Ligne 1 001 : | ||
contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression | contre la propriété, on a le bagne, et pour un « viol de pensées », pour l'oppression | ||
des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières. | des « droits naturels de l'homme », on n'a que des représentations et des prières. | ||
Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on | Le Code pénal n'existe que grâce au Sacré et disparaîtra de lui-même quand on | ||
renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal, | renoncera au châtiment. Partout, actuellement, on veut créer un nouveau Code pénal, | ||
Ligne 948 : | Ligne 1 007 : | ||
justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction, | justement la peine qui doit disparaître, pour faire place à la satisfaction : satisfaction, | ||
encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous | encore une fois, non point du Droit ou de la Justice, mais de nous. Si quelqu'un nous | ||
fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous | fait ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait, nous brisons sa puissance et nous | ||
faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la | faisons prévaloir la nôtre : nous nous donnons satisfaction à son égard sans faire la | ||
Ligne 962 : | Ligne 1 020 : | ||
simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la | simplement inconvenant, et cette rage de moralité qui possède le peuple est pour la | ||
police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement. | police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement. | ||
C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière | C'est par le crime que l'Égoïste s'est toujours affirmé et a renversé d'une manière | ||
sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux | sacrilège les saintes idoles de leurs piédestaux. Rompre avec le Sacré ou, mieux | ||
Ligne 968 : | Ligne 1 027 : | ||
— crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel, | — crime ne gronde-t-il pas avec le tonnerre à l'horizon, et ne vois-tu pas que le ciel, | ||
lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ? | lourd de pressentiments, s'obscurcit et se tait ? | ||
Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la | Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la | ||
Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus | Famille, le Parti ou la Nation aspire encore toujours à une société de signification plus | ||
Ligne 975 : | Ligne 1 034 : | ||
trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se | trouvé l'objet véritablement digne de son culte auquel il mettra son honneur à se | ||
sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ». | sacrifier : à partir de ce moment, « sa vie et ses services appartiennent à l'Humanité ». | ||
Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici | Le Peuple est le corps, l'État est l'esprit de cette Personne souveraine qui m'a jusqu'ici | ||
opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y | opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l'État en les élargissant jusqu'à y | ||
Ligne 980 : | Ligne 1 040 : | ||
n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des | n'aboutit qu'à rendre la servitude plus lourde ; Philanthropes et Humanitaires sont des | ||
maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates. | maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Diplomates. | ||
Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant | Les Critiques contemporains déclament contre la Religion parce qu'en plaçant | ||
Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif | Dieu, le divin, le moral, etc., en dehors de l'homme, elle en fait quelque chose d'objectif | ||
Ligne 989 : | Ligne 1 050 : | ||
« destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable | « destination », en un mot faire de lui quelque chose, c'est-à-dire en faire un véritable | ||
homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un | homme ; l'une entend par là un « vrai croyant », l'autre un « vrai citoyen » ou un | ||
« véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine, | « véritable sujet ». En somme, que vous appeliez ma vocation divine ou humaine, | ||
cela revient au même. | cela revient au même. | ||
Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci | Religion et Politique placent l'homme sur le terrain du devoir. Il doit devenir ceci | ||
ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement, | ou cela, il doit être ainsi et non autrement. Avec ce postulat, ce commandement, | ||
Ligne 1 008 : | Ligne 1 069 : | ||
principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des | principe qui veut que l'on fasse de nous quelque chose, que ce soit des chrétiens, des | ||
sujets ou des affranchis et des hommes. | sujets ou des affranchis et des hommes. | ||
On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme | On peut bien, avec Feuerbach et d'autres, dire que la Religion a dépouillé l'homme | ||
de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y | de l'humain, et qu'elle a transporté cet humain dans un au-delà si lointain qu'il y | ||
Ligne 1 016 : | Ligne 1 078 : | ||
être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer | être religieux, c'est n'être pas pleinement satisfait de l'homme présent, c'est imaginer | ||
une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se | une « perfection » qui doit être atteinte et se figurer l'homme comme « tendant à se | ||
parfaire | parfaire <ref>».(« C'est pourquoi vous devez devenir parfaits comme l'est votre Père | ||
céleste » Matth., v. 48.) Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection | céleste » Matth., v. 48.)</ref> Être religieux, c'est se fixer un Idéal, un absolu. La perfection | ||
est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le | est le « suprême bien », le finis bonorum, et l'idéal de chacun est l'homme parfait, le | ||
véritable homme, l'homme libre, etc. | véritable homme, l'homme libre, etc. | ||
Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme | Les efforts de l'époque actuelle tendent à instaurer en guise d'idéal l'« homme | ||
libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle — | libre ». Si l'on y parvenait, cet idéal nouveau aurait pour conséquence une nouvelle — | ||
religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une | religion, de nouvelles aspirations, de nouveaux tourments, une nouvelle dévotion, une | ||
nouvelle divinité, de nouveaux remords. | nouvelle divinité, de nouveaux remords. | ||
L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après | L'idéal de la « liberté absolue » a fait divaguer comme le fait tout absolu. D'après | ||
Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine | Hess, par exemple, cette liberté absolue serait « réalisable dans la société humaine | ||
absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation » | absolue », et un peu plus bas le même auteur appelle cette réalisation une « vocation » | ||
et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est | et définit la liberté une « moralité » : il faut inaugurer le règne de la « Justice » (id est: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté). | ||
: Égalité) et de la « Moralité » (id est : Liberté). | |||
Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille, | Vous vous gaussez de celui qui, tandis que les membres de sa tribu, de sa famille, | ||
de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des | de sa nation, etc., peinent et méritent, se borne à se « gonfler » glorieusement des | ||
hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à | hauts faits de ses compagnons. Non moins aveugle est celui qui met toute sa gloire à | ||
être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur | être « homme ». Ni lui ni le parasite glorieux de tantôt ne fondent le sentiment de leur | ||
valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux | valeur sur une exclusion, mais sur une connexion, sur le « lien » qui les unit aux | ||
autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité. | autres : lien du sang, lien de la nationalité ou lien de l'humanité. | ||
Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui | Les « Nationalistes » d'aujourd'hui ont rallumé la discussion entre ceux qui | ||
pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des | pensent n'avoir dans les veines qu'un sang purement humain et n'être liés que par des | ||
liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux. | liens purement humains et ceux qui se targuent d'un sang spécial et de liens spéciaux. | ||
Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut | Si nous considérons l'orgueil comme la conscience d'une valeur (valeur qui peut | ||
être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil | être surfaite, mais peu importe), nous constatons une différence énorme entre l'orgueil | ||
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moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la | moins opportuns à exhiber sa vigueur : tu ne pourras serrer la main à personne sans la | ||
lui écraser. | lui écraser. | ||
Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le | Une fois parvenu à se convaincre que l'on est plus que le membre d'une famille, le | ||
fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus | fils d'une race, l'individu d'un peuple, etc., on en arrive finalement à dire : On est plus | ||
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Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer | Mais ne vaudrait-il pas mieux dire : Si nous sommes plus que ne peuvent exprimer | ||
tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même | tous les noms qu'on nous donne, nous voulons être plus qu'homme pour la même | ||
raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison | raison que voulez être plus que Juif et plus qu'Allemand. Les Nationalistes ont raison: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne | ||
: on ne peut pas renier sa nationalité ; mais les Humanitaires aussi ont raison : on ne | |||
doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à | doit pas se renfermer dans les bornes étroites de sa nationalité. C'est à l'individualité à | ||
résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout | résoudre cette contradiction : la nationalité est ma propriété, mais Je ne tiens pas tout | ||
entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi | entier dans une de mes propriétés ; l'humanité aussi est ma propriété, mais c'est Moi | ||
seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence. | seul qui, par mon unicité, donne à l'homme son existence. | ||
L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après | L'histoire cherche l'Homme : mais l'homme, c'est toi, c'est moi, c'est nous ! Après | ||
l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu | l'avoir pris pour un Être mystérieux, une divinité, et l'avoir cherché dans le Dieu | ||
d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans | d'abord, puis dans l'Homme (l'humanité, le genre humain), je l'ai enfin trouvé dans | ||
l'individu borné et passager, dans l'Unique. | l'individu borné et passager, dans l'Unique. | ||
Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien | Je suis possesseur de l'humanité, Je suis l'humanité, et Je ne fais rien pour le bien | ||
d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de | d'une autre humanité. Tu es fou, toi qui, étant une humanité unique, te guindes afin de | ||
vivre pour une autre que celle que tu es toi-même. | vivre pour une autre que celle que tu es toi-même. | ||
Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici | Les relations du Moi avec le monde humain que nous avons examinées jusqu'ici | ||
se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en | se prêtent à de tels développements et nous ouvrent de si riches perspectives qu'en | ||
d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions | d'autres circonstances on ne saurait trop s'y étendre. Mais nous ne nous proposions | ||
pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous | pour le moment que d'en indiquer les grandes lignes, et nous sommes forcés de nous | ||
interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas | interrompre pour passer à l'examen de deux autres côtés de la question. Je ne suis pas | ||
seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme | seulement en rapport avec les hommes en tant que représentants de l'idée d' « Homme | ||
Ligne 1 086 : | Ligne 1 151 : | ||
mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que | mots de ce que les hommes appellent leur propriété : les biens tant matériels que | ||
spirituels. | spirituels. | ||
Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence | Tandis que la notion d'Homme se développait et qu'on en acquérait une intelligence | ||
plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes | plus claire, nous eûmes à la respecter successivement sous les diverses formes | ||
Ligne 1 092 : | Ligne 1 158 : | ||
mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient | mon respect doit s'étendre également à tout ce qui est humain, à tout ce qui appartient | ||
à l'Homme. | à l'Homme. | ||
Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est | Les hommes ont une propriété; devant cette propriété, Je dois m'incliner : elle est | ||
sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur. | sacrée. Leur propriété consiste en un avoir en partie extérieur et en partie intérieur. | ||
Ligne 1 106 : | Ligne 1 173 : | ||
l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est | l'attend. Ta vie est ta propriété, mais elle n'est sacrée pour les hommes que si elle n'est | ||
pas la vie d'un non-homme. | pas la vie d'un non-homme. | ||
Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité, | Les biens matériels dont l'homme ne peut justifier la possession par son humanité, | ||
il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes | il n'y a aucun titre et nous pouvons les lui prendre ; d'où la concurrence sous toutes | ||
Ligne 1 111 : | Ligne 1 179 : | ||
également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science | également à notre disposition ; d'où la liberté de la discussion, la liberté de la science | ||
et de la critique. | et de la critique. | ||
Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À | Mais les biens consacrés sont inviolables. Qui les consacre et les garantit ? À | ||
première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou | première vue, c'est l'État, la Société ; mais, plus proprement, c'est l'Homme ou | ||
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humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme | humaine ou plutôt que son possesseur ne la détient qu'en vertu de sa qualité d'Homme | ||
et non à titre de non-homme. | et non à titre de non-homme. | ||
Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple, | Dans le domaine spirituel, l'homme est légitime possesseur de sa foi, par exemple, | ||
et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux, | et de son honneur, de sa conscience, de son sentiment du convenable et du honteux, | ||
Ligne 1 121 : | Ligne 1 191 : | ||
ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute | ceux qui portent atteinte au fondement de la religion, à la foi politique, bref toute | ||
lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ». | lésion de ce à quoi l'Homme « a droit ». | ||
Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir | Le Libéralisme critique ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir | ||
jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être | jusqu'à quel point il pourrait admettre que les biens sont sacrés ; il pense bien être | ||
Ligne 1 128 : | Ligne 1 198 : | ||
l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se | l'homme. Sa répulsion théorique pour la « masse » devrait, s'il arrivait au pouvoir, se | ||
traduire par des mesures de répulsion pratique. | traduire par des mesures de répulsion pratique. | ||
Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur | Les représentants des différentes nuances du Libéralisme sont en désaccord sur | ||
l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel, | l'extension à donner à l'idée d' « Homme » et sur ce qu'en doit retirer l'homme individuel, | ||
Ligne 1 138 : | Ligne 1 209 : | ||
en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait | en est le développement. » Découvrez l'Homme, et vous connaîtrez par le fait | ||
même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain. | même ce qui est propre à l'Homme, la propriété de l'Homme ou l'humain. | ||
Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à | Mais que l'homme individuel prétende à tous les droits du monde, qu'il invoque à | ||
leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi, | leur appui l'autorité de l’« Homme » et son titre d'homme, que m'importent, à Moi, | ||
son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi | son droit et ses prétentions ? Ses droits, il ne les tient que de l'Homme, et non de Moi: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour | ||
: aussi n'a-t-il à mes yeux aucun droit. Sa vie, par exemple, ne m'importe que pour | |||
autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de | autant qu'elle a une valeur pour Moi. Je ne respecte pas plus son prétendu droit de | ||
propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le | propriété, ou droit sur les biens matériels, que je ne respecte son droit sur le | ||
Ligne 1 147 : | Ligne 1 218 : | ||
ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en | ses dieux. Ses biens, tant matériels que spirituels, sont à Moi, et je les traite en | ||
propriétaire selon — mes forces. | propriétaire selon — mes forces. | ||
La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ; | La « question de la propriété », dans les termes où on la pose, n'en est pas une ; | ||
ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible | ne visant que ce qu'on nomme notre avoir, elle est trop étroite et n'est susceptible | ||
Ligne 1 152 : | Ligne 1 224 : | ||
dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété | dépend du propriétaire, et, par l'intermédiaire de ce dernier, la question de la propriété | ||
se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande. | se rattache à un problème d'une porte beaucoup plus grande. | ||
La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu » | La Révolution dirigea ses attaques contre tout ce qui vient de la « grâce de Dieu » | ||
et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la | et, entre autres, contre le droit divin que l'on remplaça par le droit humain. À ce que la | ||
« faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de | « faveur divine » nous dispense, on opposa ce qui découle de l' « essence de | ||
l'homme ». | l'homme ». | ||
Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux | Les relations entre les hommes, ayant cessé d'être fondées sur le dogme religieux | ||
qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être | qui commande « aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Dieu », durent être | ||
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le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à | le monde, jusqu'alors organisé selon l'ordre de Dieu, appartiendrait dorénavant à | ||
l’ « Homme ». | l’ « Homme ». | ||
Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa | Le monde appartient à l'« Homme » et doit être par moi respecté comme sa | ||
propriété. | propriété. | ||
Propriété = Mien ! | Propriété = Mien ! | ||
Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois | Propriété, au sens bourgeois du mot, signifie propriété sacrée, de sorte que je dois | ||
respecter ta propriété. | respecter ta propriété. | ||
« Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun | « Respect à la propriété ! » Aussi les Politiques verraient-ils volontiers chacun | ||
posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à | posséder sa parcelle de propriété, et cette tendance a abouti dans certaines régions à | ||
un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à | un morcellement incroyable. Chacun doit avoir son os où il trouve quelque chose à | ||
ronger. | ronger. | ||
L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux | L'égoïste voit la question sous un tout autre jour. Je ne recule pas avec un religieux | ||
effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété, | effroi devant ta ou votre propriété ; je la considère toujours comme ma propriété, | ||
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propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de | propriété ! C'est en nous plaçant tous à ce point de vue qu'il nous sera le plus facile de | ||
nous entendre. | nous entendre. | ||
Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les | Les Libéraux politiques ont à coeur d'abolir autant que possible toutes les | ||
servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout | servitudes, afin que chacun soit franc maître de son champ, ce champ n'eût-il que tout | ||
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et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en | et une propriété respectée ! Plus il y aura de propriétaires, plus l'État sera riche en | ||
« hommes libres » et en « bons patriotes ». | « hommes libres » et en « bons patriotes ». | ||
Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité, | Le Libéralisme politique, comme toute religiosité, compte sur le respect, l'humanité, | ||
la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les | la charité ; aussi est-il perpétuellement déçu. Car dans la pratique de la vie les | ||
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la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement | la grande propriété, elle aussi, est à eux, ils ne s'en seraient pas d'eux-mêmes respectueusement | ||
écartés et on ne les expulserait pas. | écartés et on ne les expulserait pas. | ||
La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives | La propriété telle due la comprennent les Libéraux bourgeois mérite les invectives | ||
des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le | des Communistes et de Proudhon : elle est insoutenable et inexistante, attendu que le | ||
citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le | citoyen propriétaire ne possède en réalité rien et est partout un banni. Loin que le | ||
monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui. | monde puisse lui appartenir, le misérable coin où il vivote n'est même pas à lui. | ||
Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs | Proudhon ne veut pas entendre parler de propriétaires, mais bien de possesseurs | ||
ou d'usufruitiers | ou d'usufruitiers <ref>Voir, par exemple, Qu'est-ce que la propriété ?, p. 83</ref>. Qu'est-ce à dire ? Il veut que nul ne puisse s'approprier le sol, mais | ||
en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il | en ait l'usage ; — mais ne lui accordât-on même que la centime partie du produit qu'il | ||
en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa | en tire, du fruit, cette fraction du moins serait sa propriété et il pourrait en user à sa | ||
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non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine | non la propriété. Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d'en laisser l'aubaine | ||
aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une | aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et formons une | ||
société <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> qui s'en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont aujourd'hui | |||
propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la | propriétaires cesseront de l'être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la | ||
terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en | terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour en | ||
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fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en | fantôme) et n'a de réalité que dans les individus. Et ces individus pris en masse n'en | ||
useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu | useront pas moins arbitrairement avec la terre et le sol que ne le faisait l'individu | ||
isolé, ledit « propriétaire | isolé, ledit « propriétaire <ref> Ibid.</ref>». | ||
Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être | Ainsi donc. la propriété ne cesse pas de subsister et ne cesse même pas d'être | ||
« exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel | « exclusive » du fait que l'humanité, cette vaste société, exproprie l'individu auquel | ||
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nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par | nous a manqué jusqu'à présent n'est passé aux mains des propriétaires actuels que par | ||
la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. » | la prise. Associons-nous pour commettre ce vol. » | ||
Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et | Il tâche de nous faire accepter l'idée que la Société est le possesseur primitif et | ||
l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on | l'unique propriétaire de droits imprescriptibles ; c'est envers elle que celui qu'on | ||
nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol | nomme propriétaire est coupable de vol (« La propriété, c'est le vol <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>»); si elle retire | ||
au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle | au propriétaire actuel ce qu'il détient comme lui appartenant, elle ne le vole pas, elle | ||
ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en | ne fait que rentrer en possession de son bien et user de son droit. — Voilà où on en | ||
Ligne 1 246 : | Ligne 1 328 : | ||
que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de | que vous rendez sacré, de sorte que « Tous » devient le redoutable maître de | ||
l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ». | l'individu. Et c'est à son côté que se dresse alors le spectre du « Droit ». | ||
Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles | Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sontelles | ||
la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de | la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de | ||
Ligne 1 255 : | Ligne 1 338 : | ||
car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et | car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et | ||
imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium | imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium | ||
la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens, | la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens, | ||
ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés | ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés | ||
et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société, | et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société, | ||
etc.). | etc.). | ||
Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il | Proudhon se rapproche encore des Chrétiens en ce qu'il accorde à Dieu ce qu'il | ||
dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre | dénie aux hommes : il le nomme (loc. cit., p. 90) le propriétaire de la terre. Il montre | ||
ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ; | ainsi qu'il ne peut se délivrer de l'idée qu'il doit exister quelque part un propriétaire ; | ||
il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà. | il conclut en définitive à un propriétaire, qu'il place seulement dans l'au-delà. | ||
Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est — | Le propriétaire, ce n'est ni Dieu ni l'Homme (la « Société humaine »), c'est — | ||
l'Individu. | l'Individu. | ||
Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant | Proudhon (comme Weitling) croit faire la pire injure à la propriété en la qualifiant | ||
de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection | de « vol ». Sans vouloir soulever cette question embarrassante : « Y a-t-il une objection | ||
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conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se | conclusion que Proudhon : si quelque chose appartient à « tous », l'individu qui se | ||
l'approprie est un voleur. | l'approprie est un voleur. | ||
La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; — | La propriété privée ne vit que grâce au Droit. Le Droit est sa seule garantie ; — | ||
car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne | car posséder un objet n'est pas encore en être propriétaire, ce que je possède ne | ||
devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait | devient « ma propriété » que par la sanction du Droit ; — elle n'est pas « un fait <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>», | ||
comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la | comme le pense Proudhon, mais une fiction, une idée ; une idée, voilà ce qu'est la | ||
propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui | propriété qu'engendre le Droit, la propriété légitime, garantie. Ce n'est pas Moi qui | ||
fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit. | fais que ce que je possède est ma propriété, c'est — le Droit. | ||
Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les | Néanmoins, on désigne sous le nom de propriété le pouvoir illimité que j'ai sur les | ||
choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit | choses (objet, animal ou homme) dont je puis « user et abuser à mon gré »; le Droit | ||
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seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force | seule : si je la perds, l'objet m'échappe. Du jour où les Romains n'eurent plus la force | ||
de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute- | de s'opposer aux Germains, Rome et les dépouilles du monde que dix siècles de toute- | ||
puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait | puissance avaient entassées dans ses murs appartinrent aux vainqueurs, et il serait | ||
ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires. | ridicule de prétendre que les Romains en demeuraient néanmoins légitimes propriétaires. | ||
Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant | Toute chose est la propriété de qui sait la prendre et la garder, et reste à lui tant | ||
qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend. | qu'elle ne lui est pas reprise ; c'est ainsi que la liberté appartient à celui qui la prend. | ||
La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des | La force seule décide de la propriété ; l'État (que ce soit l'État des bourgeois, des | ||
gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi, | gueux ou tout uniment des hommes) étant seul fort, est aussi seul propriétaire ; Moi, | ||
l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal, | l'Unique, je n'ai rien, je ne suis qu'un métayer sur les terres de l'État, je suis un vassal, | ||
et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi. | et par suite un serviteur. Sous la domination de l'État, aucune propriété n'est à Moi. | ||
Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est | Je veux accroître ma valeur, je veux lever le prix de toutes les propriétés dont est | ||
faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai | faite mon individualité, et je déprécierais la propriété ? Jamais ! De même que je n'ai | ||
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à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait | à la patrie » : j'appartenais, et par suite tout ce que je nommais mien appartenait | ||
à la patrie, au Peuple, à l'État. | à la patrie, au Peuple, à l'État. | ||
On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander | On demande aux États de mettre fin au paupérisme. Autant vaudrait leur demander | ||
de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le | de se couper la tête et de la poser à leurs pieds, car tant que l'État est un moi, le | ||
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l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est | l'État, comme un « membre loyal de la Société » qu'il est ; sinon, la propriété est | ||
confisquée ou fond en procès ruineux. | confisquée ou fond en procès ruineux. | ||
La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété | La propriété est et reste donc la propriété de l'État, sans jamais être la propriété | ||
du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient | du Moi. Dire que l'État ne retire pas arbitrairement à l'individu ce que l'individu tient | ||
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mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si | mien « de par Dieu ou de par le Droit ». Mais Dieu et le Droit ne le font mien que si | ||
— l'État ne s'y oppose pas. | — l'État ne s'y oppose pas. | ||
En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque | En cas d'expropriation, de réquisition d'armes, etc., ou encore, par exemple, lorsque | ||
le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans | le fisc recueille une succession dont les ayants droit ne se sont pas présentés dans | ||
les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple, | les délais légaux, le principe, habituellement voilé, saute aux yeux de tous : le Peuple, | ||
« l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal. | « l'État », est seul propriétaire ; l'individu n'est que fermier, tenancier, vassal. | ||
Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire | Je voulais dire ceci : l'État ne peut se proposer de faire qu'un individu soit propriétaire | ||
dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou | dans son propre intérêt à lui, individu ; il ne peut vouloir que Je sois riche ou | ||
même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État | même que Je possède seulement quelque aisance ; pour autant que je suis Moi, l'État | ||
ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier | ne peut rien me reconnaître, rien me permettre, rien m'accorder. L'État ne peut obvier | ||
au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que | au paupérisme, parce que l'indigence est mon indigence. Celui qui n'est que ce que | ||
Ligne 1 352 : | Ligne 1 438 : | ||
qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et | qu'il mérite, c'est-à-dire le salaire de ses services. Ce n'est pas lui qui se fait valoir et | ||
qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État. | qui tire de soi-même le meilleur parti possible, c'est l'État. | ||
Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est | Ce sujet est de ceux que l'économie dite politique traite avec prédilection ; il n'est | ||
cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de | cependant pas du domaine de la « politique » et dépasse de cent coudées l'horizon de | ||
Ligne 1 361 : | Ligne 1 448 : | ||
que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement | que je puis être propriétaire, m'unir à la femme que j'aime et me livrer librement | ||
à un « commerce ». | à un « commerce ». | ||
L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ; | L'État ne s'inquiète ni de Moi ni du mien, il ne se préoccupe que de soi et du sien ; | ||
si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays », | si j'ai une valeur à ses yeux, ce n'est que comme « son enfant », « enfant du pays », | ||
Ligne 1 369 : | Ligne 1 457 : | ||
termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs | termes, son intelligence est trop courte pour me saisir. C'est ce qui explique d'ailleurs | ||
qu'il ne puisse rien faire pour moi. | qu'il ne puisse rien faire pour moi. | ||
Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à | Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à | ||
me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables. | me faire valoir. Aussi État et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables. | ||
Ligne 1 375 : | Ligne 1 464 : | ||
m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner | m'exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce qu'à soigner | ||
une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ». | une proles (prolétariat); il veut que je sois « sa créature ». | ||
Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus | Le paupérisme ne pourra être enrayé que du jour où ma valeur ne dépendra plus | ||
que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me | que de moi, où je la fixerai moi-même et ferai moi-même mon prix. Si je veux me | ||
voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever. | voir en hausse, c'est à moi à me hausser et à me soulever. | ||
Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à | Quoi que je fasse, que je fabrique de la farine ou du coton, ou que j'extraie à | ||
grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême | grand-peine du sol le fer et le charbon, c'est là mon travail et je veux en tirer moimême | ||
Ligne 1 392 : | Ligne 1 483 : | ||
ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à | ce conflit se dénouait par un accord entre les deux parties, l'État n'y trouverait rien à | ||
redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment | redire, car peu lui importe comment les particuliers s'arrangent entre eux, du moment | ||
que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si, | que leur entente ne lui cause aucun préjudice. Il ne se juge lésé et mis en péril que si, | ||
ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux | ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, les antagonistes se prennent aux | ||
Ligne 1 400 : | Ligne 1 490 : | ||
les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme | les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s'interpose entre eux comme | ||
« Esprit ». | « Esprit ». | ||
Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels | Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels | ||
dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent | dès qu'ils tentent de l'arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S'ils n'usent | ||
Ligne 1 407 : | Ligne 1 498 : | ||
que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous | que l'État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous | ||
compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État ! | compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l'État ! | ||
Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau. | Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau. | ||
L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce | L'État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d'en faire l'objet d'un commerce | ||
Ligne 1 423 : | Ligne 1 515 : | ||
fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à | fief relevant de l'État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à | ||
l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne. | l'amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne. | ||
Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il | Rien n'est plus redoutable pour l'État que la valeur du Moi ; il n'est rien dont il | ||
doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême. | doive plus soigneusement me tenir à l'écart que de toute occasion de m'exploiter moimême. | ||
Ligne 1 430 : | Ligne 1 523 : | ||
propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que | propriété de l'individu : il n'y a que des propriétés de l'État. Ce que j'ai, je ne l'ai que | ||
par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui. | par l'État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui. | ||
Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant | Ma propriété privée n'est que ce que l'État me concède du sien, en en frustrant | ||
(privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État. | (privant) d'autres de ses membres : c'est toujours une propriété de l'État. | ||
Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance | Mais quoi que fasse l'État, je sens toujours plus clairement qu'il me reste une puissance | ||
considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et | considérable ; j'ai un pouvoir sur moi-même, c'est-à-dire sur tout ce qui n'est et | ||
ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien. | ne peut être qu'à moi et qui n'existe que parce que c'est mien. | ||
Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus | Que faire, quand mon chemin n'est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus | ||
les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma | les siennes ? Passer outre, et ne compter qu'avec moi-même et sur moi-même. Ma | ||
propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma | propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma | ||
guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu | guise, ce sont mes pensées, qui n'ont que faire d'une sanction et qu'il m'importe peu | ||
de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes, | de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes, | ||
elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en | elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d'autres ; si je les cède en | ||
change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété. | change d'autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété. | ||
Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À | Qu'est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en ma puissance, et rien d'autre. À | ||
quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le | quoi suis-je légitimement autorisé ? À tout ce dont je suis capable. Je me donne le | ||
droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres | droit de propriété sur un objet, par le seul fait que je m'en empare, ou, en d'autres | ||
termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire | termes, je deviens propriétaire de droit chaque fois que je me fais de force propriétaire; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre. | ||
; en me donnant le pouvoir, je me donne le titre. | |||
Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose | Tant que vous. ne pouvez m'arracher mon pouvoir sur une chose, cette chose | ||
demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai | demeure ma propriété. Eh bien, soit ! Que la force décide de la propriété, et j'attendrai | ||
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je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de | je ne verrai à ma propriété d'autre limite réelle que ma — force, unique source de | ||
mon droit. | mon droit. | ||
Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe | Ici, c'est à l'égoïsme, à l'intérêt personnel de décider, et non pas au principe | ||
d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même | d'amour, aux raisons de sentiment telles que charité, indulgence, bienveillance ou même | ||
équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de | équité et justice (car la justitia aussi est un phénomène d'amour, un produit de | ||
l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier | l'amour) : l'amour ne connaît que le « sacrifice » et exige le « dévouement ». Sacrifier | ||
quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement | quelque chose ? Se priver de quelque chose ? L'égoïste n'y songe pas ; il dit simplement: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai ! | ||
: Ce dont j'ai besoin, il me le faut, et je l'aurai ! | |||
Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont | Toutes les tentatives faites pour soumettre la propriété à des lois rationnelles ont | ||
leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de | leur source dans l'amour et aboutissent à un orageux océan de réglementations et de | ||
Ligne 1 484 : | Ligne 1 581 : | ||
dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir | dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir | ||
qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore. | qu'il donne à la communauté est plus tyrannique encore. | ||
C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de | C'est par une autre voie que l'égoïsme marche vers la suppression de la misère de | ||
la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les | la plèbe. Il ne dit pas : Attends ce que l'autorité quelconque chargée de partager les | ||
biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il | biens au nom de la communauté te donnera dans son équité (car c'est d'un don qu'il | ||
s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire | s'agit depuis toujours dans les « États », chacun y recevant selon ses mérites, c'est-àdire | ||
ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la | ses services); il dit : Mets la main sur ce dont tu as besoin, prends-le. C'est la | ||
déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir. | déclaration de guerre de tous contre tous. Moi seul suis juge de ce que je veux avoir. | ||
« En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout | « En vérité, cette sagesse-là n'est pas nouvelle, car c'est ainsi qu'en ont de tout | ||
temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que | temps usé les égoïstes. » Peu importe que la chose ne soit pas neuve, si ce n'est que | ||
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mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est | mettre la main sur un objet, de s'en emparer, n'est nullement méprisable ; il est | ||
purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même. | purement le fait de l'égoïste conscient et conséquent avec lui-même. | ||
Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que | Ce n'est que quand je n'attendrai plus ni des individus ni de la communauté ce que | ||
je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne | je puis me donner moi-même que j'échapperai aux chaînes de — l'Amour ; la plèbe ne | ||
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veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est | veulent qu'il soit respecté. On n'a pas conscience de cette « sagesse nouvelle », et c'est | ||
la vieille conscience du péché qui en est cause. | la vieille conscience du péché qui en est cause. | ||
Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une | Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une | ||
propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent | propriété, de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu'ils cessent | ||
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individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens | individus, des associations égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens | ||
d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée. | d'action de chacun et d'affermir sa propriété sans cesse menacée. | ||
Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire | Selon les Communistes, la communauté doit être propriétaire. C'est au contraire | ||
Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma | Moi qui suis propriétaire et je ne fais que m'entendre avec d'autres au sujet de ma | ||
Ligne 1 523 : | Ligne 1 624 : | ||
répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste | répond : je prends ce qu'il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l'Égoïste | ||
agit en propriétaire. | agit en propriétaire. | ||
Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent | Toutes les tentatives ayant pour but le soulagement des classes misérables doivent | ||
échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe | échouer si elles prennent pour principe l'Amour. C'est de l'égoïsme seul que la plèbe | ||
Ligne 1 529 : | Ligne 1 631 : | ||
crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait | crainte. « Les gens perdraient tout respect si on ne les forçait pas à avoir peur », disait | ||
l'Épouvantail au Chat Botté. | l'Épouvantail au Chat Botté. | ||
La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher | La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie ; ce qu'il faut, c'est l'arracher | ||
aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne | aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s'évanouira cette illusion que je ne | ||
suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin. | suis pas autorisé à prendre tout ce dont j'ai besoin. | ||
« Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de | « Mais de combien de choses l'homme n'a-t-il pas besoin ! » Celui qui a besoin de | ||
beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ? | beaucoup et qui s'entend à le prendre s'est-il jamais fait faute de se l'approprier ? | ||
Ligne 1 545 : | Ligne 1 648 : | ||
Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de | Défendez votre propriété, vous serez forts ; mais si vous voulez garder la faculté de | ||
donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes | donner et jouir d'autant plus de droits politiques que vous pouvez faire plus d'aumônes | ||
(taxe des pauvres | (taxe des pauvres <ref> Le gouvernement anglais, dans un projet de loi électorale pour l'Irlande, proposa d'accorder | ||
l'électorat à tous ceux qui payaient 5 livres sterling de taxe des pauvres. Celui qui fait l'aumône | |||
acquiert des droits politiques !</ref>) cela durera ce que ceux que vous gratifiez de vos dons | |||
permettront que cela dure. | permettront que cela dure. | ||
La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre | La question de la propriété n'est pas, je crois l'avoir montré, aussi simple à résoudre | ||
que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue | que se l'imaginent les Socialistes et même les Communistes. Elle ne sera résolue | ||
Ligne 1 553 : | Ligne 1 659 : | ||
leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que — | leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien de moins que — | ||
la suppression de tout don. | la suppression de tout don. | ||
On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris | On demandera : Mais que se passera-t-il, quand les sans-fortune auront pris | ||
courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de | courage ? Comment s'accomplira le nivellement ? Autant vaudrait me demander de | ||
tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ? | tirer l'horoscope d'un enfant. Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ? | ||
— Attendez, et vous le saurez. | — Attendez, et vous le saurez. | ||
La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre | La concurrence est étroitement liée au principe de la bourgeoisie. Est-elle autre | ||
chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette | chose que l’égalité ? Et l'égalité n'est-elle pas précisément un produit de cette | ||
Ligne 1 571 : | Ligne 1 678 : | ||
entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais | entre vous, vous êtes concurrents, et la concurrence est votre, position sociale. Mais | ||
devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ». | devant moi, l'État, vous n'êtes que de « simples individus ». | ||
L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes, | L'égalité, que l'on a théoriquement établie en principe entre tous les hommes, | ||
trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car | trouve sa mise en application et sa réalisation pratique dans la concurrence, car | ||
l'égalité | l'égalité <ref>« Égalité » en français dans le texte. (Note du traducteur.)</ref> n'est que la libre concurrence. Tous sont, vis-à-vis de l'état, de — simples | ||
particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents. | particuliers, et dans la Société, c'est-à-dire vis-à-vis les uns des autres, des — concurrents. | ||
Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec | Je n'ai pas à être autre chose qu'un simple particulier pour pouvoir concourir avec | ||
tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible, | tout autre homme, sauf le Prince et sa famille. Cette liberté était jadis impossible, | ||
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accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession | accorder des patentes (brevet donné à un candidat et établissant que telle profession | ||
lui est ouverte [patente]). | lui est ouverte [patente]). | ||
Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même | Mais la libre « concurrence » est-elle bien réellement « libre » ? Est-elle même | ||
vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce | vraiment une « concurrence », c'est-à-dire un concours entre les personnes ? C'est ce | ||
Ligne 1 592 : | Ligne 1 698 : | ||
Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la | Peut-on dire que la concurrence est « libre », quand l'État, que le principe de la | ||
bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ? | bourgeoisie fait souverain, s'ingénie à la restreindre de mille façons ? | ||
« Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la | « Voici un riche fabricant qui fait de brillantes affaires, et je voudrais lui faire la | ||
concurrence. | concurrence. | ||
— Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses. | — Fais, dit l'État, je ne vois, pour ma part, rien qui s'oppose à ce que tu le fasses. | ||
— Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de | — Oui, mais il me faudrait de la place pour mon installation, il me faudrait de | ||
l'argent ! | l'argent ! | ||
— C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir. | — C'est regrettable, mais si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas songer à concourir. | ||
Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et | Et il ne s'agit pas que tu prennes rien à personne, car je protège la propriété et | ||
ses privilèges. » | ses privilèges. » | ||
La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les | La libre concurrence n'est pas « libre », parce que les moyens de concourir, les | ||
choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à | choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Contre ma personne, on n'a rien à | ||
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l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de | l'État ; le fabricant n'est pas propriétaire ; ce qu'il possède, il ne l'a qu'à titre de | ||
concession, de dépôt. | concession, de dépôt. | ||
« Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence | « Allons, soit ! Si je ne puis rien contre le fabricant, je m'en vais faire concurrence | ||
à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter | à ce professeur de droit ; c'est un sot et j'en sais cent fois plus que lui : je ferai déserter | ||
son auditoire. | son auditoire. | ||
— As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ? | — As-tu fait des études, mon ami, et es-tu reçu docteur ? | ||
— Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à | — Non, mais à quoi bon ? Je possède largement les connaissances nécessaires à | ||
cet enseignement. | cet enseignement. | ||
— J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne, | — J'en suis fâché, mais ici la concurrence n'est pas « libre ». Contre ta personne, | ||
il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce | il n'y a rien à dire, mais la chose essentielle te manque : le diplôme de docteur. Et ce | ||
diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous | diplôme, moi, l'État, je l'exige ! Demande-le-moi d'abord bien gentiment, et nous | ||
verrons ensuite ce qu'il y a à faire. » | verrons ensuite ce qu'il y a à faire. » | ||
Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon | Voilà à quoi se réduit la « liberté » de la concurrence. Il faut que l'État, mon | ||
seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir. | seigneur et maître, me confère l'aptitude à concourir. | ||
Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une | Mais aussi, sont-ce bien en réalité les personnes qui concourent ? Non, encore une | ||
fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc. | fois, ce sont les choses ! L'argent en première ligne, etc. | ||
Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la | Dans la lutte, il y aura toujours des vaincus (ainsi le poète médiocre devra céder la | ||
palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font | palme, etc.). Mais ce qu'il importe de distinguer, c'est d'abord si les moyens qui font | ||
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que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre | que j'attende l'autorisation de l'État pour avoir les moyens ou les mettre en oeuvre | ||
(comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une | (comme c'est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'un diplôme), ces moyens sont une | ||
grâce que l'État m'accorde | grâce que l'État m'accorde <ref>Dans les collèges, les universités, etc., on voit des pauvres concourir avec des riches. Mais cela ne leur est en général possible que grâce à des bourses, qui —cela est significatif — ont pour la | ||
plupart été fondées à une époque où la libre concurrence était encore loin d'être admise en | |||
principe. Le principe de la concurrence ne fonde pas de bourses d'études, mais il signifie : Aide-toi | |||
toi-même, c'est-à-dire procure-toi les moyens. Ce que l'État dépense dans ce but n'est qu'un | |||
placement à intérêt, destiné à lui procurer des « serviteurs ».</ref>. | |||
Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes | Tel est, au fond, le sens de la libre concurrence : l'État considère tous les hommes | ||
comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour | comme ses enfants et comme égaux ; libre à chacun de faire tout son possible pour | ||
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la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des | la poursuite de la fortune, des biens (argent, emplois, titres, etc.), en un mot des | ||
moyens matériels. | moyens matériels. | ||
Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se | Au sens bourgeois, tout homme possède, chacun est « propriétaire ». Comment se | ||
fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart | fait-il donc que la plupart n'aient pour ainsi dire rien ? Cela vient de ce que la plupart | ||
Ligne 1 648 : | Ligne 1 770 : | ||
conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans | conservant au sujet de cette quotité la plus grande latitude, se jeta à corps perdu dans | ||
la concurrence. | la concurrence. | ||
Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé | |||
; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question | Fatalement, l'égoïsme heureux devait porter ombrage à celui qui était moins favorisé; ce dernier, s'appuyant toujours sur le principe de l'humanité, souleva la question | ||
du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir | du quotient de répartition des biens sociaux et la résolut ainsi : « L'homme doit avoir | ||
autant qu'il lui est nécessaire. » | autant qu'il lui est nécessaire. » | ||
Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme » | Mais mon égoïsme pourra-t-il se contenter de cela ? Les besoins de l' « Homme » | ||
ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir | ne sont nullement une mesure applicable à moi et à mes besoins ; car je puis avoir | ||
besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier. | besoin de plus ou de moins. Non, je dois avoir autant que je suis capable de m'approprier. | ||
Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et | Chacun n'a pas à sa disposition les moyens de concourir, parce que ces moyens (et | ||
c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais | c'est là le vice fondamental de la concurrence) ne dépendent pas de la personne, mais | ||
de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes | de circonstances tout à fait indépendantes de cette dernière. La plupart des hommes | ||
sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer. | sont dépourvus de ces instruments et, par suite, des biens qu'ils pourraient en tirer. | ||
Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et | Aussi les Socialistes réclament-ils pour tous les hommes les instruments et | ||
préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons | préparent-ils une société qui fournira à tous ces instruments. Nous ne reconnaissons | ||
plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) | plus, disent-ils, tes richesses (avoir) comme ta richesse (pouvoir) <ref>Le mot allemand Vermögen a un sens très étendu et signifie, suivant les cas : force, puissance, | ||
faculté, MOYEN, RICHESSE, fortune ou pécule. Nous le traduirons par richesse, en priant le | |||
lecteur de bien vouloir se rappeler que nous entendons par ce mot la richesse « instrument de | |||
production » et non « résultat de production ». C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot | |||
français, qui, par sa racine germanique rik ou reich, signifie « puissance ». « Richesse, c'est | |||
pouvoir », disait Hobbes.(Note du Traducteur.)</ref>. Tu auras à te créer | |||
une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail. | une autre richesse, à te pourvoir d'autres moyens d'action, qui seront ta force de travail. | ||
Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons | Sous l'homme en possession d'un avoir, sous le « possesseur », nous apercevons | ||
Ligne 1 674 : | Ligne 1 797 : | ||
« propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en | « propriétaire ». Mais il faut bien te dire que tu ne détiens les choses qu'en | ||
attendant que tu sois « exproprié ». | attendant que tu sois « exproprié ». | ||
Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont | Celui qui possède est riche, mais pour autant seulement que les autres ne le sont | ||
pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable | pas. Et comme ta marchandise ne forme ta richesse qu'aussi longtemps que tu es capable | ||
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pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens | pas de pouvoir sur elle, il faudra bien que tu cherches à te procurer d'autres moyens | ||
d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse. | d'action, car notre puissance l'emporte aujourd’hui sur ta prétendue richesse. | ||
Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le | Parvenir à être considéré comme possesseur réalisait déjà un progrès énorme. Le | ||
servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et | servage disparaissait et l'homme, qui jusque-là avait dû la corvée à son seigneur et | ||
Ligne 1 687 : | Ligne 1 812 : | ||
ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce | ton travail qui est ta richesse. Tu n'es plus, désormais, maître et possesseur que de ce | ||
qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage. | qui naît de ton travail, et non plus de ce que peut te donner un héritage. | ||
En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage, | En attendant, comme il n'existe pas de possession qui n'ait à sa source l'héritage, | ||
comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à | comme tous les sous qui forment ton avoir sont à l'effigie de l'hérédité et non à | ||
l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun. | l'effigie du travail, il faut que tout soit refondu au creuset commun. | ||
Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste | Mais est-il bien vrai, comme le pensent les Communistes, que ma richesse ne consiste | ||
que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable | que dans mon travail ? Ne consiste-t-elle pas plutôt en tout ce dont je suis capable | ||
Ligne 1 696 : | Ligne 1 823 : | ||
impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que | impropres au travail. Ceux-ci sont encore capables de bien des choses, ne fût-ce que | ||
de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer | de conserver leur vie au lieu de se l'ôter. Et s'ils sont capables de vous faire désirer | ||
leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait | leur conservation, c'est qu'ils possèdent un pouvoir sur vous. À celui qui n'exercerait | ||
absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à | absolument aucun pouvoir sur vous, vous n'accorderiez rien, il n'aurait plus qu'à | ||
disparaître. | disparaître. | ||
Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer | Ainsi, ta richesse consiste en tout ce dont tu es capable ! Si tu es capable de procurer | ||
un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des | un plaisir à des milliers d'hommes, ces milliers d'hommes te donneront des | ||
Ligne 1 711 : | Ligne 1 832 : | ||
oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es | oblige à acheter ton travail. Mais si tu n'es capable d'intéresser personne à toi, tu es | ||
tout juste capable de disparaître. | tout juste capable de disparaître. | ||
Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux | Ne dois-je donc pas, moi qui suis capable de beaucoup, avoir l'avantage sur ceux | ||
qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me | qui peuvent moins ? Nous voici attablés devant l'abondance : vais-je m'abstenir de me | ||
servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ? | servir de mon mieux et attendre ce qui me reviendra d'un partage égal ? | ||
Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du | Contre la concurrence se dresse le principe de la Société des gueux, le principe du | ||
partage égal. | partage égal. | ||
L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième | L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction, un tantième | ||
de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette | de la société, parce qu'il est plus que cela ; son unicité s'insurge contre cette | ||
conception qui le diminue et le rabaisse. | conception qui le diminue et le rabaisse. | ||
Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des | Aussi n'admet-il pas que les autres lui adjugent sa part ; déjà, dans la Société des | ||
travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au | travailleurs, il soupçonne que le partage égal aura pour effet de dépouiller le fort au | ||
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toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous | toi, père, ne te refuses-tu pas bien des choses pour qu'il ne manque de rien ? Il vous | ||
contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous. | contraint, et par cela même il possède ce que vous croyez à vous. | ||
Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai | Si je tiens à ta personne, ta seule existence a déjà pour moi une valeur ; si je n'ai | ||
besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un | besoin que d'une de tes facultés, c'est ta complaisance ou ton assistance qui ont un | ||
prix à mes yeux. et que j'achète. | prix à mes yeux. et que j'achète. | ||
Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en | Il se peut aussi que tu ne saches prendre à mon estimation qu'une valeur en | ||
argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en | argent : c'était le cas des citoyens allemands vendus à beaux deniers et expédiés en | ||
Ligne 1 739 : | Ligne 1 866 : | ||
Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à | Comment leur aurait-il témoigné une estime qu'il ne ressentait pas, qu'il pouvait à | ||
peine ressentir pour un pareil bétail ? | peine ressentir pour un pareil bétail ? | ||
La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires | La pratique égoïste consiste à ne considérer les autres ni comme des propriétaires | ||
ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse, | ni comme des gueux ou des travailleurs, mais à voir en eux une partie de votre richesse, | ||
Ligne 1 746 : | Ligne 1 874 : | ||
Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de | Américains du Nord. Et ils répondent : Nous ne donnerions pas un liard ni de lui ni de | ||
son travail. | son travail. | ||
Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une | Lorsqu'on dit que la concurrence met tout à la portée de tous, on s'exprime d'une | ||
façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant | façon inexacte ; il est plus juste de dire que grâce à elle tout est à vendre. En mettant | ||
tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix. | tout à la disposition de tous, elle le livre à leur appréciation et en demande un prix. | ||
Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils | Mais les amateurs manquent le plus souvent du moyen de se faire acheteurs : ils | ||
n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais | n'ont pas d'argent. On peut, avec de l'argent, se procurer tout ce qui est à vendre, mais | ||
Ligne 1 755 : | Ligne 1 884 : | ||
circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as | circulante ? Sache donc que tu as autant d'argent que tu as de — puissance, car tu as | ||
la valeur que tu sais te donner. | la valeur que tu sais te donner. | ||
On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse, | On ne paie pas avec de l'argent, dont on peut être à court, mais avec sa richesse, | ||
son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître. | son « pouvoir », car on n'est propriétaire que de ce dont on est maître. | ||
Ligne 1 760 : | Ligne 1 890 : | ||
instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec | instrument de paiement reste encore, comme toujours, notre richesse : Tu paies avec | ||
ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse ! | ce que tu as « en ton pouvoir ». Songe donc à augmenter ta richesse ! | ||
En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon | En concédant tout cela, on est tout près de répéter la maxime : « À chacun selon | ||
ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais | ses moyens. » Mais qui me donnera « selon mes moyens »? La Société ? Je devrais | ||
pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens. | pour cela me soumettre à son estimation. Non. Je prendrai selon mes moyens. | ||
« Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À | « Tout appartient à tous! » cette proposition procède aussi d'une théorie futile. À | ||
chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là | chacun appartient seulement ce qu'il peut. Lorsque je dis : le monde est à moi, c'est là | ||
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que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon | que je ne respecte aucune propriété étrangère. Cela seul est à moi que j'ai en mon | ||
pouvoir, qui dépend de ma force. | pouvoir, qui dépend de ma force. | ||
On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas | On n'est pas digne d'avoir ce que par faiblesse on se laisse prendre ; on n'est pas | ||
digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder. | digne de le garder parce qu'on n'est pas capable de le garder. | ||
On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres. | On fait grand bruit de l' « injustice séculaire » des riches envers les pauvres. | ||
Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas | Comme si c'était la faute des riches s'il y a des pauvres, et comme si ce n'était pas | ||
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pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce, | pauvres, les crèches, les hospices, les établissements de bienfaisance de toute espèce, | ||
d'où viennent-ils ? | d'où viennent-ils ? | ||
Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec | Mais tout cela ne vous suffit pas. Les riches devraient, n'est-ce pas, partager avec | ||
les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à | les pauvres ? En un mot, ils devraient supprimer la misère. Sans compter qu'il y a à | ||
peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, | peine un de vous qui consentirait à partager, et que celui-là serait un fou, demandez-vous: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux | ||
: Pourquoi les riches devraient-ils se dépouiller et se dévouer, alors que c'est aux | |||
pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un | pauvres que cette conduite profiterait, bien plus qu'à eux-mêmes ? Toi qui touches un | ||
écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil | écu par jour, tu es un riche à côté de milliers d'hommes qui vivent avec dix sous : estil | ||
de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ? | de ton intérêt de partager avec eux, ou n'est-ce pas plutôt du leur ? | ||
Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire | Grâce à la concurrence, ce qu'on fait on ne le fait pas avec l'intention de le « faire | ||
de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec | de son mieux », mais avec l'intention de le faire le plus lucrativement possible, avec | ||
Ligne 1 801 : | Ligne 1 935 : | ||
administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé | administrer, rendre la justice, etc., en toute conscience, mais on craint d'être déplacé | ||
ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive. | ou révoqué : avant tout, il faut bien qu'on — vive. | ||
Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts | Toute cette pratique est en somme une lutte pour cette chère vie, une suite d'efforts | ||
ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre | ininterrompus pour s'élever de degré en degré jusqu'à plus ou moins de « bienêtre | ||
Ligne 1 806 : | Ligne 1 941 : | ||
hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de | hommes qu'une « vie amère », une « amère indigence ». Tant d'ardeur pour si peu de | ||
chose ! | chose ! | ||
Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous | Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous | ||
arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder. | arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder. | ||
Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres | Lorsqu'on parle d'organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d'autres | ||
peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur, | peuvent s'acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, du laboureur, | ||
Ligne 1 817 : | Ligne 1 954 : | ||
attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à | attendu que l'individualité de l'ouvrier y est sans importance et qu'on peut y dresser à | ||
peu près « tous les hommes ». | peu près « tous les hommes ». | ||
Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent | Comme la Société ne peut prendre en considération que les travaux qui présentent | ||
une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui | une utilité générale, les travaux humains, sa sollicitude ne peut pas s'étendre à celui | ||
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L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut | L'Unique saura bien s'élever dans la Société par son travail, mais la Société ne peut | ||
pas lever l'Unique. | pas lever l'Unique. | ||
Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux | Il est, par conséquent, toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux | ||
humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme | humains, afin qu'ils n'absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme | ||
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et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de | et il en résulta cette tendance que l'on entend à chaque instant déplorer sous le nom de | ||
« matérialisme des moeurs ». | « matérialisme des moeurs ». | ||
Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens | Le Communisme essaie d'y mettre un frein en répandant la croyance que les biens | ||
humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une | humains n'exigent pas que l'on se donne tant de peine pour eux, et qu'on peut, par une | ||
organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie | organisation judicieuse, se les procurer sans la grande dépense de temps et d'énergie | ||
qui a paru nécessaire jusqu'à présent. | qui a paru nécessaire jusqu'à présent. | ||
Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de | Mais pour qui faut-il gagner du temps ? Pourquoi l'homme a-t-il besoin de plus de | ||
temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme | temps qu'il n'en faut pour ranimer ses forces puises par le travail ? Ici, le Communisme | ||
se tait. | se tait. | ||
Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa | Pourquoi ? Eh bien ! pour jouir de soi-même comme Unique, après avoir fait sa | ||
part comme homme ! | part comme homme ! | ||
Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est | Dans la première joie de se voir autorisé à allonger la main vers tout ce qui est | ||
humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la | humain, on ne songea plus à désirer autre chose, et on se lança par les chemins de la | ||
concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous | concurrence à la poursuite de cet humain, comme si sa possession était le but de tous | ||
nos voeux. | nos voeux. | ||
Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le | Mais, après une course effrénée, on s'aperçoit enfin que « la richesse ne fait pas le | ||
bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui | bonheur ». Et l'on cherche à se procurer le nécessaire à moins de frais, et à ne lui | ||
consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et | consacrer que le temps et les peines indispensables. La richesse se trouve déprécie, et | ||
la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal. | la pauvreté satisfaite, la gueuserie insouciante, devient le séduisant idéal. | ||
Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se | Est-il bien nécessaire que telles fonctions humaines, auxquelles tout le monde se | ||
croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever | croit apte, soient mieux rémunérées que les autres, et qu'on dépense pour s'y élever | ||
Ligne 1 861 : | Ligne 2 005 : | ||
tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire | tout le monde, du moins au grand nombre ; pour toutes ces choses, un homme ordinaire | ||
suffit. | suffit. | ||
En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination | En admettant même que, si l'ordre est essentiel à l'État, la nécessité d'une subordination | ||
hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons | hiérarchique ne lui est pas moins imposée par sa nature, nous remarquerons | ||
Ligne 1 866 : | Ligne 2 011 : | ||
démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle | démesurés en comparaison de ceux qui occupent les degrés inférieurs de l'échelle | ||
sociale. | sociale. | ||
Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans | Pourtant ces derniers, inspirés d'abord par la doctrine socialiste, plus tard sans | ||
doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère | doute aussi par un sentiment égoïste (dont nous donnerons dès à présent une légère | ||
Ligne 1 875 : | Ligne 2 021 : | ||
avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à | avec ce principe fondamental : Respecte ce qui n'est pas à toi, ce qui est à | ||
autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs ! | autrui ! Respecte les autres, et en particulier tes supérieurs ! | ||
À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici | À cela, nous répondons : Vous voulez notre respect ? Soit, achetez-le-nous, voici | ||
le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais | le prix que nous en demandons. Nous voulons bien vous laisser votre propriété, mais | ||
moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de | moyennant une compensation suffisante. Qu'est-ce qu'un général fournit en temps de | ||
paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses | paix, pour compenser les milliers d'écus de son traitement ? Et tel autre, pour ses | ||
centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de | centaines de mille ou ses millions annuels ? Quelle compensation recevons-nous de | ||
vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos | vous, pour manger des pommes de terre en vous regardant tranquillement humer vos | ||
Ligne 1 888 : | Ligne 2 034 : | ||
avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous, | avec vous — et vous auriez raison. Sans violence, nous ne les aurons pas ; mais vous, | ||
ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez. | ce n'est que parce que vous nous faites violence que vous les avez. | ||
Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près | Mais va pour les huîtres, et passons à une propriété qui nous touche de plus près | ||
(car tout cela n'était que possession), au travail. | (car tout cela n'était que possession), au travail. | ||
Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez | Nous peinons douze heures par jour à la sueur de notre front, et vous nous donnez | ||
pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix. | pour cela quelques sous. Eh bien ! faites-vous donc payer votre travail au même prix. | ||
Ligne 1 903 : | Ligne 2 051 : | ||
que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien | que de notre salaire habituel. Nous serons bientôt d'accord, pourvu qu'il soit bien | ||
entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux. | entendu que personne n'a plus à faire ni à recevoir de cadeaux. | ||
Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix | Qui sait ? Nous pourrons même bien aller jusqu'à payer de notre poche un prix | ||
équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne | équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne | ||
Ligne 1 912 : | Ligne 2 061 : | ||
d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous | d'obtenir ce résultat qu'en l'achetant. Il se pourra même, un peu parce que nous | ||
aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être. | aimons à voir autour de nous des visages souriants, que nous voulions leur bien-être. | ||
Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y | Seulement, plus de cadeaux ! Gardez les vôtres, et n'en attendez plus de nous. Il y | ||
a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a | a des siècles que nous vous faisons l'aumône avec une bonne volonté — stupide, il y a | ||
Ligne 1 918 : | Ligne 2 068 : | ||
présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons | présent le prix de notre marchandise est en hausse énorme. Nous ne vous prendrons | ||
rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir. | rien, rien du tout, mais vous paierez mieux ce que vous voudrez avoir. | ||
Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je | Toi, quelle est ta fortune ? — J'ai un bien de mille arpents. — Eh bien ! moi je | ||
suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix | suis ton valet de charrue, et dorénavant je ne labourerai plus ton champ qu'au prix | ||
Ligne 1 923 : | Ligne 2 074 : | ||
autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un | autres laboureurs nous ne travaillons plus à d'autres conditions, et s'il s'en présente un | ||
qui demande moins, qu'il prenne garde à lui ! | qui demande moins, qu'il prenne garde à lui ! | ||
Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en | Voici la servante, qui à présent demande tout autant, et tu n'en trouveras plus en | ||
dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax | dessous de ce prix. — Mais alors, je suis ruiné ! — Doucement ! Il te reviendra touMax | ||
jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez | jours bien autant qu'à nous; du reste, s'il en était autrement, nous rabattrions assez | ||
pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! — | pour que tu puisses vivre comme nous. — Mais je suis habitué à vivre mieux ! — | ||
Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense. | Nous le voulons bien, mais cela ne nous regarde pas ; tâche de réduire ta dépense. | ||
Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ? | Faut-il nous louer au rabais pour que tu puisses bien vivre ? | ||
Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me | Le riche régale toujours le pauvre de ces paroles : Est-ce que ta misère me | ||
regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la | regarde ? Tâche de te tirer d'affaire comme tu pourras : c'est ton affaire et non la | ||
Ligne 1 946 : | Ligne 2 098 : | ||
vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons | vous compterez pour plus. Ce que nous voulons, c'est avoir une valeur, et nous avons | ||
bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez. | bien l'intention de nous montrer dignes du prix que vous payerez. | ||
L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un | L'État est-il capable d'éveiller chez le salarié une aussi courageuse confiance et un | ||
sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa | sentiment aussi vif de son Moi ? L'État peut-il faire que l'homme ait conscience de sa | ||
Ligne 1 959 : | Ligne 2 112 : | ||
Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient | Supposons pourtant que l'État ait fait une loi et que les valets de labour soient | ||
parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ? | parfaitement d'accord, l'État pourrait-il, alors, consentir ? | ||
Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un | Dans ce cas isolé, — oui ; mais ce cas isolé est plus que cela, il met en jeu un | ||
principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par | principe ; ce qui est en question ici, c'est le Moi réalisant lui-même sa valeur, et par | ||
Ligne 1 965 : | Ligne 2 119 : | ||
non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du | non seulement avec l'État, mais encore avec la Société ; elle vise bien au-delà du | ||
commun et du communiste, — par égoïsme. | commun et du communiste, — par égoïsme. | ||
Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur | Le Communisme fait du principe de la bourgeoisie, que tout homme est possesseur | ||
(« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci | (« propriétaire »), une vérité indiscutable, une réalité, en mettant fin au souci | ||
Ligne 1 974 : | Ligne 2 129 : | ||
réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne | réellement : ce que quelqu'un possède en puissance dans sa capacité de travail il ne | ||
peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque | peut plus le perdre, comme, sous le régime de la concurrence, cela menaçait à chaque | ||
instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on | instant de lui échapper. On est possesseur d'une façon assurée, et sans souci. Et on | ||
l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais | l'est précisément parce qu'on ne cherche plus sa richesse dans une marchandise, mais | ||
Ligne 1 981 : | Ligne 2 135 : | ||
me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans | me rapporterait mon labeur, parce que ma richesse ne consiste pas seulement dans | ||
mon travail. | mon travail. | ||
Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président | Par le travail, je puis arriver, par exemple, à m'acquitter des fonctions d'un président | ||
ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire | ou d'un ministre ; ces emplois n'exigent que l'instruction moyenne, c'est-à-dire | ||
Ligne 1 988 : | Ligne 2 143 : | ||
pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est | pas au-dessus de ses forces), ou, en somme, qu'un savoir-faire dont tout le monde est | ||
capable. | capable. | ||
Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel | Mais s'il est vrai que ces fonctions peuvent être exercées par tout homme quel | ||
qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à | qu'il soit, ce n'est pourtant que la force unique de l'individu, propre exclusivement à | ||
Ligne 1 998 : | Ligne 2 154 : | ||
ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur | ordinaire qui ne fait que de la besogne humaine, mais encore comme un producteur | ||
d'unique. Faites payer de même votre propre travail. | d'unique. Faites payer de même votre propre travail. | ||
On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je | On ne peut appliquer à l'oeuvre de mon unicité un prix général comme à ce que je | ||
fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à | fais en tant qu'homme. Ce n'est qu'en cette dernière qualité que je puis travailler à | ||
forfait. | forfait. | ||
Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que | Fixez donc, je le veux bien, une taxe générale pour les travaux humains, mais que | ||
le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité. | le contrat n'ait pas pour effet d'aliéner votre unicité. | ||
Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est | Tes besoins humains ou généraux peuvent être satisfaits par la Société ; mais c'est | ||
à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te | à Toi à chercher la satisfaction de tes besoins uniques. La Société ne peut ni te | ||
Ligne 2 010 : | Ligne 2 169 : | ||
pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction | pas pour cela sur la Société, mais fais en sorte d'avoir de quoi — acheter la satisfaction | ||
de tes désirs. | de tes désirs. | ||
Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie | Faut-il que l'usage de l'argent soit conservé entre égoïstes ? À l'ancienne monnaie | ||
s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle | s'attache la tare de la possession héréditaire. Ne la recevez plus en paiement, et elle | ||
Ligne 2 016 : | Ligne 2 176 : | ||
que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi | que l'héritier soit ou ne soit pas encore en possession. Si tout cela est à vous, pourquoi | ||
le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ? | le laisser mettre sous scellés, pourquoi vous inquiéter des sceaux ? | ||
Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise | Mais à quoi bon créer un nouvel instrument ? Anéantissez-vous donc la marchandise | ||
parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme | parce que vous lui ôtez le cachet de l'hérédité ? Considérez la monnaie comme | ||
une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle | une marchandise ; à ce titre, elle est un précieux moyen, une richesse. Car elle | ||
empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si | empêche l'ankylose de la richesse, la maintient en circulation et en opère l'échange. Si | ||
vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais | vous connaissez un meilleur instrument d'échange, adoptez-le, je le veux bien ; mais | ||
ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui | ce sera encore toujours l'« argent » sous une nouvelle forme. Ce n'est pas l'argent qui | ||
Ligne 2 029 : | Ligne 2 189 : | ||
d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par | d'avoir « la volonté de bien travailler », ceux-là sont condamnés fatalement, et par | ||
leur faute, à devenir des — sans-travail. | leur faute, à devenir des — sans-travail. | ||
C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance | C'est de l'argent que dépend le bonheur et le malheur. Ce qui en fait une puissance | ||
dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille, | dans la période bourgeoise, c'est qu'on ne fait que le courtiser comme une jeune fille, | ||
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enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur | enlèvement que les hardis chevaliers (d'industrie) conquièrent l'argent, objet de leur | ||
ardente passion. | ardente passion. | ||
Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la | Celui que la chance favorise emmène chez lui la fiancée. Le gueux introduit la | ||
jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison, | jeune fille dans son ménage qui est la « Société », et elle disparaît. Dans sa maison, | ||
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issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère | issue de Travail, son père. Les traits du visage, l'« effigie » présentent un caractère | ||
nouveau. | nouveau. | ||
Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément | Revenons-en enfin encore une fois à la concurrence. La concurrence doit précisément | ||
son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à | son existence à ce que personne ne s'occupe de ses affaires et ne songe à | ||
Ligne 2 051 : | Ligne 2 214 : | ||
indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la | indispensable fourniture à des boulangers qui se font concurrence. Et ainsi de la | ||
viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. | viande aux bouchers, du vin aux marchands de vin, etc. | ||
Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. | Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. | ||
Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des | Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l'affaire des | ||
Ligne 2 057 : | Ligne 2 221 : | ||
mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, | mienne, la vôtre : ce n'est l'affaire ni des compagnons, ni des boulangers patentés, | ||
mais bien celle des associés. | mais bien celle des associés. | ||
Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il | Si je ne m'inquiète pas de mes affaires, il faut bien que je me contente de ce qu'il | ||
plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis | plaît à d'autres de me donner. Or, avoir du pain est mon affaire, j'en veux, je ne puis | ||
Ligne 2 066 : | Ligne 2 231 : | ||
fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle | fabrication : c'est son affaire, sa propriété, et non la propriété des membres de telle | ||
corporation ou de tel patron patenté. | corporation ou de tel patron patenté. | ||
Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, | Jetons encore un regard en arrière. Le monde appartient aux enfants de ce monde, | ||
aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. | aux enfants des hommes. Il n'est plus le monde de Dieu, mais le monde des hommes. | ||
Ligne 2 075 : | Ligne 2 240 : | ||
« criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait | « criminelle », tandis que, au contraire, l'appropriation humaine est « juste » et se fait | ||
par une « voie légale ». | par une « voie légale ». | ||
C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. | C'est ainsi qu'on parle depuis la Révolution. | ||
Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence | Mais nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence | ||
indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; | indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; | ||
Ligne 2 084 : | Ligne 2 251 : | ||
que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance | que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance | ||
du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. | du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant. | ||
On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, | On élève la puissance, comme d'autres de mes propriétés (l'humanité, la majesté, | ||
etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister | etc.), au rang d' « être pour soi » (fürsichseiend), de sorte qu'elle ne cesse pas d'exister | ||
Ligne 2 089 : | Ligne 2 257 : | ||
fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas | fantôme, la puissance est le — Droit. Cette puissance immortalisée ne s'éteint pas | ||
même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). | même à ma mort, elle est transmissible (« héréditaire »). | ||
Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. | Il suit de là qu'en réalité les choses appartiennent non pas à Moi, mais au Droit. | ||
Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance | Tout cela n'est qu'une vaine apparence pour un autre motif encore : la puissance | ||
de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que | de l'individu ne devient permanente et ne devient un droit que pour autant que | ||
Ligne 2 098 : | Ligne 2 268 : | ||
« pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un | « pleins pouvoirs », on s'est dessaisi du pouvoir, on a renoncé à celui de prendre un | ||
meilleur parti. | meilleur parti. | ||
Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en | Le propriétaire peut renoncer à sa puissance et à son droit sur une chose en en | ||
faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner | faisant don, en la dissipant, etc. Et nous, nous ne pourrions pas également abandonner | ||
la puissance que nous lui avons prêtée ? | la puissance que nous lui avons prêtée ? | ||
L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui | L'homme selon le droit, l' « honnête homme », ne demande pas à faire sien ce qui | ||
n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété | n'est pas à lui « de droit » ou ce à quoi il n'a pas droit ; il ne revendique que sa « propriété | ||
Ligne 2 111 : | Ligne 2 283 : | ||
mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les | mortellement ennemies : le Dieu et l'Homme. Les uns se réclament du droit divin, les | ||
autres du droit humain ou des droits de l'homme. | autres du droit humain ou des droits de l'homme. | ||
Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son | Ce qui est clair, c'est que dans les deux cas l'individu ne crée pas lui-même son | ||
droit. | droit. | ||
Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À | Trouvez-moi donc aujourd'hui une seule action qui n'offense pas un droit ! À | ||
chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les | chaque instant les droits de l'homme sont foulés aux pieds par les uns, tandis que les | ||
Ligne 2 124 : | Ligne 2 297 : | ||
discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins | discours sont des crimes, et toute entrave à votre liberté de discourir n'est pas moins | ||
un crime. Vous êtes tous des criminels. | un crime. Vous êtes tous des criminels. | ||
Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du | Cependant, vous ne l'êtes que parce que vous vous tenez tous sur le terrain du | ||
droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas | droit, c'est-à-dire parce que vous ne savez pas que vous êtes criminels et ne savez pas | ||
vous en féliciter. | vous en féliciter. | ||
La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la | La propriété inviolable ou sacrée a pris naissance sur ce même terrain ; elle est la | ||
fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce | fille spirituelle du Droit. Le chien qui voit un os en la puissance d'un autre n'y renonce | ||
Ligne 2 135 : | Ligne 2 310 : | ||
qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout | qu'il se montre mais qu'on ne peut pas tuer. Ce qui est humain, c'est de voir dans tout | ||
objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. | objet particulier non pas quelque chose de particulier, mais quelque chose de général. | ||
Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard | Je ne dois plus à la nature, comme telle, aucun respect ; je sais que j'ai à son égard | ||
tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa | tous les droits. Mais je suis tenu de respecter dans l'arbre du jardin que voilà sa | ||
Ligne 2 149 : | Ligne 2 325 : | ||
exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi | exorcisons donc l'esprit d'étrangèreté qui nous avait fait d'abord reculer d'effroi | ||
devant elle. | devant elle. | ||
Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, | Mais il est indispensable pour cela que je ne prétende à rien en qualité d'Homme, | ||
mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent | mais seulement en qualité de Moi, de ce Moi que je suis ; je ne prétendrai par conséquent | ||
Ligne 2 154 : | Ligne 2 331 : | ||
de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le | de ce qui me revient en tant qu'homme, mais à — ce que je veux, et parce que je le | ||
veux. | veux. | ||
Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera | Donc, une chose ne sera la juste et légitime propriété d'un autre que quand il sera | ||
juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il | juste pour toi qu'elle soit la propriété de cet autre. Dès qu'il ne te convient plus qu'il | ||
en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit | en soit ainsi, la légitimité disparaît à tes yeux, et il ne te reste plus qu'à rire du droit | ||
absolu du propriétaire. | absolu du propriétaire. | ||
Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à | Outre la propriété au sens restreint dont nous nous sommes entretenus jusqu'à | ||
présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous | présent, il en est une autre qui s'impose à notre vénération et contre laquelle il nous | ||
Ligne 2 169 : | Ligne 2 347 : | ||
l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée | l'idole, la faculté de vénération de celui qui la tient pour sacrée est elle-même sacrée | ||
et on doit s'incliner devant elle. | et on doit s'incliner devant elle. | ||
Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun | Dans des temps plus barbares que les nôtres, on avait coutume d'exiger de chacun | ||
une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main | une certaine foi et une dévotion à un certain objet sacré ; on n'y allait pas de main | ||
Ligne 2 175 : | Ligne 2 354 : | ||
qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se | qu'on désigne sous le nom plus vague d' « être suprême »; la tolérance humaine se | ||
déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. | déclare satisfaite du moment que chacun révère un « objet sacré » quel qu'il soit. | ||
Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême | Ramené à son expression la plus humaine, cet objet sacré est l' « Homme luimême | ||
» et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait | » et l' « humain ». Car c'est une illusion de croire que l'humain est tout à fait | ||
Ligne 2 184 : | Ligne 2 364 : | ||
empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre | empêché d'entendre le cri de douleur de l'égoïsme ; c'est ainsi qu'on a pris pour notre | ||
vrai moi un fantôme devenu si bon homme. | vrai moi un fantôme devenu si bon homme. | ||
Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa | Mais « le Sacré s'appelle Humain », dit Goethe, et l'humain n'est que le sacré à sa | ||
plus haute puissance. | plus haute puissance. | ||
L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque | L'égoïste s'exprime tout autrement. C'est justement parce que tu tiens quelque | ||
chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout | chose pour sacré que je te trouve ridicule, et en admettant même que je veuille tout | ||
respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. | respecter en toi, c'est précisément ton sanctuaire intérieur que je ne respecterais pas. | ||
À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites | À ces manières de voir si opposées correspondent naturellement des conduites | ||
différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire | différentes envers les biens spirituels : l'égoïste les attaque ; le religieux (c'est-à-dire | ||
Ligne 2 196 : | Ligne 2 379 : | ||
qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le | qui craint Dieu, par exemple, a plus à défendre que celui qui craint l'Homme, que le | ||
Libéral. | Libéral. | ||
Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on | Quand on nous offense dans nos biens spirituels, ce n'est plus comme lorsqu'on | ||
nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis | nous lésait dans nos biens matériels : ici, l'offense est spirituelle, le péché commis | ||
Ligne 2 206 : | Ligne 2 390 : | ||
c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le | c'est-à-dire envers ce que nous tenons pour sacré ; et la raillerie, l'insulte, le mépris, le | ||
scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. | scepticisme, etc., ne sont que des nuances différentes de la criminelle impiété. | ||
Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous | Sans nous occuper des multiples façons dont le sacrilège peut se commettre, nous | ||
ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop | ne rappellerons ici que celle qui met en danger la sainteté par le fait d'une presse trop | ||
libre. | libre. | ||
Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la | Tant qu'on exigera encore du respect pour le moindre être spirituel, la parole et la | ||
presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses | presse devront être enchaînées au nom de cet être; car l'égoïste pourrait par ses | ||
Ligne 2 216 : | Ligne 2 401 : | ||
« pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux | « pénalités convenables », à moins qu'on ne préfère recourir au moyen plus judicieux | ||
que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. | que fournit la puissance préventive de la police, c'est-à-dire à la censure. | ||
Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de | Combien de gens nous entendons tous les jours appeler à grands cris la liberté de | ||
la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, | la presse ! Or, de quoi la presse doit-elle être libre ? Sans doute d'une dépendance, | ||
Ligne 2 228 : | Ligne 2 414 : | ||
ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle | ou je permets qu'on trace autour de mes publications une limite au-delà de laquelle | ||
commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. | commencent le délit et la répression. C'est moi-même qui restreint ma liberté. | ||
Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui | Pour que la presse fût libre, il serait indispensable qu'aucune contrainte ne pût lui | ||
être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me | être imposée au nom d'une loi. Et pour en arriver là, il faudrait que moi-même je me | ||
fusse affranchi de l'obéissance à la loi. | fusse affranchi de l'obéissance à la loi. | ||
En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté | En vérité, la liberté absolue de la presse est une chimère, comme toute liberté | ||
absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que | absolue. La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que | ||
de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, | de ce dont je serai moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, | ||
soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. | soyons sans foi et sans loi, et nos discours le seront aussi. | ||
Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne | Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne | ||
pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres | pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres | ||
que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, | que nous le sommes. Il faut pour cela qu'ils soient notre propriété, au lieu d'être, | ||
comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. | comme ils l'ont été jusqu'ici, au service d'un fantôme. | ||
On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la | On ne se rend pas bien compte de ce qu'on demande en réclamant la liberté de la | ||
presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce | presse. Ce que prétendument on désire, c'est que l'État rende la presse libre ; mais ce | ||
qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou | qu'on veut en réalité et sans s'en douter, c'est que la presse soit affranchie de l'État ou | ||
n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à | n'ait plus à compter avec lui. Le voeu conscient est une pétition que l'on adresse à | ||
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sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la | sacrée » et appelleraient sur celui qui se le permettrait les sévérités d'une loi sur la | ||
presse. | presse. | ||
En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre | En un mot, il est impossible que la presse soit libre de ce dont je ne suis pas libre | ||
moi-même. | moi-même. | ||
Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la | Ce que j'en dis va peut-être me faire passer pour un adversaire de la liberté de la | ||
presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne | presse ? Loin de là ! J'affirme seulement qu'on ne l'obtiendra jamais tant qu'on ne | ||
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par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de | par la liberté de la presse) l'usage que vous faites de la presse, vous vivrez dans de | ||
vaines espérances et de vaines récriminations. | vaines espérances et de vaines récriminations. | ||
« Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, | « Absurdité ! Vous qui nourrissez des pensées comme on en voit dans votre livre, | ||
vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à | vous ne parviendrez à leur donner de publicité que grâce à un heureux hasard ou à | ||
force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on | force d'artifices. Et c'est vous qui voulez vous opposer à ce qu'on harcèle, qu'on | ||
importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » | importune l'État jusqu'à ce qu'il accorde enfin la liberté d'imprimer ? » | ||
Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne | Il se pourrait qu'un auteur à qui on tiendrait ce langage répondît — car jusqu'où ne | ||
va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : | va pas l'insolence de ces gens ? — de la manière suivante : | ||
—Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer | —Réfléchissez bien à ce que vous dites ! Que fais-je donc en vue de me procurer | ||
pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne | pour mon livre la liberté de la presse ? Est-ce que je demande une permission ? Ne | ||
me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion | me voit-on pas, au contraire, sans me soucier de la légalité, guetter une occasion | ||
favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? | favorable, et la saisir sans aucun égard pour l'État et ses désirs ? | ||
« Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe | « Oui ! je trompe — puisqu'il faut que le mot terrible soit prononcé — je trompe | ||
l'État. | l'État. | ||
« Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut | « Et vous, sans vous en douter, vous en faites autant. Vous lui persuadez du haut | ||
de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il | de vos tribunes qu'il doit faire le sacrifice de sa sainteté et de son invulnérabilité, qu'il | ||
Ligne 2 279 : | Ligne 2 475 : | ||
redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura | redouter. Eh bien ! vous l'abusez ; car c'en sera fait de son existence aussitôt qu'il aura | ||
perdu son inviolabilité. | perdu son inviolabilité. | ||
« Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait | « Il est vrai qu'à vous il pourrait bien concéder la liberté d'écrire comme l'a fait | ||
l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, | l'Angleterre : Vous êtes les dévots de l'État, vous êtes incapables d'écrire contre lui, | ||
Ligne 2 285 : | Ligne 2 482 : | ||
déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » | déchaîner contre l'Église, l'État, les Moeurs, et pour assaillir le « sacro-saint » | ||
d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la | d'implacables arguments ? Vous seriez alors les premiers à trembler et à appeler à la | ||
vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous | vie des lois de septembre. Vous vous repentiriez, trop tard, de la sottise qui vous | ||
aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. | aurait poussés à enjôler et à aveugler l'État ou le Gouvernement. | ||
« Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté | « Mais ma conduite à moi ne prouve que deux choses. D'abord ceci, que la liberté | ||
de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par | de la presse est toujours inséparable de « circonstances favorables » et ne peut, par | ||
Ligne 2 294 : | Ligne 2 491 : | ||
contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et | contre l'État son propre intérêt et en se mettant, soi et sa volonté, au-dessus de l'État et | ||
de toute « puissance supérieure ». | de toute « puissance supérieure ». | ||
« Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut | « Ce n'est pas dans l'État, ce n'est que contre l'État que la liberté de la presse peut | ||
être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais | être conquise. Et si cette liberté règne jamais, ce n'est pas à la suite d'une prière, mais | ||
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morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas | morale ou de la loi. Liberté vis-à-vis de la contrainte de la censure, elle n'est pas | ||
liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. | liberté vis-à-vis de la contrainte de la loi. | ||
« La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre | « La presse, une fois saisie du désir de la liberté, veut devenir toujours plus libre | ||
jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je | jusqu'à ce qu'enfin l'écrivain se dise : Puisque je ne suis tout à fait libre que quand je | ||
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elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux | elle doit être à Moi ! L'individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux | ||
m'assurer. | m'assurer. | ||
« Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et | « Une liberté de la presse n'est qu'un permis d'imprimer que me délivre l'État, et | ||
l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la | l'État ne permettra jamais, et il ne peut jamais librement permettre, que j'emploie la | ||
presse à l'anéantir. | presse à l'anéantir. | ||
« Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme | « Exprimons-nous donc plutôt de la manière suivante, pour éviter ce que le terme | ||
« liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de | « liberté de la presse » a pu laisser jusqu'ici de vague dans nos paroles : La liberté de | ||
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aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une | aux politiciens libéraux : en Allemagne, par exemple, ils ne demandent qu'« une | ||
tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». | tolérance plus large, plus étendue, de la parole libre ». | ||
« La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au | « La liberté de la presse qu'on sollicite est une liberté qui doit appartenir au | ||
Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. | Peuple, et tant que le Peuple (l'État) ne la possède pas, je ne puis en faire aucun usage. | ||
Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax | Mais si on se place au point de vue de la propriété de la presse, les choses se présenMax | ||
tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, | tent sous un jour différent. Bien que mon Peuple soit privé de la liberté de la presse, | ||
je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la | je me procure par ruse ou par violence le moyen d'imprimer ; je ne demande la | ||
permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. | permission d'imprimer qu'à — Moi et à ma force. | ||
« Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour | « Dès que la presse est à Moi, il ne me faut pas plus d'autorisation de l'État pour | ||
en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du | en user qu'il ne m'en faut pour me moucher. Et la presse est ma propriété à partir du | ||
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feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de | feraient aucun cas ? Ce serait un rêve, une illusion, tout comme l' « unité de | ||
l'Allemagne ». | l'Allemagne ». | ||
« La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : | « La presse est à Moi dès que je m'appartiens, dès que je suis mon propriétaire : | ||
Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du | Le monde est à l'égoïste, parce que l'égoïste n'appartient à aucune puissance du | ||
monde. | monde. | ||
« Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très | « Cela étant, il se peut très bien que la presse, quoique mienne, soit encore très | ||
peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire | peu libre, comme c'est le cas en ce moment. Mais le monde est grand, et on se tire | ||
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comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes | comme je veux affirmer ma propriété, il faut bien que j'en vienne aux mains avec mes | ||
ennemis. | ennemis. | ||
— N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? | — N'accepterais-tu pas leur permission si on te l’accordait ? | ||
— Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai | — Oui, certes, et avec plaisir, car leur permission me prouverait que je les ai | ||
aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais | aveuglés et que je les mène à l'abîme. Ce n'est pas leur permission que je veux, mais | ||
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sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là | sollicite, c'est pour m'en faire une arme contre eux, c'est pour faire disparaître ceux-là | ||
mêmes qui me l'auront accordée. | mêmes qui me l'auront accordée. | ||
« J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de | « J'agis consciemment comme un ennemi, je prends mes avantages et je profite de | ||
leur imprévoyance. | leur imprévoyance. | ||
« La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en | « La presse n'est à moi que si j'en use sans reconnaître absolument aucun juge en | ||
dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni | dehors de moi-même, c'est-à-dire que si je ne suis plus déterminé ni par la religion, ni | ||
par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon | par la morale, ni par le respect des lois de l'État, etc., mais par Moi seul et par mon | ||
égoïsme ! » | égoïsme ! » | ||
Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais | Qu'avez-vous à répliquer à celui qui vous fait une réponse si insolente ? Mais | ||
peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la | peut-être la question sera-t-elle mieux posée sous la forme suivante : À qui est la | ||
Ligne 2 374 : | Ligne 2 583 : | ||
affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de | affranchie des lois, c'est-à-dire indépendante de la volonté du Peuple (de la volonté de | ||
l'État). | l'État). | ||
Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être | Mais une fois devenue la propriété du Peuple, la presse est encore bien loin d'être | ||
ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au | ma propriété ; sa liberté conserve par rapport à moi le sens de permission. C'est au | ||
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ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves | ont le coeur et la tête durs, tout comme les plus farouches despotes et les esclaves | ||
qu'ils emploient. | qu'ils emploient. | ||
Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse | Edgar Bauer, dans ses Revendications libérales, soutient que la liberté de la presse | ||
est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout | est impossible dans les États absolus ou constitutionnels, mais qu'elle a sa place tout | ||
indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer | indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer | ||
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement | tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement | ||
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent | un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent <ref>II, p. 91 sqq.</ref>. Ce | ||
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si, | n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si, | ||
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la | pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la | ||
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propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, | propre énergie : elle est une liberté du peuple, une liberté qui ne lui est accordée à lui, | ||
individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. | individu, qu'en raison de sa fidélité et de sa qualité de sociétaire. | ||
Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer | Au contraire, ce n'est que comme individu que chacun peut être libre d'exprimer | ||
sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il | sa pensée. Mais il n'en a pas le « droit », et cette liberté n'est pas « son droit sacré »; il | ||
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contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si | contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si | ||
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. | je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété. | ||
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le | Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le | ||
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle | droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle | ||
n'est que le droit du citoyen libre. | n'est que le droit du citoyen libre. | ||
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les | On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les | ||
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon | hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon | ||
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établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à | établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à | ||
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse. | l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse. | ||
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui | C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui | ||
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme. | est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme. | ||
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse | La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse | ||
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse. | irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse. | ||
Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement, | Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement, | ||
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher, | par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher, | ||
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de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et | de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et | ||
l'Humanité. | l'Humanité. | ||
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque | Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque | ||
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt | homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt | ||
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etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer | etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer | ||
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste ! | devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste ! | ||
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas | L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas | ||
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous | à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous | ||
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N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la | N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la | ||
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ? | laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ? | ||
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique | Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique | ||
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos | invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos | ||
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indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement, | indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement, | ||
des jugements. | des jugements. | ||
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui | Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui | ||
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la | est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la | ||
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque | justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque | ||
chose. | chose. | ||
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et | Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et | ||
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et | Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et | ||
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu | devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu | ||
et ne peut devenir sans amour. | et ne peut devenir sans amour. | ||
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent | « Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent | ||
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un | dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un | ||
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté. | Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté. | ||
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins | « Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins <ref> Athanase.</ref>.» Sa main se retrouve | ||
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses | partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses | ||
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se | « vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se | ||
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combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui | combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui | ||
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine. | est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine. | ||
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour | Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour | ||
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme | que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme | ||
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pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse | pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse | ||
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ». | manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ». | ||
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera | L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera | ||
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné | un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné | ||
Ligne 2 498 : | Ligne 2 718 : | ||
succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est | succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est | ||
impérissable. | impérissable. | ||
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux | L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux | ||
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation | hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation | ||
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Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur | Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur | ||
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il | point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il | ||
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires | suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires | ||
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de | exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de | ||
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il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis | il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis | ||
me le donner. | me le donner. | ||
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services | Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services | ||
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en | réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en | ||
soi l'être suprême et d'en faire une vérité | soi l'être suprême et d'en faire une vérité <ref>« Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> et une réalité, on devait aussi aux autres de | ||
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à | les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à | ||
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation. | l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation. | ||
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux | Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux | ||
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des | autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des | ||
Ligne 2 525 : | Ligne 2 746 : | ||
rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports | rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports | ||
avec les hommes. | avec les hommes. | ||
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un | De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un | ||
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme | commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme | ||
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle | tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle | ||
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose | », et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source | ||
: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source | |||
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut | réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut | ||
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le | particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le | ||
devoir et la vocation de l'homme, etc. » | devoir et la vocation de l'homme, etc. » | ||
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie | Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie | ||
à la puissance de l'Homme. | à la puissance de l'Homme. | ||
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à | On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à | ||
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement. | l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement. | ||
Ligne 2 543 : | Ligne 2 766 : | ||
l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de | l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de | ||
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité. | tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité. | ||
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ». | L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ». | ||
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je | Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je | ||
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui | n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui | ||
Ligne 2 551 : | Ligne 2 776 : | ||
lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi | lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi | ||
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne | un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne | ||
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que, | me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que, | ||
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même | n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même | ||
Ligne 2 566 : | Ligne 2 789 : | ||
à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce | à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce | ||
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé. | qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé. | ||
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux. | Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux. | ||
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour | Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour | ||
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m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser. | m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser. | ||
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères | Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères | ||
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » | de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » <ref> Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner | ||
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's | |||
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)</ref>. Ma | |||
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien, | sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien, | ||
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien » | qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien » | ||
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Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce | Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce | ||
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie. | qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie. | ||
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ; | Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ; | ||
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes. | votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes. | ||
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos | Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos | ||
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me | que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me | ||
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s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui | s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui | ||
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance. | fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance. | ||
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par | Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par | ||
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu | conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu | ||
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux | pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux | ||
dissiper que mon chagrin. | dissiper que mon chagrin. | ||
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit | Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit | ||
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les | d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les | ||
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes | amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes | ||
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le | frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le | ||
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me | considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me | ||
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient. | considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient. | ||
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on | Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on | ||
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On | m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On | ||
Ligne 2 610 : | Ligne 2 837 : | ||
génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns | génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns | ||
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins. | étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins. | ||
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il | Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il | ||
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je | est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je | ||
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas | n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas | ||
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer. | mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer. | ||
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique. | L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique. | ||
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais | On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais | ||
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conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui | conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui | ||
lui appartiens. | lui appartiens. | ||
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette | Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette | ||
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que | qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que | ||
Ligne 2 631 : | Ligne 2 861 : | ||
s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et | s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et | ||
devienne, par exemple, un « Homme ». | devienne, par exemple, un « Homme ». | ||
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison | Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison | ||
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même | de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même | ||
Ligne 2 642 : | Ligne 2 873 : | ||
je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui | je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui | ||
paie. | paie. | ||
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé, | Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé, | ||
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit | et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit | ||
Ligne 2 652 : | Ligne 2 884 : | ||
« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet | « amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet | ||
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls. | objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls. | ||
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par | L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par | ||
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À | une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À | ||
Ligne 2 662 : | Ligne 2 895 : | ||
elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le | elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le | ||
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais. | plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais. | ||
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu | L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu | ||
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes | de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes | ||
de connaître l'esclavage du mysticisme. | de connaître l'esclavage du mysticisme. | ||
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant | Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant | ||
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut | contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut | ||
Ligne 2 671 : | Ligne 2 906 : | ||
prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son | prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son | ||
embouchure dans l'intérêt personnel. | embouchure dans l'intérêt personnel. | ||
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en | Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en | ||
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est | savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est | ||
Ligne 2 676 : | Ligne 2 912 : | ||
chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma — | chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma — | ||
propriété. | propriété. | ||
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes | Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes | ||
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine | sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine | ||
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diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire | diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire | ||
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique. | mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique. | ||
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas | « Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas | ||
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par | contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par | ||
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est | la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est | ||
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste | théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste <ref>FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.</ref>. » C'est ce que dit | ||
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine | Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine | ||
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre | de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre | ||
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un | l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un | ||
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour, | splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour, | ||
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable | même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable | ||
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des | ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des | ||
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes. | larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes. | ||
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme | L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme | ||
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout | de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout | ||
Ligne 2 705 : | Ligne 2 942 : | ||
propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »; | propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »; | ||
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle. | c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle. | ||
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un | Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un | ||
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur | sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur | ||
Ligne 2 718 : | Ligne 2 956 : | ||
comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je | comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je | ||
surmonte toute autre antipathie. | surmonte toute autre antipathie. | ||
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en | Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en | ||
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est | réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est | ||
Ligne 2 724 : | Ligne 2 963 : | ||
sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement | sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement | ||
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit. | dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit. | ||
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne | Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne | ||
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins | l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins | ||
Ligne 2 736 : | Ligne 2 976 : | ||
». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que | ». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que | ||
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui. | je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui. | ||
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés | Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés | ||
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche, | dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche, | ||
Ligne 2 751 : | Ligne 2 992 : | ||
Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre | Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre | ||
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ». | l'homme du peuple contre les « mauvais livres ». | ||
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense, | Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense, | ||
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non : | mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non : | ||
« Je chante comme chante l'oiseau | « Je chante comme chante l'oiseau | ||
Qui habite dans le feuillage. | Qui habite dans le feuillage. | ||
Le chant même que produit ma voix | Le chant même que produit ma voix | ||
Est mon salaire, et un salaire royal | Est mon salaire, et un salaire royal <ref> Wilhelm Meister.</ref>» | ||
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de | Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de | ||
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles. | vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles. | ||
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme | Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme | ||
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ; | pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ; | ||
Ligne 2 767 : | Ligne 3 012 : | ||
ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes | ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes | ||
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas. | que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas. | ||
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période | Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période | ||
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être | chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être | ||
Ligne 2 774 : | Ligne 3 019 : | ||
Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous | Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous | ||
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme. | allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme. | ||
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de | Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de | ||
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la | bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la | ||
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement | vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance | ||
; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance | |||
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le | qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le | ||
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps | menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps | ||
Ligne 2 790 : | Ligne 3 033 : | ||
le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne | le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne | ||
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même. | reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même. | ||
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande | Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande | ||
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement, | son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement, | ||
Ligne 2 805 : | Ligne 3 049 : | ||
seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous | seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous | ||
brouiller avec Dieu par un parjure. | brouiller avec Dieu par un parjure. | ||
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait | Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait | ||
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on | laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on | ||
Ligne 2 826 : | Ligne 3 071 : | ||
vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et | vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et | ||
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du | malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du | ||
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que | mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que | ||
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie | rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie | ||
Ligne 2 833 : | Ligne 3 077 : | ||
coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ; | coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ; | ||
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. » | ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. » | ||
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ; | Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ; | ||
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole | mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole | ||
Ligne 2 847 : | Ligne 3 092 : | ||
pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard | pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard | ||
des hommes. | des hommes. | ||
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une | En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une | ||
parole princière violée ! | parole princière violée ! | ||
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge | Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge | ||
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de | — pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de | ||
Ligne 2 874 : | Ligne 3 121 : | ||
ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son | ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son | ||
maître, tout comme celui qui craint Dieu. | maître, tout comme celui qui craint Dieu. | ||
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas | Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas | ||
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement, | quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement, | ||
Ligne 2 886 : | Ligne 3 133 : | ||
où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un | où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un | ||
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou. | esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou. | ||
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous | Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous | ||
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ; | répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ; | ||
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un | que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un | ||
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable. | méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable. | ||
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé. | Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé. | ||
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui | Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui | ||
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il | témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il | ||
Ligne 2 908 : | Ligne 3 158 : | ||
pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se | pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se | ||
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.) | délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.) | ||
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner | |||
; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre | Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre | ||
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme. | victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme. | ||
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens. | Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens. | ||
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la | Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la | ||
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle | question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle | ||
Ligne 2 922 : | Ligne 3 173 : | ||
hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami, | hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami, | ||
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une | en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une | ||
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister | chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister | ||
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne | vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne | ||
Ligne 2 930 : | Ligne 3 180 : | ||
de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours | de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours | ||
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice. | un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice. | ||
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous | Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous | ||
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y | domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y | ||
Ligne 2 938 : | Ligne 3 189 : | ||
de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la | de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la | ||
vérité, et que Dieu vous bénisse ! | vérité, et que Dieu vous bénisse ! | ||
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font, | Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font, | ||
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment. | par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment. | ||
Ligne 2 957 : | Ligne 3 209 : | ||
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais | corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais | ||
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer. | de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer. | ||
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il | L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il | ||
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez, | pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez, | ||
Ligne 2 969 : | Ligne 3 222 : | ||
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment | lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment | ||
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal. | tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal. | ||
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur | Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur | ||
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en | qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en | ||
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute | effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute | ||
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque | signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque | ||
Ligne 2 985 : | Ligne 3 238 : | ||
c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car | c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car | ||
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit. | l'ennemi ne vous accorde pas ce droit. | ||
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité | D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité | ||
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler | du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler | ||
Ligne 2 992 : | Ligne 3 246 : | ||
! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je | ! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je | ||
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire. | suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire. | ||
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de | Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de | ||
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais | donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais | ||
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enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de | enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de | ||
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. » | l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. » | ||
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps | Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps | ||
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du | débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du | ||
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux | bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux | ||
formes, pensée et agiotage. | formes, pensée et agiotage. | ||
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et | On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et | ||
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui | on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui | ||
Ligne 3 016 : | Ligne 3 272 : | ||
encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui | encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui | ||
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi. | ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi. | ||
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui, | On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui, | ||
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le | pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le | ||
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est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je | est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je | ||
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ». | puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ». | ||
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est — | Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est — | ||
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour | l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour | ||
Ligne 3 031 : | Ligne 3 288 : | ||
qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être | qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être | ||
des « égoïstes ». | des « égoïstes ». | ||
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source | Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source | ||
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par | dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par | ||
Ligne 3 038 : | Ligne 3 296 : | ||
est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a | est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a | ||
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété. | intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété. | ||
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société. | L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société. | ||
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère, | Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère, | ||
Ligne 3 050 : | Ligne 3 309 : | ||
préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il | préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il | ||
n'est pas entré, où il n'a fait que naître. | n'est pas entré, où il n'a fait que naître. | ||
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une | Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une | ||
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe | association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce | ||
: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce | |||
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance. | perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance. | ||
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association | Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association | ||
Ligne 3 060 : | Ligne 3 319 : | ||
— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association | — société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association | ||
du parti. | du parti. | ||
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble | Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble | ||
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes | guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes | ||
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins; | de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins; | ||
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue. | quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue. | ||
Ligne 3 068 : | Ligne 3 327 : | ||
à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses | à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses | ||
coups. | coups. | ||
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche | Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche | ||
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême | elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême | ||
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai | (par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai | ||
jalousement mon individualité. | jalousement mon individualité. | ||
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses | Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses | ||
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle | forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle | ||
Ligne 3 084 : | Ligne 3 345 : | ||
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que | qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que | ||
ce que leur permettent la société et ses lois. | ce que leur permettent la société et ses lois. | ||
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint | Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint | ||
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle | mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle | ||
Ligne 3 092 : | Ligne 3 354 : | ||
que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa | que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa | ||
souveraineté. | souveraineté. | ||
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État | Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État | ||
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association | et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association | ||
Ligne 3 104 : | Ligne 3 367 : | ||
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était | l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était | ||
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles. | étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles. | ||
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée | L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée | ||
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de | comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de | ||
Ligne 3 109 : | Ligne 3 373 : | ||
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la | la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la | ||
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax | liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax | ||
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, | ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, | ||
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un | le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un | ||
Ligne 3 119 : | Ligne 3 382 : | ||
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est | L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est | ||
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit. | pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit. | ||
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans | Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans | ||
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de | aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de | ||
Ligne 3 126 : | Ligne 3 390 : | ||
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment | pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment | ||
plus aussi que l'association. | plus aussi que l'association. | ||
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se | La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se | ||
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se | rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se | ||
Ligne 3 147 : | Ligne 3 412 : | ||
s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que | s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que | ||
leur promet Weitling. | leur promet Weitling. | ||
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut | Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut | ||
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les | être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les | ||
Ligne 3 159 : | Ligne 3 425 : | ||
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à | mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à | ||
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que | l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que | ||
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années, | ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années, | ||
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue | que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue | ||
Ligne 3 168 : | Ligne 3 433 : | ||
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme | toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme | ||
ne sort pas de la même ornière. | ne sort pas de la même ornière. | ||
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve | Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve | ||
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui | qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui | ||
Ligne 3 181 : | Ligne 3 447 : | ||
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les | Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les | ||
hommes. ») | hommes. ») | ||
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que | Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que | ||
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe. | l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe. | ||
Ligne 3 188 : | Ligne 3 455 : | ||
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les | la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les | ||
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État ! | uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État ! | ||
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services | Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services | ||
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité | d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité | ||
Ligne 3 204 : | Ligne 3 472 : | ||
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré | n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré | ||
tout, le pauvre diable aime encore son maître ! | tout, le pauvre diable aime encore son maître ! | ||
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible. | Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible. | ||
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons | Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons | ||
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le | que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le | ||
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux | sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux | ||
Ligne 3 217 : | Ligne 3 484 : | ||
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se | sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se | ||
fixer par la parole. | fixer par la parole. | ||
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne | Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne | ||
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans | recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans | ||
Ligne 3 228 : | Ligne 3 496 : | ||
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas, | lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas, | ||
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir. | dont je puis ou dont je ne puis pas me servir. | ||
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour | S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour | ||
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus | que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus | ||
Ligne 3 233 : | Ligne 3 502 : | ||
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma | d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma | ||
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association. | force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association. | ||
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle | L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle | ||
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni | n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni | ||
Ligne 3 243 : | Ligne 3 513 : | ||
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne | n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne | ||
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle. | vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle. | ||
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable | Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable | ||
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à | valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à | ||
Ligne 3 248 : | Ligne 3 519 : | ||
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une | depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une | ||
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété. | féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété. | ||
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en | L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en | ||
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur | sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur | ||
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne | offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne | ||
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs | saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs | ||
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de | déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de | ||
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait | « comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait | ||
Ligne 3 268 : | Ligne 3 539 : | ||
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement | redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement | ||
différente. | différente. | ||
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais | Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais | ||
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en | valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en | ||
Ligne 3 274 : | Ligne 3 546 : | ||
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la | obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la | ||
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer. | quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer. | ||
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur | |||
; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle. | Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle. | ||
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme | L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme | ||
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta | son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta | ||
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association. | propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association. | ||
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons | On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons | ||
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en | conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en | ||
Ligne 3 288 : | Ligne 3 561 : | ||
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne | « sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne | ||
« sacrifie » rien du tout. | « sacrifie » rien du tout. | ||
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant, | Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant, | ||
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il | choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il | ||
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de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de | de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de | ||
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine. | ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine. | ||
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le | Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le | ||
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des | principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des | ||
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la | gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la | ||
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement | gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement | ||
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à | anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à | ||
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car | galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car | ||
Ligne 3 306 : | Ligne 3 580 : | ||
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute | féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute | ||
suzeraineté de l’ « Homme ». | suzeraineté de l’ « Homme ». | ||
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec | Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec | ||
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il | confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il | ||
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confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est | confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est | ||
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ». | à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ». | ||
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le | Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le | ||
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre | mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre | ||
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Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme | Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme | ||
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier. | particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier. | ||
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos | Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos | ||
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur | talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur | ||
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et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez : | et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez : | ||
je veux en profiter. | je veux en profiter. | ||
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême | Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême | ||
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! » | », mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! » | ||
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne | Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne | ||
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme | parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme | ||
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nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en | nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en | ||
est aux pauvres. | est aux pauvres. | ||
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne | En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne | ||
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer | s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer | ||
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas | ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas | ||
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est, | à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est, | ||
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y | pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y | ||
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien | prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien | ||
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d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus | d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus | ||
pur, on ne peut plus humain ! | pur, on ne peut plus humain ! | ||
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est | Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est | ||
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est | l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est | ||
Ligne 3 361 : | Ligne 3 641 : | ||
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle, | « qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle, | ||
la — parfaite gueuserie. | la — parfaite gueuserie. | ||
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ? | Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ? | ||
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un | Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un | ||
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc | bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc | ||
Ligne 3 375 : | Ligne 3 657 : | ||
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent | pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent | ||
est mort et tombe en décomposition. | est mort et tombe en décomposition. | ||
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus | En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus | ||
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant | de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant | ||
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes. | d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes. | ||
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève | La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève | ||
ou qu'on s'élève. | ou qu'on s'élève. | ||
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux | Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux | ||
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes | révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes | ||
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du | constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du | ||
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères, | Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères, | ||
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé | etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé <ref>Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution, | ||
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non | |||
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.</ref>. | |||
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et | Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et | ||
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme. | voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme. | ||
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance | Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance | ||
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et | aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et | ||
Ligne 3 425 : | Ligne 3 710 : | ||
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter | tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter | ||
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines. | l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines. | ||
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ? | Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ? | ||
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne | Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne | ||
s'est accomplie. | s'est accomplie. | ||
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela | À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela | ||
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes, | qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes, | ||
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Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont | Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont | ||
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi. | réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi. | ||
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe | Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe | ||
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour | emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour | ||
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si | mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si | ||
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère | cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère | ||
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre | le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre | ||
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour | encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour | ||
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rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire | rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire | ||
renoncer au pouvoir de vie et de mort. | renoncer au pouvoir de vie et de mort. | ||
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position | Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position | ||
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent | vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent | ||
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suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon | suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon | ||
existence terrestre, etc.). | existence terrestre, etc.). | ||
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance | Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance | ||
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou | n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou | ||
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pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les | pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les | ||
élève et me mets au-dessous d'elles. | élève et me mets au-dessous d'elles. | ||
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien | Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien | ||
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme », | pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme », | ||
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sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix | sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix | ||
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc. | éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc. | ||
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en | « Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en | ||
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux | détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux | ||
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait | sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait | ||
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance. | » : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance. | ||
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma | Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma | ||
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma — | jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma — | ||
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== Notes et références == | == Notes et références == | ||
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